Les échanges Maghreb-Afrique subsaharienne : des opportunités commerciales inexploitées
p. 193-210
Texte intégral
1Du fait de sa situation géographique, le Maghreb occupe la position privilégiée de trait d’union entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe. Les économies africaines sont restées longtemps axées sur les anciennes puissances coloniales, mais elles commencent à diversifier leurs relations avec les différentes régions du monde. Ainsi, certains pays asiatiques, tels que la Chine, la Corée du Sud, l’Inde ou le Japon, manifestent leur volonté de développer leur coopération avec le continent, et des pays émergents comme la Turquie et le Brésil1 s’inscrivent dans cette dynamique de rapprochement économique et politique avec les pays africains.
2Dans le présent chapitre, nous traiterons des relations commerciales des pays du Maghreb (Algérie, Libye, Maroc et Tunisie) avec l’Afrique subsaharienne. Nous exposerons les caractéristiques des économies maghrébines, les difficultés qu’elles rencontrent et les tendances et évolutions qu’elles connaissent actuellement. L’examen des stratégies de développement mises en œuvre dans ces pays, qui ressemblent fort à celles qui furent adoptées en Afrique subsaharienne au lendemain des indépendances, révèle que l’ouverture commerciale et les réformes sont difficiles et que subsiste une « (inter) dépendance » vis-à-vis des économies des pays du nord de la Méditerranée.
3Il convient de noter que le volume des échanges économiques entre les pays du Maghreb et l’Afrique subsaharienne reste très faible, la proximité géographique et institutionnelle de l’Europe pesant de tout son poids sur les échanges commerciaux. Les pays du Maghreb, à l’exception de la Libye, avaient engagé simultanément des politiques de « libéralisation », mais leurs trajectoires économiques et politiques respectives étant très différentes, des disparités sont observées au niveau de la structure des échanges avec l’Afrique subsaharienne, qui est tributaire du modèle de production de chacun des pays ; ainsi, les relations commerciales qu’entretiennent respectivement l’Algérie, la Libye, le Maroc et la Tunisie avec leurs voisins subsahariens font apparaître des préférences régionales qui diffèrent d’un pays à l’autre.
Structures et évolution des économies du Maghreb
4Le Maghreb est en pleine mutation dans tous les domaines, notamment économique. Les pays qui le composent doivent relever des défis touchant à leur transition démographique et démocratique mais aussi au développement. Les revendications sociales, le chômage des jeunes et la conjoncture internationale ont contribué à aggraver la situation macroéconomique déjà fragile des pays de la région. Cette situation n’est pas nouvelle, elle s’inscrit dans un processus de transformation des structures économiques qui n’a pas atteint les objectifs fixés.
La rente pétrolière au service des stratégies de développement : le cas de l’Algérie et de la Libye
5L’Algérie et la Libye présentent certaines similitudes au niveau de leurs structures économiques mais aussi de leurs choix stratégiques en matière de développement. L’Algérie a adopté une stratégie inspirée du modèle des industries industrialisantes2. L’industrialisation par la production de biens d’équipement était censée lui permettre d’acquérir une totale indépendance économique vis-à-vis des anciennes métropoles3. « La rente pétrolière aidant, l’Algérie a choisi la voie d’une économie étatisée pratiquant la formule des usines clefs en mains. L’idée est de rompre avec la dépendance en mettant en place des industries d’équipements4. » Ce choix s’est traduit par la mise en place d’une structure économique fortement planifiée et par la domination du secteur public.
6Comme en Algérie, les structures économiques en Libye s’apparentent à celles d’une économie de rente où les hydrocarbures jouent un rôle déterminant dans la croissance. La Libye a opté pour un modèle économique dominé par un seul acteur : l’État. Ce choix l’a conduite à instaurer de lourds dispositifs administratifs et de gouvernance qui handicapent encore aujourd’hui l’économie libyenne. Depuis son indépendance et jusqu’aux années 1990, la Libye a privilégié une économie étatique fondée presque exclusivement sur la rente pétrolière et gazière. De ce fait, la chute des prix du pétrole en 1986 a sérieusement affecté l’économie libyenne, les recettes d’exportation ayant été divisées par deux cette année-là5. Dès lors, l’État libyen a initié un processus de libéralisation/privatisation6 et s’est progressivement désengagé des secteurs productifs.
7Les exportations algériennes d’hydrocarbures ont progressé depuis les années 1960 et jusqu’au début des années 1980, mais elles n’ont pas pu couvrir les importations des biens et services liées à la stratégie d’industrialisation. Ce décalage a engendré un déficit de la balance commerciale et la crise de la dette7. La prédominance des hydrocarbures dans la structure des exportations algériennes et libyennes a accru la dépendance d’Alger et de Tripoli vis-à-vis de l’étranger pour les produits manufacturés (qui proviennent essentiellement de France, d’Italie, d’Allemagne et de Russie) ainsi que pour les produits alimentaires.
Entre protectionnisme et ouverture : le cas du Maroc et de la Tunisie
8Juste après l’indépendance, le Maroc a commencé à adopter des stratégies de développement protectionnistes et opté pour une politique de substitution aux importations, qui s’est accompagnée d’une ouverture commerciale relative. Les exportations de phosphates ont continué de constituer l’essentiel des exportations marocaines et le secteur agricole est demeuré déterminant dans la croissance économique du pays. Cette stratégie de développement visait à protéger certains secteurs et à promouvoir les industries nationales. L’orientation protectionniste du Maroc a eu pour effet de créer une économie de rente caractérisée par une faible productivité dans ces secteurs. Le pays a également connu une crise de la dette au début des années 1980, due à la volatilité des prix des phosphates.
9En Tunisie, le processus de construction d’une économie nationale s’est appuyé sur la nationalisation des entreprises étrangères entre 1956 et 1961. Puis cette politique a cédé la place à une stratégie de développement socialiste qui a entraîné, au début des années 1960, la nationalisation de l’intégralité du secteur import-export et du commerce de gros8. Au cours de son plan décennal 1962-1971, la Tunisie a opté pour une stratégie de substitution aux importations qui privilégiait le développement des petites industries de transformation orientées vers le marché national. Dans un second temps, l’économie tunisienne a connu une certaine ouverture et des réformes d’inspiration libérale ont été mises en œuvre, malgré la permanence du clientélisme et de l’économie de rente. Cette ouverture a été assurée par la promotion des industries exportatrices comme le textile ou l’agroalimentaire. Mais, malgré ces efforts, la Tunisie subit les effets de la crise mondiale du fait de la tendance à la baisse des cours des produits qu’elle exporte, notamment du pétrole9.
De l’échec des stratégies de développement à l’enlisement des programmes d’ajustement structurel au Maghreb
10L’endettement des pays du Maghreb découlait de la mauvaise conjoncture mondiale des années 1970-1980, des politiques inadaptées mais aussi de l’évolution démographique de ces pays. Les accords de rééchelonnement de la dette ont été subordonnés à la mise en œuvre de programmes d’ajustement structurel (PAS). Ces programmes ont été à l’origine de plusieurs réformes structurantes des économies maghrébines. Ils visaient à restaurer les équilibres économiques internes et externes, à restructurer l’économie pour permettre une croissance saine et, partant, le remboursement de la dette10.
11En Tunisie, l’adoption du PAS en 1986 a sensiblement amélioré les indicateurs de la dette11 et a permis au pays de faire face à ses engagements internationaux en rétablissant son équilibre macroéconomique. Elle a induit de profondes transformations de l’économie tunisienne : les effets de l’échec des stratégies d’industrialisation, fondées comme au Maroc sur la substitution aux importations, ont pu être corrigés, et la crise de la balance des paiements a conduit la Tunisie à s’engager dans des réformes macroéconomiques, sur la voie de la libéralisation12.
12Le parcours du Maroc et celui de la Tunisie présentent certaines similitudes. Les deux pays ont fait des efforts d’ajustement pour réduire le fardeau de leur dette. Au Maroc, le PAS avait pour objectifs le désengagement de l’État des secteurs sociaux, la réduction du déficit public et la maîtrise de l’inflation. Pour permettre à l’économie marocaine de renouer avec la croissance, il s’est appuyé sur la libéralisation des prix du commerce extérieur, des services publics marchands et du régime de change, dont l’impact social a été très lourd : forte hausse du taux de chômage, augmentation de la pauvreté et essor de l’économie informelle, comme dans les autres pays du Maghreb.
13En Algérie, vers la fin des années 1980, la crise de la dette oblige les décideurs à revoir leurs orientations et à remettre en question l’économie dirigée.
14L’application du PAS marque ainsi la fin de l’économie administrée et la volonté de changer de modèle de développement. La prédominance du secteur des hydrocarbures a rendu l’économie vulnérable aux chocs extérieurs. Ainsi, en 1986, lorsque les hydrocarbures voient leurs prix à l’exportation chuter de 40 %, les recettes du pays baissent de près de 41 %, car les hydrocarbures représentent alors entre 96 et 98 % des exportations algériennes13. Contrairement à l’évolution observée en Tunisie et au Maroc, l’application du PAS en Algérie n’a pas abouti à une diversification de l’économie14.
15Quant à la Libye, elle tente depuis le début des années 2000 de supprimer formellement toutes les entraves au fonctionnement de l’économie de marché. Cependant, elle a accumulé un retard considérable en termes d’ouverture aux échanges, de libéralisation de l’économie, d’allégement de la bureaucratie et d’amélioration du fonctionnement des institutions. L’embargo décidé par le Conseil de sécurité15, et appliqué de 1992 à 2003 dans le contexte d’une conjoncture mondiale marquée par l’évolution défavorable du marché pétrolier, a créé « les conditions de développement des activités informelles, […] de la spéculation et de la contrebande […]. Cette spéculation transfrontalière constituera pour le pays une véritable hémorragie16 ».
16L’année 2003 marque un tournant dans la politique étrangère de la Libye qui souhaitait la levée de l’embargo. Dans cette perspective, le Premier ministre de l’époque, Choukri Ghanem, lance alors un certain nombre de réformes allant dans le sens d’une libéralisation de l’économie libyenne17.
Les relations commerciales du Maghreb avec les pays d’Afrique subsaharienne
17Plusieurs projets structurants ont été initiés par les pays du Maghreb afin de dynamiser leurs échanges commerciaux avec les autres pays africains : l’axe routier Tanger-Dakar, les investissements dans les infrastructures de télécommunications liant le Maroc et l’Afrique de l’Ouest, le port Tanger-Med au Maroc, la transsaharienne et le projet de gazoduc devant relier l’Algérie au Nigeria, sont autant d’exemples qui témoignent de la volonté des pays maghrébins de consolider leur position auprès de leurs voisins au sud du Sahara. Malgré cela, la structure des échanges maghrébins demeure fortement liée à l’Union européenne (UE). En effet, les échanges des pays du Maghreb avec l’Afrique restent très faibles en comparaison des relations commerciales qu’ils entretiennent avec leurs partenaires historiques, notamment la France, l’Espagne ou l’Italie.
L’Algérie privilégie l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique australe
18Avant de nous intéresser aux relations commerciales de l’Algérie avec les pays d’Afrique subsaharienne, rappelons que la France demeure le principal fournisseur de l’Algérie : en 2010, elle représentait 15,07 % des importations algériennes, suivie de l’Italie, de l’Espagne et de l’Allemagne, puis des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) hors UE. Les autres principaux fournisseurs de l’Algérie sont la Chine, les États-Unis, l’Argentine, le Brésil, la Corée du Sud, la Turquie, l’Inde et le Japon. En 2009, 2010 et 2011, plus de 50 % des importations algériennes provenaient des 27 pays de l’UE18 (cf. tableau 3), mais la part de l’Asie tend à augmenter, principalement celle de la Chine, qui est devenue en 2011 le troisième fournisseur du pays, derrière la France et l’Italie19. La structure des importations algériennes est dominée par les produits industriels : entre 1992 et 2004, les biens d’équipement industriels représentaient plus du tiers des importations algériennes20 et 34,55 % en 2011. Cette même année, ce sont les produits semi-finis qui constituaient le deuxième poste d’importations (23 %, contre 20,8 % en 2005 et 20,05 % pendant la période 1992-2004), devant l’alimentation (plus de 21 % du total des importations, contre 25,24 % pour la période 1992-2004 et 17,62 % en 2005)21.
Tableau 3. Importations et exportations de l’Algérie (en milliers de dollars US)

Source : Trade Map 2012 (calculs de l’auteur).
19On constate d’après le tableau 3 que la plupart des importations africaines de l’Algérie proviennent de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique australe (principalement de l’Afrique du Sud). Les pays de l’Union du Maghreb arabe (UMA) ont absorbé plus de 32 % des exportations de l’Afrique en 2009 et 2010 et près de 43 % en 2011. Néanmoins, sur les années 2009, 2010 et 2011, les importations algériennes en provenance d’Afrique n’ont représenté respectivement que 4,5 %, 4,7 % et 3,3 % des importations totales du pays, et celles en provenance d’Afrique subsaharienne seulement 2 %, 2,5 % et 1 %.
La Libye exporte essentiellement vers l’Afrique de l’Est
20Grâce à sa rente pétrolière, la Libye affiche une balance commerciale excédentaire, les cours du pétrole – lequel représentait 96 % des exportations libyennes en 2010 – étant élevés. De même, les exportations d’hydrocarbures assuraient en moyenne près de 97 % des recettes du pays en 2003 et 2004 et 94 % pendant la période 1990-199722. De ce fait, l’économie libyenne est dépendante du pétrole, ce qui la rend vulnérable aux chocs extérieurs, même si, au cours des dernières décennies, la situation financière extérieure du pays s’est révélée robuste23.
21Néanmoins, l’Afrique n’a absorbé que 2 % du total des exportations libyennes en 2009, 1,4 % en 2010 et 0,4 % en 2011 (cf. tableau 4). La part du Maghreb dans les exportations libyennes en direction de l’Afrique atteignait 70 % en 2009, près de 50 % en 2010 et seulement 9 % en 2011. Ce recul important tient sans doute à l’instabilité politique qu’a connue la région, la Tunisie étant l’un des principaux clients de Tripoli24.
22Dans le même ordre d’idées, l’Afrique de l’Est constitue la destination principale des exportations libyennes en Afrique subsaharienne (cf. tableau 4). Cette région a absorbé en 2009 près de 87 % (contre 71 % en 2010 et 20 % en 2011) des exportations libyennes vers l’Afrique subsaharienne, suivie de très loin par l’Afrique de l’Ouest avec 9 %.
Tableau 4. Importations et exportations de la Libye (en milliers de dollars US)

Source : Trade Map 2012 (calculs de l’auteur).
23Comme l’Algérie, la Libye importe près de 45 % de ses produits manufacturés de l’UE 27. Ce taux est resté stable au cours des trois dernières années. Il est à signaler que les importations libyennes en provenance d’Afrique représentent environ 10 % du total des importations du pays. L’Afrique australe est la première sous-région africaine exportatrice vers la Libye, avec une part avoisinant 48 % des importations libyennes en provenance de l’Afrique subsaharienne, suivie par l’Afrique centrale (23 %) et l’Afrique de l’Ouest (16 %). La part des pays du Maghreb dans les importations libyennes se situait aux alentours de 4 % en 2009 et 2010.
24Les produits manufacturés constituaient plus de 74 % des importations libyennes entre 1997 et 1999 puis près de 81 % en 2003 (la part des machines notamment a augmenté, passant de 38 % en 1999 à 48 % en 2003). De même, les produits alimentaires et les boissons sont le deuxième poste d’importations le plus important. Cette situation n’est pas sans risque pour la sécurité alimentaire de la Libye qui, sous le régime Kadhafi, avait développé une stratégie d’investissement dans le secteur agricole grâce à ses « pétrodinars ». Par l’intermédiaire du fonds d’investissement Libya Africa Investment Portfolio, la Libye a loué des terres agricoles dans plusieurs pays africains, notamment 100 000 hectares au Mali. Ce fonds a également investi dans plusieurs autres secteurs en Afrique (hôtellerie, secteur bancaire, raffinage, immobilier, transport aérien, mines et télécommunications, entre autres)25.
25En outre, la volonté de s’inscrire dans un processus d’ouverture commerciale avait amené l’ancien régime libyen à prendre un certain nombre de mesures visant à éliminer les contraintes commerciales pesant sur l’octroi des licences d’importation ainsi que les subventions. En effet, la « protection tarifaire est toujours de mise malgré les multiples démarches en faveur d’une intégration régionale et internationale. La Libye est engagée dans plusieurs processus d’intégration régionale, en particulier la Zone de libre-échange (ZLE) dans les pays arabes, ainsi que la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD)26 ».
Le Maroc affiche une présence plus affirmée en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale
26La structure du commerce extérieur marocain révèle un grand déséquilibre entre les différentes zones géographiques avec lesquelles le pays réalise des échanges. Ainsi, l’Europe demeure pour le Maroc, comme pour les autres pays du Maghreb, un partenaire commercial incontournable : elle a absorbé 75 % des exportations marocaines pendant la période 1995-1999 et 77 % pendant la période 2000-2005. Toutefois, et malgré les efforts de diversification consentis par le Royaume, les échanges commerciaux restent limités à une gamme restreinte de produits et à un petit nombre de marchés27. L’Afrique quant à elle n’a absorbé que 5 % des exportations marocaines pendant les périodes 1995-1999 et 2000-2005. Les pays du Maghreb sont en revanche les principaux partenaires commerciaux de l’Afrique. Entre 1996 et 2006, les échanges commerciaux du Maroc avec l’Afrique subsaharienne ont totalisé 425 millions de dollars en moyenne annuelle, selon la Direction des études et de la prévision financière du ministère marocain des Finances.
27La part de l’Afrique subsaharienne dans les importations marocaines n’a pas dépassé 1 % en 2009 (soit 16 % du total des importations du pays en provenance d’Afrique, cf. tableau 5) alors que les exportations du Maroc vers l’Afrique subsaharienne ont atteint près de 4 % (soit plus de 60 % du total des exportations du pays vers l’Afrique). Les pays de l’UMA absorbent au total 30 % des exportations du Maroc vers l’Afrique et sont à l’origine de 58 % des importations africaines du pays28. La politique commerciale du Maroc en Afrique subsaharienne durant les dernières décennies a surtout eu pour objectif de consolider la position du Royaume sur le marché intérieur de ses partenaires de longue date comme la Guinée, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Gabon. Le Maroc a parallèlement continué d’explorer les autres marchés africains et multiplié les expériences avec d’autres fournisseurs, notamment en Afrique australe, dont la part dans les importations marocaines en provenance de l’Afrique subsaharienne était en 2009 de 37 % (cf. tableau 5). Mais c’est avec l’Afrique de l’Ouest que Rabat entretient les échanges les plus intenses29 : en 2009, 53 % de ses exportations vers les pays d’Afrique subsaharienne ont été absorbées par cette sous-région (contre 47 % en 2010) et 31 % par l’Afrique centrale (contre 26 % en 2010).
28Le Maroc a conclu plusieurs accords commerciaux avec des partenaires africains, essentiellement des pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. Il s’agit pour Rabat d’envoyer un signal politique fort aux acteurs économiques marocains afin de les inciter à promouvoir les relations commerciales avec ces pays partenaires, notamment en y investissant davantage. Cette politique commerciale à l’égard de l’Afrique subsaharienne s’inscrit dans une dynamique continue que le Maroc n’a eu de cesse de faire évoluer depuis son indépendance30.
Tableau 5. Importations et exportations du Maroc (en milliers de dollars US)

Source : Trade Map 2012 (calculs de l’auteur).
29La coopération économique entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne est essentiellement bilatérale et s’inscrit dans le cadre général des échanges Sud-Sud, qui se caractérisent par la faiblesse des exportations et leur concentration sur un nombre limité de produits et de pays.
La Tunisie fait de l’Afrique de l’Ouest son principal partenaire commercial en Afrique subsaharienne
30La balance commerciale de la Tunisie présente un déficit structurel chronique. En effet, l’économie tunisienne est ouverte, les échanges extérieurs représentant une part importante du produit intérieur brut (PIB). Les importations de la Tunisie sont diversifiées : elles concernent des matières premières mais aussi des produits agricoles, textiles, alimentaires et manufacturés. Le principal partenaire commercial de la Tunisie demeure la France aussi bien en tant que client que fournisseur. Malgré la volonté de diversification géographique affichée par Tunis (13 % des importations tunisiennes proviennent d’Asie), ses autres principaux partenaires appartiennent tous à l’UE, comme l’Italie ou l’Allemagne.
31En effet, la part de l’UE dans les importations tunisiennes dépasse la barre des 60 % (cf. tableau 6). La Russie, la Turquie et la Suisse sont les principaux partenaires européens du pays hors UE. De même, il convient de noter que des pays comme les États-Unis, la Chine, le Brésil, l’Inde, l’Ukraine ou le Japon entretiennent des relations commerciales non négligeables avec la Tunisie. S’agissant des exportations tunisiennes, les pays de l’UE 27 en sont la première destination, avec un taux d’absorption de 85 % en 2011 (cf. tableau 6). Néanmoins, à l’échelle du continent africain, les pays de l’UMA occupent une place de premier plan dans la liste des principaux clients de la Tunisie, puisqu’ils ont été en 2011 les destinataires de plus de 62 % des exportations tunisiennes vers l’Afrique (cf. tableau 6). La Libye, l’Algérie et le Maroc sont ainsi des partenaires importants du pays, même si l’intégration maghrébine connaît des difficultés. Les pays d’Afrique hors UMA n’ont quant à eux absorbé que 1,5 % du total des exportations tunisiennes cette même année31.
32Notons que les importations tunisiennes en provenance d’Afrique ont atteint successivement 7,6 %, 5,6 % et 3,8 % du total des importations du pays en 2009, 2010 et 2011 (cf. tableau 6). Cependant, la part de l’Afrique subsaharienne dans le total des importations originaires d’Afrique n’atteignait que 7 % en 2009, 6 % en 2010 et 3,6 % en 2011. L’Afrique de l’Ouest est la principale région dont sont issues les importations tunisiennes en provenance d’Afrique subsaharienne (48 % en 2009 et 41 % en 2010), suivie en 2010 de l’Afrique de l’Est (26 %), de l’Afrique australe (21 %) et de l’Afrique centrale (12 %).
33En 2009, la Tunisie a écoulé en Afrique subsaharienne près de 12 % de ses exportations en direction de l’Afrique, puis la barre est passée à 14 % en 2010 et à 27 % en 2011. Les exportations vers l’ensemble des pays africains n’ont représenté, successivement, que 11,6 % (2009), 10 % (2010) et 4 % (2011) du total des exportations du pays. La principale région d’Afrique subsaharienne vers laquelle la Tunisie exporte est l’Afrique de l’Ouest (qui absorbe 63 % des exportations tunisiennes vers cette partie du continent), suivie par l’Afrique centrale (19 % en 2009), l’Afrique australe (9,4 %) et l’Afrique de l’Est (8,5 %). Notons toutefois (cf. tableau 6) que ce classement a connu des perturbations en 2011 (les exportations en direction de l’Afrique centrale ont notamment chuté) en raison de l’instabilité politique qui a sévi dans la région.
Tableau 6. Importations et exportations de la Tunisie (en milliers de dollars US)

Source : Trade Map 2012 (calculs de l’auteur).
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34Nous nous sommes efforcés de montrer que les échanges commerciaux entre les pays du Maghreb et les pays d’Afrique subsaharienne demeurent très bas par rapport aux échanges de ces deux régions avec l’Europe.
35D’un côté, l’analyse des structures économiques respectives des pays du Maghreb montre la faible diversification de leurs exportations, facteur qui entrave les échanges commerciaux entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. Toutefois, l’analyse de l’économie de chaque pays du Maghreb met en évidence la spécificité de la relation que chacun entretient avec ses voisins du sud du Sahara. Les intérêts, les stratégies, les capacités, les politiques et les priorités diffèrent d’un pays maghrébin à l’autre, même si tous s’efforcent de diversifier leurs partenaires.
36D’un autre côté, d’autres facteurs, extérieurs aux pays du Maghreb mais caractéristiques du continent africain, expliquent le maintien des échanges économiques entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne à un très faible niveau. Ainsi, l’enclavement de certains pays africains, l’absence d’infrastructures routières, les déficiences des infrastructures de télécommunications et du transport ferroviaire, la quasi-inexistence de lignes maritimes directes, les lourdeurs bureaucratiques, les contradictions des textes législatifs, les barrières tarifaires et non tarifaires sont autant d’obstacles au développement des échanges intra-africains et à l’avancée du processus d’intégration économique en Afrique.
37Les contraintes susmentionnées ont conduit les pays du Maghreb à chercher des moyens de relier leurs infrastructures économiques, notamment routières, à leurs voisins du Sud. Différents projets ont été lancés par Rabat pour la construction d’infrastructures routières, maritimes ou numériques permettant de relier le Maroc à l’Afrique subsaharienne ; l’Algérie et la Libye aussi se sont engagées dans cette voie.
38Ce changement de stratégie s’est accompagné d’une hausse des investissements des pays du Maghreb dans un certain nombre de secteurs comme les mines, l’énergie, les télécommunications, le tourisme, la banque, l’agriculture, les États maghrébins souhaitant consolider leur position auprès de leurs voisins du Sud.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 F. Nicolas, La présence économique chinoise et indienne au Maghreb, Paris, Ifri, « Note de l’Ifri », 2010.
2 G. Destanne de Bernis, « Les industries industrialisantes et l’intégration économique régionale », Économie appliquée, t. XXI, no 1, 1968, p. 419.
3 Charte nationale, 1976, p. 26, citée par A. Aissaoui, Les fondements théoriques de l’expérience algérienne de développement, thèse de doctorat d’État, Faculté des sciences économiques et de gestion, Constantine, Université Mentouri, 2008, p. 33.
4 H. Zaoual, Les économies voilées du Maghreb : de la technique à l’éthique, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 110-111.
5 L. Martinez, Libye : transformations socio-économiques et mutations politiques sous l’embargo, Paris, CERI, « Les dossiers du CERI », juillet 1999, p. 12.
6 Cf. D. Vandewalle, « Qadhafi’s Perestroika : Economic and Political Liberalization in Libya », The Middle East Journal, vol. 45, no 2, 1991.
7 A. Sid Ahmed et P. Catalano (dir.), La dette contre le droit. Une perspective méditerranéenne, Publisud, Paris, 2001, p. 217.
8 M. Ben Romdhane, Commerce et stratégies de développement : le cas tunisien, Commission économique pour l’Afrique, « CAPC Travail en cours », no 53, janvier 2007, disponible sur : <new.uneca.org/Portals/atpc/CrossArticle/1/WorkinProgress/53.pdf>.
9 Cf. T. Azaïez Laetaief, Tunisie : changements politiques et emploi (1956-1999), Paris, L’Harmattan, 2000.
10 Cf. A. Sid Ahmed et P. Catalano (dir.), op. cit. [7].
11 N. Elouaer, « Le seuil d’endettement optimal : le cas de la Tunisie », in D. Mandilou (dir.), La dette africaine. L’état des savoirs, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 127-146 (135).
12 M. Haddar, « Évolution des structures économiques en Tunisie », in Commission économique pour l’Afrique (Bureau pour l’Afrique du Nord), Les conditions économiques et sociales en Afrique du Nord : évolution des structures en deux décennies et analyse de la conjoncture en 2007, 2008, p. 239-283 (246).
13 M.C. Benarbaiha, « Évolution des structures économiques en Algérie », in Commission économique pour l’Afrique (Bureau pour l’Afrique du Nord), op. cit. [12], p. 73-104.
14 H. Benissad, « Le Plan d’ajustement structurel », Confluences Méditerranée, no 23, automne 1997, p. 107-118.
15 Le Conseil a décrété l’embargo dans sa résolution 748 du 31 mars 1992 et a levé les sanctions par le biais de sa résolution 1506 du 12 septembre 2003. Cf. D. Vandewalle, A History of Modern Libya, Cambridge, Cambridge University Press, 2006.
16 Commission économique pour l’Afrique (Bureau pour l’Afrique du Nord), op. cit. [12], p. 10.
17 M.C. Benarbaiha, « Évolution des structures économiques en Libye », in Commission économique pour l’Afrique (Bureau pour l’Afrique du Nord), op. cit. [12], p. 143-167 (149).
18 République algérienne démocratique et populaire, Ministère des Finances, Direction générale des douanes, Statistiques du commerce extérieur de l’Algérie (période : année 2010), Centre national de l’informatique et des statistiques, disponible sur : <www.mincommerce.gov.dz/fichier11/comextan2010.pdf> ; Id., Statistiques du commerce extérieur de l’Algérie (période : année 2011), Centre national de l’informatique et des statistiques, disponible sur : <www.douane.gov.dz/pdf/r_periodique/ANNEE%202011.%28DEF%29.pdf>.
19 Ambassade de France en Algérie, Le commerce extérieur de l’Algérie en 2011, Publication des services économiques, février 2012, disponible sur : <www.ambafrance-dz.org/IMG/pdf/Le_commerce_exterieur_de_l_Algerie.pdf>.
20 Les statistiques relatives à la période 1992-2004 sont tirées de M.C. Benarbaiha, op. cit. [13].
21 Cf. Algex, portail algérien du commerce extérieur, chiffres de la balance commerciale par groupe d’utilisation pour la période 2005-2012, disponible sur : <www.algex.dz/content.php?artID=1600&op=544>.
22 M.C. Benarbaiha, op. cit. [17].
23 CNUCED, Manuel de statistiques de la CNUCED 2011, New York/Genève, ONU, 2011, disponible sur : <unctad.org/en/docs/tdstat36_en.pdf>.
24 E. Santi, S. Ben Romdhane et M.S. Ben Aïssa, Impact du conflit en Libye sur l’économie tunisienne : une évaluation préliminaire, BAD, « Note analytique trimestrielle pour l’Afrique du Nord », juillet 2011.
25 J.-M. Meyer et F. Lejeal, « À coups de pétrodinars », Jeune Afrique [en ligne], 9 juin 2008, disponible sur : <www.jeuneafrique.com/Articleimp_LIN08068coupssranid0_coups-depetrodinars.html>.
26 BAD/OCDE, Perspectives économiques en Afrique, BAD/OCDE/Commission économique pour l’Afrique, 2008, p. 406.
27 M. Machrafi et Y. Abou El Farah, « Les échanges commerciaux du Maroc avec l’Afrique subsaharienne », in Y. Abou El Farah, M. Machrafi, S. Dkhissi et K. Boutkhili (dir.), La coopération maroco-africaine, Rabat, Institut des études africaines, 2010.
28 M. Machrafi, « Le Maroc mise sur l’Afrique subsaharienne », Ideas/Afkar, no 28, hiver 2010-2011.
29 S. Wippel, « Le renouveau des relations marocaines avec l’Afrique subsaharienne : la formation d’un espace économique transsaharien ? », in L. Marfaing et S. Wippel, Les relations transsahariennes à l’époque contemporaine. Un espace en constante mutation, Paris/Berlin, Karthala/ZMO, 2004, p. 29-60.
30 A. Antil, Le Maroc et sa nouvelle frontière : lecture critique du versant économique de la stratégie africaine du Maroc, Paris, Ifri, « Note de l’Ifri », 2010.
31 À noter que les chiffres 2011 concernant la Tunisie sont des estimations, en raison du contexte politique instable qui a marqué le pays.
Auteur
-
Mustapha Machrafi
Economiste. Il est également chercheur à l’Institut des études africaines (IEA) de l’Université Mohammed V (Souissi-Rabat). Ses recherches concernent les relations économiques entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne.
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