La communication des promoteurs
p. 171-175
Note de l’éditeur
Inédit
Texte intégral
Le logement, encadré par des règles toujours plus nombreuses et souvent contraignantes, s’avère un casse-tête aussi bien pour l’architecte que pour le promoteur. La salle de bains, pour répondre aux normes handicapées, prend à présent des allures de « salle de bal », s’exclame Jean-Luc Poitevin, Directeur général délégué à l’aménagement chez Next City, l’un des plus grands promoteurs immobiliers en France. Ces normes représentent un obstacle pour l’amélioration des intérieurs, qui en dépit de l’évolution des modes de vie ont peu changé depuis les années 1960. Ce qui, autre conséquence, oblige l’architecte à manifester son inventivité ou savoir-faire sur la façade : cette intervention formelle renforce l’opposition entre des architectes accusés de s’intéresser un peu trop à des questions d’esthétisme et leurs clients, soucieux, eux, de l’habitabilité de leurs intérieurs. Les habitants se moquent au final bien souvent du style, que le bâtiment soit néo-kitsch ou ose le modernisme ne les préoccupe guère, ils préfèrent avoir plus de mètres carrés et un agencement ingénieux des pièces.
Le poids du récit, avant celui des images
« Avec les promoteurs, explique l’architecte Édouard François1, il ne faut pas montrer trop d’images. Je raconte l’histoire, le scénario, sans illustration, jusqu’à obtenir une adéquation. Ensuite le dessin ou la maquette n’ont plus qu’à illustrer ce que je viens de dire. Par les maquettes qui correspondent au récit, le promoteur retrouve le récit auquel il adhère. » Travailler avec la promotion privée nécessiterait avant tout de communiquer et produire une architecture susceptible d’être comprise par le grand public. Tous les architectes ne peuvent le faire. « Il faut travailler sur les usages mais aussi les matières, l’éphémère, […] mais surtout ne pas aborder la notion d’éternité ou d’œuvre » poursuit-il.
Pierre Paulot directeur technique des 3F, un promoteur public pas comme les autres, s’avère hostile à la dictature de l’image, de l’image de synthèse tout particulièrement, qui nourrit dorénavant la plupart des projets d’architecture et d’urbanisme. Il a mis en place un nouveau règlement de concours stipulant que le projet serait jugé à l’aune des seules données techniques et a priori objectives que sont les plans, les coupes, les façades. Sont acceptés les croquis sobres noirs et blancs. La perspective jugée mensongère, peu instructive en matière d’habitabilité, de domesticité et d’insertion urbaine est proscrite. Une maquette simple et blanche est également demandée de manière à rendre compte par l’intermédiaire de la volumétrie, des gabarits et des échelles, des implantations et des liaisons, du point de vue urbain.
Apollonia, autre important promoteur immobilier, vendrait avant tout de la densité et de la relation, en somme de la ville, ou plus précisément du « rêve de ville ». Ce promoteur entend commercialiser des « quartiers » à partir desquels les citadins projetteraient leurs envies d’être en ville. Les noms de ces programmes laissent rêveurs : Sweet city, « Esprit Joinville » (Eiffage), « Les docks Apollonia » à Ris Orangis (ou Docks de Ris) qui offrent selon le site internet, une vue imprenable sur le lac (« Au pied des nouvelles résidences, l’on peut emprunter le mail paysager et les circulations douces »), New Port à Pantin (« l’adresse la plus recherché à Paris » ou encore « À Pantin, vivez l’exception aux portes de Paris »).
Des écoquartiers aux quartiers élégants…
Les écoquartiers répondent aux impératifs du maire, mais séduisent un public formaté aux discours standardisé du « développement durable ». Ainsi City nature (vendu par Eiffage) vante dans ses prospectus : « la vitesse limitée pour les voitures, les trottoirs aux proportions confortables, un alignement de beaux arbres pour cheminer à l’ombre faisant la part belle à la tranquillité », « des places de stationnement nichées dans des haies arbustives ». La reconquête des fleuves et des friches industrielles alimente l’argument de vente : Kroma verde (Eiffage) propose à Saint-Ouen un nouvel écoquartier de docks, avec des bâtiments à basse consommation construits autour de jardin intérieur avec toiture végétalisée ; Urban Docks à Bordeaux, résidence contemporaine et élégante, trouve parfaitement sa place dans le cadre urbain des Bassins à Flot. Son architecture contemporaine et son revêtement métallique souligne son aspect « industriel chic ».
À des programmes édifiés en banlieue parisienne, comme à Villeneuve-la-Garenne, Apollonia s’attache à offrir la forme mais aussi la dimension d’une ville, de manière à se protéger d’un environnement jugé inquiétant. La taille limitée du quartier se présente comme une barrière de protection face au « grand ensemble » situé à proximité. De la ville, Next city ne vendrait que cela, c’est du moins ce que prétend son directeur Jean-Luc Poitevin : « On ne parle plus transport, mais mobilité, cette mobilité peut être virtuelle, les habitants sont des nomades, et l’habitat en conséquence doit être envisagé par-delà ses frontières, dans une globalité urbaine. » Pour satisfaire les entreprises et les clients, il convient, selon lui de promouvoir une ville attractive. Le slogan du groupe était « Une ville d’avance », on lui a substitué « Une belle ville immobilière », afin de s’adresser à une population nomade et non plus à des catégories sociales clairement déterminées. Les Blues offices – bureaux et locaux partagés implantés à la fin de l’année 2014 dans des quartiers d’habitations en région parisienne – correspondent à cette main d’œuvre flexible qui souhaite réduire son temps de transport et travailler à domicile.
Les promoteurs, à défaut de véritablement la réaliser, vendent la ville sous toutes ses coutures : environnementale, postindustrielle, sociale… Apollonia promeut même la population que l’on peut côtoyer dans ses opérations immobilières, à savoir les futurs voisins que les acheteurs peuvent observer ou rencontrer lors du week-end dédié à la vente des appartements (selon sa stratégie du one shot : tout doit être vendu en deux jours).
Notes de bas de page
1 Architecte français contemporain, spécialiste de l’architecture « verte ». (D’Architecture, février 2013)
Auteur
Sociologue et urbaniste, enseigne à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-la-Villette et travaille sur les questions des grands ensembles, de l’espace public et de l’insécurité. Elle a notamment co-écrit avec Alessandro Giacone Jean Millier, un hussard de l’architecture (AAM, 2008) et avec Paul Landauer une monographie consacrée à l’architecte Émile Aillaud : Émile Aillaud, architecte (Éditions du Patrimoine, in Folio, 2011)
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