Chapitre 2. Pensée scientifique et métaphysique
p. 121-206
Texte intégral
1L’esprit philosophique développé dans l’Encyclopédie ne disparaît pas avec le Journal encyclopédique en 1793. Les auteurs du XIXe siècle et même du début du XXe siècle l’attesteront en s’y rapportant. Et la référence philosophique se fera en fonction du point nodal qu’est la pensée scientifique élaborée par d’Alembert. C’est pourquoi avant d’examiner l’amélioration de l’Encyclopédie et la valorisation des matières, je propose de jeter un œil sur cette pensée scientifique qui était en fait à l’origine de l’esprit philosophique. C’est d’elle que les fondateurs de la théorie de la connaissance héritent. En 1938, Neurath déclare que la science peut être regardée comme la combinaison d’un nombre immense d’éléments, collectés peu à peu1. Nous proposons au long de ce chapitre de parcourir cette nouvelle théorie par l’examen du processus épistémologique de la mise en place des éléments pour construire la philosophie de la science. Après avoir parcouru la systématique avec la métaphysique des corps, la métaphysique des sciences et l’article Elements des sciences, nous aborderons la morale car, si on ne peut parler de l’Encyclopédie sans Bacon, on ne peut pareillement pas évoquer l’Encyclopédie sans les références à l’Antiquité et l’interprétation par Diderot de la philosophie grecque.
2Certes, la relation science et philosophie2 date de l’Antiquité, mais elle a occupé une place centrale dans l’histoire de la philosophie à partir de la fin du XVIIIe siècle avant de connaître un essor considérable aux siècles suivants avec les sciences de l’esprit et la théorie de la connaissance. Si on a pu dire que la philosophie régnait sur la science et un peu partout d’ailleurs avec l’Encyclopédie, on pourrait dire qu’après l’Encyclopédie la science va régner sur la philosophie. Ce sera l’épanouissement de la pensée scientifique. Il suffit de rappeler que dans la seconde moitié du XXe siècle, il y avait encore en France des postes universitaires de professeur d’histoire de la pensée scientifique. Ils furent transformés très récemment en postes de professeur d’histoire des sciences. Bornons-nous ici à constater que la notion d’histoire est venue cacher la philosophie que renfermait l’histoire des sciences. Pour ce qui nous occupe, le rapprochement fusionnel de la philosophie avec la science habite la distinction dalembertienne entre système et systématique. Et, il faut le redire, la systématique a introduit la philosophie dans la science et la science dans la philosophie. Près de deux siècles après, certains auteurs comme Dilthey opèrent un rappel aux sources, d’autres comme Schlick,3 initiateur du Cercle de Vienne, ne mentionnent plus le passé. Nous les comparerons cependant avec la pensée dalembertienne.
3Qu’il me soit permis de prévenir que le fait d’exposer le projet philosophique de l’Encyclopédie sous l’angle de d’Alembert ne contredit en rien la pensée de Diderot quant au projet de l’entreprise. Le développement de la philosophie de l’Encyclopédie à travers les arts mécaniques et la réalisation en son sein d’un « Dictionnaire des métiers4 » appartient à l’auteur du Prospectus. La méthode des sciences, dont la technique fait partie, a ouvert les voies spéculatives à la réflexion philosophique. Et on peut dire que sans cette base cognitive apportée par d’Alembert et soutenue, comme nous allons le voir, par Diderot, l’Encyclopédie n’aurait pas eu un projet philosophique rigoureux et neuf. C’est donc à cette assiette spéculative que ce chapitre est consacré.
Méthode et découverte
4De Kant à Dilthey, l’objectif de définir une méthode étendue à toutes les sciences perdure pendant deux siècles. Or voilà bien ce que l’esprit philosophique envisageait de mettre en œuvre. Pareil élargissement demande un éclaircissement dans la mesure où il y a eu confusion entre l’étendue philosophique et l’extension scientifique. Dans notre présente étude et du point de vue de la pratique, l’étendue philosophique vise l’élargissement de l’esprit philosophique et l’extension scientifique vise l’Encyclopédie méthodique. Dans l’Encyclopédie, l’étendue de l’esprit philosophique à toutes les sciences a été dénoncée par d’Alembert, et Diderot a mis en garde contre toute extension qui aurait perfectionné les sciences avec trop de zèle. Le risque était de voir s’effondrer la construction des liaisons entre les sciences et de perdre le maintien apporté par une méthode. Diderot voulait prévenir autant que d’Alembert de tout excès d’élargissement qui aurait négligé la méthode puisque cela revenait à perdre la philosophie dans toutes les sciences. Pour Diderot le modèle des renvois pour fabriquer des connexions tient de la pensée scientifique et il insiste sur la méthode à l’article Encyclopédie5. Il est alors conduit à reproduire la façon de procéder du géomètre :
Le géomètre renvoie d’un théorème ou d’un problème à un autre, & l’encyclopédiste d’un article à un autre. Et c’est ainsi que deux genres d’ouvrages, qui paraissent d’une nature très différente, parviennent par un même moyen, à former un ensemble très serré, très lié, & très continu. Ce que je dis est d’une telle exactitude, que la méthode selon laquelle les Mathématiques sont traitées dans notre Dictionnaire, est la même qu’on a suivie pour les autres matières. Il n’y a sous ce point de vue aucune différence entre un article d’Algèbre, & un article de Théologie.
5La méthode des sciences, et en particulier de la géométrie et de la mécanique, est reconnue comme modèle. Ce qui se traduit par le fait qu’elle constitue le fondement de la philosophie des rapports. Dans le projet de départ, Diderot l’exprime en 1750 dans l’Explication détaillée du système des connaissances humaines du Prospectus. On sait que le Prospectus est un texte publicitaire qui annonce la souscription aux volumes à paraître, mais du point de vue philosophique, il est habité par la puissance du départ. La pensée de Diderot se manifeste clairement. Nous verrons à propos de la métaphysique générale qu’un long paragraphe de cette Explication a été supprimé dans la version de 1751 et que la place accordée à l’abstraction spéculative est significative. Diderot affiche une ferme conviction quant à l’ordre encyclopédique, conviction qu’il maintiendra tout au long de l’entreprise. Il déclare que l’ordre alphabétique ou quoi que ce soit d’autre ne pourra anéantir ce qui caractérise la philosophie de l’Encyclopédie :
Si l’on nous objecte que l’ordre alphabétique détruira la liaison de notre système de la Connaissance humaine ; nous répondrons que, cette liaison consistant moins dans l’arrangement des matières que dans les rapports qu’elles ont entr’elles, rien ne peut l’anéantir, & que nous aurons soin de la rendre sensible par la disposition des matières dans chaque article, & par l’exactitude & la fréquence des renvois.
6La méthode de la construction sur laquelle repose l’ordre encyclopédique est fondée sur les rapports entre les matières. L’intérêt de la classification consiste dans cet arrangement méthodique6. De fait, il est issu des liaisons intellectuelles conductrices des vérités générales qui, selon d’Alembert, servent de bases aux autres. Cette base spéculative du système de la connaissance, ni Chambers ni les entreprises qui succéderont à l’Encyclopédie, ne la dispense. Certes nous l’avons dit les excès d’application dénoncés par d’Alembert et par Diderot, présentaient le risque de détruire la méthode, mais pas de la cacher dans l’œuvre originale.
7L’herméneutique des sciences et des arts est associée chez d’Alembert à l’étude de la nature parce qu’il va de soi que le premier objet d’étude de l’homme est la nature. L’homme fait partie de la nature ; il est dans la nature. En revanche, comment expliquer une découverte reste une question épistémologique majeure. Il semblerait que les réflexions produites par la science de la nature ou philosophie naturelle issue des Principes mathématiques de la philosophie naturelle de Newton, méritaient pour le mathématicien encyclopédiste une investigation plus radicalement philosophique. Comment utiliser les processus cognitifs des réflexions sur la Nature pour construire le « tout » des sciences ? l’enjeu de cette interrogation pourrait résumer l’attitude de d’Alembert. L’auteur du Traité de dynamique explique la composition de ce « tout » selon une logique de coordination des sciences entre elles dans laquelle il attribue à la métaphysique un rôle extrêmement précis, à savoir celui de l’examen de la génération de nos idées. La métaphysique est en quelque sorte l’outil transcendant de la systématique cognitive. La démarche du mathématicien est difficile. Pourtant, un point permet d’entrer facilement dans sa démarche logique qui consiste dans la différence entre invention et découverte.
8Prévenons que l’article Invention (Arts & Sciences) signé par de Jaucourt n’a pas de rapport avec le processus de la connaissance, ce qui confirme notre interprétation que l’énorme travail réalisé par le Chevalier n’appartient pas au projet de départ. On constatera fréquemment que Diderot avait raison de craindre dans le système des renvois que « L’article qu’un autre aura cité, ou n’existera point du tout, ou ne renfermera rien d’analogue à la matière dont il s’agit7. » Ce n’est donc pas l’article Invention qu’il faut lire, mais l’article Découverte (Philosophie) où d’Alembert marque la distinction avec l’invention. La découverte s’applique essentiellement à ce qui est difficile à trouver. Par conséquent elle concerne, ajoute-t-il, ce qui a un certain degré d’importance. « Les découvertes moins considérables s’appellent seulement inventions8. » Les découvertes considérables résultent du parcours du génie inventeur par exemple en mathématiques où elles s’expliquent à l’aide de propositions et de méthodes générales. Nous retrouverons propositions et méthodes à l’article Elements des sciences (Philosophie). En attendant, il est intéressant de constater qu’ici il renvoie entre autres à Arithmétique universelle, c’est-à-dire au calcul des grandeurs en générale découvert par Newton, puis à Equation (Algèbre), Différentiel (Géométrie) et Application. Autrement dit, les renvois concernent les découvertes de l’époque.
9À l’article Application, d’Alembert traite de l’application d’une chose à une autre, point central de sa rigueur philosophique. Par l’exactitude est introduit le problème de la limite dans la composition des rapports des choses entre elles c’est-à-dire dans le chemin parcouru pour parvenir à la résolution d’un problème. Il consiste dans la mise en œuvre de la méthode. La métaphysique des propositions dont il sera question plus loin, corrobore tous ces points. Puis à l’article Découvrir, Trouver, d’Alembert précise la distinction, à savoir que s’il est question de propositions ou de méthodes particulières dont l’usage est moins étendu, alors il s’agit d’une invention9. La démarcation est claire et permet de conclure sans ambiguïté qu’on ne doit retenir dans l’examen des rapports des sciences entre elles que les découvertes puisqu’elles concernent des propositions générales. Aussi, l’application d’une proposition d’une science à une autre pour parvenir à une découverte est-elle une question qui appartient à la science transcendante alors que l’invention concerne la pratique.
10Quant à Diderot, il réservait à la découverte le processus de la relation qui conduit l’ordonnancement, autrement dit les liaisons fondatrices du système des connaissances humaines. Dès le début de l’article Encyclopédie (Philosophie), il envisage un dictionnaire universel porté à la perfection par chaque société savante qui aurait traité de sa matière et par suite, il distingue deux moyens de « cultiver les sciences » qui sont : « l’un d’augmenter la masse des connaissances par des découvertes ; & c’est ainsi qu’on mérite le nom d’inventeur : l’autre de rapprocher les découvertes & de les ordonner entre elles, afin que plus d’hommes soient éclairés, & que chacun participe, selon sa portée, à la lumière de son siècle10 ». On le voit ici, la distinction passe du théorique au pratique et Diderot attribue aux inventeurs le fait d’augmenter les connaissances sans proposer de système. Il s’agit d’une simple accumulation des résultats des découvertes. L’exposition des liaisons et de la méthode pour ordonner les découvertes correspond chez d’Alembert au processus spéculatif de la découverte. L’ordonnancement convoque un geste philosophique à différencier de l’augmentation. Ce qui revient à dire que le rassemblement des connaissances qui détermine l’Encyclopédie n’est pas une addition des découvertes, mais la présentation philosophique de leurs rapports.
11En 1883, un siècle après la mort de d’Alembert, Dilthey se souvient du mathématicien pour définir la philosophie. Dans sa définition, l’épistémologue des sciences humaines reprend exactement les formulations exposées par l’encyclopédiste pour définir la méthode du génie inventeur au cours de la découverte. Après avoir exposé les limites, Dilthey authentifie la philosophie comme « la science qui (avec la théorie de la connaissance) forme la logique et la psychologie, et qui se sert de ces deux grands moyens pour résoudre des problèmes11 ». Selon notre interprétation, d’Alembert aurait pu, mutatis mutandis, reprendre la phrase de Dilthey pour définir la philosophie comme « l’art ou la science qui avec la métaphysique des corps forme la logique et qui se sert de ce moyen pour résoudre des problèmes ». Nous aurons à y revenir ; il était nécessaire pour l’instant d’insister sur le fait que l’une comme l’autre imputent la validité de la connaissance à un processus de coordination qui repose sur des objets. Notons également que Dilthey ajoute la psychologie qui depuis Kant, mais pas chez d’Alembert, est une science qui étudie les liens entre la réalité spirituelle et la réalité matérielle. Si le principe de plaisir est allié aux sensations, c’est que des faits le démontrent et il n’y a pas pour d’Alembert de réalité spirituelle autre que purement spéculative reposant sur les objets de l’expérience scientifique12. Sans insister sur la psychologie, l’étude des sciences de l’esprit dans l’œuvre de Dilthey est un moyen de mieux percevoir ce qui rapproche la philosophie de d’Alembert de la théorie de la connaissance car il s’agit du même intérêt de départ qui est d’expliquer le fonctionnement de l’esprit à partir des principes de la science.
12En effet, Dilthey affirme ensuite que lorsqu’un philosophe utilise ces instruments pour introduire dans n’importe quelle science de nouvelles méthodes ou de nouveaux principes il apporte un triomphe à la vraie philosophie. Il conclut enfin que la théorie de la connaissance, la logique et la psychologie sont des outils de construction pour fabriquer des méthodes nouvelles : « Je n’envisage pas ces sciences simplement comme un ensemble de conceptions qui peuvent être appliquées aux autres sciences : au contraire, comme les mathématiques, elles façonnent des méthodes et des habitudes dans la démarche intellectuelle, qui ne sont acquises que par une pratique intensive et sont cependant susceptibles aussi d’une application étendue au-delà des limites de ces sciences13. » Produire une définition de la théorie de la connaissance comme processus comportant des outils destinés à la fabrication de méthodes signe une parenté forte avec la philosophie scientifique du Discours préliminaire. Avec juste raison, Dilthey ajoute : « C’est là ce que nous nommons l’esprit philosophique ».
13Pareille visée heuristique du monde de l’esprit (Geisteswissen-schaften14) renforce l’accord de son angle d’approche avec l’esprit philosophique. Le professeur de Bâle partage la même recherche de bases solides à la connaissance sans fondement métaphysique : « J’essaie de démontrer qu’une métaphysique admise par l’ensemble des penseurs était conditionnée par un certain état des sciences, état que nous avons maintenant derrière nous, et que par conséquent le moment est passé de fonder sur la métaphysique les sciences humaines15. » Maintenant Dilthey veut considérer les sciences humaines autonomes et donc dégagées de la métaphysique traditionnelle dans le prolongement des encyclopédistes qui ont voulu l’autonomie de la science. Il a par ailleurs mis en place une antinomie entre le fondement des sciences de la nature et le fondement des sciences de l’esprit16. Des possibilités nouvelles et différentes apparaissent pour les sciences humaines et Dilthey perçoit l’application sociale avec Condorcet et l’application politique avec Sieyès17. « Dans l’âme qui meut le XVIIIe siècle, écrit-il, sont indissolublement liés l’idée de philosophie éclairée, de progrès de l’humanité et l’idée même d’humanité18. »
14L’idée de philosophie éclairée reste mal comprise parce que difficile à expliquer. Dilthey en offre une approche. Il affirme que la méthode de l’esprit philosophique établit les rapports de l’homme avec tout ce qui l’entoure et il déclare qu’« en mettant en application cette méthode, la société et l’histoire finiront par être traitées d’une manière qui, dans ce domaine indépendant, correspondra à l’explication mécaniste dans l’étude des phénomènes naturels19 ». À l’aide de la méthode de l’esprit philosophique, les sciences humaines vont rejoindre le rang respectable des sciences sans avoir besoin d’une caution métaphysique. On voit clairement que Dilthey intègre dans sa philosophie la « méthode » de l’esprit philosophique. Il salue désormais l’unité de nature mécanique et, dans sa grande étude « de la carrière de la métaphysique », il ne manque pas de noter que le scepticisme ne lâche pas plus la métaphysique que s’il était son ombre20. Une fois encore la pensée scientifique de d’Alembert, qui a été l’un des premiers auteurs à ouvrir la voie à ce « monde de l’esprit » où se déroule le cheminement spéculatif de la découverte, s’accorde avec l’application d’une méthode pour conduire à une explication mécanique des liaisons.
15Le projet philosophique exposé dans le Discours préliminaire a constitué un fondement aux réflexions sur les rapports entre la philosophie et les sciences parce qu’il présentait un cadre conceptuel abstrait dans lequel la relation logique était appelée à saisir par l’entendement la composition de la connaissance en train de se faire. Or, pour atteindre cette compréhension métaphysique des rapports, il fallait remplir des conditions pour qu’elle devienne possible, autrement dit, il fallait qu’il y ait une cohérence entre la chose elle-même et la pensée elle-même. Le lieu heuristique de cet accord qui conduit à l’en-soi de l’objet est le principe. Dans son rapport direct à la philosophie, la métaphysique des corps associée à l’esprit philosophique fondé sur l’esprit systématique, laisse pressentir la théorie de la connaissance qui repose sur l’exercice de la pensée dans le but de construire des relations entre les principes.
16À l’extérieur des sciences de la nature, nous l’avons dit sur les questions de goût, d’Alembert reconnaît pour principe général, le plaisir21. Il ne faut jamais perdre de vue que c’est toujours un principe général qui fait comprendre la cause de l’effet. Il est intéressant de retrouver cette notion de plaisir par exemple chez Schlick, un auteur sur lequel nous allons revenir, en tant que raison de la pratique de l’esprit systématique. À la question de savoir pourquoi on recherche sans relâche « le même dans ce qui est différent », Schlick répond « C’est parce que le fait de ramener une chose à une autre nous procure du plaisir22. » Le plaisir comme principe général de la connaissance applicable aux sciences comme aux arts appartient certainement davantage chez d’Alembert, comme chez tous les auteurs de son époque, à une référence à l’Antiquité. Dans ce sens exact d’association de la recherche scientifique et du plaisir, Pierre Hadot souligne l’importance de cette notion chez Platon et Cicéron.
17Chez Platon « la recherche est un divertissement et apporte du plaisir parce qu’elle s’apparente au jeu qui consiste à résoudre des énigmes », quant à Cicéron qui est certainement un des auteurs les plus cités dans l’Encyclopédie, il affirme que « La recherche des choses qui sont à la fois les plus hautes et les plus cachées apporte du plaisir23. » L’enjeu de la réduction des principes consiste en effet dans la recherche du même dans les rapports entre principes. Le jeu heuristique de cette recherche se transformera en herméneutique dans ses textes de Réflexions sur des théories scientifiques ou encore dans les Éloges. Le mathématicien a fourni à la réflexion philosophique des instruments de mesure pour assigner une valeur spéculative à la recherche et des limites aux propriétés générales qui renferment les principes directeurs. L’Encyclopédie dans son projet philosophique n’excède pas les capacités de l’entendement, mais lorsqu’il s’agit du jugement esthétique, d’Alembert importe le plaisir qu’il a éprouvé dans la recherche en tant que physicien, c’est-à-dire qu’il valorise les sensations fondées sur des démarches rationnelles. L’objectif est de valoriser la logique de l’entendement (du génie), mais pas le moi, sujet des philosophies à venir. C’est ici une des différences entre Kant24 et d’Alembert, mais surtout entre Comte et d’Alembert.
18Pour Dilthey, d’Alembert est à l’origine du positivisme. Et en effet, les membres du Cercle de Vienne mettront justement en rapport le positivisme logique avec d’Alembert ou plus exactement seul Otto Neurath le fera nominativement. En revanche, il est plus difficile de mettre en rapport d’Alembert et la philosophie positive d’Auguste Comte. D’Alembert place l’homme (philosophe) au-dessus du monde et non après lui, comme le positivisme comtien. Il reste, pourrions-nous ajouter, un scientifique attaché à ce qui fait l’homme – l’entendement avec les trois facultés – et à ce qui fait le monde – les principes. Il n’y a pas le monde et l’homme puisque l’homme fait partie du Monde (Nature). Par conséquent, il n’y a pas le Monde créé par Dieu puis l’homme dans un rapport à Dieu. Après (et contre) d’Alembert, Ampère s’opposera à l’ordre généalogique et Comte pour sa part bouleversera le rapport immédiat de l’homme aux choses pour ne lier l’ordre philosophique qu’à l’ordre historique (passé, avenir, présent). Les interactions causales entre le monde extérieur et le sujet connaissant ne font pas partie du travail scientifique de la logique dalembertienne de l’entendement qui a eu pour origine l’universalisation de la méthode de la physique newtonienne (ou méthode du calcul différentiel) laquelle correspond à la métaphysique des sciences puis à la théorie de la connaissance chez Neurath – ce qui fait bien du mathématicien le fondateur de ce positivisme comme le désignait Dilthey. On peut ainsi esquisser un d’Alembert précurseur de l’herméneutique25 et du positivisme logique, mais non d’un positivisme où la philosophie ne serait pas indépendante de la théologie.
19Ainsi, le fondement de la philosophie scientifique issue de l’esprit systématique suit le parcours de l’explication par l’entendement humain pour connaître la nature. Dans le projet de l’Encyclopédie, la philosophie éclaire chaque science – c’est le rôle de l’observation et de l’expérience – pour expliquer les liaisons logiques entre elles. Il n’y a pas d’explications entre l’homme et Dieu, et on explique les liaisons pour comprendre autant le système du monde que le système cognitif. Le mot de « liaison » est simple, mais il est surtout le lieu complexe de la compréhension, lieu herméneutique des principes. Ce mode de déchiffrement en activité est dans l’Encyclopédie la seule opération reconnue pour aborder les phénomènes afin de découvrir les principes généraux du système du monde. Et nous verrons plus loin que l’exigence de l’Encyclopédie consiste à « bien connaître ». Il est temps d’avancer quelques explications sur d’Alembert.
La pensée scientifique et l’œuvre de d’Alembert
20La pensée scientifique de d’Alembert qui habite le Discours préliminaire tient sa force du Traité de dynamique. Ce n’est pas Locke qui fait la valeur philosophique du Discours mais le raisonnement de la découverte exposé dans la Préface du Traité en 1743 et ici repris. Ce raisonnement qui assimile la méthode du calcul différentiel en propose une exposition épistémologique cartésienne. Pour le sensible, le mathématicien reprend l’idée de Locke selon laquelle « la faculté de juger, ainsi que celle de sentir » est en nous dès notre naissance et qu’il y a donc en nous une logique naturelle et comme d’instinct, qui préside à nos premières opérations et que le philosophe doit supposer. C’était, si on nous permet l’expression, se débarrasser de la causalité philosophique dont la base est théologique. La connaissance aristotélicienne par les causes dont Bacon conserve l’héritage26 est totalement écartée. Comme le savant suppose l’existence du mouvement, le philosophe doit supposer l’existence d’une logique naturelle et décrire ce qu’elle fait et non ce qu’elle est. Selon l’heureuse formule de Paul Ricœur, cela revient à expliquer et comprendre. Car c’est en décrivant ce qu’elle fait que l’homme a la capacité de construire des éléments pour comprendre. C’est une démarche spéculative logique active.
21Pour l’Encyclopédie, d’Alembert déduit de son Traité un ordre spatio-temporel objectif et une distinction entre les expériences et la construction conceptuelle abstraite. Les quantités ont les capacités de suivre les règles de l’abstraction, de la réduction, et de l’application que nous avons déjà évoquées. Il n’y a pas de paradoxe à étudier les sciences en philosophe car alors « Les notions les plus abstraites sont souvent celles qui portent en elles une plus grande lumière27 » ; ce que d’Alembert traduira dans l’Encyclopédie par l’affirmation selon laquelle les abstractions ne répondent que du mécanisme de notre entendement28. Avec l’application des principes de la mécanique à de nouveaux usages, d’Alembert voit en 1743 l’avantage des combinaisons dans le fait « d’étendre les principes en les réduisant. Telles ont été, ajoute-t-il, mes vues dans le Traité que je mets au jour29. » Pour l’heure, sans examiner davantage cette Préface, nous nous limiterons à démontrer que le Discours préliminaire consiste dans l’application philosophique de la pensée scientifique du mathématicien. C’est la raison pour laquelle il en est satisfait et il le dit. Il a eu raison d’identifier dans le langage de la science une manière de décrire les procédés conceptuels.
22Avait-on déjà vu un scientifique exposer lui-même le travail de sa pensée ? C’est sur ce fait que d’Alembert est admiratif de Descartes dont il va faire son modèle en philosophie. Comme l’auteur du Discours de la méthode, il veut expliquer ce qu’il a compris d’une manière intelligible pour tous. Au XVIIIe siècle ce trait de caractère en fera un encyclopédiste. S’il reproche à Newton de ne pas avoir pris la peine de mettre sa recherche à la portée de tout le monde, d’Alembert choisit cependant Newton pour fonder sa métaphysique des sciences. Les métaphysiques que nous examinerons plus loin fixeront ce point. On doit distinguer entre vérité et méthode que d’Alembert accordait à Descartes30, et fondement métaphysique qu’il extrait du rapport entre abstraction et méthode de calcul chez Newton31. Terminons le parcours général des œuvres de d’Alembert.
23Rassuré par son succès32 que nous venons de souligner, d’Alembert entreprend d’élargir sa pensée scientifique de 1751 à des réflexions philosophiques qu’il regroupera dans des Mélanges de littérature, d’histoire et de philosophie. Il avait déjà consacré l’Avertissement du tome III de l’Encyclopédie, véritable supplément au Discours préliminaire, à éclaircir certains aspects principaux du projet philosophique. Toutefois le climat de querelles avec la Sorbonne n’était pas apaisé. L’année 1757 sera une année accablante et si le 15 novembre 1757 le volume sept est malgré tout publié, avec entre autres, l’article Genève (Histoire & Politique), ce sera le dernier tome. Diderot et d’Alembert perdent la bataille. Il est intéressant de noter qu’entre 1757 et 1765 nombreuses sont les critiques, notamment en Allemagne, qui évoquent l’Encyclopédie comme un ouvrage inachevé. En effet, personne ne pouvait prévoir que cet arrêt allait se transformer en huit années de suspension de publication. Pendant cette période qui comporte la démission de d’Alembert en tant qu’éditeur, mais pas en tant qu’auteur d’articles, le signataire du Discours préliminaire édite ses réflexions philosophiques dans des œuvres distinctes.
24Après les questions du goût (1757)33, il aborde des réflexions sur la traduction (1753 et 1763)34, sur la musique à travers des échanges contradictoires avec Rameau (1752 et 1762)35, sur la religion (1759 et 1765)36, sur le style et sur la poésie (1760 et 1767)37, puis sur les langues (1767)38. Enfin comme il avait écrit l’article Elements des sciences (1755), il s’essaie au même exercice en philosophie. Ce n’est plus en encyclopédiste diffusant une pensée scientifique, mais c’est en philosophe qu’il rédige l’Essai sur les Elémens de philosophie (1759) suivis d’Eclaircissements (1767)39. Dans la continuité en 1759 il écrit des Réflexions sur les éloges des académiciens et commence la publication des Éloges en 1761. En écrivant les Éloges des académiciens, d’Alembert construit une herméneutique des sciences humaines à partir des hommes sur lesquels elles reposent. C’est dire que pour la culture, comme pour la nature, le niveau métaphysique qui ouvre l’accès à la vérité se trouve dans les génies qui découvrent les principes généraux des lettres et des arts. Dans cet exercice de l’éloge des académiciens, auparavant exécuté par Fontenelle, d’Alembert commence par démontrer la portée considérable de l’Académie Française trop souvent jugée inutile. La connaissance parfaite rejoint ici l’esprit philosophique :
Nous demanderons d’abord, si dans une Nation florissante, dont toute l’Europe étudie le goût & apprend la Langue, il n’est pas utile qu’il y ait un Corps destiné à maintenir la pureté de la Langue & du Goût ? Nous demanderons si la perfection de ces deux objets n’est pas essentielle aux agréments de la Société, dans une Nation dont la sociabilité fait le principale caractère, & qui a porté plus loin que toutes les autres le talent de jouir & l’art de vivre ?40
25La sociabilité implique des limites. Devenir académicien veut dire être « otage de la décence » et ne pas franchir des bornes. Ainsi s’il y avait eu une Académie à Rome, Horace aurait effacé de ses vers des obscénités et, ajoute d’Alembert « le Poète n’aurait rien perdu & le Citoyen aurait fait son devoir »41. En répandant les mœurs éclairés, le corps des académiciens « organe de la raison par devoir & de la prudence par état42 », saura lever « doucement & par degré43 » le voile de la vérité. Et si cette institution est nécessaire, c’est, reconnaît d’Alembert, parce qu’il y a une inégalité des esprits. L’histoire de l’Académie présente les meilleurs esprits qui construisent l’histoire du savoir. Cependant, les Éloges ne correspondent absolument pas à une doxographie même si parfois d’Alembert regrette l’absence de relation ou félicite la relation entre les idées et la vie d’un académicien. Ce sont d’autres liaisons qu’il cherche pour mettre en évidence la philosophie. L’histoire des académiciens ne se définit pas par des biographies qui s’enchaînent,44 mais par la liaison entre des idées qui pourraient établir une continuité45. Ce n’est pas la chaîne qui constitue l’objectif, mais la continuité, car la succession représente dans l’enchaînement ce qu’il est possible à l’homme d’effectuer par les propositions. Comment se passe la continuité ? Que renferme-t-elle ? Les métaphysiques répondent à ces questions.
26Avec les Éloges, d’Alembert cherche la démarche du progrès, il n’en fait pas son histoire46. Dans des Réflexions sur l’histoire, il oppose au genre chronologique « L’histoire approfondie et raisonnée, qui a pour but de développer dans leur principe les causes de l’accroissement et de la décadence des Empires. » Montesquieu est ici appelé et félicité pour un usage parfait de l’esprit philosophique « dans ces matières obscures, où les causes et les effets sont vus de si loin, (et où) l’usage de l’esprit philosophique est tout à côté de l’abus47. » Pas d’abus avec Montesquieu. Comme la « véritable » histoire ne peut être que raisonnée, c’est-à-dire suivre le processus spéculatif de la connaissance, d’Alembert constate que « C’est au philosophe seul qu’elle est véritablement utile48. » L’aspect philosophique imparti au sens de l’histoire avait déjà été souligné dans le Discours préliminaire à propos de la formation non pas des principes, mais des sociétés : « Un des principaux fruits de l’étude des Empires & de leurs révolutions, est d’examiner comment les hommes, séparés pour ainsi dire en plusieurs grandes familles, ont formé diverses sociétés 49. » Là encore l’examen conduit à l’explication de combinaisons d’éléments pour faire une construction collective dans l’activité continue qui est ici celle de la généalogie.
27Il ne semble pas exagéré d’introduire une analogie entre cette explication et la présentation des sciences en éléments. Dans cette correspondance, l’histoire serait le « tout » des sciences et les grandes familles les éléments. Il y a la même vison mathématique d’ensembles. Les éléments particuliers qui conduisent à porter des jugements sur les académiciens ne retiennent pas l’attention de l’auteur de l’article Elements des sciences. Seul le général est considéré, c’est-à-dire le champ de la mémoire dont l’écriture des Eloges était l’objet. Ce champ est constitué par les éléments généraux qui délivrent une place dans les sciences. Dans les Éloges d’Alembert se donnait pour tâche de bien connaître50 ce domaine premier dans l’ordre des facultés. C’est dire que le travail du philosophe rejoint toujours la pensée scientifique de l’encyclopédiste qui éclaire et explique des principes, qui compare et combine les idées développées depuis les principes, « combinaison qu’en général on appelle Philosophie51 ». Otto Neurath a raison de préciser que l’intérêt à combiner prépare une certaine attitude qui parut dans les siècles comme une construction métaphysique52. La mise en forme logico-mathématique induit une façon de penser selon un procédé métaphysique qui n’est pas le point de départ. Le point d’origine reste l’élément de la science. Voyons comment d’Alembert formule les métaphysiques dans le processus logique de l’action des principes.
Les métaphysiques dans l’Encyclopédie
28On peut déterminer trois métaphysiques en dehors de la métaphysique générale ou ontologie, à savoir la métaphysique des corps, la métaphysique des sciences et la métaphysique des propositions. Le Prospectus de Diderot comporte après le texte en lui-même, un Système figuré des connaissances humaines et une Explication du Système des connaissances humaines (novembre 1750). Ce tableau et cette Explication figurent également après le Discours préliminaire (juin 1751),53 mais avec des modifications. L’une d’elles concerne la place de la métaphysique générale. D’évidence, le premier tableau situé dans le Prospectus est de Diderot, quant au second, signé de l’astérisque et donc attribué à Diderot, il comporte une modification sur la question de la physique que j’attribue à d’Alembert54.


29Commençons par constater que le Système figuré du Prospectus ne comporte qu’une seule métaphysique et voyons de plus près les Systèmes (voir les tableaux ci-contre) et Explications de Diderot datant de novembre 1750 et de juin 1751.
30Le Système figuré des connaissances humaines consiste dans la classification des sciences à partir de l’entendement humain. Il est directement issu du modèle baconien. L’Encyclopédie adopte le système du Chancelier Bacon en lui apportant deux modifications situées d’une part dans l’inversion entre la raison et l’imagination et, d’autre part, dans l’inversion entre la science de l’homme et la science de la nature55. Ainsi la structure est conservée et des changements de forme sont opérés à l’intérieur. Avant de voir les modifications et les explications de Diderot, quelques mots sur la structure baconienne sont indispensables. Cette structure peut être tenue à l’origine de l’émergence du pluriel de la métaphysique.
31Francis Bacon n’a jamais établi de représentation. Il a simplement décrit une classification et les uns et les autres ont tiré une représentation. Celle que je présente dans mes articles provient d’une édition anglaise maintes fois rééditée56. Il faut savoir que cette explication du tableau commence la deuxième partie du livre de Bacon, laquelle partie est intitulée : « Of the Proficience or Advancement of Learning, divine and human » (Sur la compétence ou le progrès de savoir, divin et humain). Quant à l’Encyclopédie, avons-nous dit, il y a eu deux tableaux et la différence principale entre eux est extrêmement importante pour la philosophie, car il s’agit d’une différence dans la métaphysique. On a donc avec ces trois tableaux une nouvelle approche de la métaphysique.
32Bacon traitait en 1605, dans Of the Proficience or Advancement of Learning, divine and human, de l’accroissement du savoir comme d’une compétence divine ou humaine. Proficiency est un mot capital. Il désigne une capacité reconnue autant à Dieu qu’à l’homme. Dans ces conditions, le savoir peut provenir du divin, mais aussi de l’homme et être une production, une production de l’entendement humain. L’ajout est décisif dans l’histoire de la philosophie. Bacon déclare que l’entendement humain a la capacité de produire un savoir. Ce moment n’a pas échappé à Diderot qui en a fait le point de départ de la classification pour l’Encyclopédie. Cette capacité annoncée de l’entendement humain va se traduire dans le projet philosophique de l’Encyclopédie par la classification des sciences produite par l’entendement humain et par la création des disciplines comme le résultat du raisonnement sur les principes scientifiques physique et mathématique.
33Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu’on va prendre les principes de la science et en réfléchissant sur ces principes on va saisir des rapports entre eux, les analyser et de ces rapports émergeront la découverte d’un nouveau principe. Ce raisonnement sera souvent appelé « la marche de l’esprit humain ». Cette « marche » est très compliquée à comprendre puisqu’elle désigne les opérations de l’esprit au cours d’une découverte scientifique. Elle convoque le rapport implicite entre les sciences et la philosophie. Ceci pour confirmer que la philosophie de l’Encyclopédie n’est pas une lutte contre la religion, mais le développement du point de vue de Bacon, c’est-à-dire du point de vue de la production du savoir. L’hommage à Francis Bacon, cet « homme de génie sublime » est d’ailleurs commun aux deux éditeurs tout comme leur est aussi commun le tableau du Système figuré des connaissances humaines. Or si, par rapport à la division des sciences baconienne, ce Système Figuré reprend le coup de génie du chancelier d’avoir fait de l’entendement humain « le siège du savoir », il présente, répétons-le, deux inversions qui autoriseront l’ajout d’une nouvelle métaphysique ou métaphysique des corps. Les inversions constituent un renversement de perspective du savoir opéré par les éditeurs, renversement sur lequel Diderot et d’Alembert ont fondé la philosophie de l’Encyclopédie.
34Bacon énumère les trois facultés de l’entendement humain (Humam Learning), c’est-à-dire les parties du savoir humain qui correspondent respectivement aux trois parties de l’entendement, siège du savoir (seat of learning) où l’histoire correspond à sa mémoire, la poésie à son imagination, et la philosophie à sa raison. L’objectif est de faire l’histoire du savoir et son point de départ est l’histoire qui correspond à la mémoire. Puis il définit la poésie qui récupère l’histoire, autrement dit qui utilise la mémoire comme « cette partie du savoir qui concerne la mesure des mots » et qui correspond à l’imagination, car elle n’est pas assujettie aux lois de la nature. Elle est, dit Bacon, « hors-la-loi » des choses. Dans la nature, il y a l’homme et les choses, mais il n’y a pas l’imagination. Poesy « may at pleasure join that which nature has joined ; and so make unlawful matches and divorces of things57 ». C’est pourquoi l’imagination produit une histoire feinte. La poésie apporte à l’homme une satisfaction fausse, mais elle lui donne l’effet de la satisfaction, l’illusion de la satisfaction. Elle feint des actes et des événements plus élevés et plus héroïques. C’est la raison pour laquelle, ajoute Bacon, « on a toujours pensé qu’elle participait au divin, car elle élève l’esprit et le tire vers le haut en soumettant les apparences des choses aux désirs de l’esprit, tandis que la raison le plie et le ligote à la nature des choses58. » Elle est le seul savoir qui reste quand la barbarie est installée. La poésie élève l’homme au-dessus de ses limites humaines, hors des choses.
35Bacon, par ailleurs magistrat, associe philosophie et politique sans être assujetti à une religion, ce qui le distingue de nombreux philosophes comme Spinoza. Il va octroyer à la Nature la place et le rôle de la providence divine qui sait et qui peut venir apporter la satisfaction à l’homme qui, lui, ne sait pas. Autrement dit, la nature a un comportement politique qui consiste à ne pas faire part de son vouloir à ceux qu’elle emploie. On s’aperçoit que le père Berthier, directeur du Journal de Trévoux, admire Bacon pour des raisons différentes de celles des encyclopédistes. Il met en avant ce rôle supérieur de la Nature fort proche de celui du dieu de la religion. En effet, dans la philosophie, partie du savoir qui correspond à la raison, la nature précède l’homme. Bacon n’a pas changé l’ordre théologique. Dans le Discours préliminaire d’Alembert explique que, Bacon, « né dans le sein de la nuit profonde » ne pouvait mieux faire et il avait peut-être en vue autre chose quand il effectuait « le dénombrement des connaissances humaines ». Les encyclopédistes vont plutôt insister sur cette interprétation opposée à celle de Berthier, d’autant que la suite du texte baconien identifie le progrès à « l’industrie de l’homme59 ». La poésie représente les parties du savoir « en friche ou à l’état brut » qui « ne sont pas encore améliorées et transformées par l’industrie de l’homme ». Pour réaliser la transformation qui correspond au progrès, l’homme devient un ministre ou interprète de la nature60. Puisque la Nature est comme un État simplement administré par l’homme, le travail de l’homme pour triompher de la nature consiste dans une technique opératoire. Pour Bacon, c’est par la technique que l’homme est un dieu, car, dans la mesure où il lui sera impossible d’infléchir la nature, il ne pourra que « la vaincre, la subjuguer et l’ébranler ». Il reste que son rôle est d’obéir à la nature comme au chef de l’État. Politique et théologie sont en parfaite harmonie. Or l’inversion que va entreprendre l’Encyclopédie entre l’imagination et la raison a pour conséquence de détruire cette soumission originelle à un pouvoir. L’homme va être caractérisé par son esprit rationnel, ce qui veut insister non pas sur le fait qu’il n’a pas d’imagination, mais sur le fait qu’il est capable de comprendre ceux qui le trompent.
36L’objectif de Diderot et d’Alembert est de fournir des outils pour « connaître la nature » et transmettre ce processus du savoir qui va devenir un pouvoir. Le danger est sur cette conséquence que le père Berthier a bien comprise. Le cheminement vers la connaissance doit remplacer l’imagination par la raison. En effet comme rien n’est plus individuel ni plus impossible à maîtriser que l’imagination, les encyclopédistes vont mettre en place un cadre pour en corriger les abus que sont le fabuleux et le fanatisme religieux. Dans ce cadre, le juridique aura une utilisation dans l’Encyclopédie où le joug de la superstition sera écarté par le joug de la législation. Il suffit de rappeler l’affirmation de Diderot à l’article Grecs (Philosophie des) : « Les lois sont la seule barrière qu’on puisse élever contre les passions des hommes61 » ou encore sa phrase marquante à l’article Autorité politique : « Nul homme n’a reçu de la Nature le droit de commander aux autres. » Il résulte une dissociation entre nature et pouvoir politique. Cette distanciation d’avec le Chancelier justifie la première inversion réalisée dans le Système figuré des connaissances humaines.
37Il n’est pas question d’esprit hors de la nature de l’homme (spirit), mais du processus de l’entendement humain (mind). On n’est plus dans la magie naturelle, on n’admire pas la nature de l’extérieur, on est dans la nature et on recherche les propriétés des corps pour découvrir les principes généraux directeurs du système du monde. Désormais la création est synonyme d’invention et elle est le résultat d’un processus cognitif ou travail de l’entendement. C’est en ce sens que d’Alembert souligne la différence par rapport au Chancelier anglais lorsqu’il réaffirme le choix de l’ordre encyclopédique pour mettre en rapport les sciences entre elles : « Nous avons suivi dans le système encyclopédique l’ordre métaphysique des opérations de l’esprit plutôt que l’ordre historique de ses progrès62. » Placer la raison avant l’imagination permet de repérer sans détour le faux et définir, dans le cadre d’une classification du savoir, l’abstraction uniquement selon une logique.
38En choisissant le point de vue de l’homme les encyclopédistes vont assumer une classification arbitraire, c’est-à-dire fondée sur l’hypothèse et le raisonnement63. De fait, après l’obligation rendue à Bacon, Diderot commence les Observations sur la division des sciences du Chancelier Bacon en affirmant que la colonne de la Philosophie ou raison ne lui doit rien. Il s’ensuit que l’ordre est « une matière d’où l’arbitraire ne saurait être tout à fait exclu. » L’Encyclopédie choisit de présenter les connaissances d’un point de vue élevé humain et par conséquent arbitraire. Qu’on entende bien : ce point de vue n’est pas commun. Il « consiste à rassembler les connaissances dans le plus petit espace possible, & à placer, pour ainsi dire, le Philosophe au-dessus de ce vaste labyrinthe dans un point de vue fort élevé d’où il puisse apercevoir à la fois les Sciences & les Arts principaux ; voir d’un coup d’œil les objets de ses spéculations, & les opérations qu’il peut faire sur ces objets64 ». Ce point de vue du philosophe introduit la deuxième inversion par rapport à Bacon.
39La deuxième inversion est à l’intérieur même de la colonne de la raison. Bacon plaçait la science de la nature avant la science de l’homme. L’Encyclopédie inverse et place la science de l’homme avant la science de la nature. Il s’agit d’une déduction de la première puisqu’elle confirme le rôle de l’homme en lui attribuant une place dominante. Pour d’Alembert cette position met en évidence les opérations effectuées par l’esprit pour observer et pratiquer des expériences destinées à la connaissance des propriétés générales des corps. Tel sera l’objet de la « science de la nature » qui suit la « science de l’homme ». Pour Diderot, la science de l’homme est avant la science de la nature parce que sans l’homme la nature est muette. « L’homme est le terme unique d’où il faut partir, et auquel il faut tout ramener65. » C’est l’homme qui observe les phénomènes. Il possède les capacités de construire un raisonnement logique pour expliquer le système du monde. Il lui est possible d’expliquer et de comprendre les liaisons des propriétés qui constituent les lois de la nature. La classification du savoir est réorientée dans une perspective totalement anthropologique. La nature ce n’est plus Dieu, mais le terrain des expériences. Il revient à l’homme de décider par quelle expérience commencer et donc de choisir l’ordre dans lequel il appréhende les choses. Seul Dieu requiert le point de vue unique, mais pour l’homme chaque système général consiste dans un point de vue choisi par rapport au raisonnement de sa démonstration. Les deux éditeurs de l’Encyclopédie expliquent chacun par une image ce qu’est un point de vue qui détermine un ordre. D’Alembert choisit la mappemonde et Diderot une grande et vaste avenue. Du point de vue découle l’arbitraire.
40D’Alembert, qui compare le Système figuré à une carte, place le philosophe en géographe :
Comme dans les cartes générales du globe que nous habitons, les objets sont plus ou moins rapprochés, & présentent un coup d’œil différent selon le point de vue où l’œil est placé par le Géographe qui construit la carte, de même la forme de l’arbre encyclopédique dépendra du point de vue où l’on se mettra pour envisager l’univers littéraire. On peut donc imaginer autant de systèmes différents de la connaissance humaine, que de Mappemondes de différentes projections66.
41Diderot rappelle en 1765 le point de vue élevé :
Plus le point de vue d’où nous considérerons les objets sera élevé, plus il nous découvrira d’étendue, & plus l’ordre que nous suivrons sera instructif & grand. Il faut par conséquent qu’il soit simple, parce qu’il y a rarement de la grandeur sans simplicité ; qu’il soit clair & facile ; que ce ne soit point un labyrinthe tortueux où l’on s’égare, & où l’on n’aperçoive rien au-delà du point où l’on est ; mais une grande & vaste avenue qui s’étende au loin, & sur la longueur de laquelle on en rencontre d’autres également bien distribuées, qui conduisent aux objets solitaires & écartés par le chemin le plus facile & le plus court67.
42Disons, pour conclure, que cette seconde inversion implique l’arbitraire qui n’appartient qu’à l’ordre des matières et ne déconstruit rien dans la mesure où la construction de la liaison des matières entre elles pour former la chaîne des connaissances, tient à la méthode et non à une science particulière. Le système baconien est toujours intégré dans cette nouvelle classification. En revanche, elle retire le point de vue unique et la possibilité pour tout homme de se poser comme le « seul qui sait » et peut guider les autres qui ne savent pas. Ce renversement de perspective est de fait le remplacement de l’humanisme par l’humanité sans modification de la philosophie des rapports exposée par le Chancelier.
43Depuis Bacon, il y a eu de nombreuses théories pour revisiter la philosophie dans une approche globale des sciences à partir de l’entendement. Il ne faudrait pas totalement sous-estimer Locke dont l’Essai philosophique concernant l’entendement humain est paru en 1690, ni Hume qui annonce dans le Traité de la nature humaine : « Quand donc nous prétendons expliquer les principes de la nature humaine, nous proposons un système complet des sciences, construit sur une base entièrement nouvelle68. » Je ne vais pas entrer dans plus de détails à ce propos, car cela détournerait trop mon objectif. Partout la philosophie devait être étendue à toutes les sciences et fondée par l’homme. Une fois le fondement philosophique baconien acquis, il est revenu à Diderot de fournir une Explication détaillée du Système des connaissances humaines, laquelle, nous l’avons annoncé, change entre 1750 et 1751. Selon le nouvel ordonnancement encyclopédique, l’entendement est divisé en trois facultés attribuées à trois sciences ou arts principaux, ce qui donne : mémoire ou histoire, raison ou philosophie et imagination ou poésie. La métaphysique appartient à la deuxième colonne, celle de la raison. Cette colonne est divisée en trois sciences, la science de Dieu, la science de l’homme et la science de la nature. Diderot place la métaphysique générale au-dessus de la science de la nature. Elle désigne l’« ontologie ou science de l’Être en général. De la possibilité. De l’existence. De l’étendue. De l’impénétrabilité. De la durée... » Dans l’Explication appartenant au Prospectus69, il précise qu’ils distribueront : « La Science de la Nature en Physique, Mathématique, & Métaphysique générale. »
44Pour lire le tableau, il faut donc partir du bas de la colonne. Diderot suit le classement classique depuis Aristote des trois sciences théorétiques dans l’ordre de l’immatérialité du moins parfait au plus parfait qui était physique, mathématique, théologie. Dans cet ordre traditionnel, qui devait être enseigné au XVIIIe siècle, Diderot remplace théologie par métaphysique générale puisque la théologie en tant que science suprême est la première des trois sciences à savoir la science de Dieu. Mais cela ne correspond pas au classement des sciences selon Aristote. Dans Métaphysique E, I, le stagirite attribue à la physique la suprématie sur les mathématiques. Ce qui donne mathématique, physique et théologie. On peut penser qu’il y a une inversion pratiquée dans l’Encyclopédie par rapport à Aristote. D’un autre côté, en considérant la théologie comme la science suprême et en la sortant des trois philosophies théorétiques, Diderot suit ici Aristote70. Nous n’irons pas plus loin dans ces rapprochements71 puisqu’il s’agit dans l’Encyclopédie d’une classification des sciences sans résolution d’antinomie entre l’ontologie et la théologie, encore moins d’analyse de l’Être.
45Qu’en était-il chez Bacon ? La science naturelle comprenait dans l’ordre : la mathématique, la métaphysique et la physique72. La physique est une philosophie première chez Bacon comme chez Chambers alors qu’Aristote en faisait une philosophie seconde traitant de la substance sensible et matérielle. La physique paraît déclassée dans l’Encyclopédie puisqu’elle est la dernière. La supériorité de l’abstraction est attribuée aux mathématiques directement sous la métaphysique générale. Quant à la théologie, séparée de la science de la nature par la science de l’homme, elle est certes au-dessus de toutes les sciences, mais elle est, par là même, éloignée de la science de la nature. Concluons de ce bref aperçu, que Diderot établit dans le Prospectus un classement qui, d’une part déchristianise la métaphysique générale et qui, d’autre part, fait de la physique une science expérimentale. Ce dernier glissement sera confirmé dans le second Système figuré où d’Alembert retirera de la physique la physique générale, pour ne conserver que la physique particulière. Cette modification n’est pas anodine, puisqu’elle entraîne l’intégration de la chimie dans la physique particulière. Quant à la physique générale, elle devient la métaphysique des corps qui est à l’origine du déplacement capital de la notion d’abstraction.
46Dans le premier Système figuré, où la métaphysique générale ou ontologie se tient au-dessus de la science de la nature, elle est la science suprême de l’abstraction et Diderot lui donne pour contenu les abstraits de l’être, de la physique et des mathématiques. Abstraction et métaphysique sont associées. Comme on a pu s’en apercevoir au cours des précédents paragraphes, l’abstraction dans l’Encyclopédie désigne les opérations de l’esprit et les « abstraits » sont leurs résultats. Expliqués par Du Marsais à l’article Abstraction, ils sont le résultat des réductions systématiques à partir d’une impression sensible. Parti d’un sentiment, notre esprit a formé un concept singulier puis l’a détaché de la manière dont il l’avait pensé et formé. Devenu réel, il lui a donné un nom. Il a ainsi créé un être abstrait hors de nous, pur produit de ses opérations cognitives maintenant effacées. Hume, qui ramène les perceptions de l’esprit humain aux deux genres que sont les impressions et les idées, formulait également une définition des idées par l’oubli. Elles sont « les images effacées des impressions dans nos pensées et nos raisonnements73 ». Puis, poursuit Du Marsais, habité par le sentiment d’uniformité l’homme a créé blancheur, par l’impression des objets beaux il a créé beauté, l’en soi de l’objet réel du départ. Beauté, laideur ou encore nom métaphysique de terre issu après les opérations de notre esprit, de l’objet réel la terre. Les abstraits résultent de notre processus cognitif.
47Pour d’Alembert, l’abstraction définit les opérations de l’esprit par lesquelles on ne considère qu’une propriété particulière dans un objet. Pour y parvenir, et il va l’expliquer à l’article Elements des sciences (Philosophie), il instaurera, comme Hume, une théorie proche du complexe. Sans trop anticiper sur cet article sur lequel nous allons revenir, disons que l’abstraction ne peut avoir lieu que s’il y a une totalité identifiable par des parties, que ce soit pour les impressions et idées ou pour les propositions et principes. On sait que selon Hume, au contraire des perceptions simples, les perceptions complexes peuvent se diviser en parties. On a ordonné et organisé les objets par ces divisions dans le but de pouvoir étudier leurs qualités et leurs rapports. Impressions et idées se côtoient dans les perceptions complexes74. Chez d’Alembert, les perceptions de l’esprit humain et les éléments des sciences suivent la même méthode d’analyse. Nous retrouverons ce point avec la métaphysique des propositions. À son tour, Diderot explique que si la connaissance a commencé par les sens avec le soleil, la lune et tous les astres, puis les éléments que sont l’air, le feu, la terre, l’eau, etc., nous avons pris en même temps connaissance des abstraits que sont la couleur, le son, la densité, la chaleur, le froid, la pesanteur, le mouvement, le repos, la durée, l’étendue, la quantité, l’impénétrabilité, l’existence, la possibilité, pour n’en citer que quelques-uns. Puis il ajoute en 1750 :
Nous avons vu par la réflexion que de ces abstraits, les uns convenaient à tous les individus réels, comme possibilité, ordre d’existence, de coexistence, & c. impénétrabilité, quantité, & c. & nous en avons fait les Sciences qu’on appelle Métaphysique générale, ou Ontologie, ou Science de l’Etre en général ; & Mathématiques, assignant pour objet à l’Ontologie, l’impénétrabilité, l’existence, l’étendue, la possibilité, & c. considérées par rapport à leur nature ; & la quantité seule, aux Mathématiques. Quant aux autres abstraits qui ne conviennent qu’à une certaine collection d’individus, ils ont constitué la Science qu’on appelle Physique.
48La physique est ici la science des objets particuliers. Que devient la Physique six mois plus tard dans le Système figuré de l’Encyclopédie ? La métaphysique suit une division en complexes. Une métaphysique simple résumée à l’ontologie présente la question de l’Être ; elle n’est pas séparable. En revanche une autre métaphysique consacrée à la théorie est constituée des parties de la physique que sont les principes généraux. C’est la Physique générale. La métaphysique générale ne concerne alors que l’abstraction de la représentation de Dieu. Elle est le savoir théorique suprême simple et est suivie par la science de Dieu et sa pratique théologique. Quant à la science de la nature, dirigée par la science de l’homme et dépourvue de la métaphysique ontologique, elle se donne pour savoir théorique supérieur une métaphysique des corps ou Physique générale. Cette métaphysique désigne une spéculation intellectuelle complexe et plurielle sur les corps de la science de la nature que sont les planètes, les astres et leurs calculs par la géométrie et l’arithmétique ou mathématiques pures. Ces corps constituent la substance étendue et leur métaphysique est la science de la recherche des principes directeurs du système du monde. Avant d’examiner cette métaphysique des corps, poursuivons avec celle dont elle a pris la place, à savoir la métaphysique générale ou ontologie.
La métaphysique générale
49En 1751, la colonne de la raison commence par la métaphysique générale. Dans l’Explication de 1751, Diderot la présente de la sorte :
Le progrès naturel de l’esprit humain est de s’élever des individus aux espèces, des espèces aux genres, des genres prochains aux genres éloignés, & de former à chaque pas une Science ; ou du moins d’ajouter une branche nouvelle à quelque Science déjà formée : ainsi la notion d’une Intelligence incrée, infinie, & c. que nous rencontrons dans la Nature.
50Le discours installe une idée générale de départ qui est celle du rapport mutuel entre l’homme et la nature à travers la science. C’est en créant des sciences75 que l’homme comprend la nature. Par conséquent la classification des sciences découle du travail de l’esprit humain. Dans ce parcours de l’esprit qui procède du particulier au général, l’homme n’a pas la capacité de l’intelligence infinie, laquelle seule sait le premier principe. Dans le Prospectus, la présentation était moins globale quant à la réflexion encyclopédique et moins radicale sur l’absence d’intervention de l’intelligence divine dans les réflexions sur la nature. En effet lisons ce qu’il en était dans la présentation en 1750 :
La Philosophie, ou la portion de la connaissance humaine qu’il faut rapporter à la Raison est très étendue. Il n’est presqu’aucun objet aperçu par les sens, dont la réflexion n’ait fait une Science. Mais dans la multitude de ces objets, il y en a quelques-uns qui se font remarquer par leur importance, quibus abscinditur infinitum, & auxquels on peut rapporter toutes les Sciences. Ces chefs sont Dieu [...], l’Homme [...] et la Nature [...].
51Diderot résumait ici la colonne de la raison par les trois parties fondamentales selon un ordre qui inversait l’ordre baconien, comme nous venons de le voir. L’Explication fournie six mois plus tard est plus explicite et comme une réponse sans appel aux critiques, elle commence par « le progrès naturel de l’esprit humain ». En 1751, dans un discours plus enveloppé, Diderot radicalise ainsi la position philosophique de l’Encyclopédie dans laquelle la métaphysique générale n’a désormais plus de rapport avec les sciences. Il ne la nomme pas et il mélange les deux Explications :
Les propriétés générales des Etres, tant spirituels que corporels, étant l’existence, la possibilité, la durée, la substance, l’attribut, & c. on a examiné ces propriétés, & on en a formé l’Ontologie, ou Science de l’Etre en général. Nous avons donc eu dans un ordre renversé, d’abord l’Ontologie ; ensuite la Science de l’Esprit, ou la Pneumatologie, ou ce qu’on appelle communément Métaphysique particulière : & cette Science s’est distribuée en Science de Dieu, ou Théologie naturelle [...].
52La métaphysique générale est l’ontologie ou science de l’être en général. Cette définition acquise, suit en partant du haut de la colonne (et non plus du bas comme cela doit être) une métaphysique particulière. Ainsi à l’image de la physique, la métaphysique est divisée en générale et en particulière. La métaphysique particulière désigne la science de l’esprit ou pneumatologie. Le moins que l’on puisse constater c’est que cette explication n’est pas rigoureusement conforme au Système figuré. En 1751, Diderot n’a pas rectifié l’Explication de 1750 si bien que l’Explication de 1751 ne correspond pas au tableau. Le Système figuré affiche Métaphysique générale, Science de Dieu, Pneumatologie. Or, c’est dans le Prospectus que la science de Dieu comprenait en 1750 une division qui était une synonymie des termes avec Pneumatologie ou science de l’esprit ou métaphysique particulière. En 1751, il n’y a plus trace ni de science de l’esprit ni de métaphysique particulière. Reste la Pneumatologie ou science de l’âme.
53Cette différence dans les deux Explications, au-delà du constat d’un désordre dans l’Explication par rapport au Tableau, appelle plutôt un commentaire sur le remplacement de « science de l’esprit » par « science de l’âme ». Ce qui confirmerait l’idée que les éditeurs ont renforcé la place centrale attribuée à l’homme par un rapprochement entre esprit et entendement. L’esprit est considéré uniquement quant à son fonctionnement qui donne lieu à des actes cognitifs. Esprit et entendement convoquent un processus. L’esprit se rapporte à la spéculation cognitive humaine et l’entendement au travail des facultés.
54Enfin, pour la science de la Nature Diderot retire la métaphysique générale de sa phrase écrite en 1750 et annonce : « Nous distribuerons la Science de la Nature en Physique & Mathématique. » Il reprend les abstraits en s’arrêtant à impénétrabilité, ayant redistribué l’existence et la possibilité à la métaphysique générale ou ontologie. Puis il ajoute que les abstraits « qui convenaient à tous les individus corporels, comme étendue, mouvement, impénétrabilité » ont été consignés dans une métaphysique des corps :
Nous en avons fait l’objet de la Physique générale, ou métaphysique des corps ; & ces mêmes propriétés, considérées dans chaque individu en particulier, avec les variétés qui les distinguent, comme la dureté, le ressort, la fluidité, & c. font l’objet de la Physique particulière.
Une autre propriété plus générale des corps, & que supposent toutes les autres, savoir, la quantité a formé l’objet des Mathématiques. On appelle quantité ou grandeur tout ce qui peut être augmenté & diminué.
55Il va sans dire que nous allons nous tourner vers d’Alembert pour avoir l’explication de cette métaphysique des corps. Concluons que la suppression de la science de l’esprit et l’ajout de la métaphysique des corps sont, parmi les nombreuses différences, celles qui affichent la volonté de transformer cette classification des sciences, c’est-à-dire le rapport entre savoir et matières en une systématique dirigée par le fonctionnement des facultés de l’entendement et la logique de l’esprit humain. La composition des abstraits domine la Nature. La philosophie des rapports est manifestement installée. Par où se laisse pressentir que l’usage de l’entendement par la raison, maintenant clairement assumé par les éditeurs, organise des divisions que d’Alembert va graver à l’article Elements des sciences en Philosophie.
56La pensée intellectuelle et scientifique du projet fait de l’Encyclopédie une insatiable en métaphysique. Comme les sciences de l’esprit ont disparu, d’Alembert évince d’un trait de plume ce qui serait hors de notre esprit et toutes les « discussions métaphysiques relatives à l’homme supposé dans un état d’abstraction ». En revanche, nous l’avons vu, dans l’Éloge de Montesquieu, cité plus haut, il saluait l’objet des réflexions du Président au Parlement de Bordeaux qui consiste dans « la perfection métaphysique des lois76 ». La validation de l’usage de la métaphysique a lieu lorsqu’elle repose sur des objets. Il faut toutefois distinguer entre la métaphysique proche de l’esprit philosophique appliquée à des objets particuliers et la métaphysique des corps qui repose aussi sur les objets, mais qui, avec l’esprit systématique, s’applique aux principes généraux du système du monde. Elle est la philosophie spéculative de la mécanique que d’Alembert avait énoncée dans la Préface du Traité de dynamique.
La métaphysique des corps
57Commençons par rappeler que dans le Discours préliminaire lorsque d’Alembert expose, avant l’Explication de Diderot, la division de l’entendement en facultés, il précise qu’elle rend compte de « l’ordre encyclopédique et généalogique de nos connaissances77 », autrement dit des résultats du « progrès naturel de l’esprit humain » et de ses opérations spéculatives. La connaissance des propriétés générales résulte de la méthode suivie par la marche de notre esprit, et c’est par l’étude de ces propriétés que la science de la Nature doit commencer. La métaphysique des corps dévoile en quelque sorte la fécondité de l’ordre généalogique des opérations de l’esprit. En effet, ces propriétés générales que sont l’impénétrabilité, le mouvement, l’étendue, « ont, pour ainsi dire, un côté purement intellectuel par lequel elles ouvrent un champ immense aux spéculations de l’esprit, & un côté matériel & sensible par lequel on peut les mesurer. La spéculation intellectuelle appartient à la Physique générale, qui n’est proprement que la Métaphysique des corps ; & la mesure est l’objet des Mathématiques, dont les divisions s’étendent presqu’à l’infini78. » Ce qui correspond à peu de choses près à la distinction de Diderot dans l’Explication entre qualité et quantité. Le champ immense est l’espace de travail du physicien dans lequel d’Alembert va expliciter les spéculations de son propre esprit. Pour être clair, au risque d’être brutal, ce qui intéresse d’Alembert ce ne sont pas les premiers principes, c’est la recherche des premiers principes. Ce qui revient à affirmer qu’un physicien qui ferait de la physique sans métaphysique ne comprendrait pas sa science. Ensuite l’expression « métaphysique des corps » ne sera plus mentionnée dans le Discours préliminaire. Par son objet d’étude que sont les principes généraux, la métaphysique des corps opère une transdisciplinarité dans le parcours disciplinaire des principes de la Physique.
58Pour étayer ce point que d’Alembert reprendra à l’article Eléments des sciences, il faut positionner la métaphysique des corps au sein de la classification dirigée par l’arbitraire de l’ordre et la logique de la composition. L’ordre qui intéresse d’Alembert est l’ordre généalogique. Il demande qu’on ne donne pas trop d’importance à l’ordre encyclopédique. Dans ce dernier, l’arbitraire apparaît indispensable. Le libre choix ou point de vue constitue une ouverture à la possibilité de modifier voire de déconstruire pour proposer une nouvelle construction. Il faut décomposer pour recomposer. Toute théorie de la composition nécessite comme postulat une structure solide. La solidité inébranlable provient, comme nous l’avons déjà vu, de la méthode. La structure ne s’explique pas par l’ordre de la classification des sciences, mais par une méthode de construction qui rassemble les sciences entre elles. Le terme essentiel n’est pas le rassemblement, mais la conjonction ainsi que l’affirmait la philosophie de Bacon. La dépendance mutuelle est le rapport crucial sur lequel repose la voie des principes. Il est aussi le rapport qui gouverne naturellement l’ordre généalogique. C’est dans ce cadre que les encyclopédistes ont parfaitement conscience de l’étendue du dictionnaire encyclopédique raisonné dont nous venons de rendre compte.
59Sur la méthode de composition à partir des principes, Diderot dans un style d’écriture à remarquer, attribue au génie de l’homme la place suprême :
Quand un dictionnaire raisonné des sciences & des arts ne serait qu’une combinaison méthodique de leurs éléments je demanderais encore à qui il appartient de faire de bons éléments ; si l’exposition élémentaire des principes fondamentaux d’une science ou d’un art, est un coup d’essai d’un élève, ou le chef d’œuvre d’un maître79.
60Puis il renvoie à l’article Eléments des sciences où d’Alembert explique que les bons éléments ont été faits par les génies inventeurs. La méthode qui constitue une structure sans faille n’est autre que celle de la découverte lorsque les génies prennent la peine de la mettre à la portée de tout le monde. Pour mettre en œuvre la logique de cette composition, l’ordre retenu par d’Alembert est « l’ordre généalogique des opérations de l’esprit80 » et dans ces opérations la physique générale, comme toutes les sciences théoriques, doit assurer la compréhension des propriétés spéculatives.
61Or la spéculation intellectuelle ne se dévoile pas dans l’expérience, mais dans le discours. Les explications ne passent que par la parole. Le discours consiste à examiner les rapports entre les principes constitutifs des propriétés générales. C’est pour cette raison que d’Alembert ne cesse de rendre hommage à Du Marsais. De fait, s’il est un troisième auteur à associer à la philosophie du projet encyclopédique, ce n’est pas de Jaucourt mais c’est Du Marsais. Son approche du discours s’attache à dévoiler l’appréhension du concept autant par l’habitude (routine) que par l’analogie. Il explique les opérations de notre esprit au cours du processus de réduction de l’abstraction. Par exemple, nous avons vu que le concept de blancheur est produit par l’uniformité des impressions de plusieurs objets blancs. Puis nous oublions la manière dont il a été formé par notre esprit. C’est pourquoi son processus constitue l’objet de la recherche de la vérité des sciences.
62Du Marsais, tout comme Hume, s’attache à montrer que rien n’est indépendant de notre manière de penser, mais aussi que l’esprit cherche, au cours de cette opération de formation, un principe général. Ici le principe de l’uniformité. La recherche est celle du même dans ce qui est différent ou le même du rapport qu’une théorie complexe modélise. Ce que Du Marsais focalise par une « même recherche de convenance » est chez d’Alembert le même des rapports que le calcul différentiel consacre. Par exemple, dans l’équation qui exprime l’espace parcouru par un corps, « La courbe exprimera non le rapport des temps aux espaces, mais, si on peut parler ainsi, le rapport du rapport que les parties de temps ont à leur unité, à celui que les parties de l’espace parcouru ont à la leur81. » D’Alembert conclut à la découverte des propriétés générales (du mouvement) par la seule application de la géométrie et de la logique du calcul.
63Dans la dernière métaphysique, il explicite cette démarche composée que nous identifierons dans le prochain paragraphe à une théorie complexe. Comme toujours la recherche est celle d’une méthode générale qui n’est surtout pas exclusive. Aussi dans l’Éloge qu’il dédie à Du Marais au septième volume, insiste-t-il sur la méthode du grammairien qui comprend la diversité par l’usage. Fidèle au Système figuré, elle consiste à apprendre aux enfants l’usage de la mémoire puis à passer à la raison. « C’est alors qu’on leur enseigne le mécanisme de la construction, en leur faisant faire l’anatomie de toutes les phrases, & en leur donnant une idée juste de toutes les parties du discours82. » Car en effet, le rôle de la mémoire est de conserver l’ordre et la position des idées83. À partir du moment où il y a un mécanisme de composition dans chaque science, toute science possède une métaphysique. Ce qui veut dire qu’elle est un tout composé d’éléments abstraits dont, soit nous avons oublié (comme pour les idées nées des impressions84), soit nous ne connaissons pas encore la manière dont les parties sont reliées. Diderot le confirme quatre ans plus tard en ces termes : « Toute science, tout art a sa métaphysique. Cette partie est toujours abstraite, élevée & difficile. Cependant ce doit être la principale d’un dictionnaire philosophique85. » Avant de voir comment d’Alembert entreprend l’abstraction de la métaphysique des propositions qui n’est autre que l’explication intérieure de la métaphysique des corps ou physique générale, examinons le mécanisme métaphysique dans l’étendue de toutes les sciences.
La métaphysique des sciences ou la transdisciplinarité
64Nous avons avancé que l’Avertissement du tome III était une suite au Discours préliminaire. Son importance tient au fait que d’Alembert reprend quelques points principaux après avoir gagné la première querelle de l’Encyclopédie. Il fait état du courage qu’il lui a fallu pour entrer dans l’entreprise. On le sent accablé, prêt, dit-il, à effacer avec joie son nom du frontispice de l’Encyclopédie86. Il se plaint « de la condition humaine », de la malignité de certains qui ont pris l’Encyclopédie pour objet de satyre. Après un début amer, puis des remerciements appuyés au Chevalier de Jaucourt et au Conseiller du Conseil souverain de Dombes, l’avocat Boucher d’Argis, d’Alembert reprend les explications sur l’Encyclopédie concernant les matières et les personnes. Les précisions sur les premières apportent des éclaircissements sur la généalogie des sciences. On s’aperçoit que les éditeurs ont sélectionné les matières afin de ne faire que « l’histoire de l’esprit humain87 ». Nous avons essayé jusqu’à présent d’éclaircir le sens de cette expression d’une grande complexité dont il me semble que Dilthey en a été le meilleur sectateur. Nous le redirons pour des raisons diverses, notamment à la fin de ce chapitre avec Moritz Schlick.
65Pour faire valoir la généalogie des sciences, d’Alembert rappelle l’opposition à Chambers avec l’exemple de l’article Atmosphère (Physique). Si cet article est en effet traduit de la Cyclopaedia de Chambers, d’Alembert a introduit « deux additions de quelque conséquence88 ». Il s’agit d’additions scientifiques. La différence majeure quant aux implications philosophiques consiste dans l’intérêt pour les choses plutôt que pour les faits qui ne mènent pas aux choses. Par exemple, pour la physique générale l’Encyclopédie considère les observations et les expériences, mais aucunement les causes puisqu’on ne possède pas la démonstration de tous les phénomènes. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de causes, mais ce qui veut dire qu’on ne peut pas commencer par les causes et qu’il faut petit à petit, découverte par découverte, remonter des effets aux causes. Le scepticisme de d’Alembert s’accorde avec celui de Hume pour qui « la matière et l’esprit nous sont au fond également inconnus89 ». Aussi se détermine-t-il à réfléchir sur les quantités et non sur les qualités, ou encore à ne pas voir de chaîne là où on n’en voit pas. On ne sait ni quand, ni même si on parviendra à réaliser toutes les liaisons. Il y a des vides que l’homme n’a pas encore réussi à combler. La métaphysique des propositions aura pour objet de cerner les vides et de les considérer comme les lieux de la recherche scientifique. Pour l’heure, le mathématicien, encore passionné d’encyclopédisme, déclare que tout l’ouvrage distingué par l’esprit philosophique90 aura pour principal mérite la métaphysique des sciences. Le passage est célèbre :
La Métaphysique des Sciences, car il n’en est point qui n’ait la sienne, fondée sur des principes simples & sur des notions communes à tous les hommes, fera, nous l’espérons, un des principaux mérites de cet Ouvrage. Celle de la Grammaire surtout, & celle de la Géométrie sublime seront exposées avec une clarté qui ne laissera rien à désirer, & que peut-être elles attendent encore. [...] Enfin dans la partie des Arts, si étendue, si délicate, si importante, & si peu connue, l’Encyclopédie commencera ce que les générations suivantes finiront ou perfectionneront.
66Les points de suspension de la parenthèse masquent l’annonce destinée à la suppression (ou presque) de la métaphysique générale ou ontologie dans les tomes à venir, ce que les modifications entre les deux Systèmes figurés laissaient pressentir. Quant à la partie sur les arts, elle a été continuée dans le Supplément et sera perfectionnée dans l’Encyclopédie méthodique. Que représente la métaphysique des sciences par rapport à d’autres manières de rassembler des aspects du savoir sous des points de vue philosophiques ? Si le point de départ reste l’observation d’un objet, ce qui relève de la métaphysique consiste dans la manière dont l’esprit raisonne sur les rapports des propositions de l’expérience, et non les rapports de l’objet avec les autres choses, ce qui concerne la physique particulière. Des rapports des propositions émergent les principes et la métaphysique est le moment où on s’interroge sur les principes. Par où l’on voit que ce sont les fonctions logiques des sciences que la métaphysique explique. Les objets sont appréhendés rationnellement par la pensée et examinés dans un ensemble mathématique où le calcul établit les rapports. Pour une large part les fonctions logiques permettent chez d’Alembert de poser les limites afin de circonscrire, avec la portée de l’esprit humain, les propriétés des sciences.
67Par la métaphysique des sciences, spéculation intellectuelle générale de l’esprit philosophique, d’Alembert compose la voie des principes dans les sciences ou pensée scientifique. Définie pour toutes les sciences, la métaphysique devra s’inventer dans chaque science. Pour ce faire, d’Alembert propose trois façons de procéder qui sont : 1. Avoir « les principes fondamentaux bien développés » ; 2. voir « les détails essentiels bien exposés & bien rapprochés des principes » ; et 3. en conclusion proposer « des vues neuves soit sur les principes, soit sur les détails91. » Le projet de « l’arbre de la connaissance humaine » a été dirigé par l’enchaînement des idées92 et ce que d’Alembert qualifie alors de vaste opération concerne ce que l’entendement effectue au cours de l’union des idées au sein les principes. Au niveau global de toutes les sciences, le passage s’effectue dans l’espace des principes fondamentaux d’une discipline à une autre. La situation relève de la transdisciplinarité dans la mesure où il ne s’agit pas d’étudier les principes, mais leur intériorité pendant leur passage à travers toutes les sciences. On pourrait avancer que dans l’organisation interne des renvois entre les articles, Diderot manipule plutôt l’interdisciplinarité, mais la manière de faire est la même. Les renvois « servent principalement à indiquer la liaison des matières » et non pas à expliquer un article par un autre93.
68Quant à d’Alembert, les principes servent à indiquer la liaison des propositions générales. Il se situe dans l’abstraction des principes, supposant que n’aurait pas été oubliée la manière dont ils ont été formés94, et il organise la transdisciplinarité dans le sens où son objectif consiste à dépasser la connaissance des principes de la matière pour ne considérer que les propositions générales des sciences. Il faut constater que lorsque Diderot entreprend son « dictionnaire des métiers », il cherche dans les ateliers à ouvrir ce monde et à lui faire dépasser ce qu’il connaît. Il cherche à expliquer comment l’homme prend possession de la matière qu’il travaille. Le dépassement de la connaissance soit par les métiers soit par les principes, consiste à considérer le savoir du point de vue de la transdisciplinarité alors identifiée comme la pensée scientifique. Les philosophies allemandes qui reprendront tous ces thèmes, notamment la philosophie hégélienne, les instruiront dans un système sévère. Seul Kant n’oubliera pas l’esprit systématique. Reste de cette approche métaphysique des sciences une association authentique entre philosophie et encyclopédie entendue comme relation entre le savoir et les matières.
69Les éditeurs n’ont pas vraiment attribué de nom à leur démarche. Ils se sont limités à en fournir une exposition détaillée dans leur projet philosophique qui consistait à examiner le cheminement raisonné d’une méthode pour arriver au général. Les expressions employées, qui manifestent la transdisciplinarité, sont le plus souvent les suivantes : « tout est lié dans la nature », choisir « la méthode analytique pour apprendre à penser », fournir « la marche de l’esprit dans ses recherches », ouvrir « le champ immense des spéculations de l’esprit »95, considérer le « rapport mutuel entre la science des faits et la science des choses96 ». Il s’ensuit un changement de perspective pour la philosophie où le point de départ n’est plus un absolu à partir duquel se déroule une histoire universelle, mais le fonctionnement logique de l’apparition des idées à partir duquel se déploie le système de la connaissance générale des choses. La métaphysique des sciences se saisit de cette connaissance générale. Si l’on poursuit les exemples d’expressions célèbres qui laissent pressentir la transdisciplinarité dans l’objectif de l’universalité, on peut choisir ces dernières souvent citées, mais dont on n’a pas toujours élucidé le sens : identifier le raisonnement comme « une intelligence de la façon de procéder », faire de ce Dictionnaire un « ouvrage cosmopolite97 », développer une manière de penser qui inspire « l’esprit de liberté & d’union98 », ou encore « le triomphe de l’homme par l’usage de son entendement » et enfin procéder selon « l’ordre métaphysique des opérations de l’esprit ».
70Toutes ces expressions identifient le fait que l’intérêt spéculatif de la science des choses repose sur le mécanisme de l’entendement. Et l’art de ce mécanisme est attribué au philosophe. Il est le porteur du projet de la métaphysique des sciences. L’article Cosmologie, que nous avons souvent analysé par ailleurs99, en est une bonne illustration. Il définit l’art du philosophe plus que la théorie du ciel. Cet art, dit d’Alembert, consiste à ajouter des chaînons aux parties séparées. Cet ajout est effectué par la méthodologie philosophique énoncée dans la systématique. C’est insister à nouveau sur la nécessité du complexe qui induit la décomposition en parties comme condition de possibilité du raisonnement. Dans son prolongement, Kant souligne l’ordre systématique dans la liaison des planètes qui tournent autour du soleil100 et s’interroge à partir des recherches scientifiques de Newton sur la manière de pénétrer cette liaison générale pour en connaître les propriétés et en découvrir la cause. Newton dans la fameuse question XXXI du Traité d’Optique laissait au philosophe le soin de découvrir les causes des principes101. Dans la pensée organisée des principes, la mutuelle attraction des parties des corps pour penser l’unité constitue, au XVIIIe siècle, le point de départ scientifique des théories philosophiques.
71Ajoutons à cela que dans l’ordre métaphysique des opérations de l’esprit, la logique est la première science. Comme toute science, elle est un art de faire des combinaisons. La difficulté de son objet, la relation entre les mots et les idées, fait de cet art du raisonnement une logique dont le philosophe doit fournir les règles102. Kant s’y applique, mais différemment puisque chez d’Alembert toute théorie qui ferait exister quelque chose en dehors du fonctionnement de l’esprit humain n’appartient pas à sa systématique. C’est pourquoi la métaphysique des sciences n’est pas transcendantale, mais transdisciplinaire dans la mesure où son lieu est celui du dépassement de l’esprit humain sur la voie des principes. Le point métaphysique pour toute science consiste dans la vision abstraite la plus générale possible pour éclairer l’idée directrice. Cette vision est obtenue par composition intellectuelle des rapports entre principes généraux jusqu’à parvenir aux principes les plus larges possible explicités par les propositions générales. Dans l’organisation première destinée à créer les possibilités des rapports il est très certainement un aspect à retenir, sur lequel nous allons revenir, qui est le complexe.
72Conscients de la difficulté du travail pour faire comprendre la connaissance par le point de vue métaphysique des sciences et d’expliquer les choses les unes par les autres dans leur point métaphysique de dépendance mutuelle, les éditeurs savaient parfaitement qu’ils ne finiraient pas leur tâche, mais qu’ils avaient, en effet, mis en pratique un nouveau sens de la métaphysique. Ils n’oublient pas qu’ils la doivent à Bacon, Locke et Newton lorsqu’ils déclarent en sectateurs inventeurs : « L’Angleterre nous doit la naissance de cette Philosophie que nous avons reçues d’elle103. » Le progrès réalisé en éclairant ce qui avait été auparavant pensé ne s’est pas arrêté avec la philosophie des Lumières encyclopédiques. D’autres après d’Alembert et Diderot ont nommé ce que les encyclopédistes avaient, à leur tour, uniquement pensé, sans pouvoir aller plus loin. Le transfert de la pensée scientifique à la théorie de la connaissance en témoigne. Avant d’examiner ces prolongements de l’Encyclopédie, il nous reste à interroger la métaphysique des propositions.
La métaphysique des propositions ou l’article Eléments des sciences
73L’article Eléments des sciences définit la généalogie des sciences et expose la métaphysique des propositions. Si l’on entend par épistémologie un discours sur la science qui en déploie le mécanisme théorique dans une visée philosophique, cet article est très certainement le texte d’épistémologie le plus puissant de d’Alembert. Le dernier mot en est le mot découverte, et dans ce texte, d’Alembert s’entretient avec Descartes et Newton. Son objet est les principes. Le sujet : le mécanisme du cerveau des génies inventeurs que sont les savants et les artistes. Enfin, il généralise l’application de l’esprit systématique dans les sciences et les arts. L’esprit systématique apparaît clairement synonyme de la rigueur logique : « La rigueur consiste à réduire tout aux principes les plus simples104. » La réduction développe deux choses qui sont tout d’abord une méthode naturelle et directe et ensuite l’unité des trois domaines de la connaissance que sont l’histoire, les arts et les sciences sous le nom unique de Sciences.
74Dans toutes ces explications il est essentiel de ne jamais perdre de vue que le fil conducteur est une généalogie. C’est le cheminement des opérations de l’esprit qui est à considérer et c’est, comme nous proposons de le voir, le déploiement du calcul qui est la voie de l’abstraction sur laquelle la philosophie place les idées. À quoi il faut ajouter que cet article dialogue avec la Règle VIII des Règles pour la direction de l’esprit de Descartes. Encore faut-il se souvenir que l’ouvrage préféré de d’Alembert était La Dioptrique et nous avons tous les ingrédients pour un article hors du commun. Remarquons aussi que s’y retrouve la distinction déjà analysée entre découverte et invention. À nouveau, d’Alembert affirme que les propositions et méthodes générales caractérisent les découvertes, pendant que les propositions et méthodes particulières caractérisent les inventions. Consacré à la marche de l’esprit des génies, l’article n’examine que les propositions et les méthodes générales. On sait aussi que pour d’Alembert le génie philosophe qui a su expliquer la méthode s’appelle Descartes. Comme toutes les règles pour la direction de l’esprit, la Règle VIII aide « aux progrès de la formation scientifique ». Puis elle s’adresse aux philosophes et savants « ceux qui possèdent parfaitement les sept règles précédentes ». Dans cette situation de la recherche de la vérité, qui correspond aux éléments des sciences pris dans le premier sens, la Règle « montre de quelle manière ils [les savants] peuvent se satisfaire eux-mêmes en quelque science que ce soit, au point de ne plus rien désirer ».
75Face à la vérité, point de vue de la totalité de la connaissance, d’Alembert impose une définition claire : « On appelle en général éléments d’un tout, les parties primitives & originaires dont on peut supposer que ce tout est formé105. » Le « tout » en tant que composition est l’hypothèse de départ. Puis, après examen, comme pour toute hypothèse, il faut reposer le problème du complexe. En effet, le scientifique se trouve au point d’arrivée « voyant toutes les connaissances comme réunies sous un point de vue indivisible106 », mais il n’arrive pas à voir la totalité de la connaissance à partir des parties. La condition humaine oblige à reposer le problème dans les termes suivants : ne pouvant apercevoir d’un coup d’œil tous les objets, l’homme va avoir « besoin de les parcourir l’un après l’autre ». La décomposition intérieure et métaphysique s’impose. Descartes conclut à l’utilisation de la méthode des arts mécaniques107 et d’Alembert à l’unique possibilité de la « connaissance détaillée ». Cette hypothèse est importante sur deux points : d’une part elle désigne les parties comme accès métaphysique à la connaissance, d’autre part, elle assoit la capacité de l’homme à atteindre une connaissance détaillée. Le composé métaphysique caractérise l’humain.
76On n’est pas sans savoir qu’après avoir défini l’abstraction comme la séparation des idées simples, Locke, en préalable à l’étude des idées complexes, circonscrivait pareillement la puissance de l’homme à pouvoir uniquement unir ensemble, placer les uns après les autres ou séparer entièrement les matériaux du monde matériel et du monde intellectuel108. Dans la question cruciale de la classification, autrement dit du rapport des éléments partis d’une mosaïque pour devenir un « tout », il y a hésitation ainsi que le mentionnait Neurath entre « empirisme logique » et « rationalisme empirique109 ». Il est difficile de déterminer lequel des deux conviendrait mieux à d’Alembert pour qui le calcul est associé à toute abstraction et par voie de conséquence au raisonnement pur de l’équation. La mise en valeur des opérations de l’entendement et de l’art du raisonnement porte à considérer ce point de vue comme un rationalisme110. Il faudrait parler d’un rationalisme humien, ce que Kant représente sans conteste. Le XVIIIe siècle a expliqué comment réaliser une image logique du système du monde. L’homme est dans un puzzle à composer selon plusieurs idées de combinaison. La science est en chantier, elle est « en vrac » disait le film que nous avons analysé dans l’introduction. Il reste, dans l’approche philosophique de ce chantier111, à porter un regard attentif sur les pièces de la composition métaphysique que sont les éléments des sciences sans jamais perdre de vue que la philosophie est dans leur liaison. Descartes affirme que « Cette connaissance n’est pas une moindre science que celle qui rend manifeste la nature de la chose même112. » D’Alembert expose ce qu’est cette connaissance et il interroge Descartes : « Qu’est-ce que la nature d’une chose ? En quoi consiste-t-elle proprement, & la connaissons-nous113 ? » Il confirme que toute connaissance ne peut être appréhendée que par la décomposition de l’objet. Il est absurde de chercher en quoi consiste la nature d’une chose, car l’homme est si ignorant de l’Être comme de l’en-soi, que même décomposée, « La vraie nature de l’objet [...] pourra toujours rester inconnue114. » On pourrait percevoir une tension entre ces deux positions. Cependant la question de d’Alembert termine une démonstration qui aboutit à donner les règles concernant les éléments en général pris dans le premier sens115, c’est-à-dire les éléments abordés par les scientifiques, et Descartes, parfaitement d’accord sur le fait que rien n’est « plus absurde » que « de disputer témérairement des arcanes de la nature », convoque la raison afin « de rechercher ce que c’est que la connaissance humaine, et jusqu’où elle s’étend116 ». Pour sa part d’Alembert écrit l’article Elements des sciences pour, répète-t-il, donner « les règles qu’on doit observer en général pour bien traiter les élémens d’une science117 » et il propose de les faire connaître en les appliquant aux différentes matières dans tous les articles.
77Dans l’Encyclopédie la question est de savoir comment aborder la recherche scientifique de la connaissance. Que la science soit le régisseur de la connaissance, cela ne fait aucun doute dans le projet philosophique de l’entreprise. Diderot réagira plus tard à cette emprise à partir de la physique, notamment dans le Rêve de d’Alembert. Quant à d’Alembert, il propose, nous l’avons dit, une décomposition de la science en éléments, propositions et principes. Cette décomposition métaphysique traite des éléments dans le premier sens et non dans le sens vulgaire, celui des novices qui n’ont étudié ni la science ni la philosophie. La métaphysique des propositions est au cœur de cette vision complexe des sciences qui, selon la définition du complexe, implique un système logique composé d’éléments distincts, organisés par des relations définies. Ici la métaphysique est issue des relations entre les propositions qu’elle expose selon des règles. Ce résultat constitue les vérités générales et philosophiques accessibles par la découverte des principes. La définition en est exactement : « Cette métaphysique, qui a guidé ou dû guider les inventeurs, n’est autre chose que l’exposition claire & précise des vérités générales & philosophiques sur lesquelles les principes de la science sont fondés118. » Or, nous le savons, les relations sont le moyen de parvenir à la découverte des principes qui sont dévoilés par le propre cheminement de leurs propositions. Tel est l’objectif de l’ordonnancement métaphysique dans le cadre d’une construction systématique du savoir.
78Pour sa part, Descartes imagine un homme qui examine toutes les vérités de la connaissance par la raison. Il va suivre la méthode d’un art mécanique et acquérir méthodiquement des matériaux en les recueillant avec soin dans les limites de son esprit. L’auteur du Discours de la méthode envisage de procéder par énumération sous des rubriques. Deux parties sont proposées : des rubriques en rapport avec nous qui sommes capables de connaissance et des rubriques en rapport avec les choses, objets de connaissance119. Les objets sont divisés en natures simples et en natures complexes ou composées120. L’affinement du complexe aboutit à une décomposition selon deux voies, celle où l’entendement éprouve par l’expérience et celle où il effectue lui-même la composition. Nous suivrons Descartes dans la Règle XII où il examine comment connaître les natures composées, uniquement pour énoncer que la connaissance consiste dans « la vision distincte de la façon dont les natures simples concourent ensemble à la composition des autres choses121 ». Ainsi pour connaître l’aimant il suffit de rassembler toutes les expériences sur cette pierre, en déduire le mélange des natures simples et, une fois le mélange trouvé, on peut conclure qu’il a la « véritable nature de l’aimant, dans la mesure où elle pouvait se laisser découvrir par un homme et à partir des expériences données122 ».
79Qu’en est-il pour d’Alembert ? Il retiendra du mélange des natures simples qu’on peut comprendre le cheminement de la découverte par lequel une chose se laisse voir. L’angle sera légèrement modifié. Il se situe dans le cadre d’un savant philosophe qui examine une science pour donner les vérités ou règles générales. Il connaît bien cette démarche scientifique puisque c’est celle qu’il a entreprise en traitant le mouvement des corps qui tournent autour d’un axe mobile et la précession des équinoxes. Ses Recherches sur la précession des équinoxes (1749) contiennent « tous les principes nécessaires pour résoudre le problème général » et les recherches dans le Traité de dynamique ne sont, dit-il en 1758 dans la seconde édition, « que l’application de ces principes. » Puis dans les Réflexions sur la théorie de la résistance des fluides (1752), il fait quelques additions pour indiquer la méthode de l’essai. Pourquoi ? Parce que cette méthode est « aussi générale qu’on le puisse désirer pour soumettre au calcul le mouvement des fluides, & déterminer en même temps le petit nombre de cas dans lesquels on peut appliquer rigoureusement le calcul à la recherche de ce mouvement123 ».
80Ce qui m’interpelle ici c’est le raisonnement scientifique qui affiche des desseins que d’Alembert conserve dans ses exposés épistémologiques, à savoir : ce qui est à résoudre est un problème général et l’application est une méthode générale. Les principes nécessaires résolvent le général et la méthode générale seule permet de soumettre le problème au calcul. Cette opération était en fait l’objectif principal pour construire une métaphysique sur des objets de la science. Pour ce faire, il propose la méthode d’une science à la pointe du progrès : celle du calcul différentiel qui vient d’être découverte par Newton et Leibniz.
81Tout d’abord dans cet article, la question est posée entre les éléments à partir de leurs variables que sont les propositions principales. Dans une même proposition principale divisée en trois se détachent deux choses : ce qui va faire une liaison avec une autre proposition et ce que renferme la liaison avec la proposition qui les précède. Ces propositions fonctionnent comme des ensembles. D’Alembert emprunte cette manière de raisonner à la science mécanique. Il apparaît une similitude de raisonnement entre le discours philosophique sur les éléments sous une analyse complexe et la résolution mathématique des ensembles. Lorsqu’on a deux ensembles en mathématiques, un ensemble au point de départ et un ensemble au point d’arrivée, on résout la question de l’association d’un élément d’un ensemble avec un élément de l’autre ensemble par la fonction f (x), c’est-à-dire une donnée de deux variables. On obtient un élément qui comporte deux types d’objet. Dans la mécanique, science du mouvement des corps, on ne définira ni l’espace ni le temps, mais l’idée complexe de mouvement qui renferme deux simples que sont « celle de l’espace parcouru & celle du temps employé à le parcourir124 ». Les rapports seront exprimés par une équation, seule capable de représenter par le calcul les différentes manières. Pour comprendre ce système logique complexe, c’est-à-dire l’analyser avec un raisonnement développé il faut emprunter l’abstraction dans la méthode mécanique125. Pour l’heure, dans l’Encyclopédie, d’Alembert emprunte une métaphysique. Ce qui est recherché c’est uniquement la méthode du processus logique, ou plus simplement dit, la façon de procéder par le calcul. Pour ce raisonnement, l’encyclopédiste suit le comportement newtonien qui consiste à trouver les limites du rapport entre deux variables par ce que la proposition renferme126. L’abstrait doit toujours être examiné par le concret. Et d’Alembert va suivre la méthode newtonienne basée sur le général en laissant de côté les détails des parties de l’objet – comme Newton a laissé de côté les quantités pour ne regarder que le calcul (c’est-à-dire la manière de procéder) – pour entreprendre des réflexions sur les propositions principales qui servent de base aux éléments qu’elles forment127. La déduction de la cause – les propositions principales – aux conséquences que sont les éléments, constitue une voie qui conduit vers les principes généraux.
82Pour comprendre cette méthode, et par extension l’explication des éléments des sciences, il est nécessaire de faire un détour par l’article Calcul différentiel. Dans cette entrée Différentiel128, pour expliquer la métaphysique du calcul différentiel d’Alembert rejette la métaphysique de l’infini comme il rejette la métaphysique des idées pour expliquer les principes. Le calcul différentiel « C’est la manière de différencier les quantités, c’est-à-dire de trouver la différence infiniment petite d’une quantité finie variable129. » Spéculativement nous sommes dans le même problème que dans celui des propriétés générales dans lesquelles on doit trouver des insertions implicites. La méthode pour calculer le différentiel a été trouvée par Leibniz et Newton. Peu importe que ce soit l’un ou l’autre, ce qui intéresse notre épistémologue c’est comment on a trouvé cette méthode et par conséquent quel est son mécanisme. « Ce qu’il nous importe le plus de traiter, c’est la métaphysique du calcul différentiel ». Il ajoute que la métaphysique est plus difficile à traiter que les règles du calcul même. Elle est une technique au sens de Heidegger, c’est-à-dire au sens où le plus difficile est de savoir penser l’intérieur. C’est la même difficulté pour d’Alembert de présenter comment penser la métaphysique du différentiel. Il expose à l’article Différentiel la technique du calcul qui relève de l’abstraction. Souvenons-nous de la naissance de l’abstraction fort bien explicitée par Du Marsais. L’esprit fonctionne de manière analogue dans les équations avec la différence (dx) que dans les phrases avec les mots. Chez Du Marsais les rapports entre les mots sont des points métaphysiques. En accord ici avec la Logique de Port-Royal, dont nous avons cité ci-dessus la définition de l’abstraction, Du Marsais explique que je peux ne regarder une ligne que comme le plus court chemin entre deux points et par une abstraction de mon esprit ne faire de ces deux points d’extrémité que des termes. Ainsi je regarde la ligne et j’obtiens le terme où la ligne commence et le terme où elle finit. Ces termes ont été nommés points métaphysiques auxquels n’est attachée que l’idée précise de terme. Il n’y a alors aucune autre idée comme l’idée de solidité ou de longueur, il n’y a que l’idée abstraite de terme130. Cela revient à fournir une explication analogue à celle de la notation de la fonction du point mathématique. Le calcul s’effectue à l’aide de ces points et de leur fonction.
83La métaphysique du calcul différentiel propose pareillement les avancées de l’entendement par les démarches de l’abstraction. Dans le calcul, les concepts de notre esprit ou noms par adoption seront des formes algébriques. Voilà comment a procédé Newton. Son esprit a considéré, « par exemple, une ligne comme engendrée par la fluxion d’un point, une surface par la fluxion d’une ligne, un solide par la fluxion d’une surface. » Puis il explique à l’article Fluxion131 que Newton considère les quantités mathématiques engendrées par le mouvement et cherche ainsi le rapport des vitesses variables avec les quantités décrites. On voit clairement ici encore que l’article Différentiel explique la métaphysique de ce calcul. Sur l’appui de quantités ont été établis des rapports. On est donc parti d’objets, d’être particuliers que sont les quantités. Le calcul différentiel a produit des résultats, ce qui implique qu’il fournit « des méthodes sûres, simples & exactes » et que par conséquent « les principes dont il dépend doivent aussi être simples & certains. » Pendant que Leibniz est resté sur le calcul des infiniment petits, Newton a réagi en métaphysicien, car il a regardé le calcul « comme la méthode des premières & dernières raisons, c’est-à-dire la méthode de trouver les limites des rapports132 ». Mentionnons que d’Alembert conserve le reproche à l’égard de l’auteur de la Philosophie naturelle de ne pas avoir expliqué vraiment sa métaphysique. Il ne manque pas ici d’ajouter que Newton s’est juste contenté de « la faire entrevoir ».
84Au demeurant, qu’est-ce que Newton a fait de génial ? Il a dépassé le point de départ pour dégager l’étendue. Il s’est attaché à différencier des équations et non des quantités, parce que toute équation renferme un rapport entre deux variables133. Il a généralisé le principe de départ qui consistait dans une différence infiniment petite, par une extension à toute même forme algébrique abstraite. Et d’Alembert conclut que la méthode donne le même rapport que le calcul. Par où l’on voit que les suppositions sont là pour abréger et simplifier les raisonnements. Mais cela montre surtout « que l’existence des quantités n’est pas nécessaire134 ». Le calcul ne consiste qu’à déterminer dans une forme algébrique simple, symbole de l’extension, une abstraction qui présente la limite d’un rapport. Le rapport entre deux variables consiste dans le simple en tant que résultat du calcul logique différentiel que deux propositions complexes renferment. Trouver ce rapport issu d’une logique revient à trouver l’objet simple de la science qui renferme les principes fondateurs. L’équivalent philosophique du simple est, pour d’Alembert alors parfaitement cartésien, non pas le concept, mais la méthode. Mais d’Alembert n’est pas Descartes, c’est-à-dire qu’il est d’abord mathématicien et physicien. La méthode signifie pour d’Alembert un procédé logique de réduction des principes. Généralisée dans l’esprit systématique elle est la condition de possibilité de l’accroissement du savoir.
85Ce mode de raisonnement sera repris dans leur analytique par les fondateurs du Cercle de Vienne que sont Moritz Schlick, Otto Neurath et Rudolph Carnap. Leur philosophie basée sur la richesse des propositions établira une thèse de l’extensionalité qui sera la suivante : « Dans toute proposition portant sur un concept celui-ci peut être pris en extension, c’est-à-dire présente par son extension ; plus exactement dans toute proposition portant sur une fonction propositionnelle, celle-ci peut être remplacée par le symbole de son extension135. » Ce que Rudolph Carnap retient à juste titre c’est que le rapport de la fonction d’une proposition ouvre la possibilité de l’extension. Il retient plus exactement la dérivation par degrés et que soit ainsi possible une dérivation des concepts « à partir d’un petit nombre de concepts de base ». Telle est sa thèse principale de la théorie de la constitution136.
86D’Alembert qui avait trouvé cette logique de réduction dans le Traité de dynamique a appliqué ce calcul à la philosophie (article Application). Il l’explicite ici clairement dans la métaphysique des propositions. Il faut dire aussi que toute philosophie dont la base est la physique et dont l’objectif est l’étendue des principes, utilise l’application postulée comme fondamentale par d’Alembert. On comprend peut-être mieux maintenant l’admiration philosophique de d’Alembert pour Descartes, l’inventeur de la méthode. Otto Neurath a insisté dans son projet d’une Encyclopédie des sciences unifiées sur l’aspect logique. Prenant l’Encyclopédie pour base il a ensuite dirigé les recherches de Foundations of the Unity of Science vers le langage 137. Son objectif d’organiser une synthèse logique des sciences s’est ensuite écarté de la logique du calcul entendue comme art ou technique du raisonnement métaphysique dans la science ainsi que l’a explicité d’Alembert138.
87Pour l’encyclopédiste, au commencement, les choses ne composeront des propositions que si ces dernières sont bien définies, ce qui veut dire si on en a « marqué les bornes et les limites139 ». Ensuite, pour qu’elles composent les éléments d’une science, que ce soit l’histoire de la nature ou l’histoire de la pensée des hommes, il faut leur attribuer pour bornes les faits de la mémoire à condition qu’ils soient « entre les mains de l’homme qui sait penser140 ». C’est dire que les propositions entrent dans l’ordre encyclopédique où, au regard de l’entendement, l’ordre généalogique des opérations de l’esprit les a érigées premières connaissances ou propositions principales dans cette science. Pour d’Alembert tout ceci est aussi la démonstration que la connaissance des limites est une affaire de philosophie. Il revient au philosophe de régler par classe ou par relation la connaissance de la distinction des propositions principales. Cette distinction se calcule dans les rapports ou écarts entre propositions qui ne forment pas de chaîne immédiate. Nous avons décrit les chemins par lesquels apercevoir les rapports qui sont le simple du complexe comme ce qui met en œuvre la pluralité des métaphysiques de la philosophie de l’Encyclopédie. Mais il nous faut revenir plus particulièrement sur les propositions. D’Alembert commence par définir les éléments d’une science comme la réunion des propositions générales d’une science. On a donc les propositions générales et les autres qu’il va traiter comme des ensembles mathématiques. Ces propositions générales ou vérités générales contiennent les objets de la science.
88On peut en déduire que le premier ensemble des éléments est composé des propriétés générales lesquelles contiennent les objets composés de la science. Plus exactement elles sont la synthèse des parties des objets. Suivant l’organisation en tout et en parties, les éléments ou propositions générales représentent le tout d’une science. Qu’est-ce que cela signifie ? Le tout d’une science est constitué des principes dans toute l’étendue de la science. Ce qui caractérise un tout concerne l’étendue des objets qu’il contient. Les principes ayant par définition l’étendue la plus large possible appartiennent à la métaphysique de plusieurs sciences. Par conséquent, la métaphysique des propositions convoque la totalité des principes généraux. Par exemple, pour la géométrie, cela va des figures au calcul différentiel, du plus concret au plus abstrait141.
89Qu’en est-il des propositions principales ? Leur utilité consiste à former la chaîne des propositions générales qui composent les éléments d’une science. Quand on décompose les éléments, elles forment des morceaux de chaîne. C’est par elles en fait que la chaîne commence. Ce sont les propositions les plus intéressantes, car elles représentent les liaisons avec d’autres propositions comme elles sont également, et ceci mérite attention, les sources d’autres propositions. Quant à leur dépendance à une quelconque précédente, elle doit être à découvrir. Il faut, dit d’Alembert, « qu’elle n’y soit comprise qu’implicitement142 ». L’implicite comporte l’intérêt d’engager un processus intérieur de raisonnement pour comprendre la dépendance. On ne peut pas l’esquiver et c’est cet implicite qui demande une analyse complexe des rapports. D’Alembert donne l’exemple du Traité d’une science, ce qui permet de comprendre le complexe de l’implicite lié à l’abstraction. Selon son explication, la réunion de tous les éléments d’une science correspond à un traité bien fait sur la science et il envisage de faire comprendre ces traités en les divisant en traités détaillés et complets et traités élémentaires. On a une division en deux et une distinction. La distinction indique que le détail des conséquences et le détail des propositions particulières sont énoncés dans les traités complets et omis dans les traités élémentaires. Le traité élémentaire sera explicitement renfermé dans le traité complet et le traité complet implicitement dans le traité élémentaire. La recherche du traité complet dans le traité élémentaire revient à chercher le complexe dans le simple.
90Il suffit de faire sur les rapports entre les éléments et les propositions un raisonnement semblable à celui du rapport entre les traités et les sciences. D’Alembert propose alors une division de trois en deux et un. On a des propositions indépendantes et deux sortes de propositions principales, celles qui commencent un morceau de chaîne et celles qui se distinguent des autres. Elles ne forment pas une chaîne, elles sont la source d’autres propositions et elles sont implicitement comprises dans les précédentes. On s’aperçoit que le complexe a la forme d’une continuité représentée par la source et sa suite implicite. D’Alembert place au fondement de sa métaphysique l’idée sur laquelle il a fondé sa mécanique, qui est que la certitude du simple ou du vrai n’appartient pas de la même manière à toutes les parties de la science concernée143. C’est pourquoi, dit-il dans le Traité de dynamique, il faut plutôt éclairer l’entrée de l’édifice – celui d’une science – qu’augmenter les parties de la science144. Dans l’article, ceci est traduit par la nécessité de remarquer parmi les propositions principales, celles qui « forment la tête de chaque partie de la chaîne145 ». Elles dévoilent l’ouverture. Les différentes manières ne seront aperçues que si le nombre de principes est peu nombreux. D’où la nécessité de les réduire au plus petit nombre. Ces conditions réunies permettent d’accéder à l’étude de la science c’est-à-dire d’en faire un « examen raisonné » selon un point de vue connu.
91Dans un premier temps, je propose qu’on retienne de ces explications dalembertiennes que les éléments d’une science se définissent par les propositions et pas par les mots, car c’est un objet qui fait une science. Nous l’avons vu, comme chez Descartes, les objets sont divisés en choses simples et choses composées. Après ces relations entre objet et propositions, on retrouvera à nouveau ce système complexe dans l’explication des mots et de leur rapport avec les idées. Derrière un mot comme figure se cachent trois idées complexes : celle d’étendue, de bornes et de bornes en tout sens. L’analyse du complexe autorise une entrée dans l’abstraction. Parmi les définitions de l’abstraction pour introduire le complexe, celle en usage à l’époque me paraît convenir : « Le peu d’étendue de notre esprit fait qu’il ne peut comprendre parfaitement les choses un peu composées, qu’en les considérant par parties, & comme par les diverses faces qu’elles peuvent recevoir. C’est ce qu’on peut appeler généralement connaître par abstraction146. » Le composé est notre seul moyen pour apercevoir ce que renferme une chose, ce qui chez d’Alembert correspond à la perception métaphysique des propositions principales d’un principe général. La métaphysique dans l’Encyclopédie ne fait pas appel à la science des idées, mais à la logique qui opère sur la marche de l’esprit dans ses recherches spéculatives sur les êtres particuliers147. Les êtres particuliers constituent une base fondamentale que d’Alembert ne cesse de répéter, car : « On ne connaît les abstractions que par l’étude des êtres particuliers148. » C’est dire qu’il faut avoir pour principes de départ des faits connus. C’est avant tout éviter les propositions sur la prémotion physique présentées sous forme mathématique. Autant les opérations de l’esprit seront toujours compliquées, autant les objets devront être simples. En analysant, comme nous venons de le voir, le composé des propositions ou en développant la métaphysique des propositions, on arrivera à trouver les principes fondateurs de la science. On a présentement affaire à la composition des éléments du point de vue philosophique et non plus mathématique bien qu’il en soit le fondement. Les deux points de vue partagent le simple et l’abstraction, autrement dit on assiste avec l’explication mathématique de la métaphysique à l’herméneutique du raisonnement pur par lequel les savants font des découvertes. Par où l’on voit que la logique définit mieux la philosophie de d’Alembert que l’empirisme149.
92Mais l’exigence du mathématicien encyclopédiste ne s’arrête pas là. « Le savoir des éléments, ce n’est pas seulement connaître ce qu’ils contiennent, c’est en connaître l’usage, les applications, & les conséquences ; c’est pénétrer dans le génie de l’inventeur, c’est se mettre en état d’aller plus loin que lui, & voilà ce qu’on fait bien qu’à force d’étude & d’exercice : voilà pourquoi on ne saura jamais parfaitement que ce qu’on a appris soi-même150. » Pour atteindre les vérités générales, le chemin n’est pas facile. Comme avec Descartes, la règle n’est perceptible que par ceux qui ont la connaissance des précédentes. « Les inventeurs seuls pouvaient traiter d’une manière satisfaisante les sciences qu’ils avaient trouvées, parce qu’en revenant sur la marche de leur esprit, & en examinant de quelle manière une proposition les avait conduits à une autre, ils étaient seuls en état de voir la liaison des vérités, & d’en former par conséquent la chaîne151. » Pour ceux qui ne sont pas en état de percevoir un des chaînons de la chaîne ni la liaison des vérités, ils pourront essayer de comprendre comment elle a été appréhendée par le génie inventeur. Se dégagera une vue qui, même si elle est petite, sera indivisible, autrement dit simple. La raison en est évidente. Nous ne pouvons voir que le simple, car seul le génie est capable d’analyser le composé. La démonstration du mouvement peut servir d’exemple. Ce n’est que de cette manière que les génies peuvent engager une proposition principale pour commencer un nouveau morceau de chaîne c’est-à-dire être la source de construction d’un principe général.
93Enfin, d’Alembert dit préférer la méthode analytique à la méthode synthétique. Elle est celle qui apprend à penser, qui fournit la marche de l’esprit et qui, dans les termes kantiens, guide l’élève pour qu’il soit « capable de marcher lui-même »152. Elle va du composé à l’abstrait. Elle généralise les conséquences connues pour arriver à découvrir les principes inconnus. D’évidence elle convient mieux à la méthode des inventeurs. Par la suite, il suffit de transposer le mécanisme théorique d’une science à toutes les sciences. On trouve des formules analogues chez Werner Heisenberg : « Comprendre signifie sans doute d’une façon tout à fait générale : être en possession de représentations et de notions qui permettent de reconnaître un grand nombre de phénomènes comme liés entre eux de façon cohérente, ou encore de saisir ces phénomènes153. » Esprit systématique et application répondaient à cette recherche spéculative des phénomènes. La métaphysique des propositions, assimilable à une technique, apporte la méthode générale du processus. L’incapacité de l’homme de ne pas avoir le point de vue indivisible de l’intelligence divine est surtout, nous l’avons dit, une déclaration de la capacité de l’homme154 d’avoir le point de vue de la composition. On peut conclure que d’Alembert traduit cette approche dans l’article Elements des sciences que nous avons essayé d’éclaircir ici dans le cadre de la philosophie générale de l’Encyclopédie.
94Au terme de ce parcours, il importe de tenir pour acquis de la métaphysique des propositions que les conséquences générales de l’observation de la nature sont les causes logiques du système du monde. Ces causes, ce sont les propositions générales qui les renferment. Leur analyse qui consiste dans la composition des rapports entre elles conduit aux principes directeurs du système du monde. Ce savoir s’acquiert par l’étude systématique des matières. Nous venons d’en expliciter le cheminement. À cet égard, dans la philosophie de l’Encyclopédie, ce qui est décisif pour notre propos c’est, nous l’avons vu, l’affirmation chez Diderot des raisons premières générales des choses qui éclairciront le reste en faisant s’évanouir les faux raisonnements métaphysiques et, ici, la mise en place chez d’Alembert des vérités générales qui servent de bases aux autres pour constituer un corps fécond à la logique de la connaissance, corps auquel il attribue le nom d’Elémens des sciences. Quatre ans plus tard, il essaiera la composition en philosophie avec les Elémens de philosophie. Il est indéniable que d’Alembert a jeté les bases d’une approche pour examiner le cerveau du génie inventeur. Cette approche se comporte comme une méthode qui au fil des explications insère une métaphysique. Cette métaphysique, « science universelle qui contient les principes de toutes les autres155 », est plurielle dans ses objets et elle avance par la logique vers la source. Pour terminer ce tour global des usages de la métaphysique, on pourrait résumer en disant que la métaphysique des corps aborde l’ordre des lois générales de l’Univers par l’abstraction mathématique avec laquelle l’esprit conduit une systématique ; la métaphysique des sciences concerne les liaisons des sciences entre elles et en forme la mappemonde qui montrerait les principes généraux et leur dépendance mutuelle ; enfin la métaphysique des propositions expose la généalogie des sciences et ouvre les principes généraux à travers lesquels s’examine l’origine de l’univers. Elle fait connaître l’abstraction et le simple.
95Quand bien même la différence est fondamentale dans la mesure où un seul des deux porte sur des objets finis, il convient de se demander s’il est davantage possible de connaître la méthode du génie inventeur que d’avoir le point de vue de l’intelligence suprême ? Il n’est pas évident que l’infini de la métaphysique traditionnelle recèle plus de richesse philosophique que la théorie métaphysique de la logique systématique du génie inventeur. C’est la raison pour laquelle les métaphysiques exposées par d’Alembert sont des théories heuristiques qui se retrouveront dans la théorie générale de la connaissance mise en place au tout début du XXe siècle.
La théorie de la connaissance : Neurath, Carnap et Schlick
96Dans Unified Science as Encyclopedic Integration que nous avons déjà cité à plusieurs reprises, Otto Neurath partage avec Moritz Schlick et avec d’Alembert l’idée que le progrès ne viendra pas des systèmes de la philosophie de la sensation, mais des possibilités de construire des ponts systématiques d’une science à une autre156. L’esprit systématique de d’Alembert a été parfaitement intégré dans la question première de la classification. La reconnaissance de l’Encyclopédie comme modèle de la connaissance de l’homme et comme véritable modèle du Tout de la science signe une profonde connivence entre le projet de d’Alembert et Diderot et le projet des fondateurs de la théorie de la connaissance pour une Encyclopédie philosophico-scientifique ou Encyclopedia. Le Manifeste du Cercle rédigé autour de 1929 hérite de l’esprit des Lumières. Ce ne sont pas les problèmes posés par l’ordre alphabétique qui ont été retenus, mais bien la question de la combinaison et du rapport logique des sciences entre elles. Sur cette base baconienne et mathématique des philosophes français, quelle organisation maintenant est proposée ? Il n’est aucunement question pour Neurath d’écrire des articles de dictionnaire. Il choisit des études ou monographies avec un index analytique :
The general purpose of the International Encyclopedia of Unified Science is to bring together material pertaining to the scientific enterprise as a whole. The work will not be a series of alphabetically arranged articles ; rather will be a series of monographs with a highly analytical index, which will make it possible to find the bit of information sought if the Encyclopedia is to be used as a reference work157.
97Nous retiendrons deux aspects pour notre propos qui sont les monographies et l’index analytique. Les études sont comparables avec les traités scientifiques de l’Encyclopédie méthodique, dont nous allons bientôt parler, dans la mesure où Neurath prévoit de traiter un sujet plutôt que de définir une notion. Les sciences sont regroupées par idées centrales contenant les sens différents de chaque discipline. Si les matières font l’objet de la plus grande attention comme dans la Méthodique, en revanche le point de départ sera les idées. Il faut se garder de penser une analogie complète entre d’Alembert et ces théoriciens. Ce qui nous paraît significatif de signaler consiste dans leur manière de construire leur projet théorique. Il convient d’affirmer une analogie de départ. L’objectif de Neurath est d’unifier les sciences selon la belle image de la queue d’aronde. L’unification devait être faite par les progrès de certaines matières venant élargir les progrès des autres comme la queue de l’hirondelle. Une autre image précise la composition : celle de l’oignon. L’Encyclopedia aurait été construite par couche successive et, une fois les couches du savoir retirées, le cœur atteint aurait représenté deux volumes d’introduction contenant vingt brochures. On peut conclure à une série de volumes portant sur la systématisation des sciences et la question de leur unification, la classification des sciences faisant partie de ces séries. Pour ce faire, un plan est élaboré, plan sur lequel nous proposons de revenir dans la partie consacrée à l’Encyclopédie méthodique afin de mieux mettre en évidence la convergence des situations. Nous ferons de même avec le second aspect qui consiste dans l’index analytique, l’entreprise de Panckoucke devant se terminer par un vaste index analytique.
98Ce qui est remarquable dans la relation entre le projet de Neurath et la philosophie de l’Encyclopédie énoncée par d’Alembert consiste dans la logique du point de vue158. Elle est le cœur de la science. Charles W. Morris introduit le terme de métascience ou « science de la science ». Il y a dans cette expression forte le sens du « rapport du rapport » qui concentre toute la mise en œuvre de la métaphysique des sciences, c’est-à-dire que ce projet prend non pas la relation des sciences et de la science, mais le lien interne des sciences à leur unité notamment à travers la structure scientifique du langage et la relation de la science à la systématique, c’est-à-dire à la logique de la science en elle-même159. Ces deux relations définissent un champ d’application qui constitue l’esprit de l’entreprise encyclopédique. On se souvient que d’Alembert plaçait la systématique dans l’unité du génie inventeur qui pourrait s’apparenter à la science ou technique en soi. Quant à la première relation logique, elle concerne le modèle de l’équation utilisé par d’Alembert et qui consiste à situer les données en fonction de l’unité. Ici l’unité est appréhendée avec la linguistique. Il n’y a plus du tout de systèmes, pas même de système des connaissances humaines. Reste à répandre par la logique encyclopédique the scientific habit of mind, l’habitude de l’esprit scientifique. Sur cette Encyclopedia de Neurath, dont nous allons reparler dans notre prochain partie, on doit rappeler qu’elle n’a malheureusement jamais existé. Ce qui confirme le fait que la grande Encyclopédie de d’Alembert et Diderot et l’Encyclopédie méthodique de Panckoucke constituent les seules œuvres monumentales consacrées au savoir réalisées par des scientifiques.
99Quelques mots sur Rudolph Carnap appuieront la corrélation entre la conception scientifique du monde et la composition des principes directeurs du système du monde. Disons-le à nouveau, c’est la tentative de construction, son attitude fondamentale, sa direction de recherche qui nous interpellent et non la thèse qui s’ensuit de ramener les concepts au donné immédiat160. La préface de la première édition de La construction logique du monde pose clairement les relations entre mathématiques et philosophie. La nouvelle logique tient sa force des contradictions de la logique des mathématiciens. C’est dire que la base de la théorie de la connaissance consiste dans la logique mathématique, pas celle des anciens, mais une nouvelle. Or, cette logique mathématique se donne pour objectif d’élargir la philosophie. Cette dernière suit le chemin de la science pour élucider les concepts. « Il s’agit avant tout ici, déclare-t-il en 1928, de la théorie de la connaissance, par conséquent de la réduction des connaissances les unes aux autres. » On peut en déduire facilement que la nouvelle méthode consiste dans une application nouvelle de l’esprit systématique. En effet, l’auteur de l’Aufbau poursuit : « Elle conduit à un système homogène de réduction des concepts que la science met en jeu, en forme d’arbre généalogique, qui ne requiert qu’un petit nombre de concepts originaires. Sans doute cette clarification des rapports mutuels des concepts scientifiques fera apparaître sous un jour nouveau un grand nombre de problèmes philosophiques parmi les plus généraux161. » Cette démarche systématique invite à distinguer les vrais problèmes des faux problèmes et elle est surtout le résultat d’un « esprit philosophique » devenu au début du XXe siècle une « ambiance scientifique ». Puis Rudolph Carnap traduit dans les termes modernes la pensée scientifique encyclopédique de d’Alembert :
La nouvelle manière de philosopher est née d’un contact étroit avec le travail des scientifiques, notamment en mathématique et physique. En conséquence le philosophe s’attache à adopter l’attitude fondamentale du chercheur scientifique faite de rigueur et de sens des responsabilités tandis que celle du philosophe de l’ancienne école l’apparente davantage au poète. Ce nouveau comportement ne change pas seulement la façon de penser, mais aussi la manière de poser les tâches à accomplir162.
100Sur la base de la science, la philosophie suit la voie de la rigueur et non celle des chimères dénoncées par d’Alembert163. La construction d’un nouvel édifice est annoncée selon un rythme similaire à l’autre maison dont d’Alembert proposait la construction à côté de celle de la théologie sans jamais braquer le canon contre l’ancienne. En effet, Carnap demande la construction d’un édifice solide qui n’est pas sans s’apparenter à cette maison pour les scientifiques que d’Alembert prévoyait d’élever petit à petit164. Elle correspondait au changement de la façon de penser énoncé par Diderot. Bien qu’il soit célèbre, qu’on nous permette de citer le passage de Diderot à propos des renvois de choses :
Si ces renvois de confirmation & de réfutation sont prévus de loin, & préparés avec adresse, ils donneront à une Encyclopédie le caractère que doit avoir un bon dictionnaire ; ce caractère est de changer la façon commune de penser. L’ouvrage qui produira ce grand effet général, aura des défauts d’exécution ; j’y consens. Mais le plan & le fond en seront excellents165.
101Le plan et le fond constituent également ce que Carnap s’applique à faire comprendre avant d’expliquer sa nouvelle philosophie ou théorie de la connaissance. Même si l’époque est différente, les réticences à faire entrer la rigueur en philosophie existent toujours. L’initiateur de la conception scientifique du monde le sait lorsqu’il déclare que : « Dès lors que l’on a pris au sérieux en philosophie l’exigence de rigueur scientifique, on en est venu nécessairement à bannir toute la métaphysique, puisqu’on ne peut justifier ses thèses de manière rationnelle » et pareillement lorsqu’il ajoute, non pas l’exigence de la méthode comme les encyclopédistes, mais, ce qui revient à la même chose, l’exigence du travail philosophique pour fonder une thèse en prenant appui « sur des motifs purement empiriques et rationnels ». Et ce plan commence par « bannir toute la métaphysique » au sens où d’Alembert a rejeté la métaphysique traditionnelle pour faire de « la philosophie l’application de la raison aux différents objets sur lesquels elle peut s’exercer166 ». Enfin pour le fond, Carnap déclare que « la fondation doit se dérouler devant le forum de l’entendement. » Ensuite il maintient avec fermeté les mêmes points de départ et le même appel « en faveur de la clarté et pour une science débarrassée de métaphysique » ou encore pour « donner à la vie humaine une forme rationnelle167 ». Le style de penser et d’agir décrit dans cette courte préface par un des auteurs du Manifeste aurait pu faire partie du Discours préliminaire de d’Alembert.
102Toutefois la recomposition rationnelle est une construction qui fait davantage appel aux concepts que celle de l’Encyclopédie. L’objectif est la science unitaire, mais la manière de procéder comporte des actions spéculatives identiques. Pour exemple, par rapport au complexe que nous avons identifié dans la métaphysique des propositions, il est établi dans l’application de la théorie des relations que : « La première règle d’une manière scientifique de philosopher s’énonce ainsi : chaque fois que c’est possible, il faut remplacer les entités que l’on infère, par des constructions logiques. » En quoi consiste ces « constructions logiques » ? Elles consistent à établir un plan ordonné de ce qui est sous la forme de liste des relations logiques. Les listes identifient des distinctions de niveaux qui pourraient correspondre aux différents sens sous lesquels étudier les éléments des sciences de l’inférieur au supérieur ou du premier au second sens. Dans ce cadre, le complexe logique consiste dans un procédé de liaisons qui opère sur les propositions pour les transformer en propositions générales portant sur les éléments au lieu de rester dans sa propre composition de propositions. Ensuite, des « éléments fondamentaux » ou unités indécomposables apparaissent dans le système de constitution après les relations fondamentales168.
103Comme avec Neurath il s’agit d’une ébauche du système. L’Encyclopédie ne met pas de concepts en place, elle met en place une technique ou systématique de la métaphysique des rapports. En revanche, dans l’installation de relations logiques, le processus entre les propositions et les éléments pour traduire dans une proposition une relation logique fondamentale s’apparente au procédé complexe que nous avons décrit chez d’Alembert. On ne saurait aller au-delà de ces manières de faire dans notre comparaison, dans la mesure où le psychisme et la psychologie jouent un rôle important chez certains membres du Cercle. Cela demanderait une étude sur le psychisme et les opérations de l’esprit des génies inventeurs que nous n’entreprendrons pas maintenant.
Schlick et d’Alembert
104L’objectif de Moritz Schlick est de définir le concept de connaissance. Il détermine deux critères. Le premier critère consiste dans la reconnaissance de l’objet et le second dans la compréhension. Dans les circonstances quotidiennes on cherche à reconnaître la chose inconnue. Une chose aperçue au loin ressemble à un animal, puis on reconnaît un chien et enfin son chien Tyras ou Médor. Il y a reconnaissance dans certaines circonstances. Dans la science, les progrès de l’expérience pour la compréhension des faits enclenchent pareillement un processus vers la connaissance. Connaître, expliquer et comprendre constituent, pour Schlick, un « tout ». Sur cette base encyclopédiste, il aborde la définition du concept de connaissance en établissant un principe simple, à savoir que le cœur du principe cognitif est de retrouver quelque chose. Il établit comme principe général que connaître c’est retrouver une chose dans une autre. L’application de ce principe clair est identifiée dans la réduction. Ce principe et son application ne sont pas sans nous rappeler l’esprit systématique de d’Alembert. Quant à la méthode, elle consiste à identifier l’individuel en le ramenant au général. Pour entrer dans le royaume des concepts, il est impératif de savoir définir. L’ensemble des dispositions particulières qui caractérisent les propositions d’un concept constitue la définition du concept. Indiquer les caractères c’est définir le concept. Pourquoi définir ? parce que définir engage le processus de coordination qui lie une proposition à une autre.
105Ce qui distingue Schlick des autres philosophes du Cercle de Vienne et qui le rapproche de d’Alembert, c’est qu’il entend donner une définition logique du concept. Cela veut dire qu’il utilise le processus de la solution des problèmes mathématiques comme exemple de connaissance. Quand deux concepts ne désignent pas le même objet parce qu’il y a des corrélations hétérogènes, il arrive que certains objets d’un des concepts se trouvent dans l’autre concept. De la même manière que les propositions qui n’ont pas de lien avec une autre sont les plus intéressantes pour d’Alembert, pour Schlick cette découverte résulte soit de l’observation et de l’expérience et c’est une connaissance de connexions réelles, soit elle est le résultat d’une analyse conceptuelle et c’est une connaissance de connexions conceptuelles169. Cette démarche qui part de l’expérience utilise le même modèle de rigueur que celui de d’Alembert, à savoir le mode de construction de la preuve mathématique qui déduit de nouvelles propositions à partir d’autres déjà connues et indépendantes. Elle laisse pressentir que la pensée régit le savoir par les rapports entre les principes des matières. Schlick conclut le passage que nous venons de résumer par cette affirmation : « Connaître signifie découvrir une relation entre des objets. »
106Quand d’Alembert pose les questions qu’est-ce que définir et qu’est-ce qu’une science ?170, Schlick demande qu’est-ce qu’une définition et qu’est-ce qu’un concept ?
107Dans Théorie générale de la connaissance, il explique que sa recherche est tournée vers les principes suprêmes qu’il appelle également propriétés générales. Avant cette étape ultime, « on pourrait traverser, dit-il, sur le chemin qui conduit de la science historique à la théorie générale de la connaissance, une théorie de la connaissance historique, c’est-à-dire une philosophie de l’histoire, après les mathématiques une philosophie des mathématiques, et ainsi de suite171. » Cette démarche de la philosophie qui s’adresse à toutes les matières fait écho à la métaphysique de chaque science que nous venons d’exposer dans la pensée scientifique comme suite à l’esprit philosophique. Les mêmes applications épistémologiques sont envisagées entre la philosophie et la science que dans le projet philosophique des métaphysiques de l’Encyclopédie. La source du savoir appartient à la science de la nature, source qui fait dire à Schlick que « Le vrai grand scientifique est toujours aussi un philosophe172. » Ce qui m’interpelle dans l’affinité entre d’Alembert et Schlick repose sur quatre points qui sont :
- L’alliance philosophie, science de la nature ou physique ;
- la recherche de l’élément constant (le même du rapport) et l’esprit systématique ;
- l’herméneutique de la compréhension ;
- la coordination.
108Voyons ces points.
109Schlick établit une relation naturelle entre philosophie et science physique. On peut situer la réflexion de ce physicien devenu philosophe dans une exacte similitude avec celle de d’Alembert pour qui la philosophie renferme la systématique de la découverte scientifique que le savant dévoile lorsqu’il explique les principes généraux de la connaissance, c’est-à-dire lorsqu’il se donne la peine de mettre son invention à notre portée. L’élève de Max Planck affirme que : « L’élément philosophique réside dans toutes les sciences et en est l’âme véritable, cela seul qui en fait de manière générale des sciences » puis il poursuit :
Toute connaissance particulière présuppose les principes les plus généraux auxquels elle finit par aboutir et sans lesquels il n’y aurait pas de connaissance. La philosophie n’est rien d’autre que le système de ces principes, lequel traverse en se ramifiant l’ensemble du système des connaissances et est ainsi ce qui le soutient. Elle est par conséquent chez elle dans toutes les sciences.
110Nous avions avancé par ailleurs173 qu’avec l’Encyclopédie la philosophie s’invite partout, Schlick confirme cette position attribuée par les éditeurs en insistant sur le fait qu’il s’agit moins d’un envahissement que d’une évidence. L’heuristique des matières, la voie des principes ou encore la métaphysique des propositions pavent le chemin du philosophe qui n’est plus encyclopédiste, mais analyste :
C’est nécessairement (...) dans les disciplines elles-mêmes déjà parvenues au plus haut degré possible de généralité que l’on pourra le plus facilement trouver les principes suprêmes. Et comme la science de la nature, et particulièrement la science exacte de la nature, est celle dont les propositions possèdent sans conteste, en ce qui concerne le monde réel, la validité la plus universelle, c’est là que le philosophe doit puiser les trésors qu’il cherche. (...) Une théorie générale de la connaissance ne peut donc prendre pour point de départ que la connaissance de la nature.174
111La science exacte de la nature, dont les propositions ont valeur universelle, correspond à la métaphysique des corps ou Physique générale. C’est dans le même sens de la pensée scientifique que Schlick nomme philosophie de la nature la liaison intellectuelle entre théorie de la connaissance et sciences de la nature. S’il convoque plus tard Newton, notamment à propos de la théorie de la lumière, c’est pour peu de temps et il ne mentionne ni d’Alembert ni Laplace qui ont entrepris, comme on a pu le dire à plusieurs reprises en reprenant la formule de Roger Hahn, de faire triompher la philosophie au moyen de la science.
112Le deuxième point comporte deux axes centraux de la théorie dalembertienne, que sont celui de la recherche du même du rapport et celui de la définition de l’esprit systématique comme étendue de la science par réduction des principes. Après avoir identifié le cœur du processus cognitif pour conclure que le « résultat sera toujours que connaître signifie en science, comme dans la vie quotidienne : retrouver une chose dans une autre175 », Schlick expose la nature de ce processus par la réduction des principes. Il convient de préciser qu’il a rejeté par un sourire les efforts des philosophes qui prétendent pouvoir déduire toute la richesse du monde d’un principe unique et qu’il a salué la collaboration entre les différentes sciences. L’interdisciplinarité est effectuée par les savants dans le processus de la réduction des principes. C’est alors, dit-il en méconnaissant l’esprit systématique, mais en mentionnant Newton, le chemin de l’explication qu’il faut chercher. Puis il explicite :
Le nombre de principes explicatifs utilisés peut donc directement servir à mesurer le degré de connaissance atteint, la connaissance suprême étant à l’évidence celle qui s’en sort avec un minimum de principes explicatifs non susceptibles d’être à leur tour expliqués. Rendre ce minimum aussi petit que possible est donc la tâche ultime de la connaissance. Il serait prématuré de vouloir dire plus précisément jusqu’où on peut aller dans la réduction du nombre des derniers principes176.
113Puis il dévoile avec exactitude la complexité de l’esprit systématique du système dalembertien :
Nous voyons en outre quelle est la véritable difficulté pour expliquer et parvenir aux connaissances ultimes : utiliser un minimum de principes explicatifs et cependant déterminer intégralement chacun des phénomènes individuels de l’univers au moyen de ce petit nombre de principes.
114Dans leurs recherches métaphysiques, les encyclopédistes diront essayer de parvenir à des connaissances générales ou universelles plutôt qu’ultimes. Le sens est rigoureusement identique. D’Alembert avait trouvé dans la méthode de la mécanique comment tout ramener au général afin d’ouvrir des chemins d’explication les plus réduits et les plus universels possible et par conséquent applicables au particulier avec un résultat cohérent.
115Moritz Schlick expose à nouveau une identité de comportement entre la théorie de la connaissance et d’Alembert : « La théorie de la connaissance ne peut jamais [...], par sa seule décision ni rendre une connaissance scientifique possible ni la récuser, mais la tâche qui lui revient est uniquement de l’éclairer et de l’expliquer177. » Les passages du Traité de dynamique sont encore frais dans nos têtes pour lire ici une formidable application de la philosophie du mathématicien encyclopédiste qui appelait à simplement éclairer l’entrée de l’édifice. Selon nos dernières explications, ces bases de la théorie générale de la connaissance constituent une véritable « suite » à la philosophie de l’Encyclopédie exposée par d’Alembert. Toutefois, il y a également dans ce deuxième point concernant l’esprit systématique une position anti-cartésienne. Schlick commence par définir la pensée en distinguant la philosophie de l’intuition de la philosophie scientifique. Il met en garde contre la confusion entre « faire l’expérience d’une chose » et « connaître une chose ». Selon lui les philosophes de l’intuition, et notamment Descartes, confondent la connaissance d’une chose avec « faire l’expérience » d’une chose. Penser consiste à ordonner et à coordonner les choses et dans ce cadre « la science ne nous fait pas faire l’expérience des choses, elle nous apprend seulement à comprendre et concevoir les choses dont nous faisons l’expérience et c’est précisément là ce que l’on appelle « connaître ». À l’image de d’Alembert dans le Discours préliminaire, il défend comme voie de la connaissance la science de la classification qui repose sur des mises en ordre et en relation. L’opposition de Schlick à Descartes concerne les rapports entre l’intuition et la conscience avec la connaissance. « Je suis » est un fait et non une connaissance. Cette question n’entre pas dans la philosophie de d’Alembert dans laquelle le rapport à l’intuition est écarté. Quant à la Règle XII, que nous avons évoquée plus haut à propos de l’article Elements des sciences, elle conserve un lien uniquement avec le processus de coordination. L’expérience où l’entendement effectue lui-même la construction afin que les éléments simples puissent « concourir ensemble à la composition des autres choses » reste valable quand il s’agit de désigner le procédé logique qui fait la science. Mais la définition de Schlick reste conforme à la pensée rigoureuse par éléments des sciences comme recherche de la coordination entre eux. La coordination comporte une indépendance vis-à-vis de l’auteur de la méthode ou de toute philosophie dominante. Par où l’on voit que le souci dalembertien d’indépendance pour la philosophie et pour la science rejoint l’affirmation de Schlick selon laquelle la coordination « est entièrement indépendante du point de vue et de l’outil178 ». Schlick conceptualise magistralement la philosophie de l’article Elements des sciences. L’Encyclopédie a affirmé l’arbitraire de tout point de vue et a fourni les outils de la connaissance pendant que d’Alembert proposait une approche épistémique du savoir. La théorie générale de la connaissance confirme les recherches dalembertiennes et poursuit sur une nouvelle voie.
116Schlick se positionne clairement contre les philosophes qui définissent la connaissance selon le fait de « saisir par l’esprit ». Pourrait-on voir là une opposition à la philosophie des Lumières, voire aux encyclopédistes ? Les encyclopédistes ont, nous l’avons dit souvent, saisi la métaphysique par l’entendement humain. Ils ont transformé une incapacité supposée en une capacité heuristique. Pour ce faire, ils ont déconstruit la métaphysique classique. Mais si d’évidence l’explication est faite par un raisonnement intellectuel, le processus cognitif de l’explication par une composition désigne la voie des principes exposée dans les métaphysiques et en aucun cas une quelconque philosophie de l’intuition que désigne ici Schlick par l’expression « saisir par l’esprit ». Sinon, Schlick a raison, le fondement mathématique des liaisons s’effondrerait. Ce qu’il dénonce ici c’est plutôt la réduction du multiple à l’unique ou, comme l’expliquait en 1920-1922 Werner Heisenberg, le « comprendre de façon générale » qui consiste à « être en possession de représentations et de notions qui permettent de reconnaître un grand nombre de phénomènes comme liés entre eux de façon cohérente, ou encore de saisir ces phénomènes179. »
117L’intuition n’est pas l’abstraction du cheminement de l’esprit vers la découverte, c’est-à-dire la voie dalembertienne des principes que nous avons identifiée comme le développement métaphysique de la pensée scientifique issue de l’esprit systématique. Or, c’est cette voie de la systématique de l’abstraction que retient Schlick en ne désignant toutefois que brièvement Newton et en confirmant la position kantienne qui consacre l’impossibilité de l’application des mathématiques aux sentiments180. Au fond de tout ceci, se trouve le but de fournir des bases mathématiques à la démarche kantienne de l’intuition afin que tout concept soit irréprochable en rigueur, le concept étant ce à partir de quoi certains jugements peuvent être énoncés181. Mais il y a, plus probablement, une critique de l’abus systématique qui consisterait à ajouter des conditions extérieures à l’expérience qui, depuis le travail de Max Planck vers les années 1900, étaient appelées « conditions quantiques ».
118Après avoir laissé Descartes sur le bord de la route, le fondateur du Cercle de Vienne reprend la définition de la connaissance comme processus de coordination et défend la connaissance en tant que procédé qui consiste à désigner l’objet selon des règles :
Il ne faut pas croire que l’activité qui consiste simplement à comparer, classer, désigner ne serait qu’un pis-aller, faute d’une espèce plus parfaite de connaissance, qui nous serait refusée, mais serait peut-être possible à des êtres organisés différemment. Il ne saurait être question de rien de tel. Car cette activité consistant à retrouver, classer, désigner, que s’est révélée être la connaissance, réalise de la manière la plus parfaite tout ce que nous demandons à la connaissance de la vie comme en science, et aucun autre processus, aucune « intuition intellectuelle », aucune fusion avec les choses ne pourrait le réaliser182.
119Les positions contre l’idéalisme transcendantal kantien ne concernent pas notre objet, il nous suffit de vérifier dans ce passage la priorité accordée à la classification. La compréhension est une activité d’ordonnancement. L’observation invite à mettre en rapport les résultats, à connaître les liaisons. On compare pour classer. Comme dans la philosophie de l’Encyclopédie l’objectif de la classification consiste à faire voir les opérations successives du progrès de la raison, dans la philosophie pré analytique la comparaison est le point de départ. Dans cet accord de pensée, on ne saurait oublier l’insistance de Schlick sur la philosophie de la nature. Nous allons en reparler dans notre dernière partie qui aborde les positions philosophiques de Lamarck sur la classification au-delà de la nomenclature linnéenne.
120Il est intéressant que constater que Schlick traduit immédiatement le « comparer » de l’observation par la démarche rationnelle qui consiste à « retrouver », c’est-à-dire qu’il traduit un comportement scientifique en attitude philosophique au sens de la philosophie des sciences développée dans la métaphysique des propositions. Il y a beaucoup de d’Alembert chez Schlick. La voie de la vérité relève d’un processus. Et de fait, à la page suivante Schlick revient sur la relation logique identifiée dans le rapport au même. « Le rôle joué par le fait d’être le même est effectivement distinct de celui de tous les autres types de relations. C’est une relation plus fondamentale qui est la condition absolue de toute connaissance ». Deux aspects sont peut-être à l’origine de cette similitude d’approche. Tout d’abord l’affirmation que la recherche des concepts consiste dans une recomposition rationnelle, ce qui implique une base scientifique et ensuite une vision encyclopédiste du savoir qui, à son tour, implique une activité et des règles opératoires de classification. Ce sont deux points fondamentaux également avancés par Rudolph Carnap et Otto Neurath. Ces auteurs focalisent leur recherche sur le « physicalisme »183 et la coordination associée à une systématique comme soutien d’un système par une méthode184.
121Le troisième point systématique de la classification repose sur une herméneutique de la compréhension. Schlick invite à comparer ou retrouver pour classer pendant que d’Alembert installait la métaphysique des sciences afin de classer pour comprendre. En dehors de la base scientifique, la reprise du procédé décrit dans l’Encyclopédie provient aussi très certainement de la vision encyclopédiste du philosophe allemand. Ce dernier ne présente pas une théorie de la connaissance, mais une théorie générale de la connaissance, ce qui signifie qu’il aborde le champ de l’abstraction des propriétés générales dans la vision de la totalité du savoir. Ce qu’il ajoute par rapport aux encyclopédistes – et qui pourrait être pensé comme une « suite » – consiste dans l’objectif de sa recherche, qui peut-être dépasse le « comprendre », à savoir que sa recherche a pour objet de connaître « la vraie nature de la connaissance », c’est-à-dire les conditions de possibilité de « la valeur du processus cognitif185 ». Les encyclopédistes expliquaient, pour leur part, le mécanisme de la nature sans manquer de poser clairement que la nature est définie par le mécanisme de l’esprit humain. La classification est une philosophie active. Et ce savoir dans les explications fournies par d’Alembert s’apparente, il faut le redire, à une technique que la métaphysique des sciences renferme. La considération majeure envers le processus cognitif dans une activité de classification reste commune et on pourrait envisager que cette technique de la métaphysique des sciences si elle avait été développée aurait pu rejoindre la notion de valeur causale que le fondateur du Cercle de Vienne ajoute au processus. Sans entrer davantage sur cet aspect de l’intéressante philosophie de Schlick qui, d’une certaine manière, éclaircit la pensée philosophique de d’Alembert, voyons le quatrième point avec l’analyse de la connexion.
122Dans la méthode pertinente de d’Alembert circulent de nombreux raisonnements, comme ceux qui expliquent la dépendance mutuelle. Si un abîme sépare la sensation et les objets, il n’en est pas de même pour la séparation concernant les choses. L’éloignement entre les parties est possible à réduire, car la liaison des principes généraux entre eux vise nécessairement un tout cohérent. Le court article de Diderot résume ce point qui accorde cognition et liaison des choses :
Connexion & Connexité, s. f. (Gram) le premier désigne la liaison intellectuelle des objets de notre méditation ; la connexité, la liaison que les qualités existantes dans les objets, indépendamment de nos réflexions, constituent entre ces objets. Ainsi il y aura connexion entre des abstraits, & connexité entre des concrets ; & les qualités & les rapports qui font la connexité seront les fondements de la connexion ; sans quoi notre entendement mettrait dans les choses ce qui n’y est pas ; vice opposé à la bonne dialectique186.
123Dans le sillage des encyclopédistes, pour Schlick, la connaissance n’est possible que dans « un système d’éléments connectés entre eux ». Puis il poursuit l’idée du moment précédent pour affirmer que « le jugement de connaissance est une nouvelle combinaison exclusivement constituée de concepts anciens » qui « forment les éléments de connexion au moyen desquels ce qui est nouveau est ordonné dans le grand système des jugements connus, qui constitue l’ensemble de nos expériences et de nos sciences187 ». Il ne considère que « la connexion des jugements entre eux188 ». Que la liaison intellectuelle définisse la connexion, c’est ce que Schlick précise en déterminant que dans un système scientifique achevé l’intérêt réside uniquement dans « la relation réciproque des vérités les unes par rapport aux autres, non leur signification ou leur origine ». L’abstraction philosophique qui sous-tend le projet de l’Encyclopédie est régie par l’idée que la vérité se loge dans le processus de l’abstraction. Ce que corroborent les métaphysiques ainsi que nous l’avons analysé. C’est pourquoi la connexion constitue, dans notre approche, un quatrième point d’affinité pour faire de l’Encyclopédie le fonds premier de la théorie de la connaissance. Alors que pour le fonctionnement de l’esprit dans l’acte de la connaissance, d’Alembert conserve le modèle diachronique de la découverte sur la voie des principes, Diderot entretient le modèle philosophique de la dialectique. Cependant, on va voir dans le chapitre qui suit qu’il prend le modèle non pas dans les sciences mathématiques, mais dans la philosophie antique. L’Encyclopédie ne dépasse pas l’entendement et l’entendement ne dépasse pas les choses. Pour l’heure, il suffit de poser que les rapports sont nécessairement issus de la capacité intellectuelle.
124Ce qu’il convient de retenir dans la relation entre la pensée scientifique et la théorie de la connaissance concerne le point d’ancrage. Les conditions d’approche que nous avons circonscrites sur quatre axes sont posées pour que chaque pas philosophique soit un exercice scientifique. L’expression, aux allures faciles, de la recherche du « vrai » de la connaissance renferme cette manière de penser. Sa caractéristique consiste à penser la vérité avec le but final de l’usage, cette vérité reposant sur l’acte cognitif désigné seul capable de connaître les choses selon des règles méthodiques. L’usage n’est pas l’utilité et c’est de l’usage dont se préoccupent les encyclopédistes. L’usage comporte une technique, l’utilité est un résultat de l’usage. Les règles de construction restent cruciales. C’est pour cette raison également que l’ordre encyclopédique des sciences doit être un ordre arbitraire et non un ordre invariable comme chez Auguste Comte puisque l’objectif de l’arbre encyclopédique n’est pas l’ordre en lui-même, mais sa composition.
125Plusieurs ordres peuvent être envisageables pourvu que la construction en soit expliquée. Comment telle construction a-t-elle été ordonnancée ? Voilà la question à laquelle il faut être capable de répondre puisque l’explication de toute composition renferme la technique philosophique ou théorie de la connaissance. Or, il faut un ordre arbitraire pour avoir comme recherche celle de la différence entre les choses, recherche assujettie à celle des liaisons. À partir de là s’enclenche la nature de la connaissance comme connaissance d’un processus de reconnaissance et de compréhension. De fait, les encyclopédistes pratiquent la décomposition pour apporter une méthode de reconstruction189, et leur travail (technique de la systématique) revient à fabriquer des liaisons entre des éléments divers. L’arbitraire de l’ordre et l’esprit systématique impliquent le pluriel et la méthode, ce que le Discours préliminaire exposait en présentant un système d’éléments connectés entre eux. Le Système figuré en offrait le tableau et le dictionnaire raisonné l’explication métaphysique des liaisons.
Dilthey et Laplace
126Revenons à Dilthey qui a certes saisi la connaissance par l’esprit. Peu soutenu par les membres du Cercle de Vienne, Dilthey attribuait à l’histoire des sciences la tâche de construire le rapport entre la théorie et les éléments des sciences. Il met justement l’accent sur ce qui émerge des premières pages du Discours préliminaire, lorsqu’il écrit que si nous nous représentions tous les changements qui surviennent dans le monde des corps, nous atteindrions la connaissance de l’univers entier. Cependant c’est Laplace qu’il cite, mais dans la mesure où Laplace peut être désigné comme le sectateur le plus fidèle de d’Alembert190, l’étude de Dilthey s’applique à l’analytique dalembertienne. En effet, la phrase de Laplace citée par Dilthey n’est pas sans correspondre à l’analyse de d’Alembert. Lisons :
Supposons un esprit qui, à un moment donné connaîtrait toutes les forces qui agissent dans la nature et qui connaîtrait aussi la situation réciproque des êtres qui la composent ; cet esprit, s’il était de taille à soumettre toutes ces données à l’analyse, pourrait définir d’une formule unique les mouvements des astres les plus volumineux comme de l’atome le plus ténu191.
127C’est pour ainsi dire d’Alembert qui offre la conclusion :
L’esprit humain, participant alors de l’intelligence suprême, verrait toutes ses connaissances comme réunies sous un point de vue indivisible ; il y aurait cependant cette différence entre Dieu & l’homme, que Dieu placé à ce point de vue, apercevrait d’un coup d’œil tous les objets, & que l’homme aurait besoin de les parcourir l’un après l’autre, pour en acquérir une connaissance détaillée. Mais il s’en faut beaucoup que nous puissions nous placer à un tel point de vue192.
128Pareille supposition d’un esprit suprême capable de réduire toutes les liaisons à un point de vue constitue, on le sait, l’hypothèse de départ où l’esprit systématique aurait réalisé toutes les réductions des principes jusqu’à arriver « au même » de tous les principes généraux. Elle est reprise à l’article Elements des sciences avec l’hypothèse (insoutenable et non adoptée) de la réalisation de la chaîne des connaissances où chaque proposition serait l’exacte traduction de la précédente jusqu’à parvenir à la proposition unique. Avant de conduire au scepticisme, cette hypothèse idéale requiert d’abord la possibilité de fonctionner avec des « touts » et des parties. Les parties forment des « touts » qui, reliés entre eux, construisent une totalité et par conséquent des morceaux de chaîne qui accroissent la connaissance au sens généalogique comme nous avons l’avons déjà souligné, et non au sens d’une accumulation.
129L’affinité posée entre Laplace et d’Alembert demande une justification. Roger Hahn a affirmé avec des preuves convaincantes que d’Alembert avait ouvert la voie à Laplace. L’importance de la méthode générale utilisée par l’esprit humain au cours de la recherche des principes chez d’Alembert va conduire Laplace à reprendre les recherches de Newton dans le sens voulu par son maître. Newton a codifié les lois de la physique et postulé le principe de la gravitation universelle. Pour Laplace et d’Alembert, le principe devenait un ensemble de lois vérifiées et « son aspect unificateur et réductionniste le rendait analogue à une cause première193 ». D’Alembert, en tant que philosophe, avait conclu que cette « loi de la pesanteur était valide parce qu’elle était dérivée de phénomènes relevant du seul entendement humain ». Laplace commence en 1773 par le déterminisme dalembertien auquel nous avons attribué une source cartésienne forte, qui consiste à dire que le système de la nature est une suite de ce qu’il était au moment précédent. Dans ses recherches « L’approche de Laplace consistait à déterminer par déduction un résultat idéal, avant d’examiner la différence entre valeurs théoriques et valeurs observées. Restait alors à formuler cette différence en tant qu’expression différentielle. » Tel est le raisonnement de la métaphysique des propositions exposée par d’Alembert. Cette phrase de Roger Hahn accorde la généalogie des esprits chez d’Alembert, Laplace et Schlick dans laquelle se profilent Newton pour l’expression différentielle et Descartes pour la méthode vers le général.
130Pour sa part, Dilthey, loin de minimiser les apports des encyclopédistes, retenait que l’esprit philosophique cerne la question des limites. Le professeur de Breslau qui allait consacrer sa vie à l’étude du monde de l’esprit concluait que : « Toute notre connaissance se réduit à fixer des concordances répétées dans la succession ou dans la simultanéité, et ce sont ces concordances qui, dans notre expérience, créent un lien entre les diverses données194. » L’existence de limites immanentes à la connaissance du monde n’est pas un obstacle à la fonction de connaître, mais elle est une condition nécessaire à l’expérience. Ensuite la réduction et la connaissance des limites, les analogies et les conjonctions émergent de l’activité de l’esprit qui ordonne et organise les objets. L’origine des faits nous restera toujours inconnue, Hume, d’Alembert, Laplace, Dilthey et bien d’autres scientifiques, mathématiciens et philosophes, s’accordent sur ce point. Or cette faiblesse présuppose l’idée d’un point de vue de la totalité (un « tout » résultat de la liaison des parties), condition de possibilité du développement des facultés de l’entendement.
131Sur ces quelques points de repère pour aider à percevoir la pertinence de la philosophie de l’Encyclopédie, il convient de conclure que la capacité de l’entendement associée à l’ordre des facultés dans une logique scientifique de la construction de rapports mutuels entre principes généraux, s’est imposée à la philosophie. Outre la pensée scientifique, la philosophie de l’Encyclopédie comportait une pensée de la morale que nous avons identifiée avec Diderot dans l’approche des philosophies grecques. Voyons maintenant cette morale que Diderot incluait dans la démarche dialectique de l’Encyclopédie destinée à changer la façon commune de penser.
Notes de bas de page
1 « Science as a whole can be regarded as a combinaison of an enormous number of elements, collected little by little », Otto Neurath, op. cit., vol. 1, No 1, p. 3.
2 L’ouvrage général sous la direction de Pierre Wagner sur Les Philosophes et la science, Paris, Gallimard, 2002, effectue un tour d’horizon de leurs rapports.
3 Moritz Schlick (1882-1936), Théorie générale de la connaissance (Allgemeine Erkenntislehere, 1918), Paris, Gallimard, traduit de l’allemand par Christian Bonnet, 2009. Le processus cognitif expliqué par Schlick a plus d’un point de similitude avec la pensée dalembertienne jusqu’à la notion de plaisir comme valeur ultime de la réduction des concepts. Pourtant il annonçait une philosophie nouvelle crée uniquement par lui-même. Il n’est pas question de dire que Schlick copie d’Alembert mais qu’il a pensé dans une époque (comme tout auteur) et cette époque avait intégré les rapports philosophie et science posés dans un ordre du savoir dont la connaissance relève d’un processus logique de vérification et d’application. Dominique Lecourt a souligné l’importance de la pensée de d’Alembert dans L’Ordre et les jeux. Le positivisme logique en question, Paris, Grasset, 1981, p. 30 et suivantes.
4 Dans l’Avertissement du tome III, d’Alembert précise : « C’est ici non seulement un Dictionnaire des Sciences & des Beaux-Arts, mais encore un Dictionnaire économique, un Dictionnaire des métiers », p. x.
5 p. 643Aa. Sur l’ordonnancement des sciences entre elles, Diderot est très clair à l’article Encyclopédie : « J’exige seulement de la méthode, quelle qu’elle soit », p. 642b.
6 Nous verrons dans la dernière partie que certains auteurs de dictionnaires de l’Encyclopédie méthodique comme Lamarck se réclameront de ce fondement classificatoire et critiqueront les nomenclatures qui présentent des classifications intéressantes mais sans base philosophique.
7 Article Encyclopédie, 1755, p. 643Aa. Dans l’article Découverte, d’Alembert ne renvoie pas à Invention. L’exemple est ici donné pour bien préciser que la philosophie ne revient pas à tout l’ouvrage mais aux éditeurs qui ont conçu sa construction. Il faut donc rester très prudent avec les articles d’auteur différent des deux éditeurs avant de faire un lien avec le projet philosophique.
8 Article Découverte, Tome IV, 1754, p. 705b.
9 Article Découvrir, Trouver, Tome IV, 1754, p. 706b.
10 Article Encyclopédie, p. 635Ab.
11 Wilhelm Dilthey (1833-1911), Critique de la raison historique. Introduction aux sciences de l’esprit et autres textes (Einleitung in die Geisteswissenschaften, 1883), Paris, Cerf, 1992, p. 61. Nous soulignons.
12 Pierre Hadot analyse très justement cette démocratisation du savoir à partir de la révolution mécaniste du XVIIe siècle par la méthode : « Avec Bacon, Descartes, Galilée, Newton, une rupture définitive, non pas avec les aspirations de la magie, mais avec ses méthodes, a pu s’accomplir et [...] ces savants ont découvert le moyen de progresser d’une manière décisive et définitive dans ce projet de domination de la nature, en s’en tenant à l’analyse rigoureuse de ce qui est mesurable et quantifiable dans les phénomènes sensibles. » Le Voile d’Isis, op. cit., p. 171 et 169-176. Les méthodes constituent en effet le point déterminant du renversement de comportement.
13 Ibid., nous soulignons. Pour les rapports entre habitude et méthode, voir aussi l’Eloge de Du Marsais par d’Alembert. Charles W. Morris et John Dewey reprendront cette idée de scientific habit of mind.
14 Nous verrons plus loin que pour Moritz Schlick (1882-1936) l’angle d’approche sera nettement scientifique. Il sera question d’Erkenntnislehre, de connaissance fondée sur les sciences exactes et non de Geistwissenschaften, science du fonctionnement de l’esprit au sens large puisqu’il intègre la psychologie.
15 Wilhelm Dilthey, Einleitung in die Geisteswissenschaften. Introduction à l’étude des sciences humaines, traduction Louis Sauzin, Paris, PUF, 1942, préface, p. 6.
16 Ibid., p. 466.
17 Dans Sieyès et l’ordre de la langue. L’invention de la politique moderne, Jacques Guilhaumou examine les Cahiers métaphysiques du révolutionnaire et expose son système métaphysique dans la perspective de toutes les sciences, Paris, Kimé, 2002.
18 Wilhelm Dilthey, op. cit., p. 468.
19 Ibid., p. 470-471.
20 Ibid., p. 500. Mentionnons que ce qui se rapporte à notre propos concerne le point de départ de la pensée de Dilthey et en aucun cas les suites sur la conscience ou la vie intérieure.
21 M. Groult, « Le plaisir, principe du goût dans la métaphysique de d’Alembert », Dix-Huitième Siècle, 35 (2003), p. 439-454.
22 Moritz Schlick, op. cit., p. 152.
23 Pierre Hadot, Le Voile d’Isis, op. cit., p. 244 et 247.
24 Sur les rapports entre Kant et d’Alembert, qu’on me permette de signaler certains de mes articles : « Quelques assises de la pensée kantienne dans la systématique de l’Encyclopédie : Kant et d’Alembert », Les Sources de la philosophie kantienne aux 17e et 18e siècles, Robert Theis et L. K. Sosoe (dir.), Paris, Vrin, 2005, p. 97-106. « L’Académie de Berlin et l’ordre encyclopédique ou l’organisation de la science et de la langue dans les relations entre Kant et la France », Kant und Frankreich – Kant et la France, J. Ferrari, M. Ruffing, R. Theis et M. Vollet (dir.), Olms Verlag, 2005, p. 93-106, et « Kant et le rassemblement des sciences chez d’Alembert » dans Mai Lequan (éd.), Kant la science et les sciences, Paris, Vrin, 2011.
25 On retrouve chez Paul Ricœur des expressions totalement en accord avec les encyclopédistes des Lumières sur l’interprétation générale de la connaissance.
26 Voir Michel Malherbe, La philosophie de Francis Bacon, op. cit., p. 45-51. Il y a sur cet aspect fondateur une divergence entière entre l’ordre de la connaissance chez Bacon et l’ordre encyclopédique de d’Alembert destiné à installer une philosophie sur la base de la science. Les effets et le calcul ont remplacé les causes et l’induction. Diderot énonce dans le Discours préliminaire (Explication détaillée, p. xlviij et p. 175) que les quatre opérations de l’entendement sont l’appréhension, le jugement, le raisonnement et la méthode. L’induction, absente dans la partie traitée par d’Alembert, consiste dans le raisonnement.
27 Jean d’Alembert, Traité de dynamique, 1743 (1re éd) et 1758, p. ij.
28 Encyclopédie, article Degré (Métaphysique), p. 761b. D’Alembert écrit à la suite de Formey pour réfuter Formey et ceux qui avancent que les abstractions existent hors de l’esprit. On est évidemment ici dans le cadre des actions de Dieu sur les créatures.
29 Jean d’Alembert, Traité de dynamique, op. cit., p. iv, v.
30 Ce qui peut être fondé sur ces deux Règles pour la direction de l’esprit : « On ne peut se passer d’une méthode pour se mettre en quête de la vérité des choses », Règle IV, ou encore la Règle V : « Toute méthode réside dans la mise en ordre et la disposition des objets vers lesquels il faut tourner le regard de l’esprit, pour découvrir quelque vérité. »
31 « D’Alembert avait établi un ordre du jour national en affirmant que, pour ses collègues scientifiques, l’activité la plus profitable et la plus urgente consistait à achever le programme de Newton », Roger Hahn, op. cit., p. 53.
32 C’est suite au succès que d’Alembert envisage de rééditer séparément le Discours préliminaire. Ce sera aussi le début des éditions des Mélanges de littérature, d’histoire et de philosophie, à savoir 1753, 1759, 1763 et 1767. En général c’est l’édition de 1753 qui est choisie par les éditeurs du XXe siècle pour rééditer le Discours préliminaire. D’autres sont parfois retenues voire mélangées comme celle de Picavet qui ne correspond pas à l’original.
33 Réflexions sur l’usage et sur l’abus de la philosophie dans les matières de goût, texte lu à l’Académie Française 14 mars 1757, et inséré dans l’Encyclopédie à l’article Goût.
34 Essai de traduction de quelques morceaux de Tacite (1753), Observations sur l’art de traduire (1759) et Note sur la traduction de Tacite (1763).
35 Réflexions sur la musique en général et sur la musique française en particulier (1754), Eléments de musique théorique et pratique suivant les principes de M. Rameau (1752, nouvelle éd. corrigée en 1762 contenant la réponse à une lettre imprimée de M. Rameau), De la liberté de la musique (1759), Recherches sur les vibrations des cordes sonores (1761). D’Alembert refuse de prendre en considération la théorie de Rameau selon laquelle la géométrie est fondée sur la musique. Puisque tout commence avec la nature, il va de soi d’une part, que les rapports dans la nature précèdent les rapports entre les sons, et, d’autre part, que les sons ne sont que des sensations.
36 De l’abus de la critique en matière de religion (1759), Sur la destruction des jésuites en France (1765) suivies de Lettres à M. Conseiller au Parlement pour servir de supplément (1767).
37 Réflexions sur l’élocution oratoire et sur le style en général, précédé du Discours de réception à l’Académie Française le 19 décembre 1754, dit Discours sur l’éloquence (1759), Réflexions sur la poésie (1760 et 1767), Suite des réflexions sur la poésie et sur l’ode en particulier (1762).
38 Sur l’harmonie des langues et sur la latinité des modernes (1767).
39 Essai sur les éléments de philosophie (1759) et Eclaircissements (1767).
40 Jean d’Alembert, Eloges lus dans les séances de l’Académie Françoise, Préface, p. xiij. Souligné dans l’original.
41 Ibid., p. xvij.
42 Ibid., p. xix.
43 Ibid., p. xx et xxj où ces phrases sont directement adressées aux « détracteurs de l’esprit philosophique ».
44 La même position est défendue par François Jacob : « Il est question au contraire de repérer les étapes du savoir, d’en préciser les transformations, de déceler les conditions qui permettent aux objets et aux interprétations d’entrer dans le champ du possible », La Logique du vivant, op. cit., p. 20.
45 Selon Maurice Muller, d’Alembert était dominé par l’idée du mouvement uniforme, et sa « mécanique est fondée sur l’idée de continuité », op. cit., p. 35. On aura en effet ce même continu et surtout la même méthode de réflexion à l’article Elemens des sciences.
46 L’expression « philosophie de l’histoire » a été inventée par Voltaire dans son petit ouvrage in 8 ° de 1765 à Amsterdam chez Changuion. L’histoire enseigne sur les mœurs des hommes mais surtout ce sont les hommes qui font l’histoire. « Il ne s’est presque jamais rien fait de grand dans le monde que par le génie et la fermeté d’un seul homme qui lutte contre les préjugés de la multitude » écrit-il dans l’Essai sur les Mœurs à propos d’Henry le navigateur. Le génie d’un homme doit rester utile pour installer un comportement général. Sur le passage sciences/mœurs par la voie des génies, Voltaire et d’Alembert partageaient de nombreux points communs. Voir leur passionnante correspondance.
47 Réflexions sur l’Histoire et sur les différentes manières de l’écrire (1761 et 1767), dans Mélanges de Littérature, d’histoire et de Philosophie, Amsterdam, 1767, p. 487.
48 Ibid., p. 477, 478.
49 Discours préliminaire, op. cit., p. xj/92.
50 Jean d’Alembert, Eloges lus dans les séances de l’Académie Françoise, op. cit., Préface, p. xj.
51 Discours préliminaire, op. cit., p. xj/93.
52 Otto Neurath, op. cit., p. 6-8.
53 En 1751 Diderot leur ajoutera des Observations sur la division des sciences du Chancelier Bacon, ceci très certainement, comme nous l’avons déjà expliqué par ailleurs, suite aux critiques du père Berthier dans le Journal de Trévoux.
54 A l’égard de la question des attributions d’auteurs, il ne faut pas mélanger les articles avec les textes du projet. Les articles sont soit signés soit non signés. Les textes du projet sont signés et rédigés en commun par les deux éditeurs. Ils comportent donc des parties de Diderot et des parties de d’Alembert. Le Discours préliminaire est signé de d’Alembert avec une partie de Diderot et le Système Figuré est signé de Diderot avec une partie de d’Alembert. Dans le Discours préliminaire, les parties de Diderot sont indiquées par d’Alembert. Nous avons déjà noté ci-dessus où trouver comment les distinguer. Pour le Système figuré, il ne fait aucun doute que la physique constitue une partie entièrement prise en charge par d’Alembert. Enfin, le fait que Diderot n’ait pas changé les Explications en 1751 apporte une preuve supplémentaire qu’il n’est pas l’auteur de l’ajout de la métaphysique des corps.
55 D’Alembert fait état de cette situation dans le Discours préliminaire, précisant que ces quelques changements « sont le fruit ou de nos réflexions ou des conseils de quelques philosophes », p. xviij/106-107.
56 Bacon, The Advancement of Learning, édité par William Aldis Wright, Oxford, Clarendon Press, 1868.
57 Ibid., « La poésie peut à son gré unir ce que la nature a séparé et séparer ce que la nature a uni, et ainsi opérer des mariages et des divorces hors-la-loi des choses. » p. 106.
58 Ibid.
59 L’industrie de l’homme fait l’objet de la réponse de Diderot aux attaques du Journal de Trévoux à l’article Art (Ordre encyclopédique, & c.). Prenant appui sur Bacon, Diderot désigne « l’industrie de l’homme » pour donner naissance aux sciences et aux arts (p. 714a). Il reprend la fameuse expression de « l’homme n’est que le ministre ou l’interprète de la nature » pour expliquer que l’entendement, tout comme la main, a besoin d’instruments et de règles pour acquérir la connaissance. De la sorte, la connaissance expérimentale des arts mécaniques est équivalente à la connaissance réfléchie des arts libéraux. Sur l’importance du travail de la main, voir Robert Halleux, Le Savoir de la main, Paris, Colin, 2010.
60 Bacon, Novum Organum, I, aphor., 1 et Descartes, Discours de la méthode, éd. Adam et Tannery, VI, p. 62.
61 Article Grecs (Philosophie des), p. 908b.
62 Discours préliminaire, p. xxv/224.
63 Diderot déclare que, « Tout ce que nous savons découle de l’usage de nos sens & de celui de notre raison. Naturel ou révélé, ce sont des mots, des choses, ou des faits et qu’il est donc impossible de bannir l’arbitraire de cette grande distribution première » article Encyclopédie p. 640Ab. Quant à d’Alembert il évoque l’arbitraire dans le Discours préliminaire, p. xv et 102 : « Souvent tel objet qui par une ou plusieurs de ses propriétés a été placé dans une classe, tient à une autre classe par d’autres propriétés, & aurait pu tout aussi bien y avoir sa place. Il reste donc nécessairement de l’arbitraire dans la division générale. »
64 D’Alembert, Discours préliminaire, p. xv/101.
65 Article Encyclopédie, p. 641b.
66 Ibid.
67 Article Encyclopédie, p. 641a.
68 David Hume (1711-1776), Traité de la nature humaine (1739-1740), Paris, Aubier, 1968, traduction André Leroy 1946, Introduction, p. 59. Voir aussi Enquête sur l’entendement humain, nouvelle édition par Michel Malherbe, Paris, Vrin, 2008, et Michel Malherbe, La Philosophie empiriste de David Hume, Vrin, 4e éd. 2001. Hume contient des affinités avec d’Alembert plus intéressantes que Locke. Une étude sur d’Alembert et Hume apporterait beaucoup.
69 Voir Diderot, Œuvres complètes, Encyclopédie, Tome V, Paris, Hermann, 1976. Le texte du Prospectus est établi et annoté par Jacques Proust, p. 85-130. On le trouve sur le site http://encyclopedie.uchicago.edu où nous avons repéré dans un « 18th Volume » découvert à l’Université de Virginie, une édition du Prospectus de Diderot accompagné des Explications. Ce volume consiste dans le Recueil des Mémoires de Luneau de Boisjermain sur le procès qu’il a intenté aux Libraires de l’Encyclopédie et, à leur tour, le procès des Libraires contre ce souscripteur violent. On comprend que le texte du Prospectus soit là comme preuve de la souscription. On trouve ce Recueil maintenant sur Google books. Pourquoi l’avoir appelé « 18th Volume » ? Le volume 18 reste le premier volume de Planches…
70 Il s’en faut de beaucoup pour nous de dire que Diderot est aristotélicien mais simplement de restaurer ce classement dans le contexte philosophique dans lequel il a été produit. De surcroît, il ne faut jamais perdre de vue que les encyclopédistes critiquaient la scolastique, c’est-à-dire l’enseignement de la philosophie comme le commentaire christianisé de la philosophie d’Aristote, mais en aucun cas Aristote et la philosophie de « ce grand homme » pour reprendre une des expressions de d’Alembert.
71 Pour savoir où trouver les « termes abstraits, relatifs aux opérations de l’entendement », Diderot conseille à l’article Encyclopédie (Philosophie) de consulter « Aristote, Platon, Sextus Empiricus etc. », p. 638Aa.
72 Chez Chambers la « view of knowledge » ne comprend pas de théologie. La connaissance n’est pas répartie selon les trois facultés de l’entendement mais selon des branches où la connaissance apparaît soit naturelle ou artificielle, soit sensible ou rationnelle, soit interne ou externe. Cette classification était classique à l’époque de Chambers. La métaphysique est placée dans la connaissance rationnelle. On a mathématique, métaphysique et physique. Tout ceci se comprend aussi par rapport à l’objectif de Chambers qui était de faire connaître au monde entier le génie de Newton et que le point de vue chrétien restait une évidence. La Physique devait être la première science. On trouve sur le site de l’Encyclopédie dans le fameux « 18th Volume » ( ? sic.) signalé à la précédente note, la traduction du Tableau de Chambers par Diderot.
73 David Hume, Traité de la nature humaine, op. cit., Livre I. L’Entendement, Section I. L’origine de nos idées, p. 65.
74 Ibid., p. 66-67.
75 Voir L’Encyclopédie ou la création des disciplines, op. cit.
76 Encyclopédie, Eloge de Montesquieu, Tome V, 1755, p. xj.
77 Discours préliminaire, op. cit., p. xv/102.
78 Ibid., p. xvij/106.
79 Article Encyclopédie, p. 635b.
80 Discours préliminaire, op. cit., p. xjx/109-110.
81 Jean d’Alembert, Traité de dynamique, op. cit., p. viij.
82 Encyclopédie, Eloge de du Marsais, Tome VII, p. jx.
83 Voir David Hume, Traité de la nature humaine, I, section III : « Le rôle principal de la mémoire est de conserver non pas les idées simples mais leur ordre et leur position. » op. cit., p. 74.
84 « Une impression frappe d’abord nos sens et nous fait percevoir du chaud ou du froid [...]. De cette impression, l’esprit fait une copie qui reste après la disparition de l’impression ; c’est ce que nous appelons une idée. » Ibid., p. 72.
85 Article Encyclopédie, p. 642b. Nous soulignons.
86 Encyclopédie, Avertissement du tome III, p. ij.
87 Ibid., p. jv.
88 Ibid., p. v.
89 David Hume, op. cit., p. 275.
90 Avertissement du tome III, op. cit., p. jv et p. v pour la citation.
91 Ibid., p. vj.
92 Prospectus dans Discours préliminaire, op. cit., p. 21.
93 Discours préliminaire, op. cit., p. xviij/108.
94 Rappelons-nous les définitions de l’abstraction avec Du Marsais et ces oublis de notre esprit que Hume appelle les « idées effacées », op. cit., p. 75.
95 Discours préliminaire, op. cit., p. vj/81 et xviij/106.
96 Avertissement du tome III, p. jv.
97 Ibid., p. vj.
98 Ibid., p. xiij.
99 « Entre science et philosophie : la cosmologie dans l’Encyclopédie. D’Alembert et Maupertuis », Optics and Astronomy, Edited by Gérard Simon and Suzanne Débarbat, Vol. XII, Turnhout, Brepols, 2001, p. 185-194.
100 Kant, Histoire générale de la nature et théorie du ciel, Paris, Gallimard, La Pléiade, t. I, p. 55-58.
101 Newton, Traité d’Optique : « déduire des phénomènes de la nature deux ou trois principes généraux de mouvement, & nous expliquer ensuite comment les propriétés & les actions de toutes les choses corporelles découlent de ces Principes manifestes ; ce serait faire un progrès très considérable dans la philosophie, quoique les causes de ces principes ne fussent point encore découvertes. Sur ce fondement […] je laisse à d’autres le soin d’en découvrir les causes. » Livre III, p. 488-489.
102 Jean d’Alembert, Essai sur les éléments de philosophie (1759), op. cit., ch. XIII. « Grammaire », p. 100.
103 Discours préliminaire, op. cit., p. 128.
104 Ibid., article Eléments des sciences, p. 495b/248.
105 Article Eléments des sciences, op. cit., p. 491a/233.
106 Ibid., p. 491a/235.
107 René Descartes, Règles pour la direction de l’esprit, dans Œuvres philosophiques, tome I, éd. F. Alquié, Paris, Garnier, 1963, p. 119-120.
108 John Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain, (1690, 5e éd. 1706), Livre II, Chap. XII. Il faut bien voir une différence avec la position de Hume dont la définition de l’abstraction nous paraît plus proche de d’Alembert. Mentionnons le livre de François Duchesneau, L’Empirisme de Locke, La Haye, N. Nijhoff, 1973.
109 International Encyclopedia of United Science. Volume I, Number 1. « Encyclopedia and Unified Science », par Otto Neurath, op. cit., vol. 1, No 1, p. 1.
110 C’est peut-être pourquoi la philosophie de Spinoza peut se retrouver en accord avec certains encyclopédistes. La mise en avant du rationnel est aussi forte mais pas au service du même objectif. La nature ne saurait être la substance unique de Dieu. Ce que j’appelle rationalisme humien rapproche surtout d’Alembert de Kant sur un rationnel en rapport avec les facultés de l’entendement et non avec un raisonnement du type de l’induction. Sur le rapprochement avec Kant, voir Otto Neurath « Unified Science as Encyclopedic Integration », op. cit., p. 11-12. Egalement, Werner Heisenberg, La Partie et le tout. Le Monde de la physique atomique, (1969) Paris, Flammarion, 1990. Dans ce livre de souvenirs de 1920 à 1965, le chapitre X « Mécanique quantique et philosophie de Kant » reprend les discussions avec Grete Hermann sur « Les fondements philosophiques de la mécanique quantique ». Alors jeune philosophe, elle affirmait la supériorité de la philosophie de Kant sur la physique atomique de l’époque incomplète et contradictoire.
111 Voir l’article original de Pierre Caye, « Le chantier sans maître. L’Encyclopédie et la question de la technique », Revue Dix-Huitième Siècle, No 41, 2009, p. 449-467.
112 Descartes, op. cit., p. 116.
113 Article Eléments des sciences, op. cit., p. 494b/244.
114 Ibid., p. 494b/245.
115 Ibid., p. 495a/246.
116 Descartes, op. cit., p. 121 et 120.
117 Article Eléments des sciences, op. cit., p. 495b/248. Nous soulignons.
118 Ibid., p. 492b/239.
119 Descartes, op. cit., p. 121.
120 Ibid., p. 122.
121 Ibid., p. 154. Notre paragraphe suivant reviendra sur cette règle à propos de Moritz Schlick pour proposer la théorie de la connaissance comme une « suite » à la philosophie de l’Encyclopédie.
122 Ibid., p. 155.
123 Traité de dynamique, op. cit., Avertissement de la seconde édition. Nous soulignons.
124 Article Eléments des sciences, op. cit., p. 494a/243-244.
125 « Les notions les plus abstraites, celles que le commun des hommes regardent comme les plus inaccessibles, sont souvent celles qui portent avec elles une plus grande lumière. » Traité, op. cit., p. ij.
126 Encyclopédie au tome IV (1754) à l’article Différentiel, (paragraphe) article Calcul différentiel, p. 986 a.
127 Article Eléments des sciences, op. cit., p. 491b/236.
128 Nous sommes devant un des multiples exemples d’articles évoqués dans notre première partie. Il s’agit d’un seul article de d’Alembert Différentiel avec trois paragraphes : Calcul différentiel, Equation différentielle et Méthode différentielle. Il reste qu’il y a pour le dénombrement électronique quatre articles dont trois sont marqués sans classification au lieu d’un seul article en haute Géométrie.
129 Article Calcul différentiel, p. 985a. Nous soulignons.
130 Article Abstraction, p. 46b.
131 Article Fluxion (Géométrie transcendante), Tome VI, 1756, p. 922b – 923a.
132 Article Calcul différentiel, p. 985b.
133 Ibid., p. 986a.
134 Ibid, p. 986b.
135 Rudolph Carnap, La construction logique du monde, op. cit., p. 112, §. 43.
136 Ibid., p. 57.
137 « A universel application of logical analysis and construction to science in general was prepared not only by the systematization of empirical procedure and the systematization of logico-empirical analysis of scientific statements, but also by the analysis of language from different points of view, » ce qui le conduit vers Condillac, Otto Neurath, op. cit., p. 16-17. Nous avons dit par ailleurs que si d’Alembert cite Condillac dans le Discours préliminaire, il ne faut jamais perdre de vue d’une part qu’à chaque fois qu’il cite cet auteur il rappelle les dates de publication, à savoir le Traité de dynamique date de 1743 et le Traité des systèmes date de 1749 et, d’autre part que l’article Système en métaphysique, qui consiste dans une longue citation de Condillac, est anonyme. L’attribuer à d’Alembert constitue une erreur fondée sur la règle inacceptable que l’auteur du dernier article est l’auteur des articles précédents. Enfin d’Alembert, qui partage certaines idées de l’abbé, critiquera le manque de rigueur de l’auteur dans l’Essai sur l’origine des connaissances humaines (1746) dont tous les écrits sont publiés après sa découverte. C’est donc Condillac qui s’est inspiré de ses idées et non l’inverse. Quand il déclare que « le meilleur usage de l’esprit de système est de n’en point faire » c’est le système de Condillac qui est visé, voir D’Alembert [...] et l’Encyclopédie, op. cit.
138 Les commentateurs sur le Cercle de Vienne font référence plutôt à Comte ou au mieux à Duhem qu’à d’Alembert. Voir François Schmitz, Le Cercle de Vienne, Paris, Vrin, 2009, Ch. VI, « Neurath : physicalisme et Encyclopédie ». L’auteur ne s’interroge pas – et ce n’est pas le but de ce livre qui expose ces philosophies dans toute leur complexité – sur les raisons de Neurath a avoir choisi une « encyclopédie ». En revanche, Antonia Soulez pointe la référence directe au mouvement français des Encyclopédistes, même si c’est plus pour reprendre la thèse d’un Neurath/Marx-Diderot moderne que la thèse d’un Neurath-d’Alembert moderne, voir son introduction dans Manifeste du Cercle de Vienne, Paris, Vrin, 2010, p. 39 sqq. Pourtant ce Manifeste déclare clairement être scientifiquement orienté par l’esprit des Lumières !, p. 105, 106 sqq.
139 Article Eléments des sciences, op. cit., p. 493b/242.
140 Ibid., p. 495b/248-249.
141 Ibid., p. 491b/236.
142 Ibid., p. 492b/238.
143 Traité de dynamique, op. cit., p. i.
144 Ibid., p. iv. Il est possible de repérer une position similaire chez Carnap.
145 Article Eléments des sciences, p. 492a/238.
146 Arnauld et Nicole, La Logique ou l’art de penser, (1662 et 5e éd. complète 1683), I, ch. V. Ce chapitre renvoie à la Dioptrique de Descartes.
147 C’est au cours de cette définition que d’Alembert écrit la phrase, souvent citées que « La philosophie, sur que qu’objet qu’elle s’exerce, est la science des faits ou celle des chimères. » article Eléments des sciences, op. cit., p. 493a/240.
148 Ibid.
149 Rappelons que dans l’Encyclopédie l’empirisme, tout comme la sémiologie, se rapporte à la médecine. D’un point de vue moderne et large, on ne saurait nier que d’Alembert est matérialiste et empiriste dans le sens de la philosophie du Cercle de Vienne, c’est-à-dire que la logique est l’élément premier.
150 Article Eléments des sciences, op. cit., p. 496a/250.
151 Ibid., p. 492a/237.
152 Kant, Annonce sur le programme de ses Leçons pour le semestre d’hiver 1765-1766, Paris, Gallimard, Pléiade, tome I, p. 515. Dans ces pages, dix ans après d’Alembert qu’il avait parfaitement lu, Kant insiste sur le fait que la méthode spécifique de la métaphysique est analytique. Et plus loin, il définit l’ontologie comme « la science des propriétés générales de toutes les choses, dont la conclusion contient la distinction de la réalité spirituelle et de la réalité matérielle, ainsi que leur liaison et leur séparation, et par conséquent la psychologie rationnelle, » p. 518. Le point de départ des réflexions pourrait, sans conteste, trouver une source dalembertienne.
153 Werner Heisenberg, La Partie et le tout. Le monde de la physique atomique (Souvenirs, 1920-1965), Paris, Flammarion, Paris, 1972, p. 55. Il ne semble pas artificiel de le rapprocher de l’art de la réduction que nous avons précédemment abordé. Relisons : « Ce n’est donc point par des hypothèses vagues & arbitraires que nous pouvons espérer de connaître la Nature ; c’est par l’étude réfléchie des phénomènes, par la comparaison que nous ferons des uns avec les autres, par l’art de réduire, autant qu’il sera possible, un grand nombre de phénomènes à un seul qui puisse en être regardé comme le principe. » Discours préliminaire, op. cit., p. vj/82-83.
154 Hume écrit que : « C’est une opinion universellement reçue que l’esprit est de capacité limitée et qu’il ne peut jamais parvenir à une pleine et adéquate conception de l’infini. » Traité de la nature humaine, 2e partie, Section I. L’infini, qui n’est pour d’Alembert que du fini ajouté à du fini, est aussi traité par Hume dans le cadre du complexe.
155 Article Elemens des sciences, op. cit., p. 492b/239.
156 « Scientists may now build up systematical bridges from science to science, analyzing concepts which are used in different sciences, considering all questions dealing with classification, order, etc. », Otto Neurath, op. cit., p. 18. Nous soulignons. Se reporter au début du Manifeste du Cercle de Vienne, op. cit.
157 Ibid., « L’objectif général de l’International Encyclopedia of Unified Science est de rassembler les documents relatifs à l’entreprise scientifique dans son ensemble. Le travail ne sera pas une série d’articles classés par ordre alphabétique ; ce sera plutôt une série de monographies avec un index analytique performant, qui permettra de trouver la partie de l’information cherchée si l’Encyclopédie est utilisée comme un ouvrage de référence. », p. 24.
158 D’Alembert fonctionne en mathématicien. Il propose dans l’Encyclopédie une logique de construction qui va au-delà d’une méthode de composition interprétée comme une formalisation qui serait l’interprétation d’une forme, bien que ce point de vue soit également juste. Voir, Cahiers pour l’analyse, No 10 « La formalisation », Paris, Éditions du Seuil, hiver 1969. Selon notre interprétation, il s’agit de la mise en œuvre d’une méthode et cette application relève d’une logique qui ne convoque que le raisonnement. Elle se déploie dans les métaphysiques de la pensée scientifique.
159 Manifeste du Cercle de Vienne, op. cit., p. 110 et International Encyclopedia, op. cit., Vol. 1, No 1, Charles W. Morris, « Scientific Empiricism », p. 69-71.
160 Rudolph Carnap, op. cit., Préface à la seconde édition, 1961 (1re éd. 1928).
161 Ibid., Préface à la Première édition, p. 53-54.
162 Ibid., p. 54. Nous soulignons.
163 Article Elemens des sciences, op. cit., 1755, p. 493a/240.
164 Voir notre introduction.
165 Article Encyclopédie (Philosophie), p. 642Ab.
166 Jean d’Alembert, Eléments de Philosophie, Ch. III, première phrase.
167 Rudolph Carnap, op. cit., p. 54-55 pour les dernières citations.
168 Ibid., p. 60-65.
169 Moritz Schlick, op. cit., p. 98-99.
170 Cette question est posée à l’article Elemens des Sciences : « Définir, suivant la force du mot, c’est marquer les bornes & les limites d’une chose ; ainsi définir un mot, c’est en déterminer & en circonscrire pour ainsi dire le sens, de manière qu’on ne puisse, ni avoir de doute sur ce sens donné, ni l’étendre, ni le restreindre, ni enfin l’attribuer à aucun autre terme », p. 493b et 242. Toute la page 494 est consacrée aux définitions. C’est encore à propos des définitions que d’Alembert interroge dans le Discours préliminaire : « qu’est-ce qu’une Science ? sinon un système de règles ou de faits relatifs à un certain objet ; & comment peut-on donner l’idée de ce système à quelqu’un qui serait absolument ignorant de ce que le système renferme ? », p. xxxvij et p. 150. Enfin à l’article Dictionnaire (Ordre Encyclop. etc.)/ Dictionnaire de langues, il explicite le rôle des définitions aux p. 959-961.
171 Moritz Schlick, op. cit., Avant-propos de la première édition, p. 31-32.
172 Ibid., p. 31.
173 « L’Encyclopédisme dans les mots et les choses » dans Françoise Tilkin (dir.), L’Encyclopédisme au XVIIIe siècle, op. cit., p. 170.
174 Ibid., p. 29-30.
175 Ibid., p. 51-53. Voir la Logique du vivant, op. cit.
176 Ibid., p. 55-56 pour cette citation et celles qui suivent. Sur le même du rapport ou recherche de l’invariant voir D’Alembert et […] l’Encyclopédie. Citons à nouveau les deux avantages de la méthode de d’Alembert : « Les principes reçoivent toute la clarté dont ils sont susceptibles : ils se trouvent d’ailleurs réduits au plus petit nombre possible, & par ce moyen ils ne peuvent manquer d’acquérir en même temps plus d’étendue, puisque l’objet d’une Science étant nécessairement déterminé, les principes en sont d’autant plus féconds, qu’ils sont en plus petits nombres. » Traité de dynamique, Préface, op. cit., p. iij. Voir également l’explication du minimum chez Maupertuis par d’Alembert à l’article Cosmologie (Ordre encyclopédique...).
177 Ibid., p. 40.
178 Ibid., p. 146.
179 Werner Heisenberg, La Partie et le tout, op. cit., p. 55 sqq.
180 « La vérité exprimée par la célèbre formule de Kant selon laquelle ‘ les mathématiques ne sont pas applicables aux phénomènes du sens interne et à leurs lois’ est incontestable », Ibid., p. 390.
181 Moritz Schlick, op. cit., p. 80.
182 Ibid., p. 148.
183 Rudolph Carnap avance qu’avec Otto Neurath il a « développé au cours des débats du Cercle de Vienne la possibilité d’un système global des concepts sur une base physique », op. cit., p. 47.
184 « [...] au fond, la méthode que j’ai appelée au § 43, méthode extensionnelle, consiste simplement à appliquer un langage extensionnel à tout le système de constitution », ibid., p. 49. Otto Neurath soutient l’unité du langage scientifique.
185 Ibid., p. 152.
186 Encyclopédie, tome III, 1753, p. 889a.
187 Moritz Schlick, op. cit., p. 119-120.
188 Ibid., p. 166.
189 Rappelons qu’à l’article Dictionnaires des Sciences tant libéraux que méchaniques, d’Alembert compare le dictionnaire encyclopédique à une machine. Si on veut comprendre la machine, on doit la démonter pour en faire voir toutes les pièces. Après cette déconstruction, il faut chercher à « voir la liaison & l’analogie des différents objets, & l’usage des différents termes », tome IV, 1754, p. 968b.
190 Roger Hahn, Le Système du monde. Pierre Simon Laplace. Un itinéraire dans la science, op. cit.
191 W. Dilthey, Introduction à l’étude des sciences humaines (Einleitung in die Geisteswissenschaften). Essai sur le fondement qu’on pourrait donner à l’étude de la société et de l’histoire, traduit par Louis Sauzin, Paris, PUF, 1942, p. 19 : citation de Laplace, Essai sur les probabilités, Paris, 1814, p. 3.
192 Article Elemens des sciences, op. cit., p. 491b/235-236.
193 Roger Hahn, op. cit., p. 60. L’auteur insère d’ailleurs une note qui renvoie au Discours préliminaire, p. ix/88, sur l’univers embrassé d’un seul point de vue. Nous reprenons ici les p. 60-65.
194 Wilhelm Dilthey, op. cit., 1942, p. 20.
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