Étude des dynamiques de projets collaboratifs d’innovation dans les pôles de compétitivité : L’apport d’une analyse en terme de réseaux
p. 127-145
Texte intégral
1À l’ère de la mondialisation, les clusters d’innovation technologique sont désormais reconnus comme étant un levier fondamental de la compétitivité et de la croissance économique. Le succès emblématique des premières expérimentations dans ce domaine a très rapidement attiré l’attention du monde académique qui a essayé de mettre en évidence les ingrédients du succès de cette forme très spécifique d’organisation (Breshi et Malerba 2005). Les acteurs politiques, tant à l’échelle européenne que nationale, se sont à leur tour saisi de cette question et en ont fait un des piliers de leur stratégie de soutien à l’innovation. En France1, cela s’est traduit par la mise en place de la politique des pôles de compétitivité dès 2004. Un pôle de compétitivité se définit sur un territoire donné par « l’association d’entreprises, de laboratoires de recherche et d’organismes de formation engagés dans une démarche partenariale destinés à dégager des synergies autour de projets innovants conduits en commun en direction d’un (ou de) marché(s) donné(s) » (http://competitivite.gouv.fr). L’objectif attendu d’une telle mise en synergie est de permettre de dégager des pôles industriels d’excellence d’envergure nationale et internationale. Soixante et onze pôles ont été labellisés par l’État pour une période de trois ans (2006-2008) et classés en trois catégories (pôle mondial, pôle à vocation mondiale et pôle national).
2Ces différents pôles se sont construits en élaborant leurs propres règles de gouvernance et leurs modalités de fonctionnement. Dans ce contexte, l’enjeu pour la structure de gouvernance est d’élaborer et de mettre en œuvre la stratégie générale du pôle et, en particulier, de coordonner et sélectionner les projets candidats à un soutien de la part des financeurs publics (Europe, État, collectivités territoriales). Une des difficultés à laquelle elle doit faire face est l’hétérogénéité des acteurs du pôle. En effet, les acteurs industriels et académiques réunis au sein de chaque pôle sont caractérisés par un ancrage territorial plus ou moins fort, des liens de coopération technologiques plus ou moins développés et des formes de concurrence plus ou moins importantes. L’un des défis de la structure de gouvernance est ainsi de trouver les moyens pour faciliter la mise en synergie des acteurs autour du montage de projets collaboratifs et de favoriser ainsi la diffusion des connaissances, condition indispensable à une dynamique d’innovation collaborative.
3Au fondement du processus de clusterisation, la proximité géographique a été identifiée comme un facteur clé de succès en tant que générateur de diffusion de connaissance entre les acteurs (Audretsch et Feldman 1996). Sans remettre en cause l’importance de ce facteur dans la dynamique d’innovation des clusters, de nombreuses études tendent toutefois à nuancer son rôle et à montrer l’influence d’autres variables dites de proximité. Aujourd’hui, le processus de création et de diffusion de connaissances s’insère de façon croissante dans une logique de réseau : “The production of knowledge does not only depend on isolated profit-seeking firms, non profit-making institution and inventors. It results more and more from the exchange and free circulation of information between multiplicities of actors” (Autant et alii 2007 : 342).
4Notre propos est ici de mettre en perspective ce cadre théorique dans une étude empirique portant sur la dynamique de projets collaboratifs au sein d’un pôle de compétitivité. Notre choix s’est porté sur l’analyse des projets du pôle mondial « Solutions Communicantes Sécurisées »2. Ce pôle présente comme particularité le fait d’associer, sur le territoire de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, les acteurs de la filière TIC regroupant quatre secteurs industriels : la microélectronique, les télécommunications, le logiciel et le multimédia.
5D’un point de vue méthodologique, nous proposons de mobiliser une approche en réseau (Wasserman et Faust 1994) qui nous semble un outil pertinent pour étudier cette dynamique de projet collaborative. Cette approche connaît aujourd’hui un succès au sein de domaines fort variés. Issue de travaux d’anthropologies et de psychologie sociale au milieu du xxe siècle (Merklé 2000), elle a connu un développement théorique important dans le champ de la sociologie depuis quelques décennies (Degenne et Forsé 2004) et connaît un engouement certain dans le champ de l’information-communication aujourd’hui.
6Elle présente comme avantage d’offrir une représentation graphique de la structure relationnelle des projets collaboratifs et d’en étudier les propriétés.
7L’intérêt ultime d’une telle approche est de révéler la potentialité d’une approche réseau comme outil d’aide à la décision pour une structure décisionnaire comme la gouvernance d’un pôle. Dans cette perspective, elle constitue un outil pertinent pour une démarche d’intelligence économique qui se situe au cœur des missions de la structure de gouvernance d’un pôle.
Cadre théorique
8Face à la réussite emblématique sur un plan économique de clusters d’innovation, un nombre conséquent de travaux de recherche ont été lancés afin d’analyser les facteurs de succès de ces processus d’innovation inédits. Plusieurs « ingrédients » ont alors été identifiés, dont la combinaison devrait conduire à l’émergence de clones du modèle californien : une université scientifique importante avec des centres de recherche associés, un parc industriel ou scientifique de renom, un environnement social capable d’attirer et de conserver un personnel de haut niveau, l’accès au capital risque, le soutien des autorités publiques aux technologies innovantes et enfin un marché du travail correspondant aux qualifications exigées.
9La proximité géographique, entendue comme la co-localisation entre acteurs industriels et académiques ne suffit pas à elle seule à générer une dynamique d’innovation porteuse de croissance et d’emploi. Cette fausse croyance, comme le souligne Torre (2006 : 29), est toutefois à l’origine de nombreuses politiques d’innovation fondées sur les seules vertus de la proximité géographique et de conclure : « C’est ainsi que naissent les cathédrales dans le désert et que se termine l’existence de nombreuses aires locales, estampillées un peu rapidement technopoles ou parcs d’activités scientifiques. »
10Si elle peut faciliter les interactions, la proximité géographique ne constitue pas en elle-même un support de coordination nécessaire à l’instauration de relations de collaborations. D’autres facteurs dits de proximité entrent en jeu dans ce mécanisme d’apprentissage collectif en agissant par un mécanisme d’autorenforcement réciproque.
11Le potentiel de développement d’un cluster d’innovation repose en grande partie sur l’activation de liens révélant une proximité organisationnelle d’essence relationnelle. Cette proximité organisée traduit la capacité d’une « organisation » à faire interagir ses membres sur la base d’une logique d’appartenance (les membres d’une même organisation sont caractérisés par des routines de comportement) ou bien sur une logique de similitude (les membres d’une même organisation sont réputés avoir et partager un même système de représentation, de croyances et les mêmes savoirs) qui conjointement facilitent leurs interactions et leur coordination (Rallet et Torre 2005).
12Dans le cadre d’un cluster d’innovation, il est facile d’en induire qu’une telle forme de proximité est essentielle car elle facilite la mise en place et le montage de projets communs au niveau local. Comme l’ont souligné Grossetti et Bes (2003)3 dans une étude empirique sur les coopérations entre laboratoires de recherche et entreprises, la logique de « proximité » avait une influence dominante dans la phase initiale de genèse des collaborations. Dans les phases ultérieures, ils remarquent que le poids de l’encastrement des acteurs est beaucoup moins prégnant, laissant place à ce qu’ils appellent un processus de découplage. Notons enfin que la proximité organisationnelle entre les acteurs permet aussi de réduire les comportements opportunistes liés inexorablement à toute dynamique d’innovation collaborative.
13Toutefois, cette proximité organisationnelle associée à celle géographique des acteurs ne suffit pas à activer une dynamique de projets collaboratifs si les acteurs ne partagent pas entre eux un minimum de proximité cognitive. En effet, une telle dynamique requiert en amont une capacité cognitive d’absorption pour identifier, interpréter et exploiter toute nouvelle forme de connaissance technologique et/ou scientifique. Ceci est particulièrement le cas lorsque la dynamique d’innovation consiste à rapprocher des acteurs hétérogènes, chacun étant porteur d’un savoir et de connaissances technologiques spécifiques. C’est ce qu’Antonelli (2001) appelle la proximité cognitive. Il montre en particulier comment cette proximité est essentielle pour établir une communication technologique entre les acteurs. Dans le cas contraire, les coûts communicationnels constituent une barrière à la diffusion des externalités technologiques. Autrement dit, une entreprise, même située à proximité d’une université, ne pourra profiter du savoir produit par cette dernière et envisager une possible collaboration si elle n’est pas en mesure de l’absorber et se le réapproprier. Dans une perspective complémentaire, Delaforge et Moinet, en faisant référence au modèle de l’intéressement développé par Callon et Latour qui souligne la dimension collective de l’innovation, insistent sur le fait que « travailler sur l’innovation nécessite donc de parcourir cette chaîne qui transforme de l’information en connaissances par un processus complexe de communication » (2008 : 161).
14L’articulation entre liens de proximité et dynamique de projets collaboratifs dans un cluster d’innovation constitue un apport indéniable à l’analyse des facteurs de succès d’une telle forme organisationnelle qui vient en quelque sorte affiner le modèle bien connu de la triple hélice. Il convient à présent d’ajouter une dernière remarque pour compléter et finaliser notre cadre d’analyse théorique. En effet, le cluster d’innovation, Solutions Communicantes Sécurisées (SCS), que nous proposons d’étudier dans notre étude empirique, présente comme particularité de rassembler des acteurs hétérogènes venant d’horizons industriels jusqu’alors assez cloisonnés même s’ils sont aujourd’hui considérés comme faisant partie intégrante de la filière des technologies de l’information et de la communication. A priori, on peut donc supposer que ces acteurs n’ont que peu ou pas interagi dans le passé et ne partagent pas de base de connaissance scientifique et technologique similaire. Ils sont donc caractérisés par un faible degré de proximités organisationnelle ni cognitive. Toutefois, au sein de leur secteur d’activité, un certain nombre d’entre eux présente une forte cohésion en étant membres d’associations structurant leur filière dans la région.
15Ce double constat nous conduit à définir ce cluster d’innovation comme un cas typique « d’agglomération géographique de communautés de pratiques » au sens donné par Dibaggio et Ferrary (2003) pour caractériser les clusters de haute technologie. Dans cette définition, ils se basent sur la définition canonique de Wenger (2002) : « les communautés de pratique sont des groupes d’individus partageant le même intérêt, le même ensemble de problèmes, ou une passion autour d’un thème spécifique et qui approfondissent leur connaissance et leur expertise en interagissant régulièrement » (2003 : 113). De telles communautés favorisent le développement de connaissances par un apprentissage collectif « conçu comme l’acquisition d’un système de connaissance en permanente reconstruction autour d’une pratique partagée ». En outre, le fait que les membres d’une telle communauté partagent une même passion ou un même but va conduire à l’émergence progressive de régularités, de règles de conventions et d’un langage spécifique. Wenger parle d’identité sociale propre à chaque communauté de pratique. On retrouve ici la notion de proximité organisationnelle évoquée plus haut.
16L’intérêt pour notre étude de l’approche de Dibaggio et Ferrary est de montrer l’apport de la théorie des réseaux sociaux pour la compréhension de la dynamique de tels clusters. Ils fournissent ainsi des outils d’analyse permettant d’explorer plus avant les relations entre les différentes formes de proximité et la dynamique de projets collaboratifs dans un cluster. Ils font référence en particulier aux concepts de liens forts et liens faibles empruntés au sociologue M. Granovetter (1973) pour étudier les mécanismes de coordination et de diffusion des connaissances dans un tel contexte d’interaction. En effet, selon eux, chaque réseau d’organisation d’entreprise et de laboratoires de recherche présent dans un tel cluster peut s’appréhender comme une communauté de pratiques, caractérisée par des liens forts4 favorisant la diffusion de connaissances complexes et difficilement codifiables. Ces relations sont fondées sur la confiance, rendue possible par les interactions directes et récurrentes entre les membres.
17Dans cette perspective, l’enjeu pour la structure de gouvernance d’un tel cluster est de faire se rencontrer ces différentes communautés pour susciter une dynamique de projets collaboratifs. Il s’agit de créer un contexte favorable d’interaction générant une proximité organisationnelle susceptible, à son tour, de servir de catalyseur au déploiement d’une proximité cognitive. Cette mise en synergie des différentes communautés de pratique qui s’opère donc par l’activation des liens faibles est essentielle pour la production et la diffusion d’innovations car génératrice de variété informationnelle, suscitant la diffusion d’informations et de connaissances « nouvelles ». Toutefois, leur activation est beaucoup moins mécanique que l’activation des liens forts.
18Il nous semble que ces différents éléments théoriques trouvent un écho pertinent dans le cadre du pôle de compétitivité SCS que nous proposons d’étudier. En effet, nous pouvons supposer que les différentes organisations (associations d’entreprises), membres fondateurs du pôle SCS pour la plupart et au sein desquelles nous retrouvons un certain nombre des acteurs d’entreprises et d’académies eux-mêmes membres du pôle, s’apparentent à des systèmes relativement fermés et, à ce titre, à des communautés de pratique caractérisées par des liens forts. Dans cette perspective, l’enjeu pour la structure de gouvernance est double : d’une part, s’assurer qu’une dynamique de projet collaborative s’installe en s’appuyant sur les liens forts existants entre certains de ses membres et, d’autre part, jouer un rôle d’intermédiation nécessaire pour que cette dynamique s’étende à l’ensemble des acteurs adhérents.
19En effet, ces organisations jouent un rôle déterminant dans la dynamique des projets collaboratifs. Même si elles forment une sorte de réseau « invisible » – ce sont les acteurs et non les organisations qui interagissent – on peut supposer que le fait d’être membre d’une association va avoir une incidence sur la capacité à participer à des projets collaboratifs au moins dans la première phase de développement du pôle SCS.
20On peut en effet supposer que dans la phase de démarrage, les acteurs du pôle incités à collaborer vont être influencés dans leurs décisions par leur degré d’encastrement. C’est le questionnement que nous proposons d’analyser au travers de notre étude empirique : évaluer dans quelle mesure, dans la phase de genèse d’un tel cluster d’innovation, la dynamique de projets collaboratifs est conditionnée par la structure du réseau d’acteurs qui lui a donné naissance. On peut en effet émettre comme hypothèse que les différentes formes de proximité vont jouer un rôle et influencer la dynamique de projets collaboratifs au moins dans la phase 1 du cycle de vie du pôle étudié.
Présentation de l’étude de cas : le pôle solutions communicantes sécurisées
21Historiquement, le pôle SCS est né d’une volonté institutionnelle régionale forte d’associer tous les acteurs territoriaux de la filière des TIC. Dans cette démarche, nous avons mentionné plus haut le rôle prépondérant à côté des acteurs institutionnels, d’associations professionnelles représentant, sur le territoire, les différentes filières structurant la chaîne de valeur du pôle « du silicium aux usages ». Ces différentes filières ont une existence relativement récente sur le territoire. Les filières microélectronique et télécom sont composées d’un tissu de grandes entreprises et de PME, à la différence des filières logiciels et multimédia constitués de PME et TPE, presque exclusivement, et d’origine plus récentes.
22La filière microélectronique structurée autour de l’association ARCSIS5 constitue une illustration exemplaire de forte proximité cognitive. Elle a donné lieu progressivement à la mise en place de collaborations technologiques à la fois entre les entreprises mais aussi avec les laboratoires de recherche de la région. Trois plateformes technologiques ont été déployées à partir de 2004. Les acteurs de cette filière, orientée au départ autour de la production de composants microélectroniques, ont dû progressivement axer leurs activités vers de la RD, élément indispensable à leur survie et à leur sédentarisation. Les acteurs publics ont joué à cet égard un rôle d’incitateur très important. Une autre association, spécialisée dans la même thématique, a vu le jour récemment (Sophia Antipolis Microelectronics – SAME) dans la partie Est de la région.
23Au moment de la création du pôle SCS, les acteurs de la filière télécom, structurés autour de l’association professionnelle Telecom Valley ont, mais à un degré moindre, une histoire commune de collaboration au sein de la technopole de Sophia Antipolis. Les autres associations membres du pôle, logiciel et multimédia (représentées respectivement par l’association Medinsoft et Medmultimed), sont de constitution plus récente et situées plus en aval de la chaine de valeur. Elles n’ont pas véritablement développé à ce jour de dynamique d’innovation et sont plus orientés dans une démarche usage (Gadille et Pelissier 2008).
24Tous ces différents acteurs réunis dans le pôle sont disséminés sur l’ensemble du territoire régional avec une prépondérance de la filière microélectronique autour de Rousset (PACA ouest) et des télécoms autour de Sophia Antipolis (PACA Est). L’échelle du territoire est telle qu’il est difficile de parler d’une véritable proximité géographique entre ces acteurs, la distance séparant l’Est et l’Ouest en termes de transport étant pratiquement équivalente à la distance Marseille/Paris (via le TGV). Celle-ci existe toutefois à l’échelle des différents réseaux d’associations qui sont localisés sur une zone géographique de moins grande ampleur.
25Ce manque de proximité géographique peut toutefois être compensé par une proximité institutionnelle en raison de l’appui et de l’accompagnement de l’ensemble de ces associations puis du pôle de compétitivité par les collectivités locales (conseil régional, conseil général, communauté d’agglomération, préfecture région). Cette proximité résulte d’une politique de soutien commune à l’ensemble de ces acteurs.
Cadre méthodologique et description de la démarche d’analyse
26Une dynamique de projets collaborative dans un cluster est influencée très probablement par le réseau relationnel des acteurs en présence. Tel est un des arguments mis en exergue dans la partie précédente. Sur un plan empirique, cela nous a donc incités à mobiliser une analyse réseau (Wasserman et Faust 1994) pour étudier cette dynamique dans le cadre spécifique du pôle de compétitivité SCS.
27Le point de départ de cette analyse a consisté à recueillir et croiser tout un ensemble de données sur les acteurs du pole et les projets de collaborations labellisés à partir des bases de données (annuaires) du pôle en libre accès sur leur site internet. Nous avons ensuite construit sur cette base un fichier de données relationnelles, condition indispensable pour effectuer une analyse réseau.
28Le réseau émergeant se caractérise par un ensemble d’acteurs (les nœuds) et des liens entre eux qui manifestent leur affiliation à un ou plusieurs projets d’innovation. Les liens relationnels traduisent des liens de coappartenance (Wasserman et alii 1997 : 295). Ils supposent donc l’échange et la circulation de ressources informationnelles entre les acteurs liés entre eux par un projet commun. En effet, comme le lien représente la participation des deux acteurs (la dyade) à un projet d’innovation commun, on peut supposer que ces liens vont induire des flux de connaissance et d’information à la base de la dynamique collaborative. Ces liens sont non-directionnels et valués, car ce sont des liens de co-appartenance et parce que chacun mesure le nombre de projets communs auxquels participe une paire d’acteurs.
29Afin d’explorer l’influence de la proximité et donc du degré d’encastrement des acteurs, nous avons identifié (et codé) trois variables d’attribution pour les acteurs :
- leur statut (industriel ou académique) ;
- leur implantation géographique (par le biais de leur code postal) ;
- leur appartenance à une organisation membre du pole (Arcsis, Telecom Valley, Medmultimed et Medinsoft).
Approche empirique
30L’une des missions principales du pôle SCS consiste à accompagner les entreprises et laboratoires de recherche dans le processus de labellisation de leurs projets collaboratifs en vue d’améliorer la qualité de leur dossier et leur chance d’obtenir un financement. Ces projets réunissent au minimum une entreprise et un laboratoire de recherche et sont orientés vers un appel à projet de financement spécifique en fonction de la nature du projet et des acteurs en présence. La direction de projets et la commission de projets du pôle SCS sont les deux instances en charge de cet accompagnement : « Le porteur de projet peut bénéficier de nombreux leviers d’amélioration tels que par exemple, les expertises des membres de la commission projet et/ou des adhérents du pôle SCS, l’accès à des informations marchés, la recherche de partenaires supplémentaires, un réseau de contact chez les financeurs et la mise à disposition dans certains cas d’un consultant spécialisé pour aider le porteur dans sa démarche d’amélioration et de rédaction du dossier du projet. » (http://www.pole-scs.org/projets_pole_scs/processus_de_labellisation.fr.htm) Sur les deux premières années de vie du pôle, on observe un nombre croissant d’acteurs ayant participé à au moins un projet collaboratif : 103 acteurs en 2006 et 165 en 2007. Le nombre de projet labellisés a, quant à lui, pratiquement doublé en une seule année. Ces premiers chiffres attestent d’une dynamique réelle au sein de ce cluster dans sa phase d’émergence.
31La comparaison entre le nombre d’acteurs participant à des projets et le nombre d’acteurs adhérents du pôle est intéressante car elle montre une spécificité de cette dynamique émergente. En effet, environ la moitié des acteurs adhérents (55 %) n’avaient pas encore participé à un projet collaboratif sur la période 2006-2007 et ils représentent moins de la moitié des acteurs participant aux projets (46 %). Autrement dit la dynamique de projet est initiée en grande partie par des acteurs hors du périmètre du pôle. Ce constat est intéressant car il tend à révéler l’importance du degré d’encastrement des acteurs participant dans leurs choix de collaboration.
32Les entreprises qui ont participé au plus grand nombre de projets sont de grandes entreprises d’envergure internationale appartenant aux secteurs microélectronique (ST, Gemalto, NXP, Atmel) et des télécommunications (Thales Alenia Space, France Telecom, Amadeus). Elles jouent à cet égard le rôle de porteur de projet le plus souvent. Environ 50 % des projets labellisés sont financés au terme de ce processus (les trois principaux financeurs sont l’ANR, la Direction générale des entreprises – État – et le Conseil Régional).
33La démarche d’analyse proposée s’effectue en deux temps et sur deux périodes temporelles (2006 et 2007). Le premier temps consiste à visualiser le réseau dans sa globalité et à analyser certaines caractéristiques liées aux variables d’attribution précédemment définies. Le second temps, consiste à identifier les groupes d’acteurs caractérisés par une forte cohésion.
34Présentons, dans un premier temps, le réseau global des projets en 2006 puis en 2007.
Nombre d’acteurs | Nombre de projets | Nombre de liens | |
2006 | 103 | 27 | 1 007 |
2007 | 165 | 56 | 1 238 |
Triangle : entreprise et Rond : académique

Figure 1 : réseau global des acteurs en 2006.
35Le réseau des acteurs 2006 a deux composantes, une principale comprenant la majorité des acteurs et une mineure comprenant quatre acteurs ayant tous des liens entre eux (ils forment une clique). Cette seconde composante décrit la participation à un projet commun de ces quatre acteurs, ces derniers n’ayant aucun autre projet commun avec les autres acteurs se trouvant dans la composante principale. Dans le réseau 2007, tous les acteurs sont reliés au sein d’une composante unique. Les liens étant valués, la structure du réseau laisse apparaître un noyau d’acteurs (entreprises et académiques) qui paraissent avoir des relations de collaborations privilégiés. La seconde partie de l’analyse permettra de mieux comprendre cette particularité.

Figure 2 : réseau global des acteurs en 2007.
36Le réseau ci-dessus comprend un nombre d’acteurs de projets et de liens plus importants que le réseau 2006. Or, il apparaît par la simple visualisation que le réseau a une structure différente du premier.
37Cette première visualisation nous conduit à étudier de plus près la dynamique d’acteurs qui se met en place en 2006 et en 2007 en utilisant un indicateur de cohésion.
38D’un point de vue méthodologique, nous avons procédé en deux étapes. Nous avons tout d’abord isolé le groupe des acteurs qui ont participé à plus d’un projet en 2006 puis en 2007. Ensuite, nous avons appliqué un indicateur de cohésion (k-core) afin de spécifier les groupes d’acteurs qui ont au moins k relations entre eux. À partir de ces résultats, nous avons cherché à mettre en évidence les différentes formes de proximités existant entre ces acteurs (à partir de leurs variables d’attribution préalablement définies).
39Le premier constat est une réduction drastique du réseau sur les deux années : il reste en 2006 33 % des nœuds et en 2007 43 %. Pour les liens, la diminution est encore plus forte : il reste en 2006 15 % et en 2007 12 %. Cela tend à suggérer qu’une grande majorité d’acteurs n’ont participé qu’à un seul projet collaboratif et qu’un certain nombre d’entre eux ont été montés avec un nombre conséquent d’acteurs.
40En 2006, le groupe qui a le plus fort degré de cohésion (k = 6) est représenté dans le graphe ci-dessous. Il regroupe sept acteurs ayant entre eux au moins 6 relations (avec une intensité de la relation variant de deux à trois). Il est intéressant de constater que tous ces acteurs appartiennent au même secteur d’activité la microélectronique : Tagsys, SPS, Cybernetix, Psionteklogik sont quatre PME situées dans la zone géographique de Rousset, les acteurs académiques regroupant l’école des Mines (Gardanne) et le laboratoire L2MP situés sur deux universités (Aix et Marseille). L’acteur santé est le CHU de Nice.

Figure 3 : Indicateur de cohésion (2006).
41Si on affaiblit légèrement la contrainte de cohésion en retenant les acteurs qui ont au moins cinq relations avec les autres, voici ce que l’on peut observer : trois acteurs apparaissent, deux grandes entreprises, l’une entre télécommunications, France Telecom, l’autre en microélectronique, ST, et le laboratoire LEAT (labo électronique antennes et télécommunications).

Figure 4 : Indicateur de cohésion (2006).
42On constate que ces acteurs ont avec leur voisinage une intensité de relations plus forte que le côté industriel. Notons tout d’abord la présence de ST Microelectronics, leader mondial sur le marché de la fabrication de composants électroniques et entreprise phare sur le site de la microélectronique localisé à Rousset. Cette grande entreprise est porteuse d’un grand nombre de projets labellisés en 2006. Dans ceux qui sont orientés sur la thématique de la traçabilité, ST collabore de façon privilégiée avec une PME de la microélectronique, Tagsys, leader sur le marché de la technologie RFID appliquée aux objets communicants (tags). Côté laboratoire public de recherche, on note la présence dans ce noyau dur du Centre de microélectronique et du laboratoire L2MP (nouvellement IM2NP avec la fusion avec le laboratoire Tecsen). Tous deux sont des acteurs centraux de l’association Arcsis (ils sont tous deux membres du Conseil d’administration) et jouent aussi un rôle important sur les plateformes technologiques de Cimpaca qui accompagnent un certain nombre de projets labellisés du pôle SCS. Le LEAT (Laboratoire électroniques, antennes et communications) rattaché à l’Université de Sophia Antipolis est membre de l’association SAME localisée dans la zone PACA est et fait aussi partie de CimPaca. Cette forte cohésion caractérisant ce groupe d’acteurs et qui traduit une forte proximité organisationnelle (plus que géographique) s’explique très probablement par l’existence de relations plus anciennes présentes avant même la naissance du pôle (cf. la partie suivante pour une analyse des collaborations d’acteurs au sein des plateformes technologiques de CimPaca). Rappelons que dans la région PACA, la filière microélectronique bénéficie d’une visibilité réelle, très fortement polarisée autour de la Z.I. de Rousset Peynier. Dans le même temps, comme Zimmerman le soulignait dans son étude sur ce tissu économique dès 1998, cette industrie est profondément nomade et son ancrage territorial passe « de plus en plus avec l’aval utilisateur, inducteur de problèmes productifs inédits donc d’innovations […] l’axe des “tags” représente une hypothèse forte et crédible » (1998 : 153). Dans cette perspective, on peut en déduire que le pôle a permis de favoriser la mise en œuvre de ce type de projets d’innovation.
43De même la présence de France Télécom dans ce noyau dur atteste aussi de la mise en place assez rapide d’une synergie réelle entre les filières microélectronique et télécom sur les projets labellisés par le pôle SCS. Cette transversalité des projets constitue une spécificité du pôle SCS par rapport aux projets portés par les différentes plateformes de CimPaca qui sont centrés exclusivement sur la microélectronique.
44Il est intéressant de conduire la même analyse sur le réseau des acteurs en 2007 afin de déterminer si ce sont les mêmes acteurs de la microélectronique qui collaborent de façon privilégiée entre eux ou bien si un début d’élargissement aux autres filières se met en place.
45L’analyse effectuée laisse apparaître deux groupes, dans le réseau, déconnectés l’un de l’autre avec le plus fort degré de cohésion (« 3 core » ici, i.e. trois relations au moins avec les membres du groupe). Ces groupes comprennent l’un et l’autre les acteurs de la microélectronique avec comme particularité l’arrivée en force dans les projets des grands groupes (ST, Atmel, Gemalto).

Figure 5 : Indicateur de cohésion (2007).
46Il est intéressant de constater que ces deux groupes ne partagent pas la même configuration d’acteurs : le premier comprend six acteurs appartenant au secteur de la microélectronique, situés dans la région PACA et qui sont pratiquement tous membres à au moins une association du pôle (à l’exception du LETI qui est hors région et donc hors association). Le second groupe d’acteurs appartient aussi au secteur de la microélectronique mais il est caractérisé par une plus forte hétérogénéité sur le plan de la proximité géographique et de son appartenance au pôle ou à une association du pôle. L’acteur structurant et porteur dans ce groupe est Xilinx, qui est à la fois adhérent du pôle SCS et membre d’une association (Arcsis).

Figure 6 : indicateur de cohésion (2007).
47Si l’on assouplit légèrement la contrainte de cohésion (k core = 2), on observe la présence croissante d’acteurs des télécommunications (FT, Eurecom, Thales, Inria). Une dynamique collaborative se met en place et se poursuit entre la microélectronique et les télécommunications. Notons toutefois que le lien entre ces deux groupes d’acteurs se fait par un acteur académique, le LETI, extérieur à la région PACA et rattaché au CEA de Grenoble. Ce laboratoire de recherche est membre de la plateforme « MicroPackaging et sécurité » de l’association Arcsis, localisé au centre de microélectronique de Provence Paul Charpack (CMP). Il est aussi membre du pôle de compétitivité Minalogic situé en Rhône-Alpes. Cette appartenance multiple tend à renforcer l’idée que les relations de collaboration RD entre les laboratoires de recherche dépassent les frontières géographiques et s’apparentent à ce que l’on appelle maintenant des communautés épistémiques (Amin et Cohendet 2003).
48En termes de dynamique collaborative ce laboratoire joue un rôle stratégique en termes de communication car il est l’unique pont entre deux groupes d’acteurs.
Conclusion
49Il est indéniable que la dynamique de projets collaborative, étudiée sur les deux premières années (2006 et 2007) du pôle SCS, laisse apparaître le poids prépondérant d’un groupe d’acteurs très homogène, la filière microélectronique en PACA et un début de collaboration avec les acteurs des télécommunications. Cette analyse exploratoire nous conduit à renforcer l’hypothèse selon laquelle la dynamique de collaboration, dans la phase de genèse des projets d’innovation, est fortement dépendante et influencée par l’héritage de formes de collaborations plus anciennes sur le territoire. Nous avons montré comment tous les acteurs qui sont liés par le plus fort degré de cohésion appartiennent à des structures organisationnelles préexistantes qui ont très probablement influencé leurs choix de collaboration. L’application de cette méthode sur plusieurs années consécutives permettrait de savoir si ces formes d’encastrement perdurent ou bien si elles laissent la place à des phénomènes de découplage.
50L’apport de cette analyse exploratoire se situe aussi à un niveau plus méthodologique en montrant l’intérêt d’une analyse réseau comme outil d’aide à la décision pour la structure de gouvernance du pole. En ce sens il peut être appréhendé comme un outil d’intelligence économique.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Le rapport Blanc a largement contribué à la mise en place de cette politique (établie lors d’un comité interministériel d’aménagement et de développement des territoires le 13 décembre 2003).
2 Les prémisses de cette étude : A. Mendez (dir.), 2008, « Quelle articulation entre les pôles de compétitivité et les tissus productifs régionaux ? Une mise en perspective de quatre pôles en Provence-Alpes-Côte d’Azur », article disponible sur le site de HAL <http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00326631/>.
3 “As we have expected (44 %), a great part of the cooperations have their origin in a chain of personal ties between the two leaders who later sign the contract […] it can be classified in two sub-categories of network logics, the first one that involves professional relations (former co-workers, former students on the same courses, professor and former student) and the second one that involves private relations (kin ties or friend ties). The two logics define two different kinds of embeddedness.” (2003 : 294)
4 “The strength of a tie is a (probably linear) combination of the amount of time, the emotional intensity, the intimacy (mutual confiding), and the reciprocal services which characterize the tie.” (1973 : 1361)
5 Association pour la recherche sur les composants et les systèmes intégrés sécurisés : « Imaginée et créée en 1993, sous le nom de CREMSI, par les acteurs de la filière microélectronique régionale, elle réunit cinq grands groupes, Atmel, Gemplus, Philips, STMicroelectronics, Texas Instruments, plusieurs dizaines de PME ainsi qu’une quinzaine d’écoles, laboratoires de recherche et universités de la région. », http://www.arcsis.org/912.0.html.
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