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Fonction des contenants et des outils en céramique

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Julien Vieugué

Introduction

Texte intégral

1Les études de corpus céramiques préhistoriques ont longtemps privilégié les approches stylistiques qui se limitent à l’étude des formes et des décors de poteries. Elles ont, par ce biais, permis l’identification de cultures archéologiques et l’édification de cadres chronologiques indispensables à la reconstruction des scénarios historiques. Les recherches développées en céramologie n’ont que très récemment considéré l’approche technologique, si l’on se réfère aux travaux développés bien plus tôt sur les industries lithiques (par exemple Semenov, 1964 ; Tixier et al., 1980).

2L’étude technologique des productions céramiques a pour outil analytique la chaîne opératoire. Celle-ci implique théoriquement l’étude de l’ensemble des pratiques, allant de l’approvisionnement en argiles jusqu’à l’abandon définitif des fragments de poteries en passant par les différentes étapes de fabrication et d’utilisation des céramiques (Creswell, 1976). Les recherches se sont pourtant cristallisées autour de la fabrication des récipients en terre cuite. Toutes les étapes de la chaîne opératoire de production ont, dès lors, été investies (par exemple Le Mière et Picon, 1994 ; Martineau et Pétrequin, 2000 ; Salanova, 2000 ; Lepère, 2009). L’étude des techniques de façonnage et de décoration des céramiques a, en particulier, permis la distinction de groupes sociaux de producteurs au sein des cultures archéologiques. Peu d’investigations ont parallèlement été menées sur la fonction des productions céramiques. Les travaux ciblés sur cette thématique se sont, de surcroît, davantage intéressés à l’usage des poteries qu’à celui des tessons recyclés en outils. L’approche fonctionnelle des corpus céramiques a notamment fourni des indications sur les consommateurs de récipients en terre cuite (Abbink, 1999 ; Duistermaat, 2008). Néanmoins, les études céramologiques accusent un certain retard sur les travaux dédiés aux outillages lithiques qui ont depuis longtemps interrogé la fonction des industries (par exemple Semenov, 1964 ; Hayden, 1977 ; Anderson-Gerfaud et al., 1993).

3La question de l’utilisation des productions céramiques se pose tout particulièrement dans les contextes historiques d’apparition de la poterie (par exemple Barnett et Hoopes, 1995 ; Skibo et Blinmann, 1999). Savoir à quoi ont servi les récipients en terre cuite est, en effet, susceptible d’éclairer les raisons de l’adoption de la céramique. En Europe, l’introduction de la poterie est étroitement liée à la diffusion du Néolithique. Elle s’opère entre le milieu du VIIe et la fin du Ve millénaire av. J.-C. Deux principales théories ont été émises pour expliquer l’émergence de la céramique au Néolithique. La première invoque des mécanismes économiques (notamment Amiran, 1965 ; Brown, 1989). Les populations néolithiques qui pratiquent l’agriculture et l’élevage auraient besoin de récipients en terre cuite pour le stockage de la nourriture désormais produite. La seconde hypothèse énonce des phénomènes sociaux (par exemple Vitelli, 1989 ; Hayden, 1995). Les groupes préhistoriques auraient utilisé la poterie comme un bien de prestige (Perlès et Vitelli, 1994). Bien que plusieurs propositions aient été émises, les raisons de l’adoption de la céramique restent encore discutées (Le Mière et Picon, 1998 ; Conroy, 2008 ; Nieuwenhuyse et al., 2010).

4Pourquoi les populations préhistoriques se sont-elles mises à utiliser des récipients en terre cuite ? Cette question impliquait l’élaboration d’un protocole d’étude systématique de la fonction des productions céramiques. La mise en place d’un tel protocole exigeait l’analyse de corpus archéologiques qui se prêtaient à une série de réflexions méthodologiques Le choix s’est alors tourné vers les corpus céramiques du Néolithique ancien balkanique. L’excellent état de conservation des vestiges, tout autant que leur grande quantité, représentaient un atout indéniable pour développer une approche inédite de la fonction des vases préhistoriques (Salanova, 2007 et 2009).

Fig. 1 : Localisation des sept principaux habitats du Néolithique ancien du sud-ouest de la Bulgarie (d'après Lichardus-Itten et al., 2002).

  • 1 Programme MAEE « Kovačevo : fouilles néolithiques franco-bulgares dans la vallée du Strymon » sous (...)

5Les recherches ont précisément débuté sur le site de Kovačevo en Bulgarie (6100-5600 av. J.-C., Bulgarie)1 (fig. 1). Cet habitat néolithique, fouillé de façon extensive par J.-P. Demoule, M. Lichardus-Itten, R. Katinčarov, V. Nikolov et L. Perničeva, a livré un assemblage céramique gigantesque composé de 1 600 000 fragments de poterie (Demoule et Lichardus-Itten, 1994 et 2001 ; Lichardus-Itten et al., 2002). Le corpus de poteries découvert sur le site a fait l’objet d’une étude exhaustive sous la direction de L. Salanova. Cette étude a, en l’occurrence, consisté en une caractérisation générale de la série (L. Salanova) qui a servi d’appui aux développements d’analyses approfondies sur la fabrication (L. Salanova, X. Clop et L. Gomart) et l’utilisation des productions céramiques (J. Vieugué) (Salanova, 2007 et 2009 ; Salanova et al., 2010).

Fig. 2 : Cycle de vie de la céramique sur les sites du Néolithique ancien balkanique (Clichés : L. Salanova et J. Vieugué).

  • 2 Programme PHC Rila « La néolithisation de la vallée de la Struma (Sud-ouest de la Bulgarie) » sous (...)

6Les recherches ont, par la suite, été étendues aux six autres principaux habitats du Néolithique ancien du sud-ouest de la Bulgarie2 : Ilindentsi, Brežani, Drenkovo fouillés par M. Grebska-Kulova ainsi que Vaxevo, Kraïnitsi et Gălãbnik investis par J. Pavùk, A. Bakamska et S. Čochadžiev (Pavuk et Cochadziev, 1984 ; Tchohadziev et Bakamska, 1990 ; Cochadziev, 2001) (fig. 1). L’étude des différents assemblages céramiques a été conduite selon la démarche analytique élaborée sur le corpus de Kovačevo (Grebska-Kulova et Salanova, 2011). Les travaux ciblés sur la fabrication et la fonction des productions potières néolithiques ont, là encore, largement bénéficié de la caractérisation préliminaire des séries.

7L’analyse fonctionnelle des sept assemblages céramiques s’est précisément intéressée à l’ensemble des pratiques, allant de la première utilisation des récipients en terre cuite jusqu’à l’abandon définitif des fragments de poterie en passant par le recyclage de tessons en outils (fig. 2). Elle s’est ainsi positionnée en complément des études oeuvrées sur les différentes étapes de la chaîne opératoire de fabrication des récipients en terre cuite. L’enquête s’est construite autour de deux principaux axes de recherche :

  • Un axe méthodologique. Les recherches ont, d’une part, consisté à élaborer une méthode d’analyse fonctionnelle des vases préhistoriques (Vieugué, 2005 ; 2006 et 2010). Elles se sont, d’autre part, attachées à développer un protocole d’étude typo-technologique des outillages aménagés sur fragments de poterie (Vieugué et al., 2010).
  • Un axe socio-économique. Les investigations ont, d’une part, cherché à établir la composition des services en céramique tout en décryptant le comportement des producteurs et des utilisateurs de récipients en terre cuite. Elles ont, d’autre part, tenté d’éclairer la composition des trousses à outils sur tesson néolithiques ainsi que le comportement des fabricants et des utilisateurs de cette industrie.

8Cet ouvrage s’inspire d’un travail de thèse effectué à l’Université de Paris 1 sous la direction de L. Salanova (Directrice de Recherche au CNRS, UMR 7055) et les tutorats de M. Regert (Directrice de Recherche au CNRS, UMR 7264) et H. Plisson (Chargé de recherche au CNRS, UMR 5199). Il met l’accent sur les aspects méthodologiques. Deux grandes parties le structurent : l’une est consacrée aux poteries (chapitre 1) ; l’autre est dédiée aux tessons recyclés en outils (chapitre 2). Dans chacune de ces parties, nous exposerons les réflexions méthodologiques ayant conduit à l’élaboration de protocoles d’analyses fonctionnelles des deux catégories d’objets archéologiques. Nous présenterons les lignes directrices des méthodes d’étude construites et illustrerons leur pertinence au travers d’un cas d’étude archéologique : celui réalisé sur l’assemblage céramique du Néolithique ancien de l’habitat de Kovačevo (6100-5600 av. J.-C., Bulgarie).

Notes

1 Programme MAEE « Kovačevo : fouilles néolithiques franco-bulgares dans la vallée du Strymon » sous la direction de J.-P. Demoule, M. Lichardus-Itten, V. Nikolov et L. Perničeva (depuis 1986).

2 Programme PHC Rila « La néolithisation de la vallée de la Struma (Sud-ouest de la Bulgarie) » sous la direction de M. Grebska-Kulova et L. Salanova (2009-2010).

Table des illustrations

Légende Fig. 1 : Localisation des sept principaux habitats du Néolithique ancien du sud-ouest de la Bulgarie (d'après Lichardus-Itten et al., 2002).
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/24364/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 206k
Légende Fig. 2 : Cycle de vie de la céramique sur les sites du Néolithique ancien balkanique (Clichés : L. Salanova et J. Vieugué).
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/24364/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 149k

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