1Note portant sur l’auteur1

2Les changements qui interviennent dans une entreprise sont parfois provoqués par des événements dont l’importance est telle que la poursuite de son activité, quand bien même elle n’est pas menacée, n’est plus possible dans les conditions antérieures. C’est précisément ce qui s’est produit à la RATP, avec un grand conflit révélateur à partir duquel la nécessité d’un changement profond s’est très vite imposée. La réflexion qui s’en est suivie a conduit à la décentralisation des structures de l’entreprise dont la conséquence immédiate a été un déplacement des pouvoirs existants.

3Dans la période qui a suivi, il est vite apparu un décalage entre les nouveaux lieux de dialogue créés par la réorganisation de l’entreprise et la reconnaissance des acteurs appelés à se rencontrer à ses différents niveaux. En 1996, parachevant la décentralisation des structures et la mise en place de nouvelles institutions représentatives du personnel (comités d’établissement, élargissement de la notion d’établissement au sens des délégués du personnel), un accord a été conclu avec la majorité des organisations syndicales qui, repositionnant le voyageur au centre des préoccupations des partenaires sociaux, crée les conditions d’un dialogue social adapté aux nouvelles structures ; concertation et négociation en sont les deux axes clés.

VERS UN DÉPLACEMENT DES POUVOIRS EXISTANTS

Le conflit révélateur et son interprétation

4Origines. Au départ de la modernisation des structures de la RATP se trouve un grand conflit révélateur des lourdeurs de fonctionnement de l’entreprise. Ce conflit survient à l’automne 1988, après un mouvement social sur une ligne du RER. Il a pour particularité de se prolonger puisqu’il dure une quinzaine de jours. Satisfaction est finalement donnée aux agents concernés, les conducteurs de la ligne A, qui vont percevoir une prime pour la mise en service d’un nouveau système d’exploitation. Mais, dès le lendemain de la fin de ce conflit, le mécontentement apparaît dans un atelier de la ligne B chargé de la maintenance du matériel RER, l’atelier de Massy, situé sur la branche sud de la ligne B (on est alors le 26 octobre), suivi par d’autres ateliers à partir du 4, et jusqu’au 14 novembre (successivement les ateliers du RER de Rueil, Boissy et Montrouge). En deux semaines, tous les ateliers d’entretien du RER sont touchés et la maintenance n’est progressivement plus assurée, ce qui, ajouté à une stratégie d’occupation des ateliers et des faisceaux de voies, va provoquer la fermeture des lignes du RER pour la première fois depuis sa création le 26 novembre. Ce conflit va connaître une propagation rapide dans l’entreprise, au point que des ateliers du métro vont être également touchés, entraînant la fermeture de lignes ; le réseau de surface sera aussi affecté dans certains dépôts.

5Revendication apparente et revendication réelle. La revendication qui est mise en avant par les agents de la maintenance est de nature salariale : 1000 francs mensuels supplémentaires au titre du rattrapage du pouvoir d’achat. Pour défendre cette revendication, ils prennent appui sur la nouvelle organisation du travail qui, dans une recherche d’optimisation des moyens et de diminution des coûts, tend à réduire les temps d’immobilisation des rames pour les révisions. Cette gestion à flux tendu du matériel roulant fragilise le système en cas de conflit durable ; elle renforce a contrario le pouvoir de pression des agents concernés.

6Cependant, si forte que soit la réclamation pécuniaire, on va s’apercevoir, au fur et à mesure du déroulement du conflit, que la somme demandée revêt une dimension symbolique, de l’ordre du désir de reconnaissance. Les ouvriers estiment qu’ils ont été laissés en marge des évolutions dont ont bénéficié d’autres catégories, les roulants notamment et les conducteurs du réseau ferré. Leur mouvement traduit donc aussi une volonté d’affirmer leur identité, à un moment où ils ont le sentiment qu’ils disposent, pour la première fois de leur histoire, d’un levier tout à fait important : le pouvoir de blocage du réseau.

7La confusion qui s’ensuit entre la découverte de cette force et la volonté de défendre une identité collective va constituer un facteur aggravant du conflit car les ouvriers vont être de plus en plus convaincus que leur action doit aller jusqu’à la satisfaction de leurs revendications, sans concession aucune.

8Mais ce conflit ne montre pas seulement que les ouvriers peuvent faire valoir un rapport de forces qui leur soit favorable ; il est aussi le révélateur de dysfonctionnements dans l’entreprise.

9L’encadrement local en question. Les ouvriers avancent plusieurs critiques du système existant et lui reprochent son impuissance à apporter des réponses satisfaisantes à leurs yeux. Condamnation du défaut de perspectives de carrière, absence de contreparties aux efforts déployés pour s’adapter aux nouveaux modes de fonctionnement, aux nouvelles technologies, à la recherche de la qualité, mauvaise définition du lien entre la formation reçue et les responsabilités confiées. Premier visé de ces critiques, l’encadrement local2 dont les ouvriers estiment qu’il n’a pas évolué, reste dans une vision encore militaire de son rôle et ignore l’individu.

10Même si l’encadrement local peut exprimer – à travers des enquêtes et des interviews – des aspirations à voir ses tâches évoluer dans le sens d’une plus grande responsabilisation, la perception qu’en ont les ouvriers est principalement celle d’un groupe replié sur lui-même n’ayant guère le souci d’aller au-delà de sa mission qui est de faire en sorte que « ça tourne » et dont ils ont une vision avant tout technicienne.

11La représentation du personnel en question. Lorsque la fin de la grève peut être espérée avec l’accord signé le 7 décembre (par la CFDT, la CFTC, FO et les autonomes, sur la base d’une prime de 300 francs), les causes premières du conflit des ouvriers ont été diluées dans ce que l’on appellera « la globalisation », c’est-à-dire une réappropriation par les organisations syndicales, aux fins de généralisation, de la revendication salariale, laissant par conséquent de côté la question identitaire de fond posée initialement par les opérateurs de maintenance. Dans cette opération, la CGT, organisation largement majoritaire dans le secteur (entre 70 % et 80 % des voix), entend récupérer les fruits de ce conflit qu’elle n’a pas vu venir et en faire une opportunité pour entraîner derrière elle les autres catégories d’agents de l’entreprise dans un conflit majeur contre la direction. De ce point de vue, la réappropriation par les superstructures syndicales (car d’autres syndicats vont procéder à l’identique de la CGT) montre l’inertie du système de représentation du personnel tout entier tourné vers le sommet de l’entreprise et, par conséquent, son incapacité à s’inscrire dans une vision des relations sociales partant du terrain. Une nouvelle illustration en est donnée par l’attitude des agents de la maintenance qui refusent de cesser leur grève après la signature de l’accord. Ce n’est que sous la pression de l’opinion publique que, après plusieurs jours encore, la CGT va finalement appeler à la reprise du travail, sans signer l’accord pour autant.

12Le mode de management de l’entreprise en question. Dans cette recentralisation du débat social, la volonté des organisations syndicales rencontre une direction dont les modes de fonctionnement sont tournés tout entiers vers une concentration au sommet du pouvoir de décider. Objectivement, syndicats et direction ont donc une nouvelle occasion de reproduire un schéma qu’ils connaissent bien, celui du modèle des relations sociales en vigueur depuis une quarantaine d’années, fondé sur la confrontation des superstructures. Mais, pas plus que l’accord ne résout la question initiale des agents de la maintenance, il ne règle les réels dysfonctionnements qui sont apparus clairement à l’occasion de ce conflit : imprévision, impréparation de l’encadrement de terrain, discrédit de la direction générale qui a dû faire appel à un médiateur3.

13Au début de 1989, une réflexion s’engage au sein de la direction générale qui vise à tirer les enseignements de ce conflit pour l’entreprise.

La mise en place des nouvelles structures : vers un déplacement des pouvoirs

14La réaction va s’opérer selon deux axes :

• Puisque la centralisation des structures n’a pas permis de prévoir ni de gérer le conflit, il faut les organiser de telle sorte qu’elles permettent une meilleure anticipation, une meilleure prise en charge des attentes des agents, une meilleure réactivité. Cette réflexion conduit à la décentralisation des structures qui induit une réduction du nombre des niveaux hiérarchiques et jette les bases de la responsabilisation du management décentralisé.
• Comme les organisations syndicales en sont restées à des positionnements d’appareils, il va falloir mettre en place de nouvelles institutions représentatives du personnel, décentralisées cette fois, plus proches des agents.

15Cette nouvelle donne structurelle va conduire à la nécessité de nouveaux équilibres politiques.

16a) La nouvelle donne structurelle se caractérise par l’affirmation de trois niveaux de responsabilité : la direction générale, les départements et les unités opérationnelles.

17Traduite en conditions de représentation du personnel, cette organisation va entraîner la création de comités d’établissements – chaque établissement regroupe une activité majeure de l’entreprise (bus, métro, RER...) – et d’un comité central d’entreprise d’une part, ainsi que la création d’établissements au sens des délégués du personnel au niveau des unités opérationnelles, techniques ou de soutien, ainsi que dans les départements de type tertiaire.

18Ce processus de démultiplication des instances de représentation du personnel va aboutir progressivement à l’identification des problématiques spécifiques à chacune de ces nouvelles entités. Il existe en effet une graduation entre ces instances. Ainsi, le comité d’établissement du métro regroupe-t-il une communauté de quelque dix mille agents, mais une ligne de métro, qui est une unité opérationnelle, représente un établissement au sens des délégués du personnel de quelque six cents agents.

19Dans une entreprise où la tradition centralisatrice était très forte, ces nouvelles structures de représentation du personnel vont conduire à un bouleversement des relations sociales en imposant l’émergence de nouveaux acteurs à des niveaux jusque-là ignorés, bien qu’ils fussent, administrativement, économiquement et socialement, des entités identifiées. Il faut donc voir dans l’évolution des relations sociales qui a fait suite à la décentralisation la conséquence de l’affirmation d’une volonté politique venue de la direction générale.

20b) De nouveaux équilibres politiques vont naître de la mise en place des nouvelles institutions représentatives du personnel. Dans chaque comité d’établissement, le président va avoir avec lui des représentants du personnel directement mandatés par le personnel de l’établissement pour le représenter et s’exprimer en son nom. Dans les unités opérationnelles, les délégués du personnel vont également représenter le personnel directement auprès du chef d’établissement, légitimés par le suffrage des électeurs et nantis des prérogatives conférées par la loi. Face à ces délégués du personnel, le directeur de l’unité n’est pas seulement le représentant de la direction, il est aussi celui qui, à son niveau de responsabilité, peut apporter les réponses aux questions qui lui sont posées à la condition qu’elles tombent dans son champ de compétence.

21L’ensemble de ces acteurs nouveaux, dans les départements et dans les unités, vont apprendre à travailler ensemble, à développer les moyens de rendre leurs relations plus constructives, plus efficaces. Bien sûr, les évolutions sont inégales et dépendent très étroitement de la qualité des hommes et des femmes en présence, mais on observe très vite que le déplacement du pouvoir s’opère de manière irréversible dans le sens souhaité par la direction générale. Car ce qui se joue n’est rien d’autre que le traitement en local des questions qui peuvent être abordées plus avantageusement pour l’entreprise à ce niveau. Et c’est bien, en effet, le sens de la décentralisation.

22Mais alors que l’habitude commence à être prise à tous les niveaux, entre les représentants de la direction et les élus du personnel, de développer de nouveaux comportements, des organisations syndicales font valoir auprès de la direction générale que des chefs d’établissement dans les unités opérationnelles tenteraient d’introduire la négociation à leur niveau par l’entremise des délégués du personnel. Outre la contestation de la pratique en ce qu’elle peut conduire à une confusion des rôles entre les délégués du personnel et les organisations syndicales, on sent bien que cette critique soulève également la question du rôle croissant qui est pris par les délégués du personnel par rapport aux structures syndicales encore fortement centralisées.

23Ainsi donc se trouve posée en des termes on ne peut plus clairs, la question de la concertation et de la négociation. Mais si, d’un point de vue syndical, le débat est de l’ordre de la nature de la représentation du personnel, pour la direction, en revanche, il procède de la complexité du dialogue social et de la nécessaire clarification des responsabilités et des rôles des différents acteurs.

LES CONDITIONS D’UN DIALOGUE SOCIAL RESPONSABLE

En finir avec les grèves qui pénalisent les voyageurs

24Jeter les bases d’un dialogue social constructif n’est concevable que si les partenaires sociaux dans leur ensemble, c’est-à-dire, les organisations syndicales et la direction, sont d’accord sur un minimum de pratiques. Or un contentieux très lourd oppose les organisations syndicales à la direction, relatif à l’exercice du droit de grève. Les syndicats invoquent le fait que la Constitution défend l’exercice de ce droit pour en faire un usage que la direction considère comme dommageable pour l’entreprise, la mettant souvent dans l’incapacité d’assumer sa mission de service public et négligeant totalement le voyageur qui est pourtant au cœur même de son activité. Même si la CGT est le syndicat qui dépose le plus de préavis, tous les autres sont concernés à des degrés divers. Or la grève coûte cher à l’entreprise, de l’ordre de 0,5 jour par agent entre 1990 et 1994 en moyenne. Pour la direction, il ne fait aucun doute que le préavis de grève est devenu un élément clé de la stratégie syndicale, un moyen de pression passe-partout qui tient lieu de réflexion alors qu’il est tout au contraire la banalisation de l’exercice du contre-pouvoir dans l’entreprise.

25À partir de 1991, la direction engage une série de contestations des préavis de grève déposés selon des modalités qui lui paraissent constituer autant de manquements aux prescriptions légales. La RATP va obtenir gain de cause dans la quasi-totalité des affaires et sera à l’origine d’une jurisprudence copieuse sur les modalités d’exercice du droit de grève dans les services publics.

26Des actions en justice pour expliciter l’exercice du droit de grève, c’est une chose, travailler au changement des comportements en est une autre. Si la direction générale sait bien quelles peuvent être les limites de ses actions, elle sait aussi qu’elles peuvent avoir une vertu pédagogique sur les organisations syndicales – à tout le moins certaines d’entre elles – avec lesquelles il pourra devenir possible de jeter les bases d’un nouveau dialogue social.

Reconstruire les pouvoirs autour du voyageur

27Puisque les voyageurs sont au cœur de l’activité de l’entreprise, que la grève les pénalise en premier lieu et que les organisations syndicales souhaitent réaffirmer leur pouvoir face aux institutions représentatives du personnel, il y a dans cette convergence des facteurs mêmes de la démarche que la direction va proposer aux syndicats à partir de 1995. Faisant le constat que la qualité du dialogue social n’est pas à la hauteur des moyens qu’elle met à la disposition des organisations syndicales, la direction leur propose la constitution d’un groupe de travail au sein duquel les avis pourront être formulés sans aucune contrainte, avec pour seul engagement, si l’on peut dire, celui d’écouter l’autre.

28Toutes les organisations syndicales vont participer à ce groupe d’échanges et aller jusqu’à son terme. Quand les contacts se poursuivent, mais sous la forme de rencontres bilatérales, les positions de la direction et de la majorité des organisations syndicales finissent par converger sur un dispositif qui, réaffirmant l’exclusivité des organisations syndicales à conclure des accords collectifs, reconnaît également le voyageur comme étant la finalité première du dialogue social.

29L’accord, conclu le 30 mai 1996, trace le cadre et les modalités des relations sociales dans l’entreprise. Il est signé par les organisations syndicales CFDT, CFTC, CGC, CSA, FO, FSI, représentant à l’époque 53 % des voix ; seule la CGT n’est pas signataire.

30Il institue des acteurs nouveaux en la personne des délégués syndicaux. Ces représentants syndicaux ont vocation à conclure des accords collectifs aux trois niveaux de l’entreprise définis par l’accord et dans des conditions dûment établies. Premier des trois niveaux, celui de la direction générale a vocation à être le lieu où sont arrêtées les dispositions qui intéressent l’entreprise tout entière. Deuxième niveau de négociation, les établissements au sens des comités d’établissement où l’on peut négocier par métier4. Troisième niveau, celui des unités opérationnelles où la négociation peut concerner tout ce qui touche à la mise en œuvre au niveau local des accords conclus à un niveau différent, ou des aspects spécifiques à l’unité.

31La mise en place d’acteurs nouveaux, la définition des niveaux de négociation sont autant de moyens de créer les conditions d’un dialogue social dont le voyageur puisse percevoir l’efficacité à travers la qualité du service dont il bénéficie. Et pour que cette finalité soit bien claire pour chacun des signataires, l’accord rappelle que la grève constitue un échec du dialogue social, qu’elle doit constituer le dernier recours des organisations syndicales quand toutes les formes de conciliation possibles ont été épuisées et que, le cas échéant, elle doit se dérouler de la manière la moins pénalisante possible pour les voyageurs5.

32Le dispositif de l’accord donne une légitimité aux acteurs sociaux de l’entreprise pour qu’ils travaillent ensemble sans renoncer à être eux-mêmes. Cela signifie que, dans la construction du dialogue, on ne va pas réserver l’objet des rencontres entre les organisations syndicales et la direction à la seule négociation. On va introduire l’idée que, comme préalable à toute négociation, il y a une phase de concertation. C’est une grande innovation dans notre perception des choses, parce qu’à travers ce passage obligé par la concertation, on va mettre en place des dispositifs de partage de l’information. Des dossiers vont être partagés entre la direction et les organisations syndicales ; l’information, en quelque sorte, va être échangée de façon systématique avant même l’échange des points de vue. Cette méthode va permettre aussi de clarifier les rôles respectifs de la concertation et de la négociation. L’accord rappelle lui-même que « la concertation est une démarche par laquelle la direction procède à une consultation des groupes de syndicats représentatifs avant de prendre sa décision », alors que « la négociation est une démarche par laquelle la direction et les organisations syndicales se rencontrent pour exprimer leurs positions en vue d’aboutir à un accord ».

33De la concertation à la négociation, on passe par la décision d’entrer en négociation ou non. Soit à l’issue de la concertation, les parties estiment qu’il n’y a pas matière à négocier et, dans ce cas, la direction peut prendre de manière unilatérale les dispositions qu’elle estime nécessaires, soit décision est prise de négocier et, dans ce cas, la négociation s’engage alors que chacune des parties est parfaitement consciente des conditions dans lesquelles la discussion se poursuit.

34Cela étant, la question de l’articulation entre la négociation et la concertation reste parfaitement d’actualité au regard des conditions mêmes du dialogue social. Au cours des discussions préalables à la signature de l’accord, il est apparu que les organisations syndicales posaient toutes une question de fond qui est celle de la relation entre les négociations et le rôle des instances représentatives et, singulièrement, des comités d’établissement. Le compromis auquel aboutit l’accord est respectueux des prérogatives de cette instance et de celles des organisations syndicales : lorsqu’une négociation est entamée, l’information est donnée au comité d’établissement de l’ouverture de la négociation et, quand elle est terminée, le comité d’établissement est informé de son issue. Et c’est seulement dans la mise en place de l’accord que le comité d’établissement exerce sa compétence au regard du respect à la fois des textes statutaires et du Code du travail.

35Dans la phase de négociation se pose aussi la question de la responsabilité des partenaires. Elle est clairement établie par un mode de fonctionnement prescrit par l’accord qui conduit à la rédaction en commun d’un constat de désaccord en cas d’échec. Les partenaires sociaux ont en effet considéré qu’il est très important de se dire : « On ne peut pas se quitter comme si rien ne s’était passé. Même si nous n’avons pas abouti, nous en savons plus sur la vision que l’autre a de la question et nous avons exprimé notre point de vue. »

36Cette responsabilité dans la conduite de la concertation/négociation, on la retrouve dans la mise en place de l’alarme sociale qui constitue une procédure d’anticipation des conflits. L’alarme sociale est un système par lequel une organisation syndicale, mais aussi la direction, car c’est un droit réciproque, agit à l’égard de l’autre pour dire : « Ici il y a un problème, et si on ne le règle pas, il va générer probablement un conflit. »

37La procédure mise en place oblige la partie qui dépose une alarme sociale à présenter un dossier à l’appui de sa demande. Une rencontre a lieu dans les cinq jours qui suivent cette demande entre la direction et l’organisation syndicale. À l’issue de cet entretien un constat est rédigé en commun. Il établit soit l’accord, soit le désaccord des parties et est rendu public. Cette procédure ne remet en cause à aucun moment l’exercice du droit de grève. L’engagement de déposer une alarme sociale est avant tout d’ordre moral, il n’altère en rien la capacité des organisations syndicales à déposer un préavis de grève, soit qu’elles renoncent à recourir à l’alarme sociale, soit qu’elles estiment qu’en cas de désaccord, l’appel à la grève est la seule issue possible.

CONCLUSION

38Ainsi donc, tous les mécanismes mis en place pour l’approfondissement du dialogue social dans le cadre de l’accord du 30 mai 1996 ont pour préoccupation centrale le maintien à un haut niveau de la capacité de l’entreprise à assurer un service de qualité au voyageur. Au regard de l’expérience passée depuis bientôt trois ans, on peut considérer que des progrès importants ont été réalisés, que l’on peut ainsi résumer :

• vigueur de la politique contractuelle ;
• évolution des comportements ;
• ancrage de l’alarme sociale comme outil de dialogue et de prévention des conflits.

La vigueur de la politique contractuelle

39Après 1996 et 1997 qui ont été des années exceptionnelles du point de vue de la négociation collective (huit accords d’entreprise ou de département conclus en 1996 ; sept en 1997), 1998 a vu la conclusion de six accords.

40Mais, plus que par leur nombre, ces accords sont importants par leur diversité « symbolique » :

• l’accord salarial est le premier du genre à être signé majoritairement depuis 1981 ;
• deux accords ont été signés, qui concernent les personnels de conduite exclusivement – c’est une première dans l’entreprise – et l’accord relatif aux machinistes a été conclu à l’unanimité des syndicats représentatifs ;
• la CGT a signé deux des cinq accords dans des secteurs où elle ne s’était jamais engagée auparavant. Au département bus, pour les machinistes (CGT-bus), et au département « commercial » (CGT maîtrise), où l’accord est également majoritaire.

L’évolution des comportements

41En 1998, le nombre des préavis de grève déposés n’a jamais été ausi bas depuis 1990, avec 213 contre 339 en 1997 et 228 en 1996. Mais le plus important est la diminution du nombre de jours de grève par agent qui était de 0,62 en 1990 et qui passe à moins de 0,20 en 1998, augmentant d’autant la disponibilité du personnel au service du voyageur. On constate en fait que l’observation faite en 1997, suivant laquelle les agents s’impliquent moins naturellement que par le passé dans un mouvement collectif, est plus que jamais d’actualité en 1998. Ainsi, 60 % des préavis de grève ont été suivis par moins de 10 % de la population concernée, et plus de la moitié d’entre eux par aucun agent.

L’ancrage de l’alarme sociale comme outil de dialogue

42Parallèlement à la réserve grandissante des agents pour se mettre en grève, l’alarme sociale devient un outil de prévention des conflits et de dialogue social qui s’inscrit concrètement dans les relations sociales au sein de l’entreprise. Il a été déposé autant d’alarmes sociales en 1997 et en 1998 (103). Cependant, une évolution notable doit être signalée puisque 75 % des alarmes sociales ont été suivies d’un constat d’accord en 1998 contre 50 % en 1997. Moins de dix préavis de grève ont été déposés après une alarme sociale, démontrant ainsi la contribution de cette procédure à l’instauration d’un climat social qui permet aux interlocuteurs de s’expliquer et de rapprocher leurs points de vue sans la menace d’une grève.

43La conjonction des facteurs qui viennent d’être rappelés peut expliquer que l’année ait été socialement calme en dépit d’événements qui auraient pu, en d’autres temps, causer quelque effervescence dans l’entreprise, comme la Coupe du monde et les élections des représentants du personnel dans les comités d’établissement et des délégués du personnel, souvent propices à une tension accrue. Ces élections ont d’ailleurs montré que le personnel de l’entreprise était à la fois plus mobilisé que par le passé pour choisir ses représentants et plus critique sur le choix des organisations syndicales : la participation de 68,44 % pour les élections dans les comités d’établissement a été la plus forte jamais enregistrée depuis la mise en place du comité d’entreprise de droit commun en 1984. Quant au soutien des organisations syndicales, il est allé manifestement en faveur des syndicats qui s’impliquent avec le plus de constance dans la politique contractuelle et s’inscrivent dans l’esprit de l’accord de 1996, et parmi eux la CFDT qui progresse de près de 3 % des voix alors que la CGT, globalement peu engagée dans la politique contractuelle, recule de plus de 5 %.