1Depuis une marée noire jusqu’aux méthodes de production alimentaire, nous avons examiné comment la façon de communiquer à propos des pratiques environnementales des marques influence la perception et le comportement des consommateurs. Notre postulat de base est que les processus de perception des communications marketing sont largement similaires à ceux qui s’appliquent aux communications interpersonnelles. Cela peut paraître étonnant étant donné que les communications marketing proviennent de concepts abstraits que sont les marques. Mais notons qu’étymologiquement, « branding », c’est-à- dire « poser sa marque », vient du marquage du bétail au fer rouge par leur éleveur. Les bêtes portent littéralement la marque de leur éleveur, ce qui permet aux acheteurs potentiels de savoir qui les a élevées et donc, d’appliquer leur perception de l’éleveur (perception interpersonnelle) à la perception du « produit » (perception marketing). La marque crée le lien entre producteur et consommateur. D’autre part, les recherches sur l’anthropomorphisme ont montré que les gens n’ont pas de mal à attribuer des caractéristiques humaines à des objets concrets ou abstraits tels que les marques (Delbaere, McQuarrie et Phillips, 2011).

Perception sociale des marques

2Nous avons commencé par tester l’applicabilité d’un des principaux modèles de perception sociale à la perception marketing. De nombreuses études ont montré l’existence de deux dimensions sous-jacentes à la perception sociale : la dimension de « chaleur » et la dimension de « compétence » (Fiske, Cuddy et Glick, 2007). Ces deux dimensions correspondent respectivement aux deux questions qui se posent lors d’une nouvelle rencontre : quelles sont les intentions de cette personne et est-il/elle capable d’atteindre ces intentions (Wojciszke, 1994) ? La dimension de chaleur implique donc les jugements de traits comme la moralité, la sociabilité, etc. Les jugements sur la dimension de compétence portent eux sur les traits d’intelligence, d’efficacité, etc. Les travaux menés par Fiske, Cuddy et Glick (2007) sur les stéréotypes associés à différents groupes (Modèle du contenu du stéréotype) ont montré que ceux-ci s’organisent dans les quatre quadrants obtenus par la combinaison des dimensions de chaleur et de compétence (Figure 1).

3S’appuyant sur ce modèle, Kervyn, Fiske et Malone (2012 ; Fiske, Malone et Kervyn, 2012) ont montré dans une série d’études auprès de consommateurs américains que la perception des marques peut également être étudiée à l’aide de ces deux dimensions. Pour mieux correspondre à la perception des marques, le nom de ces deux dimensions a été adapté afin de parler d’« intention » perçue au lieu de « chaleur », et de « capacité » perçue au lieu de « compétence » (Figure 2). Les participants ont plus d’intentions d’achat pour les marques ayant de bonnes intentions et pour les marques de haute capacité.

Communication marketing en temps de crise environnementale

4Forts de ces résultats qui tracent des parallèles entre perception sociale et marketing, nous avons approfondi nos recherches en testant l’applicabilité de l’effet de négativité de la dimension de chaleur à la communication environnementale en marketing. L’effet de négativité renvoie au fait que les informations de chaleur négative ont plus d’impact sur la formation d’impression que les autres types d’information (Skowronski et Carlston, 1987). Autrement dit, si une personne veut se montrer comme ayant des bonnes intentions et étant morale, il/elle doit toujours se comporter de cette façon alors que, pour qu’une personne soit jugée comme étant malhonnête, il suffit d’un seul comportement de ce type (Rothbart et Park, 1986). Cet effet de négativité s’applique à la perception d’un individu et à celle d’un groupe social (Kervyn et al., 2010). Par contre, cet effet de négativité ne s’applique pas à la dimension de compétence.

5Notre première série de recherches porte sur la communication durant un scandale environnemental. L’effet de négativité sur la dimension de chaleur s’applique-t-il dans ce cas particulier ? Dans une de nos études (Kervyn et al., 2014), nous avons demandé aux participants, tous habitants de Colorado Springs, de lire un texte présenté comme étant un courrier de lecteur publié dans un journal local. Ce courrier commentait une crise environnementale provoquée par Colorado Springs Utilities (CSU), une entreprise de service public qui avait déversé des eaux viciées dans le cours d’eau local au cours des semaines précédentes. Le texte rappelait brièvement les évènements, puis il différait selon la condition expérimentale. Dans une des conditions, cette communication mettait en question les intentions de l’entreprise : « Est-ce que CSU ignore sa responsabilité envers la communauté […] ? Est-ce que CSU est honnête […] ? » Dans l’autre condition, la pollution était présentée comme due à un manque de capacités de l’entreprise : « Est-ce que CSU était incapable de maintenir son équipement […] ? Est-ce que les employés de CSU sont suffisamment formés ? » Après avoir lu un de ces deux textes, les participants devaient donner leur jugement sur le montant de l’amende qu’ils recommanderaient. Les participants ont recommandé un montant plus élevé quand le texte mettait les intentions de CSU en question que quand il questionnait sa capacité. Les résultats montrent donc que l’effet de négativité sur la dimension de chaleur/intentions est observé pour la perception d’une entreprise.

6Kervyn et al. (2014) ont reproduit ce design expérimental dans le cas d’un scandale environnemental de grande ampleur : la marée noire dans le golfe du Mexique causée par BP durant l’été 2010. Comme dans la première expérience, les résultats confirment que la communication questionnant les intentions de BP a un effet plus préjudiciable que la communication remettant en question ses capacités. Les résultats de ces deux expériences montrent qu’une marque impliquée dans une crise environnementale souffre de l’effet de la négativité sur les intentions. Les causes d’un désastre environnemental ne sont pas toujours faciles à déceler, il y a donc un enjeu sur la façon dont la communication souligne le manque d’intention ou de capacité de l’entreprise responsable.

Communication environnementale et expérience gustative

7Nous avons également étudié les conséquences de la communication environnementale dans un domaine plus quotidien, celui des activités pro- ou contre-environnementales des marques de produits alimentaires. Le goût et le prix des produits alimentaires sont les deux critères de sélection les plus importants pour les consommateurs. Leurs conséquences sur l’environnement ne se retrouvent que bien plus bas dans cette liste. Cette faible importance est un grand défi pour ceux qui cherchent à promouvoir des pratiques plus responsables dans l’agro-alimentaire. Néanmoins, les recherches décrites ci-dessus nous ont amenés à poser l’hypothèse que, malgré la faible importance des caractéristiques environnementales du produit, celles-ci pourraient tout de même avoir un effet indirect sur le comportement du consommateur si la communication environnementale influence le goût perçu de ces produits. Les recherches (Plassman et al., 2008) ont déjà mis en évidence le rôle des attentes dans l’influence des informations distales sur les sensations gustatives. Par exemple, si un produit alimentaire est présenté comme venant d’une marque connue, les attentes des consommateurs par rapport au goût sont plus élevées et, de là, elles influencent l’expérience gustative. La communication sur les pratiques environnementales de la marque peut-elle aussi influencer l’expérience gustative du produit ?

8Cette question a été explorée dans une série d’études (Bratanova, Kervyn et Klein, 2015 ; Bratanova, Vauclair, Kervyn et al., 2015). Une marque (fictive) était présentée aux participants via une vignette présentant les intentions de la marque comme environnementalement responsable (i. e. commerce équitable) ou irresponsable et sa capacité ou son incapacité à atteindre ses buts (i. e. entrée réussie vs entrée échouée sur le marché belge). Après la lecture de l’une de ces quatre descriptions, tous les participants ont gouté le même chocolat et il leur a été demandé d’exprimer dans quelle mesure cette dégustation était agréable, savoureuse et délicieuse. Puis les participants indiquaient leur intention d’acheter ce produit et avaient l’occasion de donner leurs coordonnées pour que la marque puisse les contacter lors de son lancement en Belgique.

9Les résultats ont montré que le goût était plus apprécié quand la marque avait été présentée comme ayant de bonnes intentions par rapport aux conditions où la marque était présentée comme ayant des pratiques environnementalement irresponsables. De même, les participants rapportaient une meilleure expérience gustative après avoir lu que la marque avait les capacités par rapport à ceux qui avaient lu qu’elle n’avait pas les capacités d’atteindre ses objectifs. Ces résultats attestent du fait que l’expérience gustative dépend de la communication à propos de la marque du produit. Les comportements des participants comme l’intention d’achat et la volonté de participer dans les futures promotions de la marque étaient également influencées par la communication marketing. Des résultats similaires ont été trouvés dans l’analyse d’une étude menée dans huit pays européens auprès de 4 161 personnes. Et les résultats expérimentaux ont été répliqués avec différentes manipulations de la responsabilité environnementale de la marque (i.e. production polluante ; usage des produits bio) et sur différentes catégories de produit (i.e. jus, biscuits) ; (Bratanova, Vauclair, Kervyn et al., 2015). Une communication ne portant pas sur les valeurs nutritives ou la qualité appétitive de produit peut donc influencer l’expérience subjective du goût du produit.

10En s’appuyant sur ces recherches et les premiers résultats sur le lien entre intentions, capacités et expérience gustative, nous (Bratanova, Vauclair, Kervyn et al., 2015) avons cherché à mieux comprendre l’effet que la communication sur les intentions de la marque peut avoir sur l’expérience gustative. Dans une nouvelle série d’expériences, les participants lisaient une vignette sur la marque puis ils estimaient dans quelle mesure le fait de consommer des produits pro-environnementaux leur donnerait un sentiment de satisfaction morale et dans quelle mesure ils s’attendaient à apprécier le goût du produit. Après ces estimations, les participants goûtaient tous le même produit, jugeaient son goût et exprimaient leur intention d’achat. Les résultats ont confirmé que la communication influençait l’expérience gustative du produit. Les participants qui avaient lu la description d’une marque responsable ressentaient plus de satisfaction morale à consommer ses produits, avaient de plus grandes attentes en termes de goût et une meilleure expérience gustative, qui elle-même menait à son tour à plus d’intention d’achat du produit. Ce lien causal était d’autant plus fort que les participants rapportaient avoir des valeurs pro-environnementales. La communication marketing environnementale mène donc à plus de satisfaction morale quand elle est en phase avec les valeurs des consommateurs.

11Ces deux programmes de recherche ont en commun l’exploration des liens entre perception sociale et perception marketing. Les résultats obtenus montrent que la communication marketing a plus d’impact quand elle porte sur les intentions de la marque. C’est le cas lors de scandales environnementaux où l’on retrouve un effet de négativité en cas de communication sur les intentions de la marque. C’est également le cas pour la communication à propos de la responsabilité environnementale de marques de produits alimentaires qui mène à plus de satisfaction morale, une meilleure expérience gustative et plus d’intention d’achat. Nous pensons donc que l’utilisation de la perception sociale pour guider la communication marketing peut aider à promouvoir des comportements environnementalement responsables de la part des marques et de leurs consommateurs.