1Depuis le début des années 19901, les chaînes françaises ont vu un nouveau type de programmes fleurir sur leurs écrans : des programmes courts, d’une durée moyenne d’une minute à une minute trente, ayant la spécificité d’être parrainés par des annonceurs. La nouvelle forme de publicité que représentent ces formats, développant non pas une communication liée à un produit, mais à une marque, une communication d’image, semble en effet particulièrement séduire ces derniers2. Le lien entre l’annonceur/parrain et le programme court peut devenir très étroit, du point de vue symbolique et économique, même si chaînes, annonceurs et sociétés de production demeurent souvent vagues à ce sujet. Si certains annonceurs ne font qu’associer leur nom à un programme initié par la chaîne ou par une société de production, en le finançant, nombreux sont ceux qui élaborent le contenu même de ce dernier, conjointement avec la société de production, ou avec la chaîne, afin de s’assurer qu’il véhiculera bien les valeurs susceptibles de développer son image dans le sens voulu. Il est d’ailleurs intéressant de rappeler que les premiers annonceurs à s’engager dans la voie du parrainage de ce type de programmes, aussi appelé action de programming, ont été les marques du secteur de la grande distribution. Elles trouvaient là en effet un moyen efficace de contourner les interdictions de publicités télévisées dont elles faisaient l’objet, à l’époque3. Les articles que la presse généraliste et spécialisée dans le domaine de la communication, de la publicité et des médias ont consacré aux programmes courts ont d’ailleurs souvent tendu à principalement expliquer leur succès à travers4 ces nouvelles possibilités ainsi offertes aux annonceurs pour construire et modeler leur image.

2Au sein du champ des sciences de l’information et de la communication, seules quelques études ont été spécifiquement consacrées aux programmes courts, plus précisément d’ailleurs à l’analyse de certains programmes courts, sous un angle sémio-discursif5. L’installation durable des programmes courts au sein des grilles de programmes, les nombreux succès de nouveaux programmes courts invitent à compléter ces études. Pour ce faire, nous avons choisi de questionner la possibilité d’application de l’analyse traditionnellement utilisée, au sein de l’espace public médiatique, pour expliquer le succès des programmes courts, de l’annonceur à la chaîne de diffusion, à travers le concept d’identité de chaîne. Si les programmes courts permettent aux annonceurs qui les financent de travailler leur image, ne peut-il pas en être de même pour leurs chaînes de diffusion ? Il ne faut en effet pas oublier, comme le rappelle François Jost (2009), que les chaînes de télévision sont aussi des entreprises qui fonctionnent comme des marques. Les différentes caractéristiques constitutives les définissant en tant que telles doivent donc leur permettre de se distinguer au sein d’un régime concurrentiel (Spies, 2004). Leur nom leur permet d’être identifiées comme une personne. Les traits visuels et sonores de leurs chartes graphiques les singularisent. Leurs champs de souveraineté associent la marque à différentes valeurs. La chaîne, en tant que responsable de ses programmes et de sa programmation, mais aussi en tant que personne morale, produit par ailleurs différents discours qui vont eux aussi contribuer à forger son identité (Jost, 2009).

3Partant de ce constat, nous pouvons donc nous demander dans quelle mesure les programmes courts peuvent participer à la construction de l’identité de leur chaîne de diffusion, à travers leurs caractéristiques formelles, leur programmation et leurs contenus.

4Afin de mener à bien notre réflexion, nous nous sommes intéressés à un type de programme court spécifique, représenté sur l’ensemble des chaînes hertziennes : les programmes courts dédiés au sport. Dès lors, nous nous demanderons, aussi, dans quelle mesure cette thématique spécifique joue sur la possible définition de ces programmes courts en tant qu’éléments de construction de l’identité de la chaîne.

5Nous avons travaillé sur un corpus de 69 collections de programmes courts, constitué grâce à une recherche par mots-clés6 dans la base de données Médiacorpus de l’Inathèque. Notre objectif était de répertorier l’ensemble des collections de programmes courts sportifs diffusés sur les chaînes hertziennes (dont Canal+) entre 2000 et 20107.

Les caractéristiques formelles des programmes courts : entre logique publicitaire et logique de programme

6L’étude de différentes caractéristiques formelles des programmes courts étudiés constitue une première étape afin de déterminer leur capacité à participer pleinement à la construction de l’image de leur chaîne de diffusion. Ont été examinés leurs durées, leurs horaires de diffusion, le caractère fixe ou variable de ce dernier, le nombre d’émissions composant chaque collection de programmes courts. Des combinaisons très variées de propriétés formelles se sont dessinées.

Une brièveté avérée

7La durée est la seule caractéristique formelle que le nom même de « programme court » met en valeur. Cette visibilité invite à lui accorder une importance première. Seuls neuf des programmes courts du corpus étudié possèdent une durée supérieure à une minute et quarante secondes8. Les champions de demain est le programme court qui possède la durée la plus longue, en moyenne de trois minutes.

8La brièveté, voire l’extrême brièveté des programmes étudiés, est donc indéniable. Or, force est de constater qu’il s’agit d’un trait définitoire le plus souvent négatif lorsqu’il est appliqué à la télévision. Comme l’a souligné Jean-Bernard Cheymol (2011), la brièveté télévisuelle tend à être généralement perçue sous son seul versant négatif, en tant que discours dégradé, car abrégé d’une forme originelle authentique puisque de longue durée. La rapidité, l’urgence, le présent, la nouveauté, caractéristiques liées à la brièveté, sont en outre souvent critiquées lorsqu’elles sont appliquées au temps médiatique9.

9Cette conception négative de la brièveté limite, sur un plan théorique, la capacité des programmes étudiés à participer pleinement à la construction de l’image de la chaîne. Bien que dominante, cette manière d’appréhender la brièveté télévisuelle n’en demeure pas moins discutable. Le concept même de brièveté (Cheymol, 2011) la dépasse en effet de beaucoup, par son étendue. Jean-Bernard Cheymol invite d’ailleurs à penser ce concept non pas comme une contrainte, mais à travers ses qualités propres. Son étude du programme D’Art d’art souligne ainsi très clairement l’apport que la brièveté peut constituer pour une émission consacrée aux arts plastiques, grâce à l’efficacité qu’elle suppose. Le travail de Frédéric Pugnière-Saavedra permet, quant à lui, de penser le potentiel créatif offert par la brièveté au programme court humoristique Les Deschiens (Pugnière-Saavedra, 2011). Enfin, les succès d’audience, et les succès critiques, de certains programmes courts télévisés10 renforcent sans doute la nécessité de ne pas se limiter à une perception négative du temps court. La brièveté des programmes étudiés ne semble donc pas, en elle-même, constituer un élément déterminant quant à leur capacité à participer à la construction de l’image de la chaîne.

Priorité au prime time

10La seconde caractéristique formelle analysée est l’horaire de diffusion des programmes étudiés. Se joue en effet, à ce niveau, la question non seulement de leur visibilité, mais également de leur rôle fonctionnel au sein de la grille des programmes. Comme l’indique le graphique 111, la majorité des programmes courts étudiés sont programmés en accès prime time12 ou en prime time13. Cette situation spécifique les place donc au cœur du flux télévisuel, du peak time (Jost, 2007). Nous pouvons véritablement parler de flux puisque juste avant ou juste après le journal télévisé de 20 h se donne à voir un temps télévisuel spécifique, particulièrement scandé par l’enchaînement de séquences brèves : publicités, bandes annonces, bulletin météorologique, programmes courts. Or, cette programmation particulière leur assigne un double rôle non seulement économique, mais également stratégique. Sur un plan économique, l’insertion de programmes courts au sein de ce flux permet aux chaînes de gagner de l’argent directement, puisque ces émissions sont sponsorisées, mais également indirectement. Il ne faut en effet pas oublier que les programmes courts sont considérés par le CSA comme des programmes télévisés à part entière. Ils peuvent donc être encadrés par des écrans publicitaires. Leur diffusion permet ainsi d’allonger la durée de publicité diffusée, tout en évitant la création de « tunnels » publicitaires risquant de lasser le téléspectateur et de l’inciter à changer de chaîne ou à éteindre son poste de télévision. En cela, l’insertion de programmes courts au sein du peak time participe à une quête d’évitement du zapping. Sur un plan stratégique, ce qui se construit à ce niveau est l’assignation d’un rôle fonctionnel spécifique à ces programmes courts : celui de la transition. Comme l’explique François Jost, ces « émissions très brèves » permettent, durant le peak time, « d’assurer le passage d’une émission à l’autre et, aussi, d’une activité à l’autre » (Jost, 2007 : 50). Il s’agit de permettre au téléspectateur de passer d’un programme à un autre et aux émissions de se succéder. Et c’est bien la brièveté même de ces programmes qui leur permet de contribuer pleinement à la fluidité nécessaire à ce moment si spécifique (Cheymol, 2011).

11Ces programmes courts peuvent dès lors être perçus comme n’assumant qu’un rôle d’inter-programme :

« L’interprogramme fonctionne sur le mode de la dénégation (ce qui se confond avec le désaveu, qui nie la réalité). Une formule comme “Les programmes se suivent instantanément, mais il y a quelque chose entre eux” pourrait résumer ce fonctionnement. » (Esquenazi, 1996 : 232)

12Ce rôle peut, en outre, supposer un mode de consommation spécifique, reposant sur une attention limitée. Le programme serait diffusé pendant que le téléspectateur réaliserait d’autres actions, entre deux programmes qui l’intéressent réellement, comme une sorte de bruit de fond animé.

13Il semble pourtant particulièrement réducteur de penser que tous les programmes courts diffusés au sein du peak time ne puissent être considérés que comme des virgules économiquement pertinentes, noyées dans le flux télévisuel et regardées avec peu d’attention. Cette programmation spécifique peut en effet aussi être envisagée comme un puissant facteur de visibilité et donc d’identification14. Le succès rencontré par de nombreux programmes courts de fiction diffusés pendant le peak time peut ainsi être envisagé comme découlant en partie de cette forte exposition. Il constitue la trace d’un mode de consommation cette fois-ci marqué par l’intérêt, voire l’attente, d’un rendez-vous institutionnalisé, nous y reviendrons. Il faut d’ailleurs bien garder à l’esprit que ce succès ne se mesure pas uniquement grâce à des mesures d’audience, mais également, grâce à d’autres indicateurs15 qui ne laissent aucun doute quant à l’attention portée à ces programmes par les téléspectateurs, comme les chiffres de vente de DVD regroupant différents épisodes du programme ou la mesure du développement de produits dérivés16.

Une diffusion tendant à être fixe

14Le graphique 1 met également en lumière un trait caractéristique de la diffusion des programmes courts étudiés : ils tendent à être toujours programmés sur le même créneau horaire17. Cette observation est particulièrement importante car, sans une diffusion fixe, il semble très difficile pour un programme court de n’être autre chose qu’un inter-programme économiquement pertinent et donc, de pouvoir participer réellement à la construction de l’image de la chaîne18. La plupart des programmes courts ne sont en effet pas identifiés par la presse de télévision. Le caractère fixe de leur diffusion constitue alors un élément indispensable, même si non suffisant, pour que les téléspectateurs puissent les identifier et peut-être créer autour d’eux une attente, un rendez-vous institutionnalisé. En effet, comme l’explique Jean-Pierre Esquenazi (1996 : 230) :

« À l’intérieur du flux, doivent apparaître des émissions que le téléspectateur puisse reconnaître et attendre : le rôle de la grille de programme […] consiste à permettre ces reconnaissances et ces attentes. Et sa première fonction consiste à marquer le flux, y placer des repères. »

15Avec la programmation, « il s’agit de marquer le flux avec des rendez-vous. Ceux-ci sont évidemment périodiques. Un rendez-vous ne vaut que s’il est promesse de rendez-vous ultérieurs » (Esquenazi, 1996 : 230). La plupart des programmes courts étudiés possède donc bien l’une des caractéristiques nécessaires pour devenir des rendez-vous télévisés pour les téléspectateurs.

Des séries de programmes

16L’inscription d’un programme court dans une série constitue le second élément indispensable à la possibilité de création de rendez-vous autour d’un programme. En effet, comme nous venons de le voir, ce dernier ne peut s’instaurer que dans la répétition. Or, les programmes étudiés possèdent tous un caractère sériel. La plupart des programmes courts étudiés appartiennent à des séries de diffusion19 relativement longues20. En outre, certaines des séries les moins longues sont diffusées à une fréquence élevée car quotidienne21. Si l’on associe les deux dernières caractéristiques formelles mises au jour par l’analyse, un horaire de diffusion le plus souvent fixe et une sérialité marquée, il apparaît donc clairement que la plupart des programmes courts étudiés possèdent le potentiel formel pour devenir des rendez-vous, aux yeux des téléspectateurs. Ce statut peut leur permettre d’exister de manière autonome et donc de participer, à leur niveau, à la construction de l’image de la chaîne.

Des programmes courts intégrant la charte graphique de la chaîne

17La présence de l’annonceur est, le plus souvent, très visible dans les programmes courts. Elle se matérialise par une annonce sonore et visuelle, qui encadre le programme. La durée limitée de ce dernier peut, en outre, être perçue comme un facteur d’augmentation de cette visibilité. Mais la chaîne qui diffuse le programme court est également présente au sein même de celui-ci, ce qui induit la manifestation de différentes formes d’enchâssements énonciatifs. Cette caractéristique formelle est particulièrement importante puisqu’elle permet au téléspectateur d’identifier la ou les sources du message, voire d’en privilégier certaines. Plus le programme court pourra être identifié comme relevant du discours de la chaîne, plus il pourra participer à la construction de l’image de cette dernière.

18Dans l’ensemble des programmes étudiés, figure toujours un élément, sonore ou visuel, indiquant clairement l’appartenance du programme au discours de la chaîne (Spies, 2002). En cela, ces programmes ne sont pas différents de beaucoup de programmes longs, mais leur brièveté met particulièrement en valeur ces éléments d’identification à la chaîne. Dans les programmes courts étudiés, ces marqueurs d’identité sont plus ou moins présents, associant donc plus ou moins fortement la chaîne aux programmes. Dans la majorité des cas, la présence de la chaîne se matérialise à travers la présence de son logo ou d’éléments de sa signature sonore au début du programme. Mais l’association peut aller plus loin. Dans La route du Rhum 2002, diffusé sur France 3, différents éléments de la charte graphique22 de France 3 et de France Télévisions figurent, tout au long du programme court. Il apparaît donc clairement que c’est bien aussi, et peut être surtout, la chaîne et le groupe France Télévisions qui s’expriment à travers ce programme. Le programme Portrait bleu, diffusé sur TF1, reprend quant à lui de manière poussée des éléments de la charte graphique et sonore, non plus de la chaîne, mais de Téléfoot, son émission sportive phare : on retrouve bandeaux noirs encadrant horizontalement l’image que dans certains des reportages de l’émission, incrustations de textes écrits avec la même typographie, musique rythmée et fond noir utilisé pour les interviews. L’un des autres programmes courts sportifs diffusé par TF1 approfondit encore un peu plus l’identification du programme court à la chaîne. Il s’agit de L’Affiche du jour, où un nouvel élément d’identification du programme à la chaîne apparaît à travers la présence de présentateurs et consultants sportifs de la chaîne. L’identité de cette dernière se construit en effet aussi à travers la présence répétée à l’écran de figures que le téléspectateur va pouvoir lui associer. Dans L’Affiche du jour, présentateurs et consultants sont ainsi invités à commenter des matchs de football à venir, ou parfois de rugby, suivant l’actualité, à donner leur sentiment sur le potentiel de victoire de chaque équipe, à raconter une histoire autour de ce match, comme ils pourraient le faire dans l’émission Téléfoot. La chaîne apparaît donc bien, dans ce cas, comme l’instance principale d’énonciation. Le programme participe alors directement à la construction de l’image de la chaîne.

19L’identification des programmes courts à la chaîne, à travers la présence de ces différents marqueurs d’identité, au sein de ces programmes, pose la question du brouillage énonciatif entre annonceur et chaîne. La cohabitation de ces deux instances d’énonciation induit donc de fait un brouillage entre information et communication, programme et publicité. Ce point est d’autant plus questionnant pour certains programmes comme L’Affiche du jour. Sponsorisé par la Française des Jeux (FDJ) qui commercialise des jeux de paris sportifs, il a régulièrement été centré sur l’expression de pronostics23.

20À ce niveau de l’analyse, il apparaît clairement que certains des programmes étudiés possèdent des caractéristiques formelles favorisant leur effacement dans une logique d’inter-programme, voire publicitaire. Cependant, les caractéristiques formelles de la majorité des programmes étudiés leur permettent, au contraire, d’exister de manière autonome et de contribuer à la construction de l’image de la chaîne : inscription dans des collections sérielles, diffusion à heure fixe, à des créneaux horaires attractifs, chaîne pouvant être identifiée comme source d’énonciation. L’étude du contenu des programmes courts sélectionnés permet, quant à elle, de voir si ces derniers s’inscrivent, à ce niveau, dans la stratégie globale de la chaîne en matière de diffusion de sports, domaine particulièrement propice à la construction de son image.

Les programmes courts sportifs et la programmation de la chaîne : une stratégie cohérente ?

21Comme nous l’avons déjà précisé, la programmation constitue l’un des éléments dessinant l’identité d’une chaîne. Outre le choix des horaires de diffusion de chaque programme, que nous avons déjà évoqué, se joue à ce niveau le contenu même de ces programmes. Or, il apparaît nettement que les programmes courts étudiés proposent des contenus différents suivant leur chaîne de diffusion. En cela s’esquisse une stratégie de programmation à part entière pouvant être envisagée comme guidée non seulement par des impératifs commerciaux directs, mais également par une finalité de construction de l’image de la chaîne.

À chaque chaîne son sport

22En effet, il apparaît tout d’abord très clairement que les différentes chaînes ne traitent pas des mêmes sports au sein des programmes courts étudiés.

23Le caractère assez tranché de cette répartition24 induit l’association d’un sport25 à une chaîne et permet de penser qu’il s’agit du résultat d’un choix stratégique. Seuls quelques programmes courts semblent assez isolés, par la thématique qu’ils abordent, au regard de leur chaîne de programmation. C’est par exemple le cas de l’Instant glisse, programme court dédié aux sports de glisse, diffusé par TF1.

24En s’associant à un sport précis, par le biais des programmes courts sportifs, la chaîne vise des objectifs économiques, mais construit également son identité. En effet, comme le rappelle François Jost (2009 : 65) :

« La logique de marque [...] pousse les chaînes à choisir des programmes en cohérence avec leur image et, réciproquement, à construire l’image de la chaîne, qu’elle soit privée ou publique, commerciale ou non. Telle est, en effet, la quadrature du cercle que doit résoudre le programmateur : chaque programme construit l’image de la chaîne et l’image de la chaîne sémantise chaque programme en sorte que regarder le même programme sur deux chaînes différentes n’a pas le même sens ».

25Le sport constitue en outre une thématique particulièrement forte dans une perspective de construction d’image. Comme le souligne Patrick Laure, non seulement le sport est fortement associé à différentes valeurs au sein de l’espace public, mais les acteurs du sport revendiquent ce lien (Laure, 2008). Pour Dominique Bromberger et Ludovic Lestrelin, le sport et la compétition sportive seraient d’ailleurs associés aux valeurs cardinales de nos sociétés démocratiques et méritocratiques (Bromberger et Lestrelin, 2008). D’une part, ils exaltent le mérite individuel ou collectif, la performance, le dépassement de soi, dans des sociétés qui valorisent le classement, l’évaluation des compétences ; d’autre part, ils développent l’idée que rien, dans une compétition sportive, n’est joué d’avance et que seul le mérite compte. D’autres valeurs sont, en outre, aussi couramment associées au sport : le respect de soi, des autres et de la règle, la solidarité, la création et l’entretien du lien social, l’honnêteté, l’amitié, etc. Et chaque sport véhicule quant à lui des valeurs spécifiques. Le rugby se prête à l’exaltation de la solidarité communautaire, le football à celle du collectif, alors que le tennis et le judo favoriseront la mise en valeur du dépassement personnel (Bromberger, Lestrelin, 2008). Le sport constitue ainsi une thématique particulièrement propice à la construction du « champ de souveraineté » (Jost, 2009) de la chaîne. En privilégiant certains sports au sein des programmes courts qu’elle diffuse, la chaîne peut donc chercher à associer son image à différentes valeurs, dans une logique similaire à celle de l’annonceur qui parraine ces programmes.

26Il est par ailleurs intéressant de constater que la répartition des sports dans les programmes courts diffusés par chaque chaîne fait assez largement écho à leur politique de diffusion d’événements sportifs et aux thématiques développées par les émissions sportives qu’elles diffusent26.

27En prolongeant la politique de diffusion du sport engagée par les chaînes, les programmes courts peuvent donc être envisagés comme des éléments de renforcement du lien établi entre un ou des sports et la chaîne. Cette observation invite en outre à replacer les programmes courts au sein des grilles de programmes pour saisir pleinement leur rôle. Le nombre important de programmes courts que TF1 consacre au football peut ainsi contribuer à instaurer encore plus fortement la première chaîne comme LA chaîne (gratuite) du football, voire de l’équipe de France, dans la droite ligne de l’importance qu’elle accorde à ce sport, au sein de sa programmation. La variété des sports27 abordés dans les programmes courts diffusés par France Télévisions fait, quant à elle, écho à la programmation généraliste de Stade 2, l’émission sportive phare de la chaîne. Daniel Bilalian, directeur des sports de France Télévisions depuis 2004, explique d’ailleurs ce choix de programmation par la mission de service public du groupe, ce qui suppose la quête de certaines valeurs28.

28À ce niveau, une évolution au sein des sports abordés par les programmes courts de la chaîne M6 doit être remarquée. Trois des quatre programmes courts consacrés au football29 apparaissent après 2005, ce qui coïncide avec la nouvelle orientation stratégique de la chaîne par rapport à ce sport, orientation que cette programmation semble donc accompagner. En septembre 2005, la chaîne lance en effet avec succès son premier magazine sportif consacré au football, 100 % Foot. Mais elle se fait surtout remarquer en rachetant à TF1 trente et un matchs de la coupe du monde 2006 et en engageant pour l’occasion l’un des commentateurs historiques des matchs de football sur TF1, Thierry Rolland. Si la chaîne n’a diffusé aucun match de la Coupe du Monde 2010, elle a néanmoins poursuivi une politique volontariste vis-à-vis du football, en reconduisant l’émission 100 % Foot, en retransmettant des matchs de l’Europa Ligue, mais surtout en essayant de se positionner de plus en plus fortement comme chaîne de diffusion des matchs de l’équipe de France. La chaîne s’est une nouvelle fois faite remarquer en obtenant la diffusion du match aller Irlande-France, match de qualification décisif pour la Coupe du Monde 2010, les matchs de l’équipe de France étant traditionnellement diffusés sur TF1. Elle a ensuite obtenu de diffuser différents matchs de l’équipe de France, à l’occasion de la phase de qualification de l’Euro 2012. En septembre 2011, la diffusion de l’un de ces matchs a, en outre, été marquée par la réunion du duo historique des commentateurs Thierry Rolland et Jean-Michel Larqué.

À chaque chaîne son traitement du sport

29Par-delà la discipline évoquée par les programmes courts sportifs, il apparaît également que la manière dont ces derniers abordent le sport varie suivant leur chaîne de diffusion. Trois catégories de programmes courts sportifs peuvent ainsi être distinguées : les programmes courts annonçant, promouvant ou accompagnant une compétition diffusée par la chaîne, des programmes courts relayant des images de compétitions non diffusées par la chaîne, des programmes courts n’ayant pas de lien avec une compétition.

30L’ensemble des chaînes gratuites, TF1 et M6 surtout, diffusent des programmes qui n’entretiennent aucun rapport à une compétition. Sur TF1, ils semblent principalement accompagner la programmation sportive de la chaîne, puisque la plupart d’entre eux concernent le football. Sur M6, ils peuvent être perçus comme participant à la création d’un lien entre une chaîne, qui diffuse peu de grands événements sportifs, et l’univers du sport. Pour l’ensemble des chaînes, ces programmes apparaissent comme un lieu de mise en scène de valeurs liées au sport, contenu propice au modelage d’une image, comme nous l’avons vu.

31Les programmes courts liés à une compétition retransmise par la chaîne sont les programmes les plus diffusés, sur TF1, France 2 et Canal+. Ils contribuent à associer une compétition à une chaîne. L’établissement de ce lien correspond tout d’abord à des objectifs économiques de court terme. Il peut s’agir d’utiliser les programmes courts à la manière d’une bande-annonce afin de transformer la compétition en événement exceptionnel et attendu, pour lequel peut se mettre en place, chez le téléspectateur, une logique de rendez-vous. Ces programmes s’inscrivent ainsi dans une stratégie globale de captation des téléspectateurs et donc, indirectement, de séduction des annonceurs30. Le sport constitue d’ailleurs un très fort générateur d’audience pouvant permettre aux chaînes d’accroître substantiellement le coût des spots de publicité diffusés durant les compétitions sportives. En 2005, la plus forte audience de TF1 a ainsi été générée par la retransmission du match France/Chypre, décisif pour la qualification de l’équipe de France à la Coupe du monde de football31. Dès décembre 2005, la régie publicitaire de la chaîne avait, quant à elle, prévu de facturer 287 500 euros les 30 secondes de spot publicitaire diffusé durant la mi-temps de la finale de la Coupe du monde de football, en cas de présence de la France… ce qui a été le cas. Les programmes courts composés d’images d’une compétition diffusée par la chaîne peuvent aussi apparaître comme un moyen d’exploiter au maximum les images de compétitions achetées de plus en plus chèrement par les chaînes. Rappelons en effet que, comme d’autres programmes courts, ceux qui tournent autour du sport exploitent assez souvent une logique de recyclage basée sur la réutilisation d’images déjà produites ou achetées32.

32Les objectifs de la chaîne ne sont pourtant pas toujours aussi directs, sur le plan économique. Interrogé sur le rôle du sport pour France Télévisions, Daniel Bilalian, directeur des sports de France Télévision depuis 2004, déclarait ainsi en 2006 :

« Le sport fait partie de l’image du groupe et de son « standing ». Une chaîne qui n’aurait pas de sport de haut niveau jouerait en deuxième division, et pas seulement dans le secteur du sport. Nous venons d’acquérir les droits de la totalité de la coupe d’Europe de Rugby et ceux de la coupe de France de football, associés avec Eurosport. Si France Télévisions était cotée, je suis sûr que le cours de ses actions aurait monté [...] Nos succès en sport rejaillissent sur l’ensemble des antennes de la société.33 »

33Ce discours illustre très bien le lien, étroit et circulaire, entre les objectifs économiques et symboliques liés à la diffusion du sport. La diffusion du sport participe à la construction de l’image de la chaîne, ce qui permet, à plus long terme, de séduire les annonceurs34.

34L’importance de la dimension symbolique de la diffusion de compétitions sportives prestigieuses, sur son rôle de construction d’image de la chaîne, doit être mise en relation avec le coût croissant des droits de retransmission de ces dernières. À titre d’exemple, rappelons que les droits de diffusion télévisée du championnat de football anglais de première division sont passés de 21 à 830 millions d’euros entre les saisons 1991/1992 et 2005/2006, ceux des Jeux olympiques (été et hiver), de 1 507 (2006-2008) à 2 004 milliards de dollars (2010-2012) (Andreff, 2008). Pour retransmettre les 24 meilleurs matchs de la Coupe du monde de football 2006, TF1 a, quant à elle, dû dépenser 100 millions d’euros. Aujourd’hui, diffuser certaines compétitions sportives n’est donc plus forcément rentable à court terme mais uniquement à long terme, suite au travail d’image que la chaîne peut engager autour de la diffusion de ces compétitions. En 2006, M6 avait ainsi annoncé que son achat des droits de diffusion de 31 matchs de la Coupe du monde de football, pour 27 millions d’euros, n’avait pas été compensé par l’achat d’espaces publicitaires. La chaîne estimait le manque à gagner entre 10 et 15 millions d’euros. Le football peut en effet parfois apparaître soit comme trop fédérateur, ce qui empêche de toucher une cible spécifique35, soit comme trop excluant pour une catégorie stratégique, les femmes. Seuls quelques annonceurs seront donc prêts à payer les spots publicitaires à un tarif permettant à la chaîne, au minimum, de compenser le coût de l’achat des droits de retransmission. Pour Nicolas de Tavernost, le président de M6, son investissement dans la Coupe du monde de football 2006 demeure cependant une bonne opération. Son objectif n’était en effet pas une rentabilité économique directe mais un gain symbolique, en termes d’image, soit une rentabilité économique à long terme. M6 souhaitait en effet associer l’image de la chaîne au football, afin de masculiniser son audience, plutôt jeune et féminine. Les dirigeants de M6 pariaient alors sur la fidélisation des hommes ayant suivi les matchs diffusés par la chaîne et l’émergence, chez eux, d’une nouvelle perception de la chaîne, non plus en tant que « petite chaîne qui monte » mais en tant que petite chaîne devenue grande généraliste36. Les programmes courts sportifs peuvent aider la chaîne à réussir ce type de stratégie.

En conclusion

35Au regard des différents éléments interrogés au cours de cette recherche, il apparaît clairement que la grande majorité des programmes courts étudiés peut jouer un rôle réel dans la construction de l’identité de leur chaîne de diffusion. Leur programmation au sein du peak-time, à un horaire fixe, tout en étant inscrit dans la durée que suppose la sérialité, leur permet tout d’abord d’exister pleinement, de manière autonome. Le fait qu’ils intègrent des traits visuels et sonores de la charte graphique de la chaîne les inscrit ensuite, non plus seulement dans le discours de l’annonceur, mais bien dans celui de la chaîne, à travers un enchâssement énonciatif remarquable. Dès lors, les contenus qu’ils développent peuvent venir participer à la construction de l’identité de cette dernière. C’est ce qu’ils font, en se révélant être des prolongements de la programmation générale de la chaîne en matière de sport, contenu à forte portée symbolique, donc particulièrement propice à la construction du champ de souveraineté de celle-ci.

36Ce qui se donne finalement à voir est donc souvent un renforcement énonciatif mutuel, entre chaînes et programmes courts. D’un côté, les chaînes développent un discours sur elles-mêmes et poursuivent leur construction identitaire, à travers les programmes courts ; d’un autre côté, ces derniers ne prennent véritablement sens, en tant que discours, que replacés dans l’ensemble du discours de la chaîne. Il serait donc très intéressant de prolonger cette recherche par l’étude du contenu des programmes courts sous un angle rhétorique, en questionnant leur adéquation aux styles développés par la chaîne pour traiter du sport.