Surabaya, une métropolisation émergente par l’industrialisation et le renforcement de l’ancrage régional1
p. 189-222
Texte intégral
1Surabaya est la deuxième ville indonésienne par sa population, 2,7 millions d’habitants en 2010, après la capitale Jakarta. C’est aussi la capitale de Java-Est, une province très peuplée de 37,5 millions d’habitants, soit la population d’un petit pays, et une ville ancienne de la côte javanaise, le pasisir, une région traditionnellement ouverte sur les réseaux maritimes. L’internationalisation croissante de l’économie régionale et urbaine, portée par les investissements étrangers dans l’industrie et appuyée sur un groupe de puissants entrepreneurs locaux, y accélère le processus de métropolisation et la diffusion spatiale de l’urbanisation et de l’industrialisation. Surabaya constitue ainsi un observatoire du processus de métropolisation dans les villes de second rang.
2Surabaya est la plus grande ville de second rang de notre échantillon, voire de la plupart des pays de l’Asie du Sud-Est où la primauté des capitales nationales gêne l’émergence de grandes villes régionales. La spécificité de son développement tient à sa double fonction, de port d’un état insulaire doté de capacités d’articulation de réseaux maritimes, d’ampleur et d’orientation différentes, et de capitale économique et administrative fortement ancrée dans sa région. Les rapports étroits que Surabaya entretient avec son arrière-pays consolident sa fonction de principal pôle d’organisation du territoire de Java-Est, une dimension régionale dont la prise en compte est primordiale pour l’analyse des dynamiques de cette ville mais qui est souvent ignorée dans les études portant sur les grandes métropoles.
3Java-Est est une province marquée par de fortes densités de population (750 habitants au km2 en 2005), grenier à riz et région industrielle majeurs de l’Indonésie. Délimitée à l’ouest par des reliefs et à l’est par le détroit de Bali, elle constitue un sous-système économique à l’intérieur de l’île de Java, sa nombreuse population assurant déjà un marché intérieur aux entreprises locales. Son éloignement de Jakarta, la capitale nationale, a permis à Surabaya, nœud routier, fluvial, maritime et aérien d’une province aux voies de communication bien développées, de polariser une grande partie des flux économiques. La force d’attraction de Surabaya s’exerce d’autant plus sur son unité territoriale que les villes de la province voisine ne lui font pas concurrence : à Java-Centre, la faiblesse de la croissance économique n’a pas entraîné autant d’effets de différenciation dans la hiérarchie urbaine que dans les autres provinces javanaises et l’espace y est organisé par plusieurs pôles, Semarang au nord, Surakarta et Yogyakarta au sud.
4Dans le contexte d’internationalisation actuel, Surabaya cherche à valoriser sa position d’interface entre ses arrière-pays, contigus de la province de Java-Est et plus éloignés du Centre et de l’Est indonésien, et les flux internationaux et à développer ses fonctions nodales sur les axes maritimes du commerce international, existant ou en devenir, entre l’Australie et l’Asie. Elle y est aidée par les mutations politiques qui ont accompagné les années 1990 et la chute du régime de l’Ordre nouveau (1966-1998), une décennie marquée par le passage d’une forte centralisation et de politiques économiques de substitution des importations à des politiques de promotion des exportations industrielles et l’engagement d’un processus de décentralisation, initié en 1999. Deuxième ville indonésienne, marquée par les enjeux de sa dépendance vis-à-vis de Jakarta, et capitale régionale exerçant une forte primauté sur le système urbain hiérarchisé et bien développé de la province de Java-Est, Surabaya est devenue la ville-centre d’une région urbaine polycentrique qui intègre l’espace de la province. L’internationalisation actuelle de l’économie entraîne un changement d’échelle de la ville et modifie ses rapports avec ses périphéries.
5En nous plaçant dans la perspective d’une ville à l’articulation des flux maritimes et territoriaux, nous étudierons dans un premier temps l’évolution de la position de Surabaya dans les hiérarchies urbaines, nationales et internationales, puis nous examinerons les recompositions qui en résultent à l’échelle urbaine et régionale, en vue d’une comparaison avec les autres villes aux marges de la métropolisation.
Une ville à l’interface de systèmes spatiaux régionaux, nationaux et transnationaux
D’un espace réticulaire à un espace polarisé : la place de Surabaya dans les configurations spatiales de l’archipel insulindien
6Le développement de Surabaya s’inscrit dans un processus de hiérarchisation et de polarisation croissantes de l’espace indonésien à partir de l’indépendance.
7Surabaya est un ancien port de la côte javanaise, structurant au xve siècle les réseaux maritimes régionaux qui acheminaient les produits des îles orientales et du sud de Bornéo vers la route méridienne principale du grand commerce international, empruntant à l’ouest le détroit de Malacca et longeant à l’est les côtes de l’Asie Pacifique (Charras et Franck, 2000). Mise à sac en 1625 par le royaume de Mataram, la ville connaît un nouvel essor au xixe siècle, à l’époque coloniale hollandaise, comme base navale militaire et avec la mise en place d’une économie de plantation, l’arrière-pays de Surabaya constituant une des régions javanaises les plus productives en cultures de plantation de plaines et de hautes terres.
8L’expansion de l’économie coloniale dans le dernier tiers du xixe siècle entraîne une intensification des relations de la ville avec son arrière-pays et ajoute une profondeur territoriale à sa zone d’influence jusque-là essentiellement maritime. L’orientation des voies de communication, routes et voies ferrées, reliant la côte et l’intérieur, fait de Surabaya le principal débouché pour l’acheminement des produits agricoles de l’arrière-pays et la seule porte d’entrée pour les importations. Surabaya regroupe les sièges des maisons de commerce hollandaises et chinoises, les banques, les agences d’import-export et de transport, et devient aussi le premier centre industriel des Indes néerlandaises, grâce à la métallurgie qui se développe pour répondre aux besoins de la base navale, de la machinerie des sucreries et pour la construction des voies ferrées. Au début du xxe siècle, les fonctions de Surabaya sont multiples. Ville militaire, portuaire, industrielle et de service à l’économie de plantation, Surabaya a consolidé ses fonctions nodales, à l’articulation des flux maritimes transversaux et traversant la mer de Java, établis de longue date, et des flux méridiens reliant la côte à l’intérieur. Le recensement de 1905 indique une population de 150 000 habitants, soit la première ville des Indes Néerlandaises devant la capitale Batavia. La structure spatiale des Indes néerlandaises demeure en effet au début du xxe siècle largement multipolaire, malgré une diminution et une hiérarchisation plus importante des ports, conséquence de l’instauration du monopole hollandais sur le commerce maritime. La crise de 1929 atteint durement l’économie de plantation de Java-Est, et par ricochet celle de Surabaya.
9La crise n’explique pas seule le recul de Surabaya. L’indépendance marque une profonde rupture dans l’organisation spatiale de l’archipel, de plus en plus polarisée par Jakarta. Pendant la période de l’Ordre nouveau (1966-1998), une organisation spatiale mono-centrée, avec à sa tête Jakarta, se met en place à l’échelle nationale, structurée par un système de villes strictement hiérarchisé, fondé sur leurs fonctions administratives et les moyens financiers accordés par l’État. Le port de Jakarta monopolise les flux maritimes internationaux à destination de l’archipel, son aéroport devient la porte d’entrée internationale aérienne unique, jusqu’en 1986.
10Pendant cette période marquée par un processus de centralisation, à tous les échelons territoriaux, Surabaya s’installe dans une position de deuxième ville dans la hiérarchie urbaine nationale et de relais de Jakarta pour la desserte, maritime et aérienne de l’Est de cet immense archipel qui s’étend sur 5 000 km. Surabaya y expédie du riz et des produits manufacturés et en reçoit des produits miniers, forestiers et agricoles. Les cartes des flux maritimes nationaux font apparaître une stricte répartition des flux entre Jakarta, qui dessert l’Ouest et Surabaya l’Est. Cette fonction maritime repose sur les étroites relations commerciales tissées par les communautés marchandes de Surabaya, essentiellement chinoises, avec les ports de Banjarmasin et de Samarinda à Bornéo, fondées sur le transport du bois, et avec les îles de la Sonde (Salmon, 1997).
11À l’échelle de Java-Est, les fonctions administratives conférées à Surabaya comme capitale de la province, lui permettent d’accentuer sa primauté et de reproduire, à l’échelle provinciale, l’organisation spatiale strictement hiérarchisée de l’échelon national. Le réseau urbain de Java-Est s’organise alors selon la logique des places centrales, selon la hiérarchie des rangs administratifs et la configuration du milieu. Les villes de second rang sont Madiun, Kediri, Malang, Jember et Banyuwangi, villes de 100 000 à 700 000 habitants, qui commandent des bassins agricoles séparés les uns des autres par des massifs volcaniques et qui sont à la tête de petits réseaux urbains à la hiérarchie souvent simplifiée à deux niveaux, dont le nombre de villes correspond à la densité locale de population. Les changements structurels de l’économie de la province, la concentration spatiale des activités industrielles et leur diffusion hors de Surabaya modifient cette organisation, dans un contexte d’insertion croissante dans la mondialisation depuis le milieu des années 1980 et de décentralisation à partir de 2002.
L’internationalisation par l’insertion de Java-Est dans la division internationale du travail
12La province renoue avec la croissance dans les années 1970, par le redémarrage d’une industrie protégée par des politiques de substitution des importations (Mackie, 1993). L’industrie de Java-Est se consacre alors pour moitié à la transformation des produits agricoles et pour le reste, essentiellement à la production de biens de consommation courante à destination du marché intérieur. Au côté de grandes firmes privées, implantées depuis l’époque coloniale et qui diversifient leurs activités, la dynamique industrielle de Java-Est bénéficie, dans les années 1970-1980, des investissements de l’État enrichi par la rente pétrolière dans l’industrie lourde (engrais, papier, ciment, mécanique lourde, chantiers navals). Le changement d’orientation des politiques économiques au milieu des années 1980, de la substitution des importations à la promotion des exportations, notamment de produits manufacturés, se traduit par la dérégulation de nombreux secteurs d’activité et par l’appel aux capitaux étrangers. Il attire à Java-Est des investissements étrangers en provenance des pays d’Asie (Taïwan, Corée du Sud, Chine, Singapour, Japon sont les cinq premiers investisseurs étrangers à Java-Est en 2010) vers les secteurs de l’industrie d’exportation à forte utilisation de main-d’œuvre et les grands projets dans l’industrie du gaz, la pétrochimie et l’industrie du plastique, mais aussi les transports et l’import-export, qui s’articulent aux investissements domestiques des puissants milieux d’affaires de Surabaya (Dick, 2002). Les investissements étrangers dépassent alors en valeur les investissements domestiques (95 % de la valeur des investissements étrangers cumulés à Java-Est de 1967 à 1995 ont été effectués après 1990 – données du BKKPM).
13Ce nouveau contexte contribue à la densification du tissu industriel, à l’augmentation et la diversification de la production vers les productions des industries de main-d’œuvre et l’industrie lourde. Le secteur traditionnel de l’alimentation, boissons, tabac, reste dominant mais le secteur du textile-confection-chaussure, jusque-là peu développé, progresse pour s’aligner en termes d’emplois sur le précédent. Les secteurs du bois et objets en bois, dont l’approvisionnement en matière première repose sur les réseaux marchands entre Surabaya et les ports de Bornéo, profitent d’une forte demande internationale et de l’interdiction d’exportation du bois puis du rotin bruts. Les sous-secteurs des machines électriques (y compris l’électronique) et métaux fabriqués se développent, comme l’industrie du recyclage de la ferraille, à forte intensité de main-d’œuvre et le secteur du papier (Dick, 2002). S’appuyant sur les investissements de l’État dans l’industrie lourde, Java-Est devient aussi une plateforme de production pour les industries pétrochimiques d’amont qui fournissent les entreprises nationales. La découverte de nouveaux champs de gaz près des îles Kangean au large de Madura, suscite aussi d’importants projets dans l’industrie du gaz. Il subsiste cependant toujours un large fossé entre la production des industries d’amont, dont la technologie est d’ailleurs importée (ciment, papier, produits pétrochimiques), et les besoins des industries manufacturières de transformation, dont 70 % importent les matières premières et matériaux semi-finis nécessaires à leur production. La structure des importations de la province indique bien cet état de fait : plus de 80 % des importations de 2010 est encore consacré aux matières premières (blé, engrais, aluminium, acier), aux produits intermédiaires (plastiques) et aux biens d’équipement (machines). Java-Est est le deuxième pôle industriel indonésien, après Jakarta-Java-Ouest-Banten pour le nombre de grandes et moyennes entreprises et la valeur ajoutée produite, mais sa structure industrielle place la province au bas de l’échelle de la division internationale du travail.
14Les échanges internationaux progressent rapidement. La valeur des exportations de Java-Est est multipliée par cinq entre 1990 et 2000, et à nouveau par trois entre 2000 et 2010, les produits manufacturés passant de 20 % en 1985 à 85,5 % en 2002 de la valeur des exportations, un chiffre stabilisé par la suite (88 % en 2010). Les importations, dont la valeur est multipliée par deux entre 1990 et 2000 et par trois entre 2000 et 2010, viennent alimenter la demande des industriels en biens d’équipements, matières premières et produits semi-finis (BPS, East Java Statistic Yearbook, annuel). Les destinations des exportations sont Singapour, la Malaisie, le Japon, Hong Kong et depuis 2000 la Chine pour l’Asie, les USA et l’Australie. Les importations proviennent de ces pays auxquels s’ajoutent la Corée et Taïwan, dont les entreprises moyennes ont beaucoup investi dans l’appareil industriel de la province, et du Kuwait pour les produits pétroliers. En conséquence, le trafic international des port et aéroport de Surabaya a fortement augmenté. L’aéroport de Surabaya, ouvert au trafic international à partir de 1986, voit son trafic passager doubler entre 1986 et 1996, et tripler à nouveau de 1998 à 2010 (12 millions de passagers en 2010, dont 2 millions de passagers internationaux). Le volume du fret aérien triple de 1986 à 1996 et augmente de moitié entre 1998 et 2010 (à 78 000 tonnes en 2010 dont 22 000 tonnes de fret international, dont 7 000 tonnes d’exportation à destination de l’Asie composées essentiellement de poisson frais, de consoles et de produits électroniques) (BPS, Statistik angkutan udara, Statistiques du transport aérien, recueil annuel). Les dessertes aériennes internationales directes demeurent d’ampleur régionale (au sens supranational) et témoignent du caractère de destination d’affaires de Surabaya. Seul aéroport international de la province, il est relié directement à Singapour, Kuala Lumpur, Penang, Bandar Seri Begawan, Taipei et Hong Kong, par des compagnies nationales ou leurs filiales assurant les dessertes régionales, et par les compagnies à bas coût. Jakarta à l’ouest et Denpasar à l’est, dont les aéroports sont reliés par navettes à l’aéroport de Surabaya, fonctionnent comme plateformes de redistribution des autres liaisons internationales asiatiques, notamment, australiennes, japonaises et coréennes, de même que Singapour, un des hubs aériens internationaux d’Asie du Sud-Est.
15Le fret maritime, qui a triplé depuis 1985, suit la même tendance (BPS, Statistik bongkar-muat kapal, Statistiques du chargement-déchargement des bateaux, recueil annuel). Le port de Surabaya n’est pas l’unique port d’entrée pour les importations destinées à la province, du fait de l’importation, directement sur les chantiers, des biens d’équipement et des matières premières nécessaires à la construction des nouveaux sites gaziers et pétrochimiques. Il monopolise en revanche 80 % de la valeur des exportations. Dans le domaine maritime plus que dans le domaine aérien, Surabaya est parvenue à s’affranchir de sa dépendance vis-à-vis du port de Jakarta, pour se placer directement dans la zone d’influence de Singapour.
Surabaya, un nœud structurant les flux entre l’Australie et l’Asie ?
16Dans le contexte d’insertion de Java-Est dans la mondialisation, Surabaya cherche à renforcer son rôle traditionnel d’organisation des flux maritimes de l’Indonésie orientale et centrale, mais aussi à valoriser sa position à l’articulation de deux réseaux d’échanges internationaux : celui des flux entre l’Australie et Singapour – deux pôles dominants des échanges internationaux dans la région, éloignés de Surabaya, mais qui développent leurs relations avec la ville – ; celui des liaisons entre l’Australie et la mer de Chine méridionale, générant des flux susceptibles d’emprunter un deuxième axe méridien de l’Asie orientale, par les détroits de Lombok et de Makassar, axe secondaire par rapport à celui du détroit de Malacca et de la façade maritime de l’Asie orientale (carte 6.1).

Carte 6.1 : Le positionnement maritime de Surabaya.
17Singapour est depuis le xixe siècle déjà le principal pôle organisateur des flux internationaux de l’archipel. L’internationalisation de l’économie de Java-Est comme l’affaiblissement de la centralisation ont sensiblement augmenté les relations directes de Surabaya avec Singapour, comme l’indique le monopole de Singapour sur les flux de transports internationaux de Surabaya. 70 % du fret international maritime et aérien de Surabaya transite par Singapour, d’où il est redistribué dans le monde entier, court-circuitant Jakarta (Données statistiques du port et de l’aéroport de Surabaya, recueil annuel). Singapour est aussi le principal pôle financier extérieur, détenteur de capitaux surabayanais2, le cinquième pays pour l’origine des investissements étrangers de Java-Est (manufacture du plastique, produits chimiques, appareils électriques, meubles…) et le premier pour les investissements étrangers dans la ville de Surabaya (dans le commerce d’import-export et l’immobilier)3. Enfin, Singapour est pour Surabaya, comme pour d’autres villes d’Asie, un modèle incarnant la modernité4.
18Comparées à Singapour, les relations économiques de Surabaya avec l’Australie sont encore limitées5. La conjonction de stratégies australiennes et indonésiennes est susceptible à terme de desserrer la domination de Singapour et de positionner Surabaya comme un pôle maritime alternatif pour le fret australien, à l’articulation des axes reliant l’Australie au détroit de Malacca et l’Australie à l’Asie orientale. L’ouverture à Darwin, au nord de l’Australie, d’une nouvelle porte internationale pour les échanges australiens avec l’Asie, soit la moitié du commerce international du pays, qui s’ajoute à celle de Brisbane et de Sydney, est une nouvelle opportunité pour Surabaya, d’autant que l’Australie investit massivement à Darwin pour y développer une plateforme portuaire multimodale reliée au reste du pays par voie ferrée. Surabaya est le seul grand port de l’Est indonésien, plus proche de l’Australie que Jakarta, et localisé à proximité du détroit de Lombok, par où transitent déjà les navires dont le tonnage interdit le passage par le détroit de Malacca ou chargés de fret australien6. Relié à Darwin par une desserte régulière, il pourrait devenir une plateforme importante des échanges entre l’Indonésie et l’Australie, et fonctionner comme une porte de redistribution des produits australiens vers l’Asie ou tout du moins sécuriser le transport du fret australien, ou vers l’Australie, en cas de problème dans le détroit de Malacca. Les pouvoirs locaux de Surabaya comme ceux du North Territory australien soutiennent cette stratégie. Le responsable du North Territory prônait il y a quelques années encore la mise en place d’une navette entre Darwin et Surabaya, comme alternative à un transbordement à Singapour pour l’acheminement du fret international australien (Indonesia Culture Week Conference, Darwin, 15 août 2005).
19Cette ambition passe par une amélioration sensible des infrastructures de transports internationaux de Surabaya. La branche australienne de P and O ports, un leader mondial dans l’activité portuaire7, a acquis en 1999 49 % des parts du terminal pour les porte-conteneurs de Surabaya, et investi dans la modernisation de ses installations. Cette ambition se manifeste surtout par le projet de construction par l’opérateur portuaire national Pelindo III, d’un nouveau port dans la baie de Lamong, au nord-ouest de Surabaya, un projet déjà très avancé qui porterait à 5 millions de EVP la capacité d’accueil du nouveau terminal porte-conteneurs, soit plus du double de la capacité actuelle. Pour ce qui est de l’aéroport, ouvert à l’aviation civile depuis 1981 et agrandi pour devenir aéroport international en 1986, il a de nouveau été amélioré, les travaux d’extension, financés par un prêt bonifié du Japon, s’étant achevés en 2006.
Diffusion spatiale de l’industrie et nouvelles échelles de la ville
20La densification et la diversification du tissu industriel s’accompagnent de sa diffusion spatiale hors de la ville de Surabaya et de sa concentration dans une zone centrale d’orientation méridienne (Landiyanto, 2005), qui relie, du littoral vers l’intérieur, la ville de Surabaya à celle de Malang et intègre les départements de Gresik, Surabaya, Sidoarjo, Pasuruan et Malang. Cette zone polarise les mobilités, les districts et les villes de toutes tailles qui la composent ont enregistré les taux de croissance démographique les plus rapides (Franck, 1993), bouleversant les hiérarchies urbaines de la province. Elle représente 13 % de la surface de la province mais 30 % de sa population, concentre 81 % des investissements domestiques et 63 % des investissements étrangers de 1968 à 2001, 70 % de l’emploi industriel et produit environ 75 % de la valeur ajoutée industrielle. Le processus de concentration de l’activité manufacturière s’y est par ailleurs poursuivi depuis la crise financière de 1997 (McMichael and Santosa, 2004). Ce processus s’accompagne d’une dissociation entre fonctions de commandement, qui demeurent à Surabaya – qui s’affirme encore davantage comme centre de services pour les activités de son arrière-pays, jadis agricoles, aujourd’hui largement industrielles8 –, et de production, la zone centrale accueillant les unités de production.
Le port et l’aéroport : les pôles structurants de l’agglomération de Surabaya
21Les infrastructures d’interface, ports et aéroports, et les routes qui y accèdent jouent un rôle prépondérant dans l’organisation spatiale de cette zone centrale. Depuis l’époque coloniale, un réseau routier et ferré en étoile converge de l’intérieur de la province vers Surabaya, se raccordant sur le système de voirie urbain d’orientation méridienne et donnant accès au port. Pour fluidifier la circulation en centre-ville, une organisation de la voirie en giratoires puis rocades successives se met en place à partir des années 1980, recueillant le flux du réseau régional, notamment autoroutier et aménageant l’accès au port et à l’aéroport. Le port est devenu accessible par la rocade Ouest de Surabaya, construite en 1987, qui se connecte aux deux autoroutes existantes, celle du sud vers Gempol, qui sera prolongée jusqu’à Malang et celle du nord-ouest vers Gresik. La rocade contournant le centre-ville par l’Est, planifiée depuis longtemps, n’est pas encore terminée. Elle raccordera l’aéroport au port et donnera accès au pont de Madura. Les projets autoroutiers de Surabaya vers Mojokerto à l’ouest, et Pasuruan, à l’est complètent le dispositif pour relier au port et à l’aéroport ces villes déjà largement intégrées à la dynamique urbaine de Surabaya (carte 6.2).

Carte 6.2 : Schéma d’organisation spatiale de la région urbaine de Surabaya.
22Port et aéroport sont des points de fixation de l’activité industrielle (carte 6.3). Au début du xxe siècle, celle-ci se concentre autour du port à proximité de la base navale, le long du fleuve Kalimas, et dans le quartier de Ngagel, sur des terrains acquis par la municipalité pour éviter les nuisances de leur dispersion dans l’ensemble de la ville. Dans les années 1970, le premier parc industriel de Java-Est est aménagé sur 200 ha à Rungkut près de l’aéroport, à l’initiative du gouverneur de la province qui anticipe un redémarrage industriel, sous la forme d’une société mixte (PT SIER). Le premier schéma directeur de Surabaya, publié en 1978, interdit l’installation de nouvelles industries au centre-ville et prévoit deux localisations pour les industries, le district de Tandes, au nord-ouest, et celui de Rungkut, autour de PT SIER, au sud-est. Les schémas directeurs suivants, le schéma de 1978 révisé à plusieurs reprises et le dernier schéma de 2005, confirment le principe de zonage des utilisations du sol et interdisent en plus l’installation d’industries polluantes dans les limites de la municipalité.
23À Tandes, les promoteurs développent des zones industrielles et d’entrepôts sur les artères transversales, aux points de jonction avec la rocade ouest de Surabaya ou à proximité des portes d’accès de l’autoroute qui relie le port de Surabaya à la ville industrielle de Gresik. La dynamique est d’autant plus forte actuellement qu’elle anticipe le déplacement du port vers la baie de Lamong, au nord-ouest. Bien que la zone portuaire ne figure plus dans les schémas directeurs comme zone d’implantation des activités industrielles, elle demeure un pôle industriel important, de nouvelles activités s’implantant même, malgré les directives du schéma directeur, sur les réserves foncières que constituent les terrains de l’armée. Au sud-est, l’activité industrielle déborde du parc industriel de Rungkut, aujourd’hui congestionné, pour s’étendre vers l’aéroport, à Berbek dans le département de Sidoarjo, où PT SIER, le promoteur semi-public de Rungkut, développe une zone industrielle.
24La dynamique industrielle est donc fortement polarisée par le port et l’aéroport et guidée, sinon contrainte, par les schémas directeurs et le réseau routier. L’expansion de l’industrie, contenue, à Surabaya, en dehors du centre-ville, se poursuit dans les départements limitrophes de la municipalité, Gresik et Sidoarjo. Le département de Bangkalan, à Madura, est plus fortement intégré à cette dynamique depuis que le pont enjambant le détroit est terminé9. Les terrains ont déjà changé de mains et les promoteurs attendent la fin des travaux du pont pour les lotir, en zones résidentielles et industrielles (Franck, 1999). Le rôle structurant des routes est bien visible à travers la forme linéaire de l’expansion du bâti à partir de Surabaya (Silas, 2002). Le réseau autoroutier, qui double des routes nationales et porte la circulation longue distance et de transit, produit plutôt une concentration sur les nœuds. La rocade ouest de Surabaya et l’autoroute du nord-ouest Surabaya-Gresik précèdent l’expansion du bâti. Les disponibilités foncières ont permis aux nouvelles zones d’activités, parcs industriels, entrepôts, de se concentrer sur les échangeurs et les portes d’accès. Le premier tronçon de l’autoroute du sud a été construit, jusqu’à Gempol, sur un axe déjà très urbanisé, empêchant le report des activités sur les portes d’accès. Plus au sud en revanche, des projets anticipent la réalisation des futurs tronçons10.

Carte 6.3 : Utilisation du sol à Surabaya.
L’axe méridien des centres d’affaires du centre-ville et les nouvelles centralités commerciales du péri-centre
25Les premiers plans de Surabaya, datant du dernier tiers du xviie siècle, dessinent une ville précoloniale puis coloniale nichée entre deux défluents du fleuve Brantas, le Kali Mas et le Kali Pegirian, qui en constituent la colonne vertébrale et orientent sa direction d’expansion (carte 6.4). La dualité déjà visible entre ville javanaise, autour du palais entouré des kampung, les villages ou quartiers traditionnels, et ville étrangère constituée, autour du site d’Ampel où vivent les marchands étrangers, est renforcée un siècle plus tard par l’apparition d’un quartier hollandais face au quartier chinois11, puis par la fortification jusqu’en 1870 de la ville hollandaise, qui s’étend vers le sud une fois les remparts détruits.

Carte 6.4 : Évolution de la ville de Surabaya (1920-2005).
26Le centre-ville de Surabaya reste marqué par la matrice coloniale. Il est constitué de la ville historique, au nord, et de ses extensions méridionales liées, dès l’époque coloniale, au développement de nouveaux quartiers résidentiels et au dédoublement des quartiers d’affaires vers le sud, le long de la rivière Kali Mas. Les pouvoirs de décision, politiques et administratifs, avec les bureaux de l’administration de la province et de la municipalité, et économiques avec les centres d’affaires, se distribuent selon un axe nord-sud. Au nord, autour de l’ancien quartier chinois et de l’ancien quartier des affaires hollandais, se concentrent les activités tertiaires, maisons de commerce et grossistes, liées à la desserte de Java-Est et de l’Est indonésien. Plus au sud, dans le quartier de Tunjungan-Embong Malang, un centre d’affaires en forme de CBD, esquissé au xixe siècle mais dont la verticalisation date des années 1990, regroupe, outre des hôtels et des centres commerciaux modernes, les tours et immeubles de bureaux des sièges des sociétés étrangères ou internationalisées, soucieuses d’afficher une image de modernité. Aux limites méridionales de la municipalité, un nouveau centre d’affaires se dessine autour du nœud autoroutier reliant la rocade ouest, l’autoroute du sud et la future autoroute vers l’aéroport. La tour de bureaux du Gedung Pangrahan s’y dresse déjà et la première pierre de « City of Tomorrow », le projet de superblock de 17 000 m2 du promoteur jakartanais Lippo Karawaci y a été posée (carte 6.5). À l’échelle urbaine, les centralités sont ainsi démultipliées le long d’un axe méridien, provoquant aux abords de cet axe une recomposition rapide des tissus. La partie nord de l’axe, la moins internationalisée, reste cependant peu touchée par les transformations. Les anciens bâtiments hollandais y côtoient les rangées de compartiments, qui composent les rues marchandes des villes sud-est asiatiques au xixe siècle. Les kampung densément peuplés conservent leurs spécificités ethniques (quartier bugis, chinois, madurais, « arek Surabaya », les Surabayanais de souche), mais les projets immobiliers s’y multiplient, parfois de grande envergure.
27L’élargissement en 1965 des limites administratives de la municipalité à de nouveaux districts encore peu urbanisés, entourant la ville historique, permet à l’équipe municipale de planifier l’expansion de la ville en dehors de l’axe méridien. De nouvelles centralités se développent ainsi dans un péricentre plus résidentiel, où s’enregistrent des transformations rapides, portées par la demande des expatriés et des catégories aisées pour un nouveau type de quartiers résidentiels, lotissements de quelques hectares ou vastes villes nouvelles intégrées, qui tranchent par leur implantation et l’architecture des bâtiments avec les kampung. L’expansion vers l’est a été rapide dès les années 1980, l’expansion vers l’ouest prenant le relais dans les années 2000, soutenue par la construction de la rocade rendant les lotissements accessibles aux populations aisées circulant en voitures particulières (Dick, 2002). Les transformations rapides à l’ouest répondent aujourd’hui à un effet de mode autant qu’à la congestion du centre et de l’est de la ville, au prix encore compétitif des terrains et à l’amélioration des voies d’accès. Les vastes terrains conservés des années par les grands promoteurs, Pakuwon, Dharmala ou Ciputra, sont aujourd’hui lotis en de luxueuses villes nouvelles et des centres commerciaux modernes. Galaxy Mall à l’est, Supermall Pakuwon à l’ouest constituent autant de nouvelles centralités, secondaires par rapport aux CBD de par leurs fonctions essentiellement marchandes, qui organisent l’espace de la ville. De grands ensembles de ruko (bâtiment à un ou deux étages associant espace d’habitation et de bureau), construits par des promoteurs sur des terrains entièrement libérés, donc en marge des quartiers densément peuplés du centre-ville, abritent les bureaux des promoteurs ou des maisons de commerce, contribuant aussi à la dispersion des fonctions d’affaires.

Carte 6.5 : L’immobilier de bureaux à Surabaya, par période de construction.
La reproduction de l’organisation axiale à l’échelle de la zone centrale : l’axe méridien principal et les deux axes rayonnants secondaires
28S’articulant à l’axe méridien urbain, l’axe méridien reliant Surabaya à Malang constitue la colonne vertébrale de l’architecture de la zone centrale (carte 6.6). Les relations de complémentarités entre Malang, ville de plantation des hautes terres et station d’altitude à vocation touristique développée au xixe siècle, et son débouché portuaire, naturel par la distance et l’orientation des voies de communication, et Surabaya expliquent la permanence et la puissance d’organisation de l’axe méridien. La dynamique industrielle et urbaine de Surabaya rejoint celle, moins puissante, de Malang, aujourd’hui deuxième ville de la province de 820 000 habitants en 2010 et deuxième pôle industriel. Comme à Surabaya, la structure industrielle de Malang est plus diversifiée que dans le reste de la province, quoique plus largement orientée vers la transformation des produits agricoles (Landiyanto, 2005). À mi-chemin entre Surabaya et Malang, Pandaan se développe comme pôle industriel intermédiaire pour les grandes entreprises locales et les multinationales. Elle donne aussi accès aux stations de Tretes et de Trawas, les principales stations d’altitude des environs de Surabaya, surtout fréquentées par les expatriés des usines de Pandaan et par la bourgeoisie surabayanaise12.

Carte 6.6 : L’immobilier de centres commerciaux à Surabaya, par période de construction.
29L’apparition du pôle industriel de Gresik à partir des années 1970 ajoute un maillon septentrional et côtier à cet axe méridien. Gresik est un ancien port de la côte javanaise, historiquement concurrent de Surabaya pour l’attraction des flux maritimes. Surpassé par sa proche voisine à l’époque coloniale, Gre sik a connu un regain d’activité dans les années 1970 par les investissements de l’État dans l’industrie lourde, qui y a installé en 1957 l’entreprise de ciment Semen Gresik (PT Semen Gresik), puis une centrale thermique et une entreprise d’engrais, PT Petrokimia, autour de laquelle s’est formé tout un complexe pétrochimique. Relié à Surabaya par la route et l’autoroute, Gresik dispose de deux ports spécialisés, l’un pour le transport du ciment, l’autre pour la pétrochimie. PT Semen Gresik et PT Petrokimia ont investi en 1990 dans un parc industriel de 135 ha (PT Kawasan industri Gresik), occupé à 75 %, essentiellement par des industries de la chimie et du métal. L’industriel surabayanais Maspion vient également d’investir dans un parc industriel à proximité du centre-ville, le Maspion Industrial Estate prévu sur 450 ha.
30L’accélération de l’industrialisation au milieu des années 1980 a entraîné la constitution d’une zone de déversement urbain autour de Surabaya, visible par la continuité du bâti porté par le redéploiement en périphérie des systèmes résidentiels et des activités industrielles le long des routes et sur les portes d’accès et échangeurs des autoroutes. L’urbanisation physique déborde les limites de la ville, la valeur comparée des terrains entrant pour beaucoup dans cette dynamique et le retrait de l’industrie du centre-ville favorisant l’expansion des usages non agricoles hors des limites de la ville. Les nouvelles installations industrielles du nord-ouest de Surabaya densifient la trame industrielle entre Surabaya et Gresik et la dynamique résidentielle de l’ouest surabayanais devrait atteindre le département voisin. Le groupe Ciputra possède par exemple 2 500 ha de terrain à cheval sur la municipalité de Surabaya et le département de Gresik, dont seuls les terrains de Surabaya sont jusqu’à présent lotis.
31C’est cependant vers le sud, la direction historique du développement de Surabaya, vers Sidoarjo puis le long de la vallée du Brantas, vers Mojokerto, que l’expansion est la plus marquée et la plus précoce, marquée par une spécialisation dans l’industrie manufacturière et le résidentiel, les infrastructures autoroutières tentant de rattraper l’urbanisation. Cette expansion est modelée par les logiques d’acteurs privés exploitant les opportunités foncières, rendues largement prépondérantes qui plus est dans le contexte d’affairisme et de corruption de la fin de l’Ordre nouveau. Les promoteurs privés se sont emparés du marché de l’aménagement des zones industrielles. Pas moins de 3 000 ha ont été développés pour l’industrie à Sidoarjo entre 1984 et 1994, avec un taux de réalisation des projets de 100 % (Dick, 2002). En 2001, les industries occupent déjà 8835 ha, soit 23,5 % de la surface bâtie du département, dont le taux d’urbanisation atteint 86 % (RTRW Sidoarjo 2003-2013). À Sidoarjo plus qu’à Gresik, l’expansion du bâti est aussi la conséquence de la construction de lotissements résidentiels, qui se poursuit à un rythme accéléré. Développés par des promoteurs de Surabaya, les lotissements sont souvent modestes, comparés aux réalisations de Surabaya et s’adressent à des catégories sociales moins aisées, les coûts étant abaissés par la valeur inférieure du terrain et par la commercialisation de baux sur 30 ans au lieu de titres de propriété. Les plus fortes concentrations de zones industrielles ou cluster d’industries de main d’oeuvre, et de nouveaux lotissements résidentiels s’enregistrent dans les sous-districts de Taman et de Waru, les plus proches de Surabaya.
32La ville de Sidoarjo, chef-lieu de département, marque le terme de l’expansion continue du bâti vers le sud à partir de Surabaya. Plus au sud, la ville de Gempol est un nœud secondaire, routier, autoroutier, ferroviaire, où se concentrent des entreprises industrielles depuis les années 1970.
33À l’ouest, l’embouchure du Brantas et sa vallée dessinent un premier axe secondaire transversal. Les industries se sont installées sur les deux rives du Kali Surabaya, un des défluents du Brantas, jusqu’à la commune de Driorejo sur la rive gauche et Krian sur la rive droite, où se trouve aussi le plus grand ensemble de logements public de Java-Est. Driorejo et Krian marquent, temporairement, la limite occidentale de cette expansion, qui pourrait atteindre la municipalité de Mojokerto, faisant du Brantas un axe d’industrialisation. Quelque 150 entreprises, dont beaucoup d’entreprises du papier, se sont installées le long du défluent pour y puiser l’eau nécessaire à leurs activités et y rejeter leurs déchets polluants. L’épaisseur du tissu industriel ne dépasse d’ailleurs pas ici les rives du fleuve doublées par la route.
34Enfin à l’est, la dynamique industrielle remplace les flux issus de la transformation et de la commercialisation de la canne à sucre à l’époque coloniale, lorsque Pasuruan était « capitale du sucre » (Elson, 1984) et que son port drainait une partie des produits des plantations de la pointe la plus orientale de Java, pour structurer sur le littoral un deuxième axe secondaire. Cet axe relie aujourd’hui Gempol, Bangil, le parc industriel de Rembang et Pasuruan. Le parc industriel de Rembang, de 500 ha dont 10 % en zone franche, a été développé par la société mixte gérant le parc industriel de Rungkut et accueille essentiellement des entreprises japonaises13.
35Le processus d’intégration de la province à cette région urbaine se poursuit par la formation d’isolats industriels aux marges septentrionales de la région urbaine et par la reconfiguration du système de transport, notamment portuaire. Les villes de Lamongan et de Tuban au nord-ouest et de Bangkalan à l’est sont touchées par une dynamique industrielle soutenue par des investissements publics. La reconversion de Tuban dans l’industrie pétrolière et pétrochimique est commandée depuis Gresik, sous l’impulsion des autorités provinciales cherchant à développer l’industrie hors des zones agricoles fertiles de la vallée du Brantas et de l’axe Surabaya-Malang. L’entreprise PT Semen Gresik y a implanté à partir de 1993 un nouveau site de production de ciment, le promoteur PT Kawasan Industri Gresik y a investi dans un parc industriel, le Tuban Industrial Estate.
36Dans le domaine portuaire et aéroportuaire, le dédoublement des infrastructures accompagne l’augmentation du trafic. Le schéma directeur de la province prévoit, à terme, la construction d’un nouveau terminal aéroportuaire international pour l’aéroport de Surabaya, qui conserverait le terminal national, soit à Gresik, soit à Lamongan au nord-ouest. Ce dédoublement s’observe déjà dans le domaine des transports maritimes, par la construction de ports spécialisés à Gresik ou par la réception des approvisionnements en bois des entreprises du papier de Gresik, acheminés par de gros bateaux traditionnels bugis, qui assurent notamment le transport du bois entre Kalimantan et Surabaya. Ces derniers ont récemment déménagé leurs opérations de Surabaya à Gresik, en raison de l’envasement chronique du port de Surabaya et des coûts élevés du port Kalimas, le terminal du port de Surabaya réservé aux bateaux traditionnels. Kalimas accueille surtout aujourd’hui des bateaux de petite taille qui desservent, à la demande, les îles de l’Est indonésien.
37À terme, cette redistribution des fonctions portuaires pourrait intervenir à l’échelle de Java-Est. Le port spécialisé de Tuban pourrait détourner une partie du trafic de Gresik et les ports de la côte Est une partie du trafic local de Surabaya ou constituer une étape supplémentaire sur la route vers Surabaya. En effet, les éruptions continues de boues toxiques sur le site d’exploration gazier de la compagnie Lapindo depuis 2006, à hauteur de Porong, coupent la route menant de l’intérieur de la province et de sa partie orientale vers Surabaya et gêne considérablement l’accès à son port par la route, le moyen de transport le plus économique pour rejoindre la ville de toutes les parties de Java-Est. Cet accident aux répercussions sociales, environnementales et économiques sans précédent semble accélérer un processus jusque-là embryonnaire de réorganisation du système portuaire sur l’axe côtier Surabaya-Banyuwangi. Le dossier des travaux d’agrandissement du port de Probolinggo, en souffrance depuis 25 ans, est remis à l’ordre du jour. Le terminal porte-conteneurs de Tanjung Wangi à Banyuwangi, à l’extrémité orientale de Java, tente de capter les flux d’exportation des produits balinais, monopolisés jusqu’à présent par Surabaya. La convergence d’intérêts d’acteurs nationaux et internationaux, et les pouvoirs conférés par la décentralisation aux départements, ont permis au responsable du département de Banyuwangi de développer un ambitieux projet d’infrastructures portuaires et aéroportuaires, pour brancher directement ce département de la pointe orientale de Java, proche de Bali, sur les flux nationaux et internationaux et court-circuiter le relais de Surabaya. Cette préoccupation rejoint celle des investisseurs malaisiens, principaux actionnaires du nouveau terminal porte-conteneurs, qui, en captant le fret international de Bali, l’achemine vers les ports malaisiens au détriment de Singapour, la plateforme de redistribution du fret international de Surabaya.
Ancrage régional et spécificités de la métropolisation de Surabaya
Un ancrage régional par les acteurs
38L’ancrage régional de Surabaya se manifeste par son rôle dans la desserte, maritime et aérienne de l’Est indonesien et de Java-Est, par les réseaux marchands qui la sous-tendent et par les investissements qui en proviennent14. Les acteurs du développement sont ainsi régionaux, mais aussi nationaux. Surabaya est en effet considérée comme une ville d’affaires, industrieuse et riche, dont la prospérité repose sur une classe d’entrepreneurs, la plupart sino-indonésiens, enrichis dans le commerce et l’industrie, qui sont d’utiles relais pour les investisseurs étrangers (activités de sous-traitance, associations dans des sociétés mixtes, ramifications des grands groupes de Surabaya à l’étranger…). Jusqu’en 1994, les capitaux étrangers pouvaient d’ailleurs seulement s’investir dans des sociétés mixtes. Après la suppression de ce règlement, l’association avec des partenaires locaux est restée un moyen efficace d’accéder à l’administration, de sécuriser ses approvisionnements en matières premières, de disposer d’employés locaux et d’accéder au marché national (Matsumura, 1997).
39Installés de longue date dans les ports de l’est de Java pour commercer avec l’archipel15, les Chinois y développent aussi des activités artisanales et industrielles notamment des secteurs du bois, du savon et du tabac (Reid, 1993 ; Salmon, 1997). Les entreprises d’aujourd’hui sont souvent des entreprises familiales ouvertes au début du xxe siècle, comme l’entreprise de tabac PT Sampeorna ou celle de textile PT Kasri. Certaines sont devenues de grands groupes, qui diversifient leurs activités vers les produits d’exportation ou l’industrie lourde, et recyclent leurs capitaux dans le secteur de la promotion immobilière. L’entreprise PT Maspion, spécialisée dans la production d’équipement ménager pour le marché intérieur puis pour l’exportation, diversifie ses activités vers la banque, l’industrie chimique et le développement de zones industrielles. Elle emploie plus de 30 000 personnes à Java-Est et compte des filiales enregistrées à Hong Kong ou Singapour. Les groupes Sekar (produits alimentaires et transformation de produits de la mer), Trias Sentosa (industrie du plastique), Agrindo (machines agricoles) ou Pakerin (industrie du papier), sont en revanche des groupes sino-indonésiens plus récents (années 1980-1990).
40Surabaya compte aussi des entrepreneurs indonésiens de souche, dont la figure emblématique est aujourd’hui Dahan Iskan, un proche des milieux politiques et notamment de l’ancien gouverneur de la province Basofi Soedirman, fondateur du groupe de presse Jawa Pos, qui diversifie ses activités vers l’édition, la promotion immobilière et le sport. Jusqu’à la crise de 1997, le secteur de la promotion immobilière à Surabaya était aux mains d’une dizaine de grands conglomérats, jakartanais mais aussi surabayanais (DICK, 2002). La chute de l’Ordre nouveau et la décentralisation ont privé ces promoteurs de leur soutien politique traditionnel et diminué la capacité du gouvernement de Jakarta à imposer et favoriser ses alliés. Des promoteurs locaux, issus des milieux d’affaires de la ville, dont certains gèrent jusqu’à 100 projets dans tout Java-Est, se sont emparés du marché et constituent une concurrence sérieuse pour les grands groupes.
Les nouvelles formes du bâti de la métropolisation
41Villes nouvelles, malls et superblocks, verticalisation, sont parmi les principaux marqueurs de la métropolisation en Asie (cartes 6.5 et 6.6). Le superblock existe dans le centre-ville de Surabaya, sous une forme cependant incomplète puisque, à quelques exceptions, il y manque les éléments les plus verticalisés, les plus porteurs de modernité que sont les tours de bureaux ou les condominiums. Les condominiums sont d’ailleurs presque inexistants dans le centre-ville (seulement deux tours de condominiums au centre-ville en 2005). Ils sont construits dans les villes nouvelles du péri-centre de l’Ouest où ils ont longtemps souffert d’une commercialisation chaotique. Acquis le plus souvent à titre de placements, les appartements restaient vides, les bâtiments mal entretenus.
42De nouvelles formes de bâtiments à usage commercial et résidentiel – les ruko, contraction de rumah-toko, terme qui signifie « maison-boutique » – revisitent, surtout depuis 2000 les rues marchandes traditionnellement formées en Indonésie de rangées de compartiments. Leur utilisation mixte rappelle celle des compartiments mais leur implantation diffère. Les ruko sont construits dans des parcelles rectangulaires perpendiculaires aux grands axes et sont desservis par des allées intérieures. Les ensembles de ruko sont construits par les promoteurs sur de vastes terrains, donc en marge des espaces les plus densément occupés du centre-ville, puis revendus à l’unité à des acheteurs qui y voient une solution économique pour démarrer une affaire tout en se logeant, ou simplement pour y installer des bureaux. Les ensembles de ruko ont connu une véritable envolée dans les premières années 2000, jusqu’à provoquer une surproduction qui en a fait chuter les prix devenus exorbitants, atteignant plus de 100 000 euros pour un ruko de trois étages de 9 m par 3. Peints de couleurs vives, ils marquent fortement les paysages du péri-centre de Surabaya.
43Les villes nouvelles de Surabaya n’ont rien à envier, en taille et niveau d’équipement, aux villes nouvelles de Jakarta. Elles sont d’ailleurs construites par les mêmes promoteurs et pourvues de tous les équipements de haut niveau incluant des club house, des écoles internationales (à Ciputra Citra Raya) et des terrains de golf. Y résident les cadres expatriés des entreprises étrangères (Citra Raya a ainsi la réputation d’être une ville coréenne) ou des membres des classes supérieure et moyenne dont le mode de vie tend à reproduire le mode de vie internationalisé des élites globales à la recherche d’un cadre de vie plus aéré et exclusif. Des projets plus petits mais tout aussi luxueux sont développés par les promoteurs locaux. Les ensembles dits de style Regency, de 100 à 300 unités, dotés d’équipements collectifs luxueux mais proposant des maisons de tailles finalement moyennes, atteignant des prix vertigineux de l’ordre de 3 à 4 milliards de roupies, étaient très prisés au début des années 2000 (Interview Rei, 2003).
44Dans les zones plus densément urbanisées du centre-ville et de l’axe nord-sud, de plus petites opérations immobilières développées par des promoteurs locaux s’insèrent dans les tissus existants. Elles forment des allées résidentielles de maisons de ville jointives, implantées perpendiculairement à la rue principale et sont souvent fermées d’une barrière avec une entrée unique sur la rue. Ce modèle du « one gate system », jusque-là réservé aux lotissements luxueux, tend à se diffuser dans les lotissements pour classes moyennes. Sur une surface de terrain de 100 m2, une maison de 150 m2 y atteint les prix plus abordables, en 2003, de 500 millions de roupies environ.
45Dans ces mêmes espaces déjà densément peuplés, où la valeur foncière augmente par la proximité d’un projet d’infrastructure, près des piles du pont de Surabaya-Madura par exemple, des propriétaires individuels réalisent aussi des opérations immobilières. Ces propriétaires subdivisent leurs terrains, qu’ils possèdent en pleine propriété, en parcelles dotées seulement de droits d’usufruit pour la construction (hak guna bangunan) ou pour développer une activité (hak guna usaha). Ces opérations permettent une revente à un prix très inférieur à celui des promoteurs et sont menées sans autorisation, sans contrôle par rapport au schéma directeur de la ville ni respect de l’obligation de raccordement aux réseaux, alors que les promoteurs sont contraints de consacrer 40 % des surfaces développées aux infrastructures et services collectifs.
Des kampung rénovés grâce aux politiques publiques
46La dualité persiste, comme jadis à l’époque coloniale, entre la ville moderne et les kampung, toujours présents au centre-ville de Surabaya comme à sa périphérie. Au début des années 1990, les kampung couvrent 7 % de la surface de la ville et logent 63 % de la population (Municipal Government of Surabaya, 1993). La consolidation des kampung de centre-ville s’explique par l’investissement des pouvoirs publics dans le programme KIP, le Kampung Improvement Program, lancé à Surabaya et Jakarta en 1969 et financé au départ par la Banque Mondiale comme solution plus économique d’amélioration de l’habitat populaire16 que la construction de logements sociaux. Ce programme repose sur la coopération des pouvoirs publics et des communautés pour l’amélioration de l’habitat et des équipements dans les kampung. À Surabaya, 70 % des kampung ont été traités par le KIP, particulièrement ceux du centreville17. Le programme C-KIP (Comprehensive Kampung Improvement Program) lancé en 1998 dans 27 kampung, a renouvelé l’engagement de la municipalité dans ce type de programme, devenu plus intégré et prenant en compte l’amélioration physique mais aussi socio-économique des quartiers. Le KIP a limité les transformations en centre-ville, particulièrement dans la partie septentrionale la plus ancienne alors que les transformations sont rapides dans le CBD, déjà modelé par les chantiers de la ville coloniale, et dans le péri-centre moins peuplé. Les kampung y apparaissent particulièrement résilients, comparé à Jakarta où les évictions sont parfois violentes, l’engagement des pouvoirs publics ayant faibli sous la pression, certes plus forte, des investisseurs.
47Les réalisations du KIP ont valu à Surabaya plusieurs prix internationaux18. Le programme KIP est exporté dans d’autres villes indonésiennes et en Asie, au Viêt Nam, au Cambodge, en Thaïlande ou en Inde. La reconnaissance porte aussi sur les conditions du succès du KIP à Surabaya, à savoir le fort investissement des acteurs institutionnels de la municipalité, s’appuyant sur des universitaires de l’Institut technologique du 10 novembre (ITS), une association que l’on retrouve dans de nombreux autres projets, notamment l’élaboration précoce d’un schéma directeur. Surabaya est ainsi producteur de modèles – un modèle certes alternatif par rapport à celui véhiculé par les grandes métropoles – une production qui participe de l’identité de la ville19.
Vers une patrimonialisation du centre-ville ?
48La ville se positionne en priorité dans la compétition nationale et internationale comme une ville d’affaires, dotée de tous les ingrédients de la modernité. Des foires-expositions, un site Internet mis à jour et redessiné, des dépliants sur les centres commerciaux, assurent sa promotion vis-à-vis du monde des affaires indonésien ou étranger. La Municipalité collabore d’ailleurs avec la chambre de commerce pour mener des opérations de promotion en Indonésie et à l’étranger. Parallèlement, elle cherche à élargir le spectre des atouts de la ville, par sa promotion comme destination touristique. Le schéma directeur de 2005 prévoit ainsi le développement de zones touristiques sur le littoral. Le bureau d’information touristique distribue depuis peu des dépliants informant sur les manifestations et objets culturels : danse, musique, monuments symbolisant le passé héroïque de la ville pendant la Seconde Guerre mondiale ou l’indépendance du pays, lieux de pèlerinage, essentiellement celui d’Ampel où repose un des neuf sages (wali) à avoir participé à la diffusion de l’islam à Java au xve siècle20.
49Ce nouveau positionnement21 pose la question de la promotion du patrimoine culturel et architectural de la ville et de sa conservation. Surabaya conserve de son histoire des quartiers ethniquement marqués, arabe, chinois, bugis, madurais, etc., et des bâtiments, maisons de commerce notamment chinoises, gares, bâtiments administratifs, usines, datant pour la plupart de l’époque coloniale. Malgré un intérêt ancien de la part des universitaires pour l’architecture coloniale (Ngasiran, 2006), la dimension coloniale et exogène de ces bâtiments explique sans doute la faiblesse de la politique de conservation de la municipalité. Depuis 2002, une équipe de la Municipalité élabore une liste de bâtiments à conserver (Tim cagar budaya), sans déboucher jusqu’à présent sur une législation sur leur protection, malgré la pression croissante des promoteurs qui commencent à investir dans la ville historique.
50La conservation et la muséification de certains bâtiments sont plutôt le fait d’acteurs privés, comme dans le cas de la reconversion de l’ancien atelier de kretek Sampoerna en musée et café devenu à la mode. Quant à la promotion des cultures, les associations des quartiers ethniques sont très actives mais ont pour vocation d’assurer la cohésion sociale des quartiers, sans souci de promotion vis-à-vis de l’extérieur. Quand promotion culturelle il y a, elle tend dans les faits à la folklorisation, comme en témoigne l’aménagement par un groupe privé d’un marché de nuit chinois, Kya-Kya22 qui, plus qu’un projet culturel, fait partie du processus de redéveloppement du centre-ville.
La maturation d’une région urbaine polycentrique ?
51Les dynamiques métropolitaines, qui se traduisent par le changement d’échelle de la ville et par l’émergence d’une région urbaine polycentrique, sont le résultat d’une articulation entre plusieurs logiques spatiales, endogènes et exogènes : l’ancrage régional de Surabaya lui procure les moyens de son internationalisation, laquelle s’appuie sur le relais des entrepreneurs et des capitaux locaux et utilise les infrastructures, routières, portuaires, aéroportuaires, développées au départ pour servir une zone d’influence d’échelle régionale et nationale. Ville de second rang de la métropolisation, desservant le Centre et l’Est indonésien, Surabaya joue de sa dimension maritime pour s’affranchir de la tutelle de Jakarta en s’inscrivant dans les nouvelles configurations transnationales qui se mettent en place entre l’Australie, Singapour et l’Asie Pacifique. À terme, Surabaya pourrait articuler les flux indonésiens de moyenne distance aux flux internationaux empruntant les mêmes routes et combiner interconnexions régionales et branchement direct sur l’économie mondialisée.
52Surabaya prend pour modèle implicite les grandes métropoles – la comparaison avec Jakarta est récurrente et Singapour est le modèle pour les villes nouvelles –, mais est aussi producteur de modèles à l’échelle internationale grâce à son programme KIP. Les vecteurs de l’internationalisation y sont essentiellement les investisseurs étrangers, exploitant les avantages comparatifs de Java-Est, soit une main-d’oeuvre abondante et bon marché et une tradition industrielle. La ville de Surabaya commande une région placée au bas de l’échelle de la division internationale du travail et regroupe de ce fait jusqu’à présent des fonctions internationales secondaires. S’ajoutant à une richesse fondée sur l’ancrage régional de la ville et à la volonté de la Municipalité d’inscrire la ville dans la compétition internationale, elles confèrent cependant à Surabaya des capacités d’organisation nouvelles qui contribuent à modifier les dispositifs spatiaux à plusieurs échelles. Les marqueurs physiques de la métropolisation, tels que verticalisation, mall et villes nouvelles, sont visibles dans le paysage urbain de Surabaya. L’origine des investisseurs, locaux pour la plupart, et la nature de la demande – tant des entreprises que des particuliers – limitent cependant l’extension spatiale des modèles les plus porteurs de la modernité urbaine en faveur de réalisations de taille plus modeste, présentant des formes spécifiques (lotissements de maisons et de boutiques, allées résidentielles fermées), mais insérées dans un tissu traditionnel encore largement constitué de compartiments commerciaux et de kampung au centre, d’habitat villageois en périphérie.
53La diffusion spatiale de l’industrialisation et de l’urbanisation à partir de Surabaya et la spécialisation fonctionnelle croissante des espaces participent au processus de formation d’une région urbaine dans la zone centrale, autre marqueur de métropolisation, au sein de laquelle les relations se complexifient. Le centre-ville de Surabaya évolue en hypercentre concentrant les fonctions de services et les fonctions internationales. Les centres d’affaires structurent l’axe méridien d’expansion de la ville, avec une requalification qui progresse aujourd’hui vers le nord et les quartiers historiques les plus anciens, y posant la question de la conservation du patrimoine et, à terme, de la reconversion des quartiers anciens les plus densément peuplés. Des centralités secondaires, aux implantations plus diffuses, se déploient aussi dans un péricentre au taux d’occupation encore faible mais dont l’urbanisation est planifiée par la Municipalité pour casser la dynamique d’expansion vers le sud et dont la reconversion s’accélère, portée par la demande des classes moyennes et les opérations immobilières des investisseurs jakartanais et surabayanais. Hors de Surabaya, la région urbaine se structure autour de l’axe méridien principal Gresik-Surabaya-Malang et de deux axes secondaires rayonnants, Mojokerto-Surabaya le long de la vallée du Brantas et Pasuruan-Gempol-Surabaya formant un axe côtier, qui constituent dans leur configuration actuelle la zone de déversement urbain de Surabaya.
54Les pôles situés à l’extrémité de ces axes fonctionnent comme chefs-lieux administratifs et sont des capitales départementales pour les plus proches de Surabaya, Gresik et Sidoarjo, ou cumulent ce statut avec celui de municipalité pour Mojokerto, Pasuruan et Malang. Des villes plus petites constituent les pôles de troisième rang de ces axes. Ce sont soit des villes de connexion d’axes, nœuds routiers ou ferroviaires comptant de nombreux entrepôts comme Gempol ou Waru, soit des centres de services à la population qui jalonnent les axes dans les zones de concentration industrielle comme Krian ou Bangil. Ces hiérarchies sont complexifiées par l’apparition de pôles spécialisés : industrie pour les zones industrielles, résidentiel pour les villes ou lotissements nouveaux, loisirs dans la région montagneuse de Tretes et de Trawas ou constitués autour des infrastructures d’interface, port et aéroport, dissociés des villes, bourgs et villages peu spécialisés dont la localisation et la hiérarchie reposent davantage sur le modèle des places centrales. La démultiplication des centralités est associée à un processus de redistribution des fonctions sur l’espace plus vaste de la région urbaine, comme en témoigne le processus de reconfiguration du système portuaire. Le fonctionnement de cette région urbaine reste encore fortement marqué par les relations centre-périphérie qu’entretient la ville-centre, Surabaya, avec les autres pôles, bien que les relations aient changé de nature depuis la période d’hyper-centralisation et soient davantage le fait de redistributions fonctionnelles entre fonctions de commandement et fonctions de production à l’échelle de la région urbaine.
55Des signes de maturation de cette région urbaine vers un polycentrisme modifiant cette logique de relations centre-périphérie commencent à se manifester. Le processus de redistribution des fonctions entre les pôles de la région urbaine commence aussi à concerner des fonctions de commandement. Le projet de délocalisation du siège de Sampoerna, la plus grande entreprise de cigarettes kretek, de Surabaya à Pandaan, vers le centre d’affaires intégré à un parc de loisirs donnant sur la porte d’accès de la future autoroute de Surabaya en est un exemple symbolique. Ce processus concerne aussi des fonctions internationales, par l’installation des sièges des entreprises étrangères dans les business centers des parcs industriels et par l’ouverture sur place d’entreprises d’import-export pour faciliter leurs opérations. Articulées aux nouvelles hiérarchies fonctionnelles, des synergies horizontales émergent de la coopération entre départements et municipalités, grâce au processus de décentralisation qui leur procure de nouveaux pouvoirs de décision. Les pôles de second rang, municipalités et chefs-lieux de département, acquièrent un rôle actif dans l’élaboration de leurs propres stratégies de développement comme de leur politique fiscale. La décentralisation prive Surabaya, capitale de Java-Est, de sa capacité d’imposer ses schémas d’aménagement et place la ville en position d’égalité, voire de concurrence, avec les capitales des départements limitrophes, forçant les autorités municipales à la négociation. La collaboration entre Surabaya et Sidoarjo pour la gestion de la zone métropolitaine fonctionne, malgré quelques accrocs, elle est plus difficile en revanche entre Surabaya et Gresik, deux villes dont la compétition est ancienne. Dans ce contexte, les limites administratives sont susceptibles d’introduire des discontinuités, qui n’existaient pas ou peu pendant la période d’hypercentralisation et de nouvelles polarités pourraient émerger des schémas d’aménagement locaux.
56Hors de l’axe méridien, largement dominé par les logiques d’acteurs privés, le rôle des pouvoirs publics centraux et provinciaux et des entreprises publiques devient déterminant dans le processus d’expansion de l’activité industrielle et de redistribution des fonctions. En témoignent les projets d’industrialisation de Lamongan et de Tuban23. Soutenu par les pouvoirs publics de la province, le gouvernement étudie en 2006 la possibilité d’établir à Lamongan une Zone économique spéciale pour les industries navales. Les pouvoirs publics, de l’État et de la province, sont également à l’origine des projets de pont dans le détroit de Madura, pour intégrer l’ouest de cette île à la dynamique de Surabaya et prévoient, en concurrence du projet de la Municipalité de Surabaya, l’implantation du nouveau port sur la côte nord-ouest de Madura.
57La région urbaine de Surabaya constitue le pôle à partir duquel l’intégration de la province se poursuit. Cependant, bien des infrastructures de communication suivent une urbanisation déjà bien engagée. Les pouvoirs publics peinent à mobiliser les financements nécessaires à la construction des infrastructures, routes, ponts ou voies ferrées prévues par les plans d’aménagement. L’absence de dispositifs juridiques adéquats permettant la réquisition de terrains dans des zones très urbanisées est aussi régulièrement invoquée pour expliquer le retard dans la construction de telles infrastructures. Une loi portant sur la mise à disposition des terrains pour les projets publics ou de développement (Peraturan presiden no 36, 2005), précisée en 2006 (Perpres no 65, 2006) pour apporter davantage de garanties aux propriétaires touchés par un arrêté d’expropriation, a été promulguée, mais suscite bien des interrogations en l’absence d’une définition précise des projets concernés.
58Après les années de crise économique, les investissements, nationaux et étrangers, repartent à la hausse. L’arrivée d’investisseurs singapouriens dans le secteur de la promotion immobilière de Surabaya – l’entreprise Keppel de Singapour construit un « mega mall » dans la partie la plus ancienne de la ville, en partenariat avec un fabricant de sel de Surabaya – mais aussi de nouveaux promoteurs de Jakarta, comme Lippo Karawaci, absents jusque-là, marque certainement une nouvelle étape du processus de métropolisation, avec les restructurations sociales, économiques et spatiales qui en découlent.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Cette contribution reprend pour partie un article publié dans les Annales de géographie (Franck, 2010).
2 Les banques singapouriennes sont dépositaires de capitaux de Surabayanais sinoindonésiens, particulièrement depuis les émeutes anti-chinoises et l’incertitude politique qui ont succédé à la crise de 1997. Ainsi, au début des années 2000, 70 % de la valeur du portefeuille étranger de la Citibank à Singapour appartenaient à des Indonésiens. Surabaya, ville réputée pour sa richesse, est considérée par les banques singapouriennes comme une cible privilégiée pour leurs opérations internationales (Compte-rendu de la réunion du Private sector forum, 29 janvier 2003).
3 Ces investissements sont pour partie liés à des capitaux originaires de Surabaya, qui transitent par les banques singapouriennes avant d’être réinvestis à Surabaya.
4 L’image de Singapour est utilisée à Surabaya par le groupe Ciputra pour promouvoir et commercialiser ses villes nouvelles de Surabaya. Le modèle singapourien de « Water front city » est aussi explicitement suivi par la Municipalité, par exemple dans son Surabaya Vision Plan 2005-2025 (EDAW, 2005).
5 Java-Est essaie d’attirer les touristes australiens, exporte vers l’Australie des produits en bois et du textile et en importe de la farine, du bétail et des minerais. En 2002, l’Australie figurait parmi les dix premiers exportateurs vers Java-Est et occupait la sixième position comme destinataire des exportations de la province (Statistics of East Java Province, Surabaya in Figures 2002).
6 L’Indonésie a été reconnue comme nation archipélagique lors de la convention maritime internationale de 1982, ayant souveraineté sur les eaux comme sur les terres. Le gouvernement a négocié cinq voies de passage nord-sud pour le transit maritime international, entérinées en 1998, dont la plus importante, après le détroit de Malacca, emprunte les détroits de Lombok et de Makassar.
7 P and O ports est un des grands opérateurs de ports de conteneurs, appartenant au groupe Dubai Port World, qui s’est diversifié dans les ferrys en Grande-Bretagne et la promotion immobilière aux États-Unis et en Europe. Le groupe a créé une société spécialisée dans la gestion des terminaux de porte-conteneurs, P and O ports, qui divise ses opérations en branches régionales, dont l’Australie. En 2000, P et O ports gérait 21 terminaux dans 19 pays, représentant 2,8 % du marché mondial. Dans la région, P and O ports gère le port de Bangkok Laem Chabang, de Manille, ainsi que ceux de Sydney, Brisbane, Melbourne et Freemantle.
8 À titre d’exemple, un tiers des quelque 500 entreprises asiatiques installées à Java-Est depuis 1988 dissocie la localisation de son siège de celle des unités de production (BKPM, Profil of Foreign Companies in East Java, 1967-2002), en particulier les entreprises japonaises et taiwanaises. À de rares exceptions, l’adresse du siège est pour moitié à Jakarta, pour moitié à Surabaya. Les unités de production, surtout si elles occupent des surfaces importantes, se localisent dans les départements de la zone centrale. Le regroupement sur le même site du siège et de l’usine intervient lorsque l’entreprise est installée dans un des parcs industriels, qui disposent de business centers.
9 Le pont a été inauguré par le président indonésien en juin 2009.
10 Le parc de loisirs Taman Dayu de Pandaan, qui s’étend vers les montagnes perpendiculairement à la route Surabaya-Malang, se branche par exemple sur l’actuelle route nationale, à proximité de la future porte d’entrée de l’autoroute de Surabaya.
11 Actuelle rue Karet, où l’on trouve les plus anciennes maisons de clans chinois, des Han, The et Tjoa.
12 Suite aux éruptions de boue s’étant produites sur la site d’exploration gazière Lapindo, non loin de Porong, la fermeture de l’autoroute Surabaya-Gempol en août 2006 a provoqué l’annulation de 70 % des réservations du 17 août, jour férié célébrant l’indépendance de l’Indonésie. (Versions électroniques des quotidiens Suara Pembaruan et Jawa Pos du 16 août 2006).
13 PT PIER est gérée et commercialisée par Sumitomo Corp.
14 Surabaya est apparue comme une place refuge pour les capitaux de l’Est indonésien, pendant les troubles et les émeutes anti-chinoises qui ont succédé à la chute de l’Ordre nouveau. Capitaux et populations ont afflué de l’Est et de Kalimantan à Surabaya. Selon une employée commerciale de Citra Land, une des villes nouvelles de l’ouest de Surabaya, de nombreuses villas sont la propriété d’entrepreneurs et de commerçants du sud de Kalimantan et de l’Est indonésien.
15 Les Chinois seraient à l’origine de la fondation de Gresik au xive siècle, dont ils font un comptoir de transbordement des épices. Beaucoup se déplacent de Gresik à Surabaya lors de la session de Surabaya aux Hollandais au xviiie siècle (Reid, 1993).
16 Des logements sociaux de l’agence nationale Perumnas ont été construits rue Urip Sumoharjo en 1982, dans une rue proche du CBD et sont d’ailleurs en cours de rénovation avec la collaboration de l’ITS, mais l’expérience est restée limitée, les pouvoirs publics investissant davantage dans le KIP.
17 Entre 1984 et 1990, le programme a permis d’améliorer les conditions de vie de 1,2 million de personnes vivant sur 3 000 ha.
18 Aga Khan Award for Architecture (1986), de l’UNEP Award (1990), et de The Habitat Award (1991).
19 L’inspiration sociale semble ancrée dans les mentalités à Surabaya, telle que le manifeste la peinture moderne. Voir à ce sujet Ngasiran Riadi, 2006.
20 Le quartier d’Ampel est un lieu de pélerinage familial, une étape sur les circuits des sites religieux de Java-Est. Géré par une fondation (Yayasan Ampel), il fait l’objet d’une promotion de la part de la Municipalité qui a financé la couverture de la ruelle d’accès à la mosquée.
21 Le slogan de Surabaya a d’ailleurs été complété en 2001 pour y inclure une dimension culturelle et touristique (kota budipamarinda soit « ville de culture, d’éducation, maritime, d’industrie, de commerce », le terme « culture » ayant été ajouté par rapport à l’ancien solgan kota indramardi).
22 Abdurachman Wahid, premier président élu après la chute de Suharto, a levé nombre de restrictions aux manifestations de la culture et de l’identité chinoises. La Municipalité ne va pourtant pas jusqu’à promouvoir l’héritage culturel chinois. C’est un groupe privé, dirigé par Dahlan Iskan, un des rares hommes d’affaires indonésien de souche, également propriétaire de l’influent journal local Jawa Pos, qui s’est emparé du créneau. Il a créé au début des années 2000 un marché de nuit, nommé Kya-Kya, dont le décor est censé évoquer la culture chinoise (couleur rouge, dragons, caractères chinois…) dans un des plus anciens quartiers d’affaires chinois, la rue Kembang Jepun. Il s’agit en fait d’une opération commerciale, largement relayée par le journal Jawa Pos, qui a peu à voir avec une certaine resinisation des Chinois de Surabaya, que l’on observe par ailleurs à travers le succès des cours de langue chinoise, la distinction croissante entre les Chinois arrivés au xixe siècles, les totok et ceux installés depuis plusieurs siècles, au sang plus mélangé, les peranakan.
23 Une nouvelle abréviation désigne par Gelangban la région comprise entre Gresik, Lamongan et Tuban, planifiée par les autorités provinciales pour devenir la zone industrielle du xxie siècle.
Auteur
Professeur, géographe, INALCO, HSTM.
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