Enseignement supérieur en Russie : comment redonner de l’ambition à un secteur en détresse ?
p. 13-34
Texte intégral
1L’enseignement supérieur russe fait l’objet de réformes depuis plus de deux décennies. Après une période de survie qui a suivi la chute de l’URSS et plusieurs tentatives de réformes avortées2, une « fenêtre d’opportunité » s’est ouverte avec le deuxième mandat de Vladimir Poutine à partir de 2004. Le contexte économique était alors favorable grâce à la hausse spectaculaire des prix des hydrocarbures. La volonté politique exprimée au plus haut niveau était de tirer parti de cette aubaine pour diversifier l’économie russe, trop dépendante de la rente énergétique, en renforçant le secteur des hautes technologies et de l’innovation3. Or, une percée dans ce sens nécessite des cadres hautement qualifiés, capables d’assurer le fonctionnement de cette nouvelle « économie de l’innovation » ou « économie de la connaissance », termes abondamment employés par le gouvernement russe à partir du milieu des années 2000. En parallèle, un meilleur positionnement du système éducatif russe lui permettrait d’obtenir des parts sur le marché international en attirant des étudiants étrangers, tout en rendant plus attractive l’image du pays. Éprouvées par les « années de transition », les universités russes n’étaient pas en mesure de répondre aux nouveaux défis économiques, démographiques et sociaux du pays. Une nouvelle impulsion dans les réformes est alors lancée en 2005.
Besoin urgent de réforme
Facteurs internes
2L’enseignement supérieur russe a longtemps souffert de plusieurs maux, dont certains prennent leur source à l’époque soviétique, comme la séparation entre l’enseignement et la recherche (à quelques exceptions près, comme les « chaires communes » à l’Institut physico-technique de Moscou, Fiztech, ou à l’Université technique Bauman4). En 2005, seul un établissement d’enseignement supérieur (EES) sur huit menait des recherches ; les EES représentaient 13,9 % de tous les organismes de recherche et employaient 5 % de tous les chercheurs titulaires (10 % en équivalent plein-temps). Leur part dans les dépenses internes de R&D (DIRD) était de 6,1 % (la moyenne des pays de l’OCDE étant au même moment de 18,2 %)5.
3L’époque de transition a été à l’origine de plusieurs distorsions qui ont contribué à la baisse générale de la qualité des formations6. On constate une augmentation considérable du nombre d’établissements et d’étudiants. Si, en 1993-1994, on comptait 626 EES avec 2,6 millions d’étudiants, en 2012, 1 115 EES (ou plus de 3 000 avec leurs succursales) formaient plus de 7 millions de personnes, soit 8 % de la population active7. Avec l’indicateur de 493 étudiants sur 10 000 personnes actives, la Russie rivalise avec les leaders de l’OCDE (figure 1). Cependant, il est à noter qu’en 2012, plus de la moitié des étudiants russes font leurs études par correspondance.
Figure 1. Proportion de diplômés de l’enseignement tertiaire dans la population, selon le groupe d’âge (2009).

Source : OCDE, Regards sur Éducation 2011, figure A1.1, p. 34, <www.oecd.org/dataoecd/39/17/48640034.pdf>.
4Comme dans beaucoup d’autres pays, le phénomène de massification de l’enseignement supérieur se répand en Russie sous l’influence combinée de l’accès élargi aux établissements non-publics et aux formations payantes, de la demande solvable des familles et des exigences des employeurs8. Spécificité nationale, le « boom » de l’enseignement supérieur s’explique aussi par la réaction des étudiants et leurs familles aux incertitudes des années 1990 : rester plus longtemps dans le système de formation et augmenter le niveau de qualification permettaient de mieux s’adapter aux nouvelles conditions. L’enseignement supérieur a joué en quelque sorte le rôle de « stabilisateur social », utile à l’époque de la transition9. Il ne faut pas oublier le sursis militaire accordé aux étudiants et aux doctorants qui est un facteur aussi important en Russie pour les jeunes gens10.
5Le secteur s’est mis à proposer de plus en plus de services payants. La responsabilité n’en revient pas seulement aux établissements non-publics qui sont apparus en grande quantité depuis l’adoption de la Loi sur l’Éducation de 1992 (193 en 1995-1996 ; 462 en 2010-2011). Dans un contexte de pénurie de financements budgétaires des années 1990 (les financements publics alloués à l’enseignement ont été divisés par trois entre 1992 et 1998), les établissements d’enseignement publics parvenaient à peine à assurer leurs frais de fonctionnement et à verser le salaire de leur personnel. La loi de 1992 leur a accordé la liberté de rechercher des financements supplémentaires, ce qui les a incités à louer une partie de leurs locaux, à créer de multiples succursales à travers le pays et à ouvrir des filières pour former, à titre payant, aux métiers les plus prisés par les étudiants et leurs familles. C’est ainsi que des universités techniques ont ouvert des filières payantes pour former des juristes, des managers et des banquiers. L’accès élargi à l’enseignement supérieur et l’afflux des étudiants qui payaient leurs études ont ainsi pu pallier pendant un temps à un manque crucial des financements budgétaires et ont aidé les EES à survivre pendant les années de transition. Par exemple, d’après les statistiques officielles, le montant des services payants dans le domaine de l’éducation a augmenté de 41,5 millions de roubles (1 million d’euros) en 2000 à 152,6 millions de roubles (3,8 millions d’euros) en 2005 et à 287,6 millions de roubles (7 millions d’euros) en 200811. Cette tendance a abouti à ce qu’environ 60 % des étudiants financent eux-mêmes leurs études supérieures aujourd’hui.
6Cependant, une partie des services payants n’était certainement pas prise en compte officiellement, car, à l’université, tout service se monnayait : absences, sessions de rattrapage, passage des épreuves, etc. Au début des études de leurs enfants, les parents n’avaient pas d’idée précise du montant qu’ils allaient finir par débourser. Par ailleurs, un traitement de faveur était souvent réservé aux étudiants qui payaient leurs études par rapport à ceux bénéficiant de « places budgétaires » (gratuites) : représentant une source importante du budget des universités, ils pouvaient difficilement être renvoyés et voyaient l’enseignement supérieur comme un service qui leur était dû sans d’autres efforts de leur part.
7Ces phénomènes ont contribué à des changements d’attitude à l’égard de l’enseignement supérieur. Sans parler de ceux qui cherchaient à échapper au service militaire (selon différents sondages, ces personnes représentaient entre 5 et 10 % des candidats), l’enseignement supérieur est devenu victime de sa popularité. Les sociologues constataient qu’un diplôme du supérieur est devenu une norme sociale en Russie (une sorte de « label de qualité sociale », selon l’expression de l’ancien ministre de l’Éducation et de la Recherche Boris Saltykov) : par exemple, en 2007, 88 % des familles souhaitaient que leurs enfants obtiennent un diplôme supérieur et 54,7 % étaient prêts à le payer12. De plus en plus de jeunes visaient deux diplômes au lieu d’un seul. Cependant, les étudiants n’associaient pas directement la formation qu’ils recevaient à leur future carrière professionnelle. Tout se passait comme si l’objectif des études à l’université était simplement d’obtenir un diplôme et d’apprendre un métier lors de la première expérience professionnelle. À plusieurs reprises, l’ancien ministre de l’Éducation et de la Recherche Andreï Foursenko a dénoncé cette attitude et a déploré la baisse générale du niveau, qui s’expliquerait, selon lui, par le fait que les étudiants chercheraient avant tout à « obtenir le papier », sans se soucier des connaissances qu’impliquerait l’acquisition d’un diplôme13.
8Ce rapport spécifique à la formation supérieure a généré des pratiques (extrêmement répandues) de fraude. Ce phénomène s’est même, à certains égards, institutionnalisé. De nombreux sites Internet proposent encore des mémoires, des dissertations ou des questions d’examens (connus d’avance des étudiants, selon la tradition russe) en accès direct ou disponibles sur commande, dans les meilleurs délais, sur tous les sujets. Le marché des diplômes et des mémoires « clés en main » prospère et la demande est forte14. Cette tendance a conduit naturellement à l’achat pur et simple de faux diplômes, dont la vente dans les stations de métro de Moscou a pu surprendre bon nombre d’étrangers. Ainsi, 500 000 faux diplômes universitaires seraient vendus chaque année en Russie et ce marché serait évalué à 1,6 milliard d’euros par an15.
9L’adhésion à l’université est devenue un autre marché juteux : en 2005, selon l’étude du Haut collège d’économie, une famille sur cinq (une sur quatre à Moscou) était prête à verser des sommes supplémentaires pour obtenir l’entrée de son enfant dans une école prestigieuse16. En 2008, selon le Centre Levada, 80 % des Russes estimaient que l’entrée dans une institution supérieure était avant tout déterminée par l’argent et les relations des parents avec l’administration et seuls 17 % croyaient que les connaissances de l’étudiant lui garantiraient une admission.
10Le milieu de la recherche n’échappe pas à la corruption. Certains doctorants sous-traitent tout ou partie de leurs thèses. Des candidats VIP achètent des thèses « clés en main » (ce qui inclut le choix du sujet, la sélection d’une école doctorale de rattachement, la composition d’un jury « bienveillant », etc.). Les doctorants peuvent publier des articles (obligatoires avant la soutenance) dans des revues (parfois pseudo-scientifiques) moyennant un paiement17. La commission d’attestation supérieure du ministère de l’Éducation et de la Recherche (MER) s’inquiète de ce phénomène, dans la mesure où le tiers des thèses ne seraient pas écrites par les personnes qui les soutiennent. Certains établissements mènent une lutte active contre la tricherie, le plagiat et la corruption jusqu’à renvoyer les enseignants et les étudiants pris en flagrant délit18. Cette lutte se heurte à des pratiques très enracinées. Un certain progrès a été fait grâce à l’introduction du test national de fin d’études secondaires (EGE) qui a remplacé les examens d’entrée depuis 2009.
11Pendant les années de transition, les stratégies de survie ont été mises en œuvre non seulement par les établissements, mais aussi par le corps enseignant dont les conditions de travail s’étaient notablement dégradées. Les financements publics ne permettant pas d’offrir des salaires attractifs pour le secteur éducatif, les enseignants devaient cumuler plusieurs emplois, donner des cours privés de préparation à l’entrée et des cours de soutien. Ces revenus supplémentaires pouvaient atteindre, voire dépasser le salaire officiel : cette situation aboutissait parfois à un rattachement quasi-fictif à l’EES d’origine pour une raison de prestige ou de légitimité. Peu nombreux étaient les enseignants qui faisaient de la recherche (10 % des enseignants, selon certaines estimations) ou avait le temps de mettre à jour leurs cours. La fuite des cerveaux en interne (départ des enseignants vers d’autres secteurs plus lucratifs) a abouti à un vieillissement des enseignants : la moyenne d’âge est aujourd’hui proche de 55 ans.
12Les salaires restent encore aujourd’hui un point faible du secteur : en 2011, le salaire moyen mensuel dans l’enseignement était de 14 000 roubles (350 euros). À titre de comparaison, il était de 21 000 roubles (525 euros) dans l’économie tous secteurs confondus et de plus de 50 000 roubles (1 250 euros) dans le secteur banquier et financier19. Les chiffres moyens cachent des disparités régionales très fortes : en 2010, les salaires des enseignants du supérieur varient entre moins de 10 000 roubles (250 euros) pour la République de Karatchaevo-Tcherkessie dans le Sud jusqu’à 41 000 roubles (1 025 euros) dans régions riches en hydrocarbures comme le district de Yamalo-Nenets. Dans ces conditions, il n’était guère étonnant que les jeunes se détournent des carrières de l’enseignement et que le secteur se retrouve parmi les trois les plus touchés par la corruption après la police et la santé publique20. L’on comprend pourquoi une des promesses électorales en matière sociale de Vladimir Poutine les plus saluées et commentées a été d’augmenter sensiblement les salaires des enseignants de l’école supérieure21.
13L’ensemble de ces tendances ont progressivement abouti à une baisse générale de la qualité des enseignements et à une dévaluation des diplômes. Au milieu des années 2000, plusieurs sondages menés parmi les employeurs prouvaient leur insatisfaction par les jeunes diplômés recrutés dont ils pointaient la faiblesse de connaissances théoriques et pratiques22. Selon les témoignages de plusieurs chefs d’agences de recrutement en 2006, entre 13 et 20 % seulement des entreprises étaient prêtes à embaucher de jeunes diplômés23.
14Enfin, il faut noter un déséquilibre entre les spécialisations de diplômés formés par les universités et les besoins réels de l’économie. Ce différentiel a été à maintes reprises souligné autant par des experts24 qu’au plus haut niveau politique. Correspondant à une demande solvable des étudiants et de leurs familles (guidés par les comparaisons des salaires entre les différents secteurs25), les universités forment toujours plus de juristes, de financiers et de managers que d’ingénieurs. Ainsi, selon Rosstat, en 2010, les universités publiques ont formé 387 000 diplômés en économie et gestion (il faut y ajouter 141 000 formés dans les universités non-publiques) contre, par exemple, 24 000 spécialistes en métallurgie, constructions mécaniques et traitement des métaux ou autant pour l’énergie et l’électricité. Selon l’analyse du plus grand site Internet russe de recrutement « HeadHunter » (www.hh.ru), sur les quatre dernières années à Moscou (2008-2011), le choix des métiers par les élèves à la sortie de l’école secondaire et les besoins réels des entreprises ne coïncident qu’à 25 %. En même temps, plus de la moitié des diplômés ne trouvent pas de travail correspondant à leur formation26. Le gouvernement, quant à lui, essaie de corriger ce déséquilibre en favorisant la formation de cadres capables de conduire la « diversification » de l’économie russe, développer les secteurs innovants : il privilégie des formations scientifiques et techniques à travers, par exemple, un nombre de places budgétaires (gratuites) plus important accordées pour les spécialisations jugées prioritaires.
15Le problème de la formation des cadres en Russie prend une tournure particulièrement inquiétante en raison de la crise démographique que traverse le pays, notamment, de la baisse de la population active. En effet, selon Rosstat (Service fédéral russe des statistiques), le nombre d’actifs en Russie s’est réduit de 10,2 millions de personnes en 2008 à 8,5 millions en 2010. Selon certaines prévisions démographiques, le nombre de diplômés de l’école secondaire entrant dans le système du supérieur devrait se réduire de 50 % entre 2007 et 201527. Depuis 2008, le nombre de places en première année des universités dépasse d’un quart le nombre de personnes sortant de l’école secondaire28. Il s’agit d’un réel défi pour les universités : des fermetures ou des réorganisations s’imposent pour gérer leur capacité excédentaire. Ce processus est déjà en cours : entre 2008 et 2011, une vingtaine d’EES ont disparu, tandis que le nombre d’étudiants s’est contracté de 460 000 personnes.
Pressions internationales
16À ces facteurs internes qui rendaient évident le besoin d’une réforme profonde de l’enseignement supérieur russe, s’ajoutaient les pressions internationales. L’enseignement supérieur est désormais un marché global où s’exerce une forte concurrence. Or, les établissements russes occupent une place modeste dans les classements internationaux. Par exemple, en 2012, seules deux universités russes figurent parmi les 500 établissements de l’Academic Ranking of World Universities (dit classement de Shanghai) : l’Université d’État de Moscou (MGU) se situe à la 80e place, et l’Université d’État de Saint-Pétersbourg (SPGU) dans la dernière centaine. Leurs positions se sont même dégradées : en 2005, la MGU occupait la 68e place et la SPGU était dans la quatrième centaine. Aucune université russe ne figure dans le Top-200 du QS World University Ranking (anciennement Times Higher Education).
17L’attitude russe à l’égard des classements internationaux est ambivalente. D’une part, ils sont considérés comme peu objectifs et inadaptés à la spécificité russe. À plusieurs reprises, le recteur de l’Université d’État de Moscou, Viktor Sadovnitchiy, indique que le critère du nombre de prix Nobel (utilisé par le classement de Shanghai) n’est pas applicable à la Russie, compte tenu du secret qui enveloppait la plupart des recherches et la fermeture du pays à l’époque soviétique. En outre, les classements désavantageraient les pays où la plupart des recherches sont historiquement menées à l’extérieur des universités (en Russie – dans le système de l’Académie des sciences de Russie)29. L’Institut des recherches sur l’éducation de la MGU et l’agence de classements universitaires russe ReitOR ont même tenté de lancer un nouveau classement mondial des universités qui intégrerait le paramètre de qualité de l’enseignement30. Dans l’unique édition de ce classement, datant de 2009, la MGU occupe la 5e place31.
18D’autre part, il y a une prise de conscience (à la fois au niveau politique et dans la communauté universitaire) de l’importance d’un meilleur positionnement de l’école supérieure russe au niveau mondial, pour des raisons économiques, démographiques et de prestige international. L’espace éducatif russe perd de son attractivité, y compris pour sa « clientèle » traditionnelle de la Communauté des États indépendants (CEI) ou de la Chine. La faible attractivité des universités russes s’explique par les problèmes du secteur (faibles infrastructures, absence de campus modernes et de cours en anglais, etc.), mais aussi l’image peu attractive du pays en général et les conditions de vie difficiles (climat, sécurité, etc.). La Russie ne reçoit en 2011 que 3,7 % des flux des étudiants étrangers en mobilité. Ce taux a certes presque doublé depuis 2000, mais reste faible en comparaison des pays leaders (les États-Unis en accueillent 18 % ; la Grande-Bretagne 9,9 % ; l’Allemagne, 7 % ; la France, 6,8 %32).
19Des mesures ont été prises pour une meilleure intégration du pays à l’international. Depuis 2003, la Russie a adhéré au processus de Bologne. Cette adhésion, loin d’être aisée et rapide, témoigne de sa volonté d’améliorer sa compétitivité sur le marché international en s’intégrant à l’espace éducatif européen33. Elle a été interprétée par plusieurs experts nationaux et internationaux comme un facteur positif de peer-pressure, susceptible d’influencer positivement le système éducatif russe34. À la rentrée 2011, la Russie a introduit le système à deux niveaux (licence master). Cependant, l’école doctorale russe n’est pas concernée par la « réforme de Bologne ». Un exemple tout récent prouve le désir de la Russie d’attirer les meilleurs étudiants et enseignants : une liste de 200 universités a été établie par le gouvernement, dont les diplômes seront automatiquement reconnus en Russie sans d’autres procédures supplémentaires35. Pour faire partie de cette liste, l’université étrangère devrait se baser dans un pays du G8 et… faire partie du Top-300 de l’Academic Ranking of World Universities ou du QS World University Rankings, tant décriés. Cette politique devrait permettre de sortir la Russie de son « ethnocentrisme académique » et de son « insularité intellectuelle » pour joindre le corpus international de connaissances théoriques et appliquées36.
20Le lien entre les investissements dans le capital humain et la performance économique semble évident, mais il est difficile à établir d’une manière « empirique et cohérente », car ces investissements « génèrent un rendement variable et ont des effets d’une durée très variable37 ». Les indicateurs statistiques habituels (dépenses annuelles par élève en pourcentage du produit intérieur brut [PIB], proportion d’étudiants parmi les adultes, équipements informatiques et de laboratoires) ne tiennent compte que des efforts consentis à l’éducation (input)38, mais non de son rendement (output) qui se fond dans les indicateurs comme la part des hautes technologies dans le PIB ou les exportations, les dépôts de brevets, l’activité innovante des entreprises, etc. Or, en analysant les différents indicateurs et la position de la Russie dans les classements internationaux, on constate qu’avoir beaucoup d’étudiants et un taux élevé de personnes avec un diplôme supérieur n’est synonyme ni de compétitivité globale, ni de niveau de vie. Par exemple, d’après l’index de compétitivité calculé par le Forum économique mondial de Davos, la Russie est à la 67e place en 2012 et elle a même perdu des points (58e place en 2008-2009, 63e en 2010-2011). Certes, la responsabilité incombe essentiellement aux facteurs extérieurs à l’enseignement supérieur, comme la qualité des institutions ou l’efficacité du marché du travail, mais les insuffisances de la qualification de la main-d’œuvre (inadequately educated workforce) sont aussi relevées comme facteur négatif dans ce classement39.
21Le niveau élevé de formation ne contribue pas à la productivité en Russie dont la faiblesse est largement reconnue. Ainsi, en 2008, le Premier ministre Poutine avouait que « le problème principal de l’économie russe aujourd’hui est son inefficacité extrême. La productivité du travail reste à un niveau très bas et les mêmes investissements que dans les pays développés apportent moins de rendement40. » Un rapport de McKinsey de 2009 révèle que la productivité en Russie est inférieure à celle des États-Unis de 26 % en moyenne41. Parmi ses recommandations formulées figure celle de moderniser le système de formation.
22Enfin, le nombre de brevets déposés par les Russes au niveau international ou le taux de citation ne correspondent aucunement aux indicateurs quantitatifs des diplômés du supérieur. Ainsi, le Bureau américain des brevets et des marques de commerce (United States Patent and Trademark Office, USPTO) a octroyé 298 brevets à des Russes en 2011. Pour comparer avec quelques pays du groupe BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), la même année, la Chine a obtenu 12 647 brevets et l’Inde 7 09142. Avec 2 % de la population mondiale et 6 % des diplômés et étudiants du supérieur, la Russie n’a que 0,1 % des brevets mondiaux accordés par USPTO43. En ce qui concerne le nombre de publications dans les revues référencées, la Russie est derrière bien d’autres pays. Ainsi, entre 2004 et 2008, elle a totalisé 2,6 % des publications référencées par le Science Citation Index (8,4 % pour la Chine ou 2,9 % pour l’Inde44). Vers le milieu des années 2000, l’enseignement supérieur (et aussi secondaire, mais cette question dépasse le cadre de notre recherche) est devenu un véritable objet de préoccupation pour les autorités russes.
Nouvelle politique dans le secteur de l’enseignement supérieur depuis le milieu des années 2000 : ambitions et méthodes
Volonté politique de réforme dans un contexte économique favorable
23Les problèmes internes du système de l’enseignement supérieur, les pressions internationales, la crise démographique, le besoin de diversifier l’économie russe ont rendu urgente et inévitable une réforme profonde de l’enseignement supérieur russe. Les autorités politiques russes en ont pris pleinement conscience. Dans son discours annuel devant le Parlement de 2004, qui a été précurseur d’une nouvelle étape des réformes de l’enseignement supérieur, le président Poutine relevait un nombre grandissant des diplômés du supérieur, ainsi que la baisse de la qualité des formations qui accompagnait cette « massification » de l’enseignement supérieur45.
24La prise de conscience se traduit par un nombre considérable de nouvelles lois, ainsi que de programmes fédéraux concernant le secteur qui ont été mis en œuvre. En effet, un certain nombre de lois importantes concernant l’enseignement et la science ont été adoptées en 1992-1996 (comme la Loi sur l’éducation de 1992 et celle sur l’enseignement professionnel supérieur et post-supérieur de 1996). Après une période de relatif désintérêt, une nouvelle phase d’activité législative et réglementaire commence au milieu des années 2000 (Loi sur le statut des établissements éducatifs autonomes adoptée en octobre 2006 ; Programme fédéral pour le développement de l’éducation 2006-2010 ; Loi sur l’introduction du système de l’enseignement supérieur à plusieurs niveaux adoptée en octobre 2007 ; adoptions de nouveaux standards éducatifs basés sur la notion de « compétences acquises », etc.). Un nouveau projet de Loi sur l’éducation est en discussion depuis décembre 2010, qui doit remplacer celles de 1992 et de 1996 ; cette loi doit être adoptée début 2013 au plus tard.
25Le début d’une vraie « réflexion stratégique » sur la réforme s’accompagne d’un besoin d’expertise nationale et internationale. Un Conseil pour la science, les technologies et l’éducation auprès du président (organe consultatif) a été créé en août 2004. Plusieurs équipes sont mises à contribution pour réfléchir aux orientations de la réforme (par exemple, le Haut collège d’économie ou la Chambre civique46). L’un des trois principaux sujets proposés à l’ordre du jour du sommet du G8, présidé par la Russie durant l’été 2006, a été consacré à la qualité de l’éducation.
26Au milieu des années 2000, la volonté politique de réforme pouvait s’appuyer sur un contexte économique favorable. Les prix élevés des hydrocarbures ont permis à la Russie d’afficher une forte croissance économique (7 % par an en moyenne entre 2000 et 2010), de rembourser les dettes contractées à l’extérieur et de constituer les troisièmes réserves de change mondiales. Cette conjoncture économique a créé une capacité d’affecter à l’éducation nationale des moyens financiers plus importants. Après une période de sous-financement dont le creux se situe en 1998-2000, les dépenses du budget fédéral pour l’enseignement supérieur ont commencé à augmenter de manière significative : elles sont passées de 61,2 milliards de roubles (1,5 milliard d’euros) en 2003 à 377,8 milliards de roubles (9,3 milliards d’euros) en 201047. La part de l’enseignement supérieur dans les dépenses totales pour l’éducation nationale a augmenté de 13 % à 23 % durant la même période. Il est donc clairement devenu une priorité pour le gouvernement, même si la part des dépenses pour l’enseignement supérieur en pourcentage du PIB (0,3 % en 2000 ; 0,7 % en 200848) restait faible par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE (1,5 % en 2008, mais par exemple, 2,5 % pour les États-Unis, la Corée et la Canada49). Plusieurs engagements ont été pris récemment par les autorités russes : en juillet 2012, le président Vladimir Poutine a promis d’investir 7 milliards de roubles (175 millions d’euros) pour le Programme « Développement de l’enseignement », pour voir cinq universités russes dans le Top-100 des classements internationaux à l’horizon 2020.
27Progressivement, se dessine une évolution de l’approche vis-à-vis de l’enseignement supérieur, d’abord chez les autorités politiques et, ensuite, dans les milieux d’expertise et la communauté universitaire. Avec un retard sur les pays occidentaux, la rhétorique sur la société de la connaissance ou économie de la connaissance devient centrale en Russie (non sans influence des organisations proches de la Banque mondiale et l’OCDE comme le Haut collège d’économie50). Sous l’effet de ce discours, la perception de la mission de l’université a beaucoup évolué : elle est désormais placée non seulement au cœur de la vie éducative, culturelle et sociale, mais de l’entreprenariat, de l’innovation et de la modernisation économique. Il s’agit de faire des universités des outils et des ressources dans la compétition économique internationale51. L’enseignement, la recherche et l’innovation ne doivent plus rester cloisonnés : un cycle complet d’innovation doit être développé dans les universités, de la recherche fondamentale à la commercialisation du produit final. Le modèle théorique qui semble désormais adopté est celui de la « triple hélice », qui décrit le processus de développement innovant comme des rapports équilibrés entre l’université, l’État et les entreprises52. Dans ce modèle, l’université joue le rôle leader comme un pôle de concentration des connaissances et de jeunes cadres. Dans un article pré-électoral Vladimir Poutine estimait que « le retour à l’innovation de l’économie russe doit commencer par les universités, qui sont des centres de recherche fondamentale et des pôles de formation des cadres innovants53 ».
28Si l’État est désormais capable et prêt à investir dans l’enseignement supérieur, il demande en échange au secteur de faire la nécessaire adaptation aux exigences du marché du travail, d’établir des liens étroits avec la recherche et le secteur réel de la production et de s’intégrer au niveau international. La Stratégie de sécurité nationale de la Fédération de Russie, adoptée en mai 2009, souligne que l’intégration de la science, de l’enseignement et de l’industrie est une des conditions du développement stable du pays et de sa compétitivité. Ces objectifs se traduisent par des indicateurs chiffrés très ambitieux auxquels l’enseignement supérieur doit apporter sa contribution (tableau 1). Parmi les objectifs pour le secteur visés à l’horizon 2020 figurent : la part sur le marché mondial de l’éducation élevée à 10 %, un revenu obtenu par le biais des étudiants étrangers de 5 milliards de dollars, une grille de salaire des enseignants comparable aux revenus moyens des pays développés, la création de plusieurs universités et laboratoires universitaires de recherches capables de rivaliser avec les meilleures homologues occidentaux54. Ces objectifs sont désormais complètement intégrés aux discours fédéral et régional et sont déclinés en indicateurs précis dans les différents Conceptions nationales55 et programmes de développement des universités. Par exemple, la Conception du développement économique et sociale de la Fédération de Russie jusqu’à 202056, prévoit l’augmentation de la part des revenus des universités russes rapportée par la R&D à 25 %, et le soutien d’une vingtaine d’universités de recherche pour obtenir une percée scientifique et technologique dans un ou plusieurs domaines. Le Programme fédéral du développement de l’enseignement jusqu’à 2015 stipule que la part des diplômés embauchés par les entreprises innovantes créées par les universités doit représenter jusqu’à 20 % du nombre total des diplômés57. La Conception du développement de l’activité de recherche et d’innovation dans les universités russes prévoit la multiplication par deux du volume des commandes de R&D aux universités par le secteur réel de l’économie58. Enfin, les Conceptions de création des universités nationales de recherche et des universités fédérales comprennent comme objectif l’intégration de l’enseignement et de la recherche, ainsi que le transfert efficace des technologies dans l’économie ; les programmes de développement de ces universités incluent des indicateurs chiffrés précis comme le nombre de start-ups, de business-incubateurs et de technoparcs créés, de publications référencées, de brevets obtenus, etc.59.
Tableau 1. Stratégie du développement de l’innovation de la Fédération de Russie jusqu’à 2020 (sélection de données)60.
Indicateur | Données 2008-2010 | Objectif 2020 |
Part des hautes technologies dans le PIB russe | 11,8 % en 2009 | 17-20 % |
Part des produits innovants dans la production industrielle | 12,4 % en 2009 | 25-35 % |
Quantité des brevets russes délivrés aux instances compétentes de l’Union européenne, des États-Unis et du Japon | 63 en 2008 | 2 500-3 000 |
Part des entreprises industrielles russes faisant de l’innovation technologique | 10,4 % en 2009 | 40-50 % |
Part des produits innovants dans la production industrielle | 4,9 % en 2010 | 25-35 % |
Dépenses intérieures pour R&D (en % du PIB) | 1,24 % en 2009 | 2,5-3 % |
Part des publications des chercheurs russes dans les revues référencées | 2,48 % en 2008 | 5 % |
Part des exportations des hautes technologies russes dans les exportations mondiales de hautes technologies | 0,35 % en 2008 | 2 % |
Resserrement du système et sélection des universités leaders
29Après une période au cours de laquelle les EES ont été abandonnés à leur sort, au milieu des années 2000, la politique publique sectorielle change. Une nouvelle étape dans les réformes commence. Le sens de la démarche gouvernementale consiste à « resserrer » l’enseignement supérieur russe, c’est-à-dire à réduire le nombre d’établissements, tout en ciblant les plus compétitifs qui obtiendront un financement supplémentaire pour pouvoir augmenter la qualité des formations dispensées et se positionner à l’international. À plusieurs reprises, l’ancien ministre de l’Éducation et de la Recherche Andreï Foursenko a déclaré qu’en Russie il n’y avait qu’une cinquantaine d’universités réellement compétitives et seulement cent cinquante à deux cents établissements de profil plus étroit, qui dispensaient une bonne formation. Les présidents Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev ont partagé cette analyse61. Les intentions du gouvernement sont claires. Le programme d’« optimisation » du réseau des universités qui relèvent du MER doit être élaboré avant mai 2013 : il prévoit la réduction du nombre des établissements publics de 20 % et de leurs succursales – de 30 %, après la vérification de leur conformité aux critères de qualité du ministère62.
30Cependant, pour des raisons politiques et sociales, il est difficile d’obtenir la fermeture des établissements jugés peu performants, surtout dans les régions où les « fonctions sociales » de l’école supérieure sont devenues aussi importantes que les fonctions éducatives (moyen de prévenir le chômage parmi les jeunes, mécanisme d’évitement du service militaire, compensation du bas niveau de l’enseignement scolaire, etc.). Par exemple, même après avoir durci la politique d’accréditation, Rosobrnadzor, l’agence de contrôle et de surveillance dans le domaine de l’ES, n’a réussi à obtenir la fermeture que d’une dizaine d’établissements en 200863.
31Une stratégie plus nuancée a donc été définie : le choix des meilleurs qui bénéficieront de financements publics supplémentaires considérables, qui leur permettront de se démarquer des autres. Dans les conditions de réduction démographique, le temps et la « sélection naturelle » feront leur œuvre. Cette politique a des opposants en Russie qui la qualifient de « facteur de crise » en soi64.
32La sélection doit se faire – et c’est une autre nouveauté en Russie – sur la base de concours. Le resserrement du secteur commence avec le choix sur concours des 57 EES « innovants » (17 en 2006 et 40 en 2007, soit 10 % des EES publics) dans le cadre du projet national Éducation, lancé en 2005 sous la tutelle de Dmitri Medvedev, à l’époque premier vice-Premier ministre. Il s’agit du plus grand projet de soutien financier public aux EES de l’histoire postsoviétique. Au total, 30 milliards de roubles (75 millions d’euros) budgétaires ont été déboursés65. Ces subsides ont été destinés essentiellement à moderniser la base matérielle et technique des établissements et à améliorer la qualification professionnelle du personnel.
33Ce projet a marqué le retour de l’État dans le domaine de l’enseignement supérieur. Vladimir Poutine a exprimé son entière satisfaction des résultats du projet national Éducation66. Selon l’ancien ministre Andreï Foursenko, les établissements qui ont bénéficié de ces investissements (qui forment 10 % des étudiants russes) auraient fait un « saut qualitatif de 10-15 ans » dans l’avenir et sont désormais « absolument compétitifs en Russie et au niveau mondial67 ». En tout cas, cette étape aurait servi de « catalyseur » et a jeté des bases de départ pour la suite.
34Le projet de « resserrement » du système d’ES a été affiné par la suite. Trois nouveaux « labels d’excellence » ont été créés : universités fédérales, universités nationales de recherche et statut particulier pour les deux plus anciennes universités russes, Université d’État de Moscou et Université d’État de Saint-Pétersbourg. Ces établissements bénéficieront de financements publics importants pour devenir de nouveaux leaders sur le marché national et international.
35Les universités fédérales ont vocation à couvrir les besoins des régions en cadres qualifiés et en chercheurs. Elles sont créées par fusions de plusieurs établissements. Deux universités fédérales ont été créées dès 2006, l’une en Sibérie (autour des universités de Krasnoïarsk) et l’autre dans le Sud (sur la base de l’université de Rostov). En octobre 2009, le Président Medvedev a signé un décret portant création de cinq autres établissements de cette nature : Universités de l’Arctique (à Arkhangelsk), de l’Oural (à Ekaterinbourg), de la Volga (à Kazan), du Nord-Est (à Yakoutsk), de l’Extrême-Orient (à Vladivostok). Au moins deux autres devraient naître prochainement à Kaliningrad (Université Balte) et dans le Caucase du Nord. L’avenir d’autres projets est moins précis, comme celui de l’université fédérale centre-européenne à Voronej, qui est en discussion depuis mars 2011.
36L’attribution du label « université fédérale » est assortie d’une hausse des financements publics (5 milliards de roubles du budget fédéral, soit 143 millions d’euros sur 5 ans, sans compter le financement annuel de base). Les universités doivent apporter une contribution (budget régional, ressources propres, apport des entreprises, vente des produits de leur R&D, etc.) – au moins à la hauteur de 30-40 % du financement public. Elles doivent accomplir leurs ambitieux programmes de développement en dix ans (pour 2018-2019). Le statut d’université fédérale est attribué à titre permanent. Ayant reçu le nouveau statut d’« établissement autonome », elles disposeront de libertés académiques plus larges dans la définition de leurs standards éducatifs et l’élaboration de leurs programmes et pourront ouvrir des comptes bancaires ou être fondateurs de sociétés. Cependant, le statut d’établissement autonome suppose que l’État ne sera plus responsable des dettes en dernier ressort et qu’il n’est pas tenu de financer les établissements de façon régulière et suffisante68. Les recteurs (équivalents des présidents d’université en France) ne seront plus élus, mais nommés par le gouvernement pour cinq ans. La création d’un conseil de tutelle (ou de surveillance) est également prévue. Au moins deux universités fédérales devraient figurer dans le Top-500 mondial.
37Le deuxième groupe (dont l’idée de création est apparue plus tard, il n’était question initialement que des universités fédérales) se compose d’« universités de recherche nationales », qui sont appelées à servir les besoins des secteurs de pointe (en cadres ainsi qu’en recherches innovantes) et à être compétitives au niveau mondial sans être tenues aux besoins des régions. Elles sont créées sur la base d’un seul établissement (et ses succursales), considéré comme leader dans son domaine. L’appellation « université de recherche » traduit la volonté du gouvernement de rapprocher l’enseignement et la recherche, à l’œuvre depuis 2004 où un seul ministère de l’Éducation et de la Recherche (MER) a été créé. Par ailleurs, ces universités doivent directement être « branchées » sur le monde industriel et pouvoir leur proposer les produits de leur R&D. Ils doivent assurer le cycle complet d’innovation, de la recherche fondamentale jusqu’à la vente du produit innovant au client. Elles sont donc invitées à intensifier les liens avec les entreprises, ainsi que créer elles-mêmes une « ceinture » d’entreprises innovantes, techno-parcs et business-incubateurs.
38Au nombre total de 29, les membres de ce « club » ont été choisis parmi les lauréats du projet national Éducation en trois étapes. Les deux premières ont été désignées sans concours en octobre 2008 : une Université nucléaire nationale sur la base de l’Institut de Moscou d’ingénieurs physiciens (MIFI) et une Université technologique nationale de recherche – sur la base de l’Institut de Moscou de l’acier et des alliages (MISiS). Les autres ont été sélectionnées en deux temps : douze en octobre 200969 et quinze en avril 201070. Universités classiques ou techniques, elles se situent aussi bien dans la capitale que dans les régions. Comme les universités fédérales, elles vont obtenir avec le statut d’établissement autonome davantage de liberté académique et de financements. Chacune recevra 1,8 milliard de roubles (45 millions d’euros) pendant 5 ans et devra cofinancer son programme de développement à la hauteur de 20 %. À la différence du statut de l’université fédérale, le titre peut être retiré si l’université ne remplit pas son programme.
39Enfin le troisième groupe ne comprend que deux leaders nationaux, les Universités d’État de Moscou et de Saint-Pétersbourg. Le statut particulier qu’elles ont reçu en novembre 200971 n’apporte pas de changement majeur à leur fonctionnement, mais consacre leur place privilégiée dans le système russe : elles demeureront des « établissements publics », financés par une ligne spécifique du budget fédéral ; les recteurs seront nommés et révoqués par le président. Ce nouveau statut ne spécifie pas de financements supplémentaires.
40La tendance à la sélection des établissements leaders, la concentration sur eux des ressources financières, les mouvements de fusion, la construction des « universités de classe mondiale » se sont progressivement généralisés à travers les différents pays du monde (Initiative d’excellence allemande, Campus France, etc.). La Russie ne fait donc pas exception à la règle. La quarantaine d’universités russes choisies pour devenir leaders ne représentent que 4 % de l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur russe. Mais ce sont elles qui doivent devenir les locomotives du développement du secteur et le propulser au premier rang des classements internationaux. Par exemple, 30 % de toutes les places budgétaires (gratuites) de niveau master seront partagées entre ces universités72. C’est donc ces établissements qu’il est important de suivre pour comprendre si la Russie deviendra prochainement une « puissance éducative émergente ».
Notes de bas de page
2 Voir sur l’historique des réformes B. Saltykov, « Enseignement supérieur en Russie : comment dépasser l’héritage soviétique ? », Ifri, Russie.Nei.Visions, no 29, avril 2008, <www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=5011&id_provenance=97>.
3 Voir sur les objectifs du gouvernement T. Kastouéva-Jean, « Enseignement supérieur, clé de la compétitivité russe », Ifri, Russie.Nei.Visions, no 28, avril 2008, <www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=5010&id_provenance=97>.
4 Voir sur la naissance des « chaires communes » C. Sigman, « Les origines de la contractualisation des rapports entre entreprises et enseignement supérieur dans le système soviétique » dans L. Roy, Y. Gingras (dir.), Les universités nouvelles. Enjeux et perspectives, Québec, Presses de l’Université du Québec, coll. « Enseignement supérieur », 2012, 374 p.
5 « Naučno-innovacionnyj kompleks vysšej školy Rossii » [Complexe d’innovation et de recherche de l’école supérieure russe], Recueil statistique, Centre d’études des problèmes du développement de la sciences de Moscou et la faculté de management de l’Université de Saint-Pétersbourg, Moscou, Nauka, 2005, p. 14.
6 Voir sur ce sujet T. Kastouéva-Jean, « “Splendeurs et misères” de l’enseignement supérieur en Russie », Ifri, Russie.Nei.Visions, no 14, septembre 2006, <www.ifri.org/frontDispatcher/ifri/publications/russie_cei_visions_1111752534925/publi_P_publi_rus_jean_1158934357250>. Ces tendances décrites ci-dessous persistent encore aujourd’hui, ce qui nous permet de citer les données statistiques les plus récentes, même si l’objectif premier de cette sous-partie est de décrire l’état de l’enseignement supérieur russe juste avant les réformes lancées en 2004-2005.
7 Rosstat, <www.gks.ru/free_doc/new_site/population/obraz/vp-obr1.htm>.
8 La massification et la privatisation sont également des tendances propres à d’autres pays du monde. Voir le rapport de P. G. Altbach, L. Reisberg et L. E. Rumbley, « Trends in Global Higher Education : Tracking an Academic Revolution », Center for International Higher Education, Boston College, 2009, <www.unesco.org/en/wche2009/resources/global-reports/>.
9 Le terme de « stabilisateur social » est employé par plusieurs experts russes. Voir, par exemple, V. Bolotov, « O putâh i strategii razvitiâ vysšego professional’nogo obrazovaniâ » [Sur les voies et la stratégie de développement de l’enseignement professionnel], Vestnik vysšej školy [Courrier de l’école supérieure], no 9, 2008, p. 6-11. T. Klâčko, « Vysšee obrazovanie – vyše nekuda » [Enseignement supérieur – on ne peut pas monter plus haut], Demoscope Weekly, no 375-376, 1-17 mai 2009.
10 La loi sur l’obligation militaire et le service militaire du 28 mars 1998 accorde des sursis aux étudiants et aux doctorants, et dispense de service militaire les citoyens ayant le titre de candidats ès sciences ou de docteur.
11 Annuaire statistique, Obrazovanie v Rossijskoj Federacii 2010 [Enseignement dans la Fédération de Russie 2010], Moscou, Ministère de l’Éducation et de la Recherche/Service fédéral des statistiques / Haut collège d’économie, 2010, p. 78.
12 Haut collège d’économie, Monitoring èkonomiki obrazovanuâ [Monitoring de l’économie de l’enseignement], no 1, 2007, p. 9.
13 Le ministre a exprimé cette inquiétude à plusieurs reprises. Voir, par exemple, son entretien avec Vladimir Poutine le 4 mars 2005 à Novo-Ogarevo, <www.kremlin.ru/text/appears/2005/03/84857.shtml>.
14 Pour donner quelques exemples de sites qui proposent sans complexe ce type de services et vantent leur qualité : <www.diplomaster.ru/>, <www.referatik.ru/>, <www.profcomdiplom.ru/>.
15 Cité par F. Lavoie, « En Russie, les faux diplômes gangrènent le système éducatif », La Croix, 1er décembre 2009.
16 N. Savickaâ, « Pomogu postupit’ v VUZ » [Je vous aiderai à entrer dans une université], Nezavissimaâ Gazeta, 24 juin 2005.
17 Exemple de sites qui proposent de publier « en urgence » et à titre payant des articles : <http://tzrus.narod.ru/>, <www.jurnal.nm.ru/>.
18 Entretien avec les recteurs du Haut collège d’économie Yaroslav Kouzminov et de la Nouvelle école d’économie Sergueï Gouriev, 24 juillet 2012, <http://tvrain.ru/articles/rossijskie_vuzy_sami_dolzhny_nauchitsja_ne_spisyvat-328453/>.
19 Rosstat, <www.gks.ru/wps/wcm/connect/rosstat/rosstatsite/main/population/wages/#>.
20 Selon le chef de la Cour suprême de la Russie, Viatcheslav Lebedev, sur 1 300 condamnés en 2008 pour la corruption, 31 % sont des policiers, 20,3 % médecins et 12 % enseignants. Kommersant, 12 février 2009.
21 En 2013-2018, le salaire des professeurs d’universités devrait représenter le double du salaire moyen régional. V. Poutine, « Stroitel’stvo spravedlivosti. Social’naâ politika dlâ Rossii » [Construction de la justice. Politique sociale pour la Russie], Komsomol’skaâ pravda, 13 février 2012.
22 Au milieu des années 2000, il y avait pléthore de sondages et d’articles sur le sujet dans la presse russe. Voir, par exemple, E. Gerasimova, « Illûziâ kačestva » [Qualité illusoire], Nezavisimaâ Gazeta, 10 juin 2005. O. Gerasimova, « Degradaciâ vuzovskogo statusa » [Dégradation du statut de l’établissement supérieur], Nezavisimaâ Gazeta, 3 février 2006.
23 « Molodež – eto roskoš » [Les jeunes diplômés – un luxe pour les entreprises], Vedomosti, 12 avril 2006.
24 Voir, par exemple, World Bank, Russian Federation, Economic and Sector Work, Professional Education and Skills Supply in Russia, Concept Note, Draft Document, 2011.
25 Pour prendre les données 2010, le salaire moyen mensuel dans le secteur financier s’élevait à 50 120 roubles (1 250 euros), dans la production métallurgique à 21 152 roubles (530 euros), dans la production des équipements électroniques à 20 177 roubles (505 euros). Données de Rosstat.
26 E. Emelenko, présentation des tendances du marché du travail pour les jeunes dans le cadre de la conférence « Coopération entre l’enseignement supérieur et le business : approches modernes », organisée par le British Council, 1er mars 2011, Moscou, <www.britishcouncil.org/ru/russia-educationuk-conference-modern-wayspresentations.htm>.
27 A. Višnevski (dir.), Doklad o razvitii čelovečeskogo potenciala v Rossijskoj Federacii 2008 [Rapport sur le développement du potentiel humain dans la Fédération de Russie 2008], PNUD, Moscou, 2009 (chapitre 8 sur les défis démographiques et le système de l’éducation), <www.undp.ru/documents/NHDR_2008_Rus.pdf>,p.173-174.
28 T. Klâčko, « Vysšee obrazovanie – vyše nekuda », op. cit. [9].
29 Entretien avec Viktor Sadovnitchiy, Rossijskaâ Gazeta, no 4277, 25 janvier 2007.
30 Voir V. Sadovničij et al., « Kak posčitat’ kačestvo obrazovaniâ ? » [Comment mesurer la qualité de l’enseignement ?], Ekspert, no 4, 28 janvier 2008.
31 Nezavissimaâ Gazeta, 20 janvier 2009.
32 OCDE, Regards sur l’éducation 2011, OCDE, 2011, figure C3.2, p. 346.
33 Voir T. Kastouéva-Jean, « La Russie et le processus de Bologne : européenne par éducation ? », Politique étrangère, no 2, 2007, p. 411-423.
34 Entretiens de l’auteur avec des experts du Haut collège d’économie, Moscou, octobre 2007, et à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Paris, janvier 2008.
35 Izvestiâ, 22 novembre 2011.
36 N. Eberstadt, Russia’s Peacetime Demographic Crisis : Dimensions, Causes, Implications, NBR Project Report, mai 2010, <www.nbr.org/publications/issue.aspx?id=202>.
37 OCDE, Regards sur l’éducation 2007, OCDE, 2007, p. 32. Les études de l’OCDE attribuent 50 % de la croissance de PIB par habitant entre 1990 et 2000 à l’augmentation de la productivité du travail due, à son tour, pour beaucoup à l’allongement de la durée des études et à l’amélioration de la qualité de l’enseignement.
38 La comparaison des indicateurs inputs avec ceux des autres pays apporte néanmoins un éclairage utile.
39 Wold Economic Forum, Global Competitiveness Report 2012-2013, <http://www3.weforum.org/docs/WEF_GlobalCompetitivenessReport_2012-13.pdf>.
40 Rossijskaâ Gazeta, 12 mars 2008.
41 L’étude a été menée sur cinq secteurs : acier, vente de détail, banque pour particuliers, construction de logement, énergie électrique. McKinsey Global Institute, Lean Russia : Sustaining Economic Growth Through Improved Productivity, avril 2009, <www.mckinsey.com/insights/mgi/research/productivity_competitiveness_and_growth/lean_russia_sustaining_economic_growth>.
42 « Number of Patents Granted as Distributed by Year of Patent Grant Breakout by U. S. State and Foreign Country of Origin », <www.uspto.gov/web/offices/ac/ido/oeip/taf/cst_utl.pdf>. Cependant, ce chiffre est quelque peu à nuancer, car, la même année, les Russes ont obtenu 22 339 brevets auprès de Rospatent (Service fédéral russe des brevets), ce qui prouve l’orientation nationale des brevets russes. Rapport annuel du Service fédéral russe de propriété intellectuelle, 2011, <www.rupto.ru/about/sod/otch/otch2011/sod.htm>, rapport annuel 2011.
43 Calculs de N. Eberstadt, op. cit. [36].
44 Thomson Reuters, <http://thomsonreuters.com/products_services/science/science_products/a-z/web_of_science/>.
45 Discours annuel du président devant le Parlement russe, 26 mai 2004.
46 Rapport de la Chambre civique de Fédération de Russie, « Gotova li Rossiâ investirovat’ v svoë buduŝee ? » [La Russie, est-elle prête à investir dans son avenir ?], Moscou, 2007, <www.oprf.ru/files/tcp_ip/doklad_s_oblozhkoi.pdf>.
47 D. Nikolaev, D. Chugunov, The Education System in the Russian Federation, A World Bank Study, Education Brief 2012, <www.wds.worldbank.org/external/default/WDSContentServer/WDSP/IB/2012/04/05/000333037_20120405005449/Rendered/PDF/678640PUB0EPI0067902B09780821395141.pdf>.
48 Annuaire statistique, Obrazovanie v Rossijskoj Federacii 2010, op. cit. [11], p. 70.
49 Dépenses publiques et privées confondues. OCDE, Regard sur l’éducation 2011, 2011, p. 243.
50 Voir sur ce sujet T. Gounko, Translating from Soviet to Neo-Liberal – Policy Transitions in Russian Higher Education and the Role of the World Bank, the Oecd, and the Imf, VDM Verlag Dr. Mueller e. K., 2008, 340 p.
51 M. Kogan et al., Transforming Higher Education. A Comparative Study, Londres, Philadelphie, Jessica Kingslay Publishers, 2000, 272 p.
52 L’auteur de ce concept est H. Etzkowitz, The Triple Helix : University-Industry-Government Innovation in Action, Londres, Routledge, 2008, 164 p.
53 V. Poutine, « Nam nužna novaâ èkonomika » [Nous avons besoin d’une nouvelle économie], Vedomosti, 30 janvier 2012.
54 Voir l’article signé par le ministre de l’Éducation et de la Recherche et deux recteurs : A. Fursenko, D. Livanov, A. Volkov, « Vysšee obrazovanie : povestka 2008-2016 » [Enseignement supérieur : agenda 2008-2016], Ekspert, no 32, 3 septembre 2007.
55 Document officiel qui formule les objectifs, les étapes et les méthodes de réalisation de ces objectifs dans un domaine de politique publique. Les Conceptions n’ont pas la valeur d’une loi, mais sont des programmes d’actions à suivre.
56 Koncepciâ dolgosročnogo social’no-èkonomičeskogo razvitiâ Rossijskoj Federacii do 2020 goda [Le concept de développement socio-économique de la Fédération de Russie jusqu’à 2020], approuvé par l’arrêté du gouvernement le 17 novembre 2008, <www.ifap.ru/ofdocs/rus/rus006.pdf>.
57 Site officiel du programme : <www.fcpro.ru/>.
58 Octobre 2010, <http://smus.mephi.ru/node/41>.
59 Nous reviendrons sur ces indicateurs dans les monographies.
60 Approuvée par l’arrêté du gouvernement le 8 décembre 2011, no 2227-p, <www.economy.gov.ru/minec/activity/sections/innovations/doc20101231_016>.
61 Voir, par exemple, le discours de Dimitri Medvedev à la réunion consacrée aux Centres scientifiques et éducatifs à l’Institut des ingénieurs physiciens de Moscou (MIFI) le 24 juillet 2008, <http://kremlin.ru/appears/2008/07/24/1440_type63378type63381_204655.shtml>.
62 Déclaration du ministre de l’Éducation et de la Recherche D. Livanov, RIA Novosti, 28 août 2012, <http://ria.ru/politics/20120828/732015192.html#ixzz24vb2CHEq>.
63 Moskovskij komsomolec, 2 janvier 2009.
64 Voir, par exemple, les critiques de l’ancien vice-président du Comité de la Douma pour l’Éducation, membre du parti communiste O. Smolin, 24 juin 2008, <www.gazeta.ru/education/2008/06/24_a_2764382.shtml>.
65 Voir le site du MER <http://mon.gov.ru/pro/pnpo/vuz/>.
66 « Tous les objectifs du projet national Éducation ont été atteints ». Compte rendu des résultats d’activité en 2008 du Premier ministre Vladimir Poutine devant la Douma, 6 avril 2009, <http://premier.gov.ru/events/2490.html>.
67 Intervention d’Andreï Foursenko devant la Douma d’État, 8 mai 2009, <http://appa.ru/archives/375>.
68 La Loi fédérale sur les établissements autonomes (no 174-FZ) est entrée en vigueur le 3 novembre 2006. Pour comprendre ce statut, mi-public mi-privé, voir C. Sigman, « Quand autonomie rime avec contrôle : “Nouveau management public” et transformation des services publics en Russie », dans B. Zielinski (dir.), Penser le service public. Histoire et perspectives en France, en Allemagne et en Russie, Laval, Presses de l’Université de Laval, 2010, p. 219-235.
69 Haut collège d’économie, Université technique de Kazan, Institut d’aviation de Moscou, Université technique Bauman à Moscou, Université de physique et de technique de Moscou, Université Lobatchevski à Nijny Novgorod, Université technique de Perm, Université aérospatiale Korolev de Samara, Institut des Mines de Saint-Pétersbourg, Université des technologies d’information, de mécanique et d’optique de Saint-Pétersbourg, Université polytechnique de Tomsk.
70 Université de Belgorod, Université technique d’Irkoutsk, Université technologique de Kazan, Université Ogarev de Mordovie, Institut de la technique électronique de Moscou, Université du bâtiment de Moscou, Institut énergétique de Moscou, Université de Perm, Université de médecine de l’agence fédérale de la santé publique et le développement social, Université du pétrole et du gaz Goubkine, Université polytechnique de Saint-Pétersbourg, Université Tchernychevsky de Saratov, Université de Tomsk, Centre de l’enseignement et de la recherche des nanotechnologies de la RAN, Université du Sud Oural.
71 Le texte de la Loi no 259-FZ est disponible sur le site de la MGU : <www.econ.msu.ru/ds/1557>.
72 Cité dans Nezavissimaâ Gazeta, 2 janvier 2011.
Auteur
Tatiana Kastouéva-Jean est chercheuse au centre Russie/NEI de l’Institut Français des Relations Internationales (Ifri). Ses recherches portent sur l’enseignement supérieur, la R&D et le potentiel humain de la Russie.
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