1Évoquer le sponsoring, de manière générale mais plus particulièrement encore dans le cadre sportif, c’est prendre le risque de se confronter à des formes capitalistes de « bien-pensanse » qui voudraient que l’argent n’a pas d’odeur, que l’on peut aimer « l’entreprise », comme le rappelait il y a peu le Premier ministre Manuel Valls, ou, de manière plus propagandiste encore, que ce capital aurait pour fonction, mission ou finalité de faire le bien, de rendre heureux ou d’épanouir les populations, qu’il serait au service du plus grand nombre.

2Afin d’éviter cette situation, il faut rappeler que l’idéologie sportive coubertinienne, la pensée monolithique et fossilisée sur le sport*, répète jusqu’à satiété, que le sport est bon pour la santé, pour la création des liens sociaux, voire pour la démocratie, qu’il crée l’union et permettrait, parfois, de relancer l’économie d’un pays par exemple. Certains auteurs, il y a quelques années il est vrai, mais cela reste inscrit dans l’imaginaire collectif, défendaient l’idée que le sport possédait certaines fonctions telles les fonctions hygiénique, hédonique ou encore esthétique (voir Bouet, 1995).

3Cependant, la réalité est tout autre et les corps blessés, le dopage, les violences, les arrangements économiques et financiers, voire mafieux, structurent la réalité quotidienne du monde sportif (Vassort, 2010) et permettent de comprendre la véritable nature de cette institution. Cependant, il est indéniable que l’idéologie sportive coubertinienne forme le courant dominant de la pensée sur le sport et que cette idéologie est utilisée par les entreprises et les institutions économiques et financières afin de faire admettre la philosophie capitaliste. Celle-ci repose sur quelques dogmes bien ancrés dans le monde du sport et qui servent dorénavant de leitmotiv à l’ensemble des politiques capitalistes.

Le sport, modèle de la compétition

4Tout d’abord, la compétition serait le propre de l’homme. Sous prétexte que la lutte pour la survie a été nécessaire à certaines époques de l’humanité – allant contre toute forme d’humanisation et allant à l’encontre même de la théorie darwinienne qui, le plus souvent, est utilisée à contre-sens1 – la lutte de tous contre tous, le fighting spirit, la loi du plus fort ou de la méritocratie, se sont désormais imposés au sein des formes de vie dominantes, des projets politiques et économiques.

5Dans cette configuration idéologique, la compétition sportive est une « pure compétition » qui mettrait le monde « à l’endroit » (Bromberger, Hayot et Mariottini, 1995, p. 42) et pourrait servir de la sorte de modèle à toutes les autres compétitions car elle représente un modèle de justice, une « école de la vie » (Ehrenberg, 1991, p. 39) : chacun y obtient ce qu’il mérite.

6Le résultat de la compétition sportive doit, dans le cadre de l’idéologie du fair-play, s’imposer à tous et ne peut donc être contesté, si ce n’est par l’existence d’une compétition sans cesse renouvelée elle-même. Cette « société sportive » est encore et toujours le modèle désiré par l’ensemble des positivistes qui trouvent que les contestations des salariés, employés, ouvriers ou paysans génèrent des perturbations dommageables aux intérêts du capital et que ce fair-play appliqué aux autres secteurs de la vie économique et sociale permettrait de légitimer les hiérarchies.

Un idéal de la communication

7De ce fait, le sport semble l’appareil idéal de la communication d’entreprise. D’autant que s’ajoutent à ce qui vient d’être énoncé les mythes de la jeunesse éternelle et du dynamisme, de la vitesse, de la puissance, de la réussite et du désir de victoire et de domination. Autant de paramètres dont les entreprises cherchent symboliquement à se parer, éloignant d’autres paramètres ou valeurs, tels la sagesse, la patience, le respect et l’acceptation des différences.

8C’est ainsi que le sponsoring doit être compris comme un vecteur de communication. Celui-ci consiste pour une entreprise à contribuer ou à participer financièrement, matériellement et/ou techniquement à une action sociale, culturelle ou sportive, à un événement, dans l’optique commerciale d’accroître sa notoriété et éventuellement d’améliorer son image. Cette action s’accompagne souvent, mais pas nécessairement, d’une opération de communication publicitaire parallèle, qui permet de faire connaître cet engagement à l’ensemble des individus, cibles des produits de l’entreprise, que ces cibles soient des clients ou des fournisseurs. Dans le cas du sponsoring sportif, l’objectif est de transférer partie ou totalité des valeurs fantasmées ou supposées du sport vers l’entreprise qui sponsorise. Ainsi les entreprises s’approprient les fantasmes et s’achètent ainsi une image et, parfois, une virginité.

Sport et sponsoring : une domination

9Il y a, bien sûr, différentes formes de sponsoring sportif et je ne pourrai traiter dans le détail toutes ces actions. Cependant, il est de bon ton de rappeler qui sont les principaux partenaires et sponsors des grandes institutions sportives (fédérations, comités internationaux et nationaux, comités d’organisation des grandes compétitions internationales et nationales, etc.) qui utilisent le corps des sportifs comme de vulgaires supports, faisant de ceux-ci de véritables machines à rendement, tant corporel que financier.

10Ainsi, lorsqu’un sportif est sponsorisé par les marques Adidas ou Nike, il participe de l’exploitation des travailleurs au sein d’immenses cités-usines. Je rappellerai qu’en 1997, ces deux marques d’équipements sportifs faisaient fabriquer des maillots à San Bartolo, dans la zone franche de San Salvador, payés un franc par les propriétaires taïwanais de l’usine Formosa et revendus 400 francs en France. Adidas faisait, à l’époque, fabriquer ses ballons dans des camps de travail. Cependant, plus de dix ans plus tard, rien n’a réellement changé. Adidas a, en effet, dans un premier temps, fait fabriquer en Chine avant de trouver des pays où le rendement financier serait plus intéressant encore, tels l’Indonésie ou le Vietnam. En effet la Chine, par l’augmentation des coûts du pétrole et par celle des salaires, devenait un lieu de production un peu moins rentable. Mais pendant de longues années, à Dongguan, en Chine, les 27 000 ouvriers de l’usine produisaient les équipements des marques sportives que sont Adidas, Nike, Reebok ou Puma. Ces travailleurs mangeaient dans cette unité de production, y dormaient, s’entassant à huit par chambre de huit mètres carrés2. Ainsi ces marques s’enrichirent (et continuent de le faire) sur la valeur du travail des employés et utilisent le sportif comme support publicitaire afin d’écouler une marchandise hors de prix auprès de tous ceux qui, supporters ou sportifs du dimanche, veulent ressembler aux sportifs de haut niveau, « têtes de gondole » des grandes entreprises capitalistes.

L’appropriation des espaces publics

11Les partenaires se multiplient également auprès des clubs et des fédérations. Ainsi le site de l’Olympique lyonnais3 fait valoir quelques partenaires majeurs du club : il y a l’incontournable Adidas dont nous avons en quelques mots compris la philosophie, mais également Veolia dont le site annonce que l’entreprise « propose une gamme unique d’expertises en matière de gestion de la ressource de l’eau4 » afin de répondre aux besoins des particuliers et des industriels du monde entier. Veolia qui privatise l’eau avant que l’air ne le soit peut-être… Nous trouvons également des « fournisseurs officiels » comme Coca Cola, par exemple qui font aussi bien peu pour l’environnement. Ainsi en 2008, en Inde, la firme a été accusée (et reconnue coupable) d’utiliser l’eau des villageois, de la polluer (des résidus de pesticides ont été jugés vingt-quatre fois plus élevés que le niveau acceptable par les normes européennes), d’occuper illégalement les terres cultivables des paysans, appauvrissant et mettant en danger toute la vie villageoise et l’écosystème5.

12Ceci n’est évidemment qu’un exemple et il est possible que, attentive à sa santé financière, la présidence du club lyonnais, comme celle des autres clubs, ne se soucie guère de ces informations…

13Mais les sponsors réussissent désormais également à s’approprier l’espace public ou à s’approprier l’espace appartenant à une autre entreprise, plus faible. C’est ainsi que par l’intermédiaire de ce que l’on nomme le naming*, les partenaires réussissent à imposer une politique agressive d’appropriation qui, de plus en plus souvent est défendue par le système sportif et les collectivités territoriales. Le naming sportif consiste à donner à un stade, une piscine, un gymnase, le nom d’une marque ou d’une société qui sponsorise. Ces accords peuvent courir sur trente ans. Ce modèle se développe en Allemagne et en Angleterre où les Allianz Arena et les Emirates Stadium se multiplient.

14Le nouveau stade de Lyon est présenté comme étant totalement privé (même si, bien évidemment, des finances publiques sont mobilisées pour la construction de l’édifice et l’aménagement urbain nécessaire à son exploitation). Pour cette construction, les terres des agriculteurs ont été achetées à bas prix et le dernier résistant (Philippe Layat) voit ses propres terres occupées par les bulldozers. Une route, qui doit desservir le stade, traversera bientôt sa propriété. Une fois terminé, le stade de Décines aura sans doute un nouveau nom, celui d’un sponsor qui s’achètera une virginité ou l’oubli public par le versement de sommes astronomiques aux entreprises sportives.

15Certes le football semble à la pointe de cette économie mais les autres sports ne sont pas en reste et il faut voir, une fois, le Tour de France pour réaliser combien le sponsoring est devenu insupportable et combien les marques commerciales ont empiété sur notre liberté. Certaines d’entre elles s’affichent sans vergogne à flanc de montagne s’appropriant notre propre vie, polluant notre champ visuel, polluant les terres, utilisant les corps comme preuve de leurs qualités et massifiant toute vie, en retirant à celle-ci la possible singularité de l’humanité.

Une non-démocratie

16Derrière les notions et les concepts de progrès, de modernité et d’innovation, et par le biais du monde sportif, l’économie capitaliste souille un peu plus encore notre devenir en accroissant l’emprise du sport, particulièrement des grands événements sportifs, sur les populations et les masses. L’overdose publicitaire est alors totale.

17Lorsque Jérôme Valcke, secrétaire général de la Fédération internationale de football association (FIFA) déclara qu’« un moindre niveau de démocratie est parfois préférable pour organiser une Coupe du monde », il savait que cela permettait également d’utiliser le capital contre les populations (Maillart et Vassort, 2014). C’est ainsi que Poutine a mobilisé les capitaux nécessaires au sponsoring et aux partenariats contre les populations russes au moment d’organiser les Jeux de Sotchi et, sans aucun doute, cela continuera au moment d’organiser la Coupe du monde de football en 2018.