Version classiqueVersion mobile
OpenEdition Books CNRS Éditions CNRS Alpha L'Homme-trace De la critique de l’économie poli...

L'Homme-trace

 | 
Béatrice Galinon-Melenec
, 
Sami Zlitni
, 
Fabien Liénard

Livre II. Un contexte hyperconnecté

De la critique de l’économie politique du signe à l’économie politique de la mémoire

Franck Cormerais

Texte intégral

« Comment à l’homme-animal faire une mémoire ? Comment cette intelligence du moment, à la fois obtuse et trouble, sur cette incarnation de l’oubli, imprime-t-on quelques choses assez nettement pour que l’idée en demeure présente… Ce problème très ancien, comme on le pense bien, n’a pas été résolu par des moyens doux ; peut-être n’y-a-t-il même rien de plus terrible et de la plus inquiétant dans la préhistoire de l’homme que sa mnémotechnique. »
Nietzche, La généalogie de la morale, Deuxième dissertation, 3.

1Le sujet digital et la communication électronique seront interrogés dans le cadre d’une transition qui mène d’une critique de l’économie politique du signe (Baudrillard, 1972) à une économie de la mémoire. Ce n’est plus seulement le signe qui est prioritairement l’élément moteur de la valeur et du sens, mais la relation à la donnée (data) et à son exploitation. Une pareille transformation s’organise dans un milieu technologique, où les conditions de l’échange passent par une « archi-écriture », celle de la grammatisation des données. Ce n’est donc pas à partir de l’identité numérique, ou encore à partir de l’homme augmenté que nous interrogerons le sujet digital, mais en reconnaissant le processus d’extension illimitée du mémorisable, compris comme la tendance majeure du système technique à travers l’avènement d’une traçabilité générale. Nous apporterons ainsi un supplément à l’approche de L’Homme trace (Galinon-Mélénec, 2011), en relation avec le capitalisme contemporain et la formation historique qui accompagne une troisième révolution industrielle. Les trois premières sections sont consacrées au statut des données dans le cadre d’une économie politique de la mémoire. Les trois dernières sections s’intéressent aux conséquences d’une exploitation systématique des données. La conclusion souligne l’importance de l’étude des mnémotechniques pour les sciences de l’information.

De la sémiotique à louverture des données

2À la suite de son étude de la société de consommation (Baudrillard, 1972) Baudrillard dégage une problématique de la valeur qui s’éloigne aussi bien de son enveloppe marxiste, la valeur travail, que de l’approche libérale relative à la satisfaction naturelle des besoins par le marché. Un pas en avant est réalisé par le sociologue qui complète ainsi son approche du capitalisme. Sa thèse se résume comme suit : un glissement s’opère de l’objet vers la signifiance qui le recouvre. La consommation s’apparente alors indissociablement à une logique de signes et de production de différences. « L’objet signe n’est plus donné ni échangé : il est approprié, détenu et manipulé par les sujets individuels comme signes, c’est-à-dire comme différence codée. C’est lui, l’objet de consommation et il est toujours de la relation sociale abolie, réifiée, “signifiée” en un code » (Baudrillard, 1972 : 63). Avec la réduction de l’objet à la valeur/signe s’annonce le primat de vendre sur le produire. Baudrillard défend une conception de l’échange qui introduit des dimensions multiples et complexes : sociale, différentielle et discriminante. La portée critique de cette interprétation consiste à réviser l’approche des classes sociales : c’est par les signes et leurs effets que se comprend l’écart des richesses. Les objets recoupe la pratique différentielle des signes qui s’organise en un système, où il existe du conflit car la consommation des signes redouble celle des objets et leur assigne un degré d’existence dans des statuts sociaux inférieurs ou supérieurs. Ordre des signes et ordre social se superposent dans les hiérarchies de la société.

3Le deuxième aspect de la critique baudrillardienne, le plus important pour notre propos, consiste à replacer la sémiotique dans la perspective d’une économie générale qui, à la suite de La part maudite (Bataille, 1949), cherche à renouveler les cadres interprétatifs où dominait un utilitarisme. La théorie critique de la signification de Baudrillard, en relation avec l’économie générale, se présente de manière synthétique à partir des précisions apportées à l’analyse de la valeur (cf. Tableau no 1).

Tableau 1 : Logiques des valeurs dans la critique de Baudrillard.

Logiques

Champs

Concepts

Circuits

Fonctionnelle de la valeur d’usage

Utilité/outil

Usage

de la fabrication

Economie de la valeur d’échange

Marché/marchandise

Equivalence

de l’échange économique

De l’échange symbolique

Don/symbole

Ambivalence

des relations humaines

De la valeur signe

Statut/signe

Différence

du langage

4La superposition des logiques propres à l’échange annonce, chez Baudrillard, un crépuscule des valeurs. Ce phénomène s’explique par la réduction sémiologique qui consiste en un processus où les valeurs sont dérivées du fétichisme et d’une captation des désirs par la construction artificielle de besoin. Un simulacre du sens correspond à l’enchaînement d’une logique marchande de l’équivalence et à une « désublimation dirigée » qui fait baisser la valeur : « Le procès de la valeur équivaut donc à une organisation phantasmatique – lieu d’accomplissement du désir et de résolution du manque, lieu d’achèvement et de performance du désir (performare), d’abolition de la différence et de la dimension symbolique. La valeur est totalitaire. Elle exclut l’ambivalence, et toute relation où l’homme cesserait de se finaliser dans la valeur, de s’indexer sur la loi de l’équivalence et de la plus-value » (Baudrillard, 1972 : 260).

5La soumission du symbolique, sa disparation tendancielle, « constitue proprement comme un processus idéologique » (Baudrillard, 1972 : 109) qui appelle un renouveau de critique de l’économie politique après Marx. La matrice de cette idéologie repose sur la dualité de l’usage et du signe. Baudrillard, par conséquent, se propose d’en sortir en étendant la critique à une critique radicale de la valeur d’usage (accrochée à une métaphysique idéaliste du besoin) et à une critique de l’économie politique du signe (dépendant du signifiant fétichisé). Ce double constat posé l’amène à formuler la question de l’anthropologie dans un « au-delà de la valeur d’usage » (Baudrillard, 1972 : 154) rompant avec l’homo œconomicus qui, sous une forme refoulée, naturalise les besoins. Cet au-delà, non théologie, est proprement le symbolique ; il s’affirme dans l’irréductibilité de l’ambivalence face à une différence du signe se mettant au service de l’équivalence générale que représente l’argent.

6Notre démarche consiste à proposer d’étendre la critique à une nouvelle dimension de la valeur qui n’est pas prise en compte dans le tableau no 1. Cette dimension, qualifiée de valeur informationnelle, vient compléter par une cinquième strate l’analyse proposée par Baudrillard (cf. Tableau no 2).

Tableau 2 : Extension des logiques de la valeur après Baudrillard.

Logique de la valeur

Sphère mobilisée

Caractère opératoire

Valeur d’usage

Sphère de la pratique

Utilisation

Valeur d’échange

Sphère de l’économie

Equivalence

Valeur signe

Sphère du langage

Différence

Valeur symbolique

Sphère sociale

Ambivalence

Valeur informationnelle

Sphère communicationnelle

Transparence

7La valeur informationnelle s’expose à partir d’une autonomie de la sphère communicationnelle qui autorise à l’observateur humain une connaissance, un contrôle et une régulation de son environnement. Le complément apporté par la valeur informationnelle rend possible une approche nouvelle de l’économie politique. La sphère de la communication introduit par le concept de transparence une logique des préférences qui peut devenir l’enjeu d’une décision collective arbitrée par les institutions venant ainsi enrayer la réduction sémiotique et baisse tendancielle de la valeur qui l’accompagne. La transparence implique une mémoire qui s’oppose au secret. À ce stade, notre proposition rencontre une autre critique de l’économie politique (Stiegler, 2009) qui pose que l’histoire des mnémotechniques dépasse la sphère du langage et renvoie à la grammatisation.

« La grammatisation est l’histoire de l’extériorisation de la mémoire sous toutes ses formes : mémoire nerveuse et cérébrale, mémoire corporelle et musculaire, mémoire biogénétique. Technologique extériorisée, la mémoire est ce qui peut faire l’objet de contrôle sociopolitiques et biopolitiques à travers les investissements économiques d’organisation sociales qui réagencent ainsi les organisations psychiques par l’intermédiaire des organes mnémotechniques, au nombre desquels il faut compter les machines – outils (Adam Smith analyse dès 1776 les effets de la machine sur l’esprit du travailleur) et tous les automates – y compris les appareils électroniques, ou encore, les « objets Internet » et « communicants » qui vont bientôt envahir le marché hyperindustriel, et qui sont des objets hypomnésiques par où ce que Scott Lash et Célia Lury ont décrit comme une thingification prend une nouvelle tournure » (Stiegler, 2009 : 50).

8La valeur informationnelle, en lien avec de la grammatisation et la mémoire, peut servir de fondation à une critique de l’économie des traces qui précise l’intensification de l’échange d’informations et de connaissances dans la sphère communicationnelle. La valeur informationnelle reprend le déploiement d’une théorie la valeur étendue en redistribuant autrement les relations entre les différentes composantes de la valeur présentées par Baudrillard. Ce n’est plus le seul signe qui devient le centre de gravité de l’analyse de la valeur mais la donnée informatisée (data). L’étude de la traçabilité, avec la formation d’une mémorisation généralisée, appelle pour cette raison la formulation d’une critique de l’économie politique de la mémoire. Nous entendons ainsi redéfinir l’approche d’une économie générale, après Bataille et Baudrillard, dans une problématique autant informationnelle que communicationnelle. Une esquisse de cette façon de procéder s’expose par les circuits et les traces que viennent compléter les logiques, les champs et les concepts autour desquels se déroule le procès de la valeur (cf. Tableau no 3).

Tableau 3 : Approche de l’économie générale des traces introduisant la valeur informationnelle.

Logiques

Champs

Concepts

Circuits

Traces mémorisées

Fonctionnelle de la valeur d’usage

Utilité/outil

Usage

de la fabrication

Robotique

Economie de la valeur d’échange

Marché/marchandise

Equivalence

de l’échange économique

Banques de données et traçabilité

De l’échange symbolique

Don/symbole

Ambivalence

des relations humaines

Réseaux sociaux et identité numériques

De la valeur signe

Statut/signe

Différence

du langage

Indexation des données

De la valeur informationnelle

Information/connaissance

Transparence

de la communication

Moteur de recherche

9La valeur informationnelle rend envisageable un réagencement des logiques collectives à partir de la transparence des données. La sphère communicationnelle peut alors contribuer à la réorganisation des circuits et surtout des traces mobilisées dans chacun d’eux. Nous définissons là un cadre pour développer un « agir communicationnel » post-habermassien. La sphère communicationnelle, sous certaines conditions d’aménagement, peut modifier le débat démocratique et la conduite de la décision dans une perspective « surcodante » (Sfez, 1992), où les éléments économiques nécessaires à l’organisation sociale font l’objet d’une délibération éclairée (Callon, 2001). Tout l’intérêt de l’analyse informationnelle dans le champ politique se trouve renforcée par une approche originale déjà ancienne (ESCARPIT, 1981), qui propose de mesurer de la valeur informationnelle autour de trois critères (Cf. Tableau no 4).

Tableau 4 : Ordre de grandeur dans la sphère communicationnelle à partir d’Escarpit.

Valeur informationnelle

Concepts

Calcul

Son degré de probabilité

Différence

Valeur néguentropique

Son degré de pertinence

Echo / transparence

Valeur situationnelle

Son effet

Ambivalence

Valeur d’enjeu

10Les trois variables (probabilité, pertinence, effet) autorisent la construction d’un ordre de grandeur, c’est-à-dire de mesure qui pourrait orienter un tableau de bord des choix collectifs. La logique de la décision se recompose alors entre une façon d’aborder les choix politiques en relation avec la sphère communicationnelle dans espace public digital. La valeur informationnelle ouvre des perspectives pour établir un calcul d’un développement soutenable avec la valeur néguentropie, un calcul des externalités positives et négatives avec la valeur situationnelle, et enfin un calcul de options stratégiques avec la valeur d’effet. Cet ordre de grandeur à construire pourrait bien dépasser l’opposition entre l’espace public bourgeois (Habermas, 1987) et l’espace public oppositionnel (Negt, 2007).

La politique et mémoire

11La politique dans la sphère communicationnelle de l’espace public digital mérite d’être problématisée autour de l’opposition entre « Politique sans mémoire et Politique à Mémoire ». Ainsi, « c’est dans le triangle d’airain de la mémoire ordinatique, de la mémoire vivante et de la table rase que se logent les germes d’un futur imprévisible. Tout dépend de la façon dont se nouera le conflit entre ces trois tendances. » (Sfez, 1993 : 480). La relation entre la mémoire vivante et la mémoire informatique forme l’enjeu d’une recomposition du futur. Le conflit entre ces trois tendances amène à explorer le passage qui va de la mémoire humaine au « mémorisable généralisé». Cette transition repose principalement sur le transfert progressif de la mémoire du corps (somatique) et de l’esprit (anamèsique) vers une mémorisation machinique (hypermnésique).

  • 1 Capitalisme Mondial Intégré (CMI).

12L’extension du mémorisable doit être interprétée comme une tendance majeure du système technique. Nous qualifions ainsi l’extension illimitée des différents domaines de la mémoire par les technologies de l’information et de la communication. C’est donc la valeur informationnelle des traces, en facilitant la mémorisation machinique et l’acquisition, qui pose un problème clé dans l’économie contemporaine. En effet, le mémorisable généralisé s’analyse comme un facteur majeur du « Capitalisme Mondial Intégré » (Guattari, 1986). Ce type de capitalisme recompose les systèmes de production et les systèmes sociaux sur les bases nouvelles de l’information. Dans l’histoire du capitalisme certaines formes paraissent s’effondrer, puis renaissent sous d’autres formes, retrouvent d’autres fondements. Cette recomposition permanente concerne aussi bien les formes du pouvoir que les modes de production. La révolution informatique par la généralisation des traces accélère le processus d’intégration du CMI1, qui contamine également la subjectivité, tant individuelle que sociale. Cette intégration machinique et sémiotique implique la prise en compte du « capital de savoir » compris comme un actif au sein du processus productif. L’intégration capitalistique avec la mémorisation généralisée s’organise autour des « fonctions d’asservissement machinique des sémiotiques spéciales » (Guattari, 2011). Les machines de calcul de la production sémiotique du Capital fonctionne sur la base de sémiotique a-signifiantes ; elles se branchent directement sur le corps par des signes qui, au lieu de produire une signification, occasionne une action, un comportement. Ces sémiotiques ne signifient pas, mais mettent en mouvement, activent. Elles organisent des modes de subjectivations qui parcourent le socius et prennent sens aujourd’hui dans une économie de la mémoire.

Le cadre de léconomie politique de mémoire

13L’ensemble des techniques se trouvent intégré progressivement dans le capitalisme mondial, qu’elles soient de symbolisation, de production, de subjectivation ou de pouvoir (Foucault, 1994). Le mémorisable généralisé témoigne de cette mobilisation totale. Dans chacun des domaines de la mémoire le rôle des traces doit être examiné, ainsi que son processus de valorisation. Afin de présenter une cartographie de l’économie politique de la mémoire et de façon à décrire l’agencement de la sémiotisation capitalistique, nous allons aborder le mémorisable à partir d’un découpage en quatre champs (cf. Tableau no 5). Dans chacun, nous chercherons à souligner en quoi la mémoire est un vecteur d’intégration des techniques et des traces dans des circuits spécialisés.

Tableau 5 : Mémorisable généralisé et sémiotisation capitalistique.

Champ de la mémoire

Techniques

Traces

Circuits

Mémoire 1 du Langage

de symbolisation

Indexation des données

Base de données

Mémoire 2 du faire

de production

Robotique

Process automatisé

Mémoire 3 de la personnalisation

de subjectivation

Identité numérique

Traçabilité du client

Mémoire 4 de la décision

de Pouvoir

Aide à la décision

Surveillance

14– Avec la mémoire 1 du langage, les techniques de symbolisation correspondent aux technologies de l’esprit (Sfez, 1996) ; elles s’intéressent à la connaissance et sont aidées par la linguistique et les sciences cognitives.

15– Le mouvement d’industrialisation du langage précise l’importance des technologies de l’esprit et souligne leur rôle dans la formation économique de la valeur. La relation à la connaissance change lorsque l’horizon technologique s’illustre, depuis le test de Turing, dans le dialogue hommes machine. Après l’apparition de la cybernétique (Dupuy, 2005), la mise en application d’une raison computationnelle dépend d’une recherche dont l’objectif est de fait progresser le traitement automatisé du langage et de l’information dans tous les champs de l’expérience humaine.

16– Avec la mémoire 2 du faire, les techniques de production engagent une mémoire des choses. Reliée à la pratique, l’activité mnésique repose sur l’accumulation et la diffusion des techniques et des sciences dans l’activité industrielle. L’activité mémorielle des choses transformées par le processus de production modifie la figure du travailleur par la montée de l’ingénierie dans un paradigme, où s’impose l’automatisation des procédures et la robotisation des chaînes de production (Stiegler, 2014). Ce champ redistribue la reconnaissance des compétences et, partant, des métiers.

17– Avec la mémoire 3 de personnalisation, les techniques de traçabilité engage la mémoire de chacun. Si la modernité posait une identité entre le soi et la propriété (Castel, 2001), c’est précisément la relation au « corps propre » qu’il faut observer pour remarquer comment il est soumis à des changements qui peuvent transformer la relation du sujet à lui-même comme dans le cas de l’extension des données personnelles. Le passage d’une mémoire « incorporée » à une « mémoire représentée », c’est-à-dire extériorisable pose la question du droit à l’oubli et plus généralement à celle de l’identité numérique (Arnaud et Merzeau, 2013).

18– Avec la mémoire 4 du pouvoir, les techniques sont reliées aux cadres sociaux de la décision. Si la mondialisation contribue à la transformation des formes sociales et spatiales dans un contexte de recul de l’État-nation, c’est que la déterritorialisation capitalistique recompose les espaces référentiels de l’habitus et perturbe l’ethos. C’est sous la forme d’une politique de la multiplicité à inventer que se reposent les questions de l’appartenance et du risque (Beck, 2003). Une politique de la mémoire n’est pas donc réductible à la conservation d’un mémorable ethnique. Ce champ pose le problème de l’inscription du groupe dans un territoire (Cormerais et Musso, 2013)

19Cette cartographie du mémorisable généralisé forme un préalable à la définition de propositions positives pour redonner un horizon et un sens à un projet collectif de l’Homme trace. Des réponses au danger de l’asservissement machinique.

Le mémorisable entre révolution techno-linguistique et organisation du transfert des traces

20Avec la progression du mémorisable généralisé, l’exploitation économique des traces doit être replacée dans la perspective des révolutions « techno-linguistiques » (Auroux, 1994). Cette orientation complète l’analyse critique, elle justifie l’appréhension du processus nouveau de formation de la valeur à l’aide de la valeur informationnelle (cf. Tableau no 4, supra). La rencontre de la mémoire 1 du langage et de la mémoire 2 du faire explique le renforcement de la capture du symbolique par l’économique dans l’encodage sémiotique du capitalisme. Les traces de l’archi-écriture s’explicitent dans la succession des révolutions techno-linguistiques qui autorise une meilleure saisie de l’articulation entre le système technique et la valorisation des donnés cœur de l’activité économique de la troisième révolution industrielle.

21Sylvain Auroux distingue trois révolutions techno-linguistiques : la première est liée à l’écriture et à l’apparition connexe des traditions linguistiques ; la seconde est la grammatisation ; la troisième est liée à l’automatisation du traitement de la langue. Cette dernière révolution redistribue les deux constantes de la communication que sont l’externalisation et la formalisation et contribue à l’avènement d’une sphère communicationnelle (cf. Tableau, no 3). Les technologies de l’esprit forment l’éperon du capitalisme contemporain. La logique de leur mise en œuvre n’est autre que celle de l’effectuation d’un transfert d’un individu à un support externe. Ce transfert repose principalement sur une tâche : l’élucidation et la formalisation des connaissances. Formaliser les connaissances consiste à les rendre explicites et invariables. Cette opération se répète à chaque fois qu’il est question de mettre en forme une pratique.

22Les transferts doivent être compris à partir d’une mémoire en expansion qui transforme la mémorisation des activités en un enjeu économique majeur dans la formation de la valeur. Rappelons qu’en droit, un transfert de propriété est un acte par lequel une personne acquiert un droit d’une autre qui le lui transmet. Ne sommes-nous pas en présence d’un transfert programmé par la troisième révolution techno-linguistique qui s’opère en dehors de la sphère de l’accord de la personne et par là même du droit ?

Lexploitation industrielle du mémorisable et le capitalisme cognitif

23L’exploitation économique des traces du mémorisable nécessite une industrialisation qui se développe avec le phénomène de la convergence (Miège et Vinck, 2012). Cette exploitation vient préciser la nature des gisements de capitalisme cognitif et annonce une innovation permanente, où l’industrialisation du langage n’est pas une pratique uniforme. Différentes constellations, toutes liées à l’évolution du statut de l’information et de la connaissance, viennent en préciser les sources. Approchons les enjeux économiques du mémorisable à partir de quatre pôles : le document électronique, la mémoire organisationnelle, les outils de veille et de contrôle de l’information et enfin les méthodes liées à l’ingénierie des connaissances.

La mémoire du document

24Le champ ouvert par le document électronique regroupe toutes les inscriptions fixées sur un support faisant l’objet d’un traitement informatique. Cette définition introduit un archivage compris comme un processus informatique et industriel (Stiegler, 1991) qui va de la structuration du document, à son indexation en passant parfois par sa génération automatique. La mémorisation du document se synthétise en deux directions : l’une est métrique et l’autre gestionnaire. Cette double orientation est liée à l’analyse quantitative de l’information et à la mise au point d’outils statistiques, où les résultats conduisent de plus à la décision et à l’action, en doublant le rôle des experts. Avec la numérisation du document, l’archive électronique contemporaine perd également son ancrage dans le passé pour s’inscrire dans un futur exploitable. On peut ainsi décrire l’avènement d’une archive dynamique comprise comme le passage de la conservation à la proservation. Cette activité consistant à anticiper les futurs usages des mémoires et des documents (Cormerais, 2013). Face au document dynamique la littératie, comprise comme l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information stockée, s’avère indispensable dans la vie courante et au travail (Rapport OCDE, 2000).

La mémoire organisationnelle

25La mémoire des ordinateurs reconfigure la sphère de la production et contribue au renouveau des organisations. Le travail coopératif (Cooperative Processing) est un mode opératoire des systèmes distribués dans lequel plusieurs machines peuvent exécuter en même temps des parties d’un même programme, ou bien travailler sur les mêmes données en réseau Intranet. La conception d’une mémorisation générale des organisations progresse aussi avec les entrepôts de données (Data Warehouse) qui regroupent toutes les données dans une unité centralisée accessible, ou non, en réseau. Ces entrepôts, véritables points nodaux de l’information, conservent en mémoire en un endroit unique l’information provenant des systèmes de production et des systèmes d’information, et plus généralement de toutes les sources externes possibles. Le stock d’information de l’entrepôt, pour devenir pertinent dans le cadre d’une exploitation analytique particulière, appelle une structuration selon des instructions spécifiques. Ces derniers autorisent l’assemblage d’informations de sources d’origines différentes dans une perspective souhaitée (marketing, vente, production, etc.). L’entrepôt se transforme alors en un magasin de données qui correspond aux besoins d’une catégorie d’utilisateurs ciblés (Reix, 2011). Cette logique s’inscrit dans un projet général où l’organisation, se concevant comme un portefeuille de ressources, doit gérer au mieux tous ses actifs en essayant de transformer en actifs tangibles (mémorisés sur un support « appropriable ») des actifs généralement intangibles (immatériels et impalpables).

La mémoire et l’attention

26La mémoire de l’information possède avec l’attention un solide argument pour promouvoir son essor. L’attention deviendrait même la forme hégémonique du capital (Sitton, 2014). Au-delà de la veille technologique qui était centrée principalement sur le dépôt des brevets, l’information devient un élément déterminant pour générer des avantages compétitifs. Dans un contexte de passage de la guerre du renseignement à la guerre de l’information, dite « intelligence économique », les nouveaux systèmes informatiques tendent à mettre au point une nouvelle mémoire.

27Cette mémorisation récente autorise les firmes à réexaminer leur positionnement dans un flux constant d’informations externes remontantes. L’intérêt porté aux utilisateurs de service contribue à mettre en relief l’importance de la mémorisation des données. La notion de veille classique s’étend progressivement au contrôle des usages avec les techniques de la « traçabilité ».

  • 2 CNIL : Commission Nationale Informatique et de Libertés.

28L’avènement d’un marketing de la personne passe par la constitution de gigantesques banques de données réalisées par des entreprises qui ont investi le domaine du renseignement personnel après celui du renseignement financier, transformant ainsi la vie privée en un vaste champ d’informations vendables sur les habitudes de la personne (Leroy, 2013). La constitution d’une « mémoire des clients » que la CNIL2 a du mal à endiguer, repose sur des distinctions entre big data, hard data, self data, soft data, qui soulignent la complexité des enjeux commerciaux qui y sont associés.

La mémoire des connaissances

29De la structuration des processus mentaux à l’expertise des contenus, l’approche cognitiviste ne cesse de gagner du terrain. Ainsi, l’ingénierie des connaissances (Bachimont, 2007) se décline en autant de bases de données, de systèmes multi-agents, de méthodes d’extraction des connaissances. La mémorisation du savoir modélisé possède déjà une histoire riche en rebondissements. Multidisciplinaire, la mémorisation du savoir modélisé puise dans la logique, dans la psychologie, dans la linguistique, dans l’ergonomie, dans les neurosciences et la biologie. Chaque domaine abordé par la mémorisation du savoir modélisé renvoie à une ontologie des connaissances qui la composent : connaissances profondes, de surface, exactes, incertaines, incomplètes, floues, etc. Ainsi formalisée, la représentation des connaissances sera implémentée dans des bases qui reposent sur une structuration de données représentant l’information à laquelle est associée une méthode d’exploitation.

30Dans chacun des axes explorés, du document à l’ingénierie des connaissances en passant par la mémoire organisationnelle et les techniques de veille et de contrôle, le processus à l’œuvre est partout le même : l’industrie de la langue devient le symbole d’une formation historique, où il ne s’agit pas tant de parcelliser les tâches industrielles que d’automatiser les fonctions générales de programmation et de commande. Là se trouve le cœur de la rationalité computationnelle.

Le rôle de la mémoire dans le régime daccumulation

31Selon un enchaînement inexorable, l’exploitation industrielle de la mémoire présentée dans la section précédente devient le champ privilégié de l’investissement économique et financier. Alors que la ressource humaine se trouve mise en avant comme facteur clés des organisations, c’est la mémoire de tous les acteurs humains qui se plie au mouvement croisant d’une mémorisation généralisée. Pour répondre au souhait formulé d’une économie politique de la vitesse (Virilio, 2010), où le temps de traitement de la donnée devient infinitésimal de l’ordre de la milliseconde, nous devons examiner les contours d’une industrialisation du langage envisagée comme un trait d’un capitalisme cognitif.

32Compris comme un moment de la généralisation des traces informatiques, l’économie de la mémoire repose sur une nouvelle grande transformation (Moulier-Boutang, 2007). Une révolution technolinguistique, en allant du document numérique à l’intelligence, en passant par la cognition distribuée, ouvre à nouveaux frais la relation entre capital et mémoire. Avec la mémorisation générale se pose la question de l’horizon de la valorisation du capital à partir de laquelle il sera possible de dégager les principes d’une gestion collective du savoir (Cormerais, 2008). Ainsi seulement, nous pourrons dégager un mode de régulation des données (politique et juridique) dans le cadre d’un renforcement d’une logique de la décision qui ne repose pas sur son automatisation mais sur un partage.

33Si la mémorisation généralisée perturbe l’ancien système d’accumulation et de redistribution et repose ainsi la question du partage de la valeur, c’est bien parce que la connaissance collective autrefois incorporée dans les hommes devient « encapsulée » dans des supports sous forme de traces. Avec l’industrialisation des données, c’est le symbolique dans sa totalité qui devient le vecteur de la construction d’un capitalisme cognitif. La tâche de l’économie politique de la mémoire est d’éclairer cette situation historique où, « dès que les limites de l’exploitation physique, c’est-à-dire de l’augmentation de la plus-value absolue, sont atteintes, l’accumulation du capital rend obligatoire le déploiement des forces productives techniques et, de ce fait, raccroche le savoir techniquement exploitable aux processus d’apprentissage » (Habermas, 1978 : 38-39). Autour de l’attrait que représente l’apprentissage, c’est l’activité psychique et les processus de la mémoire qu’il convient de préserver en les éloignant d’une accumulation privative, sous peine de voir le fond commun du savoir disparaître et avec lui toute définition du « bien commun » (Dardot et Laval, 2014).

34L’industrialisation du langage doit être approchée à travers le prisme de l’extériorisation de la pensée qui reste soumise à des procédures d’automatisation réglées par la démarche algorithmique de l’informatique. Rappelons qu’au xiiie siècle le mot « mémorial » concernait les comptes financiers et qu’au xive siècle le « mémoire » désignait un dossier administratif, pièce indispensable à la naissance des États centralisés (Le Goff, 1988). Au xxie siècle, la mémoire s’avère importante d’une façon nouvelle. Cette fois, la mémorisation favorise l’avènement d’une accumulation globale (Beraud et Perrault, 1995) du capital à l’échelle d’un capitalisme mondial intégré (CMI), où l’immatérialité des investissements se superpose à la naissance d’un « capital mémoire » qu’il s’agit de dynamiser par une appropriation privée des données et des opérations cognitives.

35Toute problématique de renouvellement d’une autre approche du développement, qu’il soit inspiré par le développement humain (Sen, 2003) ou le développement soutenable (Sachs, 2008), sans lien avec une perspective prenant en compte l’accumulation est vouée à rejoindre l’idéologie du marché critiquée par Baudrillard. Contre l’avènement d’une économie de la cognition orthodoxe promue par Walliser (Cormerais, 2001), l’extraction des connaissances doit être sérieusement envisagée comme un nouveau gisement de la valeur. Construire une lecture critique d’un capitalisme cognitif, c’est montrer qu’avec le CMI, nous assistons à un double mouvement structurel de l’accumulation contemporaine. Nous sommes en face de l’une des clés de la mondialisation : la tendance du capitalisme à organiser une mobilisation totale du système technique, issue de la numérisation.

36Le double mouvement d’accumulation se livre dans la superposition asynchrone d’une accumulation comprise comme une financiarisation de l’économie et comme une accumulation impliquant l’extraction des informations. L’extraction devient une pratique dépendante des externalités organisées par les technologies de l’information et les télécommunications. En reliant analytiquement les deux faces de l’accumulation, nous sommes en mesure de définir les conditions d’une nouvelle critique où le mouvement de l’accumulation va du numérique au numéraire et inversement. Cette logique double produit un nouveau pouvoir qui s’organise dans la forme d’un individualisme patrimonial où « du point de vue de la liquidité ce qui compte, ce n’est pas tant des informations pertinentes que des informations aisément transmissibles, c’est-à-dire standardisées » (Orlean, 1999 : 210). Cette méthode met non seulement en cause les anciennes souverainetés, mais contribue aussi à l’ascension d’un régime d’opinion qui s’écarte du régime représentatif. Les enjeux de la mémoire, en ramenant autour du double circuit d’accumulation les concepts de reproduction, de conservation, d’incorporation, ouvre un espace dans lequel le régime de la « sauvegarde informatique » de toute mémorisation devrait contribuer à une meilleure définition de la sphère communicationnelle de l’espace public digital. C’est ce seuil qu’il convient de franchir pour étendre l’économie politique de la mémoire et reconstruire un nouveau savoir relatif à l’activité économique contemporaine.

Deux scenarii pour une politique de la mémoire

37À partir de l’exploitation des traces digitales, on peut compléter l’économie politique de la communication (Miège, 2004) et mieux comprendre le concept de « post-démocratie » (Crouch, 2013) par une technologie politique des individus. Cette dernière se définissant comme l’institutionnalisation du système technique dans la sphère du politique (Sfez, 2002), plus que par une hypothétique gouvernance mondiale qui organiserait des transferts de souveraineté dans le cadre d’un empire (Hardt et Negri, 2000). L’émergence d’une technologie politique devrait renouveler les outils conceptuels pour régler des problèmes contemporains et mieux décrire, à l’aide de la valeur communicationnelle, l’avènement d’un espace public digital. La réglementation de nouvelles territorialités informatiques et la constitution d’une mémoire transcollective apparaissent comme des chantiers d’une redéfinition des biens collectifs. La technologie politique problématise un devenir du capitalisme à partir de deux scenarii.

  • Le premier scenario réalise le capitalisme mondial dans une intégration où la mémorisation instrumentalisée sert l’accélération d’une appropriation privée, tandis que la mémorisation « économicisée » conduit à une prégnance de la sphère de la finance sur celle de l’industrie. Le temps de la finance se couple alors structurellement au « temps réel » des machines sémiotiques capitalistiques.
  • Le second scenario enregistre la fin du compromis fordiste et l’échec de la sortie de crise par la simple relance de l’investissement. Pour produire une alternative à l’intégration capitalistique de la mémoire, un travail critique relatif à la définition de nouveaux outils de régulation s’avère nécessaire. L’instauration d’une technologie politique repose alors sur une économie politique étendue où la mémoire et l’invention collective contribuent à redéfinir les notions de biens communs et de capital social.

38L’appréhension de la mémorisation généralisée, à partir des deux scénarii, présente une tension que l’on peut décrire ainsi : sur un bord, elle devient un puissant vecteur de valorisation capitalistique placé au cœur de l’activité humaine que représente la mémoire ; sur l’autre bord, elle se conçoit autour d’un réexamen critique de l’économie politique préservant la singularité de chacun par l’élaboration d’un autre modèle qui s’esquisse dans l’opposition entre l’économie politique de la mémoire (EPM) et le capitalisme mondial intégré (CMI). Cf. Tableau no 6.

Tableau 6 : Economie politique de la mémoire versus Capitalisme mondial intégré.

Technologies relationnelles

Scénario EPM (Economie Politique de la Mémoire)

Scénario CMI (Capitalisme Mondial Intégré)

Relation à l’espace

Territorialisation des données, imposition financières des flux informationnels

Déterritorialisation des données, absence de frontières

Relation aux objets

Transparence juridique du consentement obtenu

Technologies intrusives

Relation au temps

Gouvernementalité des données « slow city »

Cyberguerre, cybercontrôle sécuritaire

Relation aux actions

Communication des réseaux sociaux

Exploitation marchande des identités

Relation à soi et aux autres

Protection des données personnelles

Profilage des populations

39Avec la technologie politique de la mémoire, qui repose sur la prise en compte des traces dans la superposition des technique de soi et des technologies relationnelles, une approche techno-culturelle du symbolique qui échappe aux dangers de la surveillance (Mattelard, Vitalis, 2014) organisée par les grands opérateurs mondiaux du traitement de l’information (Google, Apple, Facebook, Amazon). L’enjeu institutionnel de la régulation des réseaux et de la neutralité de l’Internet s’affirment bien comme des revendications majeures de la technologie politique de la mémorisation.

Conclusion : létude des mnémotechniques et la transdisciplinarité

  • 3 SIC : Sciences de l’information et de la communication.

40Le mémorisable généralisé confirme l’apparition de « sociétés de contrôle » (Deleuze, 2003). L’étendue des techniques de contrôle est bien à envisager comme une menace que font peser les mémoires informatiques en donnant la possibilité d’accéder automatiquement à des informations multiples. Face à ce danger, nous affirmons que « La conquête des moyens de production culturelle, des réseaux de communication, des appareils, des techniques qui permettent à chacun d’être un autre différent des autres mais parmi les autres, à armes égales, avec des chances égales d’affirmer sa différence et d’offrir, le cas échéant, à tous la chance d’une lecture plus productive : voilà ce qui pourrait être l’objectif d’une révolution. » (Escarpit, 1976 : 196). Pour réaliser cet objectif, qui demeure dans la proximité du scénario d’une économie politique de la mémoire (cf. Tableau no 6), nous pouvons compter sur le développement des Humanités digitales qui constatent l’importance des données (data) pour les sciences humaines et sociales et les sciences de l’information de la communication (Cormerais, 2014). Avec les Humanités digitales assistons-nous à un tournant dans le champ des sciences de l’information et de la communication ? Les SIC3 dans la relation avec les études digitales se trouvent-elles mobilisées dans la formation d’une nouvelle mémoire qui se trouverait mis en avant par la valeur informationnelle ? Les SIC organisent-elles un déplacement entre les systèmes sémiotiques et les systèmes du calcul (computation) et produisent-elles par-là un élargissement de l’inscription, nouvelle époque pour la trace et le document ? Dans ce contexte, le traitement des données (data) incarne bien une opportunité pour déployer une technoculture reposant sur la reconnaissance d’une technologie politique réorganisant l’espace public. Cette situation amène la formulation de l’hypothèse suivante : les SIC pourraient atteindre un âge de maturité institutionnelle en assurant un prolongement au programme historique des sciences humaines (Foucault, 1966). Un pareil prolongement apparaitrait dans une synthèse originale des pratiques contemporaines du triptyque : parler/échanger/produire. À cette fin, les SIC devraient porter des interrogations liées à l’opulence communicationnelle mal maîtrisée entre dans le dialogue entre les sciences politiques et l’économie. Cette orientation devrait déboucher sur une « transdisciplinarité critique » permettant de poser à partir de langages scientifiques différents, une fois que l’on a déterminé des points d’articulation spécifiques, des problèmes généralisables et traductibles dans plusieurs communautés scientifiques. Cette transdisciplinarité impose des changements de palier, une logique d’intégration ainsi qu’un approfondissement de l’exigence conceptuelle ; elle se conçoit comme une épistémologie d’un savoir partagé qui ne peut ignorer les problèmes posés par la valeur (Lamizet, 2014).

Bibliographie

Références bibliographiques

Arnaud M., Merzeau L., Traçabilité et réseaux, Hermès, no 53, Paris, CNRS Éditions, 2009.

Auroux S., La révolution technologique de la grammatisation, Liège, Mardaga, 1994.

Bachimont B., Ingénierie des connaissances et des contenus : le numérique entre ontologies et documents, Paris, Hermès, 2007.

Bataille G., La part Maudite, Paris, Éditions de Minuit, 1949.

Baudrillard J., Pour une critique de l’économie politique, Paris, Gallimard, 1972.

Beck U., La Société du risque : Sur la voie d’une autre modernité, Paris, éditions Aubier, 2001.

Beraud Ph., Perrault J.-L., « La transition sans le développement : vers une globalisation primitive du capital », dans Jean-Pierre Gern (dir.), Economie en transition, Paris, Maisonneuve et Larose, 1995, p. 213-246.

Callon M., Lascoumes P., Barthe Y., Agir dans un monde incertain – Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil, 2001.

Castel R., Haroche C., Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, Paris, Fayard, 2001.

Citton Y., Pour une écologie de l’attention, Paris, Le Seuil, 2014.

Cormerais F. et Musso P. (dir.), La société éclatée, le retour de l’objet local, La Tour d’aigue, éditions de l’Aube, 2014.

Cormerais F., « Innovation, valeur de la production et économie de la contribution », dans Bernard Stiegler (dir.), Le Design des existences, Paris, Mille et une nuits, 2008, p. 305-336,

Cormerais F., « Vers de nouvelles institutions de la mémoire », Dazibao, revue de l’agence régionale du livre PACA, Printemps 2013, p. 27-30.

Cormerais F., « « “L’économie cognitive” de Bernard Walliser : renouvellement paradigmatique ou nouvelle illusion ? », Intellectica, no 32, 2001/1, p. 207-219.

Crouch C., Post-démocratie, Bienne, Diaphanes, 2013.

Dardot P., Laval C., Commun, Paris, Découverte, 2014.

Deleuze G., Pourparlers, Paris, Minuit, 2003.

Dupuy J.-P., Aux origines des sciences cognitives, 2e éd., Paris, éditions La Découverte, 2005.

Escapit R., Théorie générale de l’information et de la communication, Paris, Hachette, 1976.

Escarpit R, Théorie de l’information et pratique politique, Paris, Le Seuil, 1981.

Foucault M., « Les techniques de soi », Dits et écrits, tome 4, Paris, Gallimard, 1994, p. 783-813.

Foucault M., Les mots et les choses, une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966.

Galinon-Mélénec B. (dir.), L’Homme trace. Perspectives anthropologiques des traces contemporaines, Paris, Éditions du CNRS, 2011.

Guattari F., Alliez E., « Systèmes, structures et processus capitalistique », dans Félix GUATTARI, Les années d’Hiver. 1980-1985, Paris, éditions Barrault, 1986, p. 167-192.

Guattari F., Lignes de fuite, Pour un autre monde de possibles, La Tour d’Aigues, L’Aube, 2011.

Guattari F., Qu’est-ce que l’écosophie, Fécamp, Lignes, 2014.

Habermas J., L’espace public, 2e éd. française, Paris, Payot, 1988.

Habermas J., Théorie de l’agir communicationnel, tome 1, « Rationalité de l’agir et Rationalisation de la société », Paris, Fayard, 1987.

Hardt M., Negri A., Empire, Paris, Exils, 2000.

Lamizet B., Le Sens et la Valeur – Sémiotique de l’économie politique, Paris, Classiques Garnier, 2014.

Le Goff J., Histoire et mémoire, Paris, Gallimard, 1988.

Leroy F., Réseaux sociaux et Cie, Le commerce des données personnelles, Arles, Actes Sud, 2013.

Mattelard A., Vitalis A., Le profilage des populations, Du livret ouvrier au cybercontrôle, Paris, La Découverte, 2014.

Miège B. et Vinck D., Les masques de la convergence, Paris, Archives contemporaines éditions, 2012.

Miège B., « Pour une méthodologie interdimensionnelle », Revue Française de sciences de l’information et de la communication, 1/2012, [en ligne], disponible sur : http://rfsic.revues.org/121.

Moulier-Bontang Y., Le capitalisme cognitif : la nouvelle grande transformation, Paris, Amsterdam, 2007.

Negt O., L’espace public oppositionnel, Paris, éditions Payot, 2007.

Ocde, La littératie à l’époque de l’information, rapport final enquête internationale sur la littératie des adultes, Paris, Service des Publications de l’OCDE, 2000.

Orlean A., Le pouvoir de la finance, Paris, Odile Jacob, 1999.

Reix R. (dir.), Système d’information et management des organisations, 6e édition, Paris, Vuibert, 2011.

Sachs I., La troisième rive : A la recherche de l’écodéveloppement, Paris, Bourin, 2008.

Sen A., Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, Paris, Odile Jacob, 2003.

Sfez L, « Le Réseau : Du Concept Initial aux Technologies de l’Esprit Contemporaines : Nouvelles Évaluations, Nouveaux Programmes en Science Sociale », Cahiers Internationaux de Sociologie, no 106, 1999, p. 5-27.

Sfez L., Critique de la décision, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1992.

Sfez L., La politique symbolique, 2e éd., Paris, PUF, 1993.

Sfez L., Technique et idéologie, Paris, Le Seuil, 2002.

Stiegler B., Pour une nouvelle critique de l’économie politique, Paris, Galilée, 2009.

Stiegler B, « Le nouvel âge de l’automatisation », La Revue du projet, no 40, octobre, 2014.

Stiegler B., « Rétention, sélection, institutions et industrialisation de la mémoire et de l’oubli, dans Francis Eustache (dir.), Mémoire et oubli, Paris, Le Pommier, 2014.

Virilio P., Le grand accélérateur, Paris, Galilée, 2010.

Sites Internet

Mediapart : http://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet/article/061114/le-nouvel-age-de-l-automatisation-bernard-stiegler.

Vers de nouvelles institutions de la mémoire ? : http://www.livre-paca.org/data/dazibaos/pdf/cormerais.pdf.

Notes

1 Capitalisme Mondial Intégré (CMI).

2 CNIL : Commission Nationale Informatique et de Libertés.

3 SIC : Sciences de l’information et de la communication.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search