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Fonction des contenants et des outils en céramique

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Julien Vieugué

Conclusion et perspectives

Texte intégral

1Les recherches entreprises sur la fonction des plus anciennes productions céramiques de Bulgarie (6100-5600 av. J.-C.) ont montré combien les utilisations de la poterie et de l’outillage sur tesson étaient diversifiées au début du Néolithique. Les récipients en terre cuite ont, ainsi, été impliqués dans plusieurs activités culinaires ou techniques : stockage, préparation, présentation et consommation d’aliments, broyage de substances, cuisson de viandes ou encore transformation de poudre d’os. Les tessons recyclés en outils ont, quant à eux, participé à diverses tâches techniques : montage de céramiques, assouplissement de peaux, confection de fils, transformation d’ocre, découpe de matériaux ou encore polissage d’objets en os.

2Outre le spectre d’utilisation des poteries et des outils sur tesson, les travaux conduits sur la fonction des plus anciennes productions céramiques de Bulgarie ont révélé l’existence de normes régissant leur usage pratique. La cuisson des denrées a, par exemple, été souvent réalisée dans des vases à paroi épaisse et à surface externe barbotinée (Vieugué, 2012). Le montage des céramiques a généralement été œuvré à l’aide d’une estèque utilisée en surface interne des récipients en terre cuite (Vieugué et al., 2010). Or, de tels principes reflètent certaines des habitudes alimentaires et techniques partagées par les premières communautés néolithiques de Bulgarie.

3En s’appuyant sur la datation relative des sites établie à partir des décors céramiques (Salanova et al., sous presse), les recherches ont montré la relative stabilité chronologique des usages de la poterie et de l’outillage sur tesson. Les principales classes fonctionnelles de récipients en terre cuite identifiées dans le Néolithique ancien de Bulgarie (6100-5600 av. J.-C.) sont présentes du début à la fin de l’occupation des sites. Elles incluent notamment les vases de stockage, les pots de cuisson, les céramiques de broyage et les vaisselles de présentation et de consommation (Vieugué, 2014). Celles des outils aménagés sur fragments de poterie perdurent aussi. Estèques, fusaïoles et jetons sont attestés dès lors que le recyclage de tessons est massivement pratiqué par les populations néolithiques (5900-5600 av. J.-C.).

4Si le spectre d’utilisation des productions céramiques montre une relative stabilité chronologique, il présente en revanche de fortes disparités géographiques. Plusieurs classes fonctionnelles de poteries présentes en Bulgarie sont, par exemple, absentes de Grèce. Il s’agit, en l’occurrence, des vases impliqués dans le stockage massif des denrées (Vitelli, 1989; Björk, 1995), le broyage de substances et la préparation ou la consommation collective des mets. À l’inverse, quelques gammes fonctionnelles de pots identifiées en Thessalie n’existent pas dans le sud-ouest de la Bulgarie. C’est le cas des cuillères en céramique. La composition des services de poterie utilisés par les premières sociétés néolithiques ne varie, toutefois, pas qu’entre la Grèce et la Bulgarie. Elle est aussi différente en Macédoine. Cette différence se matérialise notamment par la présence de vases asymétriques dotés d’anses qui sont à juste titre interprétés comme céramiques de transport. À plus large échelle géographique, le spectre fonctionnel des plus anciennes poteries d’Europe sud-orientale (6500-5600 av. J.-C.) apparaît bien plus élargi que celui des mondes Rubané (5500-4800 av. J.-C.) et Impressa/Cardial (6000-5200 av. J.-C). Toutes ces constatations indiquent que les habitudes alimentaires des plus anciens paysans d’Europe n’étaient pas similaires. Des variations régionales sont, en l’occurrence, perceptibles dans les modes de stockage, de préparation, de cuisson, de préparation et de consommation des produits. De récents travaux étayent, d’ailleurs, l’existence de diverses traditions culinaires chez les premières sociétés néolithiques d’Europe. Certaines ressources animales (produits laitiers versus viandes de différentes espèces) apparaissent plus ou moins consommées selon les régions situées dans l’aire d’expansion du Néolithique (voir notamment Vigne et Helmer, 2007 ; Evershed et al., 2008).

5À l’instar des récipients en terre cuite, plusieurs classes fonctionnelles d’outils sur tesson ne sont attestées que sur certains sites de Grèce et de Bulgarie. Les estèques en céramique sont ainsi récurrentes sur les habitats du Néolithique ancien de l’extrême sud-ouest de la Bulgarie. Elles semblent bien plus rares au Nord. Les lissoirs en céramique sont, quant à eux, fréquents à Gălăbnik et à Achilleion tout en étant presque inexistants sur les autres sites. La composition des trousses à outils aménagés sur fragments de poterie ne varie, toutefois, pas qu’entre la Grèce et la Bulgarie. D’après les données disponibles, le recyclage de tessons en outils n’a qu’exceptionnellement été pratiqué dans le Rubané (Hauzeur, 1991) et l’Impressa/Cardial (Hameau, 2005). L’outillage en céramique apparaît, de ce fait, plus ou moins diversifié selon les régions situées dans l’aire de diffusion du Néolithique. Toutes ces observations montrent que les comportements techniques des premiers paysans d’Europe n’étaient nullement identiques. Des variations régionales sont, en l’occurrence, sensibles au niveau de la pratique du recyclage et de l’utilisation des industries en céramique. De telles variations se retrouvent dans la fonction des industries osseuses et lithiques (Allard et al., 2004 ; Gurova, 2006 ; Sidéra, 2012). Elles confirment l’existence de différentes traditions techniques.

6À l’appui de l’étude fonctionnelle des productions potières néolithiques, des frontières plus ou moins ancrées se dessinent. Elles délimitent, en l’occurrence, des entités qui n’ont pas adopté la céramique pour les mêmes finalités socio-économiques. Une telle mosaïque de systèmes économiques était jusqu’alors insoupçonnée pour le début du Néolithique. Elle plaide pour la diversité des processus de néolithisation en Europe. Les résultats acquis sur l’utilisation des plus anciennes poteries et outils sur tesson de Bulgarie ont ouvert de nouvelles perspectives pour appréhender la néolithisation des sociétés préhistoriques. Il convient ici d’expliciter en quoi l’analyse fonctionnelle des productions céramiques pourrait apporter un nouvel éclairage sur ce phénomène historique.

7Les recherches conduites ont montré combien la fonction des productions céramiques était susceptible d’enrichir nos connaissances sur les habitudes alimentaires et techniques des premières populations néolithiques d’Europe. Elle a révélé combien l’usage des poteries et des outils en céramique pouvait rendre compte de différences marquées dans les systèmes économiques des sociétés ayant vécu au tournant des VIIe et VIe millénaires av. J.-C. Restituer ces variations régionales permettrait de mieux caractériser la diversité des formes sous lesquelles ledit "package" néolithique s’est répandu. Elle viendrait, par delà, éclairer les facteurs à l’origine de la diffusion d’un mode de vie dorénavant fondé sur l’agriculture et l’élevage. Autrement dit, pourquoi les groupes préhistoriques ont-ils adopté ce nouveau modèle économique ? L’analyse fonctionnelle des productions céramiques pourrait dès lors contribuer aux débats très controversés sur l’émergence du Néolithique. L’analyse stylistique et technologique des productions matérielles ont, en effet, surtout rendu compte des mécanismes de propagation du Néolithique. Autrement dit, comment l’économie de production s’est-elle répandue ?

8Pour cerner ce phénomène historique sur la base des entités économiques, plusieurs chantiers devront être entrepris. Les recherches conduites sur les plus anciennes productions céramiques de Bulgarie invitent, tout d’abord, à poursuivre les développements méthodologiques entrepris dans le domaine des approches fonctionnelles de corpus archéologiques. L’élaboration d’une méthode d’extrapolation des tailles et des volumes de poteries, ainsi que la construction d’un protocole d’observation microscopique des résidus et des usures, permettraient de mieux caractériser les divers témoignages de l’usage des vases néolithiques. Elles viendraient, par-delà, enrichir les interprétations sur la fonction des pots archéologiques. Les travaux initiés sur le Néolithique ancien de Bulgarie ont également souligné la nécessité de développer les modèles actualistes sur la fonction des productions céramiques. La construction de référentiels expérimentaux et ethnographiques ciblés sur cette thématique permettrait de mieux interpréter les caractéristiques typométriques et les traces d’utilisation des poteries et des outils sur tesson néolithiques. Elle aiderait, par delà, à la reconstruction des systèmes économiques préhistoriques. Outre la poursuite des développements méthodologiques et la construction de modèles interprétatifs, les recherches conduites sur la fonction des plus anciennes productions céramiques de Bulgarie invitent à multiplier les cas d’étude archéologiques sur les plans synchronique et diachronique. Cette ouverture chronologique et géographique permettrait d’acquérir de nouvelles données sur l’usage des poteries et des outils sur tesson au sein d’autres entités culturelles. Elle viendrait, par ce biais, contribuer à la définition du patchwork de modèles économiques qui se met en place avec le début du Néolithique.

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