1En février 2016, à un jour d’intervalle, le documentaire Demain gagne le César du meilleur documentaire et Leonardo di Caprio lance un appel pour agir face à l’urgence climatique en gagnant l’Oscar pour The Revenant. Ces deux événements confirment la conscience des changements climatiques et pourtant, les observateurs estiment que les changements de comportements, qu’ils soient politiques, économiques ou individuels, ne viennent pas. Le discours, la visibilité, la légitimité publique et politique ne suffisent plus.

2Ce blocage questionne la conscientia, la perception plus ou moins claire que chacun peut avoir du monde extérieur et le sentiment intérieur qui pousse à porter un jugement de valeur sur ses propres actes en bien ou en mal. Cette conscience environnementale s’intégrerait à la connaissance antérieure à la prise de conscience de nos gestes. Jean Piaget (Piaget, 1978) défendait l’idée de « généralisation inductive », une capacité d’intégration des connaissances née des actions du sujet. À ce titre, les trois mots anglais désignent consciouness, état de conscience qui détermine tous nos gestes, puis awareness, la conscience même et enfin conscience, la conscience morale. Ce trio se retrouve en allemand, avec Bewußtheit, un fait de conscience, Bewußtsein, l’acte de conscience qui ramène à la division freudienne entre conscient et inconscient, et Gewissen, la conscience morale. La construction de la conscience autour du « tabou », mot d’origine polynésienne associant le « sacré » et « l’inquiétant » en opposition à « noa » qui signifie « accessible à tous », pose que les limitations taboues ne sont pas celles de la religion ou de la morale, elles « sont dépourvues de toute justification ». La conscience se bâtit sur des interdictions nécessaires et sur les formes d’un « impératif catégorique » kantien.

3En résumé, la conscience environnementale émergerait d’une complexité d’origines pour s’imposer comme une valeur morale acquise par tous, suggérant que la communication environnementale ne peut être simplement « des pratiques de communication réalisées par les médias, les organisations, les partis politiques, ou tout autre intervenant sur la scène publique, portant sur le thème de l’environnement » (Jalenques-Vigouroux, 2005). Comment la communication environnementale peut-elle développer la conscience environnementale pour garantir un changement moral et immédiat ?

4À la lecture des trois états de conscience se dessinent trois étapes historiques de la conscience environnementale. La première est un état de conscience constituée des mythes fondateurs, la deuxième étape voit se former un récit conscient du monde et la troisième étape se construit autour des réseaux sociaux bâtissant une conscience environnementale collective selon le sens marxien, soit un partage de représentations idéologiques et de comportements au nom du vivre ensemble.

Un état de conscience environnementale

5La conscience environnementale est issue de mythes fondateurs exploités par les médias et institutionnalisés par les acteurs environnementaux.

Faits de conscience environnementale

6Que ce soit J.-J. Rousseau et son recueil sur les plantes ou Robinson Crusoé de Daniel Defoe, la communication environnementale a pris naissance pendant le Siècle des Lumières célébrant tantôt les liens à la nature, tantôt ses menaces. Rappelons toutefois que les premières graines environnementales se trouvent dans l’animisme, les grandes découvertes, la révolution copernicienne et les religions qui jouent un rôle essentiel dans les représentations des éléments dont l’eau est un exemple renvoyant à un sacré imprégnant les pratiques de communication actuelles (Hervé-Bazin, 2014).

7L’analyse de l’histoire de l’écologie montre un schéma narratif répété inconscient. Partant d’un postulat d’harmonie de la nature dont l’homme dit « bon sauvage » connaît les secrets, les révolutions industrielles surgissent et polluent la terre avec pour conséquence, le châtiment suprême du réchauffement global, réincarnation de la punition divine dans le monde séculier. La culture ne peut que détruire la nature et condamne à une complexité extrême entre la nature et l’humain. Ces fondements narratifs bâtissent les imaginaires de la communication environnementale (Dupuy, 2014). Selon Alexander Mawyer (2016), cette mythologie déploie des tropes participant à la destruction des identités locales au profit d’une conscience environnementale incarnée par la culture occidentale et ses médias. Pour Boycoff et Smith (2010), les représentations du climat dans la presse existent dès 1700 et l’article du New York Times de 1932 signe le début de la prise de conscience de la menace climatique relayée par l’ONU.

L’institutionnalisation environnementale

8En 1945, la création de l’ONU initie une régulation des ressources naturelles qui se heurte à deux tendances opposées, celle de respecter la souveraineté nationale et celle d’agir pour une cause « supranationale », la Nature. Sa communication déploie cinq piliers dans le but d’extérioriser une conscience et légitimer l’ONU comme « l’institution » d’un changement paradigmatique (Pascual Espuny, 2007).

9En premier lieu, l’ONU favorise la création de comités de représentants choisis pour orienter les décisions nationales et structurer le secteur. Elle commande des rapports (Rapport Meadows, Rapport Bruntdland) et mobilise l’expertise pour légitimer son action puis déploie des « méga-conférences » (Hervé-Bazin, 2014). Son quatrième ingrédient consiste en la création d’un organisme dédié où la plasticité lexicale est retrouvée, renouvelant d’année en année sa légitimité. Dernier mécanisme, les controverses médiatiques. Selon M. Mauger-Parat et A.C. Peliz (2013), les discours du GIEC2 correspondent à une construction discursive en trois temps, celle de l’expertise, la controverse et la polémique. L’ONU opère comme un médiateur qui mène au succès planétaire au nom de l’engagement moral. Tous ces éléments narratifs sont retrouvés au cours de la COP21, véritable cas d’école. Le scepticisme face à cette mise en scène est porté par les gardiens du discours écologique.

La conscience écologique

10Au-delà des principes philosophiques et mouvements ayant donné naissance à la « pensée écologique » décrite par D. Bourg (Bourg et Fragnière, 2014), plusieurs événements environnementaux ont défendu le retour à un modèle de développement respectueux de la nature (WWF, Greenpeace ou Deep ecology). Ce discours a été renforcé par la multiplication des marées noires, d’épisodes cycloniques dévastateurs et dernièrement, la découverte du septième continent* (constitué entièrement de plastique et de déchets, il dérive au nord-est du Pacifique).

11Ce discours communicationnel joue sur la rupture psychologique, le choc face à une opinion publique qui reste frileuse (iconographie du panda, de l’ours blanc, l’animal tagué ou transformé en fourrure). Cette écologie militante ou politique écologiste a été relayée à un registre d’altermondialiste limitant sa légitimité auprès du public qui l’ignore jusque dans les années 2000. L’épisode du Rainbow Warrior3, bateau symbolique de Greenpeace en 1985, par exemple, montre que la dénonciation n’affecte pas la conscience environnementale.

Le récit environnemental

12La deuxième étape voit la conscience environnementale naître autour d’un récit provoquant culpabilisation et stéréotypie.

Le conte environnemental

13Le récit environnemental est construit pour une grande cause aux mains d’un héros (Jalenques-Vigouroux, 2006). Il est porté par deux phénomènes clés, la multiplication des discours environnementaux par les entreprises et la prise de parole par des figures médiatiques. Facilité par la réglementation, le récit environnement devient le propre des entreprises. Ce « pacte impossible » (Libaert, 2010) pose des questions morales. Quelle est la réalité d’un engagement d’entreprises produisant des biens de consommation polluants ? Les enjeux de transparence et risque surgissent (Allard-Huver, 2015). L’évolution continuelle des récits interroge ces notions. Par exemple, les industries, longtemps accusées par les associations, sont peu à peu intégrées à la cause… qui alors détient la moralité ?

14Deuxième phénomène, des figures médiatiques succèdent aux altermondialistes. Au cours de ces dernières années, Al Gore ou Leonardo di Caprio jouent le rôle de figure d’attachement émotionnel. Selon le psychiatre et psychanalyste John Bowlby, l’attachement est né avec la théorie de l’évolution darwinienne, pilier de la pensée de l’écologie, et se développe par la proximité. Ces figures médiatiques deviennent cette figure maternelle ou paternelle qui manquait pour agir (Guédeney et Guédeney, 2002), elles cristallisent d’autant plus la frustration.

La frustration environnementale

15Dans les années 1980, ce serait le botaniste David Bellamy qui aurait jeté les bases du greenwashing, ou éco-blanchiment, qui dénonce les limites morales du discours environnemental. Dans les années 2000, les cas de greenwashing sont pointés du doigt par des organisations indépendantes comme l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Plusieurs guides (Futerra, Ogilvy4) ou blogs (Yonnel Poivre-Le Lohé, SIRCOME5) veulent contrer les effets du greenwashing au nom de la communication responsable et aider un individu perdu qui ne sait qui croire.

16Malgré les normes et les labels destinés à guider, de nombreuses enquêtes révèlent que les citoyens sont intéressés par l’environnement mais ne croient pas que leur action va changer quoi que ce soit. Ce « hiatus » est le « dilemme de l’écologiste citoyen (qui) s’apparente au paradoxe du pécheur de Saint-Augustin : “Pourquoi est-ce que je fais le mal que je ne veux pas et ne fais pas le bien que je voudrais” » (Bozonnet, 2007, p. 1). Lamia Abdmouleh (2011) observe dans une étude de cas menée en Tunisie, ces reflexes de l’univers cognitif confronté à des valeurs imposées menant à « un sentiment de frustration et de culpabilité […] qui engendrera par la suite une tension insoutenable ». Cette « dissonance cognitive » amène au rejet et « ras-le- bol » de l’environnementalisme.

La stéréotypie déresponsabilisante

17L’analyse des campagnes de communication environnementale a fait émerger un « stéréotype environnemental ». Si Marty, Burget et Marchant (2008) ont cherché à dépasser « un discours environnemental », leur étude constate que les multiples discours se neutralisent les uns les autres diminuant les effets sur les récepteurs qui ne changent pas… et attendent l’avenir. Kits pédagogiques, classes vertes et monopolisation de la figure de l’enfant montrent que la responsabilité est déportée sur les générations futures. D’autres se justifient par le stéréotype de l’environnementaliste, quelqu’un incapable de faire des concessions. Ce stéréotype s’oppose au « bon sauvage » devenu « héritier de valeurs traditionnelles secrètes » développant les campagnes des bons gestes dévalorisantes et menant au racisme et aux divisions (Hrechdakian et Dowling Miller, 1996).

18Face à ces phénomènes, le mouvement France Nature Environnement (FNE, 2015) propose de développer un stéréotype de « quelqu’un comme moi » dont l’histoire favoriserait l’acceptabilité… Telle la série polynésienne Label Hina qui raconte l’histoire d’une jeune femme environnementaliste mais attachante, elle favorise une prise de conscience accessible et concrète. Dans ce registre, la communication nichée offre des opportunités portées par les réseaux sociaux.

De l’opportunité de la communication nichée

19Depuis 2004, date de naissance de Facebook, les médias connaissent une nouvelle révolution de l’information. Ultraconnectées, les générations sont favorables à l’exposition de soi promettant à la communication environnementale le renouveau qu’elle recherche.

Le selfie et don de soi

20Les réseaux sociaux alimentent l’imaginaire fantasmé d’une conscience environnementale qui aboutirait enfin. Le nombre d’articles de presse sur le sujet est un indicateur solide de ses promesses. Leur puissance, leur rapidité et leur accessibilité forment les automatismes d’une conscience environnementale qui peut se déployer en actes concrets. Les ONG ont massivement mobilisé les réseaux sociaux pour collecter des fonds (water.org) ou obtenir des signatures (Bloom Association) mais c’est surtout le selfie qui cristallise espoirs et contradictions.

21Le selfie a été surinvesti par les associations humanitaires notamment autour d’un phénomène de marketing viral sans précédent, l’Ice Bucket Challenge. Ce défi destiné à collecter des fonds pour la maladie de Charcot est devenu un buzz médiatique au cours de l’été 2014. Porté par plusieurs stars, le jeu consistait à renverser de l’eau glacée sur soi en étant filmé ou pris en photo. L’épisode a suscité des oppositions de nombre d’organisations insurgées contre le gaspillage ostentatoire d’eau. Le renversement du seau d’eau apparaît comme un acte pour soi et non un don gratuit, mais légitimé par l’effet communautaire.

La communauté environnementale visible

22Les communautés en ligne s’érigent comme les eldorados recherchés. L’explosion des sites basés sur l’économie collaborative sont les signaux d’un changement conscient (Airbnb, Blablaclar, etc.), voire d’opposition de pensée écologique toujours en cours (cas Uber). Les sites d’étiquetage des produits (Open food facts, Noteo) incarnent la responsabilisation de l’acte d’achat basé sur l’échange de conseil avec un consommateur proche de soi. Ce sont enfin, les réseaux sociaux ciblés qui bâtissent ces communautés engagées.

23Allant au-delà des réseaux professionnels, elles décloisonnent et font naître des pratiques guidées par des valeurs morales partagées. Les plateformes comme Water Right Makers, qui défend les valeurs d’un droit de l’eau concret, font exister une communauté d’engagement. L’iconographie des visages et succession de selfies deviennent l’incarnation d’un soi autour des « soi » qui partagent une conscience environnementale collective. Au cours de la COP21, les réseaux ont bâti cette iconographie du dialogue pour subjectiver l’idéal d’un débat universel moral partagé. Ces nouvelles formes de mobilisation donnent des indicateurs du potentiel d’acquisition de moralité environnementale.

La communication nichée individuelle collective

24Les réseaux sociaux sont considérés comme des outils au service du marketing de niche. Le but de la niche est de concentrer ses efforts de communication sur une cible bien connue. La stratégie de niche s’appuie sur la segmentation et la spécialisation de l’information donnée dans le but d’obtenir la confiance et le soutien relayé par des influencers à haute valeur individuelle sur le net (HNWI). Ces figures d’attachement pointent le tabou environnemental et deviennent les relais d’une conscience environnementale individuelle collective.

25De plus en plus de réseaux sociaux dits de niche concurrencent naturellement Facebook sur un segment ultra spécialisé (Fiskarettes, Ehtou) dans le but de capter l’individu autour de ses valeurs. Ce dernier retrouve une personne symbole et une communauté avec qui agir en toute conscience morale autour d’un état de conscience renouvelé et validé par d’autres. Que se passe-t-il quand le réseau justifie l’immoralité ou le détachement environnemental ?

26La communication environnementale a subi de nombreuses évolutions autour d’une valeur supérieure opposant nature et culture. Elle a renouvelé ses registres pour faire évoluer le niveau de conscience morale, s’adaptant continuellement aux médias. La niche communicationnelle promet un renouveau des actions, des discours, des valeurs autour de cette conscience environnementale mondiale qu’une multiplicité d’acteurs cherche à concrétiser. Les pratiques médiatiques actuelles consacrent un « penser communautaire, agir individuel » où s’opposent le « soi » et les « soi ». Légitimé par une pléthore de communautés virtuelles et selfies partagés, l’individu peut agir en son âme et conscience. Ces pratiques interrogent fondamentalement la responsabilité des actes médiatisés renvoyant à la conscience morale même de la communication environnementale.