Le Journal de Franz Kafka
|Troisième partie. Le Journal de Kafka ou le « procès de la littérature »
Chapitre II. Les expériences fondatrices : entre la fascination et le renoncement
Full text
1La rencontre de Kafka avec le théâtre s’inscrit dans la continuité de sa réflexion sur la représentation, ébauchée dès le début des Journaux, dans les notations brèves qui décrivent d’un trait une situation, donnée d’emblée comme théâtrale :
Le théâtre
2En 1911, Kafka pousse plus avant son expérimentation de l’art du regard, et les situations qu’il décrit alors ne font que prolonger l’expérience du 23 avril 1909, où il assiste à Prague à la première de la pièce de Schnitzler, L’Appel de la vie (Der Ruf des Lebens). Cette découverte se confirme lors de la tournée du ballet russe impérial à Prague, fin mai 1909. Kafka s’y enthousiasme pour la danseuse Eduardowa, dont il prévoit de faire un sujet de récit et dont il rêve pendant des mois. C’est cette même danseuse qui inspirera ensuite à Kafka le personnage d’Eisa dans Le Procès.
- 3 Récits, p. 3, « Je priais en rêve la danseuse Eduardowa de bien vouloir danser encore une fois la (...)
3Les premières pages du Journal sont tout imprégnées de la présence fougueuse de la danseuse, qui domine les notations de 1909, tentatives désespérées pour exprimer, par l’écriture, la vitalité sensuelle de ce personnage insaisissable, perpétuellement en mouvement3. En s’essayant à ces descriptions du visage et des gestes de la danseuse Eduardowa, Kafka élabore déjà les principales catégories qui constitueront également les lignes directrices des portraits ou évocations de personnages qu’il réalisera par la suite dans son œuvre : perception du mouvement, caractérisation de la figure par ses mimiques et ses expressions. Dès 1909, Kafka se dirige donc sur la voie du théâtre et de la représentation.
- 4 Récits, 5 octobre 1911, p. 93 ; Tagehuch, p. 57.
4Mais le véritable tournant a lieu le 5 octobre 1911. Kafka se rend à la première représentation du théâtre juif ambulant de la troupe du comédien Jikzak Löwy, au café Savoy : « Hier soir, au café Savoy, troupe juive4. » Du 5 octobre 1911 à la mi-janvier 1912, où la troupe quitte Prague pour l’Allemagne, Kafka assiste à toutes les représentations de la troupe, c’est-à-dire à une douzaine de spectacles. Il découvre alors les plus populaires représentants du théâtre yiddish, qui le fascinent par leurs œuvres hautes en couleurs, tout emplies de folklore, de langage populaire et d’exotisme. Le véritable créateur de ce théâtre est Abraham Goldfaden, né en 1840 en Ukraine. Celui-ci, qui avait commencé à rédiger des poèmes en yiddish et en hébreu, rencontra des comédiens ambulants, les Broder Singers, qui chantaient et mimaient des chansons en yiddish. Goldfaden décida d’intercaler entre ces passages lyriques une intrigue en prose. Il composa dès lors le scénario et la musique des pièces, une musique très populaire dont la base était constituée par des mélodies volées à la liturgie : le théâtre yiddish était né. En 1876 eurent lieu les premières tournées en Roumanie. Puis le théâtre yiddish se répandit sur tout le territoire russe jusqu’en 1883, où il fut interdit par le gouvernement en place qui le contraignit à émigrer. Goldfaden partit s’établir à New York de même que Jakob Gordin, autre auteur très populaire, qui écrivit plus d’une centaine de pièces, dont beaucoup étaient inspirées des modèles shakespearien, schillérien ou du théâtre d’Ibsen et Lessing.
5C’est cette puissance d’une communauté forgée par une longue errance et une forte tradition religieuse que Kafka apprécie au premier abord chez les comédiens ambulants de la troupe de Löwy, qu’il décrit comme
- 5 Récits, 5 octobre 1911, p. 93 ; Tagebuch, p. 58.
des gens qui, par suite de leur vie errante, inutile et toujours à l’affût, savent beaucoup de chansons et pénètrent clairement la situation de tous les membres de la communauté [...]. Des gens qui sont juifs sous une forme particulièrement pure, car ils ne vivent que dans la religion, mais sans effort, sans compréhension ni détresse. Ils paraissent se jouer de tout le monde5.
6Les représentations de la troupe permettent à Kafka de découvrir les auteurs yiddish les plus populaires : de Joseph Lateiner, Kafka voit Meschumed, La Nuit du Seder (Die Seidernacht), Le Violon de David (Davids Geige) et Blumüle ; il assiste également à l’opérette La Sulamite (Sulamith) et à la pièce Bar Kochba d’Abraham Goldfaden, de même qu’au Kol Nidre d’Abraham Scharkansky et au Vice-roi (Der Vizekönig) de Richter et Feinman. Enfin, il découvre les pièces de Jakob Gordin, notamment L’Homme déchaîné (Der wilde Mensch), Le Tailleur conseiller municipal (Der Schneider als Gemeinderat) et Herzele Mejchus. Kafka profite également de cinq lectures privées de Löwy, qui lui permet d’approfondir sa connaissance de la littérature juive.
- 6 Renvoyons à ce sujet à l’ouvrage de Jörg Werner Gronius, Kafka im Theater. Über Adaptationen des « (...)
7Le théâtre est le thème dominant de toutes les notations du Journal. Entre 1909 et 1912, ce sont essentiellement des récits de spectacles auxquels Kafka assiste, mais aussi des portraits des époux Tschissik, de M. et Mme Klug et de Löwy. Le théâtre conduit Kafka à maintes réflexions sur le masque, la gestuelle et le primat du corps et de la vue. L’écrivain, qui contemple avec précision les gestes et les techniques de l’acteur, les décompose en éléments pour rendre visible le fonctionnement du jeu théâtral, la situation de communication et le rôle du corps dans la performance de l’acteur. Cette fascination pour le théâtre n’implique toutefois pas de la part Kafka une identification6, mais au contraire une analyse critique de la pratique théâtrale, des rapports entre l’acteur et le public et des artifices dramatiques.
8Il souligne ainsi le rôle central des mélodies, qui confèrent à ce théâtre un caractère profondément vivant et chaleureux :
- 7 Kafka, Journal, 5 octobre 1911, p. 93 ; Tagebuch, p. 59.
- 8 Journal, 6 octobre 1911, p. 85 ; Tagebuch, p. 61.
Les mélodies sont longues, le corps se confie volontiers à elles. En raison de leur longueur [...], c’est en balançant les hanches, en écartant les bras [...] que les acteurs expriment le mieux leur caractère7.
Les mélodies sont aptes à saisir au vol tout être humain bondissant et, sans se rompre, à envelopper entièrement son enthousiasme8.
9Kafka perçoit l’importance du corps, de l’actio, qui constitue l’essentiel du talent d’actrice de Mme Tschissik :
- 9 Journal, 22 octobre 1911, p. 119 ; Tagebuch, p. 96-97.
De la foule de gestes qui constituent son jeu plein de vérité émergent çà et là un poing qui jaillit, un bras qui se retourne [...]. Son jeu n’est pas varié : il se réduit à peu près aux regards effrayés qu’elle jette sur son partenaire [...]. Mais [...] tout cela est vrai et par conséquent, la conviction s’impose que le plus infime de ses effets ne peut lui être enlevé9.
10Cette expérience du théâtre poursuit Kafka jusque dans ses rêves, ponctués de scènes de représentations en 1911 :
- 10 Ibid., 9 novembre 1911, p. 152 ; Tagebuch, p. 239.
Rêve d’avant-hier : tout était théâtre, j’étais tantôt en haut dans la galerie, tantôt sur la scène10.
11De sa rencontre avec l’art théâtral, Kafka retient bien sûr l’art de créer une situation dramatique, qu’il applique dans le seul fragment théâtral auquel il se soit essayé dans le Journal : Le Gardien du tombeau, écrit en 1916. Il y met en scène, dans un style à la fois lyrique et satirique, un vieux gardien qui passe ses nuits à se battre contre des fantômes et figure Kafka aux prises avec sa création littéraire nocturne.
12L’expérience du théâtre marque également bien des esquisses dialoguées du Journal de 1914 ainsi que sa prose scénique, liant mimique, gestuelle et placement dans l’espace, comme lors de la scène de l’arrestation de Joseph K. dans le Procès. De plus, le thème de la représentation est le leitmotiv de maints de ses récits, notamment du Spectateur de la galerie, variation sur l’écart qui existe entre la perception du monde et son essence réelle. Tout le texte est construit autour de l’opposition structurante entre le « si » du premier paragraphe, le « mais il n’en est pas ainsi » du second, et le « comme il en est ainsi » de la conclusion :
- 11 Kafka, Le Spectateur de la galerie, Récits, p. 438-439 ; Auf der Galerie, in Ein Landarzt, p. 207- (...)
Si quelque écuyère fragile était poussée sans interruption [...] sur le cheval qui tourne en rond devant un public inlassable [...], peut-être alors un jeune garçon descendrait-il du haut de la galerie le long escalier du public. [...] Mais comme il n’en est pas ainsi, comme une belle dame blanche et rouge surgit au vol [...], comme le directeur, [...] avec un air d’esclave abandonné, vient à ses devants comme une bête [...], l’homme de la galerie couche sa tête sur l’accoudoir et s’enfonce dans la marche finale comme dans un rêve pesant, et il pleure sans s’en douter11.
- 12 Kafka, Première souffrance, Récits, p. 639 ; Erstes Leid, in Ein Landarzt, p. 251.
13L’idée de représentation est profondément liée au statut de l’artiste et à la part de fausseté et de tromperie incluse dans cet art, comme le démontrent Joséphine la cantatrice, Première souffrance ou Un champion de jeûne. Dans ces récits, Kafka met en doute la justification et la fonction rédemptrice de l’art. Le trapéziste de Première souffrance, dont la seule ambition était jusque-là de se perfectionner et qui restait nuit et jour sur son trapèze, en vient un jour à douter de son métier et à se demander si la perpétuelle mise en scène de son art ne l’a pas finalement éloigné de la réalité de l’existence : « Cette barre unique entre mes mains [...]. Est-ce une vie12 ? »
14De même, le protagoniste d’Un champion de jeûne, dont l’abstinence était jusqu’alors interprétée comme un ascétisme héroïque et digne d’admiration, avoue un jour à son entourage qu’il ne jeûnait que par défaut, parce qu’il n’avait jamais trouvé de nourriture à son goût. Là encore, c’est le décalage entre les apparences et la triste réalité d’un art vécu comme une sombre fatalité qui se voit dénoncé. La représentation est trompeuse et l’art n’est qu’un masque cachant la vacuité et la faiblesse humaines. Cette conception du monde comme théâtre atteint son point culminant dans le dernier chapitre de L’Amérique, « Le grand théâtre d’Oklahoma », mais elle apparaît aussi dans une esquisse probablement rédigée à la fin de l’année 1920 :
- 13 Ibid., p. 601-602 / Fragmente aus Heften und losen Blättern, in Zur Frage der Gesetze und andere S (...)
C’est une vie entre des coulisses [...]. Ce n’est pas une supercherie compliquée, mais il faut se soumettre tant qu’on est sur les planches. On n’a le droit de s’enfuir que si on a la force de se diriger vers le fond [...] pour se réfugier dans la rue réelle, une rue obscure et étroite qui [...] s’appelle rue du Théâtre, mais est vraie et possède toutes les profondeurs de la vente13.
15Si cette expérience du théâtre s’avère inouïe en ses débuts, Kafka prend vite conscience des défauts et limites des pièces jouées sous ses yeux. Dès le 8 octobre 1911, il décide de prendre appui sur le désir que le théâtre a suscité en lui pour approfondir sa connaissance du monde juif :
- 14 Journal, 8 octobre 1911, p. 100 ; Tagebuch, p. 68.
Désir de voir un grand théâtre yiddish, car il est possible, après tout, que la représentation souffre du petit nombre de comédiens et de leur étude imparfaite des rôles. Désir également de connaître la littérature yiddish14
16C’est sur cette littérature yiddish et sur la communauté juive que Kafka va dès lors se concentrer :
- 15 Journal, 6 janvier 1912, p. 216 ; Tagebuch, p. 349.
Lors des premières pièces, j’ai cru que j’avais rencontré un judaïsme dans lequel les rudiments du mien pourraient se tenir en repos, se développer, venir à moi, m’éclairer dans mon judaïsme laborieux et me faire avancer ; au lieu de quoi, plus j’entends de choses et plus ces rudiments s’éloignent de moi. Les êtres restent, bien sûr, et c’est à eux que je me tiens15.
17Mais le théâtre a surtout permis la rencontre d’un homme, Jikzhak Löwy, le directeur, l’impresario et l’âme du groupe, avec qui Kafka noue une amitié quasi immédiate. Par sa chaleur et son talent de raconteur d’histoires, Löwy incarne pour Kafka un judaïsme naïf, authentique et vivant, profondément ancré dans la tradition. C’est lui qui initie Kafka à deux éléments qui deviennent désormais fondamentaux dans l’œuvre et la vie de l’écrivain : la langue yiddish et le judaïsme. Grâce au théâtre yiddish, Kafka découvre un mode de perception essentiel ainsi qu’une origine qu’il avait oubliée et dont le dévoilement lui permet une véritable renaissance.
La découverte du yiddish
- 16 Ernst Pawel, Franz Kafka ou le cauchemar de la raison, Paris, Le Seuil, 1988.
- 17 Theodor Lessing, La Haine de soi, le refus d’être juif, Paris, Berg, 1990.
18Si le retour à la langue des origines se fait tardivement chez Kafka, c’est que, jusque-là, loin de ressentir un désintérêt total pour sa religion, il se trouvait pris entre une obsédante recherche identitaire et la douloureuse conscience de ne pouvoir, malgré ce désir, s’ancrer dans une patrie : « Il se haïssait non pas d’être juif, mais de ne l’être pas assez16. » Il semble en fait qu’avant 1911, Kafka n’ait pas manifesté envers le judaïsme l’hostilité que Theodor Lessing17 considère comme l’apanage des intellectuels juifs et germanophones, frappés d’aversion pour leur judéité. Jusqu’en 1911, on peut tout juste parler d’un léger mépris et d’une profonde amertume de Kafka envers le simulacre de judaïsme que lui a inculqué son père :
- 18 Kafka, Lettre à son père, Œuvres complètes IV, p. 861 ; Brief an den Vater, p. 35.
Je ne comprenais pas que toi, avec le fantôme de judaïsme dont tu disposais, tu puisses me reprocher de ne pas faire d’efforts [...] pour développer quelque chose de tout aussi inexistant. Car, pour ce que je pouvais en voir, c’était vraiment une bagatelle, une farce, pas même une farce18.
- 19 Kafka, Journal, 6 novembre 1910, p. 8 ; Tagebuch, p. 120.
19On trouve dès cette époque des évocations ironiques de personnages juifs particulièrement bruyants dans son Journal : « Habitude qu’ont les femmes juives de faire claquer leur langue19 », ou encore, en janvier-février 1911 :
- 20 Journal, janvier-février 1911, p. 21 ; Tagebuch, p. 931.
Un juif de Reichenberg, dans mon compartiment, se fait remarquer par de petites exclamations au sujet des express20.
20La note du 26 mars 1911 est également ambiguë, puisqu’elle démontre chez Kafka un mélange de distance ironique et d’agressivité envers le monde juif pour lequel il n’éprouve alors visiblement pas le moindre sentiment d’appartenance. Il déclare ainsi à propos du roman de Max Brod, Juives (Die Jüdinnen), paru cette année-là :
- 21 Journal, 26 mars 1911, p. 30-31 ; Tagebuch, p. 160.
Il manque aux Jüdinnen un milieu non juif composé de ces gens biens considérés qui [...] attirent l’élément juif au-dehors [...]. C’est cela que nous exigeons, nous ne reconnaissons pas d’autre manière de dissoudre les masses juives21.
21On note ici un violent rejet de la communauté juive, décrite comme « masse », et qui, dans la suite de cette notation, se voit comparée à des lézards empilés les uns sur les autres et suscitant chez le spectateur une fascination mêlée d’une crainte diffuse :
- 22 Journal, p. 31 ; Tagebuch, p. 161.
Nous prenons un plaisir extraordinaire à voir des lézards tressaillir devant nous [...] mais si nous les voyons chez un marchand, empilés les uns sur les autres et rampant par centaines [...], nous sommes désemparés22.
- 23 Laurent Cohen, Variations autour de K. pour une lecture juive de Franz Kafka, Paris, Intertextes É (...)
221911 marque un brusque revirement dans l’attitude de Kafka envers le judaïsme, dont il perçoit alors toute sa méconnaissance. La première prise de conscience n’est pas exempte d’une profonde sévérité chez Kafka, qui, face à la culture juive tchèque qu’incarnent Löwy et sa troupe, est amené à établir une première distinction entre le judaïsme d’Europe orientale, profondément authentique et vivant à ses yeux, et le judaïsme d’Europe occidentale, autosuffisant, fantomatique et n’aspirant qu’à l’assimilation. Kafka comprend que cette ambiguïté fondamentale est ancrée en lui et que, même si ses frères de l’Est lui semblent proches, ils représentent ce que lui-même ne saurait atteindre. Comme le précise Laurent Cohen23, Kafka jugera donc désormais en trois catégories, assimilant l’Ouest au pire, l’Est au meilleur et en se désignant lui-même comme un naufragé et un exilé :
- 24 Kafka, Journal, 11 mars 1915, p. 384-385 ; Tagebuch, p. 730-731.
Juifs de l’Est et juifs occidentaux, meeting. Le mépris des juifs de l’Est pour ceux-ci. Bien-fondé de ce mépris. Les juifs de l’Est en connaissent la raison. Les juifs occidentaux l’ignorent. [...] Je suis comme de bois [...]. Et pourtant espoir24.
- 25 Yoram Bar-David, Le Judaïsme nissthar (secret) et l’idolâtrie subtile. Kafka et ses protagonistes, (...)
23C’est là ce qui fait dire à Yoram Bar-David25 que l’œuvre de Kafka, malgré son admiration pour Flaubert, n’a rien à voir avec le récit occidental, mais est entièrement imprégnée des liens secrets qu’il a tissés avec le judaïsme de l’Est. C’est d’ailleurs aux sources de la religiosité juive, dans la Haggadab et le Midrach, qui visent toujours à concilier la foi et la raison, l’objectivité et la pratique, que puise le judaïsme secret de Kafka.
24De tous les écrits de Kafka, c’est le Journal qui témoigne le mieux du sentiment juif retrouvé. Grâce à Löwy, formidable conteur juif, Kafka éprouve la puissance qui se dégage de la notion de communauté, motif structurant des récits comme Joséphine la cantatrice ou encore Chacals et Arabes. La communauté permet un échange et une solidarité que Kafka ressent au contact de la troupe de Löwy. On remarque que, dès lors, il recourt au pronom « nous » pour désigner la communauté juive, à laquelle il prétend appartenir, notamment dans cette évocation de Flora Klug lors d’une représentation au café Savoy :
- 26 Jounal, 5 octobre 1911, p. 94-95 ; Tagebuch, p. 59.
Certaines chansons, l’expression jüdische Kinderlach, le spectacle de cette femme qui, parce qu’elle est juive, nous attire vers elle sur l’estrade, nous autres spectateurs, parce que nous sommes juifs, sans désir ou curiosité à l’égard des chrétiens, m’ont fait passer un frisson sur les joues26.
25Toutefois, une des découvertes majeures, qui comble l’aspiration de Kafka à s’intégrer à une communauté de culture et de langage, et qui lui confère l’épaisseur existentielle dont il manquait jusqu’alors, est la découverte du yiddish. Cette langue est celle du théâtre populaire juif, où l’accent est mis essentiellement sur des faits quotidiens, alimentés de mille péripéties qui lui confèrent une couleur folklorique et une profonde chaleur humaine. Même si Kafka prend conscience de l’indigence du mouvement dramatique des pièces jouées par la troupe de Löwy, leur parler authentique et coloré le fascine. À l’époque, il passe pour un plus ardent défenseur du yiddish que les sionistes, qui, travaillant au rassemblement des juifs de la diaspora, tentent d’établir l’hébreu classique comme langue commune. Ils méprisent le yiddish, dont les thèmes, le manque de grammaire et les emprunts à de multiples langues sont à leurs yeux les résidus de la mentalité du ghetto.
26Le 18 février 1912, Kafka entreprend donc de défendre cette langue à laquelle il se sent attaché, et il prononce dans la salle des fêtes de la maison commune juive de Prague un discours d’ouverture à une soirée de récitations de Löwy pour la fondation Bar Kochba. Face à des juifs bourgeois occidentaux plutôt hostiles, il fait l’éloge paradoxal d’une culture de l’Est à laquelle il n’appartient pourtant pas, d’une langue yiddish qu’il ne connaît pas encore, et en filigrane de ce Discours sur la langue yiddish se tisse la critique voilée d’un judaïsme occidental dont il ressent toute la dégénérescence. Kafka dit par exemple de Löwy :
27Ce qui fascine en fait Kafka dans le yiddish, qu’il désigne dans son discours sous le nom de « jargon », est moins la langue d’une communauté religieuse que d’un peuple qui a connu l’errance et qui, comme lui, possède une vivacité et un dynamisme expliquant sa richesse et son instabilité foncière :
- 28 Journal, p. 1142 ; Tagebuch, p. 149-150. Sur les rapports de Kafka et du yiddish, on consultera l’ (...)
Le yiddish est la plus jeune des langues européennes, il n’a que quatre cents ans [...]. Il n’a élaboré aucune forme linguistique qui soit douée de la clarté dont nous avons besoin. Son expression est concise et rapide. Il n’a pas de grammaire [...]. Il ne se compose que de vocables étrangers, mais ceux-ci ne sont pas immobiles au sein de la langue, ils conservent la vivacité et la hâte avec laquelle ils furent empruntés28.
28En effet, le yiddish est une langue rebelle à toute autorité, qui n’est codifiée par aucune grammaire et se transforme continuellement, intégrant sans cesse de nouveaux dialectes. De plus, au cours de son développement, le yiddish s’est fait le creuset d’une multitude de langues, mêlant des expressions allemandes, hébraïques, françaises, anglaises, slaves, hollandaises, roumaines et latines.
29De fait, depuis sa naissance au xe siècle jusqu’au xviiie siècle, le yiddish a été la seule langue vernaculaire des juifs d’Europe centrale, de la Hollande à l’Ukraine et la Lituanie : formé à partir de la fusion de plusieurs dialectes allemands du Moyen Âge et de matériaux hébréo-araméens et slaves, il s’est progressivement développé comme idiome de communication. Mais durant la première période de son histoire, jusqu’en 1250, le yiddish a été majoritairement imprégné des langues européennes, puisque c’était là la langue des juifs du nord de la France et de l’Italie, qui avaient fondé leurs premiers établissements dans les territoires de langue germanique. Durant une seconde période, de 1250 à 1500, les locuteurs du yiddish sont entrés en contact avec les mondes slave et judéo-slave dans le sud-est de l’Allemagne, jusqu’en Bohême et en Pologne. Une langue yiddish littéraire assez uniforme s’est alors développée : écrite en caractères hébraïques et compréhensible par les locuteurs de l’est et l’ouest de l’Europe, elle a progressivement supplanté le yiddish parlé. Pendant une troisième phase, entre 1500 et 1700, caractérisée par la forte poussée démographique du monde ashkénaze en Europe centrale, les formes dialectales se sont multipliées, sans cependant altérer la langue écrite. Mais à partir de 1700, on a assisté à un déclin progressif du yiddish en Europe occidentale ; l’ancien yiddish littéraire a alors disparu et, avec l’émancipation, les intellectuels de la Haskalah ont cherché à éliminer le yiddish du monde ashkénaze et à le remplacer par l’allemand et l’hébreu. En Europe de l’Est, dès 1820, s’est pourtant formé un nouveau yiddish littéraire fondé sur le dialecte oriental, validé et identifié lors de la conférence de Tschesnowitz en 1908.
- 29 Voir Ritchie Robertson, Kafka. Judentum. Gesellschaft. Literatur, Stuttgart, Metzler, 1988, p. 34. (...)
30Le discours de Kafka sur la langue yiddish se situe donc dans ce contexte de renouveau du yiddish et de profonde divergence d’attitudes entre juifs d’Europe orientale et occidentale à l’égard d’une langue rejetée par certains et adulée par d’autres. Or, face aux langues entre lesquelles se meut Kafka, l’allemand, langue véhiculaire, bureaucratique, commerciale et culturelle, et le tchèque, langue vernaculaire, maternelle, le yiddish incarne la langue mythique, refoulée et redoutée à la fois, tant elle est riche et insaisissable, profondément autre par essence. Dans son discours, Kafka poursuit donc deux buts29 : d’une part, démontrer que le yiddish est dérivé du moyen-haut allemand, et, par là, le rendre plus respectable ; d’autre part, lutter contre la réticence à l’égard de ce jargon en réactivant l’affinité intuitive des sionistes avec le yiddish, qui ne peut se comprendre et se ressentir que par le cœur :
- 31 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Kafka. Pour une littérature mineure, Paris, Éditions de Minuit, (...)
31Cette langue dynamique, agressive et mouvante opposée aux langues installées amène Kafka à réfléchir sur la fonction politique d’une littérature mineure nécessairement révolutionnaire puisqu’elle concerne une faible minorité en lutte contre l’autorité en place et contre la tradition qu’elle incarne. Comme le précisent Deleuze et Guattari31, une littérature mineure n’est pas celle d’une langue mineure, mais plutôt celle qu’une minorité, en l’occurrence les juifs de Varsovie ou de Prague, crée au sein d’une langue majeure :
- 32 Ibid., p. 31.
Comment arracher à sa propre langue une littérature mineure ? [...] Comment devenir le nomade et l’émigré et le tzigane de sa propre langue32 ?
- 33 Ibid., p. 34.
- 34 Kafka journal, 25 décembre 1911, p. 197-198 ; Tagebuch, p. 326.
- 35 Journal, 25 décembre 1911, p. 194 ; Tagebuch, p. 313.
32Les caractéristiques de cette littérature sont les suivantes : tout d’abord, la langue y est affectée d’un fort coefficient de « déterritorialisation », qui se marque dans le sentiment de la distance irréductible entre l’allemand parlé à Prague et la « territorialité » rurale tchèque, que les juifs de Prague ont progressivement abandonnée. Mais cette déterritorialisation concerne également la langue allemande, coupée des masses et du peuple et réduite à n’être qu’une « langue de papier ». D’autre part, l’espace étroit qui est échu à cette littérature fait que toute affaire individuelle y devient immédiatement politique : tout y prend une valeur collective car cette littérature est l’affaire du peuple tout entier, produit une solidarité active et devient par là une « machine collective d’expression33 ». Aux yeux de Kafka, le yiddish paraît recéler les principales caractéristiques de toute langue mineure34 : la vivacité, la souplesse des formes, l’absence de principes, le choix de thèmes mineurs, la formation facile de symboles, la popularité, la connexion avec la politique et la foi en la littérature. Cette littérature mineure devient alors le « journal tenu par une nation35 », tant elle est inséparable de l’histoire du peuple :
- 36 Journal, 25 décembre 1911, p. 196 ; Tagebuch, p. 315.
Les exigences que la conscience nationale pose à l’individu au sein d’un petit peuple font que chacun doit toujours être prêt à connaître la part de littérature qui lui revient, à la soutenir et à lutter pour elle36.
33À travers le yiddish, Kafka découvre le lien étroit entre l’expression verbale d’un individu et son appartenance à une communauté :
- 37 Journal, octobre 1911, p. 100 ; Tagebuch, p. 68.
Désir [...] de connaître la littérature yiddish à laquelle est manifestement assignée sans interruption la position de combat qui détermine toutes les œuvres. Position [...] qu’aucune littérature, fût-elle celle du peuple le plus opprimé, ne tient d’une manière aussi constante37.
34Dès lors, ce désir de communauté va déterminer le retour de Kafka au judaïsme, le dévoilement de ses origines jusque-là refoulées et qui deviendront si essentielles dans sa vie et son œuvre.
Le judaïsme
35Le retour de Kafka à un judaïsme oublié se fait véritablement par la voie du langage, du théâtre et des anecdotes de Löwy. Son intérêt le porte tout d’abord vers l’histoire des coutumes et traditions du peuple juif. Dès le 1er novembre 1911, il se plonge dans la lecture de l’Histoire des juifs de Graetz, puis découvre en 1912 l’Histoire de la littérature judéo-allemande de Pines, deux ouvrages de référence chez les intellectuels juifs aspirant à la redécouverte de leurs origines.
- 38 Journal, 25 décembre 1911, p. 198 ; Tagebuch, p. 316.
- 39 Journal, p. 143 ; Tagebuch, p. 225.
- 40 Journal, p. 143 ; Tagebuch, p. 224.
- 41 Journal, 25 décembre 1911, p. 199 ; Tagebuch, p. 318-319.
36De novembre 1911 à janvier 1912, son Journal fourmille de détails concernant les rites de la communauté religieuse juive : il évoque en 1911 une circoncision en Russie38, la fête de Pessah39, la mort du grand-père de Löwy40 ainsi que de son très pieux arrière grand-père maternel, prénommé Amschel, comme lui-même41. L’idée de pureté, à laquelle Kafka aspire pour son écriture, imprègne alors toutes les évocations du rituel juif :
- 44 Journal, 30 octobre 1911, p. 133 : « Ce désir que j’ai presque toujours d’entasser en moi les imag (...)
37Cette idée de pureté sous-tend également les rêves de « terribles audaces alimentaires » que notre diariste évoque en 1911 en associant l’idée de saleté à la transgression de l’interdit religieux44.
- 45 Journal, 7 janvier 1912, p. 218-221 ; Tagebuch, p. 352-356.
- 46 Journal, 26 janvier, p. 224-225 ; Tagebuch, p. 362-364.
38Kafka s’intéresse également au mouvement de renouveau culturel juif. En 1912, il évoque les Jechivot, des collèges talmudiques45, puis le mouvement Haskalah créé par Mendelssohn au début du xviiie siècle46 et qui prétendait instruire le peuple par l’intermédiaire d’une littérature éclairée. Les carnets de 1911-1912 sont parsemés de comptes rendus de conférences auxquelles Kafka assiste fréquemment. De plus, à l’instigation de Löwy, il découvre les œuvres des grands auteurs yiddish, qu’il recommandera à son tour à Felice en 1916. L’humoriste Shalom Aleikhem, Isaac Leib Peretz, Bialik, ou encore Morris Rosenfeld, pionnier du lyrisme yiddish, lui donnent le désir d’approfondir sa connaissance de l’histoire juive :
- 48 Gerschom Scholem, Fidélité et utopie. Essais sur le judaïsme contemporain, Paris, Presses Pocket, (...)
39Gerschom Scholem48 déclare avoir partagé avec Kafka ce désir de remémoration d’origines jusque-là oubliées. En 1917, Kafka décide également d’apprendre l’hébreu, qu’il parlera correctement à la fin de sa vie. De plus, durant cette période, il s’initie au sionisme, qui n’a cessé de se développer après l’émigration d’Eliezer Ben Yehuda en Palestine en 1881. Depuis, Theodor Herzl a écrit L’État des juifs, puis réuni à Bâle en 1897 le premier congrès sioniste et fondé l’association sioniste mondiale, L’idée sioniste remporte des succès notables. Ainsi lors de la déclaration Balfour en 1917, où la Grande-Bretagne approuvera la création d’un foyer juif national, puis lors du traité de Versailles, qui accordera aux juifs la protection de leurs droits et leur représentation politique, et en 1920, où la SDN accordera à la Grande-Bretagne un mandat pour administrer la Palestine.
40Kafka se sent concerné par ce mouvement qui prend une importance croissante au début du siècle : il lit des ouvrages sur la question – il est abonné aux revues sionistes Palästina et Selbstwehr –, participe à des réunions organisées par des sionistes, notamment au cercle d’étudiants Bar Kochba. En 1913, il se rend au congrès sioniste à Vienne et suit avec un grand intérêt le déroulement des événements en Palestine. Il rencontre également des pionniers du sionisme ou des responsables comme Lise Weltsch, présidente de l’association féminine sioniste, ou encore Hugo Bergmann et sa sœur Ottla, également très engagée. Mais notre diariste restera pourtant toujours un observateur distant et critique du sionisme. S’il loue Felice pour son action au sein du foyer juif de Berlin en 1913, s’il assiste assidûment aux conférences de Brod et aux rencontres des groupes sionistes, il n’en reste pas moins sceptique :
- 49 Journal, 25 mars 1915, p. 385 ; Tagebuch, p. 733.
Hier, conférence de Max. Religion et nation [...]. Citations du talmud, juifs de l’Est [...]. La vie juive sentie comme une chose qui va de soi. Mon trouble49.
- 50 Journal, 8 janvier 1914, p. 330 ; Tagebuch, p. 622.
Qu’ai-je de commun avec les juifs ? C’est à peine si j’ai quelque chose de commun avec moi-même50.
41En fait, malgré un projet de départ en Palestine avec Dora Diamant, sa dernière compagne, issue d’un foyer hassidique, Kafka ne se rendra jamais en Palestine et ne se convertira jamais véritablement : la méfiance contre tout chauvinisme, toute possession d’une langue et d’une terre précises restera toujours ancrée en lui. Refusant un sionisme intégral, Kafka démontre également, dans L’Amérique et Le Château, à travers les personnages de Rossmann et de K., figures du juif errant, l’impossibilité de l’intégration et l’assimilation des juifs orientaux dans une société fortement imprégnée par des valeurs occidentales.
42Ainsi se résume toute l’ambiguïté du problème juif chez Kafka. S’il ne cesse d’affirmer l’importance de la littérature juive, il la pondère en évoquant le sionisme, qui, en proposant aux juifs un rôle actif dans le monde terrestre et une réconciliation avec leur passé, a permis d’élargir aux dimensions de l’univers une communauté jusqu’alors repliée sur son intériorité :
- 51 Journal, 16 janvier 1922, p. 520 ; Tagebuch, p. 878.
Toute cette littérature est assaut contre les frontières, et si le sionisme n’était pas intervenu, elle aurait pu aboutir à une nouvelle doctrine secrète, à une kabbale51.
- 52 Michaël Löwy, Rédemption et utopie. Le Judaïsme libertaire en Europe centrale, Paris, PUF, 1988 (« (...)
43Michaël Löwy52 compare le rapport complexe de Kafka avec le judaïsme à l’attitude de Walter Benjamin, qui, comme lui, n’est ni totalement religieux, ni tout à fait assimilé, ni sioniste, ni révolutionnaire engagé, mais traversé de courants contradictoires Kafka trouve dans la communauté juive une patrie, mais il ne s’y identifie jamais totalement. Il ne s’abandonnera jamais totalement au sionisme romantique et culturel de ses amis ou de sa sœur Ottla. Jusqu’en 1917, le judaïsme représente surtout une tradition, incarnée par des hommes : Löwy, les dramaturges du théâtre yiddish, Felice, Ottla, Welsch, Brod et Martin Buber.
- 53 Kafka, Journal, juillet 1916, p. 417 ; Tagebuch, p. 792.
44Ce n’est qu’en 1917-1918 que Kafka s’intéresse au Talmud et à la Torah, se penchant plus particulièrement sur l’Ancien Testament, cité, commenté ou évoqué dans bien des notations des derniers cahiers ainsi que dans nombre d’aphorismes des Méditations sur le péché, la souffrance, l’espoir et le vrai chemin. Il écrit ainsi en 1916 : « Seul l’Ancien Testament voit. N’en rien dire encore53. » Dès cette date, les notations du Journal prennent la forme de véritables prières :
- 54 Journal, juillet 1916, p. 417 ; Tagebuch, p. 794.
- 55 Journal, juillet 1916, p. 418-419 ; Tagebuch, p. 798.
Prends-moi, prends-moi, tissu de folie et de douleur54. Aie pitié de moi, je suis pécheur jusque dans les moindres recoins de mon être [...]. Ne me rejette pas vers les réprouvés [...]. Donne-moi seulement le repos de mes nuits55.
- 56 Michaël Löwy, op. cit., p. 92-93.
45On peut dès lors s’interroger sur la nature de la foi de Kafka. Michael Löwy56 précise que, comme c’est le cas pour tous les intellectuels juifs d’Europe centrale, son rapport au judaïsme est tardif et précédé d’une immersion profonde dans la culture allemande. Comme la génération des intellectuels juifs de la Mitteleuropa nés dans le dernier quart du xixe siècle, tels Scholem, Lukacs, Landauer, Bloch ou Benjamin, il puise dans des sources allemandes : sa critique, héritée du romantisme anticapitaliste de la fin du xixe siècle, vise le progrès de la civilisation industrielle et capitaliste, dénoncée dans L’Amérique ; elle est accompagnée d’une nostalgie de communauté égalitaire et d’un penchant à la révolte anti-autoritaire teintée de socialisme libertaire. Son œuvre reflète également un intérêt accru pour le messianisme et son idée de rédemption rompant avec l’idée d’un progrès historique ininterrompu et d’un perfectionnement graduel de l’humanité. Or, chez les penseurs juifs d’Europe centrale, il n’y a pas rupture entre l’idéal libertaire nostalgique de la communauté paysanne traditionnelle et la théorie messianique de la catastrophe qui prône cataclysme révolutionnaire comme transition nécessaire entre le présent historique et l’avenir messianique. Le changement apporté par El Ketz, le temps des fins messianiques de l’histoire, ne peut être que général, universel et fondateur d’un monde radicalement autre, où la composante anarchique de renversement des puissants de ce monde au profit de la théocratie est fondamentale. Kafka écrit en 1917 :
- 57 Kafka, Journal, 30 novembre 1917, p. 453 ; Beim Bau, p. 180.
- 58 Journal, p. 105 ; Beim Bau, p. 182.
Le Messie viendra dès l’instant où l’individualisme le plus déréglé sera possible dans la foi57.
Le Messie ne viendra que lorsqu’il ne sera plus nécessaire, il ne viendra qu’un jour après son arrivée, il ne viendra pas au dernier, mais au tout dernier jour58.
- 59 Yoram Bar-David, op. cit., t. II, p. 920-950.
46Comme le démontre Yoram Bar-David59, Kafka se nourrit aux sources vives de la foi juive dont il applique les principaux préceptes. Comme l’indique son Journal, il sait tout des commandements (mitsvot) qui constituent le noyau central de la religion juive : la prière en commun, le régime alimentaire spécifique, le bain rituel, la loi d’harmonie familiale, le mariage comme accomplissement de l’homme et de la femme, l’adéquation entre la prière, l’écriture et l’attention à autrui. De plus, il incarne les qualités essentielles du célibataire tsaddiq, juste, honorant ses parents, renonçant à l’amour d’une femme unique pour l’amour de tous les êtres, confiant en la fonction rédemptrice de la littérature. Yoram Bar-David va même jusqu’à parler du hassidisme de Kafka, qui, comme tout juif pieux (hassid), fait montre d’humilité, de volonté, de sagesse, d’amour du prochain et de rayonnement tout en démontrant par sa vie et par son écriture son aptitude à assumer les souffrances et le destin de l’humanité.
- 60 Kafka, Préparatifs, 7 décembre 1917, p. 106 ; Beim Bau, p. 183.
- 61 Voir Michaël Löwy, op. cit., p. 97.
47Mais si l’homme manifeste les qualités d’un juif ancré dans la tradition, on remarque dans les notes du Journal et les Aphorismes une hésitation permanente de l’écrivain entre le doute et la foi. Tantôt, il exprime sa confiance en l’« indestructible », tantôt un scepticisme absolu qui l’amène à écrire : « Le ciel est muet, ne fait écho qu’au muet60. » Si une atmosphère de religiosité se dégage de ses grands romans inachevés, le seul passage faisant figure d’allégorie positive de la rédemption est le dernier chapitre de L’Amérique, où le théâtre d’Oklahoma est l’espace de réconciliation de l’individu avec son histoire61. Au cours d’entretiens avec Brod, Kafka aurait même évoqué son intention de clore ce chapitre par une fin heureuse, une atmosphère de paradis retrouvé. Mais cette thèse semble contredite par la note de 1915 du Journal, où Kafka note que Rossmann et K, l’innocent et le coupable, sont finalement tous deux exécutés.
48Chez Kafka, le messianisme prend donc un caractère négatif. Le gardien de la porte de la parabole « Devant la loi » dans Le Procès, ou les fonctionnaires du Château ne paraissent nullement représenter la divinité. Klamm lui-même, qui pourrait figurer le Dieu caché de l’Ancien Testament, porte un nom qui signifie « l’illusion » en tchèque et qui ne saurait donc nullement faire de lui un substitut du divin ; bien au contraire, toutes ces figures incarnent le monde de l’apparence trompeuse et de la non-liberté. La rédemption messianique, inscrite en négatif dans ces récits, ne se réduit pas pour Kafka à la seule rédemption par le Messie. Elle est d’abord l’œuvre des hommes eux-mêmes, et l’arrivée du Messie ne sera que la sanction religieuse d’une autorédemption humaine. C’est là un des grands principes de la kabbale de Louria, pour qui l’œuvre du Tiqqoun, de la rédemption, présuppose l’intervention humaine. Et c’est aussi la leçon qui se dégage du récit Chacals et Arabes, où Kafka critique l’attente passive d’un sauveur suprême et prône implicitement une conception active et universaliste du messianisme. On rejoint ici l’analyse de Scholem, qui, dans une lettre adressée à Benjamin, exprime cette idée d’une théologie négative. Il écrit ainsi ces quelques vers adressés au Dieu absent du Procès, auquel il fait clairement allusion :
- 63 Voir Gerschom Scholem, Fidélité et utopie, op. cit., p. 135.
49Walter Benjamin découvre dans le monde de Kafka l’inversion négative des catégories juives et parle63 d’une théologie négative qui a perdu le sens positif de la révélation, mais n’a rien perdu de son intensité :
- 64 Walter Benjamin, Brief an Scholem, 11. 8. 1934, in Benjamin über Kafka, op. cit., p. 78.
Le fait que je ne nie pas l’aspect de la révélation dans l’œuvre de Kafka vient du simple fait que j’y reconnais l’aspect du messianisme. La catégorie du messianisme de Kafka est « l’inversion » ou « l’étude64 ».
50Benjamin écrit également à Scholem :
- 65 Ibid., Benjamin an Scholem, 20 juillet 1934, p. 16-77.
J’ai retiré de montrer comment c’est au revers de ce néant, dans sa doublure, si j’ose dire, que Kafka a cherché à effleurer du doigt la rédemption65.
51C’est donc dans ce néant que Kafka chercherait la rédemption : Le Procès et Le Château figureraient un monde désespéré, livré à l’absurde et où la rédemption messianique ne se manifesterait qu’en creux, par la non-présence de Dieu et la non-rédemption de l’homme en ce monde. À cette theologia negativa correspond, sur le terrain politique, une utopia negativa, un anarchisme négatif qui apparaît à travers la critique de la bureaucratie, la hiérarchisation de l’autorité et l’absence de liberté individuelle dans Le Procès et Le Château. Lorsque Kafka a commencé à travailler au Bureau des assurances sociales à Prague, il a fréquenté des milieux anarchistes et participé aux assemblées du mouvement anarchiste tchèque, d’orientation anarcho-syndicaliste. En 1909-1910, il assiste à de nombreux meetings anarchistes ainsi qu’à une manifestation en souvenir de la Commune de Paris et contre la guerre en 1911, et, en 1912, à une manifestation contre l’exécution de l’anarchiste Liabeuf à Paris. D’autre part, il montre alors un intérêt réel pour l’œuvre de Bakounine et celle de Kropotkine, qu’il mentionne dans son Journal ou lors d’une conversation avec Janouch, auquel il vante également les écrits de Ravachol et Proudhon.
- 66 Laurent Cohen, op. cit.
- 67 Philippe Zard, La Fiction de l’Occident. La Figuration romanesque de l’Occident dans des œuvres de (...)
52Cependant, si cette tendance libertaire semble se limiter aux années 1909-1912, date à laquelle Kafka cesse de participer aux actions des anarchistes tchèques pour se rapprocher des cercles juifs sionistes de Prague, son intérêt critique pour le capitalisme reste constant, incarnant pour lui l’autorité et le monde de la non liberté. Cet anti-autoritarisme se manifeste également dans L’Amérique, où les figures paternelles, comme le père du Verdict et du Monde citadin, rejettent Karl : il s’agit là de son père et son oncle Jakob ainsi que des figures de l’autorité administrative, le chef du personnel et le portier en chef. On peut même, avec Cohen66 et Zard67 voir cet anti-autoritarisme de Kafka cristallisé dans la statue de la Liberté, à New York, armée d’une épée, et qui symbolise moins la justice que la force nue et préfigure la violence des rapports sociaux et des injustices auxquelles Karl sera soumis. On sait que la principale source de L’Amérique a été l’ouvrage du socialiste juif Arthur Holitscher, L’Amérique aujourd’hui et demain (Amerika heute und morgen), publié en 1912, et qui développait une critique acerbe du taylorisme et de la civilisation capitaliste américaine sous-tendue d’une hostilité morale et religieuse contre le progrès et d’une nostalgie de la communauté traditionnelle. Kafka s’inspire également dans son roman de la critique néo-romantique développée par le cercle sioniste-culturel Bar Kochba, lorsqu’il décrit par exemple le travail mécanisé des employés de l’oncle Jacob, le travail harassant des grooms de l’hôtel Occidental, ou le bruit envahissant de la grande ville américaine. On retrouve cette dénonciation de l’autorité et l’arbitraire dans La Colonie pénitentiaire, mise en abyme critique du colonialisme français. Les commandants de la colonie sont français, tandis que les soldats, les docteurs et les victimes sont des indigènes qui ne comprennent rien de cette langue et sont dominés par une autorité absurde, fétichisée par la machine. Quant au Procès et au Château, loin d’être, comme le proposait Brod, des allégories de la Grâce et la Justice, ils figurent également une autorité froide et impersonnelle, Le Château mettant en scène un monde réifié, soumis à un pouvoir désincarné.
53On peut donc bien parler d’une utopie libertaire en négatif. Kafka présente un état de non-rédemption du monde, que sous-tend cependant l’idée d’une attente de salut. Mais celle-ci ne semble pas aller sans une démarche volontaire et anarchisante de l’homme, seul apte à dénoncer les aliénations existantes et à agir pour changer le monde : il faut donc maintenir attente et espoir, malgré un pessimisme et une lucidité permanents par rapport à un monde que l’homme sait par essence chaotique.
54Si le judaïsme est une expérience centrale de la vie de Kafka, il constitue aussi un thème constamment présent dans son œuvre, dans les portraits d’acteurs juifs, les comptes rendus de lectures, de spectacles ou de conférences. À partir de 1917 apparaissent également dans les œuvres de fiction de Kafka des personnages incarnant le juif, tel Bloch dans Le Château, ou encore le chien dans Les Recherches d’un chien. Cet animal réapparaît dans la phrase finale du Procès et dans le Journal. La fréquence de cette figure canine est en fait liée à un usage des juifs d’Europe occidentale, riches et assimilationnistes, qui traitaient fréquemment les juifs de l’Est de chiens. On retrouve d’ailleurs cet usage péjoratif de l’image du chien dans une phrase prononcée par le père de Kafka contre Löwy, qu’il méprisait profondément, au cours d’une conversation qui a très probablement inspiré la dispute du père et du fils au sujet de l’ami de Georges Bendemann, dans Le Verdict :
- 68 Journal, 3 novembre 1911, P. 142 ; Tagebuch, p. 223.
Löwy – Mon père parlant de lui : « Qui se couche avec des chiens se lève avec des puces68. »
55On retrouve cette figure canine dans Les Recherches d’un chien. Le chien qui parle, et où l’on peut voir une incarnation de Kafka lui-même, évoque le rapport distant et ambigu qu’il entretient avec les autres chiens, ses congénères, rappelant ainsi la note du Journal où Kafka mentionnait son trouble face aux juifs religieux qu’il observait. Dans cette nouvelle, le chien déclare en effet :
- 69 Kafka, Les Recherches d’un chien, Œuvres II, p. 674 ; Forschungen eines Hundes, in Das Ehepaar, p. (...)
Il y avait une petite fêlure ; un léger malaise s’emparait de moi au cours des cérémonies les plus vénérables de notre peuple, et parfois même dans mon milieu familier [...]. Le simple spectacle d’un congénère chien qui m’était cher pouvait [...] m’emplir d’embarras, de frayeur, de désarroi et même de désespoir69.
56On est même en droit de se demander si Kafka ne fait pas ici implicitement référence à sa rencontre avec la troupe de Löwy :
- 70 Ibid., p. 677-678 ; Forschungen, p. 51.
Je rencontrai [...] une petite troupe de chiens [...]. Je venais alors de cheminer longtemps dans les ténèbres, dans le pressentiment de grands événements [...]. Je m’arrêtai tout à coup avec l’impression d’être parvenu au bon endroit [...]. Tout était musique [...] Certains mouvements qu’ils faisaient avec la tête [...], les attitudes qu’ils prenaient l’un envers l’autre70.
57Il s’agit là sans aucun doute, sinon de la troupe des acteurs yiddish, du moins de la description d’une communauté juive où le héros trouve enfin sa place et son identité.
58Un autre animal figure également de manière encore plus explicite la judéité. Il s’agit du singe de Communication à une académie, qui exhibe sa cicatrice attestant de son passé simien, laquelle symboliquement, figure la circoncision juive :
- 71 Kafka, Communication à une académie, Œuvres II, p. 512 ; Ein Bericht für eine Akademie, in Ein Lan (...)
Lorsque j’ai des visites, je retire volontiers mon pantalon pour montrer le point d’impact de cette balle [...]. J’ai bien le droit, moi, d’ôter mon pantalon devant qui bon me semble. On n’y trouvera jamais qu’une fourrure bien soignée et la cicatrice d’un tir sacrilège71.
- 72 Kafka, Joséphine la cantatrice ou le peuple des souris, Récits, p. 783 ; Josefine die Sängerin ode (...)
59La nouvelle intitulée Joséphine la cantatrice peut également être interprétée comme une tentative d’autodénigrement de l’artiste, tout du moins comme une prise de conscience désabusée de la vanité de ses efforts pour sauver son peuple par le chant. De fait, selon les kabbalistes, le chant possède une puissance sacrée et rédemptrice, puisqu’il est censé attirer la bénédiction de Dieu sur les hommes. Or, dans ce récit, le chant de Joséphine la souris se réduit à un sifflement dissonant, qui répond lui-même au langage disharmonieux du peuple : « Le sifflement est le langage de notre peuple72. » Serait-ce là une allusion au yiddish, décrié comme langue impure par certains ? Ce sifflement peut également désigner le langage humain et poétique, tous deux enlisés dans les pesanteurs terrestres et inaptes à se faire prière, à s’élever au pur et à l’« indestructible ». En outre, ce récit, écrit en 1923, à la fin de la vie de Kafka, contient une critique sévère de l’aspiration passive au salut du peuple juif, clairement défini, comme dans les entretiens avec Janouch, comme peuple vieux :
- 75 Joséphine, p. 782 ; Josefine, p. 285.
60Dans le récit de Joséphine, il décrit ainsi son peuple : « Notre peuple n’est pas seulement enfantin, il est aussi précocement vieux75. » De même que dans Chacals et Arabes, où l’on assiste à une critique ironique de l’attente du sauveur suprême teintée d’un rêve de vengeance sanglante en contradiction avec la conception universaliste du messianisme juif, ce sont l’aspiration passive au salut et la propension de ce peuple juif au sacrifice qui sont dénoncées dans Joséphine :
- 76 Joséphine, p. 779 ; Josefine, p. 283.
Il est trop facile de se poser en sauveur de ce peuple [...] qui s’est toujours sauvé lui-même [...] fût-ce au prix de sacrifices [...] devant lesquels les historiens restent pétrifiés d’épouvante76.
61C’est sans doute cette même propension au sacrifice que Kafka veut stigmatiser en écrivant le jeûne d’Un champion de jeûne et qui réapparaît constamment à travers le motif du couteau dans le Journal :
- 77 Kafka, Journal, 2 novembre 1911, p. 140 ; Tagebuch, p. 220.
Ce matin, pour la première fois depuis longtemps, j’ai pris plaisir à imaginer un couteau qui se retournait dans mon cœur77.
62Kafka maintient toujours une distance critique et souvent ironique à l’égard du peuple juif, dont il ne se sentira jamais totalement solidaire, les rapports qu’il entretient avec les textes canoniques du judaïsme et avec la tradition kabbalistique sont des plus étroits. Des thèmes de l’Ancien Testament, il retient la distinction essentielle entre le Bien, assimilé au monde divin, et le Mal, indissolublement lié au monde sensible, bien que ce dernier soit lié au monde invisible et à la lumière qui émane du divin, mais que les faibles yeux humains ne savent voir :
- 79 Préparatifs, § 85, p. 59-60 ; Beim Bau, p. 242.
Ce qui est à proprement parler apparence, ce n’est pas le monde sensible, mais son Mal, lequel, il est vrai, constitue le monde sensible à nos yeux79.
63De fait, le monde terrestre est un monde de la faute et de l’erreur, où l’homme est condamné à une errance et une quête perpétuelles :
- 80 Préparatifs, p. 88 ; Beim Bau, p. 163.
Vus avec l’œil souillé qui est le nôtre en ce monde, nous sommes dans la situation de voyageurs de chemin de fer retenus dans un long tunnel par un accident, et ceci à un endroit où on ne voit plus la lumière du commencement et où la lumière de la fin est si minuscule que le regard doit sans cesse la chercher et la perd sans cesse80.
64Le thème du tunnel de chemin de fer resurgit dans Souvenir du chemin de fer de Kalda, qui thématise la solitude d’un être humain livré à lui-même dans un environnement désert et hostile, et qui figure symboliquement la solitude de Kafka après sa première séparation avec Felice. De plus, cette ligne de chemin de fer, qui s’arrête en rase campagne, loin de la ville de Kalda – l’homophonie avec « Kafka » est à cet égard éclairante –, est à jamais inachevée, comme la muraille de Chine, et inutile, comme la vie de Kafka à ses propres yeux. Enfin, la cabane de l’employé du chemin de fer ne contient qu’un lit et un pupitre, attributs habituels de l’écrivain, et toute sa vie de solitaire semble se réduire à la volonté de se protéger du monde extérieur : c’est là une représentation caricaturale de la vie de Kafka lui-même, mais aussi de la destinée de l’homme, seul et perdu dans un monde où il s’isole volontairement, passant ainsi à côté de la vraie vie. Quant à la métaphore du tunnel, qui réapparaît sans la célèbre phrase de Kafka rapportée par Max Brod :
- 81 Max Brod, « Uyttersprot korrigiert Kafka », Forum 43 / 44, 1957, p. 265.
On doit écrire comme dans un tunnel obscur, sans savoir comment les figures se développeront81,
- 82 Voir Karl Erich Grözinger, Kafka und die Kabbala. Das Jüdische im Werk und Denken Franz Kafkas, Fr (...)
65elle symbolise la part d’erreur et d’aveuglement inhérente à la condition humaine, dont l’homme ne doit jamais oublier qu’elle est une entrave à la création la plus haute. Kafka retient également maints thèmes de la Kabbale82. Tout d’abord, la légende du gardien de la porte et la thématique du procès, éléments essentiels de la mystique juive depuis le Zohar du xiiie siècle. Ce thème du procès permanent de l’homme par Dieu, qui sous-tend Le Procès, Le Château et Le Chasseur Gracchus, est hérité de la mystique juive, selon laquelle l’homme peut agir sur terre et sera jugé par Dieu d’après sa faculté à accomplir ses commandements, à aimer son prochain, à prier et à mener une vie juste à l’appui de l’étude de la Torah et du Talmud. Le juif croyant doit travailler à sa rédemption sur terre et est jugé annuellement, entre le nouvel an et le Yom Kippour, date où la communauté des croyants, tel l’homme devant la porte dans la parabole du Procès, crie à Dieu : « Ouvre-nous la porte ! » Deux thèmes dominent alors la théologie du nouvel an : le procès de l’homme par Dieu ainsi que l’ascension aux portes du ciel après la mort. Ainsi toute l’histoire et la vie humaines sont-elles perçues comme un processus et un procès permanent de l’individu, qui peut travailler en ce monde à sa rédemption, par la « Theurgie », la capacité à bien se comporter, à agir en « Juste ».
66De plus, la structure même du monde est celle d’un tribunal ; on y assiste à une constante alternance entre des éléments positifs, qui soutiennent l’individu sans son combat terrestre – ce sont, dans l’univers de Kafka, les aides, les femmes et les intermédiaires – et les forces négatives : la hiérarchie, les fonctionnaires de l’appareil judiciaire dans Le Procès, ou du château dans Le Château. La hiérarchie est inhérente à la structure kabbalistique du monde, perçu lui-même comme une structure faite de substances intelligibles, émanant de la lumière divine : les dix sefirot, qui forment le modèle de toute existence humaine et constituent les piliers de la sagesse commune à Dieu et aux hommes. Ces sefirot, courroies de transmission de la pensée, la parole et l’action divines, représentent les trois grandes forces en action dans le monde, soit entre Dieu et les hommes, soit entre les hommes eux-mêmes : il s’agit de la justice, la miséricorde et l’amour, trois valeurs incarnées dans la vie et l’œuvre de Kafka. Elles embrassent chacune trois autres valeurs ; à la rigueur sont adjointes l’intelligence, la mesure et la soumission, à la miséricorde, la volonté, l’harmonie et le fondement, à l’amour la pensée, la grâce et la victoire. Ces dix valeurs se retrouvent dans les récits de la création du monde, créé en dix paroles, de la loi, donnée en dix commandements, et l’homme lui-même est un microcosme qui contient en lui ces dix forces universelles et doit, dans sa vie parvenir à un subtil équilibre de ces dix sefirot.
67Un troisième thème hérité de la tradition kabbalistique est celui de l’animal. Selon la Kabbale, l’expiation du châtiment imposé par Dieu à l’homme injuste, qui n’a su parvenir à l’harmonie et à l’accomplissement de la loi divine, se fait sous la forme de la migration des âmes condamnées au purgatoire. Le gilgoul, cette transmutation des âmes en animaux, plantes ou minéraux, ne pourra être supprimé que lors de la restauration messianique du monde, le Tiqqoun, qui restaurera l’harmonie perdue. On trouve chez Kafka des paraboles qui illustrent cette errance infernale des âmes damnées, comme dans Le Pont :
- 83 Kafka, Le Pont, Récits, p. 451 ; Die Brücke, in Beim Bau, p. 39-40.
J’étais raide et froid, j’étais un pont, je passais au-dessus d’un abîme [...]. Au fond du gouffre on entendait mugir l’eau glacée du torrent83.
68ou dans Le Chasseur Gracchus, qui décrit également l’élan du condamné vers les portes du ciel et de la rédemption :
- 84 Le Chasseur Gracchus, Récits, p. 455 ; Der Jäger Gracchus, in Beim Bau, p. 43.
Je passe mon temps à rôder sur les marches immenses [de l’escalier] ; tantôt en haut, tantôt en bas, à droite ; à gauche et sans répit. Mais quand je m’élance dans un suprême effort, quand je vois déjà briller la grande porte d’en haut, je m’éveille sur ma vieille barque misérablement arrêtée dans n’importe quelles eaux terrestres84.
69On rencontre également le thème de la métamorphose de l’animal devenu homme comme le singe de Communication à une académie, ou le cheval Bucéphale devenu l’avocat Bucéphalus, dans Le Nouvel Avocat. Quant à la mutation de l’homme en animal, elle est illustrée par Grégoire Samsa transformé en vermine dans La Métamorphose. Dans tous ces cas de figure, la transmutation est assimilée à une fatalité incontrôlable par l’homme, et qui contamine son entourage, ainsi que le déclare l’ancien singe de Communication à une académie :
- 85 Kafka, Communication à une académie, op. cit., p. 518 ; Ein Landarzt, p. 244.
Ma nature simienne s’échappait de moi à grand train [...], si bien que mon premier professeur en devint lui-même simiesque85.
- 86 Kafka, Le Verdict, op. cit., p. 191 ; Das Urteil, in Ein Landarzt, p. 52.
70Enfin, l’influence du judaïsme dans l’œuvre de Kafka se marque dans sa conception du langage, qui découle de l’appréhension kabbalistique et mystique du langage adamique. De même que Dieu a créé les choses en les nommant, le poète crée un monde par son langage. Le mot coïncide ainsi de façon absolue avec la chose, et c’est là ce qui confère à des termes comme « métamorphose » ou « procès » toute leur intensité. Dans ces deux cas, le mot ne se réduit pas à une pure dénotation, mais il est un énoncé performatif, qui entraîne la mise en action réelle de cette métamorphose et ce procès extérieur et intérieur à l’individu. De même, la condamnation verbale de Georg par son père, qui lui crie dans Le Verdict : « Je te condamne en cet instant à la noyade86 », loin d’être un vain mot, est un verdict qui prend immédiatement toute sa réalité et entraîne Georg à se jeter dans le vide.
71Le monde entier, comme la Torah, est donc comparable à un texte infiniment déchiffrable, et cette texture du monde naît des innombrables combinaisons de sons, de mots et de phrases qui, à chaque fois, font surgir une nouvelle interprétation et conception de l’univers. Ainsi, c’est de la combinaison de lettres et de mots en phrases que naît le verdict qui, dans La Colonie pénitentiaire, s’écrit sur la peau du condamné et ne peut se déchiffrer que progressivement, puisqu’il doit s’accompagner d’une prise de conscience progressive de la culpabilité du condamné :
- 87 Kafka, La Colonie pénitentiaire, op. cit., p. 313-314 ; In der Strafkolonie, in Ein Landarzt, p. 1 (...)
C’est à la sixième heure que l’évolution doit se dessiner [...]. L’homme commence seulement alors à déchiffrer l’inscription, il avance les lèvres comme s’il épiait. [...]. L’homme la déchiffre avec ses plaies [...]. Il lui faut six heures pour finir87.
- 88 Judith Stora-Sandor, L’Humour juif dans la littérature, de Job à Woody Allen, Paris, PUF, 1984, p. (...)
72De plus, c’est par la combinaison d’éléments langagiers que le kabbaliste, comme l’écrivain, peut parvenir à dévoiler l’essence cachée des choses. C’est aussi la fonction de l’humour de Kafka, profondément juif et ironique en son essence. Judith Stora-Sandor88 rappelle que l’humour juif, qui apparaît sous la forme particulière d’une ironie du juif envers lui-même et envers sa communauté de destin avec son peuple, a connu, tout au long de son histoire, trois formes différentes. L’humour juif traditionnel consistait à l’origine en une exploitation humoristique de motifs de la Bible et du Talmud, sous la forme d’une parodie dont on retrouve des traces dans Les Recherches d’un chien, Le Chasseur Gracchus ou Un vieux parchemin.
73La seconde forme de l’humour juif, liée à 1’éclosion de la littérature yiddish, est l’humour du shtetl. Il s’agit d’une ironie bienveillante, indulgente, et qui accepte les défauts qu’elle dénonce gentiment. Kafka est féru des humoristes qui représentent cette forme d’humour communautaire, directement issu du folklore et très lié aux traditions bibliques et talmudiques. Il est incarné par Sholem Aleikhem, Peretz ou Sforim qui mettent en scène dans leurs récits le tableau satirique de l’univers étriqué et misérable des juifs de l’Est, pauvres, isolés du monde extérieur, vivant une réalité horrible, mais toujours minimisée par l’intervention ironique de l’auteur, qui dénonce ainsi le décalage entre apparences et réalité.
- 89 Ibid., p. 22.
74Enfin, Judith Stora-Sandor89 évoque un troisième type d’humour juif qu’elle décèle chez les auteurs qui, comme Kafka, écrivent dans la langue de leur pays d’accueil et occupent une position intermédiaire entre le rejet de la communauté juive et l’assimilation. Il s’agit d’un humour amer, douloureux, qui met en scène l’incertitude existentielle du juif moderne. Dans ces trois cas, l’ironie présuppose l’existence de trois instances : un auteur, un narrateur qui prend en charge le récit de l’auteur et met en scène des personnages, et un lecteur auquel l’œuvre est destinée et qui doit décoder le message ironique, toujours dirigé contre quelqu’un ou quelque chose.
- 90 Ibid., p. 153.
75Or, Kafka manie constamment l’autodérision du juif sur son propre malheur, que ce soit dans la mise en scène narcissique du Champion de jeûne, de l’impuissance de Joséphine à sauver le peuple des souris ou de l’inaptitude du chien à s’intégrer à une communauté dans Les Recherches d’un chien. Il pratique l’humour juif moderne, amer, solitaire et désemparé, qui exprime la nostalgie de la communauté traditionnelle tout en mesurant toujours son statut de juif au point de vue de l’autre, du goy. Ainsi dans Communication à une académie, compte rendu prétendument objectif de la honte avec laquelle le singe a vécu sa condition simiesque, et, symboliquement, le juif son identité juive. Selon Judith Stora-Sandor90, Kafka ferait ici allusion au comportement des juifs assimilationnistes de la Diaspora qui, désireux de se conformer aux normes des classes moyennes ou supérieures, de « singer les chrétiens », voulaient se débarrasser de toutes les caractéristiques qui les rendaient reconnaissables. De même, Les Recherches d’un chien peuvent s’interpréter comme un jugement autoironique de Kafka, une tentative d’adopter le point de vue des non-juifs qui dénonçaient fréquemment les « juifs savants », avides de connaissances et de pouvoir.
76De plus, Kafka utilise dans son œuvre, et plus particulièrement son Journal, tous les grands thèmes de l’autodérision juive. Ainsi le thème du mariage contraignant et de la misogynie, qui était déjà une cible essentielle des satiristes juifs espagnols du Moyen Âge et qui perdure dans l’humour juif moderne à travers le thème du célibat et de la faillite du mariage. Une misogynie latente transparaît par exemple dans la description de Brunelda dans L’Amérique :
- 91 Kafka, L’Amérique, op. cit., p. 229 ; Der Verschollene, p. 285.
Brunelda se tenait dans le grand fauteuil, les jambes largement écartées [...], elle promenait entre ses lèvres une grosse langue épaisse et rouge91,
77de même que dans le Journal :
- 92 Kafka, Journal, 4 septembre 1911, p. 53 ; Reisetagebuch August / September 1911, p. 968.
La fille dont le ventre, quand elle était assise, débordait au-dessus et entre ses jambes écartées et se montrait indéniablement informe sous sa robe transparente92.
78Au cours des scènes d’amour avec Leni dans Le Procès et avec Frieda dans Le Château, cette misogynie ne se cristallise plus dans la description de la femme comme amas de chair informe, dégoûtante et fascinante à la fois, mais dans une évocation de la femme comme être bestial, brûlant et d’une étrangeté à la fois attirante et repoussante, telle Leni, dans Le Procès :
- 93 Kafka, Le Procès, op. cit., p. 359 ; Der Prozeß, p. 116.
Elle dégageait un parfum amer et brûlant, une sorte d’odeur de poivre ; elle attira la tête de K. sur sa poitrine, se pencha dessus, puis mordit et embrassa son cou, elle donna même des coups de dents dans ses cheveux93.
79La scène d’amour entre K. et Frieda dans Le Château est empreinte de cette même atmosphère de bestialité et de danger latent :
- 94 Kafka, Le Château, op. cit., p. 535 ; Das Schloß, p. 55.
Ils s’enlacèrent, le petit corps brûlait dans les mains de K. ; dans une sorte de pâmoison dont K. cherchait à tout instant, mais vainement à s’arracher, ils roulèrent [...] et restèrent finalement étendus dans les flaques de bière et les autres saletés dont le sol était couvert94.
- 95 Kafka, journal, 23 juillet 1914, p. 352 ; Tagebuch, p. 658.
- 96 Claude David, Notice du Procès, p. 964-965.
- 97 Kafka, Journal, 22 juillet 1916, p. 392-393 ; Tagebuch, p. 800.
80Quant au thème du mariage forcé, il apparaît dans la notation du Journal : « Le tribunal à l’hôtel95 », qui évoque l’épisode de la rupture des fiançailles entre Kafka et Felice à l’hôtel Askanischer Hof à Berlin, le 12 juillet 1914. Or, comme le remarque Claude David96, de 1914 à 1916, le douloureux mode de relation que Kafka entretient avec Felice est indirectement et ironiquement évoqué dans des notations du Journal qui traduisent tout autant la détresse de Kafka qu’elles rappellent l’intrigue du Procès. Les notes des 19 et 22 juillet 191697 racontent toutes deux un étrange supplice subi par un condamné, égorgé par son bourreau dans sa propre cellule :
Étrange coutume judiciaire. Le condamné est égorgé par le bourreau dans sa cellule, la présence d’autres personnes étant interdite.
81Une autre description de supplice fait ironiquement référence à la rencontre et à la liaison amoureuse de Kafka avec Felice à Marienbad, du 3 au 13 juillet 1916 :
- 98 Journal, 3 août 1917, p. 526 ; Tagebuch, p. 816.
Une fois encore, je jetai un cri dans le monde, à pleins poumons. Puis on m’enfonça un baîllon dans la bouche, on me ligota les mains et les pieds et l’on me mit un bandeau sur les yeux98.
- 99 Kafka, Le Château, op. cit., p. 496 ; Das Schloß, p. 13.
82L’humour juif stigmatise aussi l’inadéquation des personnages à leur statut : c’est le cas des aides dans Le Procès, des habitants du village qui, dans Le Château, ignorent tout des règles qui régissent leur monde, ou de K. qui ne tient son statut d’arpenteur que de l’arbitraire du château : « K. dressa l’oreille. Le château l’avait donc nommé arpenteur99. »
- 100 Le Château, p. 494 ; Das Schloß, p. 10.
83Un autre thème souvent exploité par les humoristes juifs est celui de la solitude du juif, tenu à l’écart de la société, et incarné peut-être de la façon la plus absolue par K., profondément perdu dans un monde dont l’étrangeté et l’opacité sont accrues par la neige et la brume qui entourent le château, et qui déclare : « Dans quel village me suis-je égaré ? Y a-t-il donc ici un château100 ? »
84Enfin, un dernier grand fondement de l’humour juif est l’imagination hyperbolique des personnages qui se nourrit de rêves ou de monologues et crée en eux une profonde incertitude mentale ainsi qu’un scepticisme permanent. Or, c’est précisément ce flux hyperbolique de réflexions déstabilisantes qui constitue l’étrangeté du Journal de Kafka, placé constamment sous le signe d’une hésitation fondamentale entre le monde extérieur et réel et le monde intérieur des rêves et de la réflexion :
- 101 Kafka, Journal, 30 octobre 1911, p. 133 ; Tagebuch, p. 210.
C’est une vieille habitude que j’ai de ne pas laisser les impressions pures [...] se perdre de façon bienfaisante dans tout mon être, mais de les assombrir et de les pourchasser par des sensations neuves, imprévues et fragiles101.
- 102 Yoram Bar-David, op. cit., p. 6.
85La réception de la culture juive par Kafka s’opère donc sous le double signe du procès, supposant distance et critique, et du processus, qui permet l’intégration d’éléments et de motifs empruntés au monde juif. Si Kafka n’incarne pas le juif modèle et reste spectateur plus qu’acteur du monde juif, il incorpore à son œuvre les thèmes essentiels de la tradition kabbalistique et les mécanismes principaux de l’humour juif, notamment ce mélange entre infériorité et supériorité, cette autodérision inséparable d’aspiration à une communauté, ce masochisme et cette tendance à se dénigrer pour mieux s’analyser et mettre en valeur ses limites d’homme. Kafka permet ainsi « d’entrevoir la vérité du judaïsme à travers l’égarement, l’appartenance douloureuse à l’être102 ».
Notes
1 Kafka, Journal, 1909, p. 5 ; Tagebuch, p. 13.
2 Kafka, Récits, trad. M. Robert, p. 121 ; Tagebuch, p. 9.
3 Récits, p. 3, « Je priais en rêve la danseuse Eduardowa de bien vouloir danser encore une fois la csardas. Une large bande d’ombre ou de lumière lui coupait le visage entre le bord inférieur du front et le milieu du menton » ; Tagebuch, p. 10.
4 Récits, 5 octobre 1911, p. 93 ; Tagehuch, p. 57.
5 Récits, 5 octobre 1911, p. 93 ; Tagebuch, p. 58.
6 Renvoyons à ce sujet à l’ouvrage de Jörg Werner Gronius, Kafka im Theater. Über Adaptationen des « Prozeß » und « Menschen im Hotel », thèse, Berlin, Bondi, 1982, p. 36.
7 Kafka, Journal, 5 octobre 1911, p. 93 ; Tagebuch, p. 59.
8 Journal, 6 octobre 1911, p. 85 ; Tagebuch, p. 61.
9 Journal, 22 octobre 1911, p. 119 ; Tagebuch, p. 96-97.
10 Ibid., 9 novembre 1911, p. 152 ; Tagebuch, p. 239.
11 Kafka, Le Spectateur de la galerie, Récits, p. 438-439 ; Auf der Galerie, in Ein Landarzt, p. 207-208.
12 Kafka, Première souffrance, Récits, p. 639 ; Erstes Leid, in Ein Landarzt, p. 251.
13 Ibid., p. 601-602 / Fragmente aus Heften und losen Blättern, in Zur Frage der Gesetze und andere Schriften aus dem Nachlaß, p. 174.
14 Journal, 8 octobre 1911, p. 100 ; Tagebuch, p. 68.
15 Journal, 6 janvier 1912, p. 216 ; Tagebuch, p. 349.
16 Ernst Pawel, Franz Kafka ou le cauchemar de la raison, Paris, Le Seuil, 1988.
17 Theodor Lessing, La Haine de soi, le refus d’être juif, Paris, Berg, 1990.
18 Kafka, Lettre à son père, Œuvres complètes IV, p. 861 ; Brief an den Vater, p. 35.
19 Kafka, Journal, 6 novembre 1910, p. 8 ; Tagebuch, p. 120.
20 Journal, janvier-février 1911, p. 21 ; Tagebuch, p. 931.
21 Journal, 26 mars 1911, p. 30-31 ; Tagebuch, p. 160.
22 Journal, p. 31 ; Tagebuch, p. 161.
23 Laurent Cohen, Variations autour de K. pour une lecture juive de Franz Kafka, Paris, Intertextes Éditeur, coll. « Horizons », 1991, p. 24.
24 Kafka, Journal, 11 mars 1915, p. 384-385 ; Tagebuch, p. 730-731.
25 Yoram Bar-David, Le Judaïsme nissthar (secret) et l’idolâtrie subtile. Kafka et ses protagonistes, doctorat d’État sous la direction de Charles Dédéyan et Yves Chevrel, Paris, Université de la Sorbonne, 1985.
26 Jounal, 5 octobre 1911, p. 94-95 ; Tagebuch, p. 59.
27 Kafka, Discours sur la langue yiddish, Œuvres IV, p. 1145 ; Rede über die jiddische Sprache, Einleitungsvortrag über Jargon, in Beschreibung eines Kampfes, p. 153.
28 Journal, p. 1142 ; Tagebuch, p. 149-150. Sur les rapports de Kafka et du yiddish, on consultera l’ouvrage de référence de Régine Robin, L’Amour du yiddish. Écriture juive et sentiment de la langue, Paris, Sorbier, 1994 : R. Robin analyse le yiddish comme la langue rêvée de Kafka, par rapport au tchèque, qui représente pour lui la langue de l’enfance et de la patrie. Elle note même que, dans le Journal, Kafka égrène quelques mots juifs, notamment Schnorrer (« pique-assiette »), jüdische Kinderlach (« enfants juifs ») Tatleben (« Petit grand-père »), Mezuza (« étui miuscule contenant un petit passage religieux ») et Meschugge (« fou »).
29 Voir Ritchie Robertson, Kafka. Judentum. Gesellschaft. Literatur, Stuttgart, Metzler, 1988, p. 34. Sur l’histoire du yiddish, voir Jean Baumgarten, Introduction à la littérature yiddish ancienne, Paris, Le Cerf, 1993 ; Rachel Ertel, Le Sthetl : la bourgade juive de Pologne : de la tradition à la modernité, Paris, Payot, 1982, Une maisonnette au bord de la Vistule et autres nouvelles du monde yiddish, Paris, A. Michel, 1988 et Dans la langue de personne. Poésie yiddish de l’anéantissement, Paris, Le Seuil, 1993.
30 Kafka, Discours sur la langue yiddish, Œuvres IV, p. 1145 ; Rede..., Beschreibung eines Kampfes, p. 153.
31 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Kafka. Pour une littérature mineure, Paris, Éditions de Minuit, 1975 (« Qu’est-ce qu’une littérature mineure ? », p. 27).
32 Ibid., p. 31.
33 Ibid., p. 34.
34 Kafka journal, 25 décembre 1911, p. 197-198 ; Tagebuch, p. 326.
35 Journal, 25 décembre 1911, p. 194 ; Tagebuch, p. 313.
36 Journal, 25 décembre 1911, p. 196 ; Tagebuch, p. 315.
37 Journal, octobre 1911, p. 100 ; Tagebuch, p. 68.
38 Journal, 25 décembre 1911, p. 198 ; Tagebuch, p. 316.
39 Journal, p. 143 ; Tagebuch, p. 225.
40 Journal, p. 143 ; Tagebuch, p. 224.
41 Journal, 25 décembre 1911, p. 199 ; Tagebuch, p. 318-319.
42 Journal, 27 octobre 1911, p. 127 ; Tagebuch, p. 200.
43 Journal, p. 127 ; Tagebuch, p. 201.
44 Journal, 30 octobre 1911, p. 133 : « Ce désir que j’ai presque toujours d’entasser en moi les images de terribles audaces alimentaires » ; Tagebuch, p. 210.
45 Journal, 7 janvier 1912, p. 218-221 ; Tagebuch, p. 352-356.
46 Journal, 26 janvier, p. 224-225 ; Tagebuch, p. 362-364.
47 Kafka, Lettre à Max Brod, fin septembre 1917, Œuvres III, p. 807 ; Briefe 1902-1924, p. 172-173. Voir les anthologies, la postface et les notes biographiques d’Aristide Demonico, Théâtre yiddish I et II, Paris, L’Arche, 1989 et 1993.
48 Gerschom Scholem, Fidélité et utopie. Essais sur le judaïsme contemporain, Paris, Presses Pocket, 1978, p. 21.
49 Journal, 25 mars 1915, p. 385 ; Tagebuch, p. 733.
50 Journal, 8 janvier 1914, p. 330 ; Tagebuch, p. 622.
51 Journal, 16 janvier 1922, p. 520 ; Tagebuch, p. 878.
52 Michaël Löwy, Rédemption et utopie. Le Judaïsme libertaire en Europe centrale, Paris, PUF, 1988 (« Theologia negativa et Utopia negativa : Franz Kafka », p. 92-120).
53 Kafka, Journal, juillet 1916, p. 417 ; Tagebuch, p. 792.
54 Journal, juillet 1916, p. 417 ; Tagebuch, p. 794.
55 Journal, juillet 1916, p. 418-419 ; Tagebuch, p. 798.
56 Michaël Löwy, op. cit., p. 92-93.
57 Kafka, Journal, 30 novembre 1917, p. 453 ; Beim Bau, p. 180.
58 Journal, p. 105 ; Beim Bau, p. 182.
59 Yoram Bar-David, op. cit., t. II, p. 920-950.
60 Kafka, Préparatifs, 7 décembre 1917, p. 106 ; Beim Bau, p. 183.
61 Voir Michaël Löwy, op. cit., p. 97.
62 Gerschom Scholem, « Mit einem Exemplar von Kafkas Prozeß », Beilage zum Brieffragment vom 10-12 juillet 1934 an Benjamin, p. 72-73, in Benjamin über Kafka. Texte. Briefzeugnisse. Aufzeichnungen, Hrsg. von Helmut Schweppenhäusen Frankfurt, Suhrkamp Taschenbuchwissenschaft, 1981.
63 Voir Gerschom Scholem, Fidélité et utopie, op. cit., p. 135.
64 Walter Benjamin, Brief an Scholem, 11. 8. 1934, in Benjamin über Kafka, op. cit., p. 78.
65 Ibid., Benjamin an Scholem, 20 juillet 1934, p. 16-77.
66 Laurent Cohen, op. cit.
67 Philippe Zard, La Fiction de l’Occident. La Figuration romanesque de l’Occident dans des œuvres de T. Mann (Der Zauberberg), F. Kafka (Der Verschollene, das Schloß), et A. Cohen (Solai, Mangeclous, Belle du Seigneur, Les Valeureux), thèse de doctorat, Université de Paris IV-Sorbonne, 1985, p. 85-87.
68 Journal, 3 novembre 1911, P. 142 ; Tagebuch, p. 223.
69 Kafka, Les Recherches d’un chien, Œuvres II, p. 674 ; Forschungen eines Hundes, in Das Ehepaar, p. 48.
70 Ibid., p. 677-678 ; Forschungen, p. 51.
71 Kafka, Communication à une académie, Œuvres II, p. 512 ; Ein Bericht für eine Akademie, in Ein Landarzt, p. 234-245.
72 Kafka, Joséphine la cantatrice ou le peuple des souris, Récits, p. 783 ; Josefine die Sängerin oder das Volk der Mäuse, in Ein Landarzt, p. 274-297.
73 Gustav Janouch, Entretiens avec Kafka, p. 38 ; Janouch, p. 24.
74 Journal, p. 215 ; Janouch, p. 95.
75 Joséphine, p. 782 ; Josefine, p. 285.
76 Joséphine, p. 779 ; Josefine, p. 283.
77 Kafka, Journal, 2 novembre 1911, p. 140 ; Tagebuch, p. 220.
78 Kafka, Méditations sur le péché, la souffrance, l’espoir et le vrai chemin, Préparatifs de noce..., op. cit., § 54, p. 54 ; Betrachtungen über Sünde, Leid, Hoffnung und den wahren Weg, in Beim Bau, p. 236-237.
79 Préparatifs, § 85, p. 59-60 ; Beim Bau, p. 242.
80 Préparatifs, p. 88 ; Beim Bau, p. 163.
81 Max Brod, « Uyttersprot korrigiert Kafka », Forum 43 / 44, 1957, p. 265.
82 Voir Karl Erich Grözinger, Kafka und die Kabbala. Das Jüdische im Werk und Denken Franz Kafkas, Frankfurt, Eichborn Verlag, 1992.
83 Kafka, Le Pont, Récits, p. 451 ; Die Brücke, in Beim Bau, p. 39-40.
84 Le Chasseur Gracchus, Récits, p. 455 ; Der Jäger Gracchus, in Beim Bau, p. 43.
85 Kafka, Communication à une académie, op. cit., p. 518 ; Ein Landarzt, p. 244.
86 Kafka, Le Verdict, op. cit., p. 191 ; Das Urteil, in Ein Landarzt, p. 52.
87 Kafka, La Colonie pénitentiaire, op. cit., p. 313-314 ; In der Strafkolonie, in Ein Landarzt, p. 173.
88 Judith Stora-Sandor, L’Humour juif dans la littérature, de Job à Woody Allen, Paris, PUF, 1984, p. 21.
89 Ibid., p. 22.
90 Ibid., p. 153.
91 Kafka, L’Amérique, op. cit., p. 229 ; Der Verschollene, p. 285.
92 Kafka, Journal, 4 septembre 1911, p. 53 ; Reisetagebuch August / September 1911, p. 968.
93 Kafka, Le Procès, op. cit., p. 359 ; Der Prozeß, p. 116.
94 Kafka, Le Château, op. cit., p. 535 ; Das Schloß, p. 55.
95 Kafka, journal, 23 juillet 1914, p. 352 ; Tagebuch, p. 658.
96 Claude David, Notice du Procès, p. 964-965.
97 Kafka, Journal, 22 juillet 1916, p. 392-393 ; Tagebuch, p. 800.
98 Journal, 3 août 1917, p. 526 ; Tagebuch, p. 816.
99 Kafka, Le Château, op. cit., p. 496 ; Das Schloß, p. 13.
100 Le Château, p. 494 ; Das Schloß, p. 10.
101 Kafka, Journal, 30 octobre 1911, p. 133 ; Tagebuch, p. 210.
102 Yoram Bar-David, op. cit., p. 6.
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