Un jeune député sous la monarchie de juillet (1830-1848)
p. 71-115
Texte intégral
1Au printemps 1830, l’heure est grave : le régime semble à bout de souffle et le retour au pouvoir des ultras, au mépris des résultats électoraux de 1828, soude un peu plus la population contre les Bourbons. Surtout, les ordonnances du 25 juillet restreignant la liberté de la presse et le droit de vote provoquent la dissolution immédiate de la Chambre dans une Europe balayée par le souffle des révoltes libérales. Trois jours après la publication des textes scélérats, Paris se couvre de barricades tandis que les drapeaux tricolores refleurissent et remplacent le blanc et le lys des Bourbons. Pour les jeunes libéraux et les républicains, pour les démocrates partisans de la réforme qui, comme Carnot, vont « faire l’histoire politique de la France pour les trente, sinon les quarante années » (Patrick Harismendy), l’heure de l’action sonne.
Enthousiasme et déceptions
2Les « Trois Glorieuses » de Juillet 1830 à Paris, semblent valider les espoirs du jeune homme. Un souffle de liberté et un espoir, parfois naïf, s’emparent de la capitale et enthousiasment Carnot qui se jette dans l’action au grand dam des saint-simoniens.
3Dès le premier jour du soulèvement, après en avoir averti ses condisciples, il descend dans la rue et rejoint les compagnons de Bazard, souvent d’anciens républicains, dressés contre le régime. Il a pris ses distances avec les saint-simoniens la veille au soir, en se rendant rue Monsigny pour donner une conférence consacrée à « la famille ». Chemin faisant, il a vu Paris en ébullition, prêt à se soulever. Il constate l’espoir qui anime le peuple et remarque les innombrables références à 1789, entend les Marseillaise que l’on siffle timidement et voit le tricolore aux fenêtres. Il croise des étudiants libéraux qui appellent à la résistance et rencontre les ouvriers imprimeurs qui mettent en forme la proclamation inspirée par Thiers qui explique : « Des ministres criminels ont violé la légalité, nous sommes dispensés d’obéir ». Et, même si Paris semble fermement tenu par l’armée qui réprime ces premiers soubresauts, tout peut basculer à chaque instant.
4C’est donc un homme enthousiaste qui arrive à la réunion prévue et qui change vite de nature. Oubliée la famille, oubliée la morale, oubliées les consignes de prudence et de détachement ! La question est de savoir si l’on peut se tenir à l’écart du peuple, ignorer le soulèvement qui se prépare au nom des libertés que l’on revendique. Faut-il interrompre les sages discussions, la douce et confortable routine pour aller soutenir la rue dont les premiers grondements montent jusqu’à ce cénacle clos ? Le débat se prolonge jusqu’à la nuit, dans une capitale livrée à l’obscurité, car les lanternes ont été brisées. Le peuple prend alors les choses en main, pille les armureries, élève des barricades et prône l’union entre étudiants et ouvriers. Pour les saint-simoniens l’heure du choix a sonné entre les partisans de la retenue, tel Enfantin, qui se veulent de purs théoriciens voués à éclairer le peuple et ceux tel Bazard qui pensent que l’occasion est historique et qu’il faut se battre. La ligne Enfantin finit, on l’a vu, par l’emporter et Carnot, fort déçu, quitte la réunion avec ses compagnons les plus engagés.
5Dès le 28 juillet, ils sont aux côtés des insurgés qui manifestent joyeusement dans tout Paris aux cris de « vive la Charte », « à bas la Royauté ». Mais le ton change vite pour retrouver un cours plus classique, frappé du sceau de la vulgate révolutionnaire. L’Hôtel de Ville est envahi et les Trois couleurs hissées en son sommet et sur les tours de Notre Dame, comme le montre le tableau de Delacroix La liberté guidant le peuple. La jonction entre le libéralisme et les idéaux de 1789 semble s’accomplir dans l’enthousiasme. Le soir même, malgré les ordres leur enjoignant de durcir la répression, les premiers régiments fraternisent avec les insurgés armés. Tout s’accélère alors : le lendemain, 29 juillet, les insurgés sont rejoints par la jeunesse libérale et étudiante. Les polytechniciens, nombreux chez les saint-simoniens et la Garde nationale, arrivent à la rescousse. C’est à ce moment que, selon la légende, Carnot prend une carabine « assurément fort inoffensive1 » avant de monter sur les barricades. Pendant ces heures cruciales, le rapport de forces s’inverse au prix de violents combats où s’illustrent les polytechniciens. Deux d’entre-eux, Lothon et Vanneau tombent, l’un pendant l’attaque des Tuileries, l’autre pendant l’attaque de la caserne Babylone. Le professeur Farcy, rédacteur au Globe et collègue de Carnot est également tué. Le peuple bascule alors du côté des insurgés et se rue sur les barricades.
6De ce jour commence l’engagement politique de Carnot, bombardé membre de la Municipalité provisoire du VIe arrondissement (soit le IIIe arrondissement, une partie du IVe et du XIe actuels) chargé d’un rapport sur les combats, notamment la mort de Vanneau. Il coordonne aussi les soins aux blessés et les secours aux victimes des combats, ce dont il se souviendra quarante ans plus tard dans le Paris assiégé par les Prussiens. L’expérience du combat, la proximité du peuple, l’exaltation de l’action, le poussent un peu plus vers ces républicains qui, sur le terrain, prennent les choses en main au détriment des libéraux qui avaient initié la révolte. Carnot rédige avec les républicains une Adresse exigeant l’élection d’une Assemblée constituante. L’heure de la République, un court instant proclamée au restaurant Lointier en sa présence, semble venue. Mais les libéraux comme Thiers, Laffitte ou Perrier, tous anciens compagnons de sociétés de Carnot et souvent francs-maçons, redoutent cette forme de gouvernement qui risque, selon eux, de ramener « le despotisme révolutionnaire » et les violences de 1793. Grâce au vieux La Fayette, redevenu chef de la Garde nationale, ils reprennent la main et publient, sous la houlette de Guizot, une proclamation vantant « l’héroïque population de Paris », affirmant que « la Charte sera désormais une vérité » et imposant la solution libérale du duc d’Orléans, Louis-Philippe, qui monte sur le trône.
7La Monarchie constitutionnelle qui est proclamée est cependant bien différente de la précédente. Le nouveau monarque est un ancien combattant de Valmy et de Jemmapes qui paraît au balcon de l’Hôtel de Ville le 31 juillet 1830, drapé de tricolore et dont La Fayette dit qu’il « établit la meilleure des Républiques ». Huit jours plus tard, à l’appel par les députés, il devient le « roi des Français par la grâce de Dieu et de la volonté nationale ». Malgré cette ouverture libérale, le nouveau régime reste cependant loin de la République que désirent Carnot et une partie des insurgés. Certes, le fil de 1789 semble renoué, comme le montre l’adoption définitive du drapeau tricolore, mais l’heure n’est pas encore à la démocratie. En effet, si la Charte révisée devient le socle du régime fondé sur l’élection et non plus sur l’onction divine, si les pouvoirs sont mieux séparés, le cens n’est que peu abaissé et le catholicisme reste la religion de la « majorité des Français ». Les affrontements entre modérés et républicains redoublent, d’abord dans les états-majors, puis dans les rues des villes et dans tout le pays.
8Cependant les choses bougent, les contemporains évoquent le climat de libération et d’optimisme qui s’empare du pays. Les associations, les clubs, les sociétés populaires et les journaux fleurissent grâce à des lois libérales et à la Charte2. Les opposants peuvent se réunir, créer de nouvelles sociétés, la jeunesse se politise un peu plus en un bouillonnement intellectuel qui rappelle les débats auxquels a participé Carnot au début de la Restauration.
9Mieux encore, la plupart des thématiques des vainqueurs de Juillet sont celles qui obsèdent depuis longtemps le jeune homme. Ainsi la plupart des nouvelles sociétés prônent l’éducation populaire, parfois gratuite, et exigent l’avènement de la démocratie comme la républicaine Société des amis du peuple ou la Société de l’Ordre et du Progrès. Cette dernière milite même pour une révolution européenne et libérale qui ne peut laisser Carnot insensible. Toutes demandent l’organisation de nouvelles élections, des modifications fiscales et de nouvelles lois commerciales. Elles influencent même les anciennes sociétés comme Aide-toi le ciel t’aidera qui demande à présent des réformes politiques, voire une ébauche d’action sociale. Même l’Église évolue avec les catholiques libéraux de Lamennais ou Lacordaire qui proposent un programme d’action sociale appelé l’Avenir et souhaitent réconcilier Église et Révolution dans une optique libérale. Dans les grandes villes, des « ateliers populaires » s’improvisent, les revendications les plus folles circulent comme la fixation des tarifs et la réduction du temps de travail qui rappellent les années révolutionnaires. À l’inverse l’Église officielle surnommée la « Congrégation » ou le « Parti prêtre » est accusés de tous les maux, notamment dans le domaine éducatif. Et, jusque des profondeurs du pays, remonte le souvenir des années révolutionnaires tandis que les vétérans de l’Empire ou de la première République relèvent la tête pour se joindre au concert grandissant des revendications libérales.
10Cet espoir est étayé par les événements européens qui voient les peuples se soulever contre l’ordre du congrès de Vienne et les monarchies rétablies. Partout, les nations belges, italiennes, polonaises, allemandes ou grecques demandent leur émancipation et la fin des Empires qui les écrasent. Partout on revendique les libertés élémentaires, individuelles et collectives, voire la démocratie.
11Dans ce double contexte national et européen, Carnot s’engage plus avant sur la voie de la République sociale et démocratique. D’un même élan, lui et son frère refusent le siège qu’on leur propose à la Chambre des Pairs au nom de leurs principes révolutionnaires. Cette Assemblée représente en effet tout ce qu’ils détestent : l’inégalité devant le suffrage et la hiérarchie qu’elle établit entre les représentants du peuple.
12Pour Carnot, la première année du nouveau régime est donc celle des espérances : le pouvoir est entre les mains de cette bourgeoisie libérale qu’il pense capable de profondes réformes, même si elle entend rassurer et maintenir l’ordre. Dans un premier temps, le gouvernement de novembre dit du « Mouvement », et dirigé par ce Laffitte que connaît bien Carnot, ne déçoit pas. Il lance les réformes libérales que Casimir Périer réalisera ensuite avec quelque mauvaise grâce au printemps 1831. Mais la lune de miel entre le peuple, les idéaux de Juillet et le pouvoir dure peu. Le gouvernement change rapidement son fusil d’épaule et fait sien les principes de Guizot qui pense « que la Révolution (de Juillet) a été conservatrice » et qu’il suffit d’appliquer la Charte pour répondre aux aspirations de Juillet et bâtir un libéralisme tempéré, bien loin de la démocratie dont rêvent les républicains et autres « doctrinaires ».
13Les premières réformes sont limitées : certes, dans un premier temps, le double vote et la Pairie héréditaire sont supprimés. Certes la levée de la censure, l’autorisation des clubs, l’abaissement de l’âge de l’éligibilité qui reste soumis au cens et le renvoi des délits de presse devant un jury3, montrent une volonté d’ouverture. Mais si l’élection se propage aux Conseils municipaux, aux Conseils généraux et à la Garde nationale, le cens est fort peu abaissé et le nombre d’électeur atteint péniblement les 250 000 à la fin du régime. Ces timides avancées ne satisfont pas Carnot, pourtant enclin à améliorer les choses par quelques réformes. La déception l’emporte vite et, dès la fin du printemps 1831, ce blocage démocratique se double d’une désillusion sociale. En effet, en libéral conséquent, le ministère Périer refuse toute intervention de l’État dans la gestion du travail, même pour améliorer le sort des travailleurs. Pour le pouvoir, si l’État ne doit pas intervenir en ce domaine, il n’a donc pas non plus à améliorer l’instruction publique. Sa mission principale reste le maintien de l’ordre, y compris avec la force, et le contrôle des attroupements. Ainsi, à l’automne 1831, il écrase dans le sang la révolte des Canuts4 qui ont pris le contrôle de Lyon, ville symbole de la révolution industrielle. Dès lors, les grèves et émeutes se multiplient comme à Mulhouse ou Paris pour ne plus cesser. Désemparé, le pouvoir s’en remet aux seuls intérêts privés et à l’Église pour les questions sociales et économiques, quitte à décevoir les acteurs des Journées de Juillet.
14Sur le plan diplomatique, les grands principes sont tout aussi vite abandonnés. En l’espace de quelques mois, le régime de Juillet renie ses engagements européens en faveur du droit des peuples et de l’émancipation des nations. Il favorise le retour au calme en Belgique via la monarchie et une alliance matrimoniale tout en luttant contre les républicains qui refusent ce régime conservateur. Il ne fait pas mieux dans l’Italie qui a proclamé les « Provinces unies d’Italie » : le gouvernement retire son soutien aux insurgés et laisse les Autrichiens écraser les républicains et nationalistes5 pour réinstaller les anciens souverains.
15Enfin, l’Église déçoit aussi les jeunes défenseurs de la réforme. Les libéraux partisans d’une évolution sociale de l’institution sont désavoués les uns après les autres par Grégoire XVI qui publie l’encyclique Mirari vos, hostile aux réformateurs. Publiée le 15 août 1832, elle fustige le libéralisme qualifié de « maxime fausse et absurde », la liberté de la presse considérée comme la « liberté la plus funeste, liberté la plus exécrable pour laquelle on n’aura jamais assez d’horreur » et la liberté d’opinion qualifiée de « délire », sans oublier de condamner la séparation de l’Église et de l’État. C’en est trop pour les libéraux et les républicains, mais aussi pour nombre de croyants comme Carnot qui commence à envisager l’avenir hors de l’église et contre un pouvoir qui tourne le dos aux acquis de 1789 et aux promesses de Juillet. C’est cette déception politique et sociale qui le pousse à changer la nature de son engagement, d’autant que sa vie familiale bascule en peu de temps.
L’effervescence de Juillet et la loi Guizot
16Après ces déceptions, Carnot entend rester dans l’action pour améliorer la société par le travail, la fraternité et l’instruction. Une fois la scission saint-simonienne entérinée6, il poursuit un temps ses travaux, aux côtés de Bazard et de ses partisans, pour la Revue encyclopédique qu’il a rachetée avec son frère. Les deux Carnot s’entendent à merveille pour participer au nouvel élan réformateur qui s’empare de la jeunesse éclairée. Tout scientifique qu’il est, l’aîné participe souvent à des réunions sur l’instruction publique et suit son frère dans les sociétés qu’il fréquente.
17Les causes à défendre sont nombreuses, notamment celle de la Pologne qui a accueilli le père et le fils en exil. En janvier 1831, le cadet des Carnot lance ainsi dans le Globe un manifeste pour ce pays qui s’est soulevé contre la tutelle russe quelques mois auparavant. Il met sur pied un « Comite pour la Pologne », dirigé par La Fayette, et y explique :
« En 1815, un proscrit, obligé de quitter la France après l’avoir servie […] donnant la main à son fils âgé d’à peine treize ans, demanda l’hospitalité aux bords de la Vistule. […] Ils lui offrirent l’hospitalité et pleuraient avec lui cette liberté qu’eux aussi avaient payée de leur sang. […] Ce proscrit c’était mon père, cet enfant, c’était moi […]. Aujourd’hui qu’une lutte périlleuse s’ouvre pour vous et vos fils dans la carrière où la France vous a montré par son exemple, la France ne fermera pas l’oreille à votre appel7. »
18Il multiplie aussi les projets, comme celui qu’il élabore avec Jules Simon et Dutrône et soumet en avril 1831 au ministre de l’Instruction Publique, l’ancien polytechnicien et membre de sociétés, Montalivet. Carnot y propose que l’État crée un Établissement d’instruction élémentaire et d’apprentissage pour les enfants du peuple, dans les dépendances du château de Versailles, ainsi rendu au peuple. Le nistre se déclare poliment intéressé : « Ce projet inspiré par les intentions philanthropiques les plus louables me paraît mériter une sérieuse attention. Mais plus l’ensemble est vaste, plus il a besoin d’être médité […]. Je vais prendre avec intérêt toutes les informations nécessaires afin de savoir quelle suite lui donner8. » Mais il ne donne pas suite à un texte qui aurait, dit-on, déplu aux autorités religieuses.
19Tout semble pousser à l’action. Les journaux, les cercles, les clubs et autres associations se multiplient9 : plus d’une soixantaine de feuilles, de petits journaux, souvent républicains, circulent alors à Paris. Des associations comme la Société des amis du peuple10 vantent certaines idées révolutionnaires et sociales ou offrent des cours gratuits aux ouvriers. D’autres sont dévolues à l’instruction comme l’Association libre pour l’éducation du peuple de Dupont de l’Eure ou la Société des méthodes d’enseignement dont Carnot est membre. Certaines, comme l’Association pour la liberté de la presse, soutiennent les journaux d’opposition traînés en justice. Dans des journaux comme le National, les critiques fusent contre le gouvernement accusé de trahir les espoirs de 1830, voire ceux de 1789. Ailleurs, les ouvriers s’organisent en coopératives, en mutualités, en sociétés de résistance ou « unions » qui parfois réussissent à imposer leurs revendications. Une presse radicale émerge et se rapproche du socialisme comme l’Atelier de Buchez, l’Artisan, journal de la classe ouvrière édité par des ouvriers typographes ou la Ruche populaire inspirée du saint-simonisme.
20C’est dans cette atmosphère exaltante que la mort frappe soudain Sadi Carnot, touché le 24 août 1832 par l’épidémie de choléra qui fauche vingt mille Parisiens, dont le chef du gouvernement. Sa contamination serait survenue le 5 ou le 6 juin en croisant le cortège des obsèques du général Lamarque11 qui s’était transformé en émeute républicaine. Les affrontements qui s’en suivirent au cloître Saint-Merri illustrent d’ailleurs la tension qui commençait à régner autour de la situation politique et sociale.
21Le décès de ce frère qui le fascine et au côté duquel il lutte à présent l’accable. Leurs idéaux et leurs combats les rapprochaient, même si l’un était scientifique et l’autre littéraire, et si leurs modes de vie différaient notoirement. Les travaux de Sadi ne l’empêchèrent ainsi jamais de mener sa vie de jeune bourgeois libéral insouciant12, tandis qu’Hippolyte restait prude, sérieux, voire rigoriste. Le dernier des Carnot cède alors à Pierre Leroux la Revue encyclopédique dans laquelle son frère a publié son dernier article en avril 1832. Désireux d’oublier ses déboires familiaux autant que politiques, il quitte une nouvelle fois la France et part en Suisse, en Hollande et en Grande-Bretagne. Cette errance dure de longs mois et il est toujours bien accueilli par des amis ou libéraux rencontrés lors de ses précédents voyages. Il songe un moment à abandonner la lutte politique, voire le journalisme, mais lors de ses promenades et visites de villes (Berne, Zurich, Amsterdam, Londres), il ne peut s’empêcher d’observer les systèmes sociaux, carcéraux et éducatifs. Il en rapporte quantité d’observations et prend, une nouvelle fois, conscience de la détresse sociale et éducative du peuple dans une Europe en pleine réaction. Et quand il revient finalement à Paris à la fin 1833, l’aggravation de la situation sociale et politique est telle qu’elle le pousse de nouveau dans l’action politique et de la réflexion sociale.
22Il reprend les rênes de la Revue encyclopédique en février 1834 et ses activités au sein de la Société de la morale chrétienne, dont une partie des membres, comme Thiers ou Lafitte, est entrée au gouvernement. Il adhère le mois suivant à l’Institut Historique destinée à « favoriser les recherches et travaux d’histoire en les appliquant à tous les objets des sciences humaines13 » et entame alors une longue lune de miel avec l’étude de l’Histoire.
23Carnot participe ainsi indirectement aux événements qui se précipitent. Parmi eux, la question du suffrage universel apparaît comme la plus cruciale, portée par de nombreuses personnalités et défendue par des associations comme la Société des droits de l’homme du journaliste républicain Godefroy Cavaignac, futur député et membre du gouvernement en 1848. L’adhésion aux sections de cette société, toujours composées de moins de vingt membres pour échapper aux poursuites, est gratuite, sur cooptation et implique l’adhésion à la Déclaration des droits de l’homme de 1793 qui promeut le suffrage universel et le « devoir d’insurrection14 ». La société, dont les figures emblématiques sont François Arago, Louis Blanc, Ledru-Rollin et Victor Schoelcher, soit quelques-uns des piliers de la Révolution de 1848, demande l’aide de l’État pour les plus pauvres et, surtout, un projet d’instruction gratuite. Mais si l’heure semble à une réhabilitation de l’héritage révolutionnaire, y compris jacobin voire montagnard, ses modalités d’application divisent les opposants. Une frange, celle de Carnot, les veut légales et réformistes, une autre ne les conçoit que révolutionnaires, voire insurrectionnelles comme Auguste Blanqui ou Louis Blanc. La question est d’autant plus brûlante que le pouvoir réagit violemment face à l’agitation sociale. Il interdit les sociétés dites « subversives » qui se multiplient jusqu’en province comme à Lyon ou à Lille. De modification législative en modification législative, la situation des républicains se fragilise tant qu’ils appellent à manifester le 9 avril 1834 à Lyon. Dans cette ville frondeuse, la manifestation s’agrège à une grève générale et tourne à l’insurrection, une nouvelle fois écrasée dans le sang. Le Paris ouvrier se soulève alors en solidarité et est lui aussi violemment réduit au silence le 14 avril, notamment rue Transnonain15. Les échauffourées persistent jusqu’à l’attentat de Fieschi contre le roi, le 28 juillet 1835, qui fait dix-huit morts tout en épargnant Louis-Philippe. Deux mois plus tard, le pouvoir rétablit la censure ainsi que le délit d’opinion et met les journaux au pas16. Cet attentat se télescope alors avec le procès monstre que le gouvernement organise pour porter un ultime coup aux sociétés subversives. C’est ce procès à grand spectacle qui va sonner le retour sur le devant de la scène d’Hippolyte Carnot et formaliser son engagement aux côtés des républicains.
24Tout en préparant un ouvrage sur l’abbé Grégoire, Carnot est donc revenu à ses activités journalistiques pour la Société pour l’Instruction élémentaire dont il devient le secrétaire en 1835. La Société, alors en plein essor, lutte aux côtés des instituteurs laïcs attaqués par les cléricaux et les congréganistes. Adepte des méthodes mutuelles en vogue chez les libéraux et le roi, elle est reconnue d’utilité publique depuis quatre ans et distribue des brochures et du matériel aux enseignants. Son essor est tel qu’elle entretient trois écoles primaires à Paris et envisage de former des maîtres dans les chefs-lieux de département.
25Carnot collabore aussi au Magasin pittoresque17 fondé par Charton, au Journal de la société de la morale chrétienne et au Père de famille, journal des droits et devoirs dont les objectifs semblent faits pour lui : « Enseigner aux deux sexes, à tous les âges et à toutes les classes ce qui leur importe de connaître, améliorer la condition physique, morale et intellectuelle du peuple des villes et des pagnes18. » Ses innombrables écrits témoignent de son évolution intellectuelle et il écrit : « Si la voix du peuple qui est la voix de Dieu continue d’être méprisée, […] alors la même destinée qui a renversé Napoléon malgré son génie et Charles X […] finira par atteindre son successeur19. »
26C’est à ce moment qu’il reçoit, le 20 mars 1835, la lettre du « Comité de défense des prévenus d’avril » qui lui propose de faire partie du groupe d’avocats mobilisés pour défendre les républicains accusés de « provocation à l’attentat contre la sûreté de l’État ». Si la requête peut surprendre, elle s’explique par le caractère unique d’un procès pour l’exemple où tout est joué d’avance : les accusés seront reconnus coupables pour justifier la répression qui s’abat partout. Les 164 prévenus (dont 43 par contumace), qui sont répartis en deux groupes, l’un parisien (dont Godefroy Cavaignac et Armand Marrast), l’autre lyonnais, réalisent vite qu’ils ne pourront échapper à une lourde condamnation. Plutôt que de se retirer, ils choisissent de faire du procès une tribune et prennent comme défenseurs les plus grandes figures républicaines. Ils retiennent Armand Carrel, Ulysse Trélat, François Raspail, Armand Barbès, Auguste Blanqui, Alexandre Ledru-Rollin, Étienne Arago, le frère du scientifique François, et sont convaincus que le fils du grand Carnot, homme à la probité reconnue, serait un atout. Révolté par le tournant répressif du gouvernement, Hippolyte Carnot prend sa plus belle plume pour expliquer par retour du courrier que :
« Le procès d’avril donnera lieu à un débat moins juridique que politique. Ce sont deux opinions qui sont en présence : l’opinion républicaine traduite [en justice] à la face de l’opinion monarchique. […] Tous les hommes qui regardent le système républicain comme destiné à gouverner la société dans un avenir plus ou moins éloigné, quelle que soit d’ailleurs leur pensée sur les moyens et sur l’époque de cet avènement, sont donc appelés à prendre part à cette solennelle discussion […]. Le parti républicain seul à la volonté […] de reprendre les idées d’organisation à l’aide desquelles toutes les inégalités doivent disparaître20. »
27Il accepte avec enthousiasme de défendre les accusés d’avril, tout comme Charton qui écrit : « faire ainsi acte d’amour pour le progrès ». Carnot se range définitivement dans le camp républicain, le seul qu’il pense capable d’incarner ses combats, y compris saint-simoniens. Il peaufine donc ses arguments contre le pouvoir : « Depuis cinq ans, on s’affaire à tromper les Français en leur présentant les doctrines républicaines comme essentiellement anarchiques et spoliatrices. […] On prétend faire de la garantie de l’ordre et de la liberté l’attribut exclusif de la monarchie21. » Son républicanisme se précise : il sera raisonnable, car « il ne faut avoir recours à la force qu’après avoir épuisé tous les moyens pacifiques22 » et respectueux des lois et de l’ordre à condition qu’ils soient justes. Mais il reste libéral et fidèle aux principes de 1789 qui n’excluent ni la propriété ni les droits individuels.
28Il ne participe finalement pas au procès, car la Cour récuse les défenseurs qui ont refusé le serment et ne sont pas inscrits au tableau des avocats. Furieux et persuadés qu’il ne peut dès lors plus y avoir de défense honnête, les accusés décident d’utiliser le procès pour promouvoir leur cause. Il s’ouvre le 5 mai 1835 et ils multiplient les incidents et les rappels. Certains, dont Barbès et Cavaignac, parviennent même à s’échapper de la prison de Sainte-Pélagie en juillet. Finalement, la cour rend son jugement à l’encontre des seuls accusés lyonnais le 13 août puis, au vu des résistances, décide de juger les autres prévenus sur pièces. Les sentences tombent en décembre 1835 et janvier 1836 : aucune condamnation à mort, mais de lourdes peines de déportation (Reverchon et Albert par exemple) et, pour une cinquantaine d’accusés, de longues années de prison et presque aucun acquittement.
29C’est dans ce contexte que la question scolaire se pose de nouveau et que les solutions proposées par le pouvoir confortent Carnot dans son nouvel engagement. Le gouvernement s’attaque en effet à la question éducative avec des arrières-pensées si éloignées des idéaux de Juillet que la solution retenue encourage les réformateurs au lieu de les décourager. Pourtant, après la promulgation de la Charte modifiée, tous étaient pleins d’espoir. Le texte gravait en effet dans le marbre les principes libéraux et évoquait la question éducative : « Il sera pourvu successivement par des lois séparées et dans le plus court délai possible à […] l’instruction publique et à la liberté de l’enseignement. » Pour tous les libéraux, ces propos semblaient d’autant plus prometteurs que la composition du gouvernement autorisait bien des espoirs. Avec ses saint-simoniens, ses francs-maçons et les anciens compagnons de Carnot tel Guizot sur les bancs du gouvernement, l’avenir éducatif s’annonçait radieux
30De son côté, Carnot pense que l’heure du mutuellisme est venue et que le pouvoir rendra au nom de la liberté d’enseignement leurs prérogatives aux enseignants publics pour freiner les ambitions de l’Église. Surtout, plus que ces décisions nécessaires, les libéraux et démocrates proches de la République et les saint-simoniens espèrent que le gouvernement s’attaquera à la question éducative dans une optique sociale et politique. Cet espoir est d’autant plus grand qu’ils savent qu’une partie du gouvernement estime l’instruction du peuple nécessaire pour éviter les troubles. Le pouvoir est persuadé qu’une fois le peuple raisonnablement édifié, il cédera moins aux sirènes républicaines et socialisantes, travaillera mieux et s’éloignera du crime et de la débauche.
31Mais un an après Juillet, les choses changent sous l’impulsion des conservateurs arrivés en force au pouvoir. Dès lors l’instruction redevient une stricte affaire de philanthropie et de respect de l’ordre social, bien loin des rêves républicains d’émancipation. C’est pourquoi, après une rapide épuration de l’administration de l’Instruction, le gouvernement tergiverse, tiraillé en sa volonté libérale, ses pulsions répressives et sa volonté de ne pas faire le jeu des sociétés d’instruction populaire. Le ministre Montalivet refuse même de légaliser la liberté de l’enseignement pour ne pas donner d’armes à ses opposants républicains, tandis que les commissions et les rapports sur l’instruction primaire, dont celui de la Société pour l’instruction élémentaire23, s’amoncellent sur le bureau du roi. Tous sont oubliés au gré des changements de ministres, avant que Guizot n’arrive à l’Instruction en octobre 1832.
32Dans un contexte toujours difficile, puisque dix mille communes sont encore privées d’écoles, le ministre de l’Instruction publique lance une véritable révolution. Tout d’abord, en chrétien libéral, il veut éduquer les classes populaires pour les moraliser : « La liberté n’est assurée et régulière que chez un peuple assez éclairé pour écouter la voix de la raison24. » Mais d’autre part, en bon conservateur, il pense que « le grand problème des sociétés modernes est le gouvernement des esprits » et que l’instruction doit maintenir l’ordre et garantir la moralité de la société. L’école a une mission conservatrice : « Quand le gouvernement a pris soin de propager, à la faveur de l’éducation nationale, […] les doctrines qui conviennent à la nature, ces doctrines acquièrent une puissance contre laquelle viennent échouer les écarts de la liberté d’esprit et les tentatives séditieuses25. » Pour y parvenir, il propose donc une synthèse qui précise que « l’instruction primaire universelle est désormais une des garanties de l’ordre et de la stabilité sociale. […] Développer l’intelligence, propager les lumières c’est assurer la durée de la monarchie constitutionnelle26. » Enfin, averti par son passé de philanthrope, il se méfie de la seule initiative privée qu’en bon libéral, il aurait dû vénérer. Rationaliste et historien, il juge aussi que l’Église est trop peu soucieuse des classes laborieuses pour gérer seule l’école.
33Sa loi du 28 juin 1833 est donc un compromis. Elle reconnaît la liberté de l’enseignement promise par la Charte, tout en promettant d’user avec modération des écoles privées. Et en même temps, pour satisfaire les catholiques, elle assure que l’enseignement religieux « pourvoit à la dignité de la vie humaine […] et à la protection de l’ordre social, car […] l’enfant a besoin de morale et de religion27 ». Une fois ces précautions prises, l’État peut intervenir dans l’école. La loi oblige toutes les communes de plus de 500 habitants à entretenir une école publique où l’on enseignera selon des programmes et des examens nationaux, et elle conforte la gratuité pour les seuls indigents. La formation des maîtres, pour lesquels les exigences sont relevées, doit être assurée par des écoles normales départementales. Mieux, des classes de « primaire supérieur28 » doivent ouvrir dans les communes de plus de 6 000 âmes et le « service public d’instruction » sera surveillé par un corps d’Inspecteurs. Plus nouveau encore, l’État intervient au niveau pédagogique grâce à un autre compromis. D’une part, pour ne pas s’aliéner l’Église catholique, il abandonne les méthodes mutuelles de la Société pour l’instruction élémentaire pour revenir à celles, plus classiques, des Frères des écoles chrétiennes. Les « devoirs envers Dieu » sont aussi conservés comme la première matière à enseigner, dans le Primaire et le Secondaire.
34Mais d’autre part, le ministère crée un Manuel général pour diffuser à tous les maîtres les Instructions officielles. Il y ajoute toute une collection de manuels scolaires29 pour unifier l’enseignement « d’un bout à l’autre de la France […] et pour se prêter à l’unité nationale » (Victor Cousin). Ce texte volontariste et bien doté (le budget du ministère progresse30) jette les bases du service public d’éducation et connaît immédiatement un grand succès. Le nombre d’écoles augmente d’un quart entre 1833 et 1840, celui des élèves scolarisés d’un tiers (il atteint trois millions et demi en 1850, dont un tiers scolarisé gratuitement) et le nombre des communes sans écoles s’effondre. La France compte plus de 60 000 écoles en 1847 et seules moins de 4 000 communes en sont encore privées. Mieux, à la fin du régime, le nombre d’écoles normales départementales triple et 74 départements en sont dotés, essentiellement pour les garçons. Enfin, en 1836, la loi est étendue aux filles31 qui finissent par représenter 40 % des effectifs scolaires à la fin du régime, soit un tiers de plus que dans les années trente.
35Si le progrès est indéniable, beaucoup reste cependant à faire : les filles restent sous-scolarisées, les inégalités régionales et sociales perdurent, le taux d’analphabétisme, même s’il baisse un peu, reste élevé, autour de 36 % et les instituteurs sont toujours aussi pauvres et mal formés. La gratuité reste au bon vouloir des communes, l’église est omniprésente dans le système malgré les Comites de surveillance mixtes, et l’accès au Secondaire fort coûteux32 est toujours réservé à l’élite. Cependant, cette loi, même imparfaite, encourage Carnot à poursuivre ses réflexions et le persuade un peu plus du lien nécessaire entre réformes systémiques et innovations pédagogiques. Surtout, les failles du plan montrent que seule la République peut dépasser les libéraux pour réellement instruire le peuple et préparer l’extension nécessaire du suffrage qui permettra la démocratie réelle.
36Devant ce constat scolaire, l’échec du procès d’avril et le vote des lois « scélérates » de 1835, Carnot défend plus que jamais la « République, régime qui consiste dans la part que le peuple prend à ses propres affaires ». C’est le moment de l’engagement où « il ne faut pas avoir la prétention de rester neutre, entre les partis […], car c’est le rôle des lâches et des égoïstes33 ». Il ne reste qu’à trouver comment prendre parti pour les idéaux républicains, lui qui dira en 1848 : « Élevé dans un sanctuaire de vertus civiques inspirées par le républicanisme, j’ai appris de bonne heure à aimer la République. Je l’ai désirée en 1830 […] et je m’y trouve si bien qu’il me semble revivre dans la maison paternelle34. »
Premières élections, premiers travaux
37S’il est doté d’un nom doux aux oreilles républicaines et est « bien intégré au monde intellectuel parisien » (Harismendy), Carnot n’a guère de réseau politique structuré en France, hormis les amis de son père et la Franc-maçonnerie. Mais les échos du procès d’Avril le servent, tout comme la préface du futur livre qu’il écrit sur l’abbé Grégoire où il expose ses idées politiques et éducatives. S’y affirmant légaliste et respectueux du suffrage, malgré le cens, il décide de participer aux élections législatives pour agir concrètement dans les sphères politiques.
38Dès avril 1832, pour les élections au premier collège du Tarn-et-Garonne, il songe à se présenter à Montauban avec la bénédiction du candidat sortant. Sa profession de foi évoque, pêle-mêle, les Bourbons qu’il veut combattre, son héritage saint-simonien et sa position de directeur de la Revue encyclopédique. C’est un peu court pour séduire des ruraux éloignés de Paris qui lui préfèrent finalement le candidat local. Cet échec prévisible ne l’arrête pas et, quelques mois plus tard, il se présente à Luçon pour les élections de Vendée. Sa proclamation électorale reste floue : « Je me suis initié aux doctrines philosophiques que ces derniers temps ont produites35. » Parle-t-il du saint-simonisme ou du républicanisme ? Il se retire finalement devant François-André Isambert, compagnon saint-simonien qui l’a accompagné dans ses combats.
39En 1833, un siège est vacant à Mâcon, dans cette Bourgogne qui évoque ses racines. Cette fois, ce sont les électeurs et le député qui le réclament, en souvenir de ses ancêtres. Si son programme ressemble à celui de l’année précédente, il s’y définit « pétri des principes de liberté et de patriotisme » et « prêt à étendre la citoyenneté à tous les hommes ». Il assume à présent mieux son républicanisme en affirmant : « On ne manquera pas, sans doute, pour éloigner de moi vos suffrages, de me lancer une accusation banale de républicanisme36. » Il préconise ainsi l’amélioration de la situation de la « classe laborieuse » par l’égalité et la fraternité. Mais à sa grande déception, il est encore battu et n’est même pas retenu comme candidat.
40L’année suivante, il persévère et songe à se présenter en Corrèze et Haute-Vienne aux élections de juin 1834. Mais, non loin de là, les électeurs de La Flèche dans la Sarthe, le sollicitent pour les représenter. Cette fois, il accepte volontiers, car « je ne me considère pas comme étranger à votre pays, car vos pères choisirent autrefois le mien pour leur député ». Il formalise ses projets dans une célèbre adresse. Rien n’y manque, pas même l’héritage saint-simonien, ni les projets de réformes politiques, scolaires et fiscales, sans oublier une farouche indépendance d’esprit que l’héritage maternel et son patronyme lui assurent.
« Je crois au développement de la souveraineté du peuple, c’est-à-dire l’extension progressive de sa responsabilité politique, appuyée sur le perfectionnement de son éducation intellectuelle et morale. Je crois au progrès de l’association et de la liberté industrielle […], car l’industrie est un puissant moyen d’éducation […] Il faut donc un vaste réseau d’institutions élémentaires gratuites et de grandes écoles spéciales […]. Ma situation personnelle me met heureusement à l’abri des caprices du pouvoir, comme elle me rend indifférent à ses faveurs, je n’ai rien à lui demander, ni à craindre de lui. […] Je considère toute fonction publique comme incompatible avec celle de député et que celle-ci est la première de l’état parce qu’elle est le produit de l’élection37. »
41Il est une nouvelle fois battu, mais sur un score nettement plus serré que les fois précédentes. Ces tentatives finissent par attirer l’attention et, à la fin de l’année, une opportunité se présente à Narbonne pour 1835. Il s’agit de remplacer François Arago, ancien collègue de Lazare Carnot doublement élu en juin par les collèges de Narbonne et Perpignan, ville qu’il a finalement choisie. Carnot trouve en lui une sorte de père de substitution : « Arago reportait sur moi quelque chose de ses sentiments pour mon père38. » Mais il échoue encore, manquant le ballottage de six voix pour quelques défections de dernière heure, non sans avoir affermi son engagement. Il se revendique à présent du Parti social, partisan des « principes sociaux vrais, sanctionnés par l’assentiment général […] et permettant aux rivalités de classe et locales de s’effacer ». S’il s’affirme toujours libéral en économie, il est opposé aux monopoles et aux impôts indirects, attaché à la solidarité dans un pays viticole « comme dans la patrie », bref un partisan d’une intervention étatique pour réguler le marché libre, « sans le recours à la violence39 ». Le soutien de François Arago, son modérantisme et sa foi dans le suffrage universel achèvent d’en faire un vrai républicain et expliquent son invitation au procès d’avril.
42Mais, alors que les décès successifs de ses oncles40 le poussent plutôt à cesser le combat, un événement privé décide véritablement de son entrée en politique. Au mois d’août 1836, il épouse Jeanne Marie Grâce Claire Dupont de Savignat, fille d’un ancien aide de camp de Lazare Carnot devenu Inspecteur général de l’administration des haras sous l’Empire et passionné d’éducation. La famille est aisée et possède des domaines à Chabanais dans les Charentes. L’hiver, elle réside à Limoges, mais passe souvent l’été dans sa maison de campagne de Savignat qu’elle a acquise en 1810 et qui reviendra à Claire à la mort de son père. Cette alliance permet en 1838 à Hippolyte Carnot de racheter le domaine familial de Presles qui devient son refuge préféré avec, dans une moindre mesure, Savignat.
43Claire est son grand amour, la femme de sa vie qui l’accompagnera dans tous ses combats et le soutiendra indéfectiblement. Forte personnalité, elle sera de tous les combats de son mari : « Elle était estimée plus qu’aucune autre dans le parti républicain. On parlait d’elle comme le modèle de toutes les vertus privées et civiques41. » Ils s’écriront tous les deux jours lors des séparations et leurs échanges montrent l’intensité de leur amour. Dans une lettre de janvier 1837, Hippolyte appelle son épouse « Meine kleine Frau », et s’inquiète, car elle est restée à Savignat pendant qu’il prépare leur logement. Il lui écrit : « Un petit mot pour te dire que je t’aime, et ensuite que je m’ennuie de ne pas voir trotter ma petite femme autour de moi. […] Oh, que je grille de t’embrasser autrement que par lettre » avant de signer « ton Hippol42 », paraphe qu’il utilisera avec elle jusqu’à la fin de ses jours.
44Des élections à la Chambre étant prévues pour 1837, Carnot se lance encore une fois dans l’aventure. Mais il a un nom à présent, ou plutôt un prénom depuis le procès d’Avril, un parti organisé derrière lui et une réelle expérience électorale. Sa popularité naissante explique que les circonscriptions de Beaune, Autun ou encore Mâcon et Dijon le sollicitent sans qu’il ait fait acte de candidature. La circonscription la plus pressante est celle d’Autun dont la commission électorale lui écrit :
« Les dispositions avouées et connues du plus grand nombre des électeurs rendant l’élection du M. Maugin très douteuse, nous avons dû reporter nos suffrages sur un candidat capable, par ses lumières et sa probité, de défendre les droits conquis par la révolution de Juillet. [….] Monsieur Hippolyte Carnot est celui qui nous paraît devoir rallier le plus de votes. Homme de progrès, son dévouement est acquis au progrès. […] Électeurs, le fils du grand Carnot, de celui qui organisa la victoire, du citoyen sans tâche, du défenseur d’Anvers ne peut qu’être un homme ferme, incorruptible et digne de notre confiance43. »
45Il décline pourtant la proposition pour ne pas diviser le camp républicain : « Renoncez, je vous en supplie, à ma candidature, plutôt que de donner gain de cause aux ennemis de notre révolution. » Cette obsession de l’unité et du respect des électeurs ne le quittera jamais. Il communique cependant son programme à ses électeurs virtuels. Il est simple : « continuer la Révolution de 183044 », mieux répartir les charges publiques, contrôler les finances, élargir l’instruction populaire et le corps électoral et garantir la responsabilité des gouvernants.
46Cependant, ayant « depuis un peu plus d’un an des liens de famille et d’intérêt [qui] [l]’attachent à l’arrondissement de Confolens », il se présente dans les Charentes. Son programme ressemble à celui proposé aux Bourguignons : il s’y prévaut de sa qualité de fils « d’un homme dont le nom n’est point sans écho dans le cœur des vrais patriotes », fils de proscrit, spécialiste d’économie et de politique, membre de la Société de la morale chrétienne et de la Société pour l’instruction élémentaire. Il est partisan de saines finances, d’une bonne répartition de l’impôt pour soulager les pauvres, de la réforme électorale et, fait nouveau, de l’amnistie des républicains, sans oublier « l’extension du domaine de l’instruction populaire » et la liberté des échanges. Il s’engage en outre à respecter une véritable transparence : « Si j’avais le bonheur de devenir votre député, chacun des électeurs recevrait un compte-rendu des travaux du représentant de l’arrondissement pendant la session45. » Malgré ces intentions, il est nettement battu par un notable bien connu dans une région conservatrice et n’est crédité que de 19 % des suffrages. Son implantation trop récente et son républicanisme effraient encore dans des campagnes marquées par l’écho des révoltes ouvrières.
47Il est par contre bien connu à Paris où il réside depuis plus de quinze ans et a servi la cause publique dans d’innombrables sociétés. C’est une fois encore la base qui le pousse sous les feux de la rampe. En février 1839, le gouvernement dissout la Chambre élue deux ans plus tôt pour trancher le conflit qui l’oppose aux libéraux, partisans d’une application « parlementaire » et entière de la Charte. Les élections fixées au 2 mars laissent peu de temps pour désigner des candidats. Le Comité central des électeurs de Paris, se souvenant des Journées de Juillet, choisit alors Carnot comme président de son bureau, où il retrouve des connaissances comme François Arago et Lafitte. Après une grande réunion électorale préparatoire où son discours fait impression, il est chargé de réaliser la circulaire du Comité et d’harmoniser les positions des républicains et des opposants. Son texte est une étape supplémentaire vers l’engagement, alors que l’agitation reprend, que les grèves se multiplient et que de nouvelles sociétés, comme la Société révolutionnaire des saisons46 de Barbès et Blanqui, poussent le pouvoir à toujours plus réprimer. L’union et l’exemplarité des opposants est donc plus que jamais nécessaire face à un pouvoir brutal :
« Depuis 1830, jamais le sort des libertés publiques ne s’est trouvé plus directement entre les mains du corps électoral. Il s’agit de conquérir la vérité du gouvernement représentatif, d’ouvrir une voie pacifique aux réformes demandées par la démocratie ou de laisser le champ libre aux envahissements d’un despotisme aveugle et anti national. […] Les diverses nuances de l’opposition, oubliant leurs griefs mutuels se sont donc unies pour renverser l’administration. […] Ainsi l’opinion démocratique […] appuiera hautement et loyalement, à quelque section de gauche qu’ils appartiennent, tous les hommes qui, à un degré ou à un autre, veulent les progrès qu’elle réclame […]. Au milieu de la corruption qui nous assiège, […] il faut fixer le choix sur des hommes purs : la vie privée d’un homme public doit pouvoir à chaque instant se dérouler avec confiance aux yeux de ses concitoyens47. »
48Il choisit dès lors de se consacrer totalement à la politique, quitte à sacrifier sa vie personnelle : « Je regrette de ne pouvoir diriger moi-même l’éducation de mes enfants, car une direction plus mâle, paternelle, doit succéder à l’éducation maternelle48. » Ce choix, qui fait reposer une large part du travail éducatif de ses enfants sur Claire, le chagrine au plus haut point, lui qui croit tant à la famille. C’est pourquoi il tentera toute sa vie de concilier engagement et éducation de ses fils comme le fit son père, en se ménageant des pauses pour suivre leurs études ou progrès et les emmener au spectacle. Une telle décision illustre bien le caractère d’un homme entièrement voué à l’action et à l’engagement, prêt à subordonner l’intérêt privé, y compris le sien, à la chose publique, lui qui s’estime privilégié par rapport au peuple. Devant une telle ardeur, les opposants sont galvanisés et s’unissent, des Républicains modérés comme Dupont de l’Eure ou Laffitte jusqu’aux plus actifs comme François Arago en passant par l’extrême gauche des « radicaux » de Louis Blanc. Finalement, Arago, ancien élu parisien dans les XIIe et VIe arrondissements d’alors, propose la candidature de Carnot dans le VIe en remplacement de Laffitte qui accepte. Le projet est d’autant plus vite ratifié par le Comité que le temps presse. La profession de foi de Carnot synthétise ses engagements précédents : la réforme électorale, des travaux d’intérêt public, le contrôle du budget, l’abolition des lois de septembre 1835, la sécurité nationale, l’impôt proportionnel, la responsabilité du gouvernement et la limitation du pouvoir qualifié « d’absolu ». On y ajoutera l’incompatibilité du mandat électif et des emplois publics, seules conditions pour « se consacrer pleinement aux perfectionnements intérieurs et au bien-être du peuple49 ».
49La campagne parisienne est brève et passionnée alors que des journaux comme la Tribune, le National ou le Siècle s’interrogent sur ce Carnot qu’ils connaissent peu, et dont le nom semble être le seul atout. Il domine pourtant son adversaire, le candidat du pouvoir Michel, président du Tribunal de commerce, lors d’une réunion électorale le 27 février dans la salle du Wauxhall devant 1 500 spectateurs. À des questions sur les lois répressives de septembre et la nature du régime, il répond clairement et s’engage :
« On me demande si je voterai pour l’abrogation. […] Une de ces lois (de septembre) porte atteinte à la plus belle de nos institutions judiciaires, et je les combattrai […]. J’appuierai la réforme électorale, car je veux que le peuple exerce tous ces droits et qu’il veille sur ses intérêts. Pour ce qui est de ses capacités, il est incontestable qu’on eut dû les introduire dans la loi électorale. […] Je défendrai le gouvernement représentatif contre le gouvernement absolu. Le roi règne et gouverne, c’est l’absolutisme. Le roi règne et ne gouverne pas, c’est le gouvernement représentatif50. »
50Il se révèle ainsi un réformateur, pour qui la forme du gouvernement compte moins que les principes comme la séparation des pouvoirs et la démocratie réelle. Il n’est ni totalement républicain puisque le suffrage universel lui pose un problème, ni totalement libéral puisque ces derniers refusent l’élargissement dudit suffrage. On peut le qualifier de républicain réformiste et de progressiste libéral et modéré.
51Hippolyte Carnot est donc élu à la députation du VIe arrondissement d’alors à une confortable majorité51 par un collège électoral surtout composé de commerçants. L’impressionnant courrier de félicitations qu’il reçoit de France et d’Europe (de Suisse, d’Allemagne, d’Italie) témoigne de sa popularité naissante. Son ami saint-simonien Saint-Chéron52, par ailleurs gendre de Bazard, évoque sa victoire : « La France a besoin de voir arriver à la Chambre quelques-uns des représentants de la génération nouvelle qui nous fassent enfin sortir des vieilles ornières et donnent une intelligence plus élevée à des nécessités sociales de notre époque. Les électeurs de Paris ne pouvaient faire meilleur choix53. » Âgé de trente-huit ans, en pleine force de l’âge, en pleine maturation intellectuelle, il est à présent père de deux enfants, Marie François Sadi Carnot, dit Sadi Carnot, futur président de la République né le 18 août 1837 à Limoges, et son frère Marie Adolphe, né le 24 janvier 1839 à Paris. Il déménage donc dans un vaste appartement au 41 de la rue de Vaugirard, avant de partir se reposer quelque temps chez ses beaux-parents.
52Quand il revient quelques semaines plus tard, il constate que son élection n’est pas passée inaperçue. Dans le tout Paris, on prête au roi les mots : « Si Robespierre avait laissé un fils, ils (les électeurs du VIe arrondissement) le nommeraient député54. » À la Chambre, où la coalition libérale des « parlementaristes » a défait le gouvernement55, Carnot siège sur les bancs de l’extrême gauche avec Dupont de l’Eure, F. Arago, Laffitte ou Lafayette et se montre fort assidu. Il s’inscrit dans deux commissions qui le résument parfaitement : la « Commission du travail des enfants dans les manufactures » et la « Commission du régime pénitentiaire ». Il préfère nettement ce travail aux interventions publiques et est régulièrement désigné rapporteur pour les questions comme l’éducation ou le budget du Conservatoire des arts et métiers. En 1841, il demande l’agrandissement de cette institution et son changement de nom en « Sorbonne et école normale de l’Industrie », projet qui porte les traces de son saint-simonisme et de son souci d’élever le niveau d’instruction des ouvriers.
53Dans le droit fil des combats de l’abbé Grégoire, il s’intéresse aux cultes en général et à la question juive en particulier. Il proteste contre l’expulsion des juifs de Dresde où ils sont interdits de séjour. Il appuie sa démonstration sur l’exemple d’un marchand français d’origine juive nommé Wormser, interdit de séjour dans la ville malgré sa nationalité. Indigné, Carnot tente d’alerter l’opinion : depuis 1789 les juifs sont des citoyens français comme les autres. Comment peuvent-ils dès lors relever d’une juridiction d’exception, alors qu’ils relèvent du droit commun en France ? Il réaffirme sa foi dans la liberté des cultes qui a permis l’émancipation des juifs et s’écrie :
« Si l’on appelle juif celui que, dès le sein de sa mère, la société condamne au plus vil esclavage, qui végète sans droit dans sa patrie et sert de plastron aux insultes de la populace, à qui ses actions ne méritent rien […] et que poursuivent sans relâche la honte et le mépris, alors je suis un juif et le serai toujours56. »
54Ses votes sont conformes à ses engagements : sans jamais renier ses principes, il refuse tout extrémisme et préfère les réformes. Il ménage ainsi Thiers, chef du gouvernement depuis le 1er mars 1840, en rappelant qu’« on n’a pas étudié en vain à la grande école de notre Révolution. Le sentiment patriotique vivace fait sa force. [….] Il y a chez lui une corde qui vibre et qui vibre chez nous aussi : on ne peut lui refuser l’esprit de nationalité57 ». Il soutient donc le retour des cendres de Napoléon Ier que Thiers organise en 1840, tout en critiquant l’instrumentalisation du mythe de ce souverain qu’il considère comme un despote. Il vote contre les fonds secrets et le budget de 1840, pour l’abolition du scrutin secret et la publicité des débats, et réclame un impôt proportionnel, sans renier, pour le moment, le libre-échange. Mais pour lui, cela n’exonère pas l’État de jouer un rôle régulateur, y compris dans le domaine carcéral ou budgétaire.
55Il reste parfois un franc-tireur : il vote ainsi, à l’inverse des républicains, contre le projet de fortification de Paris en 1840 au nom de la liberté. Pour lui les remparts menacent plus la liberté qu’ils ne garantissent la sécurité du pays, d’autant qu’ils risquent « de placer sous le feu des canons le lieu des débats législatifs ». Il milite pour le droit des peuples en multipliant les Comités de soutiens aux Polonais, participe à une « caisse polonaise » de solidarité, soutient les Belges et les Italiens sans négliger les problèmes intérieurs. Il considère que la question nationale est la clé de voûte de la démocratie : « Les nations sont la seule et légitime source de tous les pouvoirs. Étant vrai que chaque nation est souveraine, chaque membre de la nation est par conséquent membre du souverain58. » L’engagement ne le rebute jamais comme à la fin 1841, quand François Arago, député des Pyrénées-Orientales inspiré par le National59, lance une souscription au nom du Parti démocratique en faveur des ouvriers sans travail pour leur témoigner « la sympathie des patriotes ». Carnot adhère immédiatement au projet et en devient le receveur pour le XIe arrondissement. Il organise si bien les remises d’argent aux ouvriers qu’il se départit, pour une fois, de sa modestie, et vante « l’influence morale [de ces dons] qui est des plus grandes sur les populations laborieuses60 ».
56Cet activisme le rend confiant pour le scrutin de 1842, d’autant que le Comité de Paris lui accorde encore plus de suffrages que deux ans plus tôt : « La majorité croissante de vos suffrages me dit que la ligne de conduite suivie par moi pendant l’exercice de mon premier mandat a reçu votre approbation », écrit-il. Il accentue ses critiques contre le gouvernement dominé un Guizot jugé « fort antipathique », dont la « politique rétrograde et pusillanime depuis trop longtemps irrite et humilie la France61 ». Parallèlement, sa position sur le suffrage change depuis la mort accidentelle de l’héritier du trône, le duc d’Orléans, le 13 juillet. L’élection lui semble devenue la clé de voûte de la démocratie, car « les réunions électorales sont un des usages dont l’esprit démocratique doit le plus s’applaudir […]. Elles maintiennent les citoyens à s’occuper des intérêts de l’État […] et font circuler la vie démocratique dans les veines du corps électoral ». Il prêche d’autant plus pour la réforme électorale que le gouvernement refuse toute évolution. Ainsi Thiers déclare « la souveraineté nationale, entendue comme souveraineté illimitée du nombre, est le principe le plus faux et le plus dangereux qu’on puisse alléguer ». Le pouvoir ne semble en effet plus comprendre le pays : « Ce qui inquiète le pouvoir, c’est la marche de l’esprit public vers les réformes auxquelles il s’oppose. C’est au contraire cette marche qui nous rassure, car la marche de l’esprit public est irréversible62. »
57Mais en dépit du climat politique qui se dégrade, il reste un réformiste légaliste, tolérant et respectueux de ses adversaires et surtout persuadé que la Charte et les idées de Juillet permettront de progresser sans heurts vers la démocratie :
« Notre drapeau, c’est le drapeau que la coalition a déserté et que nous voulons relever et maintenir sur le terrain de la Charte […], car la Charte est fondée sur le principe de souveraineté nationale […]. Nous devons cependant respecter la majorité qui fait le mal pour qu’on respecte, un jour, une autre majorité qui fera le bien. […] Car la vraie politique est bien celle du juste milieu. Il s’agit alors de trouver ce juste milieu63. »
58Ce modérantisme lui vaut, le 9 juillet 1842, une tranquille réélection dans sa circonscription contre un obscur avocat, avec près des deux tiers des suffrages. Il écrit à Claire : « Victoire complète, ma chère amie, presque cent voix de plus qu’aux dernières élections […]. Paris donne déjà dix députés à l’opposition. […] Les électeurs voulaient venir en masse rue Vaugirard. Il en est venu un grand nombre. […] Embrasse nos chéris comme je t’embrasse. Ton Hippol64. »
59Ainsi conforté, il élargit ses combats à la politique internationale, avec les affaires espagnoles65, multiplie les critiques contre l’Angleterre et vote contre la loi militaire. Il est réélu une troisième fois dans son arrondissement le 1er août 1846, à une majorité un peu plus faible, car la campagne a été très dure et entièrement axée sur la réforme électorale. De nombreuses critiques s’abattent sur lui : le National, qui évolue vers un républicanisme intransigeant, joint sa voix à celle des conservateurs pour fustiger son modérantisme et sa foi aveugle dans la Charte, et pour critiquer ses votes parfois différents de ceux des républicains.
Un credo : libertés, élections et instruction
60Ses trois mandats successifs lui ont permis de structurer sa pensée. En dix ans, il a constitué son corpus idéologique autour de quelques thématiques que ses écrits reflètent à merveille. Ses principes s’incarnent dans les combats d’un homme pénétré des notions de service public et d’intérêt collectif peaufinées de longue date. Député, journaliste, membre de sociétés, voyageur impénitent, il confronte ses idéaux à ses actes et nourrit ses principes par la pratique individuelle (le vote, les commissions, les missions en France et à l’étranger) autant que collective (ses engagements successifs et ses mandats, toujours expliqués à ses électeurs).
La liberté pour tous
61Le socle de la pensée de Carnot est la promotion d’une liberté qui doit être contrôlée pour ne pas dégénérer en dictature comme en 1793 ou sous l’Empire : « La liberté est absolue dans son principe, mais elle ne doit pas l’être dans sa pratique, elle a besoin d’être graduée selon le tempérament des peuples. [….] Je crois en la liberté pour empêcher les abus de la liberté66. » Cette philosophie doit s’appliquer aux nations et aux peuples opprimés, y compris dans les colonies. Elle est donc la clé de son combat en faveur de l’abolition de l’esclavage, question qui l’intéresse depuis sa rencontre avec Grégoire et ses travaux dans les sociétés. Elle est en outre un combat populaire chez les libéraux comme Benjamin Constant67, féroce opposant à la Traite dont il n’a de cesse de réclamer l’interdiction prévue en 1815. À la veille des élections de 1846, Hippolyte rassemble tous ses écrits sur le sujet68 dans une brochure intitulée De l’esclavage colonial. Comme beaucoup de libéraux et de républicains, il mène son combat dans le cadre de sociétés, notamment la Société française pour l’abolition de l’esclavage69 qu’il crée en 1834 avec de Gérando, Dutrône, Lafayette, Lamartine ou La Rochefoucauld-Liancourt. Elle prend le relais du « Comité pour l’abolition de la traite négrière et de l’esclavage » né en 1821 au sein de la Société de la morale chrétienne. Pendant plus de quatre ans, la société publie un bulletin et lance une grande consultation sur les colonies antillaises afin se sensibiliser l’opinion et d’entraîner l’adhésion des départements métropolitains à son combat. Grâce à ce travail, huit Conseils généraux (Allier, Ariège, Eure-et-Loir, Haute-Garonne, Loiret, Aisne, Creuse et Nord) émettent en 1837 des motions favorables à l’émancipation des esclaves. L’association veut démontrer que « l’abolition de l’esclavage ne peut plus, dans aucun pays civilisé, donner lieu à une discussion de principe. [….] Il faut intéresser l’opinion à leur sort, afin qu’elle impose au législateur le devoir de mettre un terme à cette chose intolérable, […] et de rechercher […] l’affranchissement complet des nègres esclaves70 ». Dès 1837, Carnot rédige le premier bulletin de la société qui contient toutes ses réflexions, matrices de son ouvrage. Huit ans plus tard, il envoie son manuscrit à l’Institut, puis lui fait parvenir son livre l’année suivante. Son ouvrage se veut scientifique, à la fois précis historique, économique et philosophique. Il démontre que la question de l’esclavage comporte deux aspects, l’un purement moral et historique et l’autre conjoncturel et économique.
« Il faut viser à l’impartialité dans une telle discussion […] d’autant que la question de l’esclavage est intimement liée aux questions de politique générale. […] L’esclavage est une institution monstrueuse, uniquement bonne pour des intérêts particuliers et […] source de corruption et de barbarie. […] Son abolition est une belle cause, une question morale […] qui ne souffre pas l’impartialité, car il s’agit de la vie physique et morale de nos semblables71. »
62Au double titre de la charité chrétienne et de l’égalité des droits, la mise en esclavage d’autrui est inconcevable, d’autant que la première abolition de 1794 fut prononcée par cette grande Révolution qu’il vénère. Mais d’un autre côté, le libéral qu’il reste critique autant le système pour son coût financier que pour son coût moral. Économiquement, l’esclavage entrave en effet le décollage économique du pays, notamment face aux Anglais. Et quand les colons « déclarent que l’abolition de la servitude est la ruine de nos possessions transatlantiques », ils font à ses yeux la même erreur que les nobles de 1789 et risquent d’être emportés par les vents du progrès. Leur seule chance est de vite comprendre que le libéralisme économique et racial aux Antilles leur rapportera plus que l’esclavage. L’abolition est aussi un problème de politique étrangère depuis que les Anglais ont aboli la traite en 1807 et que le congrès de Vienne a étendu l’interdiction aux autres pays européens. Pour que la France tienne son rang, elle doit abolir au plus vite l’esclavage, surtout depuis Juillet 1830.
63Carnot reste un réformateur en la matière qui ne croit pas au « grand soir » de l’abolition, mais « à de progressives concessions72 ». Homme rationnel et modéré, il mise sur l’intelligence des colons et sur l’éducation des esclaves qui prépareront un avenir de liberté et de concorde. Les efforts les plus modestes sont les bienvenus pour déclencher un engrenage vertueux menant à l’abolition, faute de quoi la violence gagnera :
« J’indique seulement en passant de quelle nature seront les difficultés de la loi. Améliorée comme elle peut l’être et sincèrement exécutée, elle rendra moins malaisé le passage à la liberté. Pratiquée sans bonne foi, elle augmentera l’irritation et l’anxiété. […] L’éducation industrielle et agricole des nègres, établie sur une large base, nous semble nécessaire pour préparer l’avenir. […] Ainsi quand le nègre ne pourra douter de sa liberté, qu’il commencera à en sentir les bienfaits, le calme rentrera dans son esprit. […] Et quand le colon se trouvera donc en présence d’une date limite pour abolir, il favorisera l’éducation des noirs, gage de sécurité pour lui-même. […] Si les planteurs résistent, qu’ils payent leur imprudence ; les nègres sauront bien se donner eux-mêmes la liberté73. »
64La position de Carnot est résumée lors d’une fête en hommage à la Révolution française le 19 mars 1838 à Paris. Il porte un toast au nom de « la sainte égalité, de la solidarité entre tous les peuples et toutes les races d’hommes dans un esprit de fraternité » à « l’abolition de l’esclavage, à la cessation de cet affreux scandale de l’humanité74 ». De ce jour, il collabore régulièrement avec Victor Schoelcher, journaliste, franc-maçon, proche des saint-simoniens et membre des mêmes sociétés que lui et qu’il retrouvera trois ans plus tard au gouvernement de la République, puis en exil. Schoelcher a été confronté à l’esclavage à Cuba dès 1828 et pense aussi que leur émancipation doit être progressive, avant de changer d’avis et de devenir partisan de l’abolition immédiate.
65La liberté doit aussi s’appliquer aux peuples et donc aux nations, car « le principe de toute souveraineté réside dans la nation75 ». Fils de 1789 éduqué pendant les luttes d’émancipations nationales, étudiant pétri de romantisme, passionné par les révoltes des années quinze et trente avant d’être happé par le « Printemps des peuples », Carnot place sa confiance dans la liberté des nations : « Le salut viendra des peuples s’unissant pour venir à bout de l’ennemi commun, le despotisme76. » Si les nations et les peuples libérés arrivent à s’entendre et à s’unir, elles bâtiront même « l’Europe unie ». Il soutiendra tout au long du siècle tous les combats nationaux, et donc les unités nationales, contre les empires qui oppriment les minorités. Car la nationalité, « c’est le droit de l’homme proclamé en 1789, le droit de se grouper selon ses affinités de caractère, de tradition, de race, de langue, c’est au fond la LIBERTÉ même77 ». Il est donc acquis, y compris après la guerre de 1870, à une sorte de « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » dans une Europe fondée sur la liberté des peuples. Dans ses écrits sur la politique extérieure revient régulièrement la maxime de Schiller : « L’homme est créé libre, il est libre, fut-il né dans des chaînes. […] Devant l’homme libre, ne tremblez pas. » Cette liberté des peuples et des nations doit même s’appuyer, horresco referens, sur la nécessaire réconciliation entre la France et l’Allemagne, deux peuples voisins que les vicissitudes de l’histoire ont séparés, mais qui sont « deux amis que de longues querelles ont divisés et qui ont besoin de s’expliquer78 ». Dans cette optique, il commence en 1840 un ouvrage sur l’Allemagne.
L’ardente obligation du suffrage universel
66Pour Carnot, la liberté ultime est de choisir ses gouvernants par le vote. Cette liberté, fondement en même temps que le moyen de la souveraineté nationale, est incarnée par le suffrage universel qui reste une question sensible.
67Il est en théorie entièrement favorable à ce type de suffrage : « Je respecte si profondément le principe du suffrage universel qu’un progrès, même celui que j’appelle le plus vivement, n’est légitime à mes yeux qu’autant qu’il obtient l’assentiment général79. » Mais la situation s’avère en réalité plus complexe. Depuis 1830, la question du cens agite tous les états-majors politiques. Faut-il l’élargir, sa diminution sera-t-elle le prélude au suffrage universel, femmes comprises ? Faut-il exiger immédiatement le suffrage universel ou l’obtenir progressivement par la réforme ? Toutes ces questions mettent mal à l’aise nombre de libéraux, mais aussi de républicains modérés comme lui, car elles opposent de séduisants principes généreux à des réalités sociales plus rudes.
68Il faut dire que le corps électoral est si étroit que la question du cens revient sans cesse. Qu’on en juge : en 1846 quatre députés sur cinq sont élus par moins de 400 voix, même si la situation est légèrement meilleure pour les élections locales. Or, pour les hommes de Juillet, la co-souveraineté populaire ne s’entend qu’à condition que le suffrage censitaire existât, c’est-à-dire que le vote soit réservé à l’électeur ayant des « capacités » intellectuelles ou professionnelles particulières. C’est ce qu’explique fort bien Guizot : « Le droit électoral n’est pas dans le nombre, mais appartient à la capacité80 », notamment financière. Seule la bourgeoisie et les possédants, au nom de leurs supposées lumières, sont dignes de représenter l’ensemble d’une nation apaisée et raisonnable. C’est ce que Carnot appelle dans son Mémorial, le « despotisme bourgeois ». Face à un tel déni de justice, les libéraux d’opposition se contentent de demander l’extension progressive du droit de vote aux gardes nationaux et aux élus municipaux et, rarement, une légère baisse du cens.
69Ainsi, l’essentiel du peuple, notamment ouvrier, est condamné à rester exclu de toute expression, sans parler des paysans, traditionnels exclus du vote. Mais, pendant que les républicains hésitent sur la manière d’améliorer les choses, les démocrates socialistes et les autres républicains sociaux, emmenés par Ledru-Rollin, réclament une réforme radicale : le suffrage universel immédiat « pour [réaliser] un progrès pacifique et éviter de subir une révolution violente81 ». Une fois encore, Carnot, ni partisan du statu quo (comme bon nombre de libéraux) ni partisan du suffrage universel (comme les républicains), prend une position médiane. C’est que la question lui pose un dilemme cruel. Rien ne garantit en effet qu’un peuple consulté lors d’élections démocratiques ne porte au pouvoir un dirigeant peu démocrate et soucieux de favoriser ses proches au détriment du bien commun, triste prémonition ! C’est pour cela que l’ancien saint-simonien reste longtemps sceptique vis-à-vis du suffrage universel où « le moins capable juge le plus capable ». Le risque est trop grand, car « le suffrage universel des masses ignorantes, c’est plutôt la démagogie que la démocratie82 ». Dans un premier temps, il n’est donc pas hostile à la notion de capacité, qui serait l’écriture, la lecture et la mémoire, pour voter. Mais il exige en même temps une réforme électorale pour accroître la souveraineté nationale, « point de départ vers l’arrivée du gouvernement parlementaire, passant par la réforme électorale ou le vote dans l’union83 ». Cette réforme consistera en un élargissement progressif du corps électoral, prélude à l’avènement du suffrage universel : « La perfection serait que chacun fut compté dans la mesure de ce qu’il fait. C’est l’idéal impossible à réaliser, mais il faut s’en approcher84. »
70Pour accoutumer le peuple à l’usage délicat du suffrage, il imagine un système complexe de vote à deux degrés. Une liste des candidats serait dressée par un « Comité départemental » impartial pour éviter tout favoritisme. Ensuite, l’Assemblée choisirait dans la liste ses membres qui seraient ensuite soumis à la ratification du suffrage universel. De son côté, le Sénat désignerait les membres des conseils municipaux « les plus capables » avant une autre ratification au suffrage universel. Ce système de filtres successifs permettrait de sélectionner les plus dignes d’être soumis au vote populaire qui ne désignerait dès lors que les meilleurs candidats. Mais Carnot n’est pas dupe, sa solution n’est qu’un pis-aller. Il faut aller plus loin et aborder la question de fond, la question sociale et éducative, celle, des « capacités » partagées. Pour lui, derrière la question du suffrage, se pose celle de l’éducation populaire, de l’instruction pour tous, bref de la démocratie éducative qui seule peut permettre l’usage éclairé du vote par toutes les classes sociales.
Instruction populaire et réformes sociales
71Les questions éducatives85 représentent près du cinquième des textes que Carnot publia tout au long de sa vie. C’est toujours la même idée qui le hante : comment voter en toute connaissance de cause, alors que l’analphabétisme reste fort ?
« Peut-on punir une génération de l’état d’ignorance où l’ont maintenu ses gouvernants ? Non, bien entendu […]. Il faut que la voix du peuple puisse s’exprimer aux Lumières et que le peuple apprenne à se gouverner lui-même par des représentants pour atteindre la souveraineté, une et indivisible [qui] est représentée par une assemblée issue du suffrage universel. Il faut éclairer les hommes sur l’exercice de leurs droits qui doit les prémunir contre les séducteurs et les pièges dont on ne manquera pas d’environner leur inexpérience […]. Alors les écluses du suffrage universel pourront s’ouvrir, et ce torrent, s’il est bien dirigé, fertilisera la terre86. »
72La seule solution est donc de se « hâter d’élever le peuple », d’autant que « ceux qui ne possèdent pas l’instruction n’en comprennent pas assez les avantages87 ». Seule une école ouverte, généralisée et rigoureuse permettra « d’éclairer le suffrage universel par l’instruction publique et populaire ». Ainsi, le peuple ne sera plus trompé par ces démagogues qui font croire à « certaines gens, qui ne savent ni lire, ni écrire, ni réfléchir, que les perturbations les plus violentes […] sont inséparables des institutions républicaines88 ». L’instruction du peuple n’aura en outre que d’heureuses conséquences pour tout le corps social, y compris dans le domaine économique. Depuis le début des années quarante, il estime que « la question de l’Instruction populaire doit dominer toutes les autres pour avoir les yeux fixés vers l’avenir89 », et l’on comprend mieux pourquoi il accepta le portefeuille de l’Instruction publique en février 1848.
73L’éducation populaire doit s’appliquer à tous, notamment aux enfants qui travaillent, scandale qui, pour Carnot, favorise l’ignorance du peuple. Fin connaisseur de l’Allemagne, il accepte à l’automne 1840, une mission de l’Assemblée pour étudier les conditions de travail des jeunes ouvriers allemands. Il en rend compte dans une brochure, Lettre à monsieur le ministre de l’Agriculture et du Commerce sur la législation qui règle, dans quelques États allemands, les conditions de travail des jeunes ouvriers. Partant de la Saxe et de la Prusse, il démontre qu’il faut protéger les jeunes enfants des abus du monde du travail, mais avec l’accord des intéressés, les industriels et les patrons, pour pacifier les relations sociales. Une fois encore, seule l’instruction intellectuelle aussi bien que manuelle (industrielle et agricole) sauvera les enfants pauvres de leur destin tragique. Et pour y parvenir, rien de mieux que la garantie par l’État et une législation coercitive contraignant les patrons qui ne seraient pas persuadés des bienfaits de l’Instruction de leurs jeunes employés. L’union entre une école, confortée par la loi, une instruction primaire respectée et le travail industriel profiterait en outre à tous, patrons comme ouvriers et agriculteurs. Il faut donc exiger de l’État :
« Que les manufacturiers fassent appel à l’esprit d’association pour la création de salles d’asiles et d’école, pour une distribution des heures […] qui permette aux jeunes ouvriers de suivre ces écoles au milieu du jour. [….] Qu’ils préparent ainsi pour l’avenir une génération laborieuse, intelligente, instruite et robuste90. »
74Cette instruction généralisée aura un rôle préventif. C’est ce que montrent ses travaux sur les prisons et la peine de mort qu’il assimile au meurtre. Il milite donc pour l’amélioration de la condition carcérale à des fins de prévention et vote tous les textes allant dans ce sens, comme la loi de 1840 contre les bagnes. Il critique l’isolement, demande la disjonction des peines politiques et de droit commun et, en prenant exemple sur la Suisse, s’alarme du manque de considération envers les prisonniers. Lors de la présentation d’un projet de loi sur les prisons en avril 1844 à la Chambre, il fait un grand discours. Adepte des droits individuels et de la liberté de conscience, il remet en cause le droit moral à punir pour des raisons politiques : « Dans un temps où les principes politiques sont, à chaque instant, remis en question, quel homme se croirait en droit de punir son semblable pour avoir une pensée autrement que lui ou pour avoir agi conformément à cette opinion91 ? » À la lumière de ses voyages et visites de prisons au temps de la Société de la morale Chrétienne, il explique que, sans excuser le crime qui « viole les règles de morale qui forment les bases de la société », la prévention est bien plus efficace que la seule répression. Cette prévention passe, bien entendu, par l’éducation qui préviendra le crime en donnant un code moral et intellectuel aux citoyens. Il précise en 1846 que « le chef de l’État est responsable, à certains égards, de tout acte criminel qui se commet pour ne pas l’avoir prévenu par l’éducation et le bon ordre ». Dispensée dans les prisons, l’instruction devrait améliorer l’univers carcéral et préviendra la société contre le choix intenable entre la peine de mort ou la rétention à vie. Il ne croit guère aux vertus de l’enfermement qui pousse au contraire les plus fragiles à la récidive : « On peut croire que l’isolement pénitentiaire accroît la folie, s’il ne la détermine pas !92 » Et comme « les prisons coûtent presque autant aux départements que les écoles93 », c’est l’école qu’il faut choisir, y compris pour des raisons budgétaires. Il faut donc « donner à la justice les moyens de prévenir des associations redoutables » et agir avec discernement : « N’est-ce pas un principe élémentaire en éducation que les mêmes moyens ne conviennent pas à tous les caractères94 ? »
75Ce souci éducatif s’applique à d’autres catégories sociales comme les domestiques. Dans une société de classe, ils seront encadrés par des contrats d’apprentissage pour les plus jeunes. Jusqu’à 20 ans, ils devraient donc fréquenter des classes industrielles où ils travailleront en alternance pour devenir des citoyens actifs. Ainsi le maître sera obligé de « donner l’instruction primaire [au domestique] et de lui enseigner un métier qui le met, en cas de nécessité, à l’abri de la misère95 ». Bien entendu, cette instruction, sera protégée « des emportements de l’éducation congréganiste », tout en respectant le « principe de la liberté d’enseignement, en ayant confiance dans le bon sens naturel pour repousser un piétisme étroit qui ne sera jamais populaire dans notre France96 ».
76Tous ces engagements forment un programme qu’il résume dans Les radicaux et la Charte, ouvrage qui lui vaut bien des critiques et renforce son image de modéré impénitent. Il y assume son réformisme républicain : « J’appartiens à ceux qui, en 1830, ont fait des vœux pour l’établissement de la République […], Toutefois, l’opinion nationale nous parut se manifester en faveur de cette (la Monarchie constitutionnelle) forme de gouvernement et nous l’acceptâmes parce que nous pratiquons le dogme de la souveraineté nationale.97 » Puisque le peuple a plébiscité la Charte en juillet, il faut l’utiliser pour obtenir plus de justice, plus de droits, bref une démocratie dont le nom lui importe peu, pourvu qu’elle respecte les droits de l’homme et la souveraineté populaire. Louis-Philippe viole certes les principes de la Charte, ignore et trahit le peuple, mais comme « la Monarchie constitutionnelle est une pente vers la République. Adoucissons là et soyons patient98 ». Plus que jamais, il faut jouer le jeu de la politique constructive et pour cela prendre la Charte au mot, l’utiliser pour la dépasser et progresser vers le pouvoir populaire. Il renvoie par là dos à dos les monarchistes, les libéraux traîtres à la Charte et, surtout, les radicaux qu’il juge trop impulsifs en réclamant la démocratie immédiate par le suffrage universel et en rejetant une Charte pleine d’avancées. Ce faisant, ils rendent impossible toute réforme progressive et précipitent le pays vers une périlleuse révolution, « remède héroïque auquel on ne doit avoir recours qu’en dernière extrémité » qui fait le jeu des conservateurs. Carnot supplie donc ces jusqu’au-boutistes de jouer le jeu des élections plutôt que celui de la Révolution : « Ils doivent marcher eux-mêmes à la conquête légitime du pouvoir pour réaliser la cause de la réforme. » En rejetant les élections au motif du suffrage censitaire, les radicaux obèrent l’avenir : « Partout l’élection a été favorable à l’opposition. L’opposition méconnaîtrait-elle le progrès de ses propres doctrines, les chances de triomphe qui lui sont offertes ? […] C’est un rôle trop commode que celui de protestant, c’est un rôle de paresseux99. » Un an avant la Révolution, le député parisien préfère améliorer sans détruire, jouer le jeu de la Charte et promouvoir une position modérée. Rien ne l’arrête, ni les critiques du journal radical-socialiste La Réforme qui le rejette dans le camp des indécis en le traitant de « républicain monarchiste », ni les partisans d’une lente extension du suffrage groupés autour du National, qui constitue pourtant sa réelle famille politique.
Banquets républicains et croisade civique
77Tout bascule fin 1847 quand la crise économique précipite des milliers d’ouvriers et de paysans dans la misère. C’est le moment où la question électorale s’impose depuis que tous les députés d’opposition demandent l’abaissement de moitié du cens électoral pour atteindre 100 francs. Pour la première fois, les républicains, y compris ces radicaux fustigés par Carnot, sont alliés aux libéraux et renoncent à exiger d’emblée le suffrage universel. Ils donnent ainsi raison à Carnot et renforcent l’opposition que ni Guizot ni Louis-Philippe ne prennent au sérieux. Privée de moyen d’expression depuis les lois répressives de 1835, méprisée par le pouvoir plus prompt à emprisonner qu’à écouter, l’opposition se lance alors dans une série de « banquets républicains » pour mobiliser le pays en faveur de la réforme et se rassembler sans danger. Ces repas conviviaux datent des années quarante100, souvent pour commémorer les Journées de Juillet ou des dates républicaines. Ainsi, le Parti démocrate organise un banquet de cent personnes le 14 juillet 1843 avec la fine fleur des opposants comme Garnier-Pagès, Étienne Arago, Legendre et Carnot. On y porte des toasts « à l’Irlande en lutte contre les Anglais », « à nos devanciers dans la carrière pour la démocratie » « à la presse » et « aux députés d’extrême gauche ». Ces réunions autour d’une table bien garnie, mais bon marché voire gratuite, sont un excellent moyen pour se réunir, écouter des discours, chanter des hymnes républicains et porter des toasts subversifs sans tomber sous le coup de la loi sur les rassemblements. Soixante-dix banquets, organisés à la fin de l’année 1847 et au début de la suivante, mobilisent en tout plus 17 000 personnes et renouent avec une sociabilité maçonnique classique que Carnot connaît bien. Ils accueillent d’ailleurs la plupart de ses compagnons de lutte, des plus modérés comme Barrot jusqu’aux plus déterminés comme Ledru-Rollin ou Louis Blanc. Le député du VIe les accompagne souvent et finit par considérer ces réunions comme une « préparation à la campagne parlementaire […] montrant à tous la force qui résulte de l’alliance des opposants progressistes où l’on peut prêcher l’union dans le présent tout en réservant l’avenir101 ».
78Il passe donc tout l’automne et le début de l’hiver de banquet en banquet et accepte dix invitations102 qu’il qualifie de « fêtes patriotiques », bonnes occasions de peaufiner ses thématiques et ses projets tout en se positionnant sur l’échiquier politique. Lors du banquet de Valenciennes du 11 novembre, il déclare : « Je ne connais que deux partis en France, celui qui veut marcher en avant dans les voies ouvertes par la Révolution et celui qui veut s’arrêter ou rétrograder ». Il accepte toute invitation susceptible de renforcer l’union de l’opposition, et aussi celles qui honorent sa famille comme le banquet de Châlons en l’honneur « du plus illustre des Carnot », son père. Son rassemblement préféré reste cependant le « Banquet des écoles de Paris » qui, de peur d’un refus, se tient sans autorisation le 22 décembre 1847. Son objectif est clair :
« Il est du devoir de tout homme qui se préoccupe des destinées de la Patrie de protester énergiquement contre la marche et la tendance funeste du gouvernement qui nous régit. De toutes parts, le pays légal a proclamé ses alarmes et ses vœux de réforme. [….] Ce sera le moyen de cimenter l’alliance désirable entre les vétérans de la démocratie et ses jeunes soldats103. »
79Outre son intérêt pour l’instruction, Carnot y exprime sa confiance en l’homme et envers les enfants : « La jeunesse des écoles ne reste pas indifférente aux questions politiques qui agitent la France et l’Europe. » Ce banquet particulier devient l’étendard de l’opposition et toute la presse réformatrice s’y donne rendez-vous comme le National, la Fraternité, la Réforme, l’Atelier, la Revue indépendante, le Charivari. Les figures de l’opposition les rejoignent, les républicains comme les deux frères Arago, Ledru-Rollin ou Garnier-Pagès, les libéraux avancés comme Lamartine, des socialistes comme Pierre Leroux ou Louis Blanc. S’y joignent des écrivains engagés comme Georges Sand, Édgard Quinet, Henri Martin ou Jules Michelet, les chanteurs tels Béranger ou des artistes (David d’Angers grand ami de Carnot, François Rude), les chrétiens réformateurs comme Lamennais, sans compter de nombreux ouvriers.
80Il y a là une grande partie du futur Gouvernement provisoire qui va prendre les rênes du pays deux mois plus tard. Les toasts sont classiques (« à la démocratie », « à la réforme électorale » « au courage civique », « à la mission providentielle de la France », « à la souveraineté du peuple »), souvent dédiés à l’éducation (« à l’union du peuple et des écoles », « à l’éducation nationale commune, gratuite et universelle », « à l’union du peuple et des écoles »). Les discours des écoliers et étudiants confortent Carnot : « La jeunesse des écoles en montrant sa force est très résolue à montrer en même temps le calme, la sagesse, l’esprit d’ordre dont elle est capable104. » Il est invité comme membre de l’extrême gauche, mais aussi comme spécialiste d’éducation, héritier d’un grand nom qui incarne la République et ses idéaux. C’est le président de la « Commission des écoles » qui explique : « De toutes parts, le pays légal a proclamé ses alarmes et ses vœux de réforme […] contre la funeste tendance du gouvernement qui nous régit105. » Chacun de ses déplacements donne lieu au même cérémonial destiné à convertir les campagnes, ou du moins les villes de province.
81Au début 1848, face à la crise économique et à la défiance politique, tout le monde pressent que de graves événements se préparent. Mais, pris dans l’ambiance des banquets, absorbé par ses écrits, Carnot ne voit rien venir : « À l’hiver 1847, je ne croyais pas une révolution imminente106 », avoua-t-il une fois installé au pouvoir.
Notes de bas de page
1 Hippolyte Carnot cité par M. Lefèvre-Pontalis, Notice sur Hippolyte Carnot, Paris, Picard, 1891, p. 12.
2 Elle évoque « le droit des Français de publier et de faire imprimer leurs opinions en se confortant aux lois ».
3 Ces lois furent votées en mars-avril 1831.
4 La révolte avait été lancée par la Société de secours mutuels qui protestait contre le refus des autorités d’accepter un tarif avantageux pour les Canuts, bien qu’il ait été avalisé par le préfet. La répression menée par le maréchal de Soult fut féroce. Voir à ce sujet Jean-Baptiste Montfalcon, « Histoire des insurrections de Lyon », citée par Fernand Rude, Les révoltes des Canuts (1831-1834), Paris, Maspéro, 1980, p. 41.
5 Après cet échec, Mazzini fonda à Marseille le mouvement « Jeune Italie » qui voulait unifier le pays, le libérer des étrangers et proclamer la République. Ce fut le socle des révolutions de 1848.
6 Le 21 août 1832, Enfantin et ses disciples furent traduits en cour d’assise. Le procès aboutit à une peine d’un an d’emprisonnement et cent francs d’amende pour Enfantin.
7 Cité par Dreyfous, Les Trois Carnot, op. cit., p. 201 et par G. Sarrut et B. Saint-Edme, Biographie des hommes du jour, Hippolyte Carnot, Paris, 1939, Krabbe, p. 18.
8 Lettre de Montalivet, ministre de l’Instruction à Carnot, Paris, 25 avril 1831, AFP/HC/III/carton B, d7.
9 Les associations pouvaient se diviser en sections de moins de 20 membres, ce qui en accroît le nombre.
10 Dirigée par Raspail, elle compte nombre de républicains comme Cavaignac, Marrast, Trélat. Elle demande, une réforme des impôts, la disparition de la Chambre des pairs et l’éducation gratuite.
11 Le général, qui participa aux guerres révolutionnaires puis impériales avant d’évoluer vers le libéralisme, voire le républicanisme, était devenu un symbole d’opposition. Sadi aurait protégé un manifestant contaminé lors des attaques des forces de l’ordre.
12 Une lettre d’Hippolyte sans date explique que Sadi avait laissé « un papier informe, écrit au plus fort de sa cruelle maladie, exprimant le désir qu’une somme fut prélevée pour subvenir à l’éducation d’un enfant naturel ». Deux ans plus tard Hippolyte rencontra l’enfant et sa mère. Il dota la famille (il estime le don à 20 000 francs). L’enfant ne sut jamais qui était son père. Voir AFP/HC/III/bureau de Lazare.
13 Extrait des statuts de la société, mars 1834, AFP/HC/III/carton B, d7.
14 À ne pas confondre avec celle de 1789. Celle de 1793 fut présentée par Robespierre et préparée avec Saint-Just. Outre le suffrage, elle plaçait l’égalité au cœur des droits, précisait les libertés individuelles et, concernant le devoir d’insurrection, expliquait : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » Il s’agissait de légitimer le 10 août 1792 qui avait entraîné la chute du Roi.
15 Douze personnes, dont des femmes, vieillards et enfants, y furent massacrées. Daumier en produisit une célèbre lithographie et Hugo condamna à maintes reprises ce massacre.
16 Il s’agit des lois de septembre 1835 qui sonnèrent le glas de la période libérale du régime de Juillet. Elles établirent la censure des spectacles publics, des dessins, des gravures, le double cautionnement des journaux, et interdirent la contestation « du principe ou de la forme du gouvernement » ainsi que de se réclamer de la « qualification de républicain ». Et depuis la mi-1834, les crieurs publics étaient soumis à autorisation officielle.
17 Il écrivit onze articles et traductions pour cette revue en 1833 et 1835. Fondé en 1833 sur le modèle de la revue anglaise Penny Magazine, elle présente et explique les connaissances scientifiques, la géographie, l’histoire et le patrimoine mondial. Destinée au grand public, elle fut publiée jusqu’en 1912.
18 Devise et esprit du journal, 1832, AFP/HC/III/carton B, d7-8.
19 Hippolyte Carnot, Note au Roi, 6 mars 1835, AN 108 AP 2.
20 Hippolyte Carnot au Comité de défense des prévenus d’avril, 22 mars 1835, AFP/HC/III/carton A, d1.
21 Note sans date d’Hippolyte Carnot, sans doute 1835 ou 1836, Idem.
22 Hippolyte Carnot, Note sur la guerre, 12 mars 1870, AN 108 AP 2.
23 Il y eut trois rapports sur l’école en peu de temps : celui de Cousin, après une mission en Allemagne (projet de loi d’octobre 1831), une proposition de loi de la Société pour l’Instruction élémentaire et un projet du vieux Daunou. Tous prônent la liberté de l’enseignement primaire, la décentralisation et un effort de l’État pour l’école.
24 François Guizot, Lettre aux instituteurs, 18 juillet 1833.
25 François Guizot, Essai sur l’histoire et l’état actuel de l’instruction en France, Madaran, Paris, 1816, p. 8-10. Il est le premier à évoquer la notion de « service public de l’éducation ».
26 François Guizot, Lettre aux instituteurs, 18 juillet 1833.
27 Texte de présentation du projet de loi Guizot à la Chambre, 2 janvier 1833, Moniteur Universel, 3 janvier 1833 et l’anthologie Vive l’école républicaine citée en bibliographie.
28 Par « primaire supérieur », on entend le niveau post-école élémentaire, mais qui n’est pas le Secondaire des lycées et collèges. Il s’agit d’un enseignement de deux à trois ans pour les meilleurs élèves du Primaire, assuré par des instituteurs. Il permet d’obtenir un diplôme ouvrant aux métiers de la classe moyenne inférieure.
29 Il y eut cinq ouvrages différents consacrés à l’instruction religieuse, la lecture, l’arithmétique, la grammaire et l’histoire-géographie de la France. Voir Claude Lelièvre, Histoire des institutions scolaires depuis 1789, Paris, Nathan, 1990, p. 78-79 et le chapitre sur Guizot, p. 53-80.
30 De 50 000 francs par an jusqu’en 1828, il passa à 300 000 puis à un million à partir de juillet 1830.
31 Les obligations pour les filles furent identiques, sauf pour les deux choses importantes : l’obligation communale d’avoir une école publique de fille et les écoles normales de fille.
32 D’après Antoine Prost, il est réservé à 2 % d’une classe d’âge en 1842 et coûte environ 800 francs par an (un instituteur gagnait au mieux 500 francs par an). On comptait environ 750 000 élèves dans le secondaire en 1847.
33 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 21-22.
34 Hippolyte Carnot, Le ministère de l’Instruction, op. cit., p. 11.
35 Profession de foi de Carnot dans le journal Le Breton, 30 décembre 1822, AFP/HC/III/carton A, d1.
36 À messieurs les électeurs de l’arrondissement de Mâcon, 17 juillet 1833, AFP/HC/III, carton A, d1-2.
37 À Messieurs les électeurs de l’arrondissement de la Flèche, 20 juin 1834, AFP/HC/III/Idem.
38 Note d’Hippolyte Carnot sans date, sans doute 1839, AFP/HC/III, carton B, d4.
39 À messieurs les électeurs de l’arrondissement de Narbonne, 9 décembre 1834, AFP/HC/III, carton A, d1.
40 Claude Carnot meurt le 31 juillet 1835 à Paris et Carnot-Feullins à Autun le 17 juillet de l’année suivante.
41 Juliette Adam, citée dans Patrick Harismendy, Sadi Carnot, op. cit., p. 35.
42 Hippolyte Carnot à Claire, 4 janvier 1837, AFP/HC/Corr.
43 Membres de la Commission de Beaune à Hippolyte Carnot, 21 octobre 1837, AF P/HC, IIII/carton A, d1-2.
44 Lettre de Carnot à un électeur de Beaune, Chabanais, 31 octobre 1837, AFP/HC/III/idem.
45 À messieurs les électeurs de l’arrondissement de Confolens, 27 octobre 1837. AFP/HC/III, carton A, d1.
46 Société fondée en 1837, composée d’un millier de militants disciplinés sur le modèle des carbonaristes, elle tenta un coup de force en mai 1839 à Paris pour hâter un coup d’État révolutionnaire. Ce fut un échec sanglant (Barbès fut condamné à mort) qui illustra la tension de ces années 1839-1840, tournant du régime avant l’arrivée au pouvoir de Guizot. Carnot demandera la grâce de Barbès au Roi, ce dont il prévient son épouse Claire : « Barbès est condamné à mort ; nous avons fait une démarche pour obtenir sa grâce. Peut-être sera-t-il nécessaire d’en faire une autre pour prévenir les troubles » (AFP/HC/Corr, d1).
47 Hippolyte Carnot, Lettre du Comité électoral de Paris aux électeurs, 5 février 1839, AFP/HC/IIII/carton A et B. En outre Claire Carnot était sur le point d’accoucher de son second fils, ce dont il avait averti publiquement les électeurs et les membres du Comité par souci de transparence.
48 Note d’Hippolyte Carnot, sans date, 1839, AFP/HC/III/carton B, d1-2.
49 Hippolyte Carnot, Lettre à messieurs les électeurs du sixième arrondissement de Paris, 19 février 1839, AFP/HC/III/carton A, d2.
50 Le National, 28 février 1839 et le Siècle, 1er mars 1839, dans G. Sarrut et E. Saint-Edme, Biographie des hommes, op. cit., p. 26-27.
51 Il obtint 829 voix contre 602 à son adversaire sur 1453 votants.
52 Il épousa la fille aînée de Bazard en 1835 et fut rédacteur au Globe. Après la scission du groupe, il devint un ardent défenseur de l’héritage révolutionnaire. Il fut rédacteur en chef de l’Artiste.
53 Lettre à Hippolyte Carnot, 4 mars 1839, AFP/HC/III/carton A, d2.
54 Note d’Hippolyte Carnot, sans date, année 1839, AFP/HC/III/carton A, d2.
55 Les opposants obtiennent 240 sièges contre à peine 200 pour les candidats du pouvoir, ce qui provoque la démission du chef du gouvernement. L’heure du libéral (et non républicain) Thiers a sonné le 1er mars 1839.
56 Hippolyte Carnot, Notes pour un manuscrit sur l’Allemagne, 1840, AN 108 AP 2.
57 Note sur Thiers, 1840, AFP/HC/III/carton B, d2. Thiers est aussi un grand historien libéral de la Révolution française avec son ouvrage Histoire de la Révolution française publiée en 1824.
58 Exposé de 1842 à la Chambre sur les Nations AFP/HC/III/carton B, d4.
59 Ce journal, fondé en 1830 par Thiers et Carrel, a pour devise « La Nation, la loi, le roi » et fait du combat pour la réforme électorale son cheval de bataille. Il est partagé entre libéraux modérés et républicains plus sociaux.
60 Note d’Hippolyte Carnot, sans date, AFP/HC/III, carton A, d2-3.
61 À messieurs les électeurs du sixième arrondissement de Paris, 22 juillet 1842 AFP/HC/carton A, d2.
62 Pour les deux citations successives, Première réunion préparatoire aux élections de 1842, AFP/HC/III/idem.
63 Troisième réunion préparatoire aux élections, AFP, idem et Mémorial, dossier 19.
64 Hippolyte Carnot à Claire Carnot, 11 juillet 1842, AFP/HC/Corr/d1-3.
65 Depuis septembre 1833, le pays est en guerre civile et la question d’une intervention française empoisonne le débat. Elle a provoqué la chute de Thiers et les députés ont approuvé la non-intervention prônée par le Roi.
66 Hippolyte Carnot, Notes sur la liberté, non datées, AN 108 AP 2.
67 Il fait un grand discours à la Chambre en 1821 : « La traite se fait : elle se fait impunément. […] La traite se fait plus cruellement que jamais parce que les capitaines négriers, pour se dérober à la surveillance, recourent à des expédients atroces [...]. Au nom de l’humanité, dans cette cause, où toutes les distinctions de parti doivent disparaître, unissez-vous à moi pour réclamer la loi que le ministère vous avait promise. »
68 Sur l’ensemble de ses publications (articles, proclamations, ouvrages, discours publiés) de 1823 à 1888, l’esclavage représenta 6 % de ses écrits, soit le second thème de ses écrits.
69 Voir Patricia Motylewski, La société française pour l’abolition de l’esclavage, 1834-1850, Paris, l’Harmattan, 1997. Des hommes comme Tocqueville, Barrot ou Montalembert rejoignirent la société.
70 Introduction à la brochure bilan de la société, Paris, Fournier, 1839, p. 1, AFP/HC/III, carton A, d3.
71 Hippolyte Carnot, De l’esclavage colonial, Paris, Bureau de la Revue indépendante, 1845. Il y traitait notamment des différentes traites, occidentales, intra-africaines et musulmanes.
72 Hippolyte Carnot, Notes sur l’esclavage aux États-Unis, 1859, AFP/HC/V/carton A, d1.
73 Hippolyte Carnot, De l’esclavage colonial, Paris, Revue Indépendante, 1845, p. 83-86.
74 Hippolyte Carnot, Toast au banquet du XIe arrondissement, 19 mars 1838, AFP/HC/III, carton A, d2.
75 Hippolyte Carnot, Lettre à Corbon, 7 septembre 1859, 108 AP 2, dossier 6.
76 Hippolyte Carnot, Notes sur l’Allemagne, 1852, Mémorial, dossier 8.
77 Hippolyte Carnot, Notes sur l’Italie, décembre 1863, AN 108 AP 2. C’est lui qui souligne.
78 Hippolyte Carnot, Notes sur l’Allemagne, 1840, AN 108 AP 2.
79 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 6 et 7.
80 François Guizot, dans Michel Offerlé, Un homme, une voix ? Histoire du suffrage universel, Paris, Découvertes-Gallimard, 1993, p. 21.
81 Ledru-Rollin, dans Michel Offerlé, Un homme, une voix ? Histoire du suffrage universel, op. cit., p. 38.
82 Textes et notes sur la révolution de 1848, 1849, AN 108 AP 2-3 et Mémorial, dossier 6.
83 Hippolyte Carnot, juillet 1842, AFP/HC/III/carton A, d2.
84 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 6.
85 Il s’agit des thèmes portant sur le travail des enfants, l’armée et la nation et les prisons (et la peine de mort).
86 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 8.
87 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossiers 8-9.
88 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossiers 7 et 8, p. 11.
89 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 8, p. 45.
90 Lettre à monsieur le ministre de l’Agriculture et du Commerce sur la législation qui règle, dans quelques États allemands les conditions de travail des jeunes ouvriers, Paris, Imprimerie royale, 1840, p. 17 et p. 46.
91 Hippolyte Carnot, Le régime pénitentiaire, « Discours à la Chambre », 1844, cité par Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 26.
92 Hippolyte Carnot sur la peine de mort dans différents pays, 11 février 1846 AFP/HC/III/carton A, d3.
93 Hippolyte Carnot, notes pour la préparation de la loi scolaire, printemps 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5. C’est la même idée que celle de Hugo qui disait : « Ouvrez une école, vous fermerez une prison. »
94 Projet de loi sur les prisons, Discours de Carnot, 23 avril 1844, AFP/HC/III, carton A, d3.
95 Carnot, Quelques réflexions sur la domesticité, Paris, Société de la morale chrétienne, 1838, p. 15-18.
96 Hippolyte Carnot, « Rapport du secrétaire général de la Société pour l’instruction » à la société, 1847 cité par Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 26. Dans le même texte il s’alarmait de la condition matérielle des instituteurs véritablement paupérisés et délaissés par le régime.
97 Hippolyte Carnot, Mémorial, introduction et dossier 6.
98 Hippolyte Carnot sur les « Radicaux et la Charte… », dans Mémorial, dossier 5, p. 3.
99 Hippolyte Carnot, Les radicaux et la Charte, Pagnerre, Paris, 1847, pages 9-10-31-32 et Mémorial.
100 Il y en eut un à Paris le 1er juillet 1840 organisé par les communistes. Celui du 14 juillet 1840 organisé dans le Faubourg Saint-Antoine pour commémorer la prise de la Bastille fut interdit.
101 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 5.
102 Il va à Valenciennes (deux fois), Paris (deux fois), Rouen, Limoges, Châlon-sur-Saône, Béthune, Saint-Germain-en-Laye, Montpellier (Mémorial, dossier 5 et 6).
103 Invitation de la « Commission du banquet des écoles » à Carnot, 1er février 1848, AFP/HC/III/carton 2.
104 Citations sur les banquets dans Mémorial, dossier 5, p. 6-11.
105 Note d’Hippolyte Carnot, 1er février 1848, AFP, HC/III/carton A, d3.
106 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 7.
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