L’autonomie énergétique des territoires isolés et insulaires suppose un nouveau modèle énergétique
Le cas de la Guyane et de La Réunion
p. 83-95
Texte intégral
Introduction
1Les analyses présentées dans ce texte résultent du programme de recherche VAETII (Vers l’Autonomie Energétique des Territoires Isolés/Insulaires) coordonné par le CIRED dans le cadre du Programme Interdisciplinaire Energie du CNRS. En croisant nos regards (économie, sociologie et modélisation), il s’agissait de contribuer à évaluer des trajectoires énergétiques adaptées aux spécificités des territoires insulaires/isolés dans le but d’atteindre une autonomie énergétique. Deux territoires ont été étudiés : la Guyane et La Réunion.
2Dans un contexte où les territoires discutent de leur politique énergétique et se questionnent sur les alternatives possibles pour réduire leur situation de dépendance, l’étude socio-anthropologique a permis de caractériser deux situations : la manière dont les entreprises d’électrification contribuent à augmenter la demande en service énergétique (Guyane) et la complexité de la gouvernance des projets d’autonomie énergétique (La Réunion). Dans les deux cas, la décentralisation de la production et l’accompagnement des comportements des usagers pour réduire les consommations sont invoqués comme deux conditions essentielles à la réussite des projets. Dans les deux cas, même si on constate une prise en mains locale progressive1, c’est pourtant un schéma très centralisé qui domine et la dimension technique qui prévaut, sans qu’une réflexion de fond ne soit réellement engagée sur les conditions de participation des populations aux opérations projetées. La plupart du temps, on compte sur la responsabilisation du citoyen et sa propension à se tenir informé. La question des usages est alors évacuée via la mise en place de campagnes de sensibilisation ou de communication sur lesquelles on mise pour « faire changer les comportements ».
Un contexte énergétique tendu
3Les territoires isolés et insulaires représentent une faible part des émissions de GES à l’échelle mondiale, et donc un enjeu moindre en termes de volume potentiel de réduction d’émissions. Cela explique le manque de données sur ces territoires. Pourtant, leurs spécificités sont très marquées, et les enjeux liés à la division par quatre des émissions de GES vont bien au-delà de la prise en compte du seul critère du coût de réduction des émissions carbonées. Transport des personnes et bâtiment sont les deux secteurs les plus concernés par les consommations d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre, mais les interactions avec d’autres problématiques, difficiles à modéliser, sont nombreuses :
- La dépendance aux importations énergétiques (pétrole) qui pèse considérablement sur l’économie et qui accroît la vulnérabilité des populations vivant en sites isolés (fleuves de Guyane, îlets de La Réunion) ;
- La récente compétence d’organiser la distribution de l’électricité (auparavant monopole de l’État), qui suppose de nouvelles approches, des plans d’action et des outils tout juste opérationnels2 ; qui suppose surtout de changer de paradigme dans les manières de penser et planifier les politiques énergétiques ;
- Des contraintes géographiques (forêts ou reliefs escarpés…) et climatiques (cyclones pour La Réunion), et un habitat dispersé qui ne permettent pas l’interconnexion des réseaux, qui supposent de solliciter les transports individuels pour se déplacer et qui rendent le recours aux formes d’énergie centralisées peu adapté. Cette situation pose aussi la question de l’accès à l’énergie (pour les territoires intérieurs en Guyane et les Hauts à La Réunion) et aux autres besoins fondamentaux dépendants d’un approvisionnement énergétique (eau potable, sécurité alimentaire, sécurité sanitaire…) ;
- Une croissance de la demande en énergie de 3 à 4 % par an ;
- Un contexte interculturel très fort qui fait apparaître des déterminants anthropologiques totalement différents de ceux de la métropole ;
- Une évolution à la hausse des consommations des appareils électroménagers avec des enjeux qui portent principalement sur le multi-équipement, la qualité énergétique du parc, ainsi que sur la demande en plein développement du confort d’été3 ;
- Une tension forte sur le réseau (coupures, pannes, insécurité) consécutive à un accès souvent brutal, voire illégal, à l’électricité ;
- La gestion du développement d’énergies issues de la biomasse et des déchets agricoles qui impliquent l’émergence de filières difficiles à structurer ;
- La question de l’adaptation du réseau électrique à un taux croissant de pénétration des Enr et de ces nouvelles productions ;
- Le retard en matière de R&D au sujet du traitement de l’intermittence et du stockage…
4Sur les deux territoires choisis pour la recherche, la production d’électricité s’appuie soit sur des centrales thermiques (charbon, fuel, bagasse) nécessitant le développement d’un réseau électrique dans des régions où les contraintes physiques peuvent rendre le développement du réseau très coûteux, soit sur des sources d’énergie renouvelable qui peuvent être utilisées sous la forme également centralisée (hydraulique, résidus agricoles, bagasse), ou bien sous la forme d’énergie décentralisée (solaire, photovoltaïque, éolien).
5C’est dans ce contexte que le programme VAETTI s’est mis en place. Il a réuni des chercheurs en économie du CIRED, des sociologues du CERTOP et des modélisateurs du CMA. Le projet visait à intégrer les spécificités à la fois économiques, techniques, climatiques et sociologiques des territoires isolés/insulaires dans les réflexions sur le Facteur 4 et sur l’autonomie énergétique. Ce projet s’avère d’autant plus pertinent aujourd’hui que les objectifs du Grenelle ont fixé un objectif de 50 % d’Enr en 2020 et l’autonomie énergétique en 2030. La recherche a donc pris en compte les déterminants économiques, les déterminants du déploiement de l’offre énergétique, ainsi que les déterminants de la demande en énergie et des pratiques sociales induites.
Une méthodologie centrée sur les réalités concrètes
6Sur le plan méthodologique, le volet sociologique a consisté en une analyse préalable des spécificités tant socio-culturelles que politiques des territoires ou communautés concernés. La méthode anthropologique a consisté en une analyse des pratiques concrètes (usage des technologies énergétiques au quotidien, problèmes rencontrés, solutions imaginées, contraintes matérielles, sociales, cognitives, politiques ou symboliques, modes de gouvernance, arbitrages, stratégies…). L’accent a été mis sur les ressources et dispositions des acteurs, sur leurs représentations (de l’énergie, des technologies, des projets politiques, des économies d’énergie, de l’environnement, de l’avenir…), sur leurs savoirs et savoir-faire, ainsi que sur les effets d’encastrement (place du marché, rôle de la consommation, interdépendances, gestion des incertitudes et des injonctions paradoxales, prises de décision…).
7En Guyane, la recherche s’est centrée sur les opérations d’électrification des fleuves Maroni et Oyapock. À La Réunion, elle s’est davantage focalisée sur le projet politique d’autonomie énergétique. À partir d’une méthode inductive reposant sur des temps longs d’observation et des séries d’entretiens, l’approche socio-anthropologique a permis de travailler sur la place de l’électricité comme vecteur de changements, sur le sens des choix techniques et des comportements énergétiques, sur le rapport aux technologies électriques, mais aussi sur les attentes des usagers et des acteurs institutionnels, ainsi que sur les conditions de faisabilité sociotechnique d’une politique visant l’autonomie énergétique.
L’électrification des territoires intérieurs de la Guyane4
8La Guyane française est dépendante à 90 % des énergies fossiles5. Sur la côte Atlantique (Cayenne, Kourou) les Guyanais bénéficient d’une électricité fournie par des barrages hydrauliques. Par contre, sur le Bas-Maroni (situé à l’Ouest, à la frontière du Suriname), et sur l’Oyapock (situé à l’Est, à la frontière brésilienne), territoires enclavés au cœur de la forêt amazonienne, on trouve des petites centrales thermiques, et quelques installations solaires, en nombre insuffisant, ou mal-adaptées aux besoins qui ont largement évolué6. Les centrales thermiques produisent de l’électricité à partir d’une énergie fossile importée, le diesel. Elles sont extrêmement polluantes (tant pour leur transport que lors de leur fonctionnement) et rendent les populations locales très dépendantes en matière d’approvisionnement, puis pour tout ce qui concerne les activités domestiques et économiques.
9L’Oyapock et le Bas Maroni présentent les caractéristiques de situations de sous-développement liées à des handicaps naturels (la forêt amazonienne, le fleuve), culturels (autorité coutumière, mémoire orale, analphabétisme…), économiques (autosubsistance à partir d’une agriculture vivrière, couplée à de la chasse et de la pêche) et politiques (situation de dépendance post-coloniale).
Le Maroni et l’Oyapock, deux territoires qui cherchent à se développer grâce à l’électricité
Le Maroni, un territoire isolé au cœur de la forêt amazonienne
10Le territoire du Bas Maroni se caractérise par une mosaïque de communautés : des Businenge, des amérindiens, quelques créoles, un petit nombre de fonctionnaires métropolitains et une part non négligeable de personnes en situation irrégulière (réfugiés du Surinam, familles des garimpeiros brésiliens…). Bordée par une forêt amazonienne très dense, difficilement praticable, la région du fleuve est essentiellement rurale. L’économie locale repose sur une économie traditionnelle d’autosubsistance qui s’organise sur la base d’échanges non monétarisés (pêche, chasse, cueillette, abattis7), quelques emplois de service, et une économie informelle et le plus souvent illégale (orpaillage, commerce frontalier…). Maripasoula, le bourg le plus au Sud, est à une heure ou trois jours de Cayenne selon que l’on prenne l’avion ou la pirogue.
11Chacun des quatre bourgs du Maroni accueille donc depuis 2003 un gros groupe électrogène qui fonctionne au diesel et qui permet d’assurer la production d’électricité aux villageois. Mais, cela concerne tout au plus 40 % de la population officiellement recensée. Les autres 60 % vivent dans les écarts8, ou, pour leur majorité, se déplacent de façon traditionnelle au gré des ressources de la forêt. Dans les écarts, l’électricité est produite soit par des petits groupes électrogènes de faible capacité, parfois partagés par 2 ou 3 familles, qui fonctionnent 3 ou 4 heures par jour, soit par quelques rares systèmes photovoltaïques pas toujours bien maîtrisés.
L’Oyapock : un territoire à l’électrification contrastée
12Saint-Georges de l’Oyapock se trouve au Sud-Est de la Guyane, à 180 km de Cayenne et à 60 km de l’embouchure du fleuve Oyapock qui constitue la frontière avec le Brésil. La population de Saint-Georges (4037 habitants en 2010) est essentiellement composée d’amérindiens, de brésiliens (pour une partie clandestins), de créoles et de quelques métropolitains. Jusqu’en 2003, la commune était coupée du reste du département auquel elle n’avait pas accès autrement que par voie d’eau ou par une liaison aérienne assurée par des Twin-Otters de 18 places. C’est l’ouverture de la RN2 qui a facilité la mobilité des habitants de Saint-Georges, mais aussi de ceux du Brésil, vers Cayenne. Dorénavant, la capitale économique est accessible en moins de trois heures.
13Le mode de vie des amérindiens s’organise autour de la pratique de l’abattis, en symbiose avec l’environnement local, et sur la base d’un semi-nomadisme. L’habitat est précaire et temporaire, situé aux abords du fleuve, souvent en zone inondable. Une grande majorité des carbets sont raccordés en toute illégalité au réseau électrique à partir d’un savant jeu de fils et d’entre-fils tirés avec ou sans l’accord des détenteurs de compteurs, avec tous les risques que cela comporte (électrocutions, incendies, court-circuit, conflits…).
14Une centrale thermique et un petit barrage hydroélectrique produisent de l’électricité pour la seule commune de Saint-Georges. L’électricité est distribuée via un réseau qui aujourd’hui s’avère insuffisant. Les villages amérindiens disposent de façon intermittente d’une électricité produite par de petits groupes électrogènes qui ne suffisent guère au regard du développement des équipements des familles en électroménager. L’enclavement du bourg et les difficultés techniques rencontrées pour maintenir les capacités de production des systèmes existants expliquent un prix de revient du kWh quatre fois plus élevé que son prix de vente aux usagers.
Électrifier les territoires isolés pour les développer
15L’État français a toujours soutenu les projets d’électrification. Dans un premier temps, il s’agit d’apporter le progrès en favorisant l’accès de tous à l’électricité, puis de consolider l’accès à l’eau et au téléphone dans des conditions comparables à celles du littoral. L’électricité devient un instrument de développement économique et social qui facilite l’émergence d’activités (artisanat, tourisme, hôtellerie…) et permet l’installation d’infrastructures scolaires et médicales. Promue comme un outil de planification territoriale, l’électrification doit alors contribuer au regroupement et à la sédentarisation des familles. Dans le même temps, il s’agit de sécuriser le fonctionnement des infrastructures, de réduire les coûts de fonctionnement et d’éviter les discontinuités de distribution, donc les pannes récurrentes à l’origine de mécontentements, d’incompréhension et de réclamations. Pour justifier ces opérations d’électrification, l’État français met en avant son projet de politique de maîtrise de la demande d’énergie comme garantie du caractère durable de son entreprise.
16EDF trouve dans ce genre d’opération matière à capter une nouvelle clientèle : les nouveaux abonnés disposent d’un compteur, multiplient les appareils électriques et règlent leurs factures.
17Du point de vue des autorités locales, la planification de l’électrification aux abords des deux fleuves suscite beaucoup d’intérêt. Elle autorise forages et stations de pompage indispensables à l’installation d’un réseau d’eau courante9, ainsi que la construction de sanitaires. Elle permet d’envisager un réseau téléphonique et la mise en place d’un éclairage public le long des rues principales, autour des débarcadères… Outre la possibilité d’une vie sociale après la tombée de la nuit, cela représente une mise en sécurité des lieux de vie publics, des voies d’accès et des espaces habités. Sur le plan économique, un service d’électricité permet l’émergence de divers projets en lien avec des activités professionnelles (artisanat, travail du bois, boulangerie, transformation du manioc, petite hôtellerie…). Les autorités coutumières y trouvent l’intérêt de fixer les jeunes ou des familles entières qui, attirés par le Littoral ou la Métropole, quittent la communauté traditionnelle et contribuent à la fragiliser.
18Pour les familles, l’électricité représente la possibilité d’accéder aux équipements électroménagers et audiovisuels, contribution directe à l’amélioration du quotidien (disposer de lumière à volonté, conserver et stocker grâce au froid, « regarder la télé », « naviguer sur internet »…) et aussi symbole de leur plein accès à la société de consommation, dernière étape de leur reconnaissance en tant que citoyens à part entière.
19Même si leurs référentiels diffèrent, qu’il s’agisse des pouvoirs publics, des entreprises ou des populations autochtones, l’électricité est donc perçue comme un véritable vecteur de développement. Le projet politique repose sur cette croyance partagée que l’électricité est la clef pour entrer dans le monde moderne. Pour les uns elle garantit l’inclusion de tout un territoire dans le marché économique englobant ; pour les autres, elle représente l’espoir d’une prospérité matérielle (Latouche, 2004).
Les effets pervers de la politique d’électrification
20Les expériences de transfert de technologies ont largement démontré qu’en transférant un système technique, on transfère aussi des valeurs, des savoirs et des compétences qui supposent qu’il y ait une compatibilité avec les milieux dans lesquels évoluent les destinataires, mais aussi une cohérence avec leurs dispositions et leurs modes de vie (Akrich, 1985, Dupré, 1991).
Des installations électriques bricolées, des vols d’électricité et des accidents
21Sur les deux territoires, le système de production électrique est rapidement parvenu à saturation. Il n’est plus possible de raccorder de nouveaux abonnés au réseau. Les familles réalisent donc des branchements, à l’insu de l’exploitant, sur leur propre compteur et revendent ainsi leur électricité, au forfait. Comme pour les locations de logements « charges comprises », cela n’incite guère à économiser l’énergie. Par ailleurs, on observe de nombreux branchements sauvages qui accentuent la pression exercée sur les centrales de production qui tombent régulièrement en panne. Ils sont pourtant indispensables pour les familles, ne serait-ce que pour faire fonctionner les pompes à eau qui garantissent la potabilité de l’eau.
22En 2010, sur le Maroni, il n’y avait pas d’électricien et il en existait un seul sur l’Oyapock. Qu’il s’agisse d’installer l’électricité ou de réparer un équipement ou un groupe électrogène, soit on fait appel à quelqu’un de Cayenne et on attend des mois avant d’être dépanné, soit on bricole soi-même. De fait, dans les foyers, une grande partie des montages électriques sont défaillants, dangereux. Peu de branchements sont « aux normes ». Ces installations hasardeuses sont issues de pratiques d’auto-construction dans l’habitat. S’entremêlent des fils au plafond, à même le sol, le long d’un mur ou au voisinage de points d’eau, assemblés n’importe comment (par du scotch, du sparadrap, du tissu, sur des multiprises en série, sans dominos…). L’électricité n’est pas perçue comme un danger potentiel et les accidents sont nombreux.
23Sur le Maroni, comme sur l’Oyapock, on trouve aussi des petits systèmes solaires, dispersés sur le territoire, implantés en fonction d’opportunités humaines, techniques ou financières. Comme on l’observe depuis des décennies dans les pays en développement (Akrich, 1985), ils sont sous dimensionnés par rapport aux besoins, souvent à l’abandon ou en panne (problème de maintenance, manque de disponibilité des pièces de rechange, délais d’approvisionnement et de dépannage, manque de compétences techniques locales…). À eux seuls, ces systèmes témoignent d’un désajustement entre le projet initial conçu selon un modèle occidental et les réalités locales : non seulement les installations importées supposent des compétences dont ne disposent pas les populations locales, mais elles supposent aussi que les villageois soient en capacité de s’adapter aux technologies. La mise en place de ces technologies a reposé sur une rationalité purement technique, qui s’est contentée de promouvoir un modèle occidental. Les ingénieurs ont transposé leur propre cadre de référence et spéculé sur des dispositions à utiliser l’électricité et ses produits dérivés, mais ils n’ont guère réfléchi aux contextes et aux modalités de leur appropriation (Zélem, 2012).
Un marché d’appareils électroménagers peu propice aux économies d’énergie
24Sur le fleuve Maroni, on ne trouvait tout simplement pas d’appareils électroménagers à la vente et s’en équiper revenait très cher. Pour s’en procurer, il fallait se rendre à Saint-Laurent du Maroni ou bien à Cayenne à plusieurs jours de pirogue. Sur la base de catalogues, deux ou trois commerçants des bourgs faisaient quelques achats groupés, à la demande, sans porter d’attention particulière aux classes énergétiques10. Sur l’Oyapock, on observe une situation comparable : les deux petits détaillants en électroménager et produits bruns ne proposent guère d’appareils éco-performants. Ils tendent plutôt à considérer que le faible pouvoir d’achat des amérindiens les autorise à ne fournir que des appareils déclassés, voire des appareils d’exposition ou des appareils d’occasion aux faibles performances. La consommation d’énergie n’est pas promue comme un critère d’achat et parler d’étiquette énergie paraît de fait déplacé.
25L’offre disponible sur le « marché » local est significative de ces technologies que l’on transfère, sans autres formalités. Les familles sont captives, n’ont pas d’autres alternatives. Compte tenu du coût du transport et des défaillances récurrentes du réseau électrique, la plupart des ménages préfèrent s’équiper en appareils bon marché, souvent de qualité énergétique médiocre.
Le multi-équipement comme symbole de la société de consommation
26L’accès au service public d’électricité a engendré des attentes en termes de progrès : avoir de la lumière de jour comme de nuit, des appareils à faire du froid, disposer d’un téléviseur, voire d’un ordinateur, s’équiper d’une machine à laver et faire ses courses comme en métropole. Sur les deux fleuves, le nombre et la taille des appareils paraissent disproportionnés comparés à la précarité ambiante. Ils trônent autour des carbets. Ils se donnent à voir. Plusieurs groupes familiaux peuvent partager le même toit, aussi trouve-t-on de nombreux ménages possédant plusieurs frigos ou/et congélateurs, Certains sont vides ou très peu utilisés, comme si seule leur possession importait.
27Sur l’Oyapock, deux particularités : la plupart des ménages étant mixtes (amérindiens brésiliens), ils disposent généralement de deux téléviseurs, dont un avec décodeur pour capter les chaînes brésiliennes. Les appareils sont la plupart du temps allumés toute la journée. Par ailleurs, les très fortes chaleurs régnant à Saint-Georges une grande partie de l’année sont à l’origine d’un équipement en climatiseurs un peu plus fréquent que sur le Maroni où ils sont encore réservés aux métropolitains (gendarmes, instituteurs, médecin…) et aux bâtiments publics (dispensaire, mairie).
La gestion mal connue du fonctionnement des appareils électriques
28Sur les deux fleuves, le poste froid représente près de 70 % de la facture d’électricité d’un ménage. Il importerait donc qu’il soit composé d’appareils économes et que les manières de les utiliser soient efficaces. Or, sur les deux territoires, l’état général du parc des frigos et des congélateurs est incroyablement dégradé (joints en très mauvais état, extérieur rouillé, intérieur plein de moisissures ou débordant de glace). Le problème de la gestion de cette glace est central. La pratique la plus courante consiste à la laisser s’installer jusqu’à ce qu’elle empêche soit la fermeture de l’appareil, soit le retrait des aliments. Par ailleurs, la majorité des appareils sont collés au mur, sans espace qui permette à l’air de circuler, ce qui occasionne des surchauffes. Leurs thermostats ne sont absolument pas utilisés pour réguler la température intérieure et un grand nombre sont en surcongélation. Toutes ces situations ont un impact direct en matière de consommation d’énergie. Pour certains ménages, ces appareils sont utilisés pour temporiser la mise en vente sur le marché local des produits locaux issus de la pêche notamment. Chez quelques-uns, ils ont pour fonction unique de produire des blocs de glace qui sont soit vendus, soit échangés contre de la nourriture. Souvent ils sont vides car les racines (telles que le manioc), le couac, les haricots rouges ou le riz, mais surtout les produits frais, directement cueillis, chassés ou pêchés constituent encore le cœur de l’alimentation.
29Sur l’Oyapock, on trouve du linge mis à sécher à même la grille arrière des frigos. Cette pratique très courante est utilisée pour lutter contre l’humidité de l’air. Les familles savent qu’il s’agit là d’un usage détourné de l’appareil. Par contre, elles n’ont généralement pas idée des consommations induites.
30On constate une situation similaire avec les climatiseurs qui sont installés dans des logements aux toitures en tôle et aux cloisons ajourées, parfois « isolées » avec du carton ou du plastique. Pour beaucoup, la seule intervention consiste à actionner le bouton on/off sur la télécommande de l’appareil, sans se soucier de la température. (Auparavant, les habitations comportaient des claires-voies pour ventiler de manière naturelle, et les abords des logements étaient plantés de végétaux).
31Enfin, l’éclairage et les veilles sont deux postes bien souvent négligés. Pour les familles dont traite ce texte, les lampes ont conservé leur fonction première : éclairer pour voir. L’intérieur des habitations amérindiennes ou brésiliennes est compartimenté avec des draps ou des tissus amovibles. Une seule ampoule centrale suffit souvent pour éclairer 2 ou 3 compartiments. L’habitude souvent constatée est de laisser les lampes allumées même en journée, notamment quand la lumière symbolise quelques divinités. L’éteindre serait maléfique. Quant aux veilles, faisant partie intégrante du fonctionnement des appareils, elles sont davantage associées à leur bon fonctionnement : le signal qu’ils sont bien branchés et qu’ils peuvent être utilisés. Elles sont donc plutôt appréhendées comme un signe positif. La veille véhicule une information pratique sur l’arrivée du courant et sur le bon état de marche de l’appareil. En ce sens, elle est fonctionnelle, même lorsque les équipements ne sont pas utilisés.
Quand l’électricité génère des situations de précarité
32Suréquipées, sans la culture technique adéquate, les familles ont beaucoup de mal à comprendre que le montant de la facture est tributaire de leur mode d’équipement et de leur niveau de consommation. Les factures délivrent des informations incompréhensibles : établies à Paris, sur la base d’estimations, rédigées en français, beaucoup imaginent qu’elles représentent une sorte de forfait. Peu comprennent comment en est fixé le montant, comme si le compteur était là pour attester d’un abonnement, qui signerait une sorte de promotion sociale associée à la qualité de « client EDF ». Le mode de règlement de la facture contribue également à créer de la confusion : impossible d’anticiper une régularisation à la hausse du montant à payer à la fin de l’année quand on pense consommer un forfait prépayé. C’est donc progressivement que les familles s’installent dans une situation dramatique qui ne leur est annoncée qu’au bout d’une année. En 2007 par exemple, sur le fleuve Maroni, EDF recensait une moyenne de 67 % d’impayés d’énergie. Sans autres ressources que les minima sociaux et malgré des aménagements du paiement, la majorité ont vu leur situation sociale s’aggraver.
L’ambivalence des entreprises d’électrification
33L’ensemble de ces observations montre l’ambivalence des opérations d’électrification. Dès lors qu’elles visent l’amélioration générale du quotidien de certaines communautés, elles ne sont pas discutables. Par contre, elles le deviennent dès lors que leur conception est orchestrée via des logiques de monopole, indépendamment d’une réflexion plus transversale qui consiste à rendre leurs compétences aux territoires en cherchant avec eux les solutions d’une production décentralisée qui s’affranchisse des ressources fossiles. Elles sont également discutables dans le contexte de la transition énergétique qui suppose que les territoires ultramarins aillent rapidement vers une autonomie en matière de production d’énergie. Leur mise en agenda en Guyane s’est organisée jusque-là de manière verticale sans associer les territoires à la définition des meilleurs choix possibles en matière de production énergétique. L’enjeu affiché de ces opérations était bien de contribuer au développement des territoires, mais elles ont produit des externalités qui non seulement ont placé les populations en situation de dépendance, mais aussi fragilisé certaines catégories. Appréhendées comme des entreprises, elles ont fait l’économie d’ajuster les attentes, savoirs et besoins des usagers aux changements permis par le système technique. Ainsi, les interactions technologie-modes de vie (Leroi-Gourhan, 1945) se sont opérés de manière unilatérale, dans un contexte d’accueil peu propice, qui est à l’origine des effets pervers décrits ci-dessus. Le décalage entre les véritables enjeux économiques et de gestion visés par l’électrification et les dispositions des populations concernées s’explique alors par l’absence de prise en compte de la dimension socioculturelle des comportements énergétiques. Le désajustement constaté traduit la tendance classique à privilégier dans ces opérations de déploiement des systèmes énergétiques le volet technique au détriment du volet social et comportemental.
L’arrivée du PRERURE et de la loi d’habilitation : une opportunité pour tendre plus sûrement vers l’autonomisation énergétique
34Aujourd’hui, grâce à une démarche impulsée par le PRME (Programme Régional de Maîtrise de l’Energie), ces politiques d’électrification se combinent à un dispositif de maîtrise de la demande d’énergie11 impulsé depuis 2012 par le Plan énergétique Régional pluriannuel de prospection et d’exploitation des Énergies Renouvelables et d’Utilisation Rationnelle de l’Énergie (PRERURE). Ce Plan affiche des intentions volontaristes basées sur la diversification du mix énergétique (promotion forte des énergies renouvelables) et la MDE, avec un objectif d’autonomisation de la production. Il repose sur l’analyse prospective comparée entre trois scénarios : le scénario tendanciel dans lequel la part des EnR est de 37 %, le scénario médian dans lequel cette part passe à 68 % et le scénario dit volontariste qui vise les 100 % de renouvelables d’ici 2030. Ce dernier scénario met l’accent sur les potentiels de développement du photovoltaïque, de l’éolien (3 fermes), de l’hydraulique (7 centrales), de la valorisation des déchets et de la biomasse (6 centrales). Ces développements supposent un engagement politique fort et un soutien financier important. Cela suppose également d’innover en termes de gestion du réseau (régulation et stockage), de gouvernance et d’efficacité énergétique et d’organisation des marchés (des appareils, des lampes…).
35Cependant, beaucoup d’incertitudes subsistent sur le plan technique. Pour le dire rapidement, pour ce qui concerne la biomasse, il est nécessaire de créer une filière d’approvisionnement. Pour le photovoltaïque, il s’agit de réduire les risques de perturbation du réseau. Pour l’hydraulique, la difficulté porte sur le développement d’un réseau de transport. Dans tous les cas, l’enjeu est bien de réduire les groupes diesel qui se sont multipliés à l’échelle des micro-territoires, pour aller vers une autonomie qui permette une alimentation en continu et compétitive.
36Déployer les systèmes de production, même s’ils sont renouvelables, s’accompagnera sans nul doute d’une croissance de la Demande12 (sachant que 35 % de la population n’est pas encore alimentée par un réseau électrique…). Or, nous venons de voir combien la Demande peut devenir une contrainte forte susceptible d’annuler tous les efforts d’autonomisation, voire de s’accompagner de difficultés du type précarisation des populations.
37En réalité, la MDE représente autant d’enjeux que le développement des Enr (Courtiade, 2012) et doit s’anticiper, se réfléchir de manière conjointe. Secondariser cet aspect du système énergétique reviendrait à réduire à néant les enjeux d’autonomisation poursuivis. En ce sens, le scénario volontariste du PRERURE, qui repose sur une approche globale au cœur de laquelle on trouve cet aspect MDE, est le seul envisageable, conforté par la loi d’habilitation de 2012 qui autorise le territoire à définir sa propre stratégie énergétique. Il représente un déficar sa mise en œuvre tient à la capacité des acteurs du PRME de transcender les intérêts sectoriels pour insister sur la nécessité d’orienter les soutiens publics vers l’aménagement du territoire, l’éducation aux économies d’énergie dans une approche interculturelle, l’amélioration des transports, l’organisation des filières, l’adaptation de la législation, mais aussi la reconfiguration des marchés des équipements. De toute évidence, cette politique suppose une forte détermination de la part des acteurs en charge de la gouvernance qui devraient également dynamiser la R&D en ce qui concerne les solutions de stockage de l’électricité.
Le projet politique d’autonomie énergétique de La Réunion
Le paysage énergétique de la Réunion
38Comme la Guyane, l’île de La Réunion est confrontée à de nombreuses contraintes qui rendent l’objectif d’autonomie énergétique particulièrement compliqué. C’est d’abord un territoire isolé, situé à plus de 200 km de la première terre (île Maurice), ce qui suppose d’importer les ressources nécessaires au fonctionnement de l’île (énergie, produits de consommation, etc.). Le relief contraignant et escarpé, marqué par une érosion très active, constitue un obstacle majeur vis-à-vis de l’extension des réseaux et imprime la forme annulaire du réseau électrique peu maillé. Du fait des conditions météorologiques difficiles (climat tropical), marquées par la présence de vents forts (alizés et tempêtes), le réseau électrique présente une fragilité certaine.
39Quand les secteurs résidentiel et tertiaire représentent 36 % des consommations d’énergie primaire, le secteur des transports en représente 64 %. On constate par ailleurs une hausse des consommations liées au transport routier et l’absence de réelle solution pour le report modal à ce jour. Le parc de bâtiments résidentiels est ancien et dégradé et, on note une croissance du taux d’équipement des ménages. Par ailleurs, alors que la hausse de la consommation d’électricité est passée de 6,5 % à 3,3 % entre 2000 et 2010 (effet MDE)13, le taux de dépendance énergétique est passé quant à lui de 84,7 % à 88,3 % entre 2000 et 2011. Et, comme en métropole, on observe à La Réunion une forte problématique de gestion des pointes, d’où un certain nombre d’actions menées sur la climatisation dans le tertiaire et sur le remplacement des chauffe-eau électriques par des chauffe-eau solaires individuels (CESI)14.
40En 2012, la part des ressources d’énergie locales (bagasse, hydraulique, solaire photovoltaïque, éolien et biogaz) représentait plus de 30 % de la production électrique (ADEME, 2012). Malgré le développement de nouvelles énergies renouvelables comme la mise en exploitation de la station de méthanisation de Pierrefonds en 2008 (2MW de puissance installée), l’île est encore fortement dépendante de l’importation de ressources extérieures.
Une situation énergétique compliquée
41L’article 1 de la loi du 9 août 2004 promulgue la péréquation tarifaire, un mécanisme financé par un fonds de compensation qui assure un prix fixe du kWh quel que soit l’endroit de production (la France métropolitaine, la Corse et les DOMs). Comme pour la Guyane, à La Réunion, la production d’énergie coûte plus cher que sa vente : ce dernier point est déterminant dans le déficit structurel de l’économie globale du service public de l’électricité (Sidelec, 2009). Ajoutons à cela la démographie positive et le nombre croissant de climatiseurs installés sur l’île dont l’impact énergétique commence à se faire sentir, avec deux pics de consommation très nets (9h-10h et 18h30-20h30) qui constituent des demandes brutales d’énergie électrique sur le réseau que les moyens de production ont du mal à satisfaire. Cette situation pose problème en termes d’approvisionnement notamment dans les hauts (zones d’altitudes relativement isolées) en bouts de réseaux. Par ailleurs, il reste encore des zones reculées où l’approvisionnement électrique est encore instable à certaines heures de la journée et les lignes électriques sont souvent coupées en période cyclonique. Des systèmes de production locaux et décentralisés sont donc très attendus pour résoudre ces problématiques multiples et desservir les sites éloignés.
42Outre son impact environnemental, à La Réunion, le développement des importations des énergies fossiles est rendu socialement inacceptable du fait du coût de ces énergies, de leur transport, de leur stockage et de leur acheminement vers les centrales… Développer les énergies renouvelables devient donc fondamental. Leur taux de pénétration est élevé.
43La ressource solaire est disponible en grande quantité toute l’année, mais elle est marquée par une forte variabilité temporelle et spatiale du fait de nombreux microclimats. Cela implique de regarder alors les potentialités du développement du photovoltaïque. Le foncier disponible atteint ses limites et les projets de fermes entrent en concurrence directe avec le secteur agricole qui souffre lui aussi d’un manque d’espace pour se développer. Par ailleurs, le seuil des 30 % de la puissance injectée (par rapport à la puissance consommable) est atteint en période sèche. Cela pose alors le problème de la gestion des réseaux électriques de l’île. En effet, l’augmentation des énergies intermittentes est appréhendée davantage comme une menace (en termes de stabilité et de sécurité du réseau15), que comme une opportunité. Le rythme d’installation des systèmes Enr pose la question de la saturation du réseau en énergies intermittentes, et celle des risques de mise en œuvre de plans de délestage, voire à court terme, des ruptures d’approvisionnement. Paradoxalement, ce facteur conditionne une accélération du recours aux ressources fossiles (par la construction d’une nouvelle centrale thermique à moteurs diesel au Port ou par l’installation de deux turbines à combustion au fioul dans le sud de l’île), et par là même de la dépendance énergétique de la région.
Des potentiels énergétiques à développer
44L’ensoleillement représente l’atout principal de l’île. Le rayonnement varie de 1500 à 1900 kWh/m2, soit en moyenne 30 % de plus qu’en France continentale. De même, l’île présente une bonne ressource en vent : 62 % de sa surface est ventée et présente un potentiel éolien à 30 mètres de hauteur, avec des vitesses de vents moyennes comprises entre 6 et 7m/s. L’est de l’île est particulièrement propice au développement des technologies éoliennes. Ces dernières peuvent au premier chef être considérées comme des éléments « perturbateurs ». Cependant, elles constituent un moyen de production comme les autres qui peut participer au bon fonctionnement du système électrique (absorption et fourniture de puissance réactive à la demande du gestionnaire du réseau notamment lors des pointes ; donc participation à la régulation en tension et en fréquence).
45Avec une végétation prolifique, son industrie cannière et ses activités agricoles, la biomasse (bois, espèces envahissantes, déchets verts, bagasse, effluents d’élevage…) constitue une autre opportunité de valorisation énergétique. Un potentiel de production de 756 GWh/an est identifié d’ici 2020.
46Enfin, les innovations technologiques promettent un développement important en matière d’énergie marine. L’exposition aux houles d’alizés et australes, la structure des fonds marins et les propriétés des courants ont dévoilé un bon potentiel pour le développement de ces technologies telles que le Pelamis, le Swac, les centrales ETM (Energie Thermique des Mers) ou les hydroliennes. Le relief de l’île et ses nombreux cours d’eau ont aussi permis d’identifier un potentiel pour l’exploitation de l’énergie osmotique.
Des politiques publiques pour aller vers l’Autonomie Énergétique
47Deux cadres permettent à La Réunion de soutenir le développement des filières de l’énergie et de la maîtrise de l’énergie : le Programme Opérationnel 2007-2013 (PO) et le Plan Régional de Maîtrise de l’Énergie (PRME). Contractualisé par l’Union européenne, l’État et la Région Réunion, le PO définit notamment des objectifs en matière de compétitivité dans les filières des énergies et de l’environnement. Le PRME, signé entre le Conseil régional, l’ADEME et EDF, définit quant à lui le soutien apporté par ces instances aux filières de l’énergie et de la maîtrise de la demande d’énergie.
48C’est en 1999 qu’on voit apparaître la première fois les termes d’« Autonomie Énergétique » de l’île de La Réunion. Depuis, La Réunion voit se succéder projets et programmes pour répondre aux objectifs de réduction de gaz à effet de serre fixés par la France et l’Europe, mais aussi pour démontrer la faisabilité d’une autonomie énergétique. Cette autonomie devient cruciale face à une augmentation de la population qui s’accompagne d’une hausse de la consommation d’énergie primaire de 5 % par an (ARER, 2013). Parmi les programmes en cours, deux sont nettement prépondérants : d’une part le PRERURE, le Plan Régional d’exploration et d’exploitation des Énergies Renouvelables et de l’Utilisation Rationnelle de l’Énergie, issu du Plan Climat Énergie réunionnais, et d’autre part le GERRI, Grenelle Environnement à la Réunion, Réussir l’Innovation. Starter (STratégie d’Autosuffisance énergétique pour la Relance et la Transition de l’Économie Réunionnaise) intervient alors en complément, tout comme MILLENER, l’outil smart grids qui vise à sécuriser l’équilibre du réseau.
- Le PRERURE : un projet régional et un défi local
49En 1999, lors d’un colloque à l’UNESCO, le Président de la Région Paul Vergès a fixé pour La Réunion l’objectif d’autonomie énergétique à l’horizon 2025 : le programme PRERURE. Son ambition repose sur le 100 % solaire (CESI, photovoltaïque), ainsi que sur de nombreux projets, parmi lesquels le TRAM-TRAIN reliant Saint-Benoit à Saint-Joseph par la côte Est, une piste cyclable tout autour de l’île, les constructions régionales labellisées HQE, le Schéma d’Aménagement Régional (SAR), la création du Parc National de la Réunion et la Réserve Nationale Naturelle Marine. L’enjeu du PRERURE est de réduire la demande d’énergie tout en favorisant le développement des EnR. Dans la lignée, en 2012, la Région Réunion élabore son Schéma Régional Climat Air Énergie et son Plan Climat Énergie Régional. L’autonomie énergétique de l’île à l’horizon 2030 est présentée comme l’une des clefs de son développement économique, social et environnemental et de son adaptation au changement climatique.
50C’est dans le cadre du PRERURE que l’ARER (Agence Régionale de l’Énergie Réunion) intervient à trois niveaux complémentaires : l’aménagement du territoire, le développement des EnR et le passage à une culture moins énergivore via les Espaces Info Énergie. C’est ainsi qu’ont été initiés « Les Énergivores », premiers cours d’éducation à la maîtrise de l’énergie et que l’ARER propose toute une panoplie d’outils pédagogiques, des conseils et une plateforme d’information et d’éducation relative à l’énergie. C’est ainsi que des outils comme les « villages solaires », ont également développés pour sécuriser les espaces enclavés tels que les cirques de Salazie, de Mafate et de Cilaos
- Le GERRI « Énergies Réunion », un projet de l’État technocentré
51Le 08 juillet 2008, le premier accord territorial d’application en Outre-Mer du Grenelle de l’Environnement est signé. Le programme « GERRI » (Grenelle Environnement à la Réunion - Réussir Innovation ou Green Energy Revolution Reunion Island) voit le jour.
« Gerri, c’est l’autonomie énergétique en 2025, c’est le développement accéléré et combiné du solaire, de la biomasse, des énergies marines, de la géothermie, de l’éolien ; une nouvelle stratégie pour les déplacements, avec notamment une migration vers le tout électrique à terme… C’est faire en sorte que la Réunion soit le premier territoire à entrer dans l’ère de l’après-pétrole ».16
52L’ambition de ce Groupement d’Intérêt Public était de faire de La Réunion un modèle en matière de production et de consommation d‘énergie à l’horizon 2030 en privilégiant les projets technologiques innovants (donnant rapidement lieu aux termes « Gerricompatible » ou « Gerrifiable » exprimant le souci d’une approche intégrée) autour de 5 axes prioritaires : les transports (individuels et collectifs), la production d‘énergie, le stockage de l’énergie, l’aménagement et la construction durable, ainsi que le tourisme durable. Le GERRI a été dissous en avril 2013 pour devenir « Énergies Réunion » et poursuivre la gestion de 150 projets EnR.
53Dans les grands projets cités se trouvent l’énergie solaire, avec la réalisation d’installations photovoltaïques au sol (utilisation des terrains d’anciennes décharges où l’on exploite également le biogaz) et en toiture (couvertures de parcs de stationnement de grandes surfaces par exemple), l’énergie hydraulique, par la création d’un bassin hydroélectrique sur la Rivière de l’Est, l’énergie marine (l’énergie marémotrice et l’énergie thermique des mers), ainsi que la biomasse (micro-algues), le projet VERT17 (véhicules électriques), et des opérations de maîtrise de la demande d’énergie. Pour atteindre l’autonomie, l’utilisation des déchets de canne à sucre (bagasse) est alors mise au-devant de la scène. (La Réunion est la première productrice de canne à sucre en Europe.) Elle fournit actuellement un dixième des foyers en électricité. Le stockage d’électricité est également expérimenté (la batterie de stockage installée sur la commune de Saint-André est une installation permettant de restituer une puissance de 1MW (méga watt) pendant 7 heures et ainsi de réduire les émissions de gaz à effet de serre en limitant le recours aux moyens thermiques de pointe).
54Développer les capacités de production individuelle tout en favorisant l’autoconsommation de l’énergie électrique devient alors central. L’objectif affiché est de donner une autonomie énergétique aux ménages, leur permettant de contrôler leur consommation et de diminuer l’appel de puissance sur le réseau « … pour permettre à l’opérateur historique d’éviter d’acheter l’ensemble de la production des particuliers et sécuriser sa gestion du réseau dont la configuration ne permet pas d’accepter plus de 30 % d’énergie renouvelable intermittente », avec une difficulté majeure : « prendre en compte la sensibilité et la réceptivité de la population qui n’en est pas, en général, familière »18.
- STARTER pour réduire la dépendance aux énergies fossiles
55En 2009 est adoptée la programmation régionale de l’autonomie énergétique STARTER, (STratégie d’Autosuffisance énergétique pour la Relance et la Transition de l’Économique Réunionnaise).
56STARTER étudie les possibilités de mise en œuvre d’un mix énergétique totalement libéré de l’emprise fossile à l’horizon 2030. Des études sur le potentiel de l’île en termes d’énergies renouvelables, de technologies adaptables et d’évolution de la demande en énergie dans les prochaines années ont permis d’établir un scénario « 100 % renouvelable » pour l’électricité et les transports. Validé techniquement par des experts dans le cadre des missions de l’ARER, STARTER implique pour sa mise en œuvre une maîtrise forte de la demande en énergie et le recours aux sources d’énergies renouvelables (solaire, éolienne, thermie des mers, houle, géothermie et bagasse). La même année est annoncée la réglementation thermique pour les DOM (RT-DOM), et publié le rapport PETREL réalisé par l’ARER, pour anticiper l’évolution de la demande énergétique, sous forme de deux scénarios : l’un tendanciel, l’autre volontariste19.
- TEMERGIE, le cluster réunionnais de l’énergie
57Le cluster TEMERGIE20 vise le développement économique de la Réunion par la coordination entre les acteurs industriels et de la R&D sur les thématiques énergétiques clés. Il est adossé au pôle de compétitivité Capénergies (région Provence-Alpes-Côte d’Azur) et s’est fixé trois objectifs : Maîtriser la demande en énergie appliquée aux bâtiments, à l’industrie et aux transports, développer les énergies renouvelables et stocker l’énergie, notamment via l’hydrogène. Il s’agit du seul pôle de compétitivité de l’outre-mer français. En parallèle, Qualitropic développe les projets du secteur de l’agro-nutrition en milieu tropical. Certains peuvent notamment avoir trait à la valorisation énergétique de ressources naturelles.
- MILLENER, un projet de mise en réseau
58Pour assurer une meilleure gestion énergétique dans les milieux insulaires, le projet smart grids Millener (Mille Installations de Gestion énergétique dans les Iles) a été initié à La Réunion en 2011. Il s’agit d’une opération qui repose sur un démonstrateur de type smart grids qui a pour ambition d’optimiser l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité, tout en améliorant la stabilité des systèmes électriques pour les clients. Cette expérimentation vise à optimiser l’utilisation des énergies renouvelables grâce aux réseaux électriques intelligents. Il s’agit en fait d’un démonstrateur qui repose sur la participation active de consommateurs « volontaires » via des boîtiers « intelligents » : des signaux leur sont envoyés pour piloter l’interruption d’usages « non prioritaires », et un portail internet est conçu pour les aider à mieux comprendre leurs consommations. Le projet fait le pari que ce type de feed-back peut inviter au changement de pratiques et permettre ainsi une meilleure adéquation entre production et consommation.
Une gouvernance énergétique qui manque de lisibilité21 ?
59Le mode de gouvernance du développement de l’autonomie énergétique sur l’île apparaît finalement très complexe. Trois grands types de difficultés sont identifiés : des difficultés d’ordre organisationnel, des difficultés d’ordre technique et des difficultés plus sociologiques.
60Région ? Département ? État ? Les programmes s’emboitent, donnent l’impression d’entrer en concurrence, créent de l’opacité alors que l’enjeu d’autonomie énergétique est bien partagé. Qui fait quoi ? Quelles compétences pour qui ? « On a plein de petites structures et on ne sait pas bien qui fait quoi, ce dont tout le monde se plaint ouvertement » (Élu 7). Le projet d’autonomie énergétique manque de coordination ; nombre de projets sont peu intégrés : « On attend de trouver un peu de cohérence » (Élu 13), « Les gens n’arrivent pas à se mettre d’accord » (Élu 4). Quelle cohérence globale ? L’information est perçue comme disparate par les publics : trop d’informations « On communique beaucoup, mais pour quels résultats au juste ? » (Élu 6), des messages brouillés qui rendent les modalités de la politique d’autonomie énergétique au final très opaque.
61Le foisonnement d’entreprises qui s’annoncent toutes plus innovantes les unes que les autres tend à créer de l’inquiétude, du doute, voire de la défiance sur leur faisabilité, leur efficience, voire sur leur finalité. Elles reposent en effet sur une définition uniquement technique des problèmes, centrée sur la nécessité d’écrêter les courbes de charges. Ainsi, l’acte de consommer l’énergie n’est pas questionné. Les courbes et les statistiques parlent. Il importe de faire face à une demande qui sera, selon une évidence partagée, croissante. On ne s’interroge pas sur la possibilité d’inverser le cours des choses et par exemple de réfléchir à des modes d’organisation qui seraient davantage socio-centrés, ou moins techno-centrés, mais dans tous les cas moins énergivores. De fait, on raisonne d’abord production et marché de l’énergie.
62Il s’agit soit de développer les énergies renouvelables (mais à une hauteur limitée à 30 % pour éviter leur concurrence sur le marché), soit d’innover en matière de stockage (pour temporiser et décaler dans le temps la distribution). On raisonne ensuite « mise en route des projets » puis, mais uniquement dans un troisième temps, on raisonne « dispositifs qui favorisent l’enrôlement des consommateurs » : le développement de smarts grids, assorti de smarts-meters capables d’envoyer des signaux pour susciter des réactions à des périodes précises (lorsque les courbes de charge sont au maximum) : il faut alors arrêter un ou des appareils, décaler dans le temps leur utilisation. Nous sommes bien là dans une configuration dans laquelle la technique définit le monde (Akrich, 1989) : il importe de contrôler les incertitudes liées au développement des EnR, et de limiter la montée en compétences des usagers qui doivent absolument rester des consommateurs d’énergie, sauf à des moments précis qui sont définis par le mode d’organisation énergétique. Le point clef du dispositif n’est pas la réduction des consommations, mais leur répartition journalière.
Une autonomie énergétique qui repose sur une faible participation des consommateurs
63La capacité d’anticipation et d’adaptation aux évolutions technologiques est primordiale afin d’adapter les systèmes et les structures, or il semble que la multiplication et l’empilement des projets aient été pensés à sens unique, comme des démarches devant aller de soi. L’innovation technologique est alors ce par quoi l’autonomie énergétique peut advenir ; le reste, à savoir les pratiques sociales, arrivant dans un second temps, comme une évidence. Il suffit juste de donner un coup de pouce, de sensibiliser et d’accompagner les usagers. Ainsi, il est bien envisagé de donner une certaine autonomie aux ménages, pour leur permettre de contrôler leur consommation, mais l’enjeu principal est bien de diminuer l’appel de puissance sur le réseau. L’autonomie énergétique renvoie ainsi à tout un arsenal technologique correspondant à une multitude de niches sur le marché. Dans cette configuration, il est hors de question que les usagers prennent leur autonomie énergétique totalement en mains au risque qu’ils ne consomment plus du tout d’énergie en dehors de celle qu’ils produiraient eux-mêmes. C’est là la raison pour laquelle les consommateurs, entendus en premier lieu comme des clients, ne sont concernés qu’à la fin du processus politique. Le pilotage de la demande de puissance électrique par l’envoi de signaux et par des mesures incitatives adaptées doit permettre de mieux répartir la charge et donc les contraintes au niveau du réseau électrique. Répartir les consommations sur la journée fait partie des mesures d’effacement pour les industriels. Les usagers sont placés en situation réactive (via le compteur intelligent, l’industriel envoie un signal auquel il convient de réagir). On attend d’eux qu’ils participent, mais mesurément, c’est-à-dire uniquement en cas de menace pour le réseau, absolument pas en dehors des pointes. Ils sont certes pris en compte, mais au même titre que l’ensemble des éléments techniques. Il importe donc qu’ils ne soient pas trop pro-actifs, c’est-à-dire qu’ils n’aient pas totalement compris l’intérêt de n’utiliser l’énergie qu’en cas de besoin. Il est donc bien prévu de former, d’informer et de sensibiliser, dès lors que cela n’affecte pas les aspirations au confort moderne et les propensions à consommer qui lui sont associées. C’est ainsi qu’il faut comprendre le leit-motiv du projet d’autonomie énergétique : optimiser la gestion de la demande. On reste alors dans une configuration énergétique dans laquelle les modes de vie sont contraints par les technologies (Ellul, 1988, Gras, 1993).
64La politique préconisée en matière de transports illustre bien ce constat : elle prévoit « d’une part le développement des transports collectifs, des modes doux, des plans de déplacements d’entreprise, et d’autre part la généralisation des véhicules économes en hydrocarbures, notamment les véhicules hybrides et les véhicules électriques. On ne remet en question ni les modes de vie, ni les modes d’organisation liés au travail qui impliquent de devoir se déplacer. On évoque bien les inégalités sociales entre les Hauts et le littoral, mais au lieu d’envisager de les réduire, le mode de pensée dominant s’impose : les gens des Hauts doivent avoir accès au même confort que ceux qui ont la chance d’habiter près des centres-ville. On ne remet pas en cause non plus l’organisation de la cité, son aménagement. On n’interroge pas non plus la voiture comme mode de transport. Les réunionnais doivent continuer de se déplacer et si possible avec des véhicules qui consomment de l’énergie.
65En matière de bâtiment, la réflexion s’est beaucoup inspirée des réflexions et des expérimentations locales, menées notamment par l’ADEME pour définir des référentiels de « bâtiments performants sous climat tropical » et préciser les solutions techniques associées. La nouvelle réglementation thermique acoustique et aération (RTAADOM), applicable aux bâtiments d’habitation neufs depuis le 1er mai 2010, est destinée à freiner la consommation énergétique et à réinventer un habitat bioclimatique. Des dispositions propres au climat et au mode de vie des départements d’outre-mer ont été spécialement adaptées et devront s’appliquer aux constructions d’habitation neuves.
66Certes, les innovations technologiques (comme celles en matière de stockage) sont probablement indispensables pour renforcer l’intégration des énergies renouvelables intermittentes sur le réseau, mais cela n’a de véritable sens que si leur part croit dans le total et si la population adhère effectivement aux enjeux de la MDE et monte en compétences en matière de sobriété, pas uniquement pour satisfaire à l’équilibre offre-demande. Enfin, dans une approche globale, ce projet n’a de sens que si le marché, très structurant, est lui-même performant : il s’agit alors de favoriser les équipements peu énergivores (efficacité énergétique).
Conclusion générale : l’autonomie énergétique, un projet qui ne peut se faire en dehors d’une contribution active des usagers
67Que nous enseignent ces deux exemples ? Que les projets énergétiques restent des projets politiques très techno-centrés, largement dominés par un principe de transfert de technologies de type vertical et caractérisés par la place hégémonique du marché et des « grands acteurs ». Par ailleurs, ces projets reposent sur l‘hypothèse toujours infondée qu’« il suffit de » les accompagner par des outils classiques de MDE pour résoudre la problématique de l’insertion sociale des systèmes technologiques. Les projets d’autonomie font donc souvent fi de deux dimensions fondamentales que sont les modes d’appropriation des technologies (qui supposent des temps d’apprentissage), ainsi que leur faisabilité sociotechnique au regard d’un jeu combiné entre croyances, valeurs, besoins et réalités concrètes (climat, configuration géographique, modes d’habiter, rapport au confort et aux objets2, modes et niveaux de vie…). Or, un projet d’autonomie énergétique n’a de sens que dans une approche systémique qui convie l’ensemble de la chaîne des acteurs (des pouvoirs publics aux maîtres d’œuvre et aux maîtres d’ouvrage, en passant par le marché (fournisseurs, distributeurs, équipements, matériaux…), jusqu’aux habitants dans leur diversité). Il est souvent voué à l’échec lorsqu’on oublie la nécessité d’une synchronie entre la mise en place des projets et les dispositions des territoires, la nécessité d’une synergie entre déploiement des technologies, développement des savoir-faire (compétences, SAV, apprentissage, usages, transmission…), et des savoir-être (sobriété) et l’importance d’une symétrie entre monde de la technique et société locale (nécessité de prévenir les désajustements liés aux projets « purement politiques » et à la méconnaissance des technologies et des enjeux poursuivis, nécessité d’anticiper les injustices énergétiques).
68Par ailleurs, on oublie l’impact de la généralisation des systèmes techniques sur les représentations et l’autonomie des territoires : l’électricité est certes un vecteur de progrès et de parité, mais sa production conçue de manière centralisée induit une forte dépendance, au contraire d’une entreprise d’autonomisation sous un schéma plus décentralisé qui respecte les identités locales. On oublie également que, paradoxalement, la généralisation de l’électricité s’accompagne d’un multi-équipement, d’effets rebonds, de l’apparition de précarité énergétique et d’injustices sociales. On oublie aussi l’impact direct de ces projets en termes de changement social, de perte de savoir-faire au regard des ressources naturelles et de l’environnement… d’abandon des cultures traditionnelles (cultures vivrières, pêche, chasse, glanage…), de désorganisation sociale et de redistribution des pouvoirs locaux.
69Ainsi, derrière les politiques d’autonomisation énergétique, l’électricité contribue à continuer à façonner des sociétés très énergivores. Aveuglés par la volonté partagée de moindre dépendance énergétique, les pouvoirs publics et les institutions locales tendent à placer les populations dans une situation de dépendance irréversible vis-à-vis du marché et de la société de consommation. De fait, sans intelligence territoriale, le risque est toujours d’occulter les désordres possibles et de creuser les inégalités, au nom d’utopies technologiques.
Notes de bas de page
1 Loi du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique qui donne compétence à la Région pour fixer les règles en matière de Maîtrise de la Demande en Énergie (MDE), de réglementation thermique (RT) et de développement des Énergies Renouvelables (Enr).
2 L’habilitation qu’autorise l’article 73.3 de la Constitution pour définir ses propres règles en matière d’énergie a été obtenue en 2009 pour la Guadeloupe. L’île s’est donc dotée d’une RT spécifique (la RTG) qui imposait par exemple (avant la RT 2012 métropolitaine) l’installation de CESI dans les logements neufs ou interdisait l’importation et la vente de climatiseurs non performants.
3 Sauf dans les Hauts de la Réunion par exemple, où le chauffage est nécessaire.
4 Cette partie sur la Guyane a fait l’objet de plusieurs publications dont Zélem MC, 2012, Mondes paysans. Innovations, progrès technique et développement, Paris, l’Harmattan, coll : Logiques sociales.
5 Generg, « Transition énergétique, les entreprises répondent présent », Conférence débat DNTE du 27 mars 2013.
6 Schéma Départemental d’Electrification Rurale, 2004, Conseil Général de la Guyane, Transénergie.
7 Les abattis sont des espaces de culture temporaires qui s’organisent autour de parcelles de forêt que l’on défriche et fertilise grâce à la technique du brûlis.
8 Les écarts, ou kampus, sont des petits espaces habités par quelques familles, dépendants d’une commune, mais non raccordés au réseau.
9 Mawina Energy, 2006, « Électrification des écarts du Maroni. Saint-Laurent du Maroni » Cayenne, Ademe, MamaBobi.
10 La classe énergétique distingue les appareils électroménagers selon leur consommation électrique. Elle se repère grâce à une « étiquette énergie » sur laquelle figure des indications qui vont de « A+++ » pour les appareils les plus économes, à « G » pour les appareils les plus gourmands en énergie. À cette classe est associé un code couleur : vert pour les appareils économes, puis un dégradé d’oranges à rouge pour les appareils les moins éco-performants.
11 Il consiste en un accompagnement des ménages en termes d’apprentissage du concept électrique, du fonctionnement des appareils, assorti de conseils en économie d’énergie, à l’image du programme Fayaman (sur le Maroni) ou du programme Megawakk (sur l’Oyapock) qui tentent de contrebalancer les tendances au multi-équipement et son corollaire, les consommations excessives.
12 D’ici 2030, quel que soit le scénario, la demande augmentera compte tenu de l’évolution démographique et économique, mais aussi du fait de la croissance des équipements et du développement de l’accès à l’électricité.
13 ARER, 2012, Agence Régionale de l’Énergie Les chiffres de l’énergie.
14 En 2010, on comptait 110 829 chauffe-eau solaires collectifs (27 702 m2), soit le 3e rang européen en termes de surface installée par habitant, ainsi que le 3e rang européen en termes de puissance photovoltaïque. On comptait également près de 3000 emplois dans le secteur de l’énergie.
15 Ce qui explique qu’ait été fixé de manière assez arbitraire ce seuil de 30 % pour la part de production variable (donc provenant des EnR) à ne pas dépasser. Un projet a été déployé pour travailler sur des outils de prévision des productions issues de fermes éoliennes et photovoltaïques et sur des scénarios d’optimisation et de stockage énergétique : PEGASE.
16 Jean-Louis Borloo, lors de la signature du GERRI (www.enerzine.com).
17 Il s’agit de réussir un déploiement significatif des véhicules électriques, d’infrastructures de recharges et des services clients utilisateurs
18 http://www.ceser-reunion.fr/fileadmin/user_upload/tx_pubdb/archives/10.10.18_Rapport_electricite.pdf
19 Pour accéder au rapport en ligne : http://www.arer.org/grandsenjeux/article.php?article=409
20 Technologies des Énergies Maîtrisées, Énergies Renouvelables et Gestion Isolée de l’Énergie.
21 Lecomte, C, Zélem MC, 2011, « La Réunion en marche vers une autonomie énergétique ? Le point de vue du sociologue », Toulouse, CERTOP.
Auteur
Professeur de sociologie, à l’université de Toulouse II, membre du laboratoire CERTOP (UMR 5044 du CNRS) au sein duquel elle copilote le pôle PEPS (Politiques Environnementales et Pratiques sociales). Ses recherches portent sur les dispositifs sociotechniques et les conditions du changement social. Elle interroge les modes de réception des politiques publiques environnementales et les résistances aux innovations technologiques et sociales. Elle a notamment une expertise sur les questions du bâtiment-économe (éco-matériaux, basse consommation, formation des professionnels, multi-métiers, rôle des élus), de la précarité énergétique, de l’autonomie énergétique des territoires isolés et des équipements et dispositifs contribuant aux économies d’énergie (smarts meters, LBC, étiquette énergie, EnR, altermobilité…). Elle a été membre des experts du Débat National sur la Transition Énergétique en 2013. Elle a notamment publié en 2010 chez l’Harmattan : « Politiques de Maîtrise de la Demande d’Énergie et résistances au changement. Une approche socio-anthropologique », ainsi que « L’Éducation au Développement Durable, de l’école au campus ».
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