La rivière Noire
|Chapitre 6. De l’aventure à l’honorabilité, le parcours de Đèo Văn Trì
Texte intégral
1« Ðèo Vãn Trì, cela est notoire (c’est même un trait caractéristique de sa physionomie), parle de soi, de ce qu’il a fait, de son père, de ses relations, de ses campagnes, de son influence, de sa valeur, de ses droits surtout avec une rare complaisance et une abondance qu’on prend parfois pour de l’abandon […] Mais jamais je ne lui ai entendu dire un mot de son grand-père. Son abandon s’arrête en deçà. » [Jacob juin 94 : 4.]
De la légitimité d’une histoire
- 1 Une photographie de cette pagode se trouve dans Guillemet et O’Kelly, En colonne dans le Haut Laos (...)
2Bien que les Đèo installés à Lai fussent métissés de Tai blancs, leur ascendance chinoise était sans cesse réaffirmée qui, à les en croire, était très ancienne. De l’avis général, tout dans leur apparence renforçait une impression d’appartenance plus récente, presque sans mélange. L’unique pagode de Lai, un bâtiment privé réservé à la famille et dont la construction datait de Ðèo Vãn Trì, était chinoise1. Le seul tombeau digne de ce nom était celui de Ðèo Vãn Seng. Quant au clan, il habitait une variété de manoir, et non pas une habitation sur pilotis à la façon thaïe ou une maison longue comme le tri-phủ de Sơn-La.
- 2 N’étant pas linguiste, je renvoie à la communication de Michel Ferlus, « L’intérêt linguistique du (...)
- 3 Parlant des Ðèo de Lai-Châu, voila ce qu’en disait Gaspardone : « il est tentant de préciser la fi (...)
3« Il semble curieux que Deo-van-tri, le seigneur thaï le plus puissant de la région, ne sache ni lire ni écrire les caractères de sa propre langue » s’étonnait en 1892 Pierre Lefèvre-Pontalis lorsque, avec Ðèo Vãn Trì comme guide, il parcourait la plaine de Điện-Biên. Le diplomate, par ailleurs correspondant pour des revues savantes, tenait à fournir à ses lecteurs du Journal Asiatique un récit cohérent. Il rétablit la situation en expliquant que, fier de ses origines chinoises, professant une grande admiration pour cette civilisation dont il connaissait l’écriture et les mœurs, Trì « laisse aux membres de sa famille la pratique d’un alphabet qu’il considère comme inférieur ». On reste pantois devant un raisonnement impliquant qu’un homme, susceptible de parler une langue ne puisse en saisir l’alphabet d’environ 90 lettres, voyelles et consonnes réunies2, alors qu’il possédait les milliers de caractères chinois utilisés dans le pays voisin. Plus encore, ayant séjourné deux ans dans des pagodes à Luang Prabang pour l’étude des textes, il aurait fallu qu’on les lui eût enseignés avec les caractères chinois... Le diplomate poursuit, sans qu’on sache s’il croit lui-même à son discours, que l’ensemble de la population de Lai-Châu, si proche de la frontière, se vantait de pratiquer les usages chinois3 et portait la natte dans le dos. Une coquetterie qui de temps à autre leur occasionnait quelques difficultés lorsqu’ils se rendaient dans le delta. [Lefèvre-Pontalis JA 1892 : 242-243.]
4Dans un premier temps du moins, cet attachement des Đèo aux coutumes chinoises fut une fierté et une force car il autorisait des rapports privilégiés avec le gouverneur du Yunnan. Puis, sous la tutelle française, ce lien devint encombrant. Pennequin, catégorique, vitupérait : « Ðèo Vãn Trì est foncièrement chinois ; il a du Chinois l’orgueil énorme, mais souffre beaucoup de voir les vrais Chinois lui dénier les titres de cette nationalité. » [Pennequin 1892 : 5.] Progressivement, officiers et administrateurs prirent la mesure du sourd ressentiment d’une partie de la population. Le mode de vie des membres du clan offrait un contraste trop accusé avec le quotidien fruste des populations environnantes pour ne point laisser sourdre une variété de suspicion. D’abord confuse, cette défiance prit corps à mesure qu’une longue présence sur place permettait de s’affranchir des interprètes et d’établir avec la population des liens directs.
5Est-ce à dire que cette impopularité découlait des origines chinoises du clan, ou plus probablement de ce que l’on trouvait dans leur entourage des Chinois peu recommandables : Pavillons-Jaunes ralliés, anciens pirates ayant écumé le pays, satellites du gouverneur du Yunnan ou autres opportunistes ? Ces mercenaires faisaient la force du clan en lui donnant un avantage certain sur les autres thổ-tù mais, extérieurs aux Sip-song-châu-tai, ils déséquilibraient artificiellement la balance des pouvoirs entre chefs locaux et étaient tenus comme des troupes d’occupation. Il est aisé d’imaginer ce mélange d’opprobre et de crainte qui entourait les Đèo.
6Qui donc étaient les Đèo, aux mœurs si chinoises, détenteurs d’un pouvoir sur les Sip-song-châu-tai confirmé par Pavie ? La question peut sembler secondaire. Appartenir à une lignée aristocratique ou aligner des siècles de droit légitime à faire prévaloir pour l’obtention d’un apanage héréditaire avait peut-être impressionné les nouveaux venus. Peine perdue car, républicains et aristocrates confondus, les officiers se souciaient fort peu que le pouvoir des chefs locaux s’enracinât sur des lustres de conduite des affaires publiques, le temps ne faisait rien à l’affaire. C’est la France qu’ils étaient venus faire triompher et leur principal souci, faute d’être en mesure d’exercer une tutelle directe, se résumait à distinguer une autorité quelconque sur laquelle s’appuyer pour peu qu’elle fût acceptée des populations. Ce n’est qu’à l’épreuve du temps, un délai fort court au demeurant, que la question devint centrale. Aux dires des officiers présents sur place, les modalités de l’exercice du pouvoir par Đèo Văn Trì et l’accumulation des rancunes constituaient un risque politique sur la frontière.
- 4 Notice individuelle sur Ðèo Văn Trì par le Lt Jacob, Lai-Châu, 31/12/1894 : ANOM 13 PA 1, dossier (...)
7Restait à mettre en exergue le danger propre à l’organisation interne des territoires. En 1894, le lieutenant Charles Jacob faisait office de représentant militaire du cercle annexe de Lai-Châu, laissant supposer que les tête-à-tête entre les deux hommes étaient quasi quotidiens. Afin de convaincre Hanoi, Jacob se livra à une enquête sur le clan en prenant bien soin de faire ressortir une idée force : la légitimité des Đèo étant usurpée, le pays pouvait à terme laisser cours à son mécontentement et se soulever contre eux. Le seigneur lui était antipathique au plus haut point par son esprit de lucre, son zèle affecté et ses prétentions de grandeur qui sont stigmatisées en quelques vertes pages rappelant que l’on maniait alors un français châtié et coloré4.
8Patiente recherche que celle de l’officier qui se prit au jeu de vouloir examiner la véracité de l’ascendance des Đèo. L’histoire officielle ayant été livrée à Pavie et reprise par Lefèvre-Pontalis, rien ne semblait devoir y être rajouté. Et pourtant, dès lors, cinquante ans durant, il ne fut pas un rapport, une note confidentielle ou un mémoire qui n’évoquait cet objet précis : les Đèo détenaient-ils, oui ou non, un pouvoir héréditaire sur le châu de Lai et les districts avoisinants ? Étaient-ils tai, sino-tai et depuis combien de temps ?
9Le patronyme de Đèo, répandu dans la région de la haute rivière Noire est depuis fort longtemps celui des thổ-tù. Étaient-ce les mêmes ? Le doute subsistait. Or le mystère était partout, qui interdisait de remonter au-delà de Ðèo Văn Seng que tous avaient connu. Qui était Đèo Chinh Tai, prédécesseur de Ðèo Văn Seng ? « Notre grand père mourut à 24 ans » avait dit Đèo Văn Trì [Pavie IV : 295]. Cela intrigua Jacob car, d’enquête en palabres, nul ne se souvenait de l’aïeul, phénomène curieux pour des seigneurs héréditaires. L’enquête orale buta sur le mutisme des habitants.
- 5 Journal du séjour à Lai-Châu de Lefèvre-Pontalis 1-17 avril 1890 : ANOM GGI 14347.
10Il ne fallait pas songer à vérifier les chroniques familiales (vn. Gia phả), que toute famille tient scrupuleusement à jour, particulièrement lorsqu’elle est de haute lignée. Comme ce n’est pas le type de document que l’on égare, lorsque la question lui était posée, Ðèo Vãn Trì rétorquait que ces papiers avaient été incinérés par son grand-père. En effet, à l’avènement de la dynastie des Nguyễn, les Ðèo restant fidèles aux souverains Lê déchus, « le père de Ðèo Vãn Seng fut obligé de jeter au feu ces papiers de famille de crainte du roi5 ».
11Restait la piste des brevets officiels, ces documents de nomination décernés par les autorités vietnamiennes dont nul titulaire ne devait se départir sous peine d’être durement sanctionné. Ces pièces officielles étaient détenues par la famille qui les communiqua aux Français [voir les documents en annexes]. Les brevets ne remontaient qu’à Ðèo Văn Seng et le plus ancien est daté d’avril 1843. Pour y voir plus clair, procédons à une mise en regard des brevets et de ce que les annales impériales nous disent du contexte.
12À la mort de Ðèo Chinh Tai en 1843, Ðèo Văn Seng lui succéda comme lý-trưởng de Mường-Lai. La nomination fut entérinée par le juge provincial et un mois plus tard par le chef de district. Rien d’extraordinaire à cela car il était de règle, même au sein des grandes familles, de gravir patiemment les échelons en commençant par celui de lý-trưởng, édile désigné par les habitants, du moins en principe. Ce rôle était plus important dans la Haute région qu’il ne l’était dans le delta. S’agissant d’une fonction élective, Ðèo Văn Seng, natif du village, obtint l’aval des habitants à moins qu’il ne se soit tout simplement prévalu d’un choix. Cette dernière hypothèse est cependant la plus probable car les vieillards interrogés ultérieurement par les autorités françaises insistèrent sur l’absence de consultation publique. Une telle faveur n’indiquait pas nécessairement un coup de force mais traduisait l’exercice d’un droit acquis. Il n’était guère difficile par la suite de faire avaliser le titre par les autorités vietnamiennes.
- 6 ÐNTL, xix, t. 28, p. 460, 10e mois 1858.
13L’année suivante, de nouveau promu, Ðèo Văn Seng devint chef de canton. Puis, pendant treize ans, plus la moindre nomination n’intervint jusqu’à la vacance du poste de chef de district. Le dernier en titre avait été fraîchement nommé tri-huyện de Trấn-Yên, dans la province de Yên-Bái. Seng devint à titre provisoire thổ-tri-chaû en novembre 1857, soit une année avant l’évacuation du poste de Ðiện-Biên par les impériaux6. Dans cet examen des brevets, tout tient maintenant sur la présence du caractère thổ 土. Accolé à une fonction des zones de montagne, il indique sa transmission héréditaire. Le provisoire dura jusqu’en la 13e année de Tự-Ðức (novembre 1861). Un brevet mandarinal portant le cachet royal titularisa Ðèo Văn Seng comme thổ-tri-chaû. Ce document est sans conteste la pièce maîtresse qui fonde les prétentions des Ðèo sur Lai-Châu. Suivent d’autres documents qui tantôt rendent hommage à Ðèo Văn Seng pour une souscription au profit des indigents, tantôt lui notifient son avancement dans la hiérarchie mandarinale.
- 7 ÐNTL, xxviii, t. 30, p. 38, 10e mois 1863. Il nous faut signaler une incohérence des textes, et pl (...)
- 8 ÐNTL, xxviii, t. 30 p. 38, 10e mois 1863.
- 9 ÐNTL, xxv, t. 31 p. 50, 7e mois 1866. Les quatre circonscriptions en question sont le canton d’An- (...)
14Pourtant le pouvoir du chef de Lai-Châu n’était pas aussi assuré, ainsi que l’indiquent les rédacteurs des annales. En 1863, le thổ-tri-châu7 de Lai-Châu Ðiêu Văn Xanh (Ðèo Văn Seng) et un responsable du châu nommé Ðiêu Chính Triều (Chiêu) se dénigraient mutuellement. Phạm Thực, le responsable de la province, dut envoyer le tri-phư de Ðiện-Biên Ðào Xuân Quế en négociateur. Mais Ðiêu Văn Xanh s’enfuit, emportant le sceau (en Chine concluent certains même si les sources restent imprécises). Le thổ-lai-mực Ðiêu Văn Thân fut dépêché pour occuper temporairement le poste en l’absence du titulaire. En dépit de son manquement, la Cour conserva à Ðiêu Văn Xanh ses fonctions à charge pour lui de revenir sans désir de vengeance et de se conformer aux ordres du mandarin responsable sous peine d’être démis8. Le contexte restait fluctuant, les régions de montagnes n’étaient pas tenues avec la fermeté voulue par le pouvoir impérial et dès 1866, la Cour préconisa la création de quatre postes de Commissaire de pacification aux frontières (Tuyên-phủ-sứ) pour certaines préfectures dont Ðiện-Biên9.
- 10 ÐNTL, xl, t. 31 p. 330, 4e mois 1869.
- 11 ÐNTL, xli, t. 31 p. 373, 9e mois 1869.
- 12 Le Dr Guillemet et le Capitaine O’Kelly estiment, d’après leur propre interprétation du Ðại-Nam Th (...)
15Au 4e mois 1869, les annales impériales récapitulent les événements récents. Des bandits de mường Lựa ( ?) avaient pillé la préfecture de Ðiện-Biên dont le tri-phủ Nguyễn Thận, blessé, décéda. Les rebelles furent finalement repoussés et s’enfuirent vers Bắc-Ninh mais un officier de rang de vice-commandant (phó lãnh binh) périt dans les combats10. Les morts furent promus à titre posthume quand une vague de révocation touchait les mandarins. La Cour procéda à une réorganisation des affectations et Phạm Thận Duật réapparut aux fonctions de mandarin judiciaire (án-sát). Ðiện-Biên ne fut repris qu’au 9e mois par le commandant militaire du Hủng-Hóa (lãnh binh) Ðặng Quý11. Il est permis de supposer, en l’absence de sources vietnamiennes et sur la seule foi des chroniques Tai, que les troupes locales épaulèrent les impériaux. Notons toutefois que ni Ðèo Văn Seng ni son fils ne sont mentionnés, pas plus que le camp dans lequel ils se trouvaient12.
16En janvier 1875, date importante, Ðèo Văn Seng fut nommé tuyên-ủy, soit Gardien de frontières. Ce titre de mandarin militaire reste relativement imprécis quant aux attributions réelles qu’il conférait. Plus tangible est la mention selon laquelle Ðèo Văn Seng faisait fonction de préfet (tri-phủ) de Ðiện-Biên-Phủ. Le décret a été délivré par le juge provincial et le chef de province de Hưng-Hóa. Les Ðèo avaient donc pris pied dans la plaine de Ðiện-Biên en 1874 ou 1875. Depuis trois semaines, et sur proposition de son père, Ðèo Văn Trì lui avait succédé comme de thổ-tri-chaû de Lai-Châu. Dès lors, le fils n’eut de cesse de suivre les traces du père sur ce chemin des honneurs et des fonctions. Parallèlement, tous deux s’élevèrent patiemment dans l’échelle hiérarchique, recevant des notifications pour services rendus jusqu’en 1879.
- 13 ÐNTL, lxi, t. 34, p. 225-228, 4e mois 1879.
- 14 Le Ðại Nam nhất thống chí nous donne Cầm Nhân Xạ (originaire du châu de Phù-Hao) et Lí Ðình Lập (o (...)
17Cette année-là, Ðèo Văn Seng se trouva plongé dans un imbroglio que les annales résument assez bien13. Deux Chinois, Diệp Thành Lâm et Văn Bỉnh Hùng14 auraient demandé à la Cour de s’installer au Hưng-Hóa, à charge pour eux d’y ramener le calme. Puis les deux factions se seraient opposées et Diệp Thành Lâm se serait alors allié à Ðiêu Văn Xanh, le thổ-tri-phủ de Ðiện-Biên pour affronter son adversaire. Le gouverneur Hoàng Tá Viêm les manda tous trois pour tirer l’affaire au clair. Bỉnh Hùng aurait alors feint de transmettre l’information aux deux autres. La Cour reprocha à Ðiêu Văn Xanh d’avoir ignoré l’injonction et le rappela à ses devoirs en ajoutant que le maintien de l’ordre était dans ses attributions et que, faute de s’être montré à la hauteur de sa tâche, la Cour s’était trouvée dans la nécessité de confier cette mission à des troupes extérieures. Finalement, Nguyễn Huy Kỷ le vice-gouverneur (tuần-phủ) de Hưng-Hóa fut rétrogradé pour incompétence.
- 15 ÐNTL, lxiii, t. 34, p. 351-352, 5e mois 1880.
- 16 ÐNTL, lxiv, t. 34, p. 366, 8e mois 1880.
18Une année plus tard, l’affaire était oubliée et Ðèo Văn Seng obtint du gouverneur Hoàng Tá Viêm une dispense d’impôt pour cinq châu (Ninh-Biên, Lai-Châu, Tuần-Giáo, Luân-Châu et Quỳnh-Nhai) valable pour l’année en cours et la précédente (soit 84 lạng d’argent, 1 771 ligatures et 218 hộc de grain)15. Cette mansuétude subite récompensait une initiative de Ðèo Văn Seng et de son fils Trì. Ils avaient enrôlé des troupes chinoises, dont les dénommés Diệp Thành Lâm et Văn Bỉnh Hùng, et avaient ainsi créé un bastion de résistance contre les envahisseurs (dont la nature n’est pas précisée mais peut-être s’agissait-il de Pavillons-Jaunes). En 1880, l’ensemble des chefs des groupes ethniques de la zone frontière furent sommés de rassembler des troupes à raison de 300 à 500 hommes chacun, y compris Ðèo Văn Seng pour la province de Hưng-Hóa16.
- 17 ÐNTL, lxviii, t. 35, p. 135-136, 6e mois 1882.
19La dernière mention des annales impériales date du 6e mois 1882. Ðèo Văn Seng y est décrit comme un notable respecté des populations. Cependant, confronté à la sédition organisé par un dénommé Vy Anh, le clan Ðèo s’enfuit de son district et le fait fut rapporté par le mandarin Hoàng Tá Viêm17. Constatons ici qu’il s’agissait du troisième rappel à l’ordre pour le même motif : 1863, 1879 et 1882. La Cour notait l’extension géographique du clan et la prise de pouvoir abusive de Ðiêu Văn Bảo, fils de Ðèo Văn Seng à Mai-Sơn. Elle rappela que les nominations restaient un privilège du souverain.
20Puis les Ðèo disparaissent des chroniques royales et n’obtiennent plus aucun brevet jusqu’en 1886. Entre-temps, nous l’avons vu, le Vietnam pliait devant la colonisation française et aux batailles succédaient les traités de paix. Ðèo Văn Trì participa aux combats contre les Français alors que les invasions des Pavillons-Jaunes déferlaient sur les territoires que les Ðèo avaient la charge d’administrer. Le tableau d’avancement, somme toute bien paisible, ne retranscrit rien des difficultés réelles. Il reste en bonne part la marque du fonctionnement virtuel d’une administration vietnamienne à la veille de son inféodation au pouvoir colonial.
- 18 Bien sûr, nous ne disposons pas des brevets originaux, mais tout au plus et dans ce cas précis, d’ (...)
- 19 Léon Vandermeersch, « Un vrai faux édit de l’empereur Ham Nghi », Bulletin de l’association frança (...)
21Le dernier brevet, le plus significatif aussi, est daté du 6e jour du 1er mois de la 2e année de Hàm-Nghi, soit le 10 février 1886. Le tri-phủ de Ðiện-Biên Ðèo Văn Xanh est nommé par la Cour de Huế au grade de tuyên-phủ-sứ, soit grand mandarin pacificateur de la zone frontière18. À ce titre, les seize châu de la province de Hưng-Hóa, soit toute la rivière Noire, étaient sous sa coupe et Ðèo Văn Seng devenait le chef des Sip-song-châu-tai. En tout état de cause, le titre du souverain, 2e année de Hàm-Nghi, laisse à désirer (il n’a régné que neuf mois jusqu’au 15 septembre 1885). Depuis six mois, le jeune roi était en fuite et son demi-frère Ðồng-Khánh lui avait succédé. Il s’agit très probablement, pour reprendre l’expression de Léon Vandermeersch, d’un « vrai faux édit de l’empereur Hàm Nghi19 ». C’est l’administration de Tôn Thất Thuyết qui conféra aux Ðèo un titre, puis un second car, quelques mois après Ðèo Văn Trì, tri-phủ de Ðiện -Biên, fut lui aussi nommé Tuyên-phủ-sứ. Étonnamment, nulle mention n’est faite d’une nomination en bonne et due forme de Ðèo Văn Trì aux fonctions de tri-phủ de Ðiện-Biên, qui semble tenir du fait accompli. Sans doute se substitua-t-il à son père car Ðèo Văn Seng était déjà décrit comme souffrant d’une santé défaillante en 1887. La succession était déjà directe, dès lors elle s’accéléra mais en dehors des règles.
- 20 J. Chesneaux, Contribution à l’histoire de la nation vietnamienne, Paris, Éditions Sociales, 1955, (...)
22L’avancement rapide du fils garantissait la succession et mettait sous son emprise les régions de Yên-Bái, Lào-Cai, Lai-Châu et Sơn-La. Arrêtons-nous sur la date, juin 1886. En mars 1885, Ðèo Văn Trì et Ðèo Văn Toa, le chef de Phong-Thổ bataillèrent à Hòa-Mộc, furent défaits et s’en revinrent. Les Siamois progressaient vers Mường Theng. C’est vraisemblablement au cours du printemps 1886 que le périple de Tôn Thất Thuyết et de sa cinquantaine de partisans le mena en direction de Ðiện-Biên. La nouvelle nomination est donc contemporaine de l’arrivée du régent dans les parages. À cet égard, J. Chesneaux indique que Tôn Thất Thuyết s’était enfui en emportant le grand sceau de l’empire et délivrait des brevets aux plus farouches opposants des Français. Ces derniers se trouvaient alors devant des rebelles patentés et légitimés car munis de sauf-conduits au nom de Hàm-Nghi qui impressionnaient fort les populations alors que le colonisateur ne voulait voir en eux que des « pirates20 ». Dans le cas qui nous intéresse, les Ðèo étaient donc détenteurs d’un brevet non reconnu par Huế, mais il nous est impossible de savoir si Tôn Thất Thuyết l’a délivré avant son arrivée sur place pour s’ouvrir les portes de la région ou s’il s’agissait d’une forme de gratification pour services rendus.
- 21 Relevé des cachets, ANOM, amiraux, 14347, mission Pavie, annexe 2.
Sceaux de Ðiện-Biên-Phủ, le grand et le petit21
23La suite de cette revue des brevets ne recèle pas de surprise. À peine nommé par Pavie, le Kinh-lược intima à Ðèo Văn Trì de faire confectionner deux sceaux, un grand et un petit afin de d’officialiser sa correspondance. Le tri-phủ de Ðiện-Biên (et depuis 1886 si l’on compte le brevet émis en la 2e année de Hàm-Nghi) n’en possédait aucun, ce qui avait entraîné une plainte du Consul français au Laos.
24Enfin, en janvier 1893, summum de ce cursus mandarinal un peu particulier, un brevet d’élévation à la dignité de quản-đạo fut délivré à Ðèo Văn Trì, tri-phủ de Ðiện-Biên, par le Kinh-lược du Tonkin. Le 28 janvier 1893, la décision fut approuvée par le Gouverneur général. Ce titre de quản-đạo n’était cependant pas assorti du caractère thổ et, de la sorte, la fonction n’était pas explicitement conférée à titre héréditaire.
25Si les dires de Ðèo Văn Trì furent rapidement mis en cause, il ne mentait pas, si ce n’est peut-être par omission. Que pouvait-on lui reprocher ? Son origine chinoise ? Il la revendiquait haut et fort. L’aide apportée aux Vietnamiens qui valurent au Ðèo leur position ? Les brevets en attestaient. Le caractère héréditaire du pouvoir ? Cela dépendait des brevets. Mais les événements étaient mal datés, comme recouverts d’une fausse patine. L’histoire de la lignée de Lai-Châu avait été montée un peu hâtivement pour être servie aux membres de la mission Pavie. Restait à trouver les héritiers légitimes : qui étaient les anciens Ðèo dont parlaient les textes ?
26À Mưõng So, les chao, chefs héréditaires du mường se nommaient également Ðèo. Cet apparentement est trompeur, sans être anodin. Entre les Tai blancs de Lai-Châu et ceux de Phong-Thổ, à cinq jours de marche en direction du haut fleuve Rouge, l’entente était faible. Autant ceux de Phong-Thổ, l’ancienne préfecture de Chiêu-Tấn, étaient maîtres sur leurs terres depuis longtemps, comme en témoigne le patronyme, autant ceux de Lai-Châu l’étaient de fraîche date et avaient acquis le nom par alliance. Si le nom de Ðèo est celui des chefs traditionnels, il suffisait de l’adopter pour se voir revêtu d’une légitimité d’apparence.
- 22 Ce nom Lưu Ta-yen doit être compris comme Liu Daren, soit en chinois « le grand homme Liu », le ch (...)
- 23 Tien-vai = Chiêng Vai, « ville où l’envahisseur a été chassé », soit Mường-Lai.
- 24 Édouard Diguet, Étude de la langue Thai, précédée d’une notice sur les races des hautes régions du (...)
27C’est du moins la version que retint le capitaine Silvestre après avoir interrogé les habitants de la région. Son article paru dans le Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient en 1918 énonce pourtant une version des faits qui n’est pas sans vraisemblance. Il y narre l’histoire d’un Chinois entreprenant du nom de Lưu Ta-yen22, un marchand de Hưng-Hóa qui effectuait de fréquents voyages d’affaires dans la rivière Noire. « Son fils épousa la fille du lý-trưởng de Tien-vai23. À la mort de celui-ci, Lưu Ta-yen, qui s’était enrichi, soudoya les notables et fit nommer son fils lý-trưởng. Comme seuls les Ðèo peuvent commander aux Thai, sans scrupule, il changea son nom de Lưu contre celui de Ðèo. Quelques largesses firent vite oublier cette substitution. » [Silvestre : 4.] Le fils du lý-trưởng ne serait autre que Ðèo Văn Trì qui, nommé tri-chaû puis quản-đạo, aurait forgé le rêve de se rendre maître des Sip-song-châu-tai. Dès 1895, Édouard Diguet en dressait le constat : « La famille des Dieỗ, d’origine chinoise, occupe le pays de Laï depuis deux générations. C’est le grand-père de Dieỗ-vanne-Tchì qui conquit cette contrée à la tête des bandes chinoises. Les soldats qu’il amenait firent souche dans le pays et par leur alliance avec les femmes taïs produisirent la race que nous appelons races des Tais Blancs. […] Les hommes sont de taille plus élevée que les Taïs Noirs, portent la queue comme les Chinois et des vêtements de coupe chinoise…24 »
28Ðèo Văn Trì, du reste, parlait peu de ses ascendants, préférant s’étendre sur ses mérites personnels comme si le domaine et son gouvernement, outre qu’ils étaient de son ressort, sa propriété, étaient de plus sa réalisation propre. Qu’il ait créé ex nihilo une lignée inamovible n’est pas impossible. À la mort du hiérarque en 1908, cette hypothèse était devenue une quasi-certitude pour les administrateurs qui regrettaient parfois de devoir se prêter à l’aval d’une imposture. Comme, depuis 1890, tous avaient repris le principe d’une continuité du pouvoir dans les Sip-song-châu-tai, que Pavie y avait consenti et que Ðèo Văn Trì avait été décoré par la République, l’affaire était entendue. Il eût été de mauvaise politique d’aller à l’encontre des décisions prises par d’illustres prédécesseurs. De plus, et depuis presque vingt ans, Ðèo Văn Trì avait donné l’exemple d’un soumissionnaire fiable alors qu’en 1909 les Français se battaient encore contre le Ðề Thám. Grâce, ou à cause des Ðèo, la haute rivière Noire restait à l’écart des mouvements coloniaux et des insurrections vietnamiennes.
29Toutes proportions gardées, en 1894 le lieutenant Jacob avait déjà fait le tour de la question : « Dieu-Van-Tri a protesté : “mes droits sont consacrés par les siècles… C’est qu’il se rendait compte – étant intelligent et cultivé – que, venant fonder quelque chose dans un pays inconnu, nous aurions le respect de l’histoire et que nous bâtirions sur des traditions. Au fond, 30 ans ou 300 peu nous importerait. Il était suffisant. Dieu-Van-Tri a un incontestable prestige personnel ; à quoi la légende de ses quartiers de noblesse a dû faire rapidement fortune, elle ne jure pas trop avec sa personnalité. » [Jacob juin 94 : 6.]
- 25 Malgré de patientes recherches, ce rapport commandé à l’EFEO sur Ðèo Văn Trì n’a pu être localisé (...)
30L’énigme restait entière et allait ressurgir à chaque succession : des droits héréditaires avaient-ils cours à Lai et Pavie y avait-il souscrit ? Un rapport commandé à l’EFEO ne put trancher25 ; pas plus que les demandes de Ðèo Văn Khang auprès du Résident supérieur du Tonkin visant à faire vérifier les archives de Huế. Ce n’est que bien plus tard que la question de l’origine des Ðèo, sans être résolue pour autant, devait connaître d’autres développements. Un article de Deporte paru dans le Bulletin des Amis du Laos de 1940, reprenant les recherches de Dussault, devait faire le point sur la question et conclure que la famille Ðèo ne pouvait être de haute extraction mais qu’elle était plus probablement venue de Chine au début du xixe siècle. En 1954, la version selon laquelle Ðèo Văn Trì, « authentique chinois », était le fils d’un commerçant de Hưng-Hóa avait prévalu. Ce serait vers 1863-64 que Ðèo Văn Seng, jusque-là spécialisé dans le commerce du thé d’Yibang et de l’opium, se serait rendu à Huế accompagné d’un interprète, se faisant fort de recouvrer le tribut non acquitté depuis des années. Tự-Ðức l’aurait muni d’un brevet qui en faisait son représentant légal [Roux : 145-149]. Nul doute que le sujet n’est pas épuisé et des archives familiales pourraient, peut-être, apporter quelques précisions.
- 26 Alain Fiorucci, « Les Vũ de Mộ-Trạch, leurs origines et leurs pratiques matrimoniales : essai de d (...)
31Mais cette controverse était-elle vraiment indispensable ? Après tout, la reconstruction partielle d’un lignage n’est pas chose rare, c’est même un exercice assez fréquent chez les Vietnamiens comme l’a démontré l’étude d’Alain Fiorucci sur le village de Mộ-Trạch, célèbre pour les nombreux mandarins qu’il a donnés au Vietnam. Ce moyen permettait tout autant d’évacuer de l’arbre généalogique des éléments au passé douteux que d’intégrer des familles méritantes d’origine exogène désormais intégrées au village26. Toutefois, et en dépit de l’importance des lignages au village qui déterminaient la prééminence de certaines familles dans les conseils des notables, le système des concours restait la voie du pouvoir qui n’était pas héréditaire. Il en allait tout autrement dans la Haute région, nous l’avons vu, où seule primait la légitimité du sang d’où l’âpreté des débats. Pour clore, Ðèo Văn Trì joua de l’affirmation d’une identité recomposée selon un schéma intelligible par les Français et propre à assurer la perpétuation de sa lignée dans les conditions nouvelles qui lui étaient faites.
Mentors et protecteurs
32Selon toute vraisemblance, le chef sino-tai prit très tôt la mesure de la fragilité de son implantation sur un territoire qui ne lui était pas acquis. Il n’était pas que la légitimité qui faisait défaut mais ses ascendances chinoises, le faible peuplement de ses domaines et l’arrivisme de ses collatéraux représentaient des dangers que sa toute relative puissance militaire n’était pas en mesure de contrôler totalement. Qu’une troupe de quelque ampleur vint à passer par ses domaines (quelques centaines d’hommes suffisaient) et le patient édifice monté par les deux générations qui l’avaient précédé risquait d’être balayé sans qu’on pût compter à coup sûr sur le dévouement des populations locales. Seuls l’appui et le patronage des puissants pouvaient apporter quelque garantie face aux incertitudes de l’avenir. L’activité diplomatique de Ðèo Văn Trì fut toute entière consacrée à se créer d’indéfectibles amitiés parmi ceux-ci. Il ne faut pas entendre là des relations formelles de tribut et d’allégeance mais à la manière toute personnelle du cacique de Lai-Châu de solides relations personnelles.
33Année après année, il résida à Luang Prabang avec la famille royale, devint le jeune protégé du vice-roi du Yunnan Cen Yü-ying, fils putatif du chef des Pavillons-Noirs Lưu Vĩnh Phúc, fidèle sujet du régent en fuite Tôn Thất Thuyết et ami des Français : l’administrateur civil Vacle, Pavie le diplomate assurément et, dans une moindre mesure, Pennequin le militaire qui devint vite critique à son endroit. En bon joueur, Ðèo Văn Trì savait indiscutablement établir sa garde et, c’est un talent n’en doutons pas, réussit à passer d’une protection à l’autre sans jamais trahir. Que l’on qualifie la pratique de reniement, d’opportunisme ou de plasticité de l’intelligence, mitigeant des loyautés antinomiques, constatons qu’il sut glisser de l’une à l’autre sans véritable rupture car, enfin, il n’y eut guère qu’avec l’intransigeant Tôn Thất Thuyết que les choses se gâtèrent.
- 27 Le mémoire de Muong Lai remis à Pavie précise que Ðèo Vãn Seng avait traité avec Luang Prabang et (...)
34Il est à noter que si les deux premiers sont des Chinois, au sentiment anti-français accusé, tout comme pour l’ancien régent vietnamien, il semble que curieusement Ðèo Văn Trì n’a pu, ou voulu, composer avec le quatrième acteur sur l’échiquier politique de la zone frontière, c’est-à-dire les Siamois, et par extension les Laotiens27 et même les Tai, si l’on omet les Tai blancs des environs de Lai-Châu. L’opposition entre Tai blancs et noirs était d’ailleurs moins une opposition séculaire, comme la qualifie souvent une simplification abusive, que le simple et unique fait que le clan Ðèo, s’appuyant sur les premiers, bon gré mal gré, mettait les seconds en coupe réglée chaque fois que l’occasion s’en présentait. Encore faut-il relativiser son emprise sur les Tai blancs pour la limiter à ceux qui, sous contrôle ou par acceptation, résidaient dans le châu de Lai. Que le clan Ðèo, se voulant thổ-tù, puisse se faire reconnaître par tous sauf par les Tai tend à enraciner le doute sur l’apparentement supposé les lier. Que des Chinois s’installant dans la Haute région y prennent femme, le fait est courant, mais d’évidence il semble que la clé d’une intégration véritable était que le clan adoptât rapidement un mode de vie et de pensée conforme au pays et aux coutumes.
35Quant aux amis français, ils étaient en nombre compté : « … de ce que Ðèo Văn Trì nous aide, il ne faudrait pas en conclure qu’il nous soit tout dévoué ; il est l’ami de quelques Français ; c’est une sympathie de personnes avant que de race ». [d’Orléans : 282.] Or ces derniers étaient sans exception des anciens de la mission Pavie : le ministre-explorateur certes, mais aussi, plus discrètement Lefèvre-Pontalis, le diplomate et second de l’expédition de 1894 à 1895, et surtout Vacle, l’administrateur civil.
36Il s’agissait, on le voit, de liens durables tissés avec les hommes des premiers temps de la conquête et qui ne se démentirent pas.
37Joseph Vacle tout d’abord, le véritable ami avec qui il courait la campagne et qui avait sur lui un ascendant indiscutable. Silhouette corpulente et moustache, cheveux ras et mise soignée, la rondeur du Français, son sens de la proximité, faisait partout merveille. Il fut d’abord agent commercial et c’est parce qu’il avait l’habitude de vivre seul parmi les Mường et les Tai depuis 1885 qu’il fut recruté par Pavie et devint membre de l’expédition de 1888 à 1891. Cette année-là, non loin du delta, les Mường de la boucle de la rivière Noire étaient en effervescence et la révolte couvait contre l’administrateur Rougery dont la brutalité s’exerçait même à l’encontre de ses propres hommes. Ðèo Văn Trì en avertit Pavie qui ne réussit pas à prévenir l’incident. « J’eus la confusion de n’être pas cru par l’intéressé et de ne pouvoir lui faire donner d’ordre par ses supérieurs. » [Pavie II : 114.] Vingt jours plus tard, les Mường attaquaient le poste de Chợ-Bờ, pourtant de seconde importance et dans une zone « calme ». Les insurgés tuèrent les miliciens et le résident Rougery fut décapité. Partout dans le delta fut notée une recrudescence des combats avec les patriotes vietnamiens. Les Français incriminèrent le Ðốc Ngữ (Nguyễn Ðình Ngữ), vieil insoumis établi à l’intérieur de la boucle de la rivière Noire. Alors que les autorités coloniales envisageaient d’envoyer une colonne militaire, car leur adversaire manœuvrait « à la française », Vacle qui connaissait la région se proposa de ramener les Mường à la raison. Le Protectorat accéda à sa demande en précisant que ne saurait être mis à sa disposition ni argent, ni homme. Ce dont il s’accommoda, devenant l’assistant de Pennequin.
- 28 Cf. Pierre Grossin, Notes sur la province de Cammon (Laos), Hanoi, I.D.E.O, 1933, (79 p.) p. 58.
38À l’étonnement de tous il parvint rapidement à ses fins. Parti pour Chợ-Bờ avec quelques miliciens, c’est sans façon qu’il pénétrait dans les villages, seul, s’accoutrait d’une tenue de marquis, buvait l’alcool avec les chefs et les notables et recueillait les ralliements. « Toujours en culotte courte… et son petit éventail à la main, Monsieur Vacle offrait à ses visiteurs indigènes des repas pantagruéliques à la fin desquels tout le monde acclamait le nom de la France. Au bout de deux mois le pays était pacifié… [Vacle] se conduisit avec une telle habileté que les chefs de toute la rivière Noire ne tardèrent pas à venir à lui, rentrèrent sous l’autorité de la France et bientôt firent eux-mêmes la chasse aux pirates chinois. » [Lanessan, Le Siècle, 23/12/1907.] Cette représentation coloniale, d’un angélisme confondant, masque mal la brutalité de la répression. Acculé, trahi, le Ðốc Ngữ et ses 130 partisans vietnamiens furent égorgés en 1892 par les Mường et le Ðề Kiều se rendit peu après : « pacification accomplie. » [Lanessan, p. 45.] Cet étonnant succès distingua Vacle aux yeux des autorités (on le surnomma « l’empereur des Mường ») qui le nommèrent administrateur de Luang Prabang et du Haut Laos au départ des Siamois en 1893. Il y fut d’autant mieux accueilli qu’il restitua au roi laotien l’épée royale dont Ðèo Văn Trì s’était jadis emparé lors du sac de Luang Prabang, laquelle avait été offerte à Boulloche lors de son passage à Lai-Châu28.
39Comme Pavie, Vacle était un adepte de la douceur, ce qui leur réussit fort bien. Avec constance, il se posa en principal avocat des Ðèo auprès du Protectorat. Comme il s’élevait dans la hiérarchie, c’est à lui que revint la tâche d’arrondir les angles avec les autorités. Sa présence sur place en faisait un intercesseur auprès de l’administration coloniale ; plus pratique que l’influence de Pavie, précieuse mais lointaine, qui restait réservée aux cas les plus sérieux. Mais Vacle partit en retraite en 1906, mourut l’année suivante, âgé seulement de cinquante ans : c’était un ami personnel qui disparaissait.
- 29 Deporte, « Les origines de la famille de Dèo-Van-Tri », Bulletin des amis du Laos, vol. 4, 1940, ( (...)
- 30 Timbre dessiné et gravé par Achille Ouvré à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de (...)
40Quant à Pavie, que dire ! Deporte préférait résumer : « Il me semble que c’est vraisemblablement à l’influence de M. Pavie, qui, les dernières années, ne paraît avoir été qu’un instrument entre les mains de la famille, que la province de Lai-Châu doit de ne pas être délivrée plus tôt de la présence de cette encombrante famille, au grand détriment de notre influence et de la population, dont tous les anciens administrateurs ou fonctionnaires de la région ont pu apprécier les véritables sentiments à notre égard29. » Il est vrai qu’en France, Auguste Pavie, personnage incontournable, siégeait au conseil d’administration de l’École coloniale, à la société de Géographie, à la Mission laïque et il comptait parmi les fondateurs de l’Académie des Sciences coloniales. Son visage était connu de tous et fut par la suite reproduit de timbre en timbre30.
- 31 Pavie, dans un inédit récemment publié probablement rédigé avant la rencontre avec Ðèo Văn Trì, es (...)
41L’aide apportée par Pavie est surtout reconnaissable dans les écrits relatant l’exécution de la Mission. Ðèo Văn Trì y a gagné son statut d’allié indéfectible de la France. Comme toute bonne bibliothèque « coloniale » se devait de contenir les mémoires de l’explorateur, le mythe Ðèo Văn Trì perdura au gré des rééditions. Cependant le ton employé dans les deux ouvrages de Pavie diffère sensiblement. Autant, dans ses Récits et voyages (édition de 1901) il adopte un ton neutre, ne chargeant pas trop le quan Phòng31, et on peut l’imaginer, retranscrit les doutes qui le tenaient à l’époque ; autant le récit de À la conquête des cœurs de 1921 apparaît comme un plaidoyer pour les Ðèo, où tout semble justifié par la loyauté, a posteriori, de la famille de Lai. La comparaison des deux textes ne laisse pas de plonger le lecteur dans une certaine perplexité.
- 32 La correspondance de Pavie a été versée aux Archives nationales d’Outre-mer à Aix-en-Provence, Pap (...)
42Du littéraire à l’épistolaire, Pavie incarnait la statue du commandeur, celui à qui toute la famille Ðèo se confiait comme en témoigne une abondante correspondance déposée aux Archives nationales d’Outre-mer d’Aix-en-Provence, sans les réponses toutefois32. Elle nous éclaire sur les services demandés au ministre plénipotentiaire en retraite. Presque familiaux, les courriers débutent immanquablement par « mon cher père » et « cher papa » (Ðèo Văn Trì), ou encore « notre cher et vénéré protecteur » (Ðèo Văn Khang) et finissent par « signé vos petits-fils dévoués ». Les rapports sont affectueux, de la nature de ceux que l’on entretient avec un grand-oncle peu avant Noël. Mais, à la décharge des neveux exigeants, certains étaient encore enfants lorsqu’ils rencontrèrent l’explorateur ou bien furent envoyés en France. Ceci explique bien des choses.
43Il ressort de ce bref aperçu que l’entregent manifeste dont bénéficiait Ðèo Văn Trì était le fruit d’un patient montage servi par les circonstances dont il sut jouer avec une certaine maestria car nul ne parvint jamais à écorner sa figure de chef ni même à entamer ses revenus financiers. On décèle néanmoins le paradoxe constant d’un seigneur clamant son indépendance alors même que son emprise ne tenait que par l’influence de ses protecteurs quand l’hommage de ses obligés, chefs de districts et membres du clan, se payait au prix fort des multiples bénéfices qu’il leur concédait.
La construction d’une image lissée
44Chez les Tai, la tradition d’hospitalité n’est pas usurpée lorsque celui qui frappe à la porte est une connaissance. Recevant les visiteurs de passage, Ðèo Văn Trì tenait table ouverte et ne manquait jamais de faire assaut de libéralité. Au cours des premières années qui suivirent son ralliement, il reçut beaucoup de monde à Lai et, du reste, n’avait pas à susciter les visites. Aux anciens membres de la mission Pavie, les Lefèvre-Pontalis, Vacle et autres se targuant d’être de ses amis et bénéficiant d’un traitement de faveur, s’ajoutaient les explorateurs, correspondants des revues et des sociétés savantes qui se pressaient aux frontières nouvellement pacifiées de l’Union indochinoise. Un peu surpris, les soldats des postes isolés dans la montagne les nommaient « monsieur civil ». Plus que Phong-Thổ dans ses brumes ou Lào-Cai la vietnamienne avec déjà ses restaurants français, c’est la rivière Noire qui attirait l’amateur de sensations fortes. Le passage à Lai était même recommandé, par Pavie entre autres, et l’exotisme garanti.
- 33 Alfred Raquez (1865-1907), journaliste, écrivain et photographe, a parcouru les territoires de l’I (...)
- 34 « À Phong-Tho nous attendent le cinquième frère et le neveu de Deo-van-Tri que le Quan-Dao, notre (...)
45Au cœur de ce qui semble une véritable stratégie de communication, rien n’était laissé au hasard. On chercherait en vain une appréciation désobligeante sur le chef de Lai qui prévenait les besoins des visiteurs à leur entrée sur ses terres au passage de la Nậm Na. En 1904 Albert Raquez, un des principaux journalistes de l’époque fut ainsi accueilli par un neveu francophone de Ðèo Văn Trì qui le guida33. « Ðèo Văn Trì, seigneur galant et pratique, a profité de passage de son ami Raquez pour faire débroussailler la route par les habitants de chaque village34. » Ces curieux qui se lançaient dans la Haute région étaient pourvus d’un certain courage car on y mourait encore très facilement : sur les 120 croix blanches du cimetière militaire de Phong-Thổ, pas même le tiers correspondait à des morts aux combats. Les fièvres fauchaient un homme en deux jours, tant chez les tirailleurs que chez les Français, aussi l’infirmerie du poste était-elle surdimensionnée.
46Au voyageur éreinté l’arrivée à Lai semblait une bénédiction. Passé le plateau de Tả-Phin et ses montagnards colorés, Yao aux turbans rouges et Hmong à hottes, c’est en pirogue qu’il descendait la Nậm Na jusqu’à Lai parmi les rapides. « Le calme. L’eau glisse toute d’une pièce, verte d’une belle couleur émeraude puis soudain à un tournant de rocher, une ville apparaît s’étageant sur la rive droite de la rivière : Lai-Châu. Haut perchées sont les habitations, et il le faut, car à ce double confluent de la Nam-Na et de la Nam-Laï venant grossir la Nam-Thé ou rivière Noire les eaux montent de dix-huit et vingt mètres à la saison des crues. De vastes cases sur pilotis ; une douzaine de maisons en briques et, dominant le tout, le manoir à trois étages du grand chef des Thaï blancs. » [Raquez : 1146.]
- 35 Joseph Chevalier, Lettres du Laos et du Tonkin (1901-1903), Paris, L’Harmattan, 1995, 229 p. : Let (...)
47Puis, c’est Ðèo Văn Trì lui-même qui accueillait ses hôtes. Le personnage ne descendait pas souvent à Hanoi aussi le premier regard qu’on lui portait était-il empreint de la curiosité réservée à la bête domptée ou à l’animal politique comme en témoigne la correspondance du lieutenant Chevalier : « Au physique, c’est un homme au ventre rebondi, court sur pattes, avec des articulations de goutteux, un cou de taureau (taureau du pays, à bosse, car il a réellement une bosse dans le cou), une petite tête chauve toujours coiffée de la calotte chinoise. Sa physionomie est très intelligente et maligne avec un éternel sourire énigmatique (est-il bienveillant, est-il ironique ?) flottant sous ses moustaches blanches tombantes à la mode chinoise35. »
48Lorsqu’arrivait un visiteur mal en point, tel le Dr Gaide, médecin du consulat de Simao, après son périple au Yunnan en avril 1900, Trì insistait pour le garder deux jours avant de mettre une grande pirogue à sa disposition. Le délai était mis à profit pour imaginer les développements futurs du commerce du thé d’Yibang. Ainsi, à son retour, Gaide conseilla au Commissaire du Gouvernement de Vạn-Bú de s’entendre avec le chef de Lai-Châu présenté comme la clef du négoce du thé avec le Yunnan [Gaide : 271-272].
- 36 « Oh ! Le vieux pirate de Deo Van tri a bien choisi son repaire, et des construction toutes neuves (...)
49Mais tous les voyageurs n’étaient pas aussi pressés. Ðèo Văn Trì, tunique grise et pantalon blanc, leur faisait visiter la maison en pierres de taille où les quarante chiens de sa meute menaient bonne garde36. Puis venaient les écuries où s’alignaient les petits chevaux hauts de 1,20 m mais particulièrement endurants dont Ðèo Văn Trì était collectionneur. Survenaient alors les Hmong déversant la provende destinée aux cuisines du maître. Abondaient les cerfs, les poules sauvages et tout gibier de poil et de plume. Les agrumes géants étaient particulièrement appréciés et ébahissaient les Français. « Des gens du voisinage apportent des jarres de vin de riz. C’est le tribut habituel de chaque village après la moisson. Et tout ce monde circule sans bruit, salue le maître sans obséquiosité, se dirige vers l’intendant, règle ses affaires. » Sur ces entrefaites, arriva une de ces caravanes de 100 à 200 mulets faisant la liaison avec le Yunnan.
- 37 Pour une autre description de l’accueil à Lai-Châu lire aussi Lefèvre E. Dr, Un voyage au Laos, Pa (...)
50Puis c’est vers ses appartements privés que Ðèo Văn Trì dirigeait son invité. Cheminant parmi les sentences parallèles, il lui montrait les compartiments à la chinoise tout en longueur où vivait sa nombreuse famille, ses épouses, tai et vietnamienne, ainsi que sa progéniture entourée de serviteurs. « Tout ce petit monde est très soigné, très correctement et même coquettement attifé à la mode sino-européenne. » Dans son étonnement, Raquez poursuivait son raisonnement : à raison de deux séances annuelles de vaccination à Lai, les « nichées d’enfants se développent-elles avec entrain et la nécessité de nourrir la population croissante crée-t-elle au maître de gros soucis ». Chef avisé, bon père de famille, le personnage régnait sur un millier d’habitants rien qu’à Lai37.
- 38 Alfred Raquez, « Vers le Laos : Les Sip Song Chau Thai », Revue Indochinoise, (p. 1145-1171) p. 11 (...)
51Suivaient les excursions dans les environs : la source sulfureuse, la cascade à écho et le détour par l’inscription qu’autrefois l’empereur fit graver dans le roc. Les promenades alternaient avec les repas composés de riz gluant sur feuille de bananier que l’on mange avec la main, de bouc châtré à la chair savoureuse et surtout de produits de la chasse ; chevreuil, sanglier, ours ou perdrix. Au demeurant, cette activité cynégétique semblait le passe-temps préféré de la famille, des hommes s’entend. « Chez les Thaï, c’est la femme qui travaille, qui peine du matin au soir et du soir au matin. Le mari chasse, chante ou se repose le plus souvent possible et jamais assez à son gré. La tradition l’exige et il ne faut jamais rompre avec les bonnes habitudes. Telle est du moins l’opinion des hommes de la tribu38. » Mais les Tai blancs de Lai étaient assez peu Tai. Les hommes portaient le chapeau de feutre à large bord, façon Pavie, ou bien le « Cronstadt », ou enfin la calotte chinoise. Quant aux femmes, en la saison d’hiver, elles restaient drapées dans un large manteau de couleur sombre, pas de blanc donc. Ðèo Văn Trì se voulait chinois et le revendiquait car les « Tai blancs font de mauvais soldats ». Il était particulièrement loquace lorsqu’il s’étendait sur les origines de la piraterie, dit Lefèvre-Pontalis. Le passage de Tôn Thất Thuyết, accueilli dans sa maison de brique et menaçant de lui faire trancher la tête en formait le point d’orgue.
- 39 À la mort de son père Unkham, c’est Vacle, commandant supérieur du Haut Laos, qui lui avait remis (...)
- 40 Joseph Chevalier, Lettres du Laos et du Tonkin (1901-1903) : Lettre de Dien Bien Phu, 20 février 1 (...)
52Il arrivait que le visiteur fût véritablement un hôte de marque pour lequel un traitement un peu particulier s’imposait. Lorsque le souverain Laotien Khamsuk (Sakkarin), de passage à Hanoi pour l’exposition de 1903, décida de s’en revenir à Luang Prabang par Lai-Châu, le Quản-đạo lui dépêcha ses pirogues. Il se trouvait que le roi n’était autre que le fils d’Unkham (Oum Cam) dont il avait pillé la capitale en 188739. Le lieutenant Chevalier escorte le roi et décrit la scène, les palanquins et les chevaux, la magnificence du décorum et la crasse des villageois, l’entrevue du roi et du chef de Lai « plutôt froide mais excessivement correcte ». « Son excellence le Deo Van Tri, en hôte respectueux, a tenu à accompagner son royal visiteur jusqu’aux confins de son territoire, moins peut-être par respect pour son vieil ennemi d’antan que pour lui faire admirer le plus joli morceau de ses États : une fort belle plaine, un peu étroite peut-être mais très profonde, admirablement cultivée, semée partout de gros villages où des enfants jouent, où des chiens aboient, autour desquels paissent les grands buffles40. »
53Avant de quitter ses hôtes, il arrivait que Ðèo Văn Trì ait l’obligeance de les confier aux soins de son neveu pour la poursuite vers Ðiện-Biên.
54Il leur faisait de menus présents, des dents d’éléphant pour Lyautey ou des costumes de la contrée et, en retour, le prince d’Orléans, suivant le conseil de Pavie, lui offrit une carabine gros calibre pour les éléphants. L’invité, explorateur de profession qui devait réhabiliter les relations de voyage du père Huc à Lhassa, se félicitait de l’accueil reçu : « Il m’étonne même par la manière large dont il comprend la vraie hospitalité, on n’est pas accoutumé à des procédés semblables chez les Chinois. » [d’Orléans : 275.]
Un prince chez le seigneur de Lai
« Le lendemain, il nous rend visite. Au physique c’est un homme grand, gros, le nez légèrement épaté, les sourcils assez touffus, quelques poils au menton ; un tic lui fait cligner l’œil gauche. Au point de vue de la race, il n’a pas un type pur, nettement caractérisé ; c’est un Chinois mâtiné de Thaï, avec quelque chose du montagnard du Yunnan. Quelque origine que ses traits accusent, ils indiquent l’énergie, la volonté, une grande intelligence, et avant tout de la puissance, la conscience de sa force. J’ai vu bien des Orientaux et de toute espèce ; je ne me rappelle pas en avoir trouvé ailleurs un aussi Européen. Par Européen, je n’entends pas civilisé, mais je veux dire un homme qui comprenne aussi bien, souvent à demi-mot, ce qu’on veut lui dire, et qui sache répondre immédiatement ce qui est et ce qui n’est pas, ce qu’on peut faire et ce qu’il croit impossible, en un mot un Asiatique avec lequel on puisse aussi bien s’entendre, ou plutôt savoir à quoi s’en tenir. Car sûr et confiant avec ses amis, le personnage n’est pas toujours commode, et il est très malin. »
Henri-Philippe d’Orléans, Autour du Tonkin, Paris, Calmann Lévy, 1894, p. 274-275.
55Ce sens de l’hospitalité, sa faconde et ses manières de grand seigneur exotique pour les voyageurs occidentaux lui valaient sans coup férir quelques lignes dans les récits de voyage que, de retour en France, ils publiaient. Le prince d’Orléans le décrivait comme un chef féodal redouté, intelligent et prévenant, qui partait chasser précédé de sa meute pour régaler ses convives. « Chez le seigneur de Lai-Châu, ex-Pavillon Noir rallié, ami de Pavie », intitulait-on le chapitre. Le lecteur métropolitain était édifié à l’évocation des exploits guerriers du maître des montagnes puis rasséréné en apprenant que le redoutable chef de guerre était tout acquis à la France qu’il servait sans reproche. Les batailles des Đèo, l’épopée sur treize générations des seigneurs de Lai étaient contées aux voyageurs de passage comme elles l’avaient été aux émissaires français. Ils s’empressaient de les rapporter telles quelles. Ces textes publiés avaient enraciné les prétentions de légitimité des Đèo ; comment alors critiquer sans se dédire ? Conforté, le seigneur de Lai en rajouta en publiant en 1904 sa biographie dans la Revue indochinoise. Son récit fut traduit par les soins de son neveu Cam, ancien élève de l’École coloniale, et rédigé par Raquez. Le propos est clair, comme d’une leçon bien apprise qu’il ne fut pas même utile de retoucher. Il n’est jusqu’au fort sérieux dictionnaire de biobibliographie de Brébion et Cabaton qui reprenne sa fable.
- 41 Cf. Nguyễn Thế Anh, « L’image de la piraterie tonkinoise dans la littérature coloniale », in Denys (...)
56Affabilité, honorabilité, loyauté, Đèo Văn Trì se présentait sous son angle le plus avenant en ami de la France. Au travers des récits des voyages, il menait une véritable stratégie que parachevait son autobiographie. Son aura était connue dans la colonie mais ne le protégeait plus guère, restait à l’étendre en France. Les livres et revues servaient à édifier les nouveaux administrateurs lors du long passage sur le steamer des Messageries Maritimes les menant en poste. Avec une certaine intelligence, cette politique avisée ne faisait que répondre à des mythes propagés par la littérature coloniale. L’Indochine était alors le domaine de l’étrange, celui de la férocité et des voluptés, du supplice des mille couteaux, de l’amante exotique et de l’opium. Les « pirates » à la force brute dont la prescience confinait au surnaturel captivaient le lecteur41.
57Alors qu’en France, jouant de la fascination et de la répulsion, les romans faciles glosaient à l’envi sur les thèmes de la duplicité asiatique et de l’horreur, l’homme de Lai, et peut-être était-ce sa nature véritable, se posait en contre modèle : sans forfanterie ni affèterie, affichant tout au plus une certaine roublardise, nul ne s’avisait à taxer Ðèo Vãn Trì de fourberie ou de traîtrise. Les règles subtiles n’avaient pas cours dans ses montagnes et l’on y exécutait sans tourments, l’aventure y gagne ce que le mystère y perd, et on ne retrouvait rien de cette cruauté raffinée que l’on prêtait à l’Asie, de ces rites compliqués, aussi prenants qu’abscons au profane de l’Occident. Trì, le métis de Lai, par son allure ronde et massive, son allant et ses manières de hobereau, inspirait plutôt une crainte brute que tempéraient une bonhomie naturelle et une intelligence aiguë. Certes, la part du rêve restait présente : le yamen aux douze épouses, les chasses miraculeuses, les prétoriens et les populations dociles se conjuguaient au trafic de l’opium pour aguicher le lecteur. Ðèo Vãn Trì devait son indéniable prestige personnel à l’aventure, à son passé de « pirate » soumis faute d’être abattu, mais cette aura ne pouvait que s’éroder en temps de paix. Il restait pour ainsi dire un monument vivant à la gloire de la conquête, laquelle passait de mode, et plus encore un témoignage du génie de Pavie.
- 42 Dans son ouvrage publié en 1892, la description que Pouvourville donne du chef de Lai explique en (...)
- 43 J. H., « Souvenir de Ðèo Vãn Trì », Indochine hebdomadaire illustré, no 138, 1943, 2 p.
58Peut-être y a-t-il matière à faire de Ðèo Vãn Trì un personnage de roman. Mais ce récit, celui des chefs de guerre que combattirent les Français, était déjà écrit : c’est L’Annam sanglant d’Albert de Pouvourville, paru dans sa première édition en 1890 sous le titre De l’autre côté du mur. Inversant la perspective, l’auteur situe son récit du côté des Pavillons-Noirs et fait preuve d’une large connaissance du milieu humain. Lưu Vĩnh Phúc en est le héros grandiose et chevaleresque mais rien n’est dit du lieutenant qu’était Ðèo Vãn Trì et le rôle des troupes envoyées par les principautés montagnardes y est inexistant. Sans cesse réédité, le livre de Pouvourville reste la référence sur la geste des combattants. Les volumes de la mission Pavie ont donné du chef de Lai une image flatteuse, mais le véritable héros reste Pavie en explorateur exemplaire42. Il ne reste à Ðèo Vãn Trì que le rôle de soumissionnaire modèle qui le fit parfois surnommer « l’Abd-El-Kader de la Haute Région43 ».
- 44 Nàng Suôi ou Nàng Sýời, sur de Cầm Vãn Oai, fille de Nàng Hưõc (fille de Bun Kham) et de Vi Văn Ch (...)
- 45 « À titre documentaire, il l’a attachée vivante, fait jeter dans la rivière Noire, et lorsque le c (...)
- 46 Cf. Ðặng Nghiêm Vạn, Cầm Trọng, Khả Vãn Tiến, Tông Kim Ân, Tư liệu về Vãn hóa và lịch sử người thá (...)
59Pour conclure, cette image lissée ne doit pas masquer que Ðèo Vãn Trì était un homme de guerre, et même si ce n’est pas le propos de ce livre, que le sang coule abondamment. Les morts violentes sont aux détours de tous les dossiers d’archives et même de l’arbre généalogique. Ces morts, ce sont d’abord les justiciables, Tai ou Hmong, pour des questions d’argent, de pouvoir ou de sorcellerie présumée. Viennent ensuite les adversaires, ennemis chinois, contrebandiers récalcitrants, Tai noirs mal intentionnés et les infortunés Đèo de Phong-Thổ. Enfin, émergent à mots couverts des spectres dans la famille même. Nàng Suôi44, fille du tri-châu de Mai-Sơn Cầm Văn Thanh, connut une fin tragique. Son père avait été dépossédé de son mường par le chef de Lai-Châu qui y installa son frère Cầm Hân. Nàng Suôi épousa Ðèo Vãn Trì en qualité de femme de 2e rang (c’est sa 5e ou 6e épouse). Puis Cầm Hân fut rappelé à Lai-Châu sur ordre des Français et le châu de Mai-Sơn échappa à l’orbite du clan Đèo pour revenir au clan Cầm. Cầm Văn Oai, fils de Cầm Văn Thanh, lui succéda comme tri-châu puis bố-chánh de Mai-Sơn. Peut-être Nàng Suôi en paya-t-elle le prix. Les écrits les plus pudiques nous disent que Ðèo Vãn Trì la fit jeter dans la rivière Noire enfermée dans un sac45. Ceci nous éclaire sur la nature peu amène des rapports entre les Tai blancs de Lai et les Tai noirs de la province de Sơn-La. Cette rancune perdura pendant toute la période coloniale puisque en 1930 le bố-chánh de Mai-Sơn, Cầm Văn Oai (fils de Cầm Văn Tang) se trouvait être le neveu de la défunte46.
L’École coloniale
- 47 Voir la notice biographique sur A. Pavie dans Académie des Sciences d’Outre-mer, Hommes et destins (...)
- 48 Brébion et Cabaton, dans leur notice sur Ðèo Vãn Trì p. 111-112, indiquent : « En 1891, il confia (...)
60On se rappelle que la création de l’École coloniale a été une initiative de Pavie47. Dès leur première rencontre, il proposa à Ðèo Vãn Trì d’y envoyer des jeunes de sa famille. Puis, par l’entremise du Gouverneur général Lanessan, Pavie obtint les moyens désirés et quatre des neveux Đèo partirent en France en juin 189148. Trois ans plus tard, Ðèo Vãn Trì remercia Lefèvre-Pontalis pour les soins dont, à Paris, il entourait le premier contingent de ses neveux Khanh, Kheu, Tao et Phoi. « Quand sa mort survint en 1908, il [Ðèo Vãn Trì] entretenait à l’école en France, depuis 18 ans un groupe de ses fils et de ses neveux toujours renouvelé de trois en trois ans. » [Pavie 1921 : 351.]
- 49 Le Journal officiel de l’Indochine reproduit l’arrêté du 19 août 1904 signé du Gouverneur général (...)
61Parmi ceux qui firent le voyage de Paris, citons les neveux Thai et Kiêm qui arrivèrent en France pour septembre 1891, puis ce furent les deux fils Long (de 12 à 23 ans) et Mun, puis enfin le neveu Khang en 190449. Le courant se tarit alors et lorsque Ðèo Vãn Khang, fils aîné de Ðèo Vãn Trì envisagea également d’aller à l’École coloniale (1903), il fut poliment éconduit aux prétextes que, trop âgé, il ignorait le français. En 1910 le même Khang, devenu Quản-đạo, demanda à y envoyer son fils aîné Ðèo Vãn Đinh âgé de 12 ans (lequel décéda en France en 1917) ainsi que son cousin Khang 10 ans. À la mort de Ðèo Vãn Trì, deux de ses fils, Long et Mun, 18 et 20 ans étaient à Paris.
- 50 Cf. Charles Fourniau, Trịnh Văn Thảo et alii., Le contact colonial franco-viêtnamien, le premier d (...)
62La création de la Mission permanente indochinoise avait compté parmi les premières mesures qui annonçaient la nouvelle politique d’association. Elle permettait chaque année à une vingtaine de fonctionnaires indigènes, vietnamiens, laotiens et surtout cambodgiens, de partir en métropole durant quelques mois afin d’y étudier la civilisation française. Les places étaient chères, les candidats triés sur le volet et, du reste, il n’y eut que trois voyages : 1906, 1907 et 190850. Ainsi l’envoi systématique des rejetons du chef de Lai-Châu ne pouvait durer en l’état hors l’influence d’une protection parisienne.
63Tant que Pavie garda quelque emprise, les enfants de la famille partaient pour l’École coloniale ou l’École Nogent. Le diplomate leur tenait lieu de père de substitution et se faisait photographier avec eux. De qui vint l’initiative, de Pavie ou de Ðèo Vãn Trì ? Nous n’en savons rien. Le premier avait déjà initié le mouvement avec des Cambodgiens venus étudier à Paris ; le second, peut-être acquis à l’idée, ne pouvait manquer d’y voir un geste un peu semblable avec celui qui, dans son enfance, l’avait mené à Luang Prabang et avant lui son père Ðèo Vãn Seng à Hanoi entre 9 et 16 ans [Pavie IV : 295]. Ce n’était certes pas la reconduction de la vieille pratique des otages envoyés comme garants auprès du suzerain, un peu comme Cầm La l’avait été par les Siamois, mais il faut reconnaître que cela y ressemblait fort. Il fallait à Ðèo Vãn Trì une forme particulière de prescience pour imaginer, en sortant du cadre de pensée modelé par les rapports de force qui était le sien, que l’amitié de Pavie lui offrait une opportunité supplémentaire d’élargir la gamme de ses accointances.
- 51 Cet homme d’exception, qui parlait vietnamien, chinois, cambodgien, anglais et allemand finira par (...)
64Qu’apprenait-on à l’École coloniale ? À gérer les « affaires indigènes » dans le cadre de « l’action civilisatrice » de la France. Les recrutés français, formés en trois ans aux subtilités des rouages administratifs, à l’économie coloniale, à l’hygiène tropicale et aux langues étrangères, étaient voués à devenir les missionnaires de la République dispensateurs du credo colonial. L’École était divisée entre sections métropolitaine et indigène, les élèves de la première trouvaient des répétiteurs de langue dans la seconde. Les membres de la section indigène, eux, devaient de surcroît ingérer les bases du mode de penser français. En sus de la formation proprement dite et d’une pratique courante du français, entrer à l’École coloniale permettait de se créer des amitiés utiles. La fine fleur des administrateurs qui gouverna l’Indochine après 1910 y avait été formée, tel Jules Bosc, redouté chef de la lutte contre les nationalistes vietnamiens. Les enfants du clan Đèo n’ont pu manquer de les croiser, mais en ont-ils usé ? Pour Jean Przyluski51, autre chef de la sûreté, le fait est avéré, il côtoyait les Đèo [Morlat 1995 : 34]. Mais dans les événements survenus ultérieurement rien n’indique que les enfants Đèo étaient parvenus à se créer de profitables réseaux d’entraide parmi leurs anciens camarades.
Pavie et les enfants de la famille Đèo ; (de gauche à droite) Đèo Chinh Kiêm, futur gendre de Ðèo Vãn Khang, Ðèo Vãn Long et Ðèo Vãn Mun, fils de Ðèo Vãn Trì, (assis) Ðèo Vãn Dinh, fils de Ðèo Vãn Khang et petit-fils de Ðèo Vãn Trì. ANOM Dossier Bride
- 52 Rapport politique (activité de certains parents de Ðèo Vãn Trì, etc.) et économique annuels et men (...)
65Ce faisant, une fine connaissance de la machine administrative française permettait de jouer des arcanes de la loi française et, à l’occasion, d’opposer les administrations entre elles. La francophonie des membres de la famille revenus de Paris, leur façon de s’habiller à l’européenne, portant costume, casque et cravate, déplaisaient aux différents administrateurs formés au cadre strict du rapport avec l’« indigène ». Le paysan Tai ou bien le chasseur Hmong retenait leur préférence, car lui au moins était aisé à situer, son destin tracé et les rapports prédéterminés. En somme, malgré les apparences, les Đèo « retour de France » étaient trop asiatiques dans leur mode de gouvernement, et pas assez francisés dans le respect de la loi apprise sur les bancs de la République. L’envoi en métropole des fils adoptifs de Đèo Văn Trì était un échec. Afin de remédier à l’absence totale d’enseignement, deux d’entre eux avaient été nommés instituteurs de Lai-Châu mais, s’ils en percevaient les émoluments, ils n’exerçaient pas leurs fonctions. « Quant aux jeunes gens envoyés à grands frais en France, revenus ici, à part celui employé à Điện-Biên-Phủ, ils ne font absolument rien et répugnent à tout travail52. »
66Le temps passant et l’étoile de la famille pâlissant, les enfants Đèo furent dirigés vers des établissements plus modestes, collège du Protectorat ou école professionnelle de Hải-Phòng. Les raisons invoquées étaient économiques, dont ne sauraient être dissociées les implications politiques qui les sous-tendaient. Le clan Đèo n’avait plus vocation à tenir de fonction importante après la mort de Ðèo Vãn Trì et la retraite de Pavie. Pour les autorités coloniales, son pouvoir devait être amoindri et non promu par la formation en France des nouvelles générations. Du reste, c’est souvent parmi les membres de la famille ayant voyagé en Europe que les Français rencontraient les plus fortes têtes. Ðèo Vãn Long, le premier, alternait un discours cartésien et des pratiques de satrape. Quant à son demi-frère, l’appréciation était de la même eau : « Il semble réellement que M. Mun qui a passé 6 ans en France, où il a suivi les cours de l’École coloniale, n’ait pris chez nous que l’esprit nécessaire pour mieux abuser de notre confiance et dépouiller avec moins de risque les indigènes. » [Rapport Roux : 8.]
67De prime abord, sans abdiquer une once du tempérament familial, les anciens Parisiens ramenèrent des goûts occidentaux et, surtout, une connaissance de l’intérieur des rouages administratifs. La force de Ðèo Vãn Trì, et dans une moindre mesure de ses successeurs, fut de savoir jouer des dysfonctionnements de l’administration, de l’antagonisme des services, de la disparité des missions civiles et militaires, ainsi que de pouvoir tabler sur la rotation des effectifs, remettant de la sorte les compteurs à zéro à chaque nouvel administrateur.
L’homme providentiel en son contexte
- 53 Dominique Collin, « Attila passe, l’herbe repousse », L’Agora, automne 1999, « La résilience », in (...)
68Dans la Haute région, où la vulnérabilité des sociétés Tai et de leur halo minoritaire avait été démontrée, cette capacité des acteurs locaux à poursuivre un mode de vie presque inchangé dans un environnement les soumettant à des contraintes multiples tient d’une « résilience » dont les termes ne furent qu’à peine abordés. Si ce mot traduit la résistance des matériaux à la pression, il peut, par extension, signifier la capacité de récupération ou de régénération d’un organisme. Dans le cas qui nous intéresse, il s’agirait de définir la capacité du groupe à mettre en jeu des mécanismes adaptatifs complexes lui permettant dans un premier temps d’élaborer des stratégies de survie dans un contexte difficile, de surmonter le choc et de redéfinir une normalité propre à son développement. Celui-ci ne se situe pas totalement dans la droite ligne d’une tradition immuable mais prend la mesure d’un environnement dynamique où interagissent des acteurs nouveaux pour forcer une adaptation vers un point d’équilibre. « Il s’agit maintenant d’une réaction d’un système qui met en jeu des contre-forces tenues en réserve pour refaire l’équilibre brisé ; forces qui modifient l’environnement de manière à préserver les conditions favorables au maintien des structures53. »
69La déstructuration du territoire par les Pavillons-Jaunes constituait-elle un traumatisme durable, comme le disent certains textes, ou une simple péripétie comme le suggère l’énoncé des invasions telles que les annales les ont enregistrées ? Ici, le processus de survie est tout d’abord marqué par une désertification des campagnes. Face aux Pavillons-Jaunes, les populations trouvèrent refuge sous le couvert des forêts, voir au Laos. Un processus identique avait eu lieu au Laos lors de la poussée siamoise de 1840. Dans le delta du fleuve Rouge, un reflexe similaire est noté par les troupes françaises dont les colonnes de « pacification » ne frappaient que le vide. Puis dans un second temps, en l’occurrence un intervalle assez court d’un an, survint la soumission, aux bandes chinoises d’abord, aux Français par la suite. Là, les Tai firent preuve d’une absence de résistance notoire quand les Kinh du delta rendirent la tâche beaucoup plus ardue aux troupes occidentales. Il est plus difficile de s’interroger sur cette docilité devant l’exercice de la force exercée par les envahisseurs. L’absence de tradition guerrière est souvent évoquée, tout comme l’est la parcellisation des micro-pouvoirs des mường, peu aptes à s’unir et à faire front commun.
70Une autre explication avancée tient à la nature même du territoire et aux enseignements des siècles passés. Jamais une opération militaire n’avait duré plus de six mois et les rares postes qui y furent installés n’avait pas fonctionné plus de deux années. Les conditions de vie propres à la Haute région restaient encore la meilleure garantie que les nouveaux venus s’en retourneraient. Il suffisait, en somme, de laisser passer l’orage. La soumission des clans s’opérait donc dans un premier temps par une astuce simple consistant à préserver de toute compromission le chef de clan, détenteur d’une véritable légitimité, pour laisser un temps la représentation de façade à un membre de la famille de rang subalterne. Cependant, cette stratégie attentiste ne fonctionnait que si la structure n’était pas affectée en soi, que les populations s’en revenaient, que les chefs de clan restaient en vie, que la présence des étrangers ne perturbait pas durablement le travail des champs et autorisait ainsi une reconstitution à l’identique de la charpente sociale. Plus encore, et puisque jusque-là les envahisseurs n’étaient que laotiens ou vietnamiens, on sous-entendait que ces derniers partageassent des valeurs communes, c’est-à-dire la préservation de principautés vassales.
71Force est de constater que l’arrivée des Pavillons-Jaunes, constitués en bandes et vivant sur le pays avait bouleversé les données. Ils restèrent sur place pendant plusieurs années, éliminèrent physiquement les chefs de clans et lièrent des alliances de circonstance avec d’autres qui ne reproduisaient pas les conditions de sécurisation du pouvoir. L’effacement du pouvoir traditionnel de 1875 à 1886 tient tout entier dans l’impossibilité des chefs de clan à susciter une réponse alternative à l’obédience tributaire et protectrice qui avait fonctionné jusqu’alors. Seuls ceux qui usaient d’un schéma compréhensible par les Pavillons-Jaunes, et donc l’opposition armée ou la menace de celle-ci, purent tirer leur épingle du jeu.
72À propos de cette capacité à triompher de l’adversité, notons que Ðèo Vãn Trì, mieux que d’autres, disposait d’un talent supérieur à se dégager des contingences habituelles pour inventer des solutions de survie en utilisant les ressorts éprouvés de la mise en scène d’une normalité qui n’en était pas une mais dont l’argumentaire, mêlant les concepts de tradition, de loyauté et d’efficacité, s’inscrivait dans l’image du féodal que l’autre (le Français) attendait. Lui seul pesait les risques et le poids des protections qu’il alliait à une parfaite connaissance du milieu. Il faut faire la part du tempérament propre à un individu qui, dans le cas présent, ne saurait être imputable à l’expression d’une mentalité collective. Ce n’est qu’au terme de ce questionnement que nous pourrons définir si les Français ont perpétué un ordre ancien ou bien ont contribué à sa recréation, biaisée d’abord, idéalisée ensuite.
Notes
1 Une photographie de cette pagode se trouve dans Guillemet et O’Kelly, En colonne dans le Haut Laos, p. 57 bis.
2 N’étant pas linguiste, je renvoie à la communication de Michel Ferlus, « L’intérêt linguistique du Hưng Hóa Kí Lược (monographie de la province de Hưng-Hóa) de Phạm Thận Duật », dix-septième journée de linguistique d’Asie orientale, Paris, EHESS-CNRS, 26-27 juin 2003, 13 p.
3 Parlant des Ðèo de Lai-Châu, voila ce qu’en disait Gaspardone : « il est tentant de préciser la filiation d’une famille qui semblait elle-même avoir perdu le souvenir exact de ses origines et dont l’ambition se bornait à se faire une vague ascendance chinoise. » : Émile Gaspardone, « Annamites et Thai au xve siècle », Paris, Journal Asiatique, 1939, (p. 405-436) p. 418.
4 Notice individuelle sur Ðèo Văn Trì par le Lt Jacob, Lai-Châu, 31/12/1894 : ANOM 13 PA 1, dossier Bride.
5 Journal du séjour à Lai-Châu de Lefèvre-Pontalis 1-17 avril 1890 : ANOM GGI 14347.
6 ÐNTL, xix, t. 28, p. 460, 10e mois 1858.
7 ÐNTL, xxviii, t. 30, p. 38, 10e mois 1863. Il nous faut signaler une incohérence des textes, et plus probablement de la traduction en vietnamien qui donne Ðiêu Văn Xanh comme thổ-tri-phủ de Lai-Châu alors qu’il n’est que thổ-tri-châu. Au vu du contexte, et sachant que Ðiêu Văn Xanh ne fit fonction de tri-phủ qu’en 1875 comme l’indiquent les brevets en annexe, nous rétablissons.
8 ÐNTL, xxviii, t. 30 p. 38, 10e mois 1863.
9 ÐNTL, xxv, t. 31 p. 50, 7e mois 1866. Les quatre circonscriptions en question sont le canton d’An-Tây au Bình-Ðịnh et les préfectures de Cam-Lộ au Quảng-Trị, Trấn-Ninh au Nghệ-An et Ðiện-Biên au Hủng-Hóa.
10 ÐNTL, xl, t. 31 p. 330, 4e mois 1869.
11 ÐNTL, xli, t. 31 p. 373, 9e mois 1869.
12 Le Dr Guillemet et le Capitaine O’Kelly estiment, d’après leur propre interprétation du Ðại-Nam Thực Lục que : « Ce fut seulement vers le milieu du règne de Tự-Ðức que les bandes de Lư et de Chinois conduites par Ðèo Văn Trì commencèrent le pillage de tout le pays Thaï. En 1869, Ðèo Văn Trì s’en empara, et mit à mort le préfet annamite Nguyễn Viên Ngộ ; il y resta deux ans et n’en fut chassé qu’en 1871. » : En colonne dans le Haut Laos, p. 381.
13 ÐNTL, lxi, t. 34, p. 225-228, 4e mois 1879.
14 Le Ðại Nam nhất thống chí nous donne Cầm Nhân Xạ (originaire du châu de Phù-Hao) et Lí Ðình Lập (originaire du trấn de Hải-Dưõng) : ÐNNTC, xxii, t. 4, Notice sur le châu de Ninh-Biên de la province de Hưng-Hóa, éd. Thuận-Hóa, 1997, p. 292.
15 ÐNTL, lxiii, t. 34, p. 351-352, 5e mois 1880.
16 ÐNTL, lxiv, t. 34, p. 366, 8e mois 1880.
17 ÐNTL, lxviii, t. 35, p. 135-136, 6e mois 1882.
18 Bien sûr, nous ne disposons pas des brevets originaux, mais tout au plus et dans ce cas précis, d’une transcription du Hán-Việt sans les tons ainsi que d’une traduction très imparfaite toutes deux annexées au mémoire de Chabant. Je livre donc ici une traduction de travail. « Conformément à ce qu’en tous lieux des seize châu de la province de Hưng-Hóa on nous rapporte : Ðèo Văn Chưõng (Ðèo Văn Seng) préfet (tri-phủ) de Ðiện-Biên-Phủ est l’homme capable d’entraîner les notables et la population locale, de prendre en charge la résistance contre les ennemis français. Exprimant sa volonté de protéger le pays, homme d’expérience et aguerri, il peut officier comme Grand envoyé (Ðại-sứ). Par la présente, il est nommé par le ministre (Thưõng thư) chef du service des Rites (Hồng-Lô Tự-Khanh) en tant que Commissaire de pacification aux frontières (Tuyên-phư-sứ) des seize châu de Hưng-Hóa en charge de la défense des confins. S’il s’en montre digne, il sera récompensé en conséquence. Que les générations suivantes héritent de ce privilège sans dévier. À compter de ce jour, il prendra les mesures qu’il jugera nécessaires. Tant que dureront les troubles, le Commissaire de pacification aux frontières commandera à sa convenance toutes les opérations militaires. Lettre royale en date du 6e jour du 1er mois de la 2e année de Hàm-Nghi (mars 1886). » : Chabant, Esquisse géographique et historique des Hauts-Pays du Nord-ouest du Viêt-Nam. 1951, cf. annexe.
19 Léon Vandermeersch, « Un vrai faux édit de l’empereur Ham Nghi », Bulletin de l’association française des amis de l’Orient, no 40, hiver 1995, p. 4-5.
20 J. Chesneaux, Contribution à l’histoire de la nation vietnamienne, Paris, Éditions Sociales, 1955, p. 136.
21 Relevé des cachets, ANOM, amiraux, 14347, mission Pavie, annexe 2.
22 Ce nom Lưu Ta-yen doit être compris comme Liu Daren, soit en chinois « le grand homme Liu », le chef, le maître, une expression en vogue à l’époque chez les chefs de bande chinois.
23 Tien-vai = Chiêng Vai, « ville où l’envahisseur a été chassé », soit Mường-Lai.
24 Édouard Diguet, Étude de la langue Thai, précédée d’une notice sur les races des hautes régions du Tonkin, comprenant grammaire, méthode d’écriture Thai et vocabulaire, Hanoï, Schneider, 1895, (192 p.) p. 16.
25 Malgré de patientes recherches, ce rapport commandé à l’EFEO sur Ðèo Văn Trì n’a pu être localisé ni dans les archives de l’École, ni dans le dossier individuel de Ðèo Văn Trì aux archives du Vietnam, ni aux ANOM.
26 Alain Fiorucci, « Les Vũ de Mộ-Trạch, leurs origines et leurs pratiques matrimoniales : essai de définition de la parenté au Vietnam traditionnel », in P. Papin, O. Tessier (éd.), Le village en questions, EFEO Hanoi, 2002, (740 p.) p. 249-304.
27 Le mémoire de Muong Lai remis à Pavie précise que Ðèo Vãn Seng avait traité avec Luang Prabang et qu’il bénéficiait d’une reconnaissance de son pouvoir sur les Tai de la rivière Noire en échange d’un tribut triennal de 33 taëls d’argent et d’un cheval. Toutefois, nous l’avons dit, il semble que très tôt, par la faiblesse de Luang Prabang, cet accord perdit sa raison d’être.
28 Cf. Pierre Grossin, Notes sur la province de Cammon (Laos), Hanoi, I.D.E.O, 1933, (79 p.) p. 58.
29 Deporte, « Les origines de la famille de Dèo-Van-Tri », Bulletin des amis du Laos, vol. 4, 1940, (p. 65-94) p. 91-92.
30 Timbre dessiné et gravé par Achille Ouvré à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Pavie, émis à deux millions d’exemplaires en 1947.
31 Pavie, dans un inédit récemment publié probablement rédigé avant la rencontre avec Ðèo Văn Trì, est même assez laudatif à l’endroit du quan Phòng et soutient qu’il s’agit du meilleur choix. « Aujourd’hui que le résultat a dépassé les espérances, on ne rend peut-être pas une justice suffisante au rôle qu’a joué celui que nous avons nommé Quan-Phuong ; cela précisément à cause de la récompense forte que nous lui avons donnée. » « Ce qu’est la région comprise entre la rivière Noire, l’Annam, le Yunnan et le Laos au point de vue ethnographie, physique et politiques. » Inédit d’Auguste Pavie édité par Geoffroi Crunelle, Péninsule, 23, 1991 (2), (47 p.), p. 12 note 5.
32 La correspondance de Pavie a été versée aux Archives nationales d’Outre-mer à Aix-en-Provence, Papiers Pavie, 46APC/1.
33 Alfred Raquez (1865-1907), journaliste, écrivain et photographe, a parcouru les territoires de l’Indochine et de Chine pendant plus de sept ans. Ancien polémiste de l’Écho de Chine, il fut chargé de faire revivre le périodique Excursions et Reconnaissances qui trouva une nouvelle jeunesse sous le nom de Revue Indochinoise. Bénéficiant d’un entregent considérable, il fut nommé correspondant de l’École française d’Extrême Orient en 1906 et présenta une communication sur « Le Laos, silex et bronzes, Anthropologie et Ethnographie » au 13e congrès d’ethnologie de Monaco en avril de la même année. C’est sur le Laos qu’il laisse une documentation abondante et sa collection de photographies (3 000 plaques de verre), éditée en six albums, est une des plus riches de son époque. (La collection Raquez éditée par les Imprimeries Réunies de Nancy). Retrouvé mort à Marseille dans des circonstances restées obscures, variole foudroyante, empoisonnement ou suicide, il est l’auteur des Pages laotiennes, Hanoï, FH Schneider, 1902, 537 p.
34 « À Phong-Tho nous attendent le cinquième frère et le neveu de Deo-van-Tri que le Quan-Dao, notre vieil ami, a envoyés à notre rencontre. Ils logent chez le chef de canton actuel, Deo-van-Phu, dont Deo-van-Tri lui-même a fait décapiter le père, Deo-van-Toa. C’était en 1886 […] Dix-huit ans se sont écoulés depuis lors. La réconciliation s’est faite, récemment, entre les deux familles et le frère de l’exécuteur vide avec le fils du décapité la coupe de vin de riz au bouquet excitant. » : Alfred Raquez, « Vers le Laos : Le long de la frontière de Chine », Revue Indochinoise, no 15, août 1905, (p. 1053-1076) p. 1063.
35 Joseph Chevalier, Lettres du Laos et du Tonkin (1901-1903), Paris, L’Harmattan, 1995, 229 p. : Lettre datée Laichau, 15/2/1903, p. 241.
36 « Oh ! Le vieux pirate de Deo Van tri a bien choisi son repaire, et des construction toutes neuves, de style militaire, en brique, qui mettent une tache blanche parmi tout le jaune des paillotes, laisseraient croire que le vieux brigand n’a peut-être pas tout à fait renoncé à tenir la brousse, et qu’avec l’argent français il a su se préparer en cas d’accident une solide retraite dans ces trois ou quatre bastions qui dominent trois rivières, trois vallées. » : Joseph Chevalier, Ibid. – Lettre de Laichau, 15/2/1903, p. 240.
37 Pour une autre description de l’accueil à Lai-Châu lire aussi Lefèvre E. Dr, Un voyage au Laos, Paris, Plon, 1898, 304 p.
38 Alfred Raquez, « Vers le Laos : Les Sip Song Chau Thai », Revue Indochinoise, (p. 1145-1171) p. 1152.
39 À la mort de son père Unkham, c’est Vacle, commandant supérieur du Haut Laos, qui lui avait remis la couronne le 14 juillet 1896.
40 Joseph Chevalier, Lettres du Laos et du Tonkin (1901-1903) : Lettre de Dien Bien Phu, 20 février 1903, p. 242.
41 Cf. Nguyễn Thế Anh, « L’image de la piraterie tonkinoise dans la littérature coloniale », in Denys Lombard (éd.), Rêver l’Asie. Exotisme et littérature coloniale aux Indes, en Indochine et en Insulinde, Paris, EHESS. 1993. Voir aussi l’ouvrage du Colonel Frey, Pirates et rebelles au Tonkin, Paris, 1892.
42 Dans son ouvrage publié en 1892, la description que Pouvourville donne du chef de Lai explique en partie qu’il ne lui ait point servi de modèle. « Les Méos, trompés comme nous par la duplicité du quanphong, se liguèrent sous le commandement du plus ancien d’entre eux, Camhôm appelé communément Deovantri ; c’était un personnage replet, podagre, timide et pacifique, peu fait pour le rôle d’un chef de révoltés, et qui n’avait d’autre avantage que l’héritage féodal du nom. » : Pouvourville, Le Tonkin actuel 1887-1890, Paris, 1891, p. 154.
43 J. H., « Souvenir de Ðèo Vãn Trì », Indochine hebdomadaire illustré, no 138, 1943, 2 p.
44 Nàng Suôi ou Nàng Sýời, sur de Cầm Vãn Oai, fille de Nàng Hưõc (fille de Bun Kham) et de Vi Văn Chồm (qui prit le nom de Cầm Văn Thanh et devint tri-châu). Pour une généalogie du clan Cầm du châu de Mai-Sơn, voir AVN RST 68987 table généalogique des quan de la province de Sơn-La. Je remercie à cette occasion Emmanuel Poisson qui a bien voulu me communiquer ses notes personnelles.
45 « À titre documentaire, il l’a attachée vivante, fait jeter dans la rivière Noire, et lorsque le corps apparaissait à la surface on tirait des coups de feu ou le faisait disparaître sous l’eau à coups de lances. » : Note au crayon papier – ANOM 13 PA 1, Dossier Bride, inspecteur des affaires politiques du Tonkin.
46 Cf. Ðặng Nghiêm Vạn, Cầm Trọng, Khả Vãn Tiến, Tông Kim Ân, Tư liệu về Vãn hóa và lịch sử người thái, p. 166.
47 Voir la notice biographique sur A. Pavie dans Académie des Sciences d’Outre-mer, Hommes et destins, t. vi, Asie, p. 322-326.
48 Brébion et Cabaton, dans leur notice sur Ðèo Vãn Trì p. 111-112, indiquent : « En 1891, il confia quatre de ses jeunes parents à Pavie qui les amena à Paris où ils entrèrent à l’École coloniale. »
49 Le Journal officiel de l’Indochine reproduit l’arrêté du 19 août 1904 signé du Gouverneur général Beau : « Article premier. – Seront envoyés en France pour y être admis comme interne à l’École Coloniale et y poursuivre leurs études les quatre jeunes Thai dont les noms suivent : Deo-van-Long, âgé de 18 ans ; Deo-van-Muu, âgé de 15 ans ; Deo-van-Thai, âgé de 22 ans ; Deo-chinh-Kiem, âgé de 15 ans. »
50 Cf. Charles Fourniau, Trịnh Văn Thảo et alii., Le contact colonial franco-viêtnamien, le premier demi-siècle, 1858-1911, Publication de l’Université de Provence, 1999, p. 227.
51 Cet homme d’exception, qui parlait vietnamien, chinois, cambodgien, anglais et allemand finira par faire bifurquer sa carrière vers l’École des langues Orientales, l’EFEO et l’EPHE avant le Collège de France.
52 Rapport politique (activité de certains parents de Ðèo Vãn Trì, etc.) et économique annuels et mensuels de la province de Lai-Châu 1913-1914 : AVN RST 81546.
53 Dominique Collin, « Attila passe, l’herbe repousse », L’Agora, automne 1999, « La résilience », index no 0042. http://www.agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Resilience.
54 La revue d’archéologie Những phát hiện mới về khảo cổ học năm, 1998, p. 483-485 indique, sous la plume de Nguyễn Mạnh Cường et Lò Thị Quế, « Khu di tích Ðèo Vãn Long (Thị xã Lai Châu) », que la tombe de Ðèo Vãn Trì et trois autres sépultures du clan sont toujours présentes en contrebas des ruines du palais de Ðèo Vãn Long dans ce qui est maintenant un jardin. Issues des anciens fonds de l’EFEO, des photographies d’époque de ces tombes de pierre, aux inscriptions en thaï, en caractères chinois et en français, sont conservées dans les collections de l’Institut d’information de l’Académie vietnamienne des sciences sociales. Une visite sur place de Matthew Dèo a permis de prendre quelques clichés. Sur une pierre tombale est inscrit en substance « sépulture d’une mère, dame vénérable et admirable ». La tombe donnée pour celle de Ðèo Vãn Seng porte exclusivement des mentions en caractères chinois dont une sentence principale, incomplètement relevée qui, en une traduction forcément approximative car lacunaire, nous donne « mon père Ðiêu l’ancien de son nom posthume Vãn Bão, de son nom de plume Nho Sõ, élevé par la Cour à la dignité de Phụng chính đại phụ, qui connut l’heur de parvenir à un grand âge ».
Table des illustrations
Légende | Đèo Văn Trì, Mission Pavie v : 192. |
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URL | http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/24447/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 92k |
Légende | Sceaux de Ðiện-Biên-Phủ, le grand et le petit21 |
URL | http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/24447/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 139k |
Légende | Đèo Văn Trì (Mission Pavie II : 115). |
URL | http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/24447/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 174k |
Légende | Pavie et les enfants de la famille Đèo ; (de gauche à droite) Đèo Chinh Kiêm, futur gendre de Ðèo Vãn Khang, Ðèo Vãn Long et Ðèo Vãn Mun, fils de Ðèo Vãn Trì, (assis) Ðèo Vãn Dinh, fils de Ðèo Vãn Khang et petit-fils de Ðèo Vãn Trì. ANOM Dossier Bride |
URL | http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/24447/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 148k |
Légende | Tombeau de Đèo Văn Seng. Photothèque de l’Institut d’information de l’Académie vietnamienne des sciences sociales du Vietnam, cliché no B958GG54. |
URL | http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/24447/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 298k |
Légende | Tombeau de Ðèo Vãn Trì. Photothèque de l’Institut d’information de l’Académie vietnamienne des sciences sociales du Vietnam, cliché no B959GG. |
URL | http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/24447/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 274k |
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