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Une histoire au présent

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Damien Boquet
, 
Blaise Dufal
, 
Pauline Labey

Pratiques du discours

Que veut dire faire une histoire des problématisations ?

Philippe Chevallier

Texte intégral

  • 1 Emprunt direct ou indirect, nous ne savons. Fondateur de l’empirio-criticisme, Richard Avenarius ( (...)
  • 2 Dès la fin des années 1980, le terme « problématisation » a pris une place importante dans la soci (...)

1Pour marquer son territoire sur des terres déjà visitées par les historiens, Michel Foucault aime poser des mots, inventés ou détournés de leur sens premier : épistémè, archéologie, etc. Ces mots rares ou nouveaux ne sont pas des piquets pour éloigner les importuns mais des signaux prévenant le lecteur que l’histoire qui s’écrit ici n’est pas exactement la même que celle qui s’écrit là-bas. Parmi ces signaux, le terme « problématisation », lointainement emprunté à Richard Avenarius1, a connu une étonnante fortune posthume dans plusieurs champs des sciences humaines qui mérite attention2. Avant de réfléchir aux changements qu’induit en histoire le recours à cette notion, écoutons la manière dont Foucault l’introduit en 1981, à l’université catholique de Louvain :

  • 3 Foucault M., Mal faire, dire vrai. Fonction de l’aveu en justice, F. Brion et B. E. Harcourt (éd.) (...)

« Je vais employer encore un mot barbare, mais les mots ne sont barbares que lorsqu’ils ne disent pas bien clairement ce qu’ils veulent dire, si bien que beaucoup de mots familiers sont barbares, parce qu’ils disent beaucoup de choses à la fois ou ne disent rien, et qu’en revanche, certains mots techniques, bizarrement construits, ne sont pas barbares s’ils disent à peu près clairement ce qu’ils veulent dire… Je dirais que je fais l’histoire des problématisations3. »

  • 4 Foucault M., « Le souci de la vérité » [1984], Dits et écrits, éd. par D. Defert et F. Ewald, Pari (...)

2Arrêtons-nous donc sur ce petit mot « barbare », qui a pris une dimension si importante dans les derniers textes et entretiens de Foucault, au point de devenir la pierre d’angle de toute l’œuvre depuis l’Histoire de la folie, dans une audacieuse et tardive synthèse rétrospective4. Problématisation est un terme en apparence simple. Sa définition est même évidente : la racine latine –atio indique l’activité de faire quelque chose. Une problématisation est donc l’activité de construire, donner forme à un problème. Mais Foucault a soin d’insister sur l’usage technique qu’il fait de ce terme, par opposition à un autre usage du langage qui est justement celui, aujourd’hui, de certains commentateurs de son œuvre : « problématisation » est devenu un mot si familier qu’il dit « beaucoup de choses à la fois ou ne dit rien ».

  • 5 Dans la tradition des Problèmes attribués à Aristote : la maladie, l’ivresse, la fatigue, le clima (...)
  • 6 Depuis Foucault, cette part active prise par la pensée dans la formation de ce qui semblait aupara (...)

3Relevons un premier étonnement : alors que le problème désigne traditionnellement un obstacle qui se présente du dehors à la pensée5 – si l’on met de côté le cas particulier du problème mathématique qui se pose sur fond d’une science déjà constituée –, Foucault en fait un produit de la pensée elle-même : c’est la pensée qui se donne à elle-même un problème6. Mais plus encore : d’un terme négatif, indiquant un blocage, ce contre quoi l’esprit viendrait buter, il fait un terme positif. La problématisation est une activité où s’inventent de nouvelles manières de penser, non pas tant de nouveaux contenus représentatifs que de nouvelles relations entre des contenus déjà existants.

4Il nous faut préciser dans un premier temps les deux modèles dont cherche à s’écarter une telle histoire des problématisations, avant de regarder plus avant comment Foucault la met en œuvre dans un exemple précis : le cours au Collège de France de 1980 Du gouvernement des vivants, consacré au christianisme des premiers siècles (iieve siècle).

Deux modèles repoussoirs : histoire des mentalités/histoire des représentations

5Dans un entretien en mai 1984 avec l’anthropologue Paul Rabinow, Foucault donne l’une des définitions les plus complètes de la problématisation :

  • 7 Foucault M., « Polémique, politique et problématisations » [1984], Dits et écrits, op. cit., vol.  (...)

« J’ai longtemps cherché à savoir s’il serait possible de caractériser l’histoire de la pensée en la distinguant de l’histoire des idées – c’est-à-dire de l’analyse des systèmes de représentations – et de l’histoire des mentalités – c’est-à-dire de l’analyse des attitudes et des schémas de comportement. Il m’a semblé qu’il y avait un élément qui était de nature à caractériser l’histoire de la pensée : c’était ce qu’on pourrait appeler les problèmes ou plus exactement les problématisations. […] La pensée n’est pas ce qui habite une conduite et lui donne un sens ; elle est plutôt ce qui permet de prendre du recul par rapport à cette manière de faire ou de réagir, de se la donner comme objet de pensée et de l’interroger sur son sens, ses conditions et fins. La pensée, c’est la liberté par rapport à ce qu’on fait, le mouvement par lequel on s’en détache, on le constitue comme objet et on le réfléchit comme problème7. »

  • 8 Par exemple Foucault M., Le pouvoir psychiatrique. Cours au Collège de France, 1973-1974, éd. par (...)

6Ce n’est pas la première fois que Foucault s’efforce de tracer ainsi une troisième voie entre l’histoire des mentalités et l’histoire des idées, qui s’imposent pour lui comme les deux modèles-repoussoirs de l’historiographie de l’après-guerre. C’est en effet à une même mise au point régulière que se livre Foucault dans ses cours au Collège de France des années 19708.

  • 9 Bloch M., La société féodale, Paris, Albin Michel, [1939] 1994, vol. I, 1re partie, liv. II, chap. (...)
  • 10 Foucault M., Le gouvernement de soi et des autres. Cours au Collège de France, 1982-1983, éd. par (...)
  • 11 « […] il est tout simple que les investigations philosophiques, quel qu’en soit l’objet, nous ramè (...)
  • 12 Alquié F., Descartes, l’homme et l’œuvre, Paris, Hatier-Boivin, 1956.
  • 13 Sève L., « Introduction », dans Karl Marx, Écrits philosophiques, éd. par L. Sève, Paris, Flammari (...)
  • 14 Marx K. et Engels F., L’idéologie allemande, Précédé de Karl Marx, Thèses sur Feuerbach, Paris, Éd (...)

7En un sens large, il faut entendre par mentalité les « façons de sentir et de penser9 », conscientes ou non, qui habitent une communauté à un moment donné de l’histoire. Dans cette perspective, pour l’historien des mentalités, les comportements et attitudes individuels sont en partie déterminés par des structures mentales collectives qui peuvent aussi être nommées « vision du monde » ou « esprit d’une époque ». L’« histoire des idées », quant à elle, est assimilée dans l’entretien avec Rabinow à l’« histoire des représentations ». Dans le cours de 1983, Le gouvernement de soi et des autres, Foucault divise cette dernière en « histoire des idéologies » et histoire des « valeurs représentatives des systèmes de représentations »10. Précisons les termes : la « valeur représentative » d’une idée, expression que le xixe siècle utilise pour défendre une approche réaliste de la science11, et qui se retrouve au xxe siècle dans les lectures cartésiennes de Ferdinand Alquié12, est un jugement qui porte sur le rapport des idées au monde extérieur. En un sens à nouveau très large, l’expression désigne une histoire de la pensée scientifique ou philosophique d’inspiration réaliste, où les idées régulatrices dont nous nous servons pour penser le monde seront jugées en fonction d’un critère objectif. La question est de savoir si elles correspondent ou non à un objet extérieur à la pensée. Il n’est cependant pas évident de savoir quels historiens sont explicitement visés ici par Foucault. Le terme d’« idéologie » est, quant à lui, d’interprétation plus immédiate, puisqu’il renvoie à l’historiographie marxiste, pas forcément marxienne – le terme étant quasi-abandonné par Marx après L’idéologie allemande13. Une idéologie est une construction intellectuelle qui a pour fonction de justifier l’activité d’une classe dominante en masquant ses motivations d’abord matérielles : « Les pensées dominantes ne sont pas autre chose que l’expression idéale des rapports matériels dominants, elles sont ces rapports matériels dominant saisis sous forme d’idées14. » Dissimulant une réalité de luttes sociales, cette projection idéale finit par se prendre pour un pur produit de la pensée. L’idéologie présente ainsi comme universel ce qui ne relève en fait que d’un intérêt particulier.

  • 15 Platon, Théétète, 191d, trad. par M. Narcy, Paris, Flammarion, 1995, p. 250. Passage longuement dé (...)
  • 16 Dans le cours du 5 janvier 1983, Foucault dresse la liste de tous les verbes insatisfaisants qui r (...)

8Qu’elle les révèle dans leur structure historique collective, mesure leur écart par rapport au monde ou les dénonce comme instrument de domination, l’historiographie contemporaine de Foucault reste attachée aux productions de l’esprit humain : idées, théories, manières de penser. Avant d’apparaître dans l’archive d’une époque, ces productions ont eu une première existence comme représentations de la conscience. Pour éclairer cette vie des représentations, Paul Ricœur emprunte au Théétète de Platon une image juste et belle : l’esprit est une tablette de cire sur laquelle des images [εiκών] sont venues s’imprimer – métaphore heureuse pour penser la prégnance d’une mentalité ou d’une idéologie sur un sujet15. Ce que nous avons une fois pensé ou senti devient ainsi une impression, au sens propre du terme. Dans cette perspective, idées, théories et manières de penser marquent d’abord la mémoire, vers laquelle la pensée va se tourner pour former un jugement. Mais il reste à expliciter le rapport de ce qui vient ainsi s’imprimer dans l’esprit à une situation historique – politique, sociale, économique – donnée. Or, selon Foucault, c’est devant une telle explication que les historiens battent en retraite. Même si, ni pour les historiens des mentalités ni pour les historiens marxistes, le domaine de l’esprit n’est séparé de ses déterminations sociales, le lien qu’il entretient à la réalité matérielle est défini par des termes que le philosophe juge insatisfaisants, à la fois trop simples et imprécis. L’esprit serait le « reflet », l’« expression » ou encore la « traduction » d’une situation concrète16, laissant ainsi, jusque dans des visions de l’histoire farouchement opposées à la philosophie idéaliste, une dernière solution de continuité entre la pensée et le monde des corps.

  • 17 Foucault M., « La société punitive » [1973], Dits et écrits, op. cit., vol. I, p. 1337.

9Ce double refus d’une histoire des mentalités et d’une histoire des idées s’enracine chez Foucault dans la volonté d’écrire une « Physique du pouvoir17 », qui ne passe plus par les opérateurs classiques de la philosophie que sont l’esprit et la conscience. Mais ce refus semble renforcé dans les années 1980 par une autre motivation, qui pourrait en apparence contredire la première : faire de la pensée une activité du sujet à finalité essentiellement critique, et non plus ce à quoi le sujet serait soumis par l’intermédiaire d’un ensemble de déterminations mentales.

10Un problème, en effet, naît, se développe et se résout, non pas in vivo, mais dans la pensée. Plus précisément, dans ce mouvement de déprise de la pensée par rapport au monde, conforme d’ailleurs à l’étymologie du mot problème (qui vient du verbe πρoβάλλω signifiant « projeter », « jeter en avant »). Une « problématisation » n’est pas un esprit commun qui viendrait habiter du dehors des gestes et des discours, encore moins une idée qui fonde et justifie une règle ou un comportement, mais ce moment où la pensée, comme activité du sujet, prend du recul par rapport à un ensemble de faits et se projette en avant pour les poser différemment. Sans doute un « ensemble de faits » est-il encore une expression trop vague. L’horizon sur fond duquel va apparaître un problème n’est pas celui de la connaissance des choses, de leur essence, mais celui de l’ajustement des opinions sur les manières d’être et de faire. Le problème ne se formule pas en « Qu’est-ce que cela est ou n’est pas ? » mais en « Comment ? » : « Comment le sujet doit-il se rapporter à tel ou tel objet (son corps, autrui, les richesses, la nourriture, la mort, etc.) ? »

  • 18 Foucault M., « Préface à l’“Histoire de la sexualité” » [1984], Dits et écrits, op. cit., vol. II, (...)
  • 19 Foucault M., « Qu’est-ce que les Lumières ? », ibid., p. 1396.
  • 20 Foucault M., « Polémique, politique et problématisations », ibid., p. 1416.
  • 21 Aristote, Topiques, I, 11, 104b, trad. par J. Brunschwig, Paris, Les Belles Lettres, 1967.

11Marquée du sceau de la discontinuité – Foucault parle d’« événements de la pensée18 », échappant autant à la « constante anthropologique » qu’à la « variation chronologique »19 – cette activité du sujet est irréductible à son contexte politique et social. Elle lui est cependant liée, nous dit Foucault, dans la mesure où le sujet ne problématise que ce qui aura été déjà ébranlé par les phénomènes politiques, économiques ou sociaux, ce qui aura perdu sa familiarité ou le consensus qui le sous-tendait. Mais sans pour autant que cette reprise réflexive et critique par la pensée soit considérée comme automatique ou immédiate20. Foucault rejoint ici la définition du problème que donne Aristote dans ses Topiques : un problème est une question « telle […] qu’à son sujet il n’existe pas d’opinion dans un sens ou dans l’autre, ou bien l’opinion moyenne contredit l’opinion éclairée, ou bien l’opinion éclairée l’opinion moyenne, ou bien chacune des deux se divise contre elle-même21 ». À la différence que Foucault lui donne la qualité d’un événement historique : soudain, quelque chose ne suscite plus l’accord et demande un nouvel examen.

  • 22 Foucault M., « Polémique… », art. cit., p. 1417.
  • 23 Foucault M., Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France, 1977-1978, éd. par M. S (...)
  • 24 Le Panoptique est une « solution » à un « problème » de ratio du pouvoir : Foucault M., Surveiller (...)

12Le lieu de la recherche historique dès lors se déplace : l’analyse doit opérer en deçà des réponses qui, ensuite, s’imposeront et pourront prendre la forme de mentalités ou de systèmes de représentations permettant d’interpréter, et donc de juger, les actions et les événements. Une problématisation n’est pas en elle-même un système clos et contraignant, elle est un travail de la pensée qui répartit selon un ordre nouveau les éléments d’une question22. Cette répartition délimite un champ de réponses possibles, au sein duquel seules certaines de ces réponses deviendront des jugements et des formes de vie partagés par une communauté. Pour l’historien des problèmes, il faut donc remonter du projet de réaménagement de la ville de Nantes au xviiie siècle au « problème » inédit qui apparaît à cette époque : celui de la sécurité, avec la nécessité nouvelle de prévoir à l’avance l’évolution de séries de phénomènes23. Il faut remonter du panoptique de Bentham au « problème » disciplinaire qui lui est contemporain, c’est-à-dire celui d’un meilleur ratio du pouvoir et de la peine, dans un contexte d’utilité économique nouvelle des corps24. Mais c’est surtout dans les travaux sur le christianisme des premiers siècles, à partir du cours Du gouvernement des vivants (1980), occasion d’une importante refonte théorique d’où émerge le « dernier Foucault », que cette nouvelle manière d’écrire l’histoire affirme sa singularité.

Un exemple d’histoire des problématisations : le christianisme des premiers siècles

  • 25 Foucault M., « Foucault » [1984], Dits et écrits, op. cit., vol. II, p. 1454.

13L’ébauche proposée au Collège de France en 1980 d’une histoire des pratiques chrétiennes de soi – si l’on entend par pratiques, avec Foucault, des « modes d’agir et de penser25 » –, à travers l’étude des actes de pénitence du iie au ive siècle, vérifie cette volonté de s’écarter des modèles traditionnels de l’historiographie.

  • 26 Dodds E. R., Pagan and Christian in an Age of Anxiety : Some Aspects of Religious Experience from (...)
  • 27 Foucault M., Du gouvernement des vivants. Cours au Collège de France, 1979-1980, éd. par M. Senell (...)
  • 28 Ibid., p. 253.
  • 29 Foucault M., Surveiller et punir…, op. cit., p. 253-258.
  • 30 Ce qui était alors impensable pour les chrétiens de cette époque. Voir l’Épître aux Hébreux ou l’É (...)
  • 31 Foucault M., Du gouvernement des vivants…, op. cit., p. 317-320.

14Refus tout d’abord d’une histoire des mentalités, comme on peut encore la trouver, par exemple, chez l’historien de l’Antiquité Eric R. Dodds (1893-1979) : pour Dodds, la pensée religieuse aussi bien païenne que chrétienne des iie et iiie siècles s’expliquerait par la montée d’un sentiment général d’insécurité, lié au développement des grandes cités urbaines et l’accumulation des défaites militaires26. À l’opposé, Foucault met entre parenthèses, dans son cours consacré au christianisme primitif, le contexte économique et militaire de l’époque qu’il étudie. C’est la première révolution méthodologique du cours de 1980 : les textes relatifs aux pratiques de soi (tels les traités de Tertullien sur le baptême et la pénitence) sont désormais lus et étudiés pour eux-mêmes – avec une attention nouvelle aux mots, à leurs occurrences et leurs champs lexicaux – et non plus comme des exemples de transformations historiques qu’ils annonceraient ou prolongeraient. L’environnement politique et social des premiers siècles, désormais réduit dans l’organisation même des leçons à des listes introductives et souvent sommaires d’événements (« je me contente de les signaler27 », « deux mots simplement28 »), demeure en extériorité par rapport à la résolution des problèmes doctrinaires survenus à cette période. On mesure ici l’écart avec les travaux sur la pénalité qui avaient, au contraire, mis en évidence un rapport dialectique entre la conjoncture historique et l’émergence de nouveaux dispositifs de pouvoir et de savoir – au point que tout devenait « processus » s’appuyant, se relayant, se relançant à l’infini29. Le cours ne rompt pourtant pas le lien de cause à effet, mais il le distend et le simplifie, puisqu’il n’y a plus de dialectique, seulement des croisements subreptices entre l’histoire sociale et l’histoire des pratiques de soi. Les événements politiques provoquent une crise de la pensée et des pratiques religieuses – ainsi des persécutions qui font apparaître la figure embarrassante du baptisé ayant renié son baptême et demandant à réintégrer la communauté30 – mais la résolution de la crise est isolée de son contexte et rendue à son autonomie. La mention de l’environnement disparaît même complètement du résumé du cours publié dans l’Annuaire du Collège de France31.

  • 32 Dans Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard, 1978, Georges Duby décrit l (...)
  • 33 Foucault M., Du gouvernement des vivants…, op. cit., p. 143 sq.
  • 34 Ibid., p. 249.

15Refus, deuxièmement, d’une histoire des idéologies, comme celle qui marquait encore à cette époque les travaux d’un Georges Duby sur le monachisme médiéval, étudié en tant que porteur d’une « idée » de société justifiant un certain exercice du pouvoir32. La notion nouvelle de « régime de vérité », qui décrit l’activité par laquelle un sujet se constitue comme devant établir un certain rapport à une vérité donnée, à travers des exercices, des actes de parole, etc., est fermement distinguée de tout « régime politique », entendu comme gestion finalisée des rapports de force dans une communauté. Le développement de la pénitence aux iiie et ive siècles n’est jamais interprété par Foucault comme une ruse du pouvoir ecclésial, une invention des clercs, une fable qui viendrait d’en haut pour s’assurer de la docilité de ceux d’en bas. Il y a un décrochage temporel entre les régimes de vérité d’un côté et, de l’autre, les régimes de savoir et de pouvoir du christianisme. Chaque régime a son historicité et ses lois propres. Tantôt, l’institution ecclésiale et l’économie dogmatique vont reprendre à leur compte et intensifier les pratiques de soi ; tantôt, les pratiques de soi vont se distinguer au contraire du dogme et des obligations canoniques. À partir des années 170-180, avec l’institutionnalisation du catéchuménat et le développement de la théologie du baptême, on assiste ainsi à la reprise ecclésiale et théologique de pratiques de soi qui relevaient auparavant des usages et traditions communautaires et non d’une procédure codifiée33. Foucault souligne en revanche l’indépendance durable d’une pratique de soi comme la direction spirituelle par rapport à cette forme constitutive du pouvoir ecclésial que le cours Sécurité, territoire, population avait défini comme pouvoir pastoral : « Le thème du pouvoir pastoral n’implique pas une technique de direction, même si, plus tard, […] c’est sous le signe du pastorat qu’elle sera placée34. » La pratique de direction ne s’est développée et institutionnalisée que très localement durant un demi-millénaire : dans la vie monastique, quasi-exclusivement.

16À ces deux grilles d’interprétation de l’histoire que sont les mentalités et les idéologies, Foucault oppose une histoire des transformations d’un problème : celui du rapport du sujet à la vérité. Si le terme « problématisation » ne se trouve pas dans le cours Du gouvernement des vivants, la notion de « problème » y connaît en effet une fortune importante. Dans les premières leçons chrétiennes de 1980, Foucault fait un usage banal, à la fois peu déterminé et rare, du mot « problème ». Il est mentionné à deux reprises le 30 janvier. Il revient à cinq reprises le 6 février et quatre le 13 février. Il y désigne alors deux choses distinctes :

  • une difficulté causée par un événement extérieur (par exemple : les hérésies) ;
  • l’effort pour définir un événement qui résiste à la pensée (qu’est-ce que l’effet du baptême ?).
  • 35 Bréhier É., « La notion de problème en philosophie » [1948], Études de philosophie antique, Paris, (...)

17Dans la leçon du 20 février consacrée à la préparation baptismale et celle du 27 février consacrée à la seconde pénitence, le mot « problème » connaît tout d’un coup un nombre d’occurrences très élevé (treize occurrences le 20 février ; quarante et une le 27 février). Il y a comme une soudaine dramatique du problème. Le terme prend alors un tout autre sens : il n’y désigne pas la difficulté de connaître une chose ou d’affronter un événement, mais d’abord la difficulté pour la pensée de penser autrement ce qu’elle avait déjà pensé. Le problème concerne désormais la pensée devant elle-même : la pensée modifiant ses conditions d’exercice, mais dans un mouvement qui est celui d’une lutte de la pensée avec elle-même. Pour citer l’un des maîtres de Foucault, Émile Bréhier, dont les Études sur la philosophie antique peuvent éclairer ici notre réflexion, le problème « considère comme possible le contraire de la thèse proposée […] il oppose l’esprit à lui-même35 ».

18Relevons alors la manière dont Foucault établit successivement les causes, l’objet et la solution du problème que le christianisme est devenu à lui-même deux siècles après sa naissance.

  • 36 Foucault M., Du gouvernement des vivants…, op. cit., p. 175.
  • 37 Ibid., p. 183.
  • 38 Ibid.

19Comment se renouvelle aux iiie-ive siècles le problème de la pénitence, limitée auparavant à ce mouvement ponctuel de conversion de l’âme précédant l’illumination baptismale ? Nous l’avons dit : entre autres par l’existence, dans un contexte de persécution, de relapses demandant à réintégrer la communauté. Peut-on accepter qu’un baptisé ayant définitivement renoncé au péché pour embrasser la vérité ait rechuté ? La rechute autorise-t-elle une réintégration et, si oui, sous quelles conditions ? Le problème de la rechute est donc, nous dit Foucault, « extrêmement difficile et nouveau » : « Il s’est agi, pour le christianisme, à partir du milieu du iie siècle […], de penser quelque chose que le christianisme n’avait pas encore pensé36. » Ce problème a donc nécessité un « travail à la fois institutionnel, théorique, [un] travail à la fois pratique et spéculatif37 ». Littéralement, le christianisme s’est « battu38 » avec lui-même, avec sa propre tradition.

  • 39 Ibid., p. 156.
  • 40 Ibid., p. 178.
  • 41 Ibid., p. 182.
  • 42 Ibid., p. 156.

20Quel est l’objet du problème ? Penser un rapport entre deux contenus représentatifs qui sont jugés au départ incompatibles ou tout le moins en tension : rapport entre la subjectivité et la vérité39 ; rapport entre la loi et la perfection (problème des pythagoriciens : si le sage a atteint la perfection, doit-il encore être soumis à une loi ? ; problème des stoïciens : si la loi est toujours utile, n’est-ce pas la preuve que le vrai sage n’existe pas ?)40 ; rapport entre l’irréversibilité de la relation sujet/vérité dans le baptême et la répétition de la faute après le baptême41. Chacun de ces rapports peut être pensé d’une multitude de manières puisqu’il n’y a aucune liaison posée a priori entre les termes : ainsi, nous dit Foucault, le rapport entre la subjectivité et la vérité peut être pensé aussi bien « sous la forme de la transe, sous la forme de la saisie de l’individu par des puissances supérieures. Il peut être pensé sous la forme de l’éveil. Il peut être pensé sous la forme du rêve. Il peut être pensé sous la forme de la mémoire et de la retrouvaille de soi-même avec soi-même42 ». Bien entendu, un système de pensée peut décider de lier ontologiquement le sujet à la vérité, le salut au respect de la loi, mais un problème est avant tout la conscience d’une alternative.

  • 43 « On trouve le même problème, mais en d’autres termes et avec d’autres solutions, du côté des stoï (...)
  • 44 Foucault M., « Polémique… », art. cit., p. 1416.
  • 45 « Je crois que ce qui a permis, non pas la solution du problème, parce qu’il n’y en a pas, mais so (...)
  • 46 « Le christianisme n’est donc pas une religion qui aurait introduit la faute, le péché, le peccatu (...)
  • 47 « Ce n’est pas l’appartenance du sujet à la vérité ou l’appartenance de la vérité au sujet, c’est (...)

21Quelle est alors la solution du problème ? Il n’y en a pas. Même si Foucault utilise le mot « solution » à plusieurs reprises43, il lui préfère le terme plus neutre de « réponse44 ». Il n’y a pas de « solution » à un problème, mais seulement une « élaboration », qui consiste à réorganiser les éléments du problème45. Par exemple : mettre la faute en rapport non pas avec un état d’innocence, mais avec un état de vérité46, ou encore : ne pas s’interroger sur la possibilité pour le sujet de s’approcher de la vérité, mais sur la possibilité de s’en écarter alors même qu’il l’a une fois connue47.

  • 48 Courcelle P., « Litiges sur la lecture des “Libri Platonicorum” par saint Augustin », Augustiniana (...)
  • 49 Foucault M., Du gouvernement des vivants…, op. cit., p. 181.

22Dans tous les cas, la problématisation s’opère sur fond de notions ou de thèmes préexistants. Ce ne sont pas les éléments du problème qui sont modifiés mais leurs relations et leurs hiérarchisations. « Vérité », « illumination », « salut », « conversion » : aucune de ces notions n’est inventée par le christianisme. Du fait de leur langue en apparence commune, une certaine histoire érudite du christianisme s’est contentée de relever les influences de la philosophie païenne sur la pensée chrétienne. Ainsi des articles de Pierre Courcelle, le maître de Pierre Hadot, qui dissèquent à l’infini le néoplatonisme d’Ambroise ou le stoïcisme d’Augustin48. Foucault nous apprend à être attentifs non pas tant au lexique philosophique rémanent, qu’à la manière dont sont posées les questions : « le christianisme n’a pas posé la question qui était celle de la philosophie grecque49 ».

Conclusion et prolongements

  • 50 Proclus, Commentaire sur le premier livre des Éléments d’Euclide, cité par Bernard A., « L’arrière (...)

23Une problématisation est la manière dont la pensée se projette en avant sous une forme interrogative, sans pouvoir aucunement anticiper ce qu’il adviendra d’elle et des réponses que l’histoire retiendra. Elle est donc de l’ordre de la nouveauté, même si elle fait jouer entre eux des éléments préexistants. Cette définition relativement simple a l’avantage de mettre en valeur la dimension positive et motrice de la formation des problèmes dans l’histoire de la pensée. À sa manière, Foucault rejoint une tradition ancienne qui remonte à la sophistique romaine et à sa reprise dans les mathématiques néoplatoniciennes – tradition remise à l’honneur par Émile Bréhier et, aujourd’hui, Alain Bernard : le problème est l’activité de l’esprit qui consiste non pas à connaître l’essence des choses, mais à s’exercer afin de développer une capacité d’invention théorique (comme par exemple : reprendre en géométrie des problèmes déjà résolus, mais avec des contraintes nouvelles afin de produire des constructions inédites). Au ve siècle, Proclus distingue ainsi les « théorèmes », qui visent à déduire une propriété d’un être de son essence, des « problèmes » : « […] sont appelés problèmes les énoncés où il s’agit de fournir, de conduire à la manifestation et de construire ce qui n’est pas encore50 ». À la seule différence que, pour Foucault, c’est bien l’histoire qui mène le jeu et modifie les conditions initiales. Et l’objet de ce jeu n’est pas une construction de l’esprit ou l’acquisition d’une certaine habilité oratoire ou réflexive, mais notre être même.

  • 51 Dans l’article qu’il rédige pour le Dictionnaire des philosophes, probablement en 1982, Foucault M (...)
  • 52 Ce qui est intéressant, car Foucault insiste sur le fait que cet art de vivre « n’a été mis en œuv (...)
  • 53 Foucault M., « Interview de Michel Foucault » [1984], Dits et écrits, op. cit., vol. II, p. 1507.
  • 54 Foucault M., « Qu’est-ce que les Lumières ? », art. cit., p. 1500.
  • 55 Foucault M., « Usage des plaisirs et techniques de soi » [1983], Dits et écrits, op. cit., vol. II (...)
  • 56 Foucault M., « Polémique… », art. cit., p. 1413.
  • 57 Ibid., p. 1413.

24Reste cependant une dernière question : cette histoire des problématisations, que Foucault définit également comme une « histoire critique de la pensée51 », ne réactive-t-elle pas le sujet réflexif de la philosophie moderne ? Car qui est, en fin de compte, le sujet de la problématisation ? Si l’on reprend les textes de Foucault, le sujet grammatical du verbe problématiser peut être : une caste sociale, comme celle où éclot le stoïcisme impérial (qui problématise son rapport à la sexualité52) ; le Groupe d’information sur les prisons (qui problématise, en 1971, les pratiques pénales53) ; la « philosophie » (qui problématise l’actualité54) ; et tout simplement « l’être humain » (qui problématise « ce qu’il est, ce qu’il fait et le monde dans lequel il vit55 »). Dans les exemples mentionnés, le sujet de la problématisation est donc une communauté de sujets, qui peut être fermement déterminée ou simplement indiquée par le recours à un terme général (« l’être humain », « la philosophie »). La pensée n’en est pas moins le domaine de l’individu, même si la notion d’« histoire de la pensée » laisse planer une ambiguïté et semble par moments accorder à la pensée une existence historique autonome et impersonnelle – il y aurait une histoire de la pensée comme il y a une phénoménologie de l’Esprit. Mais comment passe-t-on de l’individuel au collectif ? Cette question transparaît dans l’entretien de 1984 avec Paul Rabinow, où Foucault réagit à la remarque de Richard Rorty sur l’absence, dans ses analyses, de tout appel à un collectif, un « nous ». Un « nous » peut exister, mais il ne doit pas être un « préalable à la question », il doit se constituer, de manière toujours provisoire, « à partir du travail fait » par des individus et ainsi former, dans la reconnaissance d’une manière commune de poser une question, une « communauté d’action56 ». Mais ce « nous », dans lequel des pensées individuelles se reconnaissent à un moment donné de l’histoire, n’est pas un nous « préexistant et accueillant57 ». Il n’est pas une communauté politique. Il n’est pas souverain.

  • 58 Foucault M., « Préface à l’“Histoire de la sexualité” », art. cit., p. 1399.
  • 59 Foucault M., « Polémique… », art. cit., p. 1416.

25Cette place nouvelle que prend, dans l’œuvre de Foucault, la pensée comme activité critique du sujet est sans doute une révolution plus grande que l’introduction de l’éthique et des pratiques de soi comme thèmes de recherche. Dans une histoire des luttes qui relevait au départ de la géométrie plane, à la surface de laquelle les événements se disposaient à la fois dans leur dispersion et leurs interconnexions multiples, aucun phénomène ne pouvait prétendre à une position particulière. Avec la notion de problématisation, une troisième dimension vient se dresser à la verticale des savoirs et des luttes, et s’affirme comme irréductible à ces derniers : le « travail de la pensée sur elle-même58 ». Foucault revient-il à une conception traditionnelle du sujet comme réflexivité et liberté ? Répondre positivement à cette question semblerait une telle provocation que nul ne s’y est à ce jour risqué. Il faut pourtant répondre par l’affirmative. Tout l’effort déployé ces vingt dernières années pour montrer la nouveauté du sujet foucaldien doit être mis en regard de la très grande et troublante simplicité de ce que nous dit le principal intéressé. Si Foucault avait voulu dire quelque chose de radicalement original sur le sujet, il n’aurait jamais dit que la pensée c’est « ce qui permet de prendre du recul par rapport à [une] manière de faire ou de réagir, de se la donner comme objet de pensée et de l’interroger sur son sens, ses conditions et fins59 ». De Socrate à Kant, quel philosophe ne souscrirait à cette définition ? Délibérément, la notion de « problème », déjà riche en déterminations chez Aristote, les sophistes ou Proclus, permet à Foucault de ressaisir l’armature d’une attitude philosophique. Il la ressaisit dans une épure, comme un plus petit commun dénominateur à toutes les philosophies qui, d’une manière ou d’une autre, parlent de la pensée comme exercice de la liberté. Sans doute Foucault pressent-il que la question n’est peut-être pas tant ici d’être original, d’inventer une nouvelle conception du sujet, que de sauver la seule potentialité qui mérite d’être sauvée de l’histoire et de ses dures nécessités : l’exercice critique de la liberté. La force et la beauté de ce geste, c’est de poser cela, et de ne poser rien d’autre que cela.

Notes

1 Emprunt direct ou indirect, nous ne savons. Fondateur de l’empirio-criticisme, Richard Avenarius (1843-1896) fait un usage important du terme « Problematisation » dans son maître livre Kritik der reinen Erfahrung, Leipzig, O. R. Reisland, 1888-1890, en un sens si cohérent avec celui qu’il aura chez Foucault qu’un hasard est peu probable. Nous n’avons pas trouvé d’occurrences du terme avant Avenarius.

2 Dès la fin des années 1980, le terme « problématisation » a pris une place importante dans la sociologie de l’innovation de Michel Callon et Bruno Latour, et, plus récemment, dans les sciences de l’éducation, avant de faire l’objet aujourd’hui d’un usage aussi vague que récurrent.

3 Foucault M., Mal faire, dire vrai. Fonction de l’aveu en justice, F. Brion et B. E. Harcourt (éd.), Louvain, Presses universitaires de Louvain, 2012, p. 244, nous soulignons.

4 Foucault M., « Le souci de la vérité » [1984], Dits et écrits, éd. par D. Defert et F. Ewald, Paris, Gallimard, 2001, vol. II, p. 1488.

5 Dans la tradition des Problèmes attribués à Aristote : la maladie, l’ivresse, la fatigue, le climat, etc., posent des questions auxquelles l’esprit doit répondre.

6 Depuis Foucault, cette part active prise par la pensée dans la formation de ce qui semblait auparavant lui venir exclusivement du dehors affleure à même le langage : il y a des « problématisations », mais il y a également des « énigmatisations ». Reemtsma J. P., Confiance et violence. Essai sur une configuration particulière de la modernité, trad. par B. Lortholary, Paris, Gallimard, [2008] 2011, p. 23.

7 Foucault M., « Polémique, politique et problématisations » [1984], Dits et écrits, op. cit., vol. II, p. 1416.

8 Par exemple Foucault M., Le pouvoir psychiatrique. Cours au Collège de France, 1973-1974, éd. par J. Lagrange, Paris, Gallimard/Seuil, 2003, p. 4 ; Id., Il faut défendre la société. Cours au Collège de France, 1975-1976, éd. par M. Bertani et A. Fontana, Paris, Gallimard/Seuil, 1997, p. 30.

9 Bloch M., La société féodale, Paris, Albin Michel, [1939] 1994, vol. I, 1re partie, liv. II, chap. 2.

10 Foucault M., Le gouvernement de soi et des autres. Cours au Collège de France, 1982-1983, éd. par F. Gros, Paris, Gallimard/Seuil, 2008, p. 4-5.

11 « […] il est tout simple que les investigations philosophiques, quel qu’en soit l’objet, nous ramènent dans le monde des idées, et que toute question philosophique soit intimement connexe à l’appréciation de certaines idées régulatrices et fondamentales, ou à la critique de leur valeur représentative », Cournot A.-A., Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique, Paris, Hachette & Cie, 1851, vol. II, § 325.

12 Alquié F., Descartes, l’homme et l’œuvre, Paris, Hatier-Boivin, 1956.

13 Sève L., « Introduction », dans Karl Marx, Écrits philosophiques, éd. par L. Sève, Paris, Flammarion, 2011, p. 78. Cet abandon par Marx lui-même n’a pas empêché le terme de garder une place centrale dans l’historiographie et la philosophie marxistes, en particulier chez Louis Althusser, « répétiteur » de Foucault à l’École normale supérieure.

14 Marx K. et Engels F., L’idéologie allemande, Précédé de Karl Marx, Thèses sur Feuerbach, Paris, Éditions sociales, 1982, p. 111.

15 Platon, Théétète, 191d, trad. par M. Narcy, Paris, Flammarion, 1995, p. 250. Passage longuement développé dans Ricœur P., La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Le Seuil, 2000, p. 8-18.

16 Dans le cours du 5 janvier 1983, Foucault dresse la liste de tous les verbes insatisfaisants qui relient les comportements aux mentalités : ils les « précèdent », les « suivent », les « traduisent », les « prescrivent », les « masquent », les « justifient » (Foucault M., Le gouvernement de soi et des autres…, op. cit., p. 4). Les deux derniers verbes semblent d’ailleurs concerner l’histoire des idéologies plus que celle des mentalités.

17 Foucault M., « La société punitive » [1973], Dits et écrits, op. cit., vol. I, p. 1337.

18 Foucault M., « Préface à l’“Histoire de la sexualité” » [1984], Dits et écrits, op. cit., vol. II, p. 1399.

19 Foucault M., « Qu’est-ce que les Lumières ? », ibid., p. 1396.

20 Foucault M., « Polémique, politique et problématisations », ibid., p. 1416.

21 Aristote, Topiques, I, 11, 104b, trad. par J. Brunschwig, Paris, Les Belles Lettres, 1967.

22 Foucault M., « Polémique… », art. cit., p. 1417.

23 Foucault M., Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France, 1977-1978, éd. par M. Senellart, Gallimard/Seuil, 2004, p. 19-23.

24 Le Panoptique est une « solution » à un « problème » de ratio du pouvoir : Foucault M., Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, [1975] 1993, p. 242.

25 Foucault M., « Foucault » [1984], Dits et écrits, op. cit., vol. II, p. 1454.

26 Dodds E. R., Pagan and Christian in an Age of Anxiety : Some Aspects of Religious Experience from Marcus Aurelius to Constantine, Cambridge, Cambridge University Press, [1965] 1990.

27 Foucault M., Du gouvernement des vivants. Cours au Collège de France, 1979-1980, éd. par M. Senellart, Paris, Gallimard/Seuil, 2012, p. 143.

28 Ibid., p. 253.

29 Foucault M., Surveiller et punir…, op. cit., p. 253-258.

30 Ce qui était alors impensable pour les chrétiens de cette époque. Voir l’Épître aux Hébreux ou l’Épître de Barnabé, citées par Foucault le 27 mars 1980.

31 Foucault M., Du gouvernement des vivants…, op. cit., p. 317-320.

32 Dans Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard, 1978, Georges Duby décrit les « formations idéologiques » qui tentent de répondre à la crise de légitimité que connaît la royauté en 1024-1031, au nombre desquelles se trouve le modèle clunisien. Pour Duby, ces idéologies nouvelles sont directement liées aux mutations des modes de production. Foucault connaissait bien les travaux de Duby, dont il cite le livre Le dimanche des Bouvines, Paris, Gallimard, 1973, dans Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 309, et un article sur la littérature courtoise dans « Le jeu de Michel Foucault » [1977], Dits et écrits, op. cit., vol. II, p. 305. Collègue de Duby au Collège de France, Foucault avait assisté à une séance de son séminaire en 1977, Sécurité, territoire, population…, op. cit., p. 162, note 40.

33 Foucault M., Du gouvernement des vivants…, op. cit., p. 143 sq.

34 Ibid., p. 249.

35 Bréhier É., « La notion de problème en philosophie » [1948], Études de philosophie antique, Paris, Puf, 1955, P. 10-16, ici p. 11-12. On sait l’influence qu’eut le grand œuvre d’É. Bréhier, La théorie des incorporels dans l’ancien stoïcisme, Paris, Picard, 1908, sur Gilles Deleuze et Michel Foucault. Cet article postérieur sur « la notion de problème » pourrait aussi avoir été une importante source d’inspiration.

36 Foucault M., Du gouvernement des vivants…, op. cit., p. 175.

37 Ibid., p. 183.

38 Ibid.

39 Ibid., p. 156.

40 Ibid., p. 178.

41 Ibid., p. 182.

42 Ibid., p. 156.

43 « On trouve le même problème, mais en d’autres termes et avec d’autres solutions, du côté des stoïciens », ibid., p. 178 (nous soulignons).

44 Foucault M., « Polémique… », art. cit., p. 1416.

45 « Je crois que ce qui a permis, non pas la solution du problème, parce qu’il n’y en a pas, mais son élaboration, c’est au fond que le christianisme n’a pas posé la question qui était celle de la philosophie grecque », Foucault M., Du gouvernement des vivants…, op. cit., p. 181.

46 « Le christianisme n’est donc pas une religion qui aurait introduit la faute, le péché, le peccatum, dans l’innocence d’un monde sans culpabilité. Il a fait tout autre chose. Il a introduit le problème du peccatum, du péché, de la faute, non pas dans l’innocence, mais par rapport à elle. Il a introduit le problème du peccatum par rapport à la lumière, par rapport à la délivrance et par rapport au salut. C’est-à-dire : qu’en est-il de la faute et comment est-il possible de commettre une faute dès lors que l’on a eu accès à la vérité ? », ibid., p. 182.

47 « Ce n’est pas l’appartenance du sujet à la vérité ou l’appartenance de la vérité au sujet, c’est leur distance qui fait problème. Et ce n’est pas la question de l’identité du sujet, c’est la question de la rupture qui fait problème », ibid., p. 184.

48 Courcelle P., « Litiges sur la lecture des “Libri Platonicorum” par saint Augustin », Augustiniana, no 4, 1954 ; Id., « Nouveaux aspects du platonisme chez saint Ambroise », Revue des études latines, no 34, 1956, p. 220-239 ; Id., « De Platon à saint Ambroise par Apulée », Revue de philologie, n.s., no 35, 1961, p. 15-28 ; Id., « L’immanence dans les Confessions augustiniennes », dans Marcel Renard et Robert Schilling (éd.), Hommages à Jean Bayet, Bruxelles/Berchem, Latomus, vol. 70, 1964, p. 161-171.

49 Foucault M., Du gouvernement des vivants…, op. cit., p. 181.

50 Proclus, Commentaire sur le premier livre des Éléments d’Euclide, cité par Bernard A., « L’arrière-plan rhétorique de l’activité mathématique chez Proclus », dans Alain Lernould (dir.), Études sur le Commentaire de Proclus au premier livre des Éléments d’Euclide, Lille, Presses du Septentrion, 2010, p. 67-85, ici p. 76.

51 Dans l’article qu’il rédige pour le Dictionnaire des philosophes, probablement en 1982, Foucault M., « Foucault », art. cit., p. 1450.

52 Ce qui est intéressant, car Foucault insiste sur le fait que cet art de vivre « n’a été mis en œuvre que par un petit groupe de gens », qu’il ne reflète donc pas la société romaine : Foucault M., « Le souci de la vérité », art. cit., p. 1488.

53 Foucault M., « Interview de Michel Foucault » [1984], Dits et écrits, op. cit., vol. II, p. 1507.

54 Foucault M., « Qu’est-ce que les Lumières ? », art. cit., p. 1500.

55 Foucault M., « Usage des plaisirs et techniques de soi » [1983], Dits et écrits, op. cit., vol. II, p. 1363. Autre sujet général similaire : « Les hommes » (Foucault M., « À propos de la généalogie de l’éthique : un aperçu du travail en cours » [1984], Dits et écrits, op. cit., vol. II, p. 1431).

56 Foucault M., « Polémique… », art. cit., p. 1413.

57 Ibid., p. 1413.

58 Foucault M., « Préface à l’“Histoire de la sexualité” », art. cit., p. 1399.

59 Foucault M., « Polémique… », art. cit., p. 1416.

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