Innovation et contenus numériques : un arrêt sur image sur dix ans de projets d’incubation TIC
p. 181-201
Texte intégral
1Fin 2009, l’incubateur multimédia Belle De Mai à Marseille fêtait ses dix ans d’existence – « 10 ans de Mutations numériques », – soit une centaine de projets d’entreprises du domaine des industries de contenus numériques accompagnés sur le territoire national.
2Cet événement anniversaire donnait l’occasion à l’incubateur et ses partenaires de revenir sur dix années de soutien à la création d’entreprises innovantes. Pour les chercheurs que nous sommes, impliqués dans l’aventure en tant qu’experts au sein du comité d’engagement de l’incubateur, c’est l’opportunité d’investir cette fenêtre historique pour apporter des éléments de compréhension aux mutations sociétales et numérique de notre environnement. Nous conduirons une analyse des projets, considérés au moment de leur entrée en incubation, c’est à dire au regard des intentions exprimées dans leur dossier de présentation devant les différents comités de sélection.
3Cette démarche a été conduite en étroite collaboration avec le directeur de l’incubateur multimédia Belle de Mai, Jean-Pierre Brocart, ainsi que ses services. Une telle coopération a permis d’exploiter la base de données relative aux projets soutenus au titre de leur caractère innovant par l’incubateur, données non accessibles à des tiers extérieurs à l’incubateur. Par ailleurs, la qualification des critères relatifs à chaque projet a été le fruit d’un travail collectif entre nous et l’incubateur, apportant une valeur ajoutée significative à l’information que nous pouvions traiter.
4Cette décennie 2000-2010 est significative tant du point de vue des évolutions technologiques que socioéconomiques et économiques car elle couvre le multimédia, depuis son émergence jusqu’à la maturation de dispositifs et la diffusion de produits et services vers le grand public. Dans le vaste et riche domaine des contenus numériques, s’effectue ainsi le passage de 2000, année des scories du off-line et des auteurs monoproduit, à 2010, année du total web et des auteurs intégrateurs de briques producteurs de services et d’intermédiation ; de l’année des usagers consommateurs à l’année des usagers contributeurs ; de celle où les chaînes éditoriales se calquent sur le modèle du livre à celle où les chaînes de production et de valorisation sont totalement recomposées.
5Disposions-nous pour autant de traces, non seulement représentatives de l’innovation soutenue, mais par ailleurs exploitables sur le plan scientifique ?
6La réponse est positive, et ceci d’une part en raison de l’origine et la nature des données. En effet, l’incubateur multimédia Belle de Mai, contrairement aux autres incubateurs pluridisciplinaires ou pluritechnologiques, s’intéresse à un objet/secteur unique : les technologies de l’information et de la communication, dans leur dimension contenus (numériques) et leurs usages. À ce titre, cet incubateur a développé une véritable compétence sur le transfert de connaissances dans les environnements numériques, avec une approche dédiée à ce domaine.
7Par ailleurs, les termes de cette approche ont été (et sont toujours) appliqués aux projets de création de produits et services de contenus numériques entrant, c’est-à-dire éligibles à l’accompagnement du point de vue de l’innovation. Recueillis et traités sous la forme d’une base de projets, ces données constituent un corpus significatif, correspondant à une centaine de projets, homogène au plan des critères d’analyse, émanant d’une démarche pérenne de soutien à l’innovation.
8Notre objectif en investissant ces dix ans de traces d’incubation vise à rendre tangible et exploitable une trace de l’accompagnement à l’innovation dans le domaine des industries de contenus numériques, et contribuer ainsi « au capital connaissances » et « au capital expérience » dans ce domaine. Nous ambitionnons que les enseignements tirés de ces travaux soient utiles à l’incubateur multimédia Belle de Mai, dans son périmètre d’action national, mais aussi dans le cadre des partenariats d’ingénierie à l’innovation mis en place dans le domaine des TIC, avec les pays des deux rives de la Méditerranée. Pour ces pays, Belle de Mai présente un double intérêt : en tant que porteur d’une démarche intéressant les dynamiques de création en général, et par ailleurs appliqué à un domaine, les TIC, dont il est acquis qu’il est au cœur de la réussite de l’intégration euro-méditerranéenne et véritable vecteur de progrès.
9Le résultat de cette étude prendra la forme d’un constat, l’objectif étant de susciter de futurs travaux de recherche, à partir de pistes repérées et suggérées en conclusion.
Cadre général de l’étude : le contexte du recueil et de l’interprétation des données
10Relevant de la loi du 12 juillet 1999 sur l’innovation et la recherche ainsi que de l’appel à projets la même année concernant l’incubation et le capital d’amorçage des entreprises technologiques1, l’incubateur multimédia Belle de Mai s’est positionné dès janvier 2000 comme un incubateur à rayonnement national spécialisé dans le domaine des industries numériques à dominante « contenu ». Une autre de ses particularités est d’avoir intégré à sa démarche et celle des entreprises accompagnées la dimension des usages, et ceci en avance dans le contexte général de l’époque qui privilégiait les technologies.
Le multimédia de contenu : un sous-domaine des TIC qui s’est précisé au cours du temps
11Le MINEFI, dans son rapport « Technologies clés 2010 »2 souligne « le rôle central [dans les environnements numériques] des contenus en tant que maillon essentiel de la chaîne de communication qui rétroagit sur les technologies ». Les contenus y sont définis comme « la variété des applications rendues possibles par les réseaux de communication, couvrant à la fois le signal, le texte, les images, la vidéo, les programmes informatiques et les services […] dont le cycle de vie comporte trois phases : acquisition, représentation, distribution ».
12Pour B. Miège (2007), « les contenus sont aussi bien des contenus informatifs (grand public ou professionnels spécialisés), culturels, ludiques, ludiques-distractifs, éducatifs que documentaires. Ils sont accessibles à la fois sur des supports (contenus matérialisés), en ligne (via des médias ou directement sur des plates-formes) ou via des outils dédiés. Ils sont produits selon les logiques de production des industries culturelles et médiatiques, ou de la production indépendante, mais également plus récemment par des usagers-producteurs prenant appui sur les TIC (blogs, vidéos, animation, etc.) ».
13Il est désormais communément admis que les contenus dans les industries numériques sont matérialisés par des objets très divers : œuvres, info-services, médias on-line, dessins animés, musiques, jeux vidéo, cédéroms éducatifs ou ludo-éducatifs, portails Internet, banques de données, sites web, blogs, animations 3D, présentations interactives, simulations, programmes mobiles, etc. Ces contenus deviennent éducatifs ou culturels lorsqu’ils visent le secteur éducatif ou institutionnel (collectivités, acteurs du développement culturel, touristique, patrimonial, etc.). Le grand public ou les secteurs professionnels représentent d’autres champs d’applications potentiels.
14Au regard de ces dix années d’incubation, quelles traces retrouve-t-on de cette évolution de sens, liée tout autant aux mutations des technologies qu’à la transformation des usages ?
Un corpus de données en corrélation avec les missions d’incubation
15Les missions suivantes sont dévolues aux incubateurs :
- la détection et l’évaluation de projets de création d’entreprises au sein d’établissements d’enseignement supérieur ou d’organismes de recherche ;
- l’hébergement et le soutien logistique des porteurs de projets d’entreprises et des entreprises nouvellement créées ;
- l’accompagnement de créateurs dans l’élaboration de leur projet d’entreprise, notamment dans les domaines organisationnel, juridique, industriel, commercial et pour le recrutement de l’équipe de direction ;
- l’information et la mise en relation entre industriels, gestionnaires, financiers et scientifiques pour la création et le financement d’entreprises ;
- la formation de créateurs d’entreprises.
16Le projet d’incubation de chaque créateur d’entreprise a une durée de 24 mois. Un contrat d’incubation formalise la sélection de ce projet et lie l’incubateur et le porteur de projet dans des termes bien définis.
17Les données alimentant notre étude sont celles correspondant à la phase de détection et d’évaluation des projets de création d’entreprises, et donc relatives aux seuls projets ayant pu accéder au statut d’incubation (soit 111 sur un total de 500 projets reçus en dix ans).
18Ces données font l’objet d’une organisation répondant pour partie aux critères de suivi définis et codifiés par le ministère de tutelle : date d’entrée et de sortie des projets ; signalement (titre, descriptif) ; secteur technologique d’appartenance (logiciels, application, multimédia, services).
19Ces critères, jugés insuffisants pour une représentation significative des projets, ont été complétés pour cette étude par des critères définis par nous-mêmes ou introduits par les responsables de l’incubateur, ceux-ci se ventilant selon la typologie suivante :
- les dispositifs technologiques mobilisés (CD/DVD, web 1.0, web 2.0, VOD/TV/Ciné, Objets communicants, 3D immersif) ;
- les modèles socioéconomiques appliqués en référence aux industries culturelles3 (éditorial ; flot ; compteur, club, courtage) ;
- les terrains d’usage envisagés (culture [A] ; santé, vieillissement [B] ; rencontre mariage [C] ; sport [D] ; télécommunications [E] ; informatique [F] ; jeux vidéo [G] ; publicité [H] ; finances [I] ; tourisme [J] ; agroalimentaire [K] ; transport, logistique [L] ; enseignement, formation [M] ; image et son [N] ; analyse de données, conseils [O]).
20Nous sommes conscients que ces données introduites par nous-mêmes ou les services de l’incubateur n’ont de valeur, à double titre, que déclaratives : d’une part, en ce qu’elles s’adressent aux projets entrants, donc représentatives uniquement de la somme des intentions du porteur de projet, d’autre part, en ce qu’elles émanent du seul jugement des instances de l’incubateur Belle de Mai. Il conviendra de les confronter avec la réalité des entreprises à une phase de maturité ultérieure. Elles constituent néanmoins, au stade d’investigation auquel nous nous plaçons, des éléments d’amorce à cette recherche et d’autres.
21C’est donc l’ensemble des données constituées à partir des critères énoncés ci-dessus que nous soumettons à notre processus d’interrogation. Les traitements réalisés produisent deux types de représentation, une représentation cumulative globale en % sur dix ans d’incubation et une représentation unitaire année par année.
Un domaine d’incubation à valeur nationale dans un environnement de proximité porteur : la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA)
22La région PACA est le troisième pôle TIC en France derrière Paris et Rhône-Alpes. L’identité territoriale forte attachée à « la création » et le positionnement de plate-forme d’échanges euro-méditerranéenne ont plaidé en faveur du développement du secteur du multimédia de contenu en région PACA. Des actions, engagées depuis 1999, ont eu pour effet de déployer un véritable maillage régional des acteurs des produits et services numériques. L’incubateur multimédia Belle de Mai, de par son antériorité et sa spécificité thématique, est un acteur emblématique et moteur de cet environnement. Réciproquement, cet environnement n’est pas sans conséquence sur son attractivité.
Exploitation des traces de dix ans de soutien à l’innovation à travers 111 projets sélectionnés : premières interprétations des résultats
23Les résultats présentés ci-dessous sont produits à partir du corpus cohérent et homogène de données traçant les dix années d’activités de gestion et suivi de projets accompagnés en incubation. Ces données sont produites par l’équipe de l’Incubateur multimédia Belle de Mai de Marseille depuis 2000 jusqu’à la date du 6 décembre 2010. Concernant l’année 2010, sept nouveaux projets expertisés en toute fin d’année devraient rejoindre ce corpus mais n’ont pas été intégrés, n’ayant pas encore fait l’objet d’indexation dans la base de données. Nous parlons ici de cohérence et homogénéité car les données traitées ci-dessous résultent d’une extraction opérée au sein de la base de données renseignée par cet incubateur gérant de façon unique et homogène des projets relevant de ce seul secteur d’activités.
24Les 111 projets relevant de cette étude correspondent à ceux ayant pu accéder au statut d’incubation. Parmi ces 111 projets, trois d’entre eux (relevant respectivement des années 2001, 2002 et 2003) n’ont pu être traités dans notre étude du fait d’une carence d’informations les concernant dans la base de projets.
Le processus d’entrée en incubation : une suite de filtrages successifs
25L’entrée en incubation d’un projet est l’aboutissement d’une démarche intangible. En effet, à leur réception par l’incubateur, les projets font d’abord l’objet d’une expertise par les chargés de mission de l’incubateur, puis d’une qualification, pour enfin être soumis et soutenus par leur porteur auprès d’un comité d’engagement qui propose ou refuse le suivi en incubation, décision validée in fine par le conseil d’administration.
26La figure no 1 met en évidence un filtrage conséquent entre les phases de réception des projets par l’incubateur (projets « reçus »), d’expertise (projets « expertisés ») suivie de celle de qualification (projets « qualifiés ») précédant l’entrée réelle en incubation s’il y a lieu (« projets incubés »).

Figure 1.
27La figure 2 permet de constater qu’au cours des dix années d’activités, seuls 111 projets sur 500 ont passé le premier stade et atteint le statut d’incubés.

Figure 2.
28Ce résultat final peut pleinement s’expliquer par la démarche sélective mise en œuvre pour tous les projets dans cette démarche d’incubation. Alors que les étapes de réception, expertise, qualification répondent à des procédures qualificatives de sélection et montrent des variations annuelles conséquentes, l’étape d’incubation est conditionnée quantitativement aux capacités d’incubation, elles-mêmes liées aux capacités de financement de l’incubateur pour chacune des années considérées. En conséquence, le nombre annuel de projets gérés en incubation reste stable au cours des années (une moyenne de dix projets par an). Concernant les variations notables relatives aux périodes précédant l’incubation, on remarque qu’un nombre élevé de projets accompagne le début du fonctionnement de l’incubateur, ce que l’on peut sans doute attribuer à l’engouement du démarrage des dispositifs de soutien à l’innovation, et la preuve d’une réponse à un besoin, qui s’assèche très naturellement. Par ailleurs, une chute légère affecte toutes les étapes du processus de sélection en 2009. Mais c’est « un véritable accident statistique » qui survient en 2002 avec un effondrement du nombre de projets, tant la variation est forte. Une première hypothèse pourrait être liée à cette période de fin de l’explosion de la fameuse « bulle de l’internet », mais des investigations plus poussées doivent être conduites pour apporter une réponse fiable.
29La capacité d’émergence de projets, révélée par le nombre de projets reçus en première étape, est en pente ascendante régulière, laissant présumer que cette progression offre une plus grande potentialité de traitement qualitatif des projets puisque le ratio entre projets entrants (en augmentation) et projets incubés (en stabilité) est lui-même en progression permanente. Cette augmentation de qualité supposée mérite donc d’être vérifiée.
Focus sur les dispositifs techniques mobilisés par les porteurs de projets
30Les chiffres suivants portent sur une ventilation des projets autour des dispositifs techniques tels qu’ils peuvent ressortir de leur description dans la base de données et sont à considérer comme le résultat de l’affectation d’un seul dispositif par projet, le dispositif initial, même si certains projets sont appelés à se décliner sur différents supports par la suite.
31La vision cumulative globale sur les dix années des dispositifs techniques mobilisés, selon la classification proposée, atteste de façon assez claire les deux domaines dominants, celui du web contributif et celui des solutions mobiles communicantes, qui représentent à eux seuls la moitié des dispositifs mobilisés. Suit ensuite, loin derrière, le secteur des produits off-line (CD ou DVD), le reste se ventilant dans les autres catégories.

Figure 3.
32Si l’on regroupe le secteur web (versions 1.0 et 2.0), on obtient une proportion significative (supérieure à un tiers) révélant clairement la place du web dans les activités liées aux contenus numériques. Une surprise cependant : la proportion des dispositifs liés aux domaines cinématographique et télévisuel (6 %) est très faible alors que la région PACA offre une activité importante dans ce secteur et dispose d’un réseau de professionnels conséquent via les PRIDES (Images, ICI), donc porteurs d’un potentiel de création. Cette anomalie présumée peut s’expliquer par la confrontation de deux secteurs fondamentalement différents : celui, historique, des programmeurs producteurs d’œuvres à travers le cinéma et la télévision et celui des contenus numériques en émergence. On note que ce hiatus devrait s’effacer avec la création en 2010 du Pôle régional d’Innovation Multimédia et Internet (PRIMI), par agrégation de Pôle sud Image et MedMultimed.
33L’analyse temporelle de ces mêmes données à travers la figure 4 nous éclaire sur l’évolution relative des types de dispositifs techniques mobilisés.

Figure 4.
34Les deux premières années, et ce dès le milieu de l’année 2000, mettent en évidence l’érosion forte des dispositifs s’appuyant sur des supports optiques off-line supports qui étaient à leur apogée dans les années 1990.
35Une distribution atypique marque 2002 dans ce contexte de généralisation de l’internet, avec un léger retour du support optique, une chute du web et une dispersion des projets dans toutes les catégories de dispositifs. Cette distribution serait-elle liée à la fin de l’explosion de la « bulle internet », donc de l’internet « à tout prix » avec une certaine remise en cause et un choix plus argumenté des supports choisis ?
36L’année 2006 présente une situation particulière au vu de l’effondrement du web et l’explosion des dispositifs mobiles communicants. Ce phénomène est-il attribuable à la création en décembre 2005 de la plateforme technologique PACA Mobile Center en PACA, située sur le site de la Belle de Mai, à l’initiative de quelques entreprises de technologies mobiles4 ?
37L’année 2008 confirme, malgré un nombre plus conséquent de dossiers, les deux secteurs clés, web 2.0 et mobiles communicants, ceci en cohérence avec le plébiscite de la part du grand public des usages nomades et des réseaux sociaux.
38Enfin, un dernier point nous semble mériter d’être signalé. La proportion relative à la mobilisation de dispositif 3D/immersif est non seulement faible au regard des autres données mais semble en légère érosion, allant de ce point de vue à l’encontre de la tendance actuelle de développement dans ces technologies. Faut-il voir dans cet affaissement la conséquence de l’attractivité sur le territoire national de pôles se spécialisant dans cette technologie, voire ambitionnant l’émergence de cluster ? Est-ce la conséquence d’un modèle économique difficile à trouver ?
39De manière plus globale, nous retenons également des résultats obtenus que la mobilisation des dispositifs techniques ne répond pas au modèle classique de cycle de vie d’un produit ou d’une technologie (émergence, croissance, saturation, déclin). En effet, on observe d’une part plusieurs « départs », avant d’atteindre des « pics » de mobilisation et d’autre part, le maintien, même en faible proportion, de la plupart des dispositifs, en réponse sans doute à des niches d’usages.
Répartition des projets selon les modèles socioéconomiques des industries culturelles
40Les données relatives à ces modèles ont été recueillies de façon déclarative auprès du directeur de l’incubateur (ayant le regard et l’expérience la plus complète de l’ensemble des projets) et d’une chargée d’affaires (gérant des projets en incubation), en s’appuyant sur la grille topologique simplifiée des modèles socioéconomiques des industries culturelles. Il est clair qu’il peut en résulter, du fait de « l’instantanéité » des réponses quelques erreurs d’affectation. S’agissant à priori d’une affectation unique d’un modèle par projet, seuls quatre projets ont obtenu une double affectation et quatre autres projets n’ont pu trouver une attribution de modèle. Il faut noter par ailleurs que le modèle « courtage » s’est vu affecté à certains projets (de l’ordre de 5 sur 111) au titre d’activités de prestation pour le compte d’entités économiques plus importantes.

Figure 5.
41Dans le cadre d’une vision globale (Figure 5), on peut observer que deux modèles dominants sont à hauteur égale, le modèle éditorial et le modèle courtage, autrement dit deux modèles dont l’un est « l’ancêtre » dans la liste énoncée et l’autre le plus récent.
42Les deux modèles qui les suivent (50 % plus faibles) sont les modèles compteur et club, laissant loin derrière le modèle de flot, ceci n’étant pas surprenant au vu de la faible proposition de projets relevant du secteur télévisuel mentionnée précédemment.
43L’analyse temporelle sur les dix années d’incubation de ces mêmes modèles (Figure 6) met en évidence une progression régulière du modèle courtage, au détriment notamment du modèle du compteur.

Figure 6.
44Le modèle du courtage prend particulièrement son essor à partir de l’année 2008, ceci pouvant correspondre à l’expansion tout à fait conséquente cette même année des dispositifs techniques de type web 2.0 et mobiles communicants, ainsi que du passage progressif mais significatif des contenus numériques de l’état de « produits » à l’état de « services d’intermédiation ».
Identification des « terrains d’usages » pressentis à la création
45Ce critère résulte pleinement d’une démarche de définition typologique amorcée par le directeur de l’incubateur multimédia Belle de Mai et ses collaborateurs qui, au vu de l’évolution des secteurs concernés par les projets souhaitent, voire ont besoin, d’affiner les seuls indicateurs définis par le ministère dans le cadre des campagnes nationales d’évaluation des incubateurs, axés sur les technologies.
46Ils ont ainsi établi une typologie composée de quinze catégories de « terrains d’usages ». La définition de ces catégories n’est pas le fruit d’une simple réflexion ou recours à des classifications existantes, mais résulte d’une construction incrémentale (avec seuil de saturation) issue de l’analyse de tous les projets. Une fois cette grille établie, toute la base de projets a été reprise et re-ventilée autour de ces catégories, et ceci avec la possibilité pour chaque projet d’opérer un panachage dans plusieurs catégories (sous forme de pourcentage pour un total systématiquement cumulé à 100 %). 37 % des projets ont fait l’objet de cette ventilation multiple.
47Nous considérons que « ces terrains d’usages » correspondent en réalité à des domaines d’application investis par les projets. Cette acception est conservée dans cette étude, mais devra être revue en cas d’exploration approfondie sur les usages au titre d’une différenciation à produire entre le temps d’incubation et la mise en marché des produits et services conçus.
48L’analyse globale de « ces différents terrains » sur les dix ans d’études (Figure 7) pointe l’émergence d’une catégorie privilégiée, celle de l’enseignement et de la formation (M), s’explique notamment par l’origine de l’incubateur multimédia Belle de Mai, en lien direct avec des structures éducatives. Vient ensuite le secteur de l’image et son (N), ce qui peut paraître contradictoire avec les autres analyses relatives au secteur de l’audiovisuel, sauf si on se place du point de vue des contenus pluri-médias.
49Quatre autres terrains arrivent en position intermédiaire de façon relativement identique, ceux de la culture (A), de la santé/vieillissement/bienêtre (B), de l’informatique/logiciels (F) et enfin des jeux vidéo (G).
50Les autres catégories, rencontre/mariage (C), sport (D), télécommunications (E), publicité (H), finances (I), tourisme (J), agroalimentaire (K), transport/logistique (L) et analyse de données/conseils (O), se répartissent les 32 % restants de façon hétérogène sans réelle spécificité.

Figure 7.
51Une représentation aussi éclatée des différentes catégories ne permet pas de révéler de façon satisfaisante des tendances évolutives relatives à la prédominance de tel ou tel terrain d’usage. Cet objectif nous a semblé ne pouvoir être atteint que par le recours à des démarches d’agrégation de ces catégories trop disparates.
52Une première tentative d’agrégation a été effectuée sur la base d’affectation des quinze items « de terrains d’usages » au sein des deux champs suivants :
- le champ des loisirs (regroupant les six catégories culture/rencontres, mariage/sports/jeux vidéo/tourisme/image et son) ;
- le champ professionnel (regroupant les neuf catégories santé, vieillissement, bien-être/télécommunications/informatique, logiciels/publicité/finances/agroalimentaire/transport et logistique/enseignement, formation/analyse données et conseils).
53L’analyse globale selon cette agrégation (Figure 8) révèle une représentation majoritaire pour le secteur professionnel, en concordance avec le nombre supérieur de catégories agrégées dans ce secteur.

Figure 8.
54Cette répartition est confirmée par l’évolution temporelle au cours des dix années (Figure 9).

Figure 9.
55Cependant, cette représentation pointe deux phénomènes : en 2004, l’effondrement total du secteur des loisirs, et a contrario à partir de 2009, un renversement de tendance au détriment du secteur professionnel, renversement à attribuer peut-être à la généralisation des équipements et usages dans le grand public.
56Afin de pousser plus loin cette analyse, nous avons tenté une deuxième tentative d’agrégation des quinze critères relatifs aux « terrains d’usages » en prenant appui sur les concepts de l’économie créative. Cette notion, née à la fin des années 1990, recouvre généralement les industries culturelles, mais va bien au-delà en incluant un ensemble de secteurs qui n’en relèvent pas traditionnellement. L’émergence du terme « économie créative » s’inscrit dans un contexte de convergence entre des innovations technologiques (numérique), le travail créateur et les logiques industrielles (d’organisation de filières, de structures entrepreneuriales, de financement). Les secteurs du multimédia et du jeu vidéo ont ainsi rapidement été considérés comme faisant partie de l’économie créative, tout comme certains secteurs des technologies de l’information, mais ils ne font pas nécessairement partie des industries culturelles.
57Plusieurs classifications, émanant d’auteurs différents, sont attachées à l’économie créative. Nous avons retenu la classification établie par Marc Dondey (Figure 10).

Figure 10.
58Ainsi, en appui à la définition « des cercles, secteurs, sous-secteurs et leurs caractéristiques » préconisée par M. Dondey, nous avons pu affecter « au cœur culturel » le terrain A (culture), « au cercle 1/industries culturelles » les terrains G (jeux vidéo) et N (image et son), et « au cercle 2 : industries créatives » le terrain H (publicité). Pour tous les autres terrains, soit 11 sur quinze, il nous est apparu impossible de les affecter autrement qu’« au cercle 3 : industries et activités connexes », dans la mesure où les critères définissant ce cercle, soit « le développement des NTIC apportant de nouveaux liens entre culture, créativité et innovation. Nouveaux produits, nouveaux métiers, nouveaux modèles d’affaire reposant sur la convergence des matériels, des contenus et des réseaux de diffusion », sont précisément ceux assurant les fondements de l’incubateur multimédia Belle de Mai sur la nature du champ d’innovation traité.

Figure 11.
59Cette fois-ci, c’est à l’inverse l’effet de regroupement qui empêche de dégager des tendances évolutives significatives.
60Insatisfaits des résultats obtenus, nous avons tenté une deuxième proposition d’agrégation, en appui sur la définition actuelle des contenus numériques (cf. p. 3). Cette définition présente la particularité d’intégrer la dimension utilisateur via les contextes d’usages. « Ces contenus [sous-entendu numériques] deviennent éducatifs ou culturels lorsqu’ils visent le secteur éducatif ou institutionnel (collectivités, acteurs du développement culturel, touristique, patrimonial, etc.). Le grand public ou les secteurs professionnels représentent d’autres champs d’applications potentiels. »
61En affectant « les terrains d’usages » (M) au secteur éducatif, (A) (J) (N) au secteur institutionnel, (C) (D) (G) (K) (L) au secteur grand public, (B) (E) (F) (H) (I) (O) au secteur professionnel, nous obtenons la répartition suivante (Figure 12).

Figure 12.
62On constate de façon globale une domination persistante du secteur professionnel avec par ailleurs une proportion importante, en deuxième position, du secteur institutionnel. Il apparaît par ailleurs que le secteur éducatif dans cette nouvelle ventilation représente la part la plus faible, et qui plus est apparaît en décroissance forte dans la figure 13.

Figure 13.
63On remarque dans l’évolution sur les dix années l’effondrement du secteur grand public sur 2004. La référence aux variations obtenues à partir de la représentation autour des deux secteurs professionnel et loisirs (Figure 9), permettrait d’attribuer au secteur des loisirs cet effondrement, et non au secteur éducatif. C’est à partir de 2004 qu’émerge vraiment le secteur grand public. En dehors de ce point, on voit toujours bien la progression conséquente du secteur professionnel. Concernant le secteur institutionnel, son évolution est difficile à commenter car celle-ci est très variable.
64L’ensemble des résultats obtenus nous conduisent à opter pour l’hypothèse du bien-fondé de la dimension « usages » pour qualifier les domaines d’applications des projets incubés, dimension restant à décliner en termes de critères, et à appliquer tant en début d’innovation (intention d’usages) qu’en fin d’incubation (usages effectifs).
Questions aux chercheurs en SIC
65Les missions de l’incubateur Belle de Mai se traduisent par des prestations de conseil et un investissement conséquent, et ceci selon une méthode validée en premier lieu par l’expérience, générant ainsi une plus-value importante au regard de l’émergence et la pérennité des entreprises créées.
66Le caractère empirique de la démarche s’est traduit par des résultats qui témoignent du caractère performatif des construits élaborés à ce jour par l’incubateur Belle de Mai, tant dans le renouvellement du soutien du ministère et des collectivités territoriales au cours de cette décennie, que dans la progression du nombre de projets soumis, et ceci avec une amplification de projets co-incubés où cet incubateur intervient en expertise dans ce champ des TIC.
67À ce titre, des démarches de transfert dans d’autres contextes de soutien à l’innovation sont d’ores et déjà engagées, notamment dans les pays du pourtour méditerranéen : Medinnov, réseau euro-méditerranéen de l’innovation qui rassemble les structures contribuant à l’innovation en méditerranée ; e-3M, rencontres méditerranéennes d’affaires TIC et multimédia à Tunis ; Téthys, université ouverte de l’espace méditerranéen, réseau d’universités de coopération transnationale basée sur le partage des connaissances et des compétences d’établissements ; consulting pour la plupart des pôles méditerranéens universitaires.
68Dans ce cadre, une mise en perspective critique d’une démarche de recherche (rapport entre l’innovation technique et la production des usages, transformation d’une innovation en marchandise, etc.) des activités de l’incubateur ne peut que contribuer à mieux appréhender les dynamiques de création indispensables à l’essor économique des territoires, à condition de s’appuyer sur des traces fondées de cette activité.
69Ce travail est une pierre apportée à l’édifice de ces traces. Partant de là, de nombreuses questions sont ouvertes. À l’échelle de l’activité de l’incubateur, des interprétations ont été avancées à partir de l’analyse des données elles-mêmes, qui restent entièrement à valider. Quelle est la part, dans ces interprétations, de la structuration progressive de l’environnement et des réseaux afférents nés dans l’environnement de l’incubateur ? Une analyse croisée des différents critères étayent-elles les éléments d’interprétation avancés ? À un niveau plus global, la connaissance des démarches d’innovation et d’accompagnement de projets innovants peut-elle déboucher sur des process validés, donc plus facilement transférables aux acteurs concernés dans d’autres contextes, notamment géographiques ?
70Le niveau de maturation des projets au stade de l’incubation définit-il un profil particulier de projet/porteur comparativement aux processus habituels de création d’entreprises ?
71Le niveau de maturation des projets au stade de l’incubation précède-t-il ou anticipe-t-il les évolutions de l’environnement tant sur le plan technologique que des usages ?
72Il faudra, pour le savoir, enrichir l’analyse par une étude approfondie du contexte d’émergence des projets tant au plan technologique et des usages qu’au plan des logiques économiques et des chaînes de valorisation en émergence. Au-delà du niveau de maturation, quelle est la nature et le degré d’importance de l’évolution des projets entre les périodes d’entrée, de sortie d’incubation et de création d’entreprise au titre de leurs caractérisation (dispositif technique, modèle socio-économique, etc.) ? Autrement dit, le stade d’incubation génère-t-il une « remise en question » du projet dans ses fondements ? Le niveau de maturation des projets à l’entrée étant connu, y a-t-il un intérêt à établir un comparatif avec le niveau de maturation de sortie à des fins de capitalisation et de transfert de mode de gouvernance de l’innovation ?
73Autant de questionnements soumis à l’appréciation de la communauté de chercheurs et pouvant constituer des pistes de travail futur.
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Bibliographie
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M. Dondey, 2009, L’économie culturelle et créative, Les assises de la culture, Communauté urbaine de Strasbourg, mars 2009, en ligne : http://www.vousaussi.org/assises/ressources/Fiches_themes/1.EconomieCulturelleCreative.pdf.
P. De Fontaine, 2010, L’innovation priorité émergente du développement économique en Méditerranée, en ligne : http://www.eib.org/…/2010-060-linnovation-priorite-emergente-du-developpement-economiqueen-mediterranee.htm.
F. Dussard, 2009, Les TIC sont au cœur de la réussite de l’intégration euro-méditerranéenne, Les Échos, 18/09/2009, en ligne : http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/international/221132707/point-de-salut-pour-l-europe-hors-la-mediterranee.
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Notes de bas de page
1 Rapport no 2009-088 de l’Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche (oct. 2009) à Madame la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, « Évaluation du dispositif d’incubation issu de l’appel à projets incubation et capital-amorçage des entreprises technologiques » du 24 mars 1999.
2 Rapport « Technologies clés 2010 » [édition 2006] : http://www.industrie.gouv.fr/liste_index/technocles2010.html.
3 Tableau simplifié des modèles socio-économiques « idéal typiques » des industries culturelles, source Sofia Kocergin, 2004.
4 Au départ banque de téléphones mutualisée au service de ses fondateurs, PACA Mobile Center s’est progressivement ouvert aux nombreuses entreprises du secteur en France et en Europe : développeurs d’applications, de jeux, de sites web mobiles, de périphériques et d’accessoires, de prestataires de marketing mobile, donc des secteurs potentiellement connexes aux contenus numériques.
Auteurs
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