De Balfour à Ben Gourion
| ,Religion et politique
La dernière Croisade ? La propagande britannique et la campagne de Palestine, 1917-1918*
Texte intégral
- * Je sais gré à Robert J. C. Young, Dror Wahrman et Yaacov Wahrman (†) pour leurs commentaires et su (...)
- 1 Punch (19 décembre 1917), p. 415.
- 2 Voir Jonathan Newell, « Allenby and the Palestine Campaign », in Brian Bond (ed.), The First World (...)
1Le 9 décembre 1917, des troupes britanniques et des Dominions conquièrent Jérusalem sur les Turcs, et deux jours plus tard, à la tête d’une procession solennelle, le général Edmund Allenby entre dans la ville, à pied. À Londres, le Punch publie à cette occasion une illustration mémorable qui incarne ce grand accomplissement. Intitulée « La dernière Croisade », elle montre Richard Cœur de Lion contemplant de haut Jérusalem, et qui approuve d’un signe de tête avec contentement : « Mon rêve devient réalité ! »1 Comme souvent, le Punch semble refléter l’humeur générale : faire allusion à la campagne de Palestine comme « nouvelle » ou « dernière » Croisade, et aux soldats britanniques qui y combattent comme « nouveaux » ou « modernes » Croisés, est largement répandu, que ce soit pendant ou après la guerre. De nombreux ouvrages offrent leur propre variation sur ce thème : Khaki Crusaders (Les Croisés en kaki, 1919), Temporary Crusaders (Croisés temporaires, 1919), The Modern Crusaders (Les Croisés modernes, 1920), The Last Crusade (La dernière Croisade, 1920), With Allenby’s Crusaders (Avec les Croisés d’Allenby, 1923), The Romance of the Last Crusade (La romance de la dernière Croisade, 1923), etc. La métaphore continue de nos jours d’être filée dans l’historiographie populaire2.
2C’est peut-être cette manie de Croisade qui porte ombrage au fait remarquable que, quelques semaines seulement avant l’occupation britannique de la ville, le Press Bureau – une section du Département gouvernemental de l’Information – a émis le communiqué confidentiel [D-notice] suivant à destination de la presse.
- 3 Archives nationales du Royaume-Uni (par la suite : TNA) : Public Record Office (par la suite : PRO (...)
15 novembre 1917. 13
heures 45
Note à la presse
Privé et confidentiel
(non destiné à la publication et à communication)
L’attention de la presse doit à nouveau être attirée sur le fait qu’il n’est pas désirable que soit publié quelque article, dépêche ou illustration suggérant que les opérations militaires engagées contre la Turquie soient en quelque mesure que ce soit une Guerre sainte, une Croisade moderne, ou quoi que ce soit qui ait à faire avec des questions religieuses. L’Empire britannique compte quelque cent millions de mahométans qui sont sujets du Roi, et il est évidemment malveillant de suggérer que notre querelle avec la Turquie relève d’une lutte entre la Chrétienté et l’Islam3.
- 4 Siège du gouvernement britannique (NdT).
- 5 Quartier de la presse, à Londres ; par extension, la presse anglaise (NdT).
- 6 TNA : PRO, FO/371/3383, fo. 98-9, Wingate au Foreign Office (par la suite : FO), 14 février 1918.
- 7 [Les nouveaux Croisés : avec les forces britanniques sur le front palestinien]. Roger Smither (ed. (...)
- 8 TNA : PRO, HO/139/27, Note de la Censure à propos d’une note du M.I.7.A. adressée au Press Bureau, (...)
3Nul besoin de le préciser, le Punch n’a pas été désigné comme un ennemi du peuple pour avoir ainsi enfreint les règles de la censure. En février, une série d’articles de presse commandés par le Département de l’information, rédigés par des fonctionnaires britanniques et câblés à partir de Palestine – via Whitehall4 – vers Fleet Street5, revêt elle-même un ton qui, selon les termes du communiqué mentionné ci-dessus, est indubitablement « malveillant ». L’un de ces télégrammes débute par ces termes, « Comme c’était le cas au temps des Croisés, les soldats occidentaux de nos jours visitent les églises de Jérusalem et de Bethléem pour y prier et dire leurs actions de grâces. » Il poursuit en indiquant que « Deux des commandants qui ont joué un grand rôle dans la campagne du Sud de la Palestine descendent de chevaliers qui se sont battus lors des combats des Croisades6 ». Un mois plus tard, le Département de l’information se surpasse lui-même en diffusant un film officiel de 40 minutes intitulé The New Crusaders : with the British Forces on the Palestine Front7. Et encore en octobre 1918, en réponse à un télégramme émanant de l’État-major égyptien qui proteste contre une référence à « la nouvelle Croisade » mentionnée dans le Times, le censeur des télégrammes remarque sèchement : « Les censeurs de la présente section ont depuis longtemps pour instruction d’être très prudents à propos du terme de “Croisade” »8. Où est donc le vrai ? Ne s’agit-il ici que d’une gaffe bureaucratique, ou est-ce significatif d’un dilemme représentationnel plus complexe ? Quel est l’enjeu de l’invocation, ou au contraire, de la suppression, du terme des Croisades ?
- 9 L’effort de propagande britannique au cours de la Première Guerre mondiale a été décrit comme « un (...)
4Le présent article veut montrer que les enjeux ont bel et bien été très importants. Nonobstant ses véritables objectifs stratégiques ou ses conséquences historiques complexes, la campagne de Palestine a été planifiée consciencieusement par le gouvernement britannique pour constituer un exercice de propagande, façonné, filtré et objet de capitalisation destiné à maintenir le moral de la nation9. La Palestine, après tout, ne ressemble à aucune autre prise impériale. Il s’agit en effet de la Terre sainte, imprégnée de souvenirs religieux et historiques : certains semblent plus adaptés que la tentative vaine de Richard Cœur de Lion de s’emparer de Jérusalem.
5Quoi qu’il en soit, l’évocation quasi instinctive de la Croisade dans le contexte de l’avancée britannique en Palestine met à jour des défaillances et des tensions qui, en principe, demeurent obscurcies dans le cadre de l’ethos sûr de lui-même qui sous-tend l’ordre impérial. Comme le communiqué de presse l’indique si éloquemment, la tension la plus évidente concerne les relations entre la Grande-Bretagne et ses sujets partout dans le monde. L’invocation de la Croisade, avec Jérusalem comme récompense convoitée, place clairement le conflit à l’encontre de l’Empire ottoman dans le contexte d’une lutte entre la chrétienté et l’islam. Cela menace de mettre à mal la position politique de la Grande-Bretagne en lui aliénant, voire en provoquant ses sujets et alliés musulmans ; mais cela met également en doute deux des convictions les plus chères de l’Empire : l’idée que l’affiliation impériale transcende les confessions religieuses, et celle selon laquelle la tolérance religieuse est la pierre de touche du bienveillant pouvoir colonial britannique. De manière ironique, l’acte très conscient qui consiste à supprimer le thème de la Croisade le rend d’autant plus incontournable. Il fait de la Croisade un « secret » connu de tous, commun à tous les Britanniques (chrétiens) et dirigé contre leurs sujets impériaux.
6Néanmoins, ce secret n’est partagé que par quelques personnes privilégiées. Le thème de la Croisade, qui est loin d’être omniprésent, est socialement et culturellement confiné, et caractéristique d’un registre culturel de haut vol. Plutôt que de refléter un centre britannique unifié, l’idée de la « dernière Croisade » marque une distance considérable entre les personnes qui donnent forme à la propagande britannique de temps de guerre et celles pour lesquelles cette propagande est élaborée. Pour la majorité des Britanniques, Jérusalem et la Terre sainte évoquent d’abord et avant tout non pas des souvenirs relatifs à des conquêtes médiévales et à l’expansion européenne, mais plutôt des souvenirs sacrés liés à l’Ancien et au Nouveau Testament. Ainsi, alors que l’image de la Croisade dénote une ambition impériale bien définie à l’égard de la Jérusalem terrestre, ce sentiment populaire évoque une « Jérusalem » associée, de façon quelque peu autoréflexive, aux traditions religieuses populaires, aux chants et aux homélies, aux classes du dimanche et à la Bible de la famille [Family Bible] ; en un mot, à la mère-patrie [Home]. En tant que telle, cette notion propose un ethos de contestation qui, associé à la lassitude de la guerre, présente une vision tournée vers l’intérieur, très différente du narratif héroïque et expansionniste élaboré par les fonctionnaires gouvernementaux. Il semble que les propagandistes soient aussi éloignés de la population indigène chez eux que de la population indigène à l’étranger. En conséquence, le matériel de propagande généré par la conquête de Jérusalem et l’impact qu’il a sur le moral de la nation ne répondent pas aux attentes originales du Cabinet de guerre. Comme nous allons le montrer, il ne s’agit pas ici d’un simple problème de représentation. La difficulté de construire un narratif officiel reflète une ambiguïté véritable quant aux intérêts impériaux britanniques en Palestine. L’échec de la propagande relative à la « Dernière Croisade » anticipe et est significatif de l’échec de la « Dernière Croisade » elle-même.
- 10 Christopher Hill, « Till the Conversion of the Jews », Religion and Politics in Seventeenth Centur (...)
7Enfin, le fait que la campagne de Palestine, un épisode en soi marginal, ait suscité des interrogations si aiguës en ce qui concerne les relations entre l’Empire et ses sujets suggère que la « Terre sainte » – au sens propre comme au sens figuré – joue un rôle plus essentiel dans l’évolution de l’ethos impérial britannique moderne que cela a été acquis jusqu’à aujourd’hui. Comme l’ont montré Christopher Hill et Linda Colley, depuis le xviie siècle, le vocabulaire biblique protestant – un Peuple élu, une Terre promise – a été crucial pour l’élaboration de l’impérialisme britannique10. Toutefois, ce qui n’a pas été relevé c’est la manière dont la quête impériale a été conçue et accomplie en lien avec la Terre sainte géographique. La campagne de Palestine de 1917-1918 illustre cette juxtaposition de la métaphore et du littéral : il s’agit là en effet du moment où l’ethos impérial britannique est finalement refoulé comme en son terreau originel. Ainsi, la « Dernière Croisade » se présente ici comme une partie d’un projet plus ample visant à mettre en évidence le rôle de la Terre sainte dans la construction du langage, de l’identité et de l’histoire de l’Empire britannique.
Lloyd George et la campagne « Le Turc doit partir »
- 11 David Lloyd George, War Memoirs of Lloyd George, Londres, 1936, vol. II, pp. 1090-91.
- 12 Matthew Hughes, « Lloyd George, the Generals and the Palestine Campaign », Imperial War Museum Rev (...)
- 13 TNA : PRO, CAB/23/2, 2 avril 1917 (1).
- 14 TNA : PRO, FO/395/139/42320, Lloyd George à Buchan, 1er février 1917. Voir aussi Isaiah Friedman, (...)
8En juin 1917, au moment où le Premier ministre Lloyd George rencontre Allenby pour évoquer l’avancée à venir sur le front de Palestine, il informe le commandant en chef de ce que le Cabinet de guerre « attend Jérusalem pour Noël11 ». Depuis le tout début de la guerre, la conviction de Lloyd George selon laquelle seule une action militaire au Moyen-Orient peut accélérer la victoire alliée est étroitement liée à son intérêt personnel en matière de publicité et de propagande12. La campagne de Palestine permet de cumuler les deux objectifs. Au cours d’une discussion au sein du Cabinet de guerre, le 2 avril 1917, « une grande importance est accordée aux avantages moraux et politiques à attendre d’une avancée en Palestine, et particulièrement de l’occupation de Jérusalem, qui, comme cela a été souligné, serait saluée avec la plus grande satisfaction par toutes les composantes du pays ». Un succès en Palestine, « mis à part ses aspects purement militaires », pourrait « contrecarrer les influences déprimantes d’une situation économique difficile13 ». Pressentant que l’opinion publique doit être préparée à une action militaire anticipée au Moyen-Orient, le Premier ministre donne pour instruction à son directeur de la propagande récemment nommé, John Buchan, de débuter une campagne répondant au slogan suivant : « Le Turc doit partir14 » (The Turk Must Go).
- 15 David Fromkin, A Peace to End All Peace : Creating the Modern Middle East 1914-1922, 1989 ; Harmon (...)
- 16 Fromkin, op. cit., p. 109 ; Antonius, op. cit., pp. 140-142.
- 17 « Bureau arabe », office établi au début de 1916 dans le cadre de l’administration britannique en (...)
- 18 Voir Bruce Westrate, The Arab Bureau : British Police in the Middle East, 1916-1920, University Pa (...)
- 19 TNA : PRO, HO/139/19/78, Official Press Bureau Instructions, D.122 (24 décembre 1914), D.186 (16 m (...)
9La propagande relative à l’avenir de l’Empire ottoman est une affaire controversée depuis longtemps. Pour Kitchener et son entourage, l’éventualité d’une guerre sainte musulmane contre la Grande-Bretagne, en particulier d’un soulèvement islamique en Inde, est un cauchemar récurren15. Quoique le djihad, proclamé effectivement par le sultan en novembre 1914 et à laquelle se rallient avec enthousiasme les Allemands, échoue à susciter une réponse musulmane substantielle, son potentiel explosif continue de hanter les officiels britannique16. En parallèle, naturellement, les membres de l’Arab Bureau17 sont engagés dans d’ardents efforts visant à mener les leaders arabes à s’engager dans une révolte pro-alliés contre les Ottoman18. Tout cela fait des questions religieuses une épée à double tranchant. Les musulmans sont des ennemis, mais en même temps des sujets et des alliés ; de ce fait, la meilleure stratégie en termes de propagande est d’éviter toute connotation religieuse. Un communiqué officiel émis en décembre 1914 – et renouvelé en mars 1915 puis en février 1916 – soutient que « doit être évitée toute publication pouvant avoir un effet hostile, indésirable, sur l’opinion mahométane. Tout débat sur la question du Califat doit être écarté19 ».
- 20 TNA : PRO, FO/395/152/218223, Thornton à Buchan, 12 novembre 1917.
10C’est la même logique qui préside au communiqué cité au début de la présente contribution, et il vaut la peine de s’attarder sur les circonstances qui ont conduit à sa publication. Le 12 novembre 1917, le commandant Hugh Thornton, en poste dans les bureaux du Cabinet de guerre, écrit à John Buchan : « Je vous transmets la note jointe qui vaut ce qu’elle vaut. Elle m’a été adressée l’autre jour par un ami de Lord Milner qui entretient des liens étroits avec l’Orient ». Est jointe une coupure de presse extraite de l’Evening Standard du 8 novembre, indiquant que « Jérusalem est à présent elle-même directement menacée, et depuis mille ans elle a été aux mains des “infidèles”. Si nous capturons la ville, cela signifiera que pour la première fois le drapeau d’une nation chrétienne va flotter sur ses murs. » L’ami anonyme – et embarrassé – de Lord Milner ajoute : « La censure de la presse ne pourrait-elle pas indiquer à l’éditeur que des commentaires de ce type sont malvenus, au vu du fait que nos alliés les plus proches sur ce théâtre sont le roi du Hedjaz et d’autres chefs de l’Arabie, qui sont des mahométans de stricte observance et qui révèrent grandement Jérusalem et d’autres endroits liés à notre Seigneur20... »
- 21 TNA : PRO, FO/395/152/218223, communiqué D.607.
11Trois jours plus tard, le 15, le bureau de la Presse émet le communiqué prohibant toute suggestion suivant laquelle « les opérations militaires contre la Turquie sont, de quelque manière que ce soit, une Guerre sainte, une Croisade moderne, ou sont en quoi que ce soit liées à des questions religieuses21 ». À l’instar des communiqués précédents, ou de la note produite par l’ami de Milner, la nouvelle note présente des directives qui sont purement tactiques. Quiconque bénéficiant « de liens étroits avec l’Orient » reconnaîtrait instantanément qu’il serait « malvenu » de comparer la campagne britannique à une Croisade – et cela même si dans les faits elle en est bien une. Il n’est pas « désirable » et il est « malveillant » de prétendre que la guerre que la Grande-Bretagne mène contre la Turquie relève d’un affrontement entre l’islam et la chrétienté – non souhaitable et malveillant, mais pas forcément faux. Par son existence même en tant qu’acte de censure pleinement avoué, le communiqué affirme exactement ce qu’il tente d’interdire.
- 22 Pathans, ethnie des Indes britanniques, dans l’actuel Pakistan (NdT).
- 23 TNA : PRO, WO/33/946/8638, Grand quartier général d’Égypte (par la suite : GQG) au ministère de la (...)
- 24 Naturellement cela est réprimé. Après la conquête de la ville, toutefois, le gouvernement de l’Ind (...)
12De façon ironique, ce texte essaie de rejeter l’idée d’une guerre sainte contre la Turquie en localisant la tension islamo-chrétienne au sein du cadre impérial britannique, à l’intérieur duquel l’affiliation impériale est censée venir avant, sinon oblitérer, la différence religieuse. Mais cela est, bien entendu, un mythe. Le fait que les « sujets mahométans du Roi » pensent différemment est rendu évident par un télégramme qu’Allenby envoie au ministère de la Guerre le 2 décembre 1917 : « Considérant la réticence des Pathans du 58th Rifles22 à combattre leurs coreligionnaires, les Turcs, j’ai été contraint à retirer de la ligne de front la compagnie Pathan pour l’employer aux transmissions23. » En ce qui concerne les Pathans, l’affiliation religieuse vient avant le devoir impérial, et la guerre a tout à voir avec des questions religieuses24.
- 25 Sanders et Taylor, op. cit.,p.49.
- 26 TNA : PRO, FO/395/139 [Gaselee], (avril 1917).
- 27 TNA : PRO, FO/395/139, Gaselee à Benson, recteur de Magdalen College, Cambridge, 10 avril 1917.
- 28 TNA : PRO, Gaselee à Lestrange, 11 avril 1917, FO/395/139.
13Pour en être bien sûr, seulement quelques mois plus tôt, le Département de l’information lui-même soutient ouvertement le thème de la Croisade. Traduisant les instructions générales de Buchan comprises dans la campagne The Turk Must Go en une liste concrète de publications, Stephen Gaselee (l’un des « jeunes hommes sémillants » du Foreign Office25) inclut une section intitulée, « La Terre sainte : une Nouvelle Croisade26 ». Dans les lettres qu’il adresse à des universitaires, par lesquelles il leur demande de produire des articles contribuant à l’effort de propagande, Gaselee réfléchit sur les intérêts français, arabes et internationaux en Palestine, avant de conclure : « Dans tous les cas, le Premier ministre et Buchan souhaitent que l’on mette particulièrement l’accent sur l’aspect sentimental, romantique et religieux de la campagne de Palestine, spécialement dans la presse ecclésiastique, et si vous conservez à l’esprit l’idée de la Croisade lorsque vous écrivez votre article, je suis certain que le résultat sera ce qu’ils veulent »27. Gaselee écrit ces lignes quelques jours seulement après que le Cabinet de guerre eut considéré et salué les « avantages moraux et politiques que l’on doit attendre de l’avancée en Palestine ». Le Cabinet ne précise pas ce que sont ces avantages ; en ce qui concerne Gaselee, ils sont étroitement liés à « Ce qui peut être appelé la Nouvelle Croisade pour la libération de la Terre sainte28 ». L’auteur du communiqué – peut-être Gaselee lui-même – partage ces vues. De fait, si l’image de la Croisade avait été moins instinctive, moins immédiate, il n’aurait pas été besoin de ce communiqué.
14Mais cette association d’idées ne vaut pas pour tous. Pour l’expliquer, il faut d’abord explorer ce que dénote la métaphore croisée et considérer sa récurrence sociale au cours des décennies qui précèdent la guerre.
La Première Guerre mondiale et l’idée de la Croisade
- 29 Vivian Gilbert, The Romance of the Last Crusade, New York, 1923, p. 1. Les références suivantes so (...)
« Sire, venez là et je vais vous montrer Jérusalem ! » Ainsi parla le valeureux chevalier, Sir Brian de Gurnay.
« Non », répliqua le Roi Richard d’Angleterre, et il enfonça son visage dans son armure, des larmes lui vinrent aux yeux, et les mains levées vers les cieux il s’exclama : « Mon Dieu, je vous conjure de ne jamais me laisser voir Votre Ville sainte si je ne suis pas en mesure de la libérer des mains de Vos ennemis ! »29
15Imprimé en caractères gothiques, tel est le premier paragraphe de la Romance de la dernière Croisade (The Romance of the Last Crusade), du commandant Vivian Gilbert (1923), une contribution autobiographique rapportant son service actif en Palestine pendant la guerre, et probablement l’une des plus extravagantes manifestations de la thématique croisée. Le premier chapitre de l’ouvrage, cependant, est un prélude imaginé de toutes pièces : il introduit un jeune homme, Brian de Gurnay, « qui vient juste de finir sa première année à Oxford, un produit typique d’une public school anglaise » (p. 2), qui prend un bain de soleil aux abords de son château, Ivythorne Manor, lisant un livre dont est tiré le passage cité ci-dessus. Profondément agité par les aventures romantiques de son ancêtre, le « valeureux chevalier », Brian s’exclame : « Pour combattre pour cette cause, pour participer à cette Dernière Croisade je laisserais volontiers mes os en Terre sainte ! Oh, pour avoir la chance de faire comme l’un de ces chevaliers des temps passés, pour accomplir dans ma vie au moins une chose qui en vaille la peine ! » (p. 5). Juste à ce moment, sa vieille mère, Lady Mary, arrive avec le Daily Telegraph qui annonce la perspective de la guerre. Brian est exalté : « c’est comme s’il rêvait que le sang de Sir Brian de Gurnay, qui était descendu jusque-lui, lui montait à la tête » (p. 7).
- 30 Peter Parker, The Old Lie : The Great War and the Public-School Ethos, Londres, 1987, pp. 228-9.
- 31 Mark Girouard, The Return to Camelot : Chivalry and the English Gentleman, Londres, 1981 ; Cecil D (...)
- 32 Michael Ragussis, Figures of Conversion : “The Jewish Question” & English National Identity, Durha (...)
- 33 Joseph Shadur, Young Travellers to Jerusalem : The Holy Land in American and English Juvenile Lite (...)
16La scène est longuement citée dans l’ouvrage de Peter Parker The Old Lie : The Great War and the Public School Ethos [Le vieux mensonge : La Grande Guerre et l’ethos des Public Schools]. Dans les faits, il s’agit ici d’une superbe illustration de ce que la tradition des gentilshommes faite de chevalerie, d’honneur, de patriotisme et de sportivité – associée très étroitement à l’instruction propre aux Public Schools, et incarnée ici par la thématique des Croisades – n’est pas seulement un instrument dans le cadre de la mobilisation d’une génération de jeunes hommes enthousiastes, mais aussi centrale pour la manière dont la Grande Guerre fut anticipée, imaginée et comprise30. Des références explicites aux images des Croisades et des Croisés jouent un rôle crucial dans ce contexte culturel31. La contribution la plus fructueuse à cette tradition est sans aucun doute l’œuvre de Walter Scott, Ivanhoe (1820) et The Talisman (1825), dans laquelle les Croisades – au cours desquelles un Richard Cœur de Lion anglicisée envahit la Terre sainte – sont décrites comme un épisode fondateur dans l’émergence du nationalisme anglais32. Si l’on considère les ventes énormes d’éditions bon marché des livres de Scott tout au long du xixe siècle, de même que ses nombreux épigones, son influence ne peut être exagérée33.
- 34 Voir John M. MacKenzie (dir.), Imperialism and Popular Culture, Manchester, 1986.
17Il a été dit que l’ethos des Public Schools – et, comme on peut l’ajouter, l’idée des Croisades – a été diffusé à travers la société par le travail inlassable des clubs sportifs et des mouvements de jeunes, des missions scolaires et des collèges de jeunes hommes, de la fiction populaire et des magazines illustrés34. Vivian Gilbert croyait que tous les soldats britanniques étaient des Croisés, qu’ils possèdent le bagage culturel approprié pour le concevoir ou non : « L’esprit des Croisés était présent chez tous mes hommes qui œuvrèrent si ardemment à la préparation de la grande aventure ! » (p. 37). Néanmoins, il fut presque ébloui par la romance qui affecta si soudainement les vies de ces hommes, jusque-là « aussi lourds et inintéressants que les registres qu’ils gardaient dans leurs lugubres bureaux londoniens », eux qui furent transportés loin de leurs « petites et étouffantes chambres à coucher » vers un pays rempli de « mille souvenirs de galants Croisés » (pp. 110-111).
- 35 Imperial War Museum (par la suite : IWM), Département des documents, 69/21/2, Papiers du général d (...)
- 36 L’analyse qui suit se fonde sur quelque 50 journaux personnels, lettres et mémoires déposés dans l (...)
- 37 The Cambridge Review (23 octobre 1943), p. 25.
- 38 La Croix d’Éléonore est une figure connue du paysage britannique, rappelant la croix érigée par le (...)
- 39 Shane Leslie, Mark Sykes : His Life and Letters, Londres, 1923, p. 294.
18Évidemment, s’il signifie quelque chose, le ton très condescendant de Gilbert suggère que l’image du Croisé était intimement associée à un groupe social bien défini et très privilégié. Ému par la conquête de Jérusalem, le général de division Guy Dawnay, membre de l’État-major général de Palestine, se souvient de son « vieil ancêtre croisé qui occit le Sarrasin et le lion sur ces mêmes collines ! »35Selon Dawnay – de la même manière que pour un Brian Gurnay de fiction – l’idée de la Croisade est intimement liée à sa propre identité ancestrale. De façon claire, il est à peine surprenant que les hommes du rang ne mentionnent que rarement l’image de la Croisade. Un dépouillement des journaux personnels, lettres et mémoires de temps de guerre suggère que la thématique de la Croisade joue un rôle insignifiant, si rôle il y a effectivement, dans la compréhension que les soldats ont de la campagne au cours de leur période de service en Palestine36. Il est éloquent que même les mémoires publiés qui utilisent la métaphore croisée dans leur titre – à l’instar de Khaki Crusaders de Cooper (1919), de Temporary Crusaders de Sommers (1919), de The Modern Crusaders d’Adams (1920), entre autres – ne font de manière surprenante que peu référence à cette même image dans le texte lui-même ; dans certains cas, spécialement lorsqu’ils se fondent sur des diaires rédigés à chaud, il n’y en a aucune. Par ailleurs, en ce qui concerne les hommes qui sont à l’origine de la représentation des événements en Palestine – John Buchan (Brasenose, Life of Scott), Stephen Gaselee (Eton, King’s Cambridge), ou Mark Sykes (Beaumont, Jesus Cambridge) – la métaphore croisée est tout sauf naturelle, enracinée dans leur éducation, leur généalogie, leur formation religieuse. Gaselee, un médiéviste passionné et un anglican pratiquant, est décrit comme « un amoureux du passé, avec une certaine affection pour les causes perdues et une foi profonde en la valeur spirituelle de la coutume et de la tradition. Au terme de sa vie, il semblait se mouvoir familièrement parmi les princes, les cardinaux et les patriarches, comme s’il était dans quelque roman historique37. » Sykes, un catholique, transforme en monument de guerre la réplique de la Croix d’Éléonore38 mesurant 60 pieds se trouvant aux abords de l’entrée de son manoir : les amis, les régisseurs et les employés tombés lors de la Grande Guerre y sont commémorés comme des Croisés des temps modernes. Après sa mort prématurée en 1919, sa propre silhouette vêtue comme un Croisé est sculptée en cuivre, avec un Sarrasin gisant à ses pieds, et Jérusalem en arrière-fond39. La Croisade constitue une force chauvine, constamment à l’œuvre derrière une politique étrangère plus sobre et vigilante. Si l’on peut dire que Mark Sykes incarne les intérêts complexes, souvent incompatibles, de la Grande-Bretagne au Moyen-Orient, sa sculpture de cuivre suggère le retour d’une ambition impériale refoulée et désormais sans scrupule.
- 40 Joel C. Hudson, Lawrence of Arabia and American Culture : The Making of a Transatlantic Legend, We (...)
- 41 T. E. Lawrence, Seven Pillars of Wisdom, Londres, 1935, p. 453.
19Cette affinité entre classe, orientalisme et Croisades est parfaitement illustrée par le personnage énigmatique de T. E. Lawrence. Un Anglais façonné par lui-même, né au Pays de Galles d’un père irlandais et d’une mère écossaise, Lawrence semble avoir encouragé activement la légende selon laquelle il est un descendant de Sir Robert Lawrence, compagnon supposé de Richard Cœur de Lion40. Sa spécialité universitaire est l’histoire croisée : son mémoire de licence, qui analyse l’influence des Croisades sur l’architecture militaire européenne, est publié ultérieurement sous le titre de Châteaux croisés (Crusader Castles, 1936). Au cours de son temps en Arabie, ses tenues familières, amples, blanches, arabes, et son poignard doré semblent faire passer à l’arrière-plan son personnage de Croisé. Quoi qu’il en soit, dès qu’il est sollicité, le Croisé qui sommeille en lui revient toujours à la surface. Sommé par Allenby de prendre part à la cérémonie d’entrée dans Jérusalem, Lawrence enlève sa tenue arabe, et des membres de son entourage lui prêtent un uniforme, des épaulettes rouges et une casquette d’officier d’État-major, « jusqu’à ce que je ressemble à un commandant de l’armée britannique », comme Lawrence l’écrit lui-même41. La conférence de Lowell Thomas, le principal véhicule perpétuant le mythe de Lawrence, est dans un premier temps mise en avant à Londres sous le titre de « La dernière Croisade » (The Last Crusade), en dépit – ou plutôt, à cause – du vêtement arabe. Lawrence file la métaphore d’une atténuation de l’opposition entre l’Orient et l’Occident, mais il concède également, de façon rassurante, que derrière son manteau trompeur, c’est toujours un Croisé qui se tient.
- 42 « Oxymoron » : procédé rhétorique qui consiste à réunir deux mots en apparence contradictoires pou (...)
20Néanmoins, il est crucial de remarquer que la quête impériale de Lawrence, sa « Croisade », ne le lie que rarement à Jérusalem ou même à la Terre sainte, mais plutôt aux dunes de sable doré de l’Arabie. Même là, l’évocation de la Croisade n’est pas tant articulée dans son contexte historique original que dans le contexte général d’opposition entre l’Orient et l’Occident. De fait, au cours des décennies précédant la guerre, l’image de la Croisade est moins cohérente que cela peut paraître. La fusion victorienne de l’épopée arthurienne, du combat métaphorique de Saint-Georges et des annales de Richard Cœur de Lion pour former un mythe en apparence unifié de chevalerie signifiait que l’image de la Croisade avait été domestiquée, anglicisée, personnifiée, détachée de son contexte historique effectif. Cela implique une minimisation de la violence, de la barbarie et de l’intolérance religieuse qui sont à l’origine et sous-tendent les Croisades. Les Anglicans considèrent les atrocités commises par les Croisés comme des exemples typiques des méfaits des catholiques, mais même les catholiques peuvent user d’une distance temporelle pour élaborer l’image d’une Croisade « moderne » qui soit une version éclairée et corrigée de la Guerre sainte. Au total, la Croisade est dès lors souvent employée d’une façon beaucoup plus libre, comme une métaphore du combat pour une juste cause, qu’il s’agisse de lutte contre l’alcoolisme, de vote des femmes ou de travail missionnaire ; il est alors possible de se référer à une « Croisade civilisatrice » sans appréhender de quelconques échos oxymoroniques42.
- 43 Alan Wilkinson, The Church of England in the First World War, 1978 ; nouvelle édition Londres, 199 (...)
- 44 David Lloyd George, The Great Crusade, Londres, 1918, p. 11.
- 45 Voir Girouard, op. cit., pp. 275-93 ; George L. Mosse, Fallen Soldiers : Reshaping the Memory of t (...)
- 46 Michael Gavaghan, The Story of the Unknown Warrior, Preston, 1995, p. 26. Il est sûr que le Croisé (...)
- 47 Adelson, op. cit., pp. 211-2.
21C’est dans cette acception symbolique que l’image de la Croisade est d’abord utilisée au cours de la Première Guerre mondiale. Mgr Winnington-Ingram s’exprime quasiment de manière littérale lorsqu’il déclare, en 1915, que l’Église doit « mobiliser la nation pour une Guerre sainte43 ». Néanmoins, c’est habituellement dans un sens plus figuratif que ce concept est évoqué. Au cours d’un discours prononcé en 1916, Lloyd George déclare que « les jeunes gens de tous les quartiers de ce pays sont rassemblés pour défendre le droit international, comme s’il s’agissait d’une grande croisade ». Ce dernier morceau de phrase – La Grande Croisade – est aussi le titre de son recueil de discours tenus pendant la guerre, paru en 191844. La signification du concept de Guerre sainte pour la propagande britannique – officielle et officieuse – est illustrée par une extrême variété d’images, du temps de la guerre comme de l’après-guerre : qu’il s’agisse d’images éphémères, comme des cartes postales représentant des soldats britanniques en armure ou des affiches de recrutement montrant un Saint-Georges chevaleresque luttant avec le dragon, ou de vitraux et de monuments représentant des Croisés majestueux45. Le cercueil du Soldat inconnu, accueilli en 1920 dans l’enceinte de l’abbaye de Westminster, contient une véritable épée de Croisé, un don du roi George V extrait de ses collections privées46. Sykes lui-même joue dans un film de propagande, It is for England (C’est pour l’Angleterre), une saga filmée relative à Saint-Georges, réincarné en aumônier militaire durant la guerre47. Toute cette énergie discursive exceptionnelle rend redondante la quête historique effective des Croisés vers la Palestine. La Grande-Bretagne mène une Guerre sainte en Europe, avec un Kaiser transformé en dragon contre lequel lutte le Saint-Georges de l’Angleterre.
- 48 En conséquence, la pénétration européenne en Palestine au xixe siècle a souvent été décrite par le (...)
22De façon paradoxale, cette métaphorisation de l’image de la Croisade à travers tout le xixe siècle a lieu en parallèle à un engagement britannique croissant en Palestine. Ainsi, il est possible de dire que la « Dernière Croisade » britannique débute en 1799, lorsqu’une flotte navale commandée par Sir Sydney Smith bombarde les vieux remparts de Saint-Jean d’Acre afin de soutenir l’offensive ottomane contre les troupes de Bonaparte. Il s’agit en l’occurrence d’un moment remarquablement symbolique : Richard Cœur de Lion conquiert Acre sur Saladin en 1191 ; exactement cent ans plus tard les derniers Croisés de Terre sainte sont précisément chassés du même endroit. Cet épisode suggère déjà l’interaction complexe entre les considérations impériales britanniques concernant la Palestine et les connotations historiques et religieuses associées à cette région, en premier lieu parce qu’en 1799, de même que pendant tout le xixe siècle, les forces britanniques chrétiennes luttent aux côtés de, plutôt que contre, les Ottomans musulmans48. C’est seulement au cours de la Première Guerre mondiale que les circonstances politiques et militaires sont telles qu’une nouvelle fois paraît pratiquement exigible la réalisation de la métaphore. Lorsque Lloyd George modifie l’équilibre militaire en faisant passer l’action du front occidental figé au théâtre d’opérations moyen-oriental, jusque-là marginal, il sous-entend également un passage au sens propre de la métaphore croisée, en la replaçant dans ses acceptions originales des points de vue historique, géographique et même moral. Une Croisade littérale prenant place sur le théâtre d’opérations annexe de Palestine peut-elle toutefois éclipser la Croisade métaphorique – la Guerre sainte – menée contre le Kaiser en France et en Belgique ?
23La réponse est sûrement négative. Et cet échec n’est nulle part plus visible que dans le principal événement de propagande de la campagne de Palestine, à savoir l’entrée d’Allenby dans Jérusalem.
La mise en scène de l’entrée dans Jérusalem
- 49 Lawrence, op. cit., p. 453.
24Deux jours après la conquête de Jérusalem, Allenby entre dans la Ville « de la façon officielle que l’imagination catholique de Mark Sykes avait conçue », comme l’écrit T. E. Lawrence49. Alors que le communiqué est émis à l’usage « privé et confidentiel » des seuls éditeurs de journaux, la cérémonie est essentiellement une démonstration publique, une série de gestes symboliques, à la fois visuels et textuels. Cela exige donc une expression explicite, non ambiguë quant à la signification de cet événement central – exactement ce que la machinerie de propagande, avec sa politique de « Croisade secrète », tente d’éviter.
- 50 TNA : PRO, HO/139/27, Official Press Bureau -Instructions to Censors, n° 390 (21 novembre 1917) et (...)
- 51 TNA : PRO, CAB/23/4, 21 novembre 1917 (19), 19 novembre 1917 (6). Voir aussi John Fisher, Curzon a (...)
- 52 TNA : PRO, WO/33/946/8583, ministère de la Guerre au Grand Quartier Général d’Égypte, 21 novembre (...)
- 53 Fondation et bien religieux musulmans, incessibles. Voir aussi, à ce propos, la contribution d’Ant (...)
- 54 TNA : PRO, WO/33/946/8584, ministère de la Guerre au GQG d’Égypte, 21 novembre 1917.
25Le Cabinet de guerre passe beaucoup de temps à la mise en scène de l’occupation de la Ville, de même qu’à assurer le contrôle officiel de la diffusion des comptes rendus et de photographies50. La principale préoccupation de la Grande-Bretagne, comme Lord Curzon l’explique, est que la « nouvelle soit rendue publique d’une manière calculée, de façon à impressionner favorablement l’Inde et le monde mahométan ». Curzon suggère que, en ce qui concerne l’occupation de Jérusalem, « soit émise une proclamation à travers le monde musulman, annonçant que nous sommes les protecteurs de la religion musulmane et que nous allons respecter les Lieux saints islamiques ». On lui demande alors de discuter de l’affaire avec Sykes et de préparer une déclaration à cet effet51. Celle-ci instaure la loi martiale dans la ville, presse les gens de revenir à leurs activités habituelles, et promet la sauvegarde de toutes les institutions sacrées pour les chrétiens, les juifs et les musulmans52. La mosquée d’Omar et le caveau des Patriarches à Hébron sont voués à être placés sous le contrôle exclusif des musulmans. Allenby, de plus, reçoit l’instruction d’annoncer que les gardiens héréditaires du waqf53 à l’entrée de l’église du Saint-Sépulcre « ont été priés de continuer à exercer leur office habituel », en souvenir de « l’acte magnanime du calife Omar qui a protégé l’église54 ».
26De manière significative, quelques semaines seulement auparavant, le 2 novembre, le Cabinet produit la Déclaration Balfour. La conquête de la Palestine par les Britanniques est sans aucun doute perçue comme la première étape dans la voie de la réalisation de la promesse faite aux sionistes. Il est donc remarquable que les événements ayant Jérusalem pour théâtre sont traités et mis en scène avec une attention exclusive portée aux sensibilités musulmanes, plutôt que juives. Cela peut s’expliquer par un effort consciencieux de contrebalancer l’impact de la Déclaration Balfour, tant critiquée par Curzon. Certainement, nonobstant ses ambitions à long terme en Palestine, l’objectif immédiat de la Grande-Bretagne est de prévenir l’explosion de l’hostilité musulmane. Après tout, la bataille de Jérusalem est perçue d’abord et avant tout comme une lutte mythique entre la chrétienté et l’islam, une dichotomie au sein de laquelle les juifs n’ont qu’un petit rôle à jouer.
- 55 IWM 69/21/2, papiers privés du général de division G. P. Dawnay, carton 2, « Égypte 1917-18 », Daw (...)
- 56 Voir « General Allenby and the Arabs », Times (14 mars 1918), p. 5.
27Cette attention soutenue à la réaction musulmane est illustrée par l’idée de mettre en scène l’entrée en accord avec une ancienne prophétie arabe, qui dit que le prophète provenant de l’Occident entrera dans Jérusalem par la Porte dorée et mettra un terme à la domination turque lorsque les eaux du Nil auront été canalisées vers la Palestine. Le Général de division Guy Dawnay, qui traite de cette prophétie dans une lettre qu’il adresse au lieutenant-colonel Alfred Parker, le gouverneur militaire du Sinaï, souligne le fait que les eaux du Nil ont été apportées en Palestine par le biais du pipeline construit par les Britanniques. De façon non moins miraculeuse, « le nom du Chef, lorsqu’il est écrit en arabe, se lit a´l Nebi’ », c’est-à-dire le prophète. Dawnay indique donc qu’il « serait dommage de ne pas faire entrer [Allenby] par cette porte et de ne pas s’arranger pour faire se réaliser tous les autres détails de ce à quoi s’attend le folklore local55 ». Puisque la Porte dorée a été murée depuis l’époque croisée, le plan n’est pas vraiment réalisable ; mais le miracle étymologique qui fait d’Allenby « al Nebi » est néanmoins mis à profit56.
28Ce qui est sans vergogne aucune une tentative cynique de s’attacher l’opinion des musulmans en réalisant une ancienne prophétie est ce qui est le plus éloquent, si l’on considère la suppression de toute allusion qui rappellerait une connotation britannique, anglicane ou même chrétienne. Si la conquête de Jérusalem revêt une « facette sentimentale, romantique et religieuse » pour le peuple britannique, c’est certainement le moment de le montrer. C’est en tout cas l’opinion de Mgr MacInnes, l’évêque anglican de Jérusalem, qui s’adresse aux autorités militaires en octobre. Il suggère que les édifices chrétiens qui ont été utilisés des siècles durant comme mosquées, soient rétablis dans leur ancien usage. La proposition est prise en considération par l’Arab Bureau :
- 57 TNA : PRO, FO/882/14, PA/17/12, Graves à Deedes, 15 octobre 1917.
Mgr MacInnes semble quelque peu considérer notre invasion de la PALESTINE à la lumière d’une Croisade, dont le succès placerait la chrétienté dans une position de domination envers l’ISLAM et les autres religions. Pour le moins, la réalisation de ses propositions aurait indubitablement un tel effet auprès des esprits locaux. C’est une attitude toute naturelle de la part d’un évêque chrétien, mais elle ne tient aucun compte des convenances militaires et politiques qui doivent nous guider57.
- 58 TNA : PRO, FO/882/14, PA/17/13, Clayton à Wingate, 25 octobre 1917.
29L’évêque, qui ne s’avoue pas encore vaincu, exige de rejoindre l’entourage d’Allenby en vertu de ses fonctions officielles, ou même comme aumônier honoraire, en uniforme. Cette idée est également rejetée : « il ne serait pas recommandable de voir arriver Mgr MacInnes en quelque capacité que ce soit, puisque cela mènerait à des troubles avec nos Alliés, dont les ecclésiastiques (parmi lesquels certains ont peut-être des revendications plus fortes) pourraient considérer que ce faisant une place leur aurait été dérobée58. »
- 59 Voir TNA : PRO, FO/371/3061, fo. 415, Balfour à l’ambassadeur de France à Londres, 23 novembre 191 (...)
- 60 Il ne comprend pas toutefois des représentants du Corps du génie égyptien (Egyptian Labour Corps), (...)
- 61 TNA : PRO, WO/33/946/8693, Allenby au ministère de la Guerre, 11 décembre 1917. En ce qui concerne (...)
- 62 TNA : PRO, CAB/23/4, 26 novembre 1917 (4). Il s’agit d’une réponse à une demande d’Allenby.
30En conséquence, la cérémonie ne revêt aucune apparence ni anglicane, ni même chrétienne. Non plus qu’elle souligne de quelque manière que ce soit qu’il s’agit là d’un accomplissement réalisé par des troupes britanniques et des Dominions, sans pour ainsi dire quelque assistance alliée. Les Britanniques sont de fait hautement soupçonneux à l’égard des efforts français visant à tirer profit de la victoire ; le représentant français à Jérusalem n’est pas autorisé à se joindre à la procession d’Allenby en vertu de ce qu’il s’agit là d’un événement militaire et non civil59. Néanmoins une attention particulière est portée à ce que toutes les forces alliées en Palestine soient représentées là60. En plus du commandant en chef et de ses officiers d’État-major, la procession comprend « les commandants des détachements français et italiens, le responsable de la mission Picot et les attachés militaires de France, d’Italie et des États-Unis d’Amérique ». Elle pénètre dans la Ville par la porte de Jaffa et chemine ensuite vers la Citadelle, où Allenby lit sa proclamation. La garde d’honneur représente « l’Angleterre, l’Écosse, l’Irlande, le pays de Galles, l’Australie, l’Inde, la Nouvelle Zélande, la France et l’Italie61 ». Les symboles de la prédominance britannique sont réduits à la portion congrue ; le Cabinet de guerre en effet a donné pour ordre que « aucun drapeau ne soit arboré62 ».
- 63 Newell, op. cit., p. 190, note ; Luke McKernan, « “The Supreme Moment of the War” : General Allenb (...)
- 64 TNA : PRO, WO/33/946/8582, ministère de la Guerre au GQG d’Égypte, 21 novembre 1917.
31Il serait toutefois fallacieux de conclure que la cérémonie soit dénuée d’un symbolisme plus complexe. Dans les faits, l’entrée d’Allenby qui se fait à pied semble être un élément qui s’est profondément gravé dans la mémoire collective63. Cet élément est également dicté par Londres. Le 21 novembre, Allenby est informé qu’« il serait d’une importance considérable si vous, entrant officiellement dans la Ville, descendiez de cheval à la muraille et entriez à pied. L’Empereur allemand est lui entré à cheval, et l’on a tout de suite dit qu’il “aurait été meilleur homme s’il avait marché”. L’avantage résidant dans le contraste entre les deux attitudes est évident64 ».
- 65 En mars, le département de l’Information publie un tract « qui place dans deux colonnes parallèles (...)
- 66 Daily Sketch (11 décembre 1917), p. 1. [Au cours de son voyage à travers le Moyen-Orient, en 1898, (...)
- 67 Daily Mirror (11 décembre 1917), p. 6.
- 68 G. K. Chesterton, The New Jerusalem, Londres, 1920, p. 216.
32De manière significative, les instructions de la mise en scène ne placent pas tant l’entrée d’Allenby en relation avec Jésus-Christ qu’en lien avec le Kaiser. On n’attend pas d’Allenby qu’il fasse preuve d’humilité chrétienne, mais plutôt qu’il fasse contrepoids à la vanité allemande65. Dans les faits, cette référence au Kaiser est si efficace parce qu’elle replace les Allemands au cœur de la lutte entre les Britanniques et les Turcs (ou entre les chrétiens et les musulmans). La presse, toujours enthousiaste lorsqu’il s’agit de célébrer toute défaite allemande, est prompte à se saisir de cela. Le Daily Sketch écrit ainsi qu’il s’agit d’un « coup de massue porté au rêve allemand de domination de l’Orient et des prétentions du Kaiser à être le “protecteur” des Lieux saints66 ». « Allenby est lui plus le restaurateur de la justice et de l’équité parmi toutes les croyances que le conquérant arrogant que le Kaiser aurait été – et avait tenté d’être avant la guerre », écrit pour sa part le Daily Mirror, avec comme sous-titre Un-Kaiserly [« de façon inimpériale »]. Pour les personnes qui semblent penser que « nous ne tirons pas assez profit de nos victoires », le Mirror explique que « c’est parce que les généraux britanniques et le peuple britannique détestent se vanter. Et ce fait reste l’un des contrastes avec la fanfaronnade de l’Empereur allemand dans Jérusalem (et dans tout l’Orient) avant la guerre67 ». En d’autres termes, l’acte symbolique qui consiste à mettre en scène l’entrée britannique pour qu’elle contraste avec la visite du Kaiser en 1898 est en fait essentiel pour atténuer les connotations chrétiennes controversées. À l’appui de cette constatation, il n’y a pas alors de référence affichée au fait bien connu que le Kaiser est entré dans la ville en portant une tenue de Croisé (ce que G. K. Chesterton a qualifié de « mélange de folie et de vulgarité qui coupe le souffle au vrai sens du terme68 »). Même en l’occurrence la thématique croisée est supprimée, au moins explicitement.
33Au total donc, l’entrée d’Allenby dans Jérusalem semble être sous-tendue par une absence : celle de toute référence explicite à une victoire britannique, plutôt qu’alliée ; et l’absence de tout cérémonial anglican, ou même chrétien. Comme nous l’avons vu, c’est la résultante d’une décision consciencieusement calculée, qui souligne la prudence, voire la faiblesse britannique. Cependant, il est possible d’interpréter cette absence d’une autre manière. Le Times, pour sa part, comprend ainsi immédiatement que ce silence est parfaitement éloquent : « Le général Allenby et ses compagnons sont à pied, et ils ne produisent aucun effort pour frapper l’imagination des spectateurs. On n’a besoin ici d’aucun effort. Les mesures telles qu’elles ont été prises parlent et parleront d’elles-mêmes ». Néanmoins le journal s’empresse également de parler pour elles :
- 69 Times (13 décembre 1917), p. 9. L’éditorial commence par une comparaison entre l’entrée d’Allenby (...)
Voir dans cette attitude un pur calcul de nature politique de la part du commandant britannique, cela serait méjuger gravement et sous-estimer sérieusement sa signification. Par essence il s’agit là d’une justification de la chrétienté. À un moment où le christianisme est déchiré par la contestation, mis à mal par les ambitions apostates de ceux qui en pratique sont retournés à la foi sanguinaire de leur « Vieux dieu germanique », cela met en avant le fait que la rectitude et la justice, qui sont l’âme de l’éthique chrétienne, guident les vainqueurs chrétiens même dans l’ivresse du triomphe69.
34Comme l’explique le journal, c’est précisément l’absence contestée de tout élément britannique/chrétien qui met en avant la présence effective de l’ethos britannique/chrétien. La tolérance religieuse – un élément vénérable du règne colonial britannique – devient ainsi une qualité chrétienne intrinsèque, un terme placé en opposition non pas tant au Turc musulman qu’à l’Allemand. Ce n’est donc pas ici une chrétienté associée aux Lieux saints réels, la chrétienté de la foi des Croisés, qui se tient face à l’islam, celle donc qui est rejetée avec tant de vivacité par le communiqué de presse. Il s’agit plutôt de la chrétienté de la Guerre sainte métaphorique. Le vocable de « chrétien » est ici redéfini pour devenir synonyme de sportif, équitable, juste, qui n’abandonne son éthique même dans l’ivresse de la victoire, en un mot : chevaleresque.
- 70 TNA : PRO, FO/395/236A, Circulaire du bureau de la Presse n° C.6120, 5 janvier 1918.
- 71 Times (11 décembre 1917), p. 7.
- 72 Daily Express (11 décembre 1917), p. 2.
35C’est ce qui est également évident lorsque l’on constate la référence constante au calife Omar et à son « geste magnanime », celui visant à accorder sa protection à l’église du Saint-Sépulcre. Une circulaire du bureau de la Presse, diffusée le 5 janvier 1918 et ayant pour titre « JERUSALEM – A Contrast in Methods – Guilt of the Central Powers » [Jérusalem – Un contraste dans les méthodes – la culpabilité des Puissances centrales], déclare que « il y a 1280 ans, un conquérant arabe de Jérusalem a fait preuve du même esprit éclairé que celui qui caractérise le gouvernement de notre allié actuel, le roi du Hedjaz [Faysal] ; son respect à l’égard des Lieux saints de la chrétienté contraste radicalement avec le mépris dont font preuve les Turcs modernes envers les Lieux saints de l’islam70. ». Ainsi, la chevalerie musulmane est devancée, anticipée et placée à égalité avec son homologue britannique, elle-même une autre manière de décrire « l’âme de l’éthique chrétienne ». Le Times peut ainsi fièrement déclarer que « SALADIN est entré à [Jérusalem] en triomphant, de même que le fait aujourd’hui le GÉNÉRAL ALLENBY71 », et le Daily Express écrit que Jérusalem est une ville faite de « magnifiques souvenirs de souffrance, de dévotion et de chevalerie, parce que les califes arabes n’ont jamais eu plus forts qu’eux en matière de chevalerie, et qu’ils comptent à juste titre au nombre des “chevaliers très parfaits”72 ». Le calife Omar, Saladin, Faysal, les soldats indiens musulmans du 123e régiment des Outrams Rifles qui montent la garde devant la mosquée d’Omar – tous connaissent la signification de la tolérance religieuse, de la bienveillance et de la chevalerie. Tous sont des « Alliés », unis contre les Puissances centrales impies. Pour ainsi dire, tous sont « chrétiens ». Comme nous l’avons déjà vu, le communiqué de presse du 15 novembre insiste sur le fait que l’affiliation impériale vient avant la confession religieuse. À présent, cependant, le concept même de différence religieuse est mis à l’épreuve. L’image originale de la Croisade, avec sa division menaçante entre Orient et Occident, entre chrétienté et islam, est sublimée et devient quelque chose de radicalement différent. Le Times pense que c’est là l’essence même d’une croisade moderne.
- 73 Times (17 décembre 1917), p. 9.
- 74 Voir TNA : PRO, FO/395/152/236464, Wingate au Foreign Office, section de l’Inde, 13 décembre 1917 (...)
36Néanmoins, il importe de remarquer qu’en soi il ne s’agit ici que d’une interprétation possible de la cérémonie. « La cérémonie fut pleine de dignité et de simplicité », écrit W. T. Massey dans le compte rendu qu’il adresse à la presse londonienne, « et elle fut également pleine de sens73 ». Mais qu’est-ce que cela signifie ? « L’imagination catholique » de Sykes met en scène un événement qui offre de multiples interprétations : dirigé de façon adaptée, il pourrait être (et est) précisément réglé pour avoir de l’écho auprès du Pape, de paysans russes, d’Indiens musulmans, des sionistes, des Arabes de Jérusalem, des Américains, etc.74 De manière heureuse, le Times sait ce qu’il signifie spécialement pour le peuple britannique, et il est assez passionné pour partager son savoir avec ses lecteurs. Mais la cérémonie ne peut se représenter elle-même : elle doit être interprétée, expliquée, représentée.
- 75 TNA : PRO, CAB/23/4, 17 décembre 1917 (12).
- 76 TNA : PRO, CAB/23/4, 2 janvier 1918 (12).
37En conséquence, il existe un profond décalage entre la manière dont la cérémonie est arrangée et le capital effectif de propagande qu’elle est censée attiser dans la mère patrie. Ainsi, il semble à peine surprenant que deux semaines seulement après qu’il se fut réjoui à la nouvelle de ce qu’une « publicité considérable » eut été donnée à la chute de Jérusalem, « et que l’événement eut produit un profond effet à travers le monde75 », le Cabinet de guerre est troublé d’apprendre qu’« un usage insuffisant eut été fait, à des fins de propagande, de la prise de Jérusalem ». Et tandis que Sir Edward Carson insiste sur le fait qu’« un vaste effort de propagande eut été produit à l’étranger », on souligne que « comparativement les personnages publics dans ce pays ont fait peu usage de ce matériel. On propose que le matériau intéressant concernant ce sujet soit adressé au clergé et aux prêtres de toutes les confessions, afin d’être utilisé dans les églises76. ». Ainsi, et après tout, on en revient au business des Croisades.
Mark Sykes et le « Croisé nostalgique » (« Homesick Crusader »)
- 77 TNA : PRO, FO/395/237/4282, Sykes à Clayton, 7 janvier 1918.
- 78 TNA : PRO, FO/371/3383, fo. 18, Sykes, minute d’un brouillon envoyé par Clayton en vue d’une publi (...)
38À la suite de la prise de Jérusalem, Sykes produit de vigoureux efforts afin de générer du matériel de propagande. Le 7 janvier 1918, il télégraphie à Gilbert Clayton, l’officier politique en chef du corps expéditionnaire égyptien (EEF), pour déclarer que des articles de presse sont « absolument indispensables ». Il met en garde quant au fait que « Nous sommes en train de perdre de précieuses occasions en termes de propagande et d’enthousiasme à travers le monde77 ». Certes, la diffusion d’informations en provenance de Palestine est retardée par d’innombrables difficultés bureaucratiques, mais au bout du compte, il s’agit là d’un problème de représentation. « C’est du matériel exécrable et stérile », commente Sykes à propos d’un brouillon qui lui est envoyé par Clayton : « Il n’a aucune idée en matière de propagande, et il se trompe à tout momen78. » Dans un télégramme révélateur envoyé à Clayton, Sykes s’emporte :
- 79 TNA : PRO, FO/371/3383, Sykes à Clayton, 15 janvier 1918. Voir aussi Jeremy Wilson, Lawrence of Ar (...)
Dites à Storrs de raccrocher la ligne intello [ring off the highbrow line]. Ce que nous voulons, c’est de la lecture populaire pour le bas peuple anglais qui va à l’église et au temple ; pour les Irlandais de New York ; pour les paysans orthodoxes des Balkans et les moujiks ; les catholiques français et italiens, et pour les juifs du monde entier ; les musulmans indiens et algériens.
Les articles doivent transcrire l’actualité brûlante et décrire des scènes ; détails pittoresques. Clouer les Britanniques à la Terre sainte, à la Bible et au Nouveau Testament...79
- 80 Times (29 mars 1918), p. 3.
- 81 Le Comité national des buts de guerre (National War Aims Committee), en charge de la propagande de (...)
39Frénétiquement, Sykes continue de faire bouger les cartes, les décors, les éclairages et la musique de fond, afin de produire une propagande adaptée à chaque groupe cible spécifique. En ce qui concerne le lectorat britannique, en parlant de « raccrocher la ligne intello », Sykes signifie que la tonalité impériale élevée, non-partisane, doit être remplacée par une voix plus partiale, piétiste. Cela marque un retour officiel à la thématique de Gaselee mise à l’écart en son temps. « Les Lieux saints de Palestine », un texte câblé de Palestine à Londres, approuvé par Sykes et publié par le Times du 23 mars 1918, débute par une description de l’église du Saint-Sépulcre, et de la pierre tombale « sous laquelle un chevalier anglo-normand, messire Philippe Daubigny, gît tranquille depuis près de sept siècles, attendant le retour des Anglais80 ». Des articles de presse de cette nature, de même qu’un film de propagande comme The New Crusaders, tous produits et distribués par le département de l’Information, font désormais explicitement allusion au passé croisé. Le fait que le communiqué de presse prohibant toute référence aux Croisades continue d’être en vigueur – au moins à l’occasion – met en avant une conscience plus sophistiquée de la possible distinction entre la propagande intérieure et extérieure81. Quoi qu’il en soit, cela signifie également que Sykes dévie pertinemment de la ligne officielle, parce qu’il reconnaît que, nonobstant les sensibilités musulmanes, une représentation de la campagne de Palestine qui n’utiliserait que le vocabulaire séculaire et impérial manquerait d’agir auprès du public britannique. Un autre article de propagande, intitulé « Pâques à Jérusalem », reconnaît cela ouvertement :
- 82 Times (22 avril 1918), p. 7.
Au cours de l’occupation britannique de la Palestine nous avons été très scrupuleux de prendre en considération les sentiments religieux des autres. Les lieux ou les fêtes sacrés pour des croyances plus anciennes ou étrangères ont été plus que respectés. Au point que certains en sont venus à se demander si nous avions une religion qui nous soit propre.
Cette année, la fête de Pâques à Jérusalem a été la réponse. L’armée britannique a célébré la plus grande fête de l’Église en un lieu où des Anglais en armes n’ont jamais prié la Pâque auparavant. Le roi Richard n’a jamais atteint la Ville sainte ; mais les hommes du roi George ont communié et chanté les cantiques de Pâques dans leur propre église de Saint-Georges, à l’extérieur de la porte de Damas à Jérusalem82...
- 83 Times (29 mars 1918), p. 3 (c’est nous qui soulignons).
40Il n’en reste pas moins qu’il est crucial de noter que ces articles de propagande commencent par l’héritage croisé, avant de passer insensiblement à l’exploration d’autres aspects de la présence britannique en Terre sainte. « Les Lieux saints de Jérusalem » s’ouvre par l’idée que les soldats britanniques sont enfin retournés en Palestine, mais il s’achève par une image du « soldat marié, qui a à l’esprit sa femme et ses enfants », qui se rend « très souvent » à l’église de la Nativité à Bethléem : « Cela lui rappelle Noël, sa famille, sa maison83. » « Pâques à Jérusalem » conclut sur une note éloquemment identique :
- 84 Times (22 avril 1918), p. 7.
Les souvenirs du lieu, de son passé fait de tradition mystique, de son histoire sacrée, hantent ceux qui font leur acte de foi dans l’enceinte de l’église du Saint-Sépulcre ; mais c’est à la maison, à nos proches qui se trouvent en France, et à nos propres habitudes de prière et d’actions de grâce au moment de Pâques que nous sommes rappelés lorsque nous nous agenouillons à Saint-Georges – ce petit îlot de sol anglais, posé en Palestine afin de saluer les pèlerins en terre lointaine84.
41Ce qui débute comme une quête en direction de l’Orient, s’achève par une contemplation languissante en direction de l’Occident ; en s’agenouillant à Jérusalem, c’est le sol d’Angleterre qui vient à l’esprit. Les nouveaux Croisés sont en réalité des pèlerins en terres lointaines ; et ils ont le mal du pays.
42En tentant de décrire ce glissement narratif, nous devons remarquer que, dans son télégramme énergique et détaillé, Sykes ne met pas les Croisades en avant. Bien plutôt il exige seulement des « détails pittoresques » ou de « clouer les Britanniques à la Terre sainte, à la Bible et au Nouveau Testament ». Ceci, comme cela apparaît maintenant, n’est pas un oubli de sa part : c’est ici que l’on ressent la portée culturelle limitée de la thématique de la Croisade, sa saveur sociale distincte et son indéniable qualité intellectuelle. Il ne s’agit pas ici de la tension entre le centre impérial métropolitain et ses sujets musulmans, mais plutôt d’une tension culturelle au sein même du centre métropolitain. L’effort de propagande exige de « la lecture populaire pour le bas peuple anglais qui va à l’église et au temple », et Sykes propose une emphase consciente sur les associations bibliques relatives à Jérusalem et à la Palestine. Cela peut paraître évident, voire trivial, mais le fait est que jusqu’à ce stade de la campagne, la propagande officielle concernant le front de Palestine ne fait aucune mention de l’aura biblique du pays.
- 85 UK Parliamentary Debates (Chambre des Communes), 5e série, vol. 100, 20 décembre 1917, col. 2211.
- 86 David Lloyd George, postface de Philip Guedalla, Napoleon and Palestine, Londres, 1925, p. 48.
- 87 Chaim Weizmann, Trial and Error, New York, 1949, p. 152.
43Sykes peut avoir pris modèle sur le discours du Premier ministre devant la Chambre des Communes, le 20 décembre 1917. Lloyd George débute par une allusion implicite au passé croisé, avant de passer aux réminiscences liées aux « souvenirs sacrés » associés aux Lieux saints : « Le nom de chaque hameau et de chaque colline occupés par l’armée britannique, et pour lesquels les soldats britanniques se sont battus en cette région de renom, fait jaillir des souvenirs sacrés. Beershéva, Hébron, Béthanie, Bethléem, le mont des Oliviers, ce sont tous là des noms gravés au cœur du monde85. » Il est significatif que ce soit Lloyd George qui mette en avant cet aspect sentimental de la campagne de Palestine. Élevé dans une famille pratiquante, l’enfance de Lloyd George est parsemée d’imagerie religieuse, si caractéristique de la piété protestante populaire. Autre part, il a fait la fameuse confession suivante : « J’ai été instruit dans une école où l’on m’a enseigné bien plus sur l’histoire des juifs que sur l’histoire de mon propre pays86. » Il n’est donc pas étonnant que les noms de lieux en Palestine lui soient plus familiers « que ceux du front occidental87 ».
- 88 Eric Hobsbawm, Primitive Rebels : Studies in Archaic Forms of Social Movement in the Nineteenth an (...)
44La distance entre cette culture religieuse populaire et l’ethos de la Croisade dépend d’une série de distinctions politiques, sociales et religieuses qui sont apparues dans l’Angleterre du xviie siècle. C’est à ce moment que débute l’évolution d’une culture populaire, une culture centrée sur le vocabulaire biblique et caractérisée par une lecture des Écritures pleinement effectuée au premier degré, souvent naïve et personnalisée. À la suite des observations de Hill et Colley, nous avons déjà souligné la contribution significative du langage protestant à la construction de la mission impériale britannique. Cependant, à travers tout le xviiie siècle, ce vocabulaire vernaculaire est également décisif dans la projection d’un ethos domestique distinct. Eric Hobsbawm a distingué la Bible, l’ouvrage The Pilgrim’s Progress et le Book of Martyrs de Foxe comme étant les textes à partir desquels « les hommes anglais actifs ont appris l’ABC de la politique, si ce n’est l’ABC de la lecture ». Comme E. P. Thompson est allé jusqu’à montrer, les images bibliques du Peuple élu et de la Terre promise sont centrales dans l’articulation des revendications et des anticipations liées à l’émergence d’une conscience de la classe laborieuse88. De manière paradoxale, les mêmes événements historiques – la Révolution française et les guerres napoléoniennes – qui ont rapproché les Anglais de la Jérusalem terrestre – ont aussi ranimé une ferveur millénariste qui, même sous sa forme sécularisée, renforce l’identification de « Jérusalem » avec la quête d’un nouvel ordre social anglais. C’est peu de temps après le bombardement de la côte palestinienne par Sir Sydney Smith que William Blake projette la construction de Jérusalem « dans les vertes et plaisantes contrées d’Angleterre ».
- 89 Voir notre ouvrage The Holy Land in English culture, 1799-1917 : Palestine and the Question of Ori (...)
45Pour s’en convaincre, il est à peine nécessaire de revenir au mysticisme millénariste de Blake pour considérer que, plutôt qu’évoquer un territoire réel au Moyen-Orient, cette imagerie religieuse populaire est identifiée à des idéaux intrinsèquement anglais, et concrétisée, au sens le plus littéral du terme, dans le paysage anglais. Les origines et la signification de cette tradition sont analysées par ailleurs89. Pour l’heure, il suffit de reconnaître que, au début du xxe siècle, la culture religieuse populaire offre une assurance réflexive, dans laquelle la Terre sainte reflète les traditions et les institutions de la vie religieuse au jour le jour : le passage de la famille à l’église et à la chapelle ; l’école du dimanche avec ses leçons de géographie scripturale à moitié oubliées ; les chants de messe et les sermons ; la Bible des familles.
- 90 Anthony Bluett, With Our Army in Palestine, Londres, 1919, p. 94.
46Cela n’est nulle part plus éloquent que dans les lettres, les journaux et mémoires écrits par les « Croisés nostalgiques » eux-mêmes. Nous avons déjà indiqué que les hommes du rang combattant en Palestine ne mentionnent que très rarement l’image de la Croisade. Tandis qu’il est toujours plus difficile de démontrer l’absence d’une imagerie spécifique, il existe néanmoins des thèmes qui apparaissent avec une telle fréquence et abondance dans les écrits des soldats qu’il ne peut y avoir que de maigres doutes quant à leur signification pour la vie de ces derniers. Parmi ceux-ci, on trouve d’abord et avant tout l’idée selon laquelle le paysage de Palestine est indubitablement lié à la Bible, à l’histoire et à la morale chrétiennes. Comme l’explique l’un des soldats en question, « Nous avions d’abord la sensation d’être en terrain familier, d’avoir vécu toute cette scène quelque part auparavant, ce qui conduit à la transition vers les histoires bibliques de notre enfance90 ».
47C’est cette appréciation sentimentale de la campagne qui peut constituer la perspective populaire dont Sykes est en quête. Elle a certainement ses aspects constructifs, ne serait que parce qu’elle établit une distance entre la campagne et le noyau explosif du problème islamo-chrétien, en la situant, de façon apaisée, dans le royaume nostalgique, doré d’un cimetière anglais, une représentation sûre de la maison [Home], plus articulée et suggestive que tout autre discours sur les buts de guerre. La fusion entre la thématique des Croisades, si naturelle pour les propagandistes britanniques, et leur appel conscient aux traditions bibliques populaires est à l’origine de l’image hybride du Croisé nostalgique. D’un point de vue géographique, elle établit un contraste entre l’image de la Terre sainte et celle de la maison [Home], alors que le mouvement en direction de l’Est est compensé par une contemplation en direction de l’Occident (de l’Angleterre, mais aussi des tranchées de France). D’un point de vue politique, elle modifie l’image de la Croisade en l’éloignant du contexte islamochrétien conflictuel, en la faisant revenir à des pratiques religieuses domestiques. En termes de propagande, elle utilise l’ethos croisé d’expansion militaire, mais cela seulement afin d’invoquer la « maison » comme cause initiale ayant justifié en premier lieu la Guerre sainte. En termes de langage de classe, cela fait du « Tommy » anglais un descendant spirituel du chevalier chevaleresque (normand ?), en lui attribuant de plus l’enthousiasme religieux de la culture et même de la dissidence réformées (anglo-saxonnes ?). De façon très significative, cette image reflète une position médiane entre la propagande officielle et la consommation publique. Elle perpétue l’image de la Croisade, mais cela de façon à solliciter les traditions populaires et la lassitude de la guerre.
- 91 Observer (16 décembre 1917).
- 92 Fromkin, op. cit., pp. 562-563.
48Paradoxalement, l’image du Croisé nostalgique correspond au fait saisissant que les commentateurs des éléments croisés de la campagne de Palestine sont rarement, voire jamais, soucieux des échos dérangeants que provoque cette analogie : l’idée que cette nouvelle Croisade puisse se terminer comme les autres ; la question de l’avenir des Croisés, dès lors que leur but est atteint ; ou même le fait que la Déclaration Balfour ne coïncide pas exactement avec la vision d’un nouveau Royaume latin en Palestine. « Nous n’avons pas besoin de nous poser la question de savoir qui va être à Jérusalem », déclare Sykes dans une interview accordée à l’Observer en décembre 1917 : « Il suffit de savoir que les Turcs sont partis91 ». Ainsi, tandis qu’il semble évident que la Grande-Bretagne ne va pas céder ce nouveau passage en direction de l’Inde, la nature exacte de l’arrangement reste encore obscure, avec les promesses incompatibles faites par les Britanniques aux sionistes, aux Arabes, et aux Alliés. L’image du Croisé nostalgique – son devoir embarrassé par la langueur, son engagement public entaché par sa réticence privée – illustre cette ambiguïté, qui au bout du compte va caractériser la présence britannique en Palestine au cours des années du Mandat. David Fromkin a écrit que, d’un point de vue britannique, le règlement sur le Moyen-Orient de 1922 est dépassé au moment même où il est conclu. Les hommes politiques britanniques imposent un arrangement en lequel, pour la plupart, ils ne croient plus92. Naturellement, Fromkin fait référence à un réseau complexe d’intérêts politiques, militaires et économiques ; quoi qu’il en soit, son assertion semble faire écho à un sentiment très basique partagé à la fois par les soldats et par les propagandistes, et cela dès 1918.
La campagne de Palestine et l’historiographie de la Première Guerre mondiale
- 93 UK Parliamentary Debates (Chambre des Communes), 5e série, vol. 100, 20 décembre 1917, col. 2212, (...)
- 94 John Bull (29 décembre 1917), p. 8.
49Dans le discours qu’il tient devant la Chambre des Communes juste avant Noël 1917, Lloyd George médite sur le jugement de la postérité : « Il serait plutôt intéressant, considérant l’année 1917, s’il était possible de nous projeter en l’année 2017 et d’observer les événements de cette année. » En ce qui le concerne, il ne fait aucun doute « que quand il sera temps d’écrire l’histoire de l’année 1917, et quand celle-ci sera lue, ces événements de Mésopotamie et de Palestine prendront une place bien plus manifeste dans les esprits et dans les mémoires des peuples que bien des événements qui paraissent bien plus importants aujourd’hui et à nos yeux93 ». Horatio Bottomley, éditeur du fameux John Bull, n’est toutefois pas impressionné : « Bien, nous avons fait des miracles en Orient – cependant je ne suis pas d’accord avec le fait que l’on parle encore de la chute de Jérusalem dans les années à venir (à l’exception, peut-être, de quelque version révisée de la Bible) comme du moment le plus important de la guerre94. »
- 95 Cecil Hugh et Peter Liddle (dir.), Facing Armageddon : the First World War Experienced, Londres, 1 (...)
50Bottomley est plus proche de la réalité. Sauf glissement historiographique invraisemblable dans les années à venir, il semble probable que la campagne de Palestine continue de passer à l’arrière-plan des événements cataclysmiques du front occidental. Comme le suggère le titre d’un récent recueil d’essais, l’expérience de la Grande Guerre continue d’être perçue comme celle d’une Lutte contre Armageddon. La campagne de Palestine, avec ses objectifs faciles, son narratif linéaire, ses victimes relativement peu nombreuses, et, ce qui est le plus important, sa victoire limpide, ne pouvait pas – et ne peut pas – être coulée dans le moule de l’Apocalypse95. Ce n’est pas une coïncidence si la seule campagne du Moyen-Orient à être clairement reconnue par l’historiographie de la Première Guerre mondiale est celle de Gallipoli, elle qui, après tout, reprend le leitmotiv familier des tranchées, avec des soldats pris au piège et qui passent continuellement à l’abattoir.
- 96 Newell, op. cit., pp. 195-203.
- 97 Armageddon, un film de guerre retraçant la campagne d’Allenby en Palestine, avec quelques scènes r (...)
51Il est un fait hautement ironique que la bataille d’Armageddon a vraiment eu lieu, et qu’elle ait pris place en Palestine. La bataille de Megiddo – nom biblique d’Armageddon – est incluse dans l’Histoire officielle, comme partie intégrante de l’offensive de septembre-octobre 1918. Ainsi que l’a montré Jonathan Newell, les contributions militaires et biographiques d’Allenby ont tendance à s’étendre exclusivement sur cet épisode. De fait, il va devenir Marshal Viscount Allenby of Megiddo and Felixstowe96. Le fait que le champ de bataille soit très éloigné de la véritable Meggido biblique suggère qu’il s’agit ici encore d’un autre acte conscient visant à donner naissance à un mythe, et à l’instar de tant d’autres mythes construits de toutes pièces relatifs à la Terre sainte, il n’a pas eu la vie longue. En effet, au moment où les Britanniques combattent à Armageddon, la métaphore est depuis longtemps usée, en dépit des tentatives velléitaires des correspondants de lui redonner vie97. Même l’ouvrage de Cyril Falls, Armageddon 1918 (1964), une étude détaillée de l’offensive d’Allenby ne développe pas la métaphore, et il n’est pas difficile de voir pourquoi : la progression rapide d’Allenby en direction de Damas n’est en aucun cas la lutte sanglante, colossale et définitive telle que décrite par l’Apocalypse de Saint-Jean ; celle-ci a lieu dans les tranchées du front occidental.
- 98 Matthew Hughes, « General Allenby and the Palestine Campaign 1917-1918 », The Journal of Strategic (...)
52Matthew Hughes a écrit récemment que « l’écho romantique de la cavalcade de l’EEF à travers des terres aux profondes marques historiques et religieuses a peu fait pour encourager des études objectives »98. Dans les faits, comme la présente étude a voulu le montrer, c’est bien l’aura religieuse et historique de ce pays qui a tout d’abord donné lieu à la campagne. Le problème est que le vocabulaire biblique, depuis longtemps détaché de son lieu de naissance originel, s’est vu doté entre temps de multiples, et souvent contradictoires, significations. À la fin de la journée – cette longue journée d’été qui avait commencé avec un Brian Gurnay lisant son livre sur la pelouse éclatante – la représentation de la campagne de Palestine comme dernière Croisade n’a jamais été véritablement menaçante, non plus qu’elle n’a suscité une véritable réussite, parce que la réalisation de la métaphore n’est jamais parvenue à dépasser la métaphore elle-même. L’Armageddon prenant place sur le front occidental fait de l’ombre au véritable Armageddon situé en Palestine ; la Guerre sainte en Palestine n’est jamais rien d’autre qu’une annexe de la Guerre sainte en Europe ; et la véritable Terre promise demeure la mère-patrie.
Notes
1 Punch (19 décembre 1917), p. 415.
2 Voir Jonathan Newell, « Allenby and the Palestine Campaign », in Brian Bond (ed.), The First World War and British Military History, Oxford, 1991, p. 191. Pour un exemple plus récent, voir John Thom Spach, « Allenby and the Last Crusade », in Military History, 12, 7 (mars 1996), pp. 26-32.
3 Archives nationales du Royaume-Uni (par la suite : TNA) : Public Record Office (par la suite : PRO), FO/395/152/218223, Notice D.607 (15 décembre 1917). Le communiqué est explicitement inclus dans les Official Press Bureau Instructions ; des exemplaires se trouvent dans le dossier HO/139/19/78. Voir aussi Deian Hopkin, « Domestic Censorship in the First World War », in Journal of Contemporary History, 5, 4 (1970), pp. 151-69.
4 Siège du gouvernement britannique (NdT).
5 Quartier de la presse, à Londres ; par extension, la presse anglaise (NdT).
6 TNA : PRO, FO/371/3383, fo. 98-9, Wingate au Foreign Office (par la suite : FO), 14 février 1918.
7 [Les nouveaux Croisés : avec les forces britanniques sur le front palestinien]. Roger Smither (ed.), The Imperial War Museum Film Catalogue, vol. I, The First World War Archive, Trowbridge, 1994, entrée IWM 17.
8 TNA : PRO, HO/139/27, Note de la Censure à propos d’une note du M.I.7.A. adressée au Press Bureau, 28 octobre 1918.
9 L’effort de propagande britannique au cours de la Première Guerre mondiale a été décrit comme « un impressionnant exercice d’improvisation ». Certes, l’organisation de l’appareil de propagande était réputée être fragmentée et faite de dédoublement de prérogatives. Cependant, et même s’il est tentant de faire de ce problème d’organisation la source de toute ambiguïté en matière de propagande, cela serait simpliste. Le Département de la presse [News Department] – créé au sein du Foreign Office au déclenchement de la guerre pour servir les journalistes alliés et neutres – opère, même si de façon officieuse, comme l’autorité de tutelle en matière de politique de propagande. Il continue de jouer ce rôle après l’établissement du département de l’Information, en février 1917. De manière très significative, il apparaît que pendant la période décisive qui conduit et qui suit la prise de Jérusalem – de l’automne 1917 au printemps 1918 – la propagande concernant la campagne de Palestine est contrôlée par un seul homme, Sir Mark Sykes. Voir M. L. Sanders et Philip M. Taylor, British Propaganda during the First World War 1914-1918, Londres, 1982, 1, pp. 26, 64 et passim ; Roger Adelson, Mark Sykes : Portrait of an Amateur, Londres, 1975, spécialement p. 241, 245-8. Voir aussi Gary S. Messinger, British Propaganda and the State in the First World War, Manchester, 1992 ; Peter Buitenhuis, The Great War of Words : Literature and Propaganda 1914-18 and After, Londres, 1989 ; Cate Haste, Keep the Home Fires Burning : Propaganda in the First World War, Londres, 1977.
10 Christopher Hill, « Till the Conversion of the Jews », Religion and Politics in Seventeenth Century England, Brighton, 1986, pp. 291-2 ; The English Bible and the Seventieth-Century Revolution, 1993 ; nouvelle édition Harmondsworth, 1994, pp. 249-50 ; Linda Colley, Britons : Forging the Nation 1707-1837, New Haven, 1992, pp. 18-55 et passim.
11 David Lloyd George, War Memoirs of Lloyd George, Londres, 1936, vol. II, pp. 1090-91.
12 Matthew Hughes, « Lloyd George, the Generals and the Palestine Campaign », Imperial War Museum Review, 11 (1996), pp. 4-17 ; Sanders et Taylor, op.cit., en part. pp. 11, 38-9, 77-8.
13 TNA : PRO, CAB/23/2, 2 avril 1917 (1).
14 TNA : PRO, FO/395/139/42320, Lloyd George à Buchan, 1er février 1917. Voir aussi Isaiah Friedman, The Question of Palestine, British-Jewish-Arab Relations : 1914-1918, 1973 ; 2e édition New Brunswick, 1992, pp. 169-171.
15 David Fromkin, A Peace to End All Peace : Creating the Modern Middle East 1914-1922, 1989 ; Harmondsworth, 1991, p. 97 ; George Antonius, The Arab Awakening : The Story of the Arab National Movement, Londres, 1938, pp. 126-148 ; Briton Cooper Busch, Britain, India, and the Arabs, 1914-1921, Berkeley, 1971, pp. 8, 27, 32.
16 Fromkin, op. cit., p. 109 ; Antonius, op. cit., pp. 140-142.
17 « Bureau arabe », office établi au début de 1916 dans le cadre de l’administration britannique en Égypte à l’instigation du colonel T. E. Lawrence, dans le but de définir et de mener la politique arabe de la Grande-Bretagne, notamment dans le cadre de la mise en place de la révolte arabe contre l’Empire ottoman (NdT).
18 Voir Bruce Westrate, The Arab Bureau : British Police in the Middle East, 1916-1920, University Park, 1992.
19 TNA : PRO, HO/139/19/78, Official Press Bureau Instructions, D.122 (24 décembre 1914), D.186 (16 mars 1915), D.363 (21 février 1916).
20 TNA : PRO, FO/395/152/218223, Thornton à Buchan, 12 novembre 1917.
21 TNA : PRO, FO/395/152/218223, communiqué D.607.
22 Pathans, ethnie des Indes britanniques, dans l’actuel Pakistan (NdT).
23 TNA : PRO, WO/33/946/8638, Grand quartier général d’Égypte (par la suite : GQG) au ministère de la Guerre, 2 décembre 1917.
24 Naturellement cela est réprimé. Après la conquête de la ville, toutefois, le gouvernement de l’Inde est instruit qu’« une emphase particulière doit être mise en avant dans la propagande et par ailleurs sur le fait que l’honneur de garder des Lieux saints musulmans a été confié à des troupes indiennes. » TNA : PRO, FO/395/152/236464, Wingate au Foreign Office, section Inde, 13 décembre 1917. Voir aussi David Omissi, Indian Voices of the Great War : Soldiers’ Letters, 1914-1918, Londres, 1999, en part. pp. 14-5, 25, 199.
25 Sanders et Taylor, op. cit.,p.49.
26 TNA : PRO, FO/395/139 [Gaselee], (avril 1917).
27 TNA : PRO, FO/395/139, Gaselee à Benson, recteur de Magdalen College, Cambridge, 10 avril 1917.
28 TNA : PRO, Gaselee à Lestrange, 11 avril 1917, FO/395/139.
29 Vivian Gilbert, The Romance of the Last Crusade, New York, 1923, p. 1. Les références suivantes sont inclues dans le corps du texte.
30 Peter Parker, The Old Lie : The Great War and the Public-School Ethos, Londres, 1987, pp. 228-9.
31 Mark Girouard, The Return to Camelot : Chivalry and the English Gentleman, Londres, 1981 ; Cecil D. Bey, The Road to Armageddon : The Martial Spirit in English Popular Literature 1870-1914, Durham, N.C., 1987 ; Paul Fussell, The Great War and Modern Memory, New York, 1975 ; Elizabeth Siberry, « Images of the Crusades in the Nineteenth and Twentieth Centuries », in Jonathan Riley-Smith (dir.), The Oxford Illustrated History of the Crusades, Oxford, 1995, pp. 365-85.
32 Michael Ragussis, Figures of Conversion : “The Jewish Question” & English National Identity, Durham, N.C., 1995, pp. 106-7.
33 Joseph Shadur, Young Travellers to Jerusalem : The Holy Land in American and English Juvenile Literature 1785-1940, Ramat Gan, Israël, 1999, pp. 84-91.
34 Voir John M. MacKenzie (dir.), Imperialism and Popular Culture, Manchester, 1986.
35 Imperial War Museum (par la suite : IWM), Département des documents, 69/21/2, Papiers du général de division G. P. Dawnay, carton n° 2, « Égypte et Palestine 1916-17 », lettre à sa famille, 13 décembre 1917.
36 L’analyse qui suit se fonde sur quelque 50 journaux personnels, lettres et mémoires déposés dans les collections de l’Imperial War Museum, en plus de 30 contributions biographiques imprimées, publiées pour la plupart dans la décennie suivant la guerre, 15 histoires militaires et de régiments, et cinq journaux de marche. Nous nous sommes principalement concentré sur des auteurs britanniques – à quelques exceptions australiennes ou néo-zélandaises près – qui ont servi sur le front de Palestine à un moment entre l’été 1917 et le printemps 1918, la plupart des hommes du rang ou des officiers subalternes.
37 The Cambridge Review (23 octobre 1943), p. 25.
38 La Croix d’Éléonore est une figure connue du paysage britannique, rappelant la croix érigée par le roi Edouard Ier d’Angleterre, en souvenir de sa femme, Éléonore de Castille (NdT).
39 Shane Leslie, Mark Sykes : His Life and Letters, Londres, 1923, p. 294.
40 Joel C. Hudson, Lawrence of Arabia and American Culture : The Making of a Transatlantic Legend, Westport, CT., 1995, p. 52.
41 T. E. Lawrence, Seven Pillars of Wisdom, Londres, 1935, p. 453.
42 « Oxymoron » : procédé rhétorique qui consiste à réunir deux mots en apparence contradictoires pour donner à l’expression d’une idée un caractère inattendu (Grand Larousse de la langue française) (NdT).
43 Alan Wilkinson, The Church of England in the First World War, 1978 ; nouvelle édition Londres, 1996, p. 253. Voir aussi Albert Marrin, The Last Crusade : The Church of England in the First World War, Durham, N.C., 1974.
44 David Lloyd George, The Great Crusade, Londres, 1918, p. 11.
45 Voir Girouard, op. cit., pp. 275-93 ; George L. Mosse, Fallen Soldiers : Reshaping the Memory of the World Wars, New York, 1989, pp. 70-106 et passim.
46 Michael Gavaghan, The Story of the Unknown Warrior, Preston, 1995, p. 26. Il est sûr que le Croisé comme motif central dans la propagande de guerre et dans la commémoration postérieure à la guerre n’est pas limité à la Grande-Bretagne. Comme Mosse le montre (op. cit., en part. pp. 70-106), l’Allemagne et la France emploient le même vocabulaire visuel, qui sans aucun doute contribue également à l’articulation de leurs propres ambitions en ce qui concerne la Syrie et la Palestine. En Russie, par ailleurs, la Palestine est liée à une forte tradition de piété populaire, qui se manifeste pas des pèlerinages annuels massifs vers Jérusalem. Malheureusement, le traitement de ces questions va au-delà des objectifs et du champ du présent article. [À ces différents propos, on pourra consulter notre article : « Le destin des institutions chrétiennes européennes de Jérusalem pendant la Première Guerre mondiale », in Mélanges de Science Religieuse, Université catholique de Lille, n° 4, octobre-décembre 2001, pp. 3-29 (NdE)].
47 Adelson, op. cit., pp. 211-2.
48 En conséquence, la pénétration européenne en Palestine au xixe siècle a souvent été décrite par les contemporains comme la « Croisade pacifique » : « la “reconquête” graduelle de la “Terre sainte” à la chrétienté par le biais d’une pénétration religieuse, culturelle et philanthropique ». De manière significative, cette idée est répandue à travers tout le continent, spécialement en France et en Allemagne, mais pas en Grande-Bretagne. Voir Alexander Schölch, Palestine in Transformation 1856-1882 : Studies in Social, Economic and Political Development, 1986 ; Washington : 1993, p. 66 [version originale : Palästina im Umbruch 1856-1882 : Untersuchungen zur wirtschaftlichen und sozio-politischen Entwicklung, Stuttgart, 1986 (NdT)].
49 Lawrence, op. cit., p. 453.
50 TNA : PRO, HO/139/27, Official Press Bureau -Instructions to Censors, n° 390 (21 novembre 1917) et n° 411 (26 décembre 1917).
51 TNA : PRO, CAB/23/4, 21 novembre 1917 (19), 19 novembre 1917 (6). Voir aussi John Fisher, Curzon and British Imperialism in the Middle East, 1916-19, Londres, 1999, pp. 208-14. À propos de l’œuvre du sous-comité de Curzon sur les questions territoriales d’avril 1917, et du mémorandum de Curzon du 5 décembre 1917, voir Friedman, op. cit., pp. 173-4, et pp. 164-165.
52 TNA : PRO, WO/33/946/8583, ministère de la Guerre au Grand Quartier Général d’Égypte, 21 novembre 1917.
53 Fondation et bien religieux musulmans, incessibles. Voir aussi, à ce propos, la contribution d’Anthony O’Mahony dans le présent volume (NdT).
54 TNA : PRO, WO/33/946/8584, ministère de la Guerre au GQG d’Égypte, 21 novembre 1917.
55 IWM 69/21/2, papiers privés du général de division G. P. Dawnay, carton 2, « Égypte 1917-18 », Dawnay à Parker, 16 novembre 1917.
56 Voir « General Allenby and the Arabs », Times (14 mars 1918), p. 5.
57 TNA : PRO, FO/882/14, PA/17/12, Graves à Deedes, 15 octobre 1917.
58 TNA : PRO, FO/882/14, PA/17/13, Clayton à Wingate, 25 octobre 1917.
59 Voir TNA : PRO, FO/371/3061, fo. 415, Balfour à l’ambassadeur de France à Londres, 23 novembre 1917.
60 Il ne comprend pas toutefois des représentants du Corps du génie égyptien (Egyptian Labour Corps), en dépit de sa contribution cruciale à l’établissement de lignes de communication et ainsi à la victoire britannique.
61 TNA : PRO, WO/33/946/8693, Allenby au ministère de la Guerre, 11 décembre 1917. En ce qui concerne les instructions émises le 10 décembre 1917 et remises à chaque membre de la procession, voir WO/95/4369, Z/77/027. Ce document ne fait aucunement référence à la présence de troupes indiennes.
62 TNA : PRO, CAB/23/4, 26 novembre 1917 (4). Il s’agit d’une réponse à une demande d’Allenby.
63 Newell, op. cit., p. 190, note ; Luke McKernan, « “The Supreme Moment of the War” : General Allenby’s Entry into Jerusalem », in Historical Journal of Film, Radio, and Television, 13, 2 (1993), pp. 169-180.
64 TNA : PRO, WO/33/946/8582, ministère de la Guerre au GQG d’Égypte, 21 novembre 1917.
65 En mars, le département de l’Information publie un tract « qui place dans deux colonnes parallèles d’une part la proclamation du général Allenby adressée aux habitants de Jérusalem et d’autre part une proclamation émanant des autorités militaires allemandes de Holnon, dans le Nord de la France ». Voir TNA : PRO, FO/395/242/52214, Ashcroft à Gaselee, 20 mars 1918.
66 Daily Sketch (11 décembre 1917), p. 1. [Au cours de son voyage à travers le Moyen-Orient, en 1898, Guillaume II avait émis des prétentions à la protection des musulmans, des protestants, des catholiques comme des Juifs, notamment afin de faire pièce à l’héritage français et de consacrer par là son rapprochement avec l’Empire ottoman et ses diverses populations. Voir Alex Carmel/Ejal Jakob Eisler, Der Kaiser reist ins Heilige Land : Die Palästinareise Wilhelms II. 1898 ; eine illustrierte Dokumentation, Stuttgart-Berlin-Cologne, 1999 (NdT)].
67 Daily Mirror (11 décembre 1917), p. 6.
68 G. K. Chesterton, The New Jerusalem, Londres, 1920, p. 216.
69 Times (13 décembre 1917), p. 9. L’éditorial commence par une comparaison entre l’entrée d’Allenby et celle du Kaiser.
70 TNA : PRO, FO/395/236A, Circulaire du bureau de la Presse n° C.6120, 5 janvier 1918.
71 Times (11 décembre 1917), p. 7.
72 Daily Express (11 décembre 1917), p. 2.
73 Times (17 décembre 1917), p. 9.
74 Voir TNA : PRO, FO/395/152/236464, Wingate au Foreign Office, section de l’Inde, 13 décembre 1917 ; FO/371/3061/234308, Foreign Office au Saint-Siège, 10 décembre 1917 ; voir aussi de nombreuses autres dépêches dans le dossier FO/371/3061. Le télégramme adressé à Sir George Buchanan, l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Saint-Pétersbourg, souligne que « Tandis qu’il s’agit d’en appeler au sentiment religieux russe, il est important que les déclarations ne contiennent rien qui puisse offenser les sensibilités musulmanes[.] [Des] expressions comme “Guerre sainte”, “Croisade” etc., doivent donc être évitées même si les Turcs (en tant que Turcs, et non comme musulmans) doivent être tenus en juste exécration ». Voir TNA : PRO, FO/395/152, Foreign Office à Buchanan, Petrograd, 8 décembre 1917.
75 TNA : PRO, CAB/23/4, 17 décembre 1917 (12).
76 TNA : PRO, CAB/23/4, 2 janvier 1918 (12).
77 TNA : PRO, FO/395/237/4282, Sykes à Clayton, 7 janvier 1918.
78 TNA : PRO, FO/371/3383, fo. 18, Sykes, minute d’un brouillon envoyé par Clayton en vue d’une publication par la presse, s.d.
79 TNA : PRO, FO/371/3383, Sykes à Clayton, 15 janvier 1918. Voir aussi Jeremy Wilson, Lawrence of Arabia, Londres, 1989, p. 467.
80 Times (29 mars 1918), p. 3.
81 Le Comité national des buts de guerre (National War Aims Committee), en charge de la propagande destinée exclusivement au front de l’intérieur, est créé en août 1917. Voir Sanders et Taylor, op. cit., pp. 65-70, 77.
82 Times (22 avril 1918), p. 7.
83 Times (29 mars 1918), p. 3 (c’est nous qui soulignons).
84 Times (22 avril 1918), p. 7.
85 UK Parliamentary Debates (Chambre des Communes), 5e série, vol. 100, 20 décembre 1917, col. 2211.
86 David Lloyd George, postface de Philip Guedalla, Napoleon and Palestine, Londres, 1925, p. 48.
87 Chaim Weizmann, Trial and Error, New York, 1949, p. 152.
88 Eric Hobsbawm, Primitive Rebels : Studies in Archaic Forms of Social Movement in the Nineteenth and Twentieth Centuries, Manchester, 1959, p. 145 ; E. P. Thompson, The Making of the English Working Class, 1963 ; nouvelle édition Harmondsworth, 1968, en part. pp. 45-58, 427-440.
89 Voir notre ouvrage The Holy Land in English culture, 1799-1917 : Palestine and the Question of Orientalism, Oxford, 2005.
90 Anthony Bluett, With Our Army in Palestine, Londres, 1919, p. 94.
91 Observer (16 décembre 1917).
92 Fromkin, op. cit., pp. 562-563.
93 UK Parliamentary Debates (Chambre des Communes), 5e série, vol. 100, 20 décembre 1917, col. 2212, 2211.
94 John Bull (29 décembre 1917), p. 8.
95 Cecil Hugh et Peter Liddle (dir.), Facing Armageddon : the First World War Experienced, Londres, 1996. Sur la Grande Guerre comme apocalypse voir Jay Winter, Sites of Memory, Sites of Mourning : The Great War in European Cultural History, Cambridge, 1995, en part. les chap. 6 et 7.
96 Newell, op. cit., pp. 195-203.
97 Armageddon, un film de guerre retraçant la campagne d’Allenby en Palestine, avec quelques scènes rejouées, sort en novembre 1923. Voir Rachel Low, The History of the British Film 1918-1929, Londres, 1971, pp. 130 et 293.
98 Matthew Hughes, « General Allenby and the Palestine Campaign 1917-1918 », The Journal of Strategic Studies, 19, 4 (décembre 1996), p. 62.
Notes de fin
* Je sais gré à Robert J. C. Young, Dror Wahrman et Yaacov Wahrman (†) pour leurs commentaires et suggestions, de même qu’à Yoav Alon, Oren Meyers, Shany Payes, Gordon Peake et Kevin Rosser. La présente contribution est une traduction de mon article « The Last Crusade ? British Propaganda and the Palestine Campaign, 1917-18 », in Journal of Contemporary History, vol. 36, n° 1 (janvier 2001), pp. 87-109 ; je remercie la maison d’édition Sage Publications de m’en avoir permis la reproduction.
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