Deuxième partie. L’outillage sur tesson
p. 63-128
Texte intégral
1L’étude des outillages en céramique a débuté très tardivement comparée à celle des industries lithiques et osseuses préhistoriques. Les premiers travaux publiés sur cet outillage spécifique datent de la fin des années 1970. Tous concernent des outils sur tesson de l’âge du Bronze découverts en Asie centrale (Skakun, 1977 ; Klopina, 1979 ; Rakmanov, 1983). Dans la mouvance des recherches développées sur les industries lithiques (Semenov, 1964 ; Inizan et al., 1980), les tessons recyclés en outils ont fait l’objet d’une analyse typo-technologique. Leur fabrication et leur utilisation ont, en particulier, été investies par observation des retouches et des abrasions de fragments de poteries à l’échelle macroscopique. L’attention s’est, néanmoins, portée sur la fonction des outillages en céramique. Les premiers chercheurs à s’intéresser à cette industrie étaient, en effet, des spécialistes de la tracéologie (Skakun, 1977 ; Klopina, 1979).
2Ce n’est qu’à partir des années 1990 que les recherches se sont intéressées aux outillages en céramique issus d’autres faciès chronologiques et géographiques. Les investigations ont alors porté sur des tessons recyclés en outils du Néolithique, de l’âge du Bronze et du Fer voire des périodes historiques. Elles ont été étendues à diverses régions de l’Asie, de l’Europe et de l’Amérique (voir Binder et al., 1994 ; Korobkhova, 1997 ; Shamanaev, 2002 ; Lopez Varela et al., 2002 ; Van Gijn et al., 2008). Dans la mesure où l’approche typo-technologique s’est d’emblée révélée pertinente pour caractériser ce type d’industries, les recherches se sont poursuivies selon les mêmes principes analytiques. Seules les méthodes d’observation des outils ont finalement été affinées (Van Gijn et al., 2008 ; Van Gijn et Lammers-Keijsers, 2010). L’examen des traces a, pour la première fois, reposé sur un couplage des observations macro-et microscopiques dont l’efficacité a depuis longtemps été approuvée sur les industries lithiques et osseuses préhistoriques (par exemple Plisson et Van Gijn, 1989 ; Sidéra et Legrand, 2006). La fabrication et l’utilisation des tessons recyclés en outils ont, par ce biais, pu être reconstruits de façon plus précise. Toutefois, les recherches restent cristallisées autour de la fonction des outillages en céramique. Ce déséquilibre s’explique toujours par l’intérêt marqué des spécialistes de la tracéologie pour les industries conçues sur fragments de poteries.
3Les recherches entreprises sur l’outillage en céramique ont mis en exergue tout le potentiel informatif des tessons recyclés en outils. Leur analyse est, en particulier, susceptible d’enrichir nos connaissances sur les pratiques techniques des populations préhistoriques. En tenant compte des caractéristiques des supports d’outils, de rares travaux ont évoqué l’acquisition des fragments de poteries. La sélection des tessons ayant servi d’estèques en céramique a, par exemple, reposé sur leur morphologie (Hauzeur, 1991 ; Hameau, 2005) ou leurs inclusions non plastiques (Lopez Varela et al., 2002). Elle visait à disposer de fragments efficaces pour le montage des récipients en terre cuite.
4Outre les stratégies liées à la récupération des fragments de poteries, quelques études ont mentionné le façonnage des outils en céramique (Klopina, 1979 ; Lopez Varela et al., 2002 ; Hameau, 2005 ; Godon et Lepère, 2006). La mise en forme des tessons a été appréhendée sur la base des stigmates de fabrication observés sur les pièces archéologiques.
5La partie active de certains grattoirs en céramique a, par exemple, été aménagée par percussion directe depuis la surface interne des fragments de poteries. En témoignent la position et l’étendue des retouches perceptibles sur ce type d’outils. L’objectif était certainement d’obtenir un biseau interne rendant les fragments de poteries plus efficaces au travail des peaux préhistoriques (Klopina, 1979).
6Plusieurs études ont également éclairé la fonction des tessons recyclés en outils. Elles se sont, en l’occurrence, appuyées sur l’examen des traces d’utilisation relevées à la surface des pièces archéologiques. La signature tracéologique des usures d’outils en céramique a, par exemple, révélé l’emploi fréquent de fragments de poteries pour le nettoyage et l’assouplissement des peaux préhistoriques (Skakun, 1977 ; Korobkhova, 1997 ; Shamanaev, 2002). Elle a aussi montré l’usage récurrent de tessons pour le raclage, le lissage ou encore le galbage des parois de récipients en terre cuite (voir par exemple Lopez Varela et al., 2002 ; Godon et Lepère, 2006 ; Van Gijn et al., 2008).
7En informant sur les pratiques techniques, les tessons recyclés en outils sont à même d’enrichir nos connaissances sur la structure socio-économique des groupes préhistoriques (Skakun, 1977 ; Korobkhova, 1997). Ils sont susceptibles de signer une culture archéologique (Godon et Lepère, 2006). Les industries aménagées sur fragments de poterie disposent, par conséquent, d’un fort potentiel informatif pour appréhender l’histoire des sociétés néolithiques.
8Malgré ce fort potentiel informatif, les tessons recyclés en outils n’ont que très rarement fait l’objet d’une étude approfondie. À notre connaissance, seule une dizaine de travaux a été dédiée aux outillages en céramique. Les analyses menées sur cette industrie n’ont, de surcroît, porté que sur des corpus de taille réduite. La plupart ne dépassent guère les cinquante outils aménagés sur fragments de poterie. Les recherches antérieures se sont, en outre, focalisées sur la fonction des industries. Elles se sont peu penchées sur la fabrication des outillages en céramique. Toutes ces lacunes incitaient à l’élaboration d’un protocole d’étude typo-technologique des industries aménagées sur fragments de poterie.
Réflexions méthodologiques menées à l’appui des travaux antérieurs sur les industries en céramique
9La synthèse des travaux conduits sur les outils sur tesson archéologiques a permis d’entreprendre une série de réflexions sur les méthodes d’étude de ce type d’industrie. Il a notamment guidé le choix d’une terminologie et la construction d’un cadre analytique.
Terminologie
10Le nombre réduit d’outils sur tesson composant la plupart des industries n’a pas incité à la définition d’une terminologie commune, comme il en existe pour les outillages lithiques (Inizan et al., 1995).
11Seule la description des estèques en céramique a, jusqu’à présent, fait l’objet d’une normalisation (Godon, 2010). Au même titre que les poteries, ce flou terminologique a freiné la construction d’un cadre analytique systématique des industries aménagées sur fragments de poterie.
12Le vocabulaire utilisé pour décrire les multiples facettes de la fabrication et de l’utilisation des industries lithiques (Plisson et Van Gijn, 1989 ; Inizan et al., 1995) s’est, d’emblée, révélé efficient sur les outillages en céramique. Il a, de ce fait, été repris dans le cadre de l’étude typo-technologique des industries sur tesson préhistoriques (Godon et Lepère, 2006 ; Godon, 2010 ; Vieugué et al., 2010). En ce qui concerne la fabrication des outils en céramique, la terminologie établit notamment une distinction entre :
- La technique qui s’avère être « le mode d’exécution d’un geste de taille » ;
- La méthode qui désigne « l’agencement suivant une marche raisonnée d’un certain nombre de gestes exécutés grâce à une (ou des) technique(s) (Inizan et al., 1995, p. 30) ».
13Pour ce qui est de l’usage des outils en céramique, elle opère une différence entre :
- La fonction qui renvoie à « l’ensemble des finalités techniques, économiques et sociales pour lesquelles l’objet est utilisé » ;
- Le fonctionnement qui désigne « la façon dont celui-ci est mis en action » (Sigaut, 1991).
14Au-delà de concepts analytiques, l’emprunt de la terminologie employée pour les industries lithiques a permis la description systématique des stigmates de fabrication et d’utilisation des outillages en céramique. Il a facilité la construction d’un protocole d’étude des industries sur tesson préhistoriques.
Cadre analytique
15Le cadre analytique construit s’est largement inspiré de l’approche typo-technologique développée sur les industries lithiques (Inizan et al., 1995 ; Pelegrin, 1995). Il consiste à étudier l’ensemble des pratiques inhérentes à la fabrication et l’utilisation des outils sur tesson préhistoriques. D’après les précédentes analyses, les stratégies d’acquisition des fragments de poterie peuvent être établies sur la base des caractéristiques des supports d’outils (Hauzeur, 1991 ; Lopez Varela et al., 2002). La mise en forme des tessons recyclés est accessible par le biais des techniques et des méthodes employées pour la production de l’industrie (Klopina, 1979 ; Godon et Lepère, 2006). Quant à la fonction des outillages en céramique, elle peut être suggérée à partir de la combinaison des informations récoltées sur les matières travaillées et la cinématique des objets archéologiques (Korobkhova, 1997 ; Van Gijn et al., 2008). Nous nous sommes dès lors interrogés sur les critères diagnostiques des différents paramètres cités, à savoir :
- Les caractéristiques des supports d’outils ;
- Les techniques et méthodes de façonnage des industries sur fragments de poterie ;
- Les matières travaillées et la cinématique des outillages en céramique.
Critères techniques et fonctionnels diagnostiques
16Les caractéristiques des supports d’outils qui permettent d’établir les stratégies d’acquisition en fragments de poterie sont principalement la forme des tessons (Hauzeur, 1991) et les inclusions non plastiques (Lopez Varela et al., 2002). En contexte rubané, il a été démontré le réemploi systématique d’anses pour la confection d’outils en céramique. L’objectif était visiblement d’en faciliter la prise (Hauzeur, 1991). En contexte Maya, il a été évoqué le choix préférentiel de tessons dégraissés à la calcite pour la fabrication d’estèques de potiers (Lopez Varela et al., 2002). Les analyses menées sur les outillages sur céramique du Néolithique ancien balkanique ont, toutefois, montré la pertinence de l’ensemble des caractéristiques de fragments de poterie pour discuter de la sélection des supports d’outils : forme, dégraissant, épaisseur, traitements de surface ou encore décor (Vieugué et al., 2010).
17Plusieurs critères semblent également diagnostiques de la mise en forme des industries sur tesson préhistoriques. Les techniques de retouche des outils en céramique peuvent, en particulier, être établies sur la base de la morphologie, de la dimension, du degré d’enfoncement et de la régularité du point d’impact. En percussion indirecte, ce point apparaît net, profond et semi-circulaire. En percussion directe, il présente un enfoncement plus limité et une forme irrégulière (Godon et Lepère, 2006). Les méthodes de retouche des outils en céramique peuvent, quant à elles, être appréciées par le recoupement des enlèvements (Klopina, 1979). Elles restent, toutefois, difficiles à restituer dans la mesure où les tessons néolithiques ne présentent pas de fractures conchoïdales nettes.
18D’autres indices viennent parallèlement éclairer la fonction des outils sur tesson archéologiques. Les matières travaillées à l’aide de fragments de poterie sont principalement déductibles de la signature tracéologique des usures (Skakun, 1977 ; Korobkhova, 1997 ; Lopez Varela et al., 2002 ; Van Gijn et al., 2008). Ainsi, la présence d’un poli très brillant au contour diffus est diagnostique de l’assouplissement de peaux préhistoriques (Skakun, 1977 ; Korobkhova, 1997). Celle d’un émoussé mat au contour net est caractéristique du travail d’une argile (Korobkhova, 1997 ; Van Gijn et al., 2008). Les matières transformées à l’aide d’outils en céramique peuvent, dans une moindre mesure, être établies à partir de l’identification de résidus piégés dans les parties actives de tessons (Skakun, 1977 ; Binder et al., 1994). Des traces d’ocre ont, par exemple, été observées dans les stries de tranchants d’outils discoïdes (Skakun, 1977). La cinématique des tessons recyclés en outils s’avère, quant à elle, déductible des caractéristiques de l’usure des pièces archéologiques. L’identification de stries perpendiculaires à la longueur de leurs parties actives témoigne, par exemple, de l’utilisation des fragments de poterie en percussion posée linéaire transverse (Vieugué et al., 2010). La cinématique des outils en céramique peut aussi être supposée sur la base de leur morphométrie. Le cas le plus explicite est certainement celui des fragments perforés arrondis qui ont vraisemblablement servi de volet d’inertie.
19En résumé, les modalités d’acquisition des tessons recyclés en outils peuvent être établies à partir de la forme, l’épaisseur, le dégraissant, les traitements de surface et le décor des tessons archéologiques. Les techniques et les méthodes de façonnage de l’industrie peuvent respectivement être déduites de l’aspect du point d’impact et de la position des enlèvements successifs. Les matières travaillées et la cinématique des outils en céramique peuvent, quant à elles, être établies sur la base des résidus et des usures visibles sur les pièces archéologiques. La reconstitution de l’ensemble des pratiques inhérentes à la fabrication et l’utilisation des industries sur tesson préhistoriques impliquait donc le croisement de multiples indices.
Construction d’un protocole d’étude typo-technologique des tessons recyclés en outils
20L’approche typo-technologique des tessons recyclés en outils a été œuvrée à l’interface de la typométrie, de la chimie et de la tracéologie. Elle consiste à analyser l’ensemble des caractéristiques de l’outillage qui sont diagnostiques de la fabrication et de l’utilisation des industries : forme, dimensions, retouches, résidus ou encore abrasions des fragments de poterie.
21La méthode d’étude a initialement été construite sur le corpus d’outils de l’habitat de Kovačevo (6100-5500 av. J.-C., Bulgarie) qui s’avère être le plus conséquent de toute l’Europe néolithique (2 588 pièces). Ce corpus d’outils se prêtait tout particulièrement à une caractérisation typo-technologique approfondie. Deux principales raisons l’expliquent. L’industrie sur tesson du site comprenait, d’une part, une large quantité et une importante diversité d’outils aménagés sur fragments de poterie. Elle pouvait donc faire l’objet d’une analyse morphométrique fine. L’outillage sur tesson montrait, d’autre part, un excellent état de conservation des surfaces. Il autorisait, de ce fait, une lecture précise des stigmates de fabrication et d’utilisation des outils en céramique.
22Une fois définie, la méthode d’étude des industries sur tesson a été appliquée à d’autres séries du Néolithique ancien du sud-ouest de la Bulgarie : Ilindentsi, Brežani, Drenkovo, Vaxevo, Kraïnitsi et Gălăbnik. Sa pertinence a ainsi été testée sur un échantillon significatif d’outils en céramique (près de 3 000 pièces). La multiplication des cas d’étude a permis d’affiner le protocole d’analyse typo-technologique des outillages aménagés sur fragments de poterie construit à partir du corpus de Kovačevo.
La difficile reconnaissance des outils
23Les rares enquêtes ethnographiques évoquant le recyclage de tessons en outils ont implicitement souligné les problèmes d’identification d’un tel outillage en contexte archéologique. Certains fragments de poteries, bien qu’utilisés par des populations traditionnelles actuelles d’Afrique et d’Amérique, ne montrent aucun critère distinctif qui témoignerait de leur réemploi en outils. Le cas le plus explicite est certainement celui des fonds de céramiques utilisés comme moule pour le montage de récipients en terre cuite (Gallay, 1992). De tels tessons recyclés en outils ne présentent ni trace de fabrication ni stigmate d’utilisation susceptible de les différencier des autres fragments de poteries. Leur reconnaissance au sein des assemblages céramiques préhistoriques s’avère, de fait, impossible. D’autres outils en céramique, actuellement exploités en Afrique, ne montrent que des stigmates de façonnage et d’utilisation très subtiles. L’exemple le plus criant est probablement celui des battes aménagées sur fragments de poteries (Mayor, 2010). Celles-ci ne se distinguent des autres tessons de céramiques que par la présence de quelques retouches perceptibles sur leur pourtour. L’identification de tels outils au sein des corpus archéologiques reste, par conséquent, ardue. Elle ne peut se faire sans un examen approfondi des surfaces et des tranches de chaque fragment de poterie.
24Bien que leur diagnose ne soit pas facile, les tessons recyclés en outils ont été recherchés de façon systématique au sein des assemblages céramiques du Néolithique ancien du sud-ouest de la Bulgarie. Cette recherche méthodique, effectuée dans le cadre de l’étude préliminaire des séries par L. Salanova et son équipe, a consisté à isoler tout fragment de poterie qui présentait des stigmates caractéristiques d’une mise en forme (retouches, encoches et perforations) ou d’une utilisation spécifique (abrasion des surfaces et des tranches) (Salanova, 2007 et 2009). De nombreux outils en céramique ont, dès lors, été reconnus au sein des corpus archéologiques.
25Une fois isolés des assemblages céramiques, les tessons recyclés en outils ont fait l’objet d’une étude typo-technologique. Cette étude a débuté par la recherche de collages et de collections.
La recherche de collages et de collections
26La recherche de collages et de collections entre fragments de poteries avait un double objectif. Le premier était de reconstituer les pièces d’une industrie relativement fragmentée sur les sites du Néolithique ancien du sud-ouest de la Bulgarie. Les tessons recyclés en outils ont, pour se faire, été étalés par catégories typologiques : tessons irréguliers à tranches abrasées, fragments circulaires perforés ou encore tessons irréguliers à surfaces rainurées. Ce classement est venu faciliter le remontage de fragments appartenant à un même outil. La restitution complète de plusieurs pièces archéologiques a alors contribué à une meilleure compréhension de l’outillage en céramique.
27Le second objectif était de pister les fragments provenant d’une même poterie. Les tessons recyclés en outils ont, pour se faire, été étalés selon les caractéristiques de leurs supports : couleur (beige, rouge, brun ou encore noir), épaisseur (inf. à 4 mm, 4 - 12 mm et sup. à 12 mm), traitements de surface (barbotiné, engobé-poli ou lissé) et décor céramique (sans, peint, imprimé voire incisé). Ce tri a permis d’obtenir un premier aperçu des récipients dont sont issus les outils. Il a aussi facilité la comparaison entre fragments de poterie susceptibles d’appartenir à un même récipient en terre cuite. La recherche de collections s’est, néanmoins, focalisée sur les supports qui présentaient un caractère spécifique : un décor, une barbotine ou encore une couleur rarissime. Il était, en effet, plus aisé de les attribuer ou non à une même céramique. Cette étape de l’étude est venue éclairer les stratégies d’acquisition en fragments de poterie.
28Après avoir recherché les collages et les collections, les tessons recyclés en outils ont fait l’objet d’une observation et d’un archivage systématique.
L’observation et l’enregistrement préliminaire des outils
29Contrairement aux poteries, aucun échantillonnage n’a précédé l’enregistrement préliminaire des outils en céramique. Tous les tessons montrant des transformations postérieures aux bris des récipients en terre cuite (retouches, perforations ou encore abrasion des tranches) ont été retenus pour analyse. Deux principales raisons l’expliquent. D’une part, les industries aménagées sur fragments de poterie sont peu documentées pour le Néolithique. Il était donc essentiel d’en livrer une caractérisation exhaustive. D’autre part, les outillages en céramique comprennent un nombre de pièces compatible avec une approche tracéologique systématique. Ce nombre n’a, en effet, jamais dépassé les 2 600 tessons recyclés en outils.
30L’observation préliminaire des industries aménagées sur fragments de poterie a été effectuée à l’œil nu. Cet examen macroscopique s’est, d’une part, focalisé sur l’ensemble des caractéristiques des supports d’outils (forme, dimensions, dégraissant, traitements de surface, décor). Il s’est, d’autre part, attardé sur les traces de fabrication (retouches, abrasions et perforations) et les stigmates d’utilisation (résidus et usures) des pièces archéologiques. Chaque tesson recyclé a été enregistré dans une base de données scindée en deux fichiers. Le premier renseigne sur les caractéristiques des supports d’outils ; Le second fournit des indications sur l’ensemble des transformations post-cuisson résultant de la fabrication et de l’utilisation des outillages en céramique (tabl. 5).

Tabl. 5 : Critères enregistrés pour les tessons recyclés en outils.

Fig. 54 : Croisement des différents indices typo-technologiques et fonctionnels des outillages en céramique.
31En parallèle à l’enregistrement du mobilier, chaque pièce a été photographiée. La variabilité formelle et dimensionnelle des tessons recyclés a, ainsi, pu être illustrée. Les stigmates de fabrication et d’utilisation les plus diagnostiques ont, par ailleurs, fait l’objet de clichés détaillés. La diversité des traces relevées sur l’outillage en céramique a, par ce biais, pu être montrée.
32Une partie des outils sur tesson a également été dessinée. Un échantillon de pièces représentatif de la diversité morpho-fonctionnelle des industries a, en l’occurrence, été représenté. Les normes graphiques utilisées ont été celles employées pour les industries lithiques taillées (Inizan et al., 1995).
33Une fois l’archivage achevé, des prélèvements d’outils sur tesson ont été effectués. Tous les fragments qui présentaient des résidus piégés au niveau de leurs parties actives ont été échantillonnés. L’objectif était de déterminer la nature des matériaux transformés à l’aide de tessons recyclés, en s’appuyant sur l’analyse chimique des encroûtements conservés.
34Le prélèvement d’outils en céramique est venu clôturer l’étude du mobilier. Les multiples stigmates de fabrication et d’utilisation ont, par la suite, fait l’objet d’une caractérisation détaillée en laboratoire.
Caractérisation approfondie des différents stigmates en laboratoire
35L’étude approfondie des stigmates de fabrication et d’utilisation des industries sur tesson préhistoriques exigeait l’application de techniques analytiques relevant de la chimie et de la tracéologie.
36Vestiges des matières travaillées à l’aide de fragments de poterie, les résidus adhérant aux parties actives des outils ont fait l’objet d’une caractérisation chimique. Ils ont, dans un premier temps, été analysés en Spectroscopie InfraRouge à Transformée de Fourier (IRTF). Cette technique analytique a permis d’établir la nature minérale de l’ensemble des encroûtements conservés sur les outils. À l’appui des premières informations récoltées sur l’origine des dépôts visibles, des analyses plus poussées ont été entreprises. Les résidus minéraux ont, en l’occurrence, été caractérisés au Microscope Électronique à Balayage (MEB). Cette technique analytique a notamment permis l’obtention d’empreintes spectrales qui sont caractéristiques de la composition élémentaire des matériaux transformés à l’aide des outils préhistoriques. L’identification des résidus s’est alors faite par comparaison de ces empreintes avec celles obtenus sur des matériaux de référence artificiellement vieillis.
37Résultant de la fabrication ou de l’utilisation des outils, les abrasions ont été soumises à un examen tracéologique (Vieugué et al., 2010). Elles ont, en l’occurrence, été observées à la loupe binoculaire (x 2 à x 90) et au microscope optique (x 100 et x 200). Cet examen a permis d’établir les caractéristiques macro-et microscopique des traces abrasives qui sont diagnostiques des matériaux ayant abrasé les outils en céramique. L’interprétation des stigmates s’est faite par comparaison aux référentiels expérimentaux construits (Vieugué, 2010).
38Une fois l’étude des différents aspects de l’industrie achevée, les données ont été croisées. L’objectif était de restituer les multiples facettes de la production et de la fonction des industries étudiées.
Étude croisée et comparée des paramètres
39Le croisement des paramètres typo-technologiques et fonctionnels des outillages en céramique s’est déroulé comme suit : Tout d’abord, les diverses caractéristiques typométriques des tessons circulaires retaillés (forme, diamètre et poids) ont été combinées. Puis, les différentes traces de fabrication de l’industrie (retouches, abrasion et perforations) ont été croisées. Ensuite, les associations de traces d’utilisation (résidus et usures) ont été déterminées. Enfin, les caractéristiques des supports d’outils et les multiples stigmates de l’industrie ont été couplés (fig. 54). Cette approche croisée a permis de reconstruire les chaînes opératoires de fabrication des outils des différentes classes fonctionnelles de l’industrie qui se distinguent par le travail d’une matière d’œuvre et/ou un mode de fonctionnement spécifiques. Elle est, par ce biais, venue éclairer la composition des trousses à outils sur tesson néolithiques.
40Comme pour les poteries, le comportement des producteurs et des utilisateurs d’outils en céramique restait difficile d’accès sur le seul croisement des paramètres typo-technologiques et fonctionnels de l’industrie. Leur décryptage n’a pu se faire que par le biais d’une approche comparative. La variabilité des supports d’outils d’une même classe fonctionnelle (jetons, estèques, lissoirs, etc.) a, en l’occurrence, été confrontée à celle du reste de l’assemblage céramique. Cette comparaison a été effectuée sur l’ensemble des caractéristiques qui peuvent être observées sur un fragment de poterie : dégraissant, épaisseur des parois, traitements de surface, décor ou encore éléments de forme. Elle a permis d’éclairer les choix œuvrés par les populations néolithiques au moment de la fabrication et de l’utilisation des outils en céramique.
Étude de cas : l’outillage sur tesson de Kovačevo
41L’analyse de l’outillage en terre cuite du site s’est donnée pour objectif de caractériser l’industrie céramique sous tous ses aspects. Les recherches se sont, pour cette raison, interrogées sur les stratégies d’approvisionnement en tessons. Autrement dit, quelle est la provenance des fragments ? De quelle manière ont-ils été acquis ? Ont-ils été sélectionnés ? Si tel a été le cas, sur quels critères ont-ils été choisis et pourquoi ? Les travaux menés se sont également penchés sur la phase de façonnage de l’outillage. Quels ont été les produits recherchés ? Quelles techniques et méthodes de mise en forme ont été employées ? Quel est le degré d’investissement impliqué ? Des compétences particulières sont-elles exigées ? Les recherches se sont aussi attardées sur la fonction de l’outillage. Quelles matières les populations néolithiques ont-elles transformées avec leurs outils en céramique ? De quelles manières les ont-ils travaillées ? Quelle est la durée et fréquence de leur(s) utilisation(s) ? Que peut-on en déduire sur la gestion de l’outillage en céramique ? Que représentaient-ils pour les habitants du site ?
42L’analyse d’un corpus exceptionnel d’outils (2 588 fragments de poteries, soit 60 kilogrammes de céramiques) a permis de restituer les stratégies d’approvisionnement en tessons, les techniques de fabrication et la fonction des industries sur tesson du site de Kovačevo.
La morphométrie des tessons recyclés
La forme des pièces
43En considérant la régularité circulaire du pourtour (oui/non), les modifications apportées en surfaces et en tranche (intactes, abrasées, rainurées, encochées, perforées), les 2588 pièces de l’industrie ont pu être classées en vingt catégories. Elles correspondent soit à des fragments irréguliers soit à des pièces retouchées.
Tessons sans régularisation circulaire de leur pourtour (944 individus) (fig. 55 et 56)
44Les tessons de la catégorie A (674 individus) se caractérisent par leurs surfaces intactes et leur tranche abrasée.
45Les tessons de la catégorie B (6 individus) ont aussi leurs surfaces intactes, mais leur tranche présente des encoches.
46Les tessons de la catégorie C (117 individus) présentent, à l’inverse, des surfaces partiellement perforées et une tranche intacte.
47Les tessons de la catégorie D (111 individus) ont, quant à eux, leurs surfaces pleinement perforées. Leur tranche reste intacte.
48Les tessons de la catégorie E (5 individus) présentent également une tranche intacte. Leurs surfaces associent toutefois perforation partielle et perforation complète.
49Les tessons de la catégorie F (4 individus) montrent des surfaces en partie perforées et une tranche abrasée. Les tessons de la catégorie G (8 individus) sont au contraire munis de perforations complètes. Leur tranche reste en revanche abrasée.
50Les tessons de la catégorie H (4 individus) ont leurs surfaces abrasées, mais leur tranche intacte.
51Les tessons de la catégorie I (5 individus) ont à la fois leurs surfaces abrasées et leur tranche usée.
52Les tessons de la catégorie J (10 individus) se singularisent des autres pièces de la série par leurs surfaces rainurées. Leur tranche n’a, par contre, jamais été aménagée.
Tessons avec régularisation circulaire de leur pourtour (1 644 individus) (fig. 57)
53Les tessons de la catégorie K (953 individus) présentent des surfaces intactes et une tranche brute de taille.
54Les tessons de la catégorie L (143 individus) ont aussi des surfaces intactes, mais leur tranche est abrasée.
55Le tesson de la catégorie M (1 individu) se singularise des autres pièces de l’industrie par sa tranche abrasée dotée d’encoches.
56Les tessons de la catégorie N (135 individus) se caractérisent par leurs surfaces partiellement perforées et leur tranche brute de taille.
57Les tessons de la catégorie O (157 individus) montrent, à l’inverse, des surfaces complètement perforées.
58Le tesson de la catégorie P (1 individu) se différencie des autres pièces de l’outillage en céramique par sa tranche brute et ses surfaces associant perforations partielle et complète.
59Les tessons de la catégorie Q (41 individus) ont leurs surfaces partiellement perforées et leur tranche abrasée.
60Les tessons de la catégorie R (209 individus) présentent, au contraire, des surfaces complètement perforées. Leur tranche reste cependant abrasée.
61Les tessons de la catégorie S (3 individus) se caractérisent par leur tranche abrasée et leurs surfaces associant perforations partielle et complète.
62Enfin, le tesson de la gamme T (1 individu) se singularise par sa surface complètement perforée et sa tranche abrasée dotée d’encoches.
63L’industrie céramique de l’habitat néolithique de Kovačevo livre un répertoire formel extrêmement diversifié. Toutefois, cette diversité est à relativiser. En effet, certaines catégories et types définis sont bien plus fréquents que d’autres au sein de la série. L’assemblage est numériquement dominé par les tessons circulaires aux surfaces intactes et tranches brutes de taille (catégorie K, 37 %). Il comprend également une part très importante de tessons irréguliers à tranches abrasées (catégorie A, 26 %). A contrario, la série ne se compose que d’un nombre limité de tessons à tranches encochées (catégorie B, 0,2 %) et de pièces à surfaces rainurées (catégorie J, 0,4 %).

Fig. 55 : Classification typologique des pièces des catégorie A à E.

Fig. 56 : Classification typologique des pièces des catégories F à J.

Fig. 57 : Classification typologique des pièces des catégories K à T.
Les dimensions
64À Kovačevo, les tessons présentant des transformations post-cuisson ont des tailles extrêmement variées. Le plus petit outil de la série mesure 13 mm de diamètre tandis que la plus grande pièce atteint les 25 cm. Néanmoins, la plupart des fragments recyclés (84 %) montrent une longueur maximale comprise entre 2 et 6 cm (fig. 58a).
65Le poids des tessons recyclés n’apparaît guère plus standardisé. La plus légère pièce de l’industrie pèse ainsi 1 g alors que la plus lourde fait 1 684 g. Toutefois, le poids des fragments aménagés est généralement compris entre 4 et 50 g (79 % des pièces) (fig. 58b).
66Les dimensions des outils sur tessons ne sont visiblement pas normées. Cette variabilité métrique vient s’ajouter à la diversité typologique des pièces de l’industrie. Il convient néanmoins d’étudier les rapports entretenus entre formes et mensurations des fragments recyclés.

Fig. 58 : Dimensions de l'ensemble des supports d'outils : (a) par classes de longueur, (b) par classes de poids.
Relations entre formes et dimensions des pièces
67L’étude des rapports entretenus entre formes et mesures des fragments a permis d’évaluer le degré de standardisation des produits au sein de chaque catégorie. Par confrontation du diamètre des tessons ronds entre catégories, il a par ailleurs été possible de raisonner sur l’intégration de possibles pièces techniques au sein des différentes chaînes opératoires de façonnage de l’outillage en céramique.
Diamètre et poids des tessons à surfaces intactes et à tranches brutes de taille (gamme K, 953 pièces)
68Les tessons à surfaces intactes et à tranches brutes de taille ont des dimensions extrêmement variables. Leur diamètre s’échelonne en effet de 1,7 à 20 cm ; leur poids varie de 1 à 1 680 g (fig. 59). Les deux tiers des pièces ont, néanmoins, un diamètre compris entre 3 et 6 cm et un poids allant de 5 et 40 g. De toute évidence, les dimensions des tessons circulaires ne sont pas fortement standardisées. Les populations néolithiques ne semblent pas avoir recherché un diamètre ou un poids de tessons très particuliers.

Fig. 59 : Dimensions des tessons à surfaces intactes et à tranches brutes de taille : (a) par classes de longueur, (b) par classes de poids.
Diamètre des tessons à surfaces intactes et à tranches abrasées (gamme L, 143 pièces)
69Les tessons circulaires à tranches abrasées montrent aussi des mesures très différentes puisque leur diamètre varie de 1,6 à 10 cm (fig. 60). Ces différences se retrouvent logiquement au niveau du poids originel des fragments allant de 3 à 210 g.
70Là encore, les deux tiers des pièces s’insèrent dans un intervalle de diamètres compris entre 3 et 6 cm et un poids variant de 5 à 40 g. Les tailleurs d’outils en céramique n’ont, de fait, pas cherché à obtenir des tessons circulaires à tranches abrasées très calibrés. La forte variabilité dimensionnelle des pièces l’atteste.

Fig. 60 : Dimensions des tessons à surfaces intactes et à tranches abrasées : (a) par classes de longueur, (b) par classes de poids.
Diamètre et poids des tessons à surfaces partiellement perforées et à tranches brutes de taille (gamme N, 135 pièces)
71Les tessons partiellement perforés présentent également des dimensions différentes. Ils mesurent de 1,7 cm à 9 cm et pèsent de 2 et 200 g (fig. 61). La très grande majorité des pièces (84 %) a toutefois un diamètre avoisinant les 3 à 6 cm et un poids allant de 5 à 40 g. De ce fait, il semble que les fabricants d’outils aient davantage visé une gamme de diamètres lors de la confection de cette classe formelle de tessons recyclés.

Fig. 61 : Dimensions des tessons à surfaces partiellement perforées et à tranches brutes de taille : (a) par classes de longueur, (b) par classes de poids.
Diamètre et poids des tessons à surfaces complètement perforées et à tranches brutes de taille (gammes O et P, 158 pièces)
72Les tessons à perforations complètes ont des caractéristiques dimensionnelles très proches de celles des pièces à surfaces partiellement perforées. Leur diamètre s’échelonne, en effet, de 2 à 9 cm de même que leur poids varie de 2 à 160 g (fig. 62). La plupart des pièces (88 %) présentent, là encore, un diamètre compris entre 3 à 6 cm et un poids situé entre 5 à 40 g. Les populations néolithiques ont donc fabriqué des tessons perforés de dimensions relativement similaires, sans pour autant avoir recherché des produits fortement standardisés.

Fig. 62 : Dimensions des tessons à surfaces complètement perforées et à tranches brutes de taille : (a) par classes de longueur, (b) par classes de poids.
Diamètre et poids des tessons à surfaces partiellement perforées et à tranches abrasées (gamme Q, 41 pièces)
73Comme les autres pièces documentées, les tessons à surfaces partiellement perforées et à tranches abrasées montrent des dimensions variées. Ils mesurent, en effet, de 1,4 à 7 cm et pèsent de 1 à 53 g (fig. 63). Ni le diamètre ni le poids des pièces ne semblent avoir été comptés. Les tessons partiellement perforés à tranches abrasées n’intègrent aucun intervalle de taille préférentiel.

Fig. 63 : Dimensions des tessons à surfaces partiellement perforées et à tranches abrasées : (a) par classes de longueur, (b) par classes de poids.
Diamètre et poids des tessons à surfaces pleinement perforées et à tranches abrasées (gammes R et S, 212 pièces)
74Les tessons perforés à tranches abrasées ont aussi des tailles et des poids très diversifiés. Leur diamètre varie, en effet, de 2 à 8 cm de même que leur poids s’échelonne de 4 à 100 g (fig. 64). La très grande majorité des pièces (91 %) a, néanmoins, un diamètre compris entre 3 et 6 cm. Les producteurs d’outils en céramique ont, une fois de plus, conçu des pièces d’un certain calibre, sans avoir vraiment voulu obtenir des produits strictement identiques.

Fig. 64 : Dimensions des tessons à surfaces pleinement perforées et à tranches abrasées : (a) par classes de longueur, (b) par classes de poids.
Diamètre et poids des tessons circulaires encochés (gammes M et T, 2 pièces)
75Les deux tessons encochés présentent des dimensions très similaires. Chacun mesure environ 35 mm de diamètre et pèse 14 g. Étant donné le faible nombre de pièces considérées, il n’est cependant pas possible d’affirmer que les populations néolithiques ont recherché des produits très standardisés.
76Les principales catégories de tessons circulaires se composent de pièces de taille et de poids divers, même si la plupart ont un diamètre de l’ordre de 3 à 6 cm. Les producteurs d’outils sur tesson semblent davantage avoir cherché une forme plus qu’une dimension ou un poids de tessons singuliers.
77En confrontant le spectre des diamètres de chacune des catégories formelles, il s’avère que la taille des pièces varie globalement de la même manière. De ce fait, la très grande majorité des tessons ronds identifiés (précisément ceux des catégories K, L, N, O et Q, 1 439 pièces) ont très bien pu constituer des ébauches d’outils à surfaces pleinement perforées et à tranches abrasées (catégorie R, 209 tessons). Toutefois, le nombre élevé d’ébauches supposées, comparé à celui des pièces effectivement achevées, amène à penser que ces 1 439 tessons ne l’ont pas tous été. Le spectre dimensionnel plus élargi des fragments circulaires à tranches brutes de taille (catégorie K, 953 pièces) tend, d’ailleurs, à le confirmer. Cette catégorie de tessons retouchés renferme des fragments de poteries dont les dimensions ne sont pas compatibles avec celles d’une ébauche de pièces perforées. Dans ce cas, les fragments ont vraisemblablement représenté eux-mêmes des outils pleinement fonctionnels.
78En résumé, l’analyse typométrique de l’outillage en céramique a mis en exergue le large panel de formes et de dimensions des pièces. Ce large spectre atteste que la production des outils sur tessons n’est pas standardisée. Il laisse, par ailleurs, penser que les fragments recyclés ont participé à une multitude d’activités.
79La classification typométrique des pièces de l’industrie a plus globalement facilité la compréhension de l’outillage en céramique. Par la prédominance de certaines catégories, elle a permis de mieux saisir les principaux produits recherchés par les populations néolithiques. Il a ainsi été possible de commencer à réfléchir sur les chaînes opératoires de façonnage de l’outillage en terre cuite. L’étude technologique de cette industrie est venue considérablement enrichir le propos sur la fabrication des tessons recyclés en outils.
L’approvisionnement en tessons
Provenance des fragments
80Les tessons qui composent l’outillage en céramique de Kovačevo sont sans surprise issus de vases brisés de l’habitat. Deux outils ont en effet été recollés à des restes de poteries non recyclés (fig. 65). La provenance exacte des fragments récupérés n’a, par contre, pas pu être déterminée. Deux principales raisons viennent l’expliquer : les catégories de vases dont sont issus les tessons recyclés montrent, d’une part, une distribution relativement homogène. La répartition originelle du mobilier a, d’autre part, été fortement perturbée par l’intensité des activités (creusement, comblement, etc.) (Brocheir, 1994). Ces deux aspects n’ont pas permis d’identifier d’éventuelles zones de ramassage préférentielles.

Fig. 65 : Outil en céramique recollant à un fragment de poterie non recyclé.
Modalité d’acquisition des tessons
81D’après les pièces présentant un caractère singulier (un décor, une barbotine ou encore une épaisseur prononcée), les tessons recyclés semblent provenir de vases différents (fig. 66). Les populations néolithiques n’ont donc a priori pas stocké quelques vases brisés dans l’optique d’en réutiliser les fragments. Elles semblent davantage avoir procédé à des ramassages de surface au sein du village.
Sélection
82Dans la mesure où les tessons recyclés ont été ramassés après rejet des pots brisés, ces tessons n’ont pas été sélectionnés selon la forme et la fonction des récipients dont ils proviennent. Les fragments sont au contraire issus de vases de formes et d’usage divers. Deux éléments l’attestent. D’une part, les fragments récupérés sont parfois des bords ourlés et des boutons perforés qui sont associés à des catégories de formes radicalement opposées : formes basses très ouvertes pour les premiers ; formes hautes très fermées pour les seconds (fig. 67). D’autre part, les tessons recyclés livrent des résidus beiges et noirs qui renvoient au moins à deux usages distincts de vases : transformation de poudre d’os et cuisson d’aliments.
83Les 2 588 tessons recyclés n’ont pas non plus été ramassés pour leur forme ou leur traitement de surface. Ils correspondent, en effet, à des fragments de bord (7 %), de panse (90 %), de préhension (2 %) ou d’assise (1 %). Leurs surfaces sont lissées (6 %), engobées et polies (88 %) voire barbotinées (6 %). Or, l’assemblage céramique du site présente exactement les mêmes variabilités qualitative et quantitative pour ces deux paramètres (fig. 68).
84Les fragments ramassés ont, par contre, été sélectionnés selon leur taille. Leur longueur maximale est en moyenne bien supérieure à celle des tessons de l’assemblage, souvent en deçà de 4 cm (fig. 69). La mise en forme et l’utilisation des fragments ont, de plus, systématiquement engendré une réduction de la taille originelle des tessons. Cet aspect vient donc confirmer leur sélection. A contrario, il devient difficile de se prononcer sur le calibre des fragments au moment de leur récupération, car ils ont vu leurs dimensions s’amoindrir lors de leur mise en forme ou de leur utilisation.
85Les tessons recyclés ont, en outre, des épaisseurs variées, s’échelonnant de 3 à 26 mm (fig. 70). La plupart ont, toutefois, une épaisseur moyenne généralement comprise entre 6 et 10 mm (73 % des cas). Tous présentent systématiquement des inclusions minérales. Seuls quelques-uns livrent du dégraissant végétal (1 %). Or, ces critères d’épaisseur et de dégraissants ne varient quantitativement pas de la même manière au sein de la production, où l’on constate une moindre part de tessons d’épaisseur moyenne et un plus fort pourcentage de fragments dégraissés au végétal (fig. 71). Les populations néolithiques ont donc privilégié le réemploi de fragments résistants, abrasifs et aptes à la taille d’outils.

Fig. 66 : Échantillon de tessons à tranches abrasées provenant de différents vases peints. Les différences entre fragments se repèrent au niveau du motif, mais aussi à la couleur et la texture de la peinture.

Fig. 67 : Tessons recyclés respectivement aménagés sur un bouton perforé et un bord ourlé.

Fig. 68 : Comparaison des fréquences de tessons par type de fragments (a) et traitements de surface (b) entre productions céramiques et supports d'outils.

Fig. 69 : Comparaison des fréquences de tessons par classes de taille entre la productions céramiques et supports d'outils.

Fig. 70 : Épaisseur des supports d'outils.
86Les tessons recyclés en outils sont parfois décorés (11 %). Ils sont alors ornés de motifs peints (90 %), de décors imprimés (6 %), incisés (1 %) ou plastiques (3 %). Ils sont plus fréquemment ornés que ne l’est la production céramique (fig. 72). Les populations néolithiques ont donc de temps à autre recherché des tessons décorés. La raison de cette sélection reste cependant inexpliquée. L’aspect esthétique a certainement joué, mais une symbolique liée à l’outillage en céramique ne peut pas être totalement écartée.
87En résumé, les habitants de Kovačevo ont confectionné un outillage à partir de tessons ramassés dans le village. Lors de ce ramassage, ils ont opéré une sélection des tessons reposant sur la taille et l’épaisseur des fragments, ainsi que sur la nature des inclusions. Ce choix s’explique certainement par la recherche de fragments abrasifs et résistants. Il répond notamment aux contraintes imposées par les techniques de mise en forme.

Fig. 71 : Comparaison des fréquences de tessons par type de dégraissant (a) et classes d'épaisseur (b) entre productions céramiques et supports d'outils.

Fig. 72 : Comparaison des fréquences de tessons par présence-absence de décor entre productions céramiques et supports d'outils.
Les traces de fabrication
88Sur les 2 588 pièces examinées, 1 895 montrent des traces de fabrication (soit 73 %). Ces traces résultent ou non d’un frottement mécanique.
Traces sans frottement mécanique
89Les seules traces de fabrication qui ne découlent pas d’un frottement mécanique évident sont les retouches.
Les retouches
90Sur les 1 895 tessons façonnés, 1 644 ont indiscutablement été retouchés (soit 87 %). La lecture des enlèvements s’est néanmoins révélée extrêmement compliquée sur les fragments recyclés. Les zones retouchées montrent, en effet, peu de signes distinctifs avec celles qui ne l’ont pas été. Seuls leur régularité et la présence de coches permettent de les identifier.
91Des 1 644 pièces retouchées, 305 ont vu la position et l’inclinaison de leurs retouches déterminées (soit 19 %). Les retouches y sont directes (32 %), inverses (38 %) ou croisées (30 %) (fig. 73). Les populations néolithiques ont, par conséquent, procédé de trois manières différentes pour rendre leurs fragments circulaires. La première consiste à réaliser la mise en forme du tesson depuis sa surface interne. La seconde s’opère, à l’inverse, à partir de sa surface externe. La troisième combine percussions en surface externe et interne, de façon successive ou alternée. Les retouches distinguées présentent, en outre, une inclinaison abrupte (12 %) à semi-abrupte (85 %), voire rasante (3 %) (fig. 74). Ces différences restent difficiles à comprendre. Quoi qu’il en soit, la retouche a été pratiquée dans le but de conférer une forme circulaire aux fragments recyclés.
92Les traces produites sans frottement ne constituent pas la seule catégorie de stigmates liés au façonnage des outils. Des traces résultant d’une friction mécanique ont aussi été mises en évidence sur le matériel archéologique.
Traces par frottement
93Les traces produites par frottement mécanique se déclinent sous trois formes : les plages abrasées, les perforations et les encoches.
Les plages abrasées
94Des plages abrasées liées au façonnage des pièces ont été relevées sur les tranches de 398 fragments (soit 21 % des tessons mis en forme). Celles de 287 tessons ont pu être caractérisées (soit 72 %). Elles présentent toutes le même faisceau de traces diagnostiques (fig. 75) :
- Des usures aux contours clairement délimités ;
- Des facettes d’usure régulières et planes ;
- Des particules dégraissantes arasées en surface ;
- Une absence de strie.
95D’après le référentiel expérimental, ce faisceau de traces est caractéristique d’un frottement des fragments sur un matériau minéral dur (Vieugué, 2010). Or, les tessons expérimentaux se sont révélés inefficaces pour la transformation de ce type de matériau. Il ne peut donc s’agir que de traces résultant de la mise en forme des fragments. Les populations néolithiques ont, à l’évidence, régularisé le pourtour de certains tessons par abrasion des tranches. Cette pratique visait surtout à gommer les principales irrégularités de tessons préalablement retouchés. En effet, la majorité des plages abrasées liées à la mise en forme des fragments recyclés (75 %) est peu développée. Une minorité (25 %) couvre toutefois la totalité du pourtour des tessons aménagés. Dans ce cas, il est impossible de déterminer si les fragments régularisés ont été préalablement retouchés. L’abrasion a donc pu être utilisée pour la mise en forme complète de certains tessons récupérés.
Les perforations
96792 tessons recyclés ont eu leurs surfaces perforées (soit 42 % des pièces aménagées). Sur ces 792 tessons façonnés, 952 perforations ont été recensées : 444 sont partielles (47 %) et 508 sont complètes (53 %) (fig. 76). La totalité des perforations complètes montre une section biconique. La très grande majorité des perforations partielles (95 %) se caractérise, quant à elles, par une section conique. Il semble, de fait, que les perforations partielles matérialisent un état moins avancé des perforations complètes d’outils. D’ailleurs, des perforations partielles à faible diamètre ont été identifiées à proximité de perforations complètes sur 9 pièces. Elles semblent, dans ce cas, témoigner d’une reprise de la perforation des objets. L’essentiel des tessons présentant des perforations partielles a, de ce fait, été considéré comme des ébauches d’outils pleinement perforés.

Fig. 73 : Les différentes positions de retouches observées sur les tessons régularisés : (a) directe, (b) inverse, (c) croisée.

Fig. 74 : Les différentes inclinaisons de retouches observées sur les tessons régularisés : (a) abrupte, (b) semi-abrupte, (c) rasante.

Fig. 75 : Faisceau de traces diagnostiques d’un frottement au contact d’un matériau dur : (a) facettes d’usure aux contours clairement délimités, (b) facette régulière et plane, sans particules dégraissantes mises en relief.
97Les modalités de perforations des tessons ont, par ailleurs, pu être approchées. À Kovačevo, différentes méthodes ont été employées pour perforer les fragments récupérés. L’entame de perforations a, en effet, été réalisée de deux façons : soit cette entame a été opérée à l’aide d’un outil utilisé en rotation (dans 92 % des cas), soit elle a été exécutée par un objet actionné en percussion lancée (dans 8 %). La première manière de faire est attestée par la présence de perforations partielles peu profondes et régulières, parfois associées à des stries concentriques (fig. 77). La seconde manière est prouvée par l’existence de traces de piquetage. L’emploi de la percussion lancée pour perforer des tessons recyclés est, à vrai dire, surprenant. Le risque de bris des fragments est, en effet, très important.

Fig. 76 : Exemples de perforations partielle (a) et complète (b).

Fig. 77 : Tessons partiellement perforés selon des méthodes variées : (a) entame réalisée à l’aide d’un outil actionné en percussion lancée, (b) entame effectuée à l’aide d’un objet utilisé en rotation.
98Sur les 177 pièces dotées d’une unique perforation partielle, la majeure partie (69 %) l’a sur leur surface interne. Les fabricants ont donc le plus souvent commencé par perforer depuis cette surface. Une telle préférence reste, pour l’heure, difficile à expliquer. Aucune raison technique ne peut en tout cas être avancée.
99Une fois l’entame réalisée, l’outil perforant a uniquement été actionné en rotation (fig. 78). L’abrasion observée au niveau des zones perforées de tessons permet d’en rendre compte. 227 pièces (soit 29 %) ont même livré des stries concentriques discontinues, localisées au pourtour de leurs perforations. Ces stries ne sont visiblement pas liées à l’utilisation des outils en céramique (fig. 79). Elles ont, en effet, été aussi identifiées à la surface de tessons partiellement perforés (dans 36 % des cas). La discontinuité des stries examinées semble, par ailleurs, indiquer que l’outil perforant a fonctionné en rotation alternée. Celui-ci était alors probablement tenu à la main. Toutes les perforations montrent, en effet, une légère asymétrie qui témoigne d’une variation d’angles entre la surface perforée et l’axe de l’outil (fig. 80). Les sections coniques et biconiques des perforations précisent, en outre, que l’objet perforant était systématiquement pointu. Une partie des perçoirs en silex du site a, en l’occurrence, pu servir à la perforation des fragments de poteries (Allard, 2008, p. 18).
100En cours de perforation, les fabricants ont systématiquement retourné les tessons. Ils ont alors poursuivi cette perforation sur l’autre surface, en procédant des mêmes façons (fig. 81). Deux éléments le montrent. Certaines pièces présentent d’une part deux perforations partielles, respectivement localisées au centre de leurs surfaces externe et interne. Les perforations complètes de l’ensemble des outils montrent, d’autre part, une section biconique. Le risque de bris des pièces était, par cette procédure, grandement réduit au moment de la finition de la perforation des outils.
Les encoches
101Sur les 1 895 pièces façonnées, seulement 8 montrent des encoches (soit 0,5 %). Les méthodes de fabrication de ces encoches n’ont pas pu être restituées, en la présence de concrétions carbonatées. Il est néanmoins assuré que les 23 entailles recensées ont été réalisées à l’aide d’un outil actionné en percussion posée. L’abrasion observée au niveau des encoches permet de le montrer.
102En résumé, l’outillage en céramique étudié montre des traces de fabrication variées : retouches, perforations, encoches et plages abrasées. Les tessons recyclés ont, par ailleurs, été façonnés selon différentes méthodes. Cette diversité s’exprime tant au niveau de la retouche que de la perforation des fragments recyclés.

Fig. 78 : Tesson recyclé associant traces de piquetage et abrasion au niveau de sa perforation. Cette perforation a donc débuté à l’aide d’un outil actionné en percussion lancée, puis s’est poursuivie avec un objet ayant fonctionné en rotation.

Fig. 79 : Stries concentriques discontinues localisées au pourtour d’une perforation partielle (a) et complète (b).

Fig. 80 : Perforation complète asymétrique.

Fig. 81 : Tessons représentatifs des principales étapes de perforation d’un outil : (a) entame de perforation en surface externe, (b) poursuite de la perforation en surface interne, (c) perforation achevée.
Relations entre les différentes traces de fabrication
103L’analyse croisée des différentes traces de fabrication visait à restituer les chaînes opératoires de façonnage des tessons recyclés. Elle n’a malheureusement pas permis de confronter les retouches et les plages abrasées des pièces étudiées. L’abrasion des tranches, opérée pour la régularisation du pourtour de fragments, a en effet plus ou moins effacé les retouches. Il était donc impossible d’en définir la position et l’inclinaison sur les tessons ayant fait l’objet d’une mise en forme finale de leur pourtour par abrasion.
Retouches des tessons à surfaces intactes et à tranches brutes de taille (catégorie K, 953 pièces)
104Les retouches de ces tessons sont directes (31 %), inverses (38 %) ou croisées (31 %). Leur inclinaison est abrupte (11 %), semi abrupte (86 %) voire rasante (3 %). On retrouve exactement les mêmes variations de position et d’inclinaison des retouches que pour l’ensemble des tessons mis en forme (fig. 82). Les populations néolithiques n’ont donc pas procédé de manière particulière pour rendre circulaire cette catégorie de fragments. Ils les ont façonnés par percussions opérées depuis la surface externe des tessons, la surface interne voire depuis les deux surfaces des fragments.

Fig. 82 : Comparaison des positions (a) et des inclinaisons des retouches (b) entre l'ensemble des supports retouchés et ceux de la catégorie K.
Retouches des tessons à surfaces partiellement perforées et à tranches brutes de taille (catégorie N, 135 pièces)
105Les retouches des tessons partiellement perforés sont aussi directes (33 %), inverses (30 %) ou croisées (37 %). Leur inclinaison est, quant à elle, abrupte (13 %) ou semi-abrupte (87 %). Les tessons concernés n’ont pas été façonnés selon une méthode particulière car on y observe la même variabilité de retouches que sur le reste du matériel (fig. 83).
Retouches des tessons à surfaces pleinement perforées et à tranches brutes de taille (catégories O et P, 158 pièces)
106Les retouches des tessons complètement perforés sont là encore directes (30 %), inverses (44 %) ou croisées (26 %). Elles sont, en outre, abruptes (19 %), semi-abruptes (67 %) voire rasantes (14 %). Globalement, la position et l’inclinaison des retouches varient tout autant que sur les autres pièces de l’industrie (fig. 84). Les tessons perforés ont donc eu leur pourtour régularisé par percussions faites sur la surface externe des pièces, leur surface interne voire leurs deux surfaces.

Fig. 83 : Comparaison des positions (a) et des inclinaisons des retouches (b) entre l'ensemble des supports retouchés et ceux de la catégorie N.

Fig. 84 : Comparaison des positions (a) et des inclinaisons des retouches (b) entre l'ensemble des supports retouchés et ceux des catégories O et P.
Tranches abrasées des tessons à surfaces intactes (catégorie L, 143 pièces)
107L’abrasion de la tranche des tessons en question n’est couvrante que dans 16 % des cas. Or, 25 % des fragments mis en forme par frottement de leurs tranches ont une abrasion couvrante. Cette légère différence peut refléter un moindre soin apporté à la régularisation du pourtour des tessons sans perforation. Elle peut aussi témoigner de la mise en forme circulaire moins fréquente de cette catégorie de fragments par unique abrasion des tranches. La plupart des tessons à surfaces intactes et à tranches abrasées (84 %) a, en tout cas, fait l’objet d’une mise en forme préalable de leur pourtour par retouches. L’abrasion des tranches n’est, en effet, pas couvrante sur ces fragments, alors qu’ils sont pourtant bien ronds.
Tranches abrasées des tessons à surfaces partiellement perforées (catégorie Q, 41 pièces)
108L’abrasion de la tranche des tessons partiellement perforés est couvrante sur 24 % des pièces. Les populations néolithiques semblent, de fait, avoir mieux régularisé le pourtour des tessons de cette catégorie. Davantage de fragments a peut-être aussi été mis en forme par unique abrasion des tranches. Quoi qu’il en soit, les tessons à surfaces partiellement perforées et à tranches abrasées ont souvent été façonnés par retouches (76 %). Ils sont en effet circulaires, malgré une abrasion des tranches généralement peu développée.
Tranches abrasées des tessons à surfaces complètement perforées (catégories R et S, 212 pièces)
109L’abrasion de la tranche des tessons pleinement perforés est couvrante dans 31 % des cas. Ce pourcentage est légèrement plus élevé que celui quantifié sur l’ensemble des fragments circulaires à tranches abrasées. Les populations néolithiques ont apparemment davantage prêté attention à la régularité du pourtour des tessons complètement perforés. La régularisation complète de ce genre de pièces par unique abrasion des tranches a aussi pu être davantage pratiquée. Une large part des fragments (69 %) a, en tout cas, été mise en forme par retouches avant frottement de leur pourtour.
Tranches abrasées des tessons encochés (catégories M et T, 2 pièces)
110L’abrasion de la tranche des deux tessons circulaires encochés est couvrante. Les populations néolithiques ont visiblement soigné la mise en forme de ce genre de fragments.
111Les diverses positions et inclinaisons de retouches ainsi que les différentes étendues d’abrasion du pourtour se retrouvent sur des pièces de toutes les catégories. Les populations néolithiques ne semblent pas avoir suivi une chaîne opératoire précise pour la fabrication d’un même type d’outils. Ils ont par contre davantage régularisé le pourtour des pièces de certaines catégories. En témoigne l’abrasion généralement plus couvrante de leur tranche. Afin de caractériser dans sa globalité l’outillage en céramique, les traces d’utilisation des outils ont fait l’objet d’une analyse approfondie.
Les traces d’utilisation
112À Kovačevo, 701 outils sur tesson ont livré des traces d’utilisation (soit 27 % des pièces). Ces traces se caractérisent par une suppression ou un apport de matière.
Traces par suppression de matières
113Des traces d’usure ont été reconnues sur 699 outils (soit 27 % des tessons de l’industrie). Elles se déclinent sous forme de plages abrasées, de rainures et de traces de lien.
Les plages abrasées
114Des plages abrasées liées à l’utilisation des tessons ont été relevées sur 688 fragments (soit 98 %). Ces plages sont généralement localisées sur la tranche des outils sur tesson (99 % des cas). Elles sont plus exceptionnellement cantonnées à leurs surfaces (0,5 %). De très rares cas montrent également des abrasions sur les surfaces et les tranches des mêmes tessons (0,5 %).
115Sur les 688 tessons présentant des plages abrasées, 582 ont pu être interprétées (soit 85 %). Ces 582 pièces comprennent 576 tessons à tranche usée, 3 fragments à surfaces abrasées et 3 tessons ayant à la fois leur tranche et leurs surfaces usées.
116Les 579 tessons à tranche abrasée, pour lesquels les traces d’utilisation ont pu être caractérisées, ont été scindés en deux groupes. Ces deux groupes ont été définis à partir des caractéristiques macro- et microscopiques de leurs usures.
117Le premier ensemble se compose de six fragments, sur lesquels ont été identifiées dix parties actives différentes. Ces dix parties actives présentent les caractéristiques macro- et microscopiques suivantes (fig. 85) :
- Des usures aux contours diffus suivant l’irrégularité originelle de la tranche ;
- Des inclusions autant mises en relief que sur une cassure vierge de tout frottement ;
- Des particules dégraissantes généralement peu émoussées ; Des jonctions tranches/surfaces adjacentes sinusoïdales à section arrondie ;
- Une absence de strie et de poli visible.

Fig. 85 : Faisceau de traces diagnostiques d’un frottement mécanique produit au contact d’une matière souple : (a) facette d'usure irrégulière aux contours diffus (b), (c) particules dégraissantes mises en avant et peu émoussées.
118Ce faisceau de traces se rapproche fortement de celui observé sur les tessons expérimentaux ayant travaillé de la peau (Vieugué, 2010). Il n’est cependant pas possible d’affirmer que les pièces archéologiques ont effectivement servi à transformer ce matériau. Aucun poli brillant de type peau n’a en effet été relevé sur les parties actives des outils sur tesson. Ceux-ci ont en tout cas bien servi au travail d’une matière souple.
119La forme des parties actives des six outils semble fortement dépendre de l’irrégularité originelle de la tranche. De manière schématique, elle est sinusoïdale. Les parties actives conservées des tessons réutilisés mesurent entre 3 cm et 10 cm, ce qui donne un aperçu de la largeur de la surface travaillée par geste. En section, l’abrasion des tessons ne montre aucune inclinaison. Les fragments recyclés ont par conséquent été actionnés perpendiculairement à la surface travaillée. L’absence de stries ne permet cependant pas de préciser si les outils ont fonctionné en percussion posée linéaire longitudinale ou transversale. L’abrasion des six tessons ne se développe, par ailleurs, pas sur leurs surfaces adjacentes. Les outils n’ont donc pas pénétré dans la matière première transformée. Ils ne semblent pas l’avoir découpé, mais plutôt gratté ou frotté.
120Si la cinématique de tels outils a globalement été comprise, leur durée d’utilisation est beaucoup plus difficile à saisir. L’abrasion relativement couvrante de leurs tranches nous laisse cependant entrevoir une utilisation assez longue. L’expérimentation a en effet montré que les tessons s’usaient très lentement au contact d’une matière souple.
121Le deuxième groupe comprend 573 tessons présentant 900 parties actives différentes. Toutes ces parties actives montrent les caractéristiques macro- et microscopiques diagnostiques suivantes (fig. 86) :
- Des facettes d’usure aux contours clairement délimités et à section légèrement convexe ;
- Des inclusions légèrement mises en relief très émoussées ;
- Des jonctions tranches/surfaces adjacentes régulières à section arrondie ;
- Des stries larges et profondes relativement fréquentes ;
- Une absence de poli.
122D’après le référentiel expérimental, ce faisceau de traces est caractéristique d’une abrasion produite au contact d’une argile (Vieugué, 2010). L’abrasion des 573 tessons est, en outre, cantonnée aux tranches. De toute évidence, les outils n’ont pas vraiment pénétré la matière travaillée. Ils n’ont donc pas servi à découper des pains d’argile. Parmi les 573 tessons en question, 116 montrent des stries. Toutes sont perpendiculaires à légèrement obliques au plus grand côté des parties actives. Les tessons ont donc fonctionné en percussion posée linéaire transverse et ont ainsi plutôt servi au grattage ou au raclage d’argile. Les outils les plus complets présentent de surcroît des parties actives de formes concaves ou convexes qui rappellent le profil courbé des récipients en terre cuite. Ils ont donc servi d’estèques en céramique.
123Les estèques montrent des formes de parties actives peu variées, généralement courbes. Ces formes sont souvent convexes (64 %). Elles sont plus rarement concaves (15 %) ou concavo-convexes (13 %). Elles sont exceptionnellement convexe-concave-convexes (8 %). La morphologie des parties actives de tels outils renseigne sur les zones raclées ou grattées par les potiers. Elle constitue en effet l’empreinte de la courbure des dernières surfaces travaillées. Dans 82 % des cas déterminés, les parties actives de ces outils ont une forme convexe. Les potiers les ont de ce fait préférentiellement employés sur la surface interne des vases ou la surface externe des cols. Dans 18 % des cas, les parties actives ont une forme concave. Ces mêmes potiers les ont utilisés sur les autres zones des vases, bien que cela semble plus rare. Quelques estèques en céramique associent aussi des parties actives de forme convexe et concave. Il est donc fort probable qu’un même outil ait servi au travail de surfaces ayant des courbures distinctes.
124Les outils impliqués dans le façonnage des poteries ont de plus des parties actives complètes mesurant de 4 cm à 10 cm. Leurs dimensions donnent une idée de la largeur de la surface travaillée par geste, lors des ultimes utilisations des estèques.
125Ces estèques présentent en outre des sections de parties actives très diversifiées, pouvant varier sur une même tranche abrasée. De manière schématique, ces sections forment souvent un léger arrondi (89 %), beaucoup plus rarement un biseau (11 %). La majorité des outils a donc été utilisée perpendiculairement à la surface travaillée. Les potiers ont ainsi exploité la tranche complète des tessons pour travailler l’argile des vases façonnés. Une minorité d’estèques a aussi été utilisée obliquement, en coupes positives ou négatives. Les potiers semblent, dans ce cas, avoir cherché à se servir de l’arête des tranches. Il se peut que les outils utilisés obliquement aient eu une finalité technique différente de ceux employés perpendiculairement : raclage pour les premiers et grattage pour les seconds.

Fig. 86 : Faisceau de traces diagnostiques d’un frottement mécanique au contact d’une argile : (a) facette d’usure régulière aux contours, assez clairement délimités (b), (c) particules dégraissantes légèrement mises en relief et très émoussées, (d) stries marquées.

Fig. 87 : Faisceau de traces diagnostiques d’un frottement mécanique sur une argile : (a) facettes d’usure régulières aux contours clairement délimités, (b) particules dégraissantes légèrement mises en relief et émoussées.
126Si la cinématique des estèques en céramique a dans les grandes lignes été définie, leur durée d’utilisation est plus difficile à établir. Certains outils ont en tout cas été peu utilisés car on y observe encore la surface brute originelle de la tranche. L’expérimentation a de plus montré qu’ils s’usaient relativement vite au contact d’une argile dégraissée, comme celle employée par les potiers de Kovačevo. En effet, l’usure couvre systématiquement la totalité de la tranche des tessons expérimentaux après dix minutes de travail sur ce matériau. La durée de vie des estèques devait donc être assez courte.
127Les six tessons à surfaces abrasées dont l’usure a pu être caractérisée ont tous été regroupés. Ils présentent en effet le même faisceau de stigmates. Ce faisceau de traces est, par ailleurs, très proche de celui qui caractérise les estèques en céramique (fig. 87) : des usures aux contours clairement délimités ; des facettes d’usure régulières et planes ; des particules dégraissantes légèrement mises en relief et très émoussées.
128Ce faisceau de traces renvoie à celui d’une abrasion produite au contact d’une argile (Vieugué, 2010). À la différence des estèques en céramique, l’abrasion se développe ici sur les surfaces des outils. Les populations néolithiques ont donc plutôt cherché à lisser l’argile (Vieugué, 2010). La forme des parties actives des lissoirs ne permet cependant pas de se prononcer sur la nature de l’objet façonné (poteries ou autres ?).
129La cinématique des outils a par contre pu être approchée. Sur les tessons, l’abrasion des surfaces est souvent étendue. Les outils n’ont donc pas été positionnés à l’oblique. Ils ont véritablement été actionnés parallèlement au plan travaillé.
130La durée d’utilisation de ces quelques lissoirs sur tessons est, en outre, supposée très courte. Leur usure n’a quasiment pas engendré de réduction de l’épaisseur des outils. Or, l’expérimentation a révélé combien les tessons frottés sur une argile dégraissée perdaient rapidement de la matière.
Les rainures
131Dix outils en céramique présentent des rainures (soit 0,4 % des pièces de l’industrie). Ces outils ont été scindés en trois groupes, définis à partir de la largeur et de la profondeur de leur principale rainure (fig. 88).

Fig. 88 : Tessons à surfaces rainurées représentatifs des trois groupes d’outils définis : (a) fragment avec strie principale de moins d’un millimètre de large et de creux, (b) tesson avec rainure principale d’une largeur de 6 mm et d’une profondeur de 2 mm minimum, (c) fragment avec rainure principale de 1 à 3 mm de large pour 1 à 2 mm de profondeur.
132Le premier se compose de deux outils dont les stries font moins d’un millimètre de large et de creux (fig. 88a). Leur section forme un V. Les deux outils dont il est question ont vraisemblablement servi de supports à découpe. En témoignent les multiples rainures fines et parallèles qui traversent toute la surface plane des tessons. L’objet qui a servi à couper était, quant à lui, certainement en quartz ou en silex. D’après l’expérimentation, seul un instrument en matériau dur semble être à même de rayer la céramique de Kovačevo de cette façon. Les matières découpées sur les tessons n’ont par contre pu être déterminées. Aucune trace résiduelle n’a en effet été observée à leurs surfaces. Quant à la durée de vie des deux outils, elle a certainement été très courte (usage unique ?). Le nombre de rayures identifiées n’apparaît pas si élevé pour une planche à découper.
133Le deuxième ensemble réunit six fragments présentant une rainure principale bien plus large et profonde que les deux outils précédents (fig. 88b). Elle mesure, en l’occurrence, entre 6 et 8 mm de largeur pour une profondeur supérieure à 2 mm. Dans ce groupe, trois tessons montrent une rainure de section en U et trois l’ont en V.
134Ces six fragments recyclés ont certainement servi de polissoirs. Ce mode de fonctionnement est supposé par la présence de rainures larges, aptes au façonnage ou ravivage d’autres outillages (De Beaune, 2000, p. 47 ; Hamon, 2006, p. 129-132). Les objets travaillés à l’aide de tels tessons rainurés étaient vraisemblablement de formes différentes : la section des rainures varie effectivement en U ou en V. La nature du matériau travaillé n’a, quant à elle, pas pu être déterminée sur la base de l’usure des rainures conservées. Ces dernières sont, en effet, trop concrétionnées pour pouvoir faire l’objet d’une lecture tracéologique détaillée. Deux hypothèses peuvent néanmoins être avancées, en s’appuyant sur des exemples connus d’utilisation de polissoirs en pierre. La première est celle du polissage de poinçons en os (De Beaune, 2000, p. 104), qui sont nombreux dans l’industrie osseuse de Kovačevo (Sidéra, 2008, p. 23). La seconde est celle du façonnage de perles en matériau minéral tendre (De Beaune, 2000, p. 104), bien attestées sur le site (Bonnardin, 2006, p. 28-29). Par contre, le façonnage et le ravivage de haches en roche tenace à l’aide de tels polissoirs peuvent être exclus. L’expérimentation a en effet clairement montré l’inefficacité des tessons pour le travail de matériaux minéraux durs. Quant à la durée de vie des six polissoirs en céramique, elle n’a pas pu être établie. Aucun indice ne renseignait cet aspect précis.

Fig. 89 : Cupule à section en U, se distinguant nettement des autres perforations partielles en forme de V
135Le troisième et dernier groupe comprend deux tessons, dont les rainures ont des largeurs et des profondeurs intermédiaires (fig. 88c). La première des dimensions varie de 1 à 3 mm ; la seconde oscille de 1 à 2 mm. Les deux pièces montrent, en outre, une rainure de section en U. La fonction de ces outils en céramique reste énigmatique. Aucun indice n’a pu être recueilli sur les matières transformées et le mode de fonctionnement des pièces archéologiques. Ils n’ont en tout cas ni servi de supports à découpe ni de polissoirs. Leurs rainures ne se développent, en effet, pas sur des surfaces planes.
Les cupules
136Sur les 297 pièces présentant uniquement des perforations partielles, 14 livrent des perforations incomplètes en forme de U (soit 5 %) (fig. 89). Le diamètre de ces perforations singulières varie de 9 à 20 mm. Leur profondeur oscille, quant à elle, de 2 à 4 mm. La forme des perforations, tout autant que leurs dimensions, ne sont pas sans rappeler celles des cupules de pommeaux à archet (Gob, 1976, p. 163 ; Rodrigue, 1985). Aucune usure caractéristique n’a cependant été relevée sur les 14 outils concernés. Leur fonctionnement reste donc fortement supposé, sans pouvoir être démontré.
Les traces de lien
137Un seul outil en céramique présente des traces de lien. Ces traces se matérialisent sous la forme d’une fine entaille qui relie la perforation centrale du tesson à son pourtour, via ses deux surfaces (fig. 90).

Fig. 90 : Trace de lien reliant la perforation centrale du tesson à son pourtour via ses deux surfaces.

Fig. 91 : Typologie des résidus retrouvés à la surface de tessons recyclés : (a) dépôt rouge observé à la surface d’un fragment retouché, (b) encroûtement beige piégé dans la rainure d’un des polissoirs.

Fig. 92 : Signature spectrale obtenue au MEB sur l’un des deux résidus rouges (éch. Kov 112R) caractéristique de l’ocre.
138Dans la mesure où l’outil est incomplet, il est difficile de se prononcer sur son mode d’attache. Toutefois, la distribution des traces de lien fournit une indication. En effet, leur présence au niveau de la perforation, des surfaces et de la tranche externe du tesson indique que le lien était enroulé autour du fragment. Ce fragment était, en conséquence, fixe sur son support. Il peut alors avoir servi de poids ou être un élément de pendentif.
139Les fragments présentant des rainures et des traces de lien sont probablement des outils passifs. Ils se distinguent en cela des tessons ayant livré des plages abrasées qui sont considérées comme actifs.
Traces par apport de matières
140Les encroûtements identifiés ont été regroupés en deux classes (fig. 91). La première se compose de deux résidus rouges adhérant fortement à la surface des outils. Ces résidus présentent une surface relativement lisse et sont peu couvrants. Leur épaisseur est, en outre, peu prononcée (de l’ordre de 0,1 mm). La seconde classe renvoie à un dépôt de matière de couleur beige. Celui-ci adhère moins fortement au tesson. Il se trouve piégé au fond d’une rainure d’un polissoir. Sa surface est, par ailleurs, régulière et son épaisseur relativement faible (de l’ordre de 0,5 mm).
141Les tentatives de caractérisation des résidus rouges en IRTF ont échoué. Ces encroûtements adhéraient trop fortement à la surface des fragments et il était alors impossible d’en prélever un échantillon sans arracher une fraction d’engobe brun. Par contre, de tels résidus ont pu être caractérisés au MEB. Ils sont essentiellement constitués de fer, de silicium et d’aluminium (fig. 92). Or, l’association de tels composés semble indiquer que les matériaux analysés sont de l’ocre (Maniatis et Tsirtsoni, 2002).
142Le résidu beige a, quant à lui, pu être analysé en IRTF. L’empreinte spectrale obtenue révèle des bandes de vibration qui sont caractéristiques des liaisons carbonyles, carbonates et phosphates (fig. 93). Les analyses au MEB montrent, quant à elles, que l’échantillon est principalement constitué de calcium et de phosphore (fig. 94). Tous ces éléments évoquent de manière convergente la nature osseuse de l’encroûtement (Reiche et al., 2002). Le polissoir ayant livré le résidu beige a donc vraisemblablement servi au ravivage de poinçons en os.

Fig. 93 : Comparaison des spectres Infrarouges obtenus sur le dépôt beige piégé dans la rainure d'un polissoir (éch. Kov 111R) et sur un fragment d'os du site (Kov 16R).
143En résumé, l’outillage en céramique du site montre des traces d’utilisation relativement fréquentes et variées. Ces traces révèlent non seulement la diversité des matières premières transformées (matériau souple, argile, os, ocre), mais aussi la multiplicité des modes de fonctionnement des tessons recyclés (actifs ou passifs, etc.). L’analyse croisée des différentes traces d’utilisation identifiées a permis d’approcher la polyvalence fonctionnelle des outils.
Relations entre les différentes traces d’utilisation
144En réalité, seuls les tessons à tranche et à surfaces abrasées (catégorie I) semblent avoir été utilisés pour différentes finalités. Les usures de la tranche et des surfaces ont pu être caractérisées sur trois outils. Ces trois outils ont uniquement servi au travail de l’argile, comme lissoirs et estèques en céramique. Ils ont donc probablement participé au montage et à la finition de poteries. Les autres outils ne semblent, en revanche, avoir connu qu’une seule fonction au cours de leur vie.

Fig. 94 : Signatures spectrales obtenues au MEB sur : (a) l’encroûtement beige piégé dans la rainure du polissoir (éch. Kov 111R) caractéristique d’une matière osseuse, (b) un fragment d’os du site (éch. Kov 16R)
La caractérisation de la trousse à outils sur tesson
145La morphométrie, les traces de fabrication et d’utilisation des outils ont fourni de précieux indices sur les différents segments des chaînes opératoires de l’outillage en céramique. Chacun des critères a en effet livré des informations complémentaires qui concernent les stratégies d’approvisionnement en tesson, leurs mises en forme et leurs fonctions. Pour restituer complètement les chaînes opératoires de l’outillage sur tesson, il était donc nécessaire de combiner l’ensemble des critères pris en compte.
Les outils à tranches abrasées ayant travaillé de l’argile (573 pièces)
146Les estèques en céramique sont issues de la récupération de fragments de bord (14 %), de panse (81 %), de préhension (2 %) ou d’assise (3 %) (pl. 22 à 29). Ces estèques montrent une épaisseur extrêmement variable, s’échelonnant de 3 à 24 mm (fig. 95). La majorité d’entre elles (73 %) a tout de même une épaisseur moyenne, comprise entre 6 et 10 mm. Les tessons recyclés comme outils de potier ne montrent, en outre, pas de dégraissants organiques (excepté 1 % des cas). Ils présentent, en revanche, systématiquement des inclusions minérales. Les estèques ont par ailleurs des surfaces lissées (5 %), généralement engobées et polies (89 %) voire barbotinées (6 %). Elles sont parfois décorées (13 %). Les outils sont alors ornés de motifs peints (86 %), de décors imprimés (8 %), plastiques (3 %) ou pochés (3 %).
147Les estèques en céramique et les tessons ayant servi de supports d’outils présentent des caractéristiques très proches (fig. 96 et 97). Les habitants ont donc opéré une sélection des fragments similaires à celle mise en œuvre pour l’ensemble des supports. Autrement dit, ils ont privilégié le réemploi de tessons abrasifs et résistants.
148Sur les 573 estèques, seules quatre présentent des traces de mise en forme (fig. 98a). Elles montrent en l’occurrence des retouches. La position et l’inclinaison des enlèvements n’ont cependant pu être déterminées que sur un fragment : les retouches y sont alors directes et semi-abruptes. Le fabricant a donc uniquement percuté la surface interne du tesson pour le mettre en forme. Pour les trois autres estèques façonnées, les modalités de régularisation du pourtour par percussion n’ont pas pu être précisées. Le but du façonnage était quoi qu’il en soit de leurs conférer une forme circulaire à ovale. La très grande majorité des estèques ne révèle toutefois aucune trace de mise en forme. Leur pourtour est irrégulier et certaines parties actives d’outils montrent encore la surface brute originelle de la tranche (fig. 98b). Cette absence visible de mise en forme est surprenante. L’usage de tessons comme estèques requiert, en effet, une forme de partie active particulière, adaptée à la courbure des vases. Deux possibilités peuvent néanmoins expliquer l’absence apparente de façonnage : soit les potiers ont récupéré des tessons dont la fracture présentait une morphologie adaptée au fonctionnement des estèques ; soit les traces d’utilisation de ces estèques ont engendré la disparition complète des stigmates de leur mise en forme. Cette possible mise en forme ne devait alors consister qu’en la suppression des angles des fragments, comme c’est le cas d’estèques en céramique néolithiques dans le Sud-Est de la France (Hameau, 2005, p. 88). Les 573 outils de potier identifiés n’ont en tout cas jamais fait l’objet d’une mise en forme complète de leur pourtour par frottement sur un matériau minéral dur, comme cela est actuellement pratiqué en Afrique (Zangato, 1999 ; Gosselain, 2002, p. 118-119).

Fig. 95 : Épaisseur des estèques de potier.

Fig. 96 : Comparaison des caractéristiques des estèques en céramique avec celles des supports d'outils par : (a) type de fragments, (b) dégraissant, (c) classes d'épaisseur.

Fig. 97 : Comparaison des caractéristiques des estèques en céramique avec celles des supports d'outils par : (a) traitements de surface, (b) décor.
Les outils à surfaces abrasées ayant travaillé de l’argile (3 outils)
149Les lissoirs en céramique ont été identifiés sur des fragments de panse (1 pièce) ou de bord (2 outils) (pl. 30). Leur épaisseur est de l’ordre de 6-7 mm. Ils ne présentent que des inclusions minérales. Tous sont par ailleurs engobés et polis. L’un des trois outils est même peint.

Fig. 98 : Façonnage des estèques en céramique : (a) mise en forme par retouches du pourtour, (b) sans mise en forme apparente.
150Le nombre restreint de pièces attribuées à cette gamme fonctionnelle ne permet pas de préciser les critères de sélection des tessons utilisés en lissoirs. Notons seulement que ces tessons ne se distinguent en rien des autres supports de l’outillage.
151Aucun des trois lissoirs ne montre par ailleurs de traces de façonnage. Les villageois ont, semble-t-il, utilisé les tessons sans les mettre en forme.
Les outils à tranches et surfaces abrasées ayant travaillé de l’argile (3 outils)
152Les outils ayant à la fois servi d’estèques et de lissoirs pour le montage des poteries ont été reconnus sur des fragments de panse (pl. 31). Leur épaisseur moyenne est de l’ordre de 7 à 11 mm. Tous montrent des inclusions minérales, mais pas de dégraissant végétal. Les trois outils sont, en outre, engobés et polis. Ils ne sont, par contre, pas décorés.
153Le nombre limité de pièces constituant cette gamme fonctionnelle ne permet pas d’expliquer le choix des trois tessons récupérés. On peut toutefois imaginer que les critères de sélection étaient similaires à ceux des fragments uniquement utilisés en estèques.
154Les trois pièces ne révèlent là encore aucune trace de fabrication. Elles semblent avoir été utilisées sans être façonnées.
Les outils à tranches abrasées ayant travaillé une matière souple (6 outils)
155Les outils ayant travaillé une matière souple ont tous été identifiés sur des fragments de panse (pl. 32). Ces fragments ne présentent aucun dégraissant végétal. Ils montrent en revanche systématiquement des inclusions minérales. Leur épaisseur s’échelonne de 5 à 9 mm. Les six grattoirs sont en outre engobés et polis. Aucun n’est décoré.
156Le faible effectif d’outils rend ici difficile la compréhension du choix des tessons récupérés pour une telle utilisation. Ces tessons ne révèlent en tout cas pas de différences flagrantes avec les autres supports.
157Aucune trace de mise en forme n’a été repérée sur les six fragments utilisés pour la transformation d’une matière souple. Les populations néolithiques n’ont visiblement pas façonné ce genre d’outils. Ils semblent plutôt avoir ramassé et utilisé les tessons ainsi.
Les outils à fines rainures (2 outils)
158Les supports à découpe ont été identifiés sur deux fragments de bord (pl. 33). Ces fragments ont respectivement une épaisseur moyenne de 7 et 9 mm. Leur pâte ne contient que des inclusions minérales. Les deux outils en céramique montrent, par ailleurs, des surfaces engobées et polies. L’un d’eux est même orné d’impressions sur la lèvre.
159De nouveau, le nombre limité de pièces ne permet pas d’apprécier les choix opérés lors du ramassage des fragments voués à cet usage. Ces fragments ont, quoi qu’il en soit, des caractéristiques comparables à la majorité des tessons de l’outillage. Il est d’ailleurs étonnant de voir que des fragments épais n’ont pas été choisis pour concevoir ce genre d’outils. Les supports à découpe devaient théoriquement posséder une excellente résistance mécanique (la pression exercée sur les tessons étant certainement importante au moment de leur utilisation). Le choix de fragments épais aurait donc été justifié dans le cadre cette activité. Cette option n’a visiblement pas été retenue.
160Aucune des deux planches à découpe ne livre de traces de mise en forme. Les habitants ont, à l’évidence, récupéré les fragments et s’en sont servis directement.
Les outils à larges rainures (6 outils)
161À Kovačevo, les polissoirs en céramique ont systématiquement été aménagés sur des tessons de panse (pl. 34). Leur épaisseur varie grandement puisqu’elle s’échelonne de 6 à 23 mm. Sur les six pièces, quatre ont tout de même une épaisseur moyenne comprise entre 6 et 10 mm. Les fragments ayant servi de polissoirs ne présentent par ailleurs que des inclusions minérales. Leurs surfaces sont engobées et polies, mais jamais décorées.
162Le nombre limité de polissoirs rend malaisé la détermination des critères de choix des tessons récupérés. Ces derniers ne se distinguent cependant pas vraiment des autres supports ramassés. Pourtant, il aurait été logique de penser que des tessons plus épais auraient été sélectionnés pour confectionner ce type d’outils. Les fabricants n’ont visiblement pas fait ce choix.
163Aucune trace de façonnage n’a été relevée sur les six polissoirs. Les villageois ont toutefois dû aménager les rainures larges, afin que les outils soient efficaces au premier usage. L’usure produite par l’utilisation de cet outillage a certainement fait disparaître ces traces. Il est, en tout cas, assuré que le pourtour des polissoirs n’a pas été régularisé.
Les tessons à cupules (14 pièces)
164Les tessons présumés avoir servi de pommeaux à archet ont été fabriqués sur des fragments de panse (86 %) ou d’assises (14 %) (pl. 35). Leur épaisseur varie de 4 à 10 mm. Ils ne présentent que des inclusions minérales. Les fragments recyclés montrent par ailleurs des surfaces lissées (7 %), engobées et polies (86 %) voire barbotinées (7 %). Ils sont parfois décorés (29 %). Seuls des motifs peints ont alors été observés (100 %).
165Les supposés pommeaux à archet ont été conçus sur des supports dont les caractéristiques diffèrent légèrement des autres fragments. Ils sont en effet plus fréquemment décorés. Ils sont aussi plus souvent aménagés sur des bases que les autres gammes fonctionnelles étudiées. Aucun avantage ne semble pourtant découler de la récupération de tels fragments pour cet usage.
166Les 14 pommeaux ne montrent, par ailleurs, aucune trace de fabrication, si ce n’est leur perforation qui a dû être aménagée avant leur première utilisation. La mise en forme de ces pommeaux a donc été réduite à l’essentiel car leur pourtour n’a même pas fait l’objet d’une régularisation.
L’outil présentant des traces de lien (1 outil)
167L’outil présentant des traces de lien a été aménagé sur un fragment de panse, sans décor (pl. 36). Son épaisseur est de l’ordre de 9 mm. Il présente, par ailleurs, des inclusions minérales, mais pas de dégraissant végétal.
168Dans la mesure où la série n’a livré qu’un seul outil avec des traces de lien visibles, les critères de sélection qui ont conduit à la récupération de ce tesson n’ont pas pu être établis.
169De même, le mauvais état de conservation de la pièce n’a pas permis de restituer la chaîne opératoire de sa fabrication, notamment les méthodes de retouches et de perforation.
Les outils présentant des résidus rouges (2 pièces)
170Les deux tessons ayant travaillé de l’ocre ont été conçus sur des fragments de panse (pl. 37). Ces fragments ont respectivement une épaisseur moyenne de 8 et 10 mm. Ils livrent uniquement des inclusions minérales. Leurs surfaces sont de surcroît engobées et polies.
171Le nombre limité de ces outils ne permet pas de cerner les critères de sélection des deux tessons recyclés. Ces derniers ne montrent cependant pas de véritables différences avec les autres supports étudiés.
172Les deux fragments présentant des traces d’ocre ont en outre révélé des stigmates de mise en forme. Le pourtour de chaque pièce a en effet été retouché. Les retouches n’ont malheureusement pas pu être positionnées et inclinées sur aucun des deux outils examinés. Les méthodes de régularisation du pourtour n’ont donc pas pu être approchées. Les surfaces d’un des deux tessons réutilisés ont aussi été partiellement perforées. Les deux entames de perforation ont été réalisées à l’aide d’un objet actionné en percussion lancée. Elles sont respectivement situées au centre des surfaces externe et interne du fragment aménagé. La présence de traces d’ocre sur un tel fragment est à vrai dire problématique. Ce type de pièces était jusqu’ici considéré comme une ébauche d’outils à surface pleinement perforée (catégorie O). Les perforations partielles identifiées restent, de plus, difficiles à justifier sur des outils supposés avoir travaillé de l’ocre. Il faut de ce fait certainement envisager un changement de destinée pour ce fragment partiellement perforé.
173Pour compléter cette restitution des chaînes opératoires de fabrication de l’outillage sur tessons, il était nécessaire de prendre en compte les fragments sans traces d’utilisation. En l’absence de stigmates d’utilisation, la fonction des tessons a été supposée au travers de leur forme et leurs dimensions. Cette approche n’offre bien sûr qu’une détermination hypothétique de leur utilisation car elle s’appuie sur des comparaisons typologiques qui n’ont pas valeur de démonstration. La rareté des études menées sur les tessons recyclés a, de plus, amené à dresser des comparaisons avec d’autres catégories de mobilier, qui ne présente pas les mêmes propriétés. L’analyse comparée a néanmoins le mérite d’avoir débouché sur des propositions de fonctions parfois insoupçonnées.
Les tessons ayant pu servir de poids (6 pièces)
174Parmi les pièces enregistrées, un tesson montre deux encoches opposées en forme de V. La forme de ce tesson façonné est très proche de celle de poids (Ribaux, 1986, p. 99 ; Koukouli-Chryssanthaki et al., 2007, p. 72). Or, les autres pièces encochées au pourtour irrégulier (5 pièces, catégorie B) peuvent tout à fait correspondre à des fragments du premier type de tesson invoqué. Toutes ont donc été assimilées à des poids.
175Les supposés poids ont été confectionnés sur des fragments de bord (5 outils) ou de panse (1 tesson) (pl. 38). Leur épaisseur varie de 6 à 15 mm, bien que généralement comprise entre 6 et 8 mm (pour 5 des 6 pièces). Les six fragments sont par ailleurs engobés et polis. Deux d’entre eux sont même peints. Leur pâte ne contient, en outre, que des inclusions minérales.
176Le faible effectif de pièces ne permet pas de cerner les critères de sélection des fragments voués à cet usage présumé. Reste que les tessons interprétés comme poids ne se différencient guère des autres supports enregistrés. Leur mise en forme a, par ailleurs, été minimale. Les villageois se sont contentés de l’aménagement d’encoches profondes, sans régularisation du pourtour des tessons.
Les tessons ayant pu servir de fusaïoles (370 pièces)
177Au sein de l’outillage, 370 tessons ronds sont dotés d’une perforation complète centrale. Leur diamètre avoisine généralement les 3 à 5 cm ; leur poids est souvent compris entre 10 et 30 g (fig. 99). Or, de telles caractéristiques rendent ces tessons aptes à un usage comme fusaïoles (De Beaune, 2000, p. 133 ; Médard, 2000, p. 16-36 ; Médard, 2006).
178Les supposées fusaïoles ont été façonnées sur des fragments de bord (3 %), de panse (95 %), d’arrachements de préhension (1 %) ou d’assise (1 %) (pl. 39 à 43). Tous montrent des inclusions minérales, mais seuls quelques-uns (1 %) présentent du dégraissant végétal. Leur épaisseur est par ailleurs variable, allant de 3 à 15 mm (fig. 100). Toutefois, la majorité des tessons ronds pleinement perforés (84 %) mesure entre 5 et 9 mm d’épais. Ces tessons ont en outre des surfaces lissées (2 %), engobées et polies (96 %), voire barbotinées (2 %). Ils sont parfois décorés (11 %). Des motifs peints (98 %) ou des décors plastiques (2 %) y sont attestés.
179Les tessons interprétés comme fusaïoles présentent des caractéristiques semblables aux autres supports de l’outillage (fig. 101 et 102). La même stratégie de sélection a donc été mise en place pour concevoir cette catégorie de pièces.
180Pour être adaptés à l’usage présumé, les tessons ont bien évidemment été façonnés. Ils ont livré l’ensemble des traces de fabrication repérées sur l’outillage étudié, à savoir retouches (sur 82,5 % des pièces) perforations (100 %), encoches (0,5 %) et plages abrasées (57 %). Sur ces tessons, les retouches sont abruptes (19 %), semi-abruptes (67 %) voire rasantes (14 %). Elles sont directes (30 %), inverses (44 %) ou croisées (26 %). La position et l’inclinaison des retouches identifiées varient dans les mêmes proportions que celles de l’ensemble des tessons régularisés (fig. 103). Les fabricants n’ont donc pas appliqué une manière de faire particulière pour les retoucher. Les plages abrasées, lorsqu’elles sont attestées, sont par ailleurs couvrantes (30 %) ou non (70 %). Leur étendue est comparable à celle des autres fragments. Aucun soin particulier n’a donc été apporté à la régularisation du pourtour des fusaïoles. Sur une pièce, des encoches ont même été aménagées. Elles ont été formées par abrasion sur tout le pourtour du tesson. Les méthodes de fabrication des perforations n’ont, quant à elles, pu être approchées qu’après avoir considéré les tessons régularisés à surfaces partiellement perforées (catégories N et Q) comme étant des ébauches d’outils pleinement perforés. Sur ces tessons partiellement perforés, les entames de perforation montrent soit des traces de piquetage (8 %) soit des stries concentriques discontinues (92 %). La plupart (67 %) se trouvent en surface interne des pièces techniques. Les perforations des tessons ronds, qu’ils soient ou non en cours de fabrication, sont en outre toujours asymétriques. Elles livrent de surcroît une section biconique. Au vu de ces caractéristiques, il semble que les fusaïoles aient été perforés selon les diverses méthodes précédemment décrites.

Fig. 99 : Taille (a) et poids (b) des fusaïoles.

Fig. 100 : Épaisseur des fusaïoles.

Fig. 101 : Comparaison des caractéristiques des fusaïoles avec celles des supports d'outils par : (a) type de fragments, (b) dégraissant, (c) classes d'épaisseur.

Fig. 102 : Comparaison des caractéristiques des fusaïoles avec celles des supports d'outils par : (a) traitements de surface, (b) décor.
181À partir des données recueillies, il est possible de restituer la chaîne opératoire de façonnage des fusaïoles (fig. 104). Les fabricants ont vraisemblablement débuté par régulariser le pourtour des tessons, de manière à pouvoir facilement centrer la perforation. Cette régularisation a principalement été opérée par retouches, mais elle a pu aussi se faire par abrasion. Dans le premier cas de figure, les fabricants ont indifféremment percuté les surfaces externe ou interne des tessons. Dans le second cas, ils en ont frotté la tranche sur un matériau minéral dur.
182Une partie des tessons retouchés a ensuite eu leur pourtour légèrement abrasé. Le but était alors de gommer les principales irrégularités d’ébauches d’ores et déjà circulaires.
183Une fois régularisées, les pièces ont vu leurs surfaces perforées. L’entame des perforations a été réalisée par un outil actionné en rotation ou en percussion lancée. Elle a le plus souvent été opérée sur la surface interne des fragments recyclés. Alors calé, l’outil à extrémité appointée a uniquement fonctionné en rotation alternée. Celui-ci était tenu à la main. En cours de fabrication, les producteurs ont retourné le tesson. Puis, ils ont repris le travail jusqu’à l’achèvement complet de la perforation. Après quoi, l’un des 370 tessons a vu ses tranches ornées de petites encoches.

Fig. 103 : Comparaison des stigmates de fabrication des fusaïoles avec ceux de l'ensemble des supports par : (a) position des retouches, (b) inclinaison des retouches, (c) étendue de l'abrasion des tranches.

Fig. 104 : Chaînes opératoires de façonnage des fusaïoles.
184La succession de certaines étapes a toutefois pu varier dans la chaîne opératoire de façonnage de cet outillage. Ainsi, la suppression des irrégularités de l’ébauche par abrasion a très bien pu intervenir après la perforation.
Autres fonctions (1091 pièces)
185Parmi les 2 588 pièces, 1 091 correspondent à des tessons ronds sans perforation. Ces tessons ronds, ayant leur tranche abrasée ou non, ont un diamètre compris entre 1,6 et 20 cm. Leur poids varie quant à lui de 1 à 1 680 g (fig. 105). Plusieurs fonctions ont été proposées pour des tessons circulaires retaillés identiques : couvercles, proto-monnaie (Schmandt-Besserat, 1977a, p. 141), pièces de jeu, éléments d’un système de comptage pour la gestion du bétail (Schmandt-Besserat, 1977b, p. 31 ; Viant, 2004, p. 48), coupelles-tessons utilisées pour la rotation des pots lors du montage ou encore battes pour le façonnage de vases (Mayor, 2010). Les tessons ronds de Kovačevo, ayant différentes dimensions, ont très bien pu servir à toutes ces fonctions.
186Ces tessons ont été façonnés sur des fragments de bord (3 %), de panse (95 %), de préhension (1 %) ou d’assise (1 %) (pl. 44 à 47). Ils montrent des épaisseurs extrêmement différentes, allant de 3 à 26 mm (fig. 106). La plupart des pièces (78 %) mesurent néanmoins de 6 à 11 mm d’épais. Leur pâte contient des inclusions minérales, parfois associées à du dégraissant végétal (1 %). Les tessons ronds sans perforation ont en outre des surfaces lissées (2 %), engobées et polies (96 %) voire barbotinées (2 %). Ils sont de temps à autre ornés (11 %). Les décors sont alors peints (98 %) ou imprimés (2 %).
187Les supposés jetons, coupelles-tessons, etc. présentent des caractéristiques similaires à celles de l’ensemble des supports (fig. 107 et 108) La sélection de ces fragments a donc été opérée sur les mêmes critères que les autres gammes fonctionnelles de pièces.
188Les 1091 tessons en question montrent bien évidemment des traces de fabrication. Ces traces se présentent sous forme de retouches (sur 97 % des pièces) et de plages abrasées (sur 13 %). Les retouches examinées sont directes (31 %), inverses (38 %) ou croisées (31 %). Leur inclinaison est abrupte (11 %), semi abrupte (86 %), voire rasante (3 %). Or, la position et l’inclinaison de ces enlèvements varient comme pour l’ensemble des supports (fig. 109). Par conséquent, les fabricants n’ont pas procédé d’une façon particulière pour les mettre en forme. Les tranches abrasées sont, quant à elles, couvrantes (16 %) ou non (84 %). Les principales irrégularités des tessons retouchés ont donc été plus ou moins gommées.

Fig. 105 : Taille (a) et poids (b) des supposés jetons.

Fig. 106 : Épaisseur des jetons.

Fig. 107 : Comparaison des caractéristiques des supposés jetons avec celles des supports d'outils par : (a) type de fragments, (b) dégraissant, (c) classes d'épaisseur.

Fig. 108 : Comparaison des caractéristiques des supposés jetons avec celles des supports d'outils par : (a) traitements de surface, (b) décor.
189À partir de ces éléments, il est possible de restituer les chaînes opératoires de façonnage des supposés jetons, coupelles-tessons, etc. (fig. 110). Les fabricants ont presque systématiquement commencé par retoucher les fragments. Dans de rares cas (3 %), ils ont pu aussi procéder à leur mise en forme par abrasion complète des tranches. Pour retoucher les fragments, les producteurs ont indifféremment percuté les surfaces externe et interne des tessons. Le pourtour de certains fragments retouchés a par la suite été plus ou moins abrasé. Le but était alors d’obtenir des produits encore plus réguliers.
190En résumé, l’outillage en céramique étudié a toujours été confectionné sur des tessons soigneusement sélectionnés. Le choix s’est systématiquement orienté vers la récupération de fragments abrasifs et résistants, quel que soit leur futur mode de fonctionnement. Une part non négligeable des tessons a alors été utilisée sans être mise en forme. Pour ce qui est des autres pièces de l’outillage, différentes méthodes de façonnage ont été mises en œuvre. Cette diversité s’observe sur les outils de toutes les gammes fonctionnelles recensées. Autrement dit, aucune chaîne opératoire précise n’a été suivie pour la confection d’un même type de produits. Il n’existe, par ailleurs, aucune relation stricte entre forme et fonction de l’outillage en céramique, même si de fortes tendances s’expriment.

Fig. 109 : Comparaison des stigmates de fabrication des supposés jetons avec ceux de l'ensemble des supports par : (a) position des retouches, (b) inclinaison des retouches, (c) étendue de l'abrasion des tranches.

Fig. 110 : Chaînes opératoires de façonnage des probables jetons ou coupelles-tessons.
Synthèse des résultats
191Les résultats acquis sur les tessons recyclés en outils de l’habitat de Kovačevo (6100-5600 av. J.-C.) ont offert un nouveau regard sur l’outillage des premières sociétés néolithiques de Bulgarie. Au-delà de la composition des trousses à outils en céramique, les recherches ont fourni de précieux renseignements sur le comportement des producteurs et des utilisateurs de cette industrie.
La composition des trousses à outils en céramique
192À Kovačevo, les tessons recyclés en outils ont été utilisés à des fins multiples. L’analyse chimique des résidus retrouvés sur les parties actives des pièces archéologiques a, ainsi, permis l’identification de tessons destinés au travail de l’ocre et de l’os. La signature tracéologique de certains outils a conduit à la reconnaissance de lissoirs, de polissoirs, d’estèques, de supports à découpe ou encore de grattoirs à peau (Vieugué et al., 2010). Quant à la morphométrie de l’outillage sur tessons, elle laisse supposer l’utilisation de fragments comme jetons, poids ou encore fusaïoles.
193La trousse à outils en céramique des premières sociétés néolithiques de Bulgarie était donc extrêmement riche (fig. 111). Cet outillage a, dans certains cas, pu constituer des substituts circonstanciels d’objets en pierre, en os ou en matières périssables. Cette hypothèse est même plus que probable pour les gammes fonctionnelles peu représentées dans l’outillage, comme les polissoirs, les supports à découpe ou encore les lissoirs. Dans d’autres cas, l’emploi d’outils sur tessons semble davantage relever de traditions. C’est notamment celui des jetons ou des fusaïoles dont les exemplaires en terre cuite sont nombreux sur les sites du Néolithique ancien de Bulgarie.
194Outre les activités auxquelles les outils sur tesson ont participé, les recherches ont permis d’approcher le comportement des fabricants de cet outillage singulier.

Fig. 111 : Composition de la trousse à outils en céramique des habitants de Kovačevo.
Le comportement des producteurs d’outils sur tesson
195Les tessons recyclés en outils proviennent sans surprise de vases brisés du site. Plusieurs d’entre eux ont, en effet, été recollés à des restes de poteries non réutilisées par les populations néolithiques. Tous les fragments semblent, par ailleurs, issus de récipients distincts. Les villageois n’ont donc a priori pas stocké leurs vases brisés pour en faire des outils. Ils semblent davantage avoir ramassé les tessons après avoir rejeté leurs poteries. Lors du ramassage, un tri sélectif des fragments a été établi. Les producteurs ont ainsi privilégié le réemploi de tessons de taille et d’épaisseur moyennes dotés d’inclusions minérales. L’objectif était certainement de disposer de fragments relativement résistants et abrasifs.
196Une fois le ramassage effectué, une partie des fragments a été façonnée. Certaines pièces ont ainsi été retouchées, voire perforées. Différentes méthodes de façonnage ont été employées. Les Néolithiques ne se sont toutefois pas fortement investis dans la mise en forme des tessons récupérés. Ces derniers montrent généralement une irrégularité. De surcroît, une part non négligeable des fragments recyclés n’a même pas été façonnée. La production des outils sur tesson était donc pour le moins expédiente sur le site de Kovačevo.
Le comportement des utilisateurs d’outils en céramique
197Comme pour les vaisselles, l’utilisation des outils sur tesson apparaît normée. Plusieurs éléments le laissent penser. Les estèques ont, par exemple, été presque exclusivement utilisées pour le grattage de la surface interne des récipients en train d’être fabriquées. La grande majorité présente, en effet, une partie active légèrement convexe (Vieugué et al., 2010). Les Néolithiques semblent même avoir destiné chaque pièce de l’outillage à une gamme précise d’usage. Les outils polyvalents restent, en effet, exceptionnels. Les règles présidant à l’utilisation des poteries et des outillages en céramique ne diffèrent finalement que sur un point : celui de la gestion des objets. Les récipients en terre cuite ont, en effet, toujours été longuement utilisés alors que les outils sur tesson semblent avoir connu un usage de très courte durée. En témoigne l’usure peu développée de certaines estèques non façonnées.
198En ce qui concerne la valeur attribuée aux outils, peu d’indices sont disponibles. Nous pouvons seulement noter que certains tessons ont été abandonnés alors qu’ils pouvaient être encore utilisés. Tout comme les récipients, les Néolithiques ne leur ont visiblement pas accordé une si grande importance. C’est aussi le cas chez certaines populations traditionnelles actuelles d’Afrique, où les tessons recyclés en outils ne présentent aucune fonction de signe évidente (Gosselain, 2010).
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