Approche prospective de la « crise de l’eau » en Méditerranée : les SIC comme mise en relation des démarches d’intelligence territoriale descendante et ascendante
p. 69-82
Texte intégral
1La question de l’eau dans le bassin méditerranéen demeure complexe. Les pratiques alternent entre recherche d’accroissement de la ressource via des grands travaux et réhabilitation de méthodes ancestrales d’économie de l’eau pour s’adapter à la pénurie. De nombreux dualismes restent à résoudre tels que des oppositions : Nord/Sud ; pays riches/pays pauvres ; zone littorale/zone intérieure ; pays à forte densité de population/pays peu peuplés, etc. D’ores et déjà de nombreux experts et scientifiques parlent de « crise de l’eau » en Méditerranée. Une Union pour la Méditerranée a officiellement été lancée par Nicolas Sarkozy, le 13 juillet 2008, à l’occasion du sommet de Paris pour la Méditerranée, réunissant quarante-quatre États. Une gouvernance fondée sur une co-présidence Nord/Sud a placé la question de l’eau dans ses axes prioritaires, visant une gestion optimale des ressources en eau et la dépollution de la mer Méditerranée1.
2Les problèmes de société cruciaux que nous avons à étudier et à résoudre (nouvelles sociabilités, éco-responsabilités, développement durable, réduction des fractures numériques, environnementales, culturelles, etc.) nécessitent des changements paradigmatiques et des évolutions dans les méthodes et pratiques de résolution de problèmes. L’objectif de cette contribution est avant tout prospectif pour envisager des pistes de réflexions sur la question de la gestion de l’eau en Méditerranée. L’intelligence territoriale pouvant être abordée par des angles aussi divers que la géographie, l’économie, le territoire, etc., nous choisissons ici de l’envisager par une approche communicationnelle résidant dans une mise en réseau d’acteurs hétérogènes, aux intérêts souvent divergents. Dans cette perspective, les Sciences de l’information et de la communication (SIC) qui étudient les formes et les pratiques de « mise en relation », apportent une pertinence théorique, méthodologique et pratique.
La crise de l’eau en Méditerranée
Des tensions entre l’offre et la demande
3La présentation de notre cas d’étude centré sur la crise de l’eau en Méditerranée nécessite un détour par les travaux des géographes (Dugot 2006 ; Husken et al. 2010 ; Knafou 2010 ; Mathieu 2010). Il s’agit d’une problématique complexe qui doit être abordée de manière systémique pour poser le problème en termes d’offre et de demande d’eau. Même si au premier abord les pays du bassin méditerranéen présentent une pénurie d’eau, les solutions sont loin d’être homogènes et doivent être adaptées et contextualisées de manière locale.
4L’offre d’eau est l’apanage des pouvoirs politiques en place en partenariat avec des acteurs industriels privés, pour pallier le plus souvent à des déterminismes climatiques handicapants. Il s’agit, pour l’essentiel, sur ces territoires méditerranéens, d’ériger des équipements lourds dont l’emblème demeure le barrage hydraulique, pour résoudre les problèmes d’approvisionnement en eau. De lourds investissements sont aussi réalisés dans des usines de dessalement, dans l’ensemencement des nuages en Thessalie ou dans le nord d’Israël ou encore de recherche d’exploitation de l’eau fossile sous le Sahara. Tout se passe comme si ces gouvernements tiraient davantage de profit d’investir dans des technologies innovantes plutôt que de mettre en oeuvre des solutions efficaces, endogènes, adaptées aux usages locaux, et donc à la demande d’eau.
5Ainsi du côté des usages de l’eau, il est noté un fort gaspillage de la ressource plus spécifiquement dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée. Les fuites des réseaux urbains se montent de 20 à 40 % de perte, voire plus. Le comportement des usagers, qu’ils soient des particuliers ou des professionnels (essentiellement agriculteurs ou acteurs du tourisme), aggrave ces déperditions, notamment dans les territoires du Nord, où l’eau est la plus abondante. Cette surconsommation serait tout à la fois due, selon la commission méditerranéenne pour le développement durable, à des problèmes techniques d’acheminement de l’eau mais aussi de techniques d’irrigation inefficientes. Dans les territoires des rivages sud de la Méditerranée, la perte se chiffrerait à plus de 60 %, les facteurs aggravants étant issus d’un manque de capitaux disponibles, d’une plus grande difficulté d’accès aux dernières technologies en la matière, de désorganisation administrative et d’un environnement plus aride.
6L’enjeu est alors de centrer les efforts sur les économies d’eau, notamment en prenant en considération la logique économique du coût de l’eau (production, distribution, assainissement) : 270 milliards pourraient ainsi être économisés sur les 25 prochaines années. Entre alors en débat la question de la tarification de l’eau, qui est loin d’engendrer un consensus tant elle remet en question des pratiques culturelles et sociales. Il s’agirait selon la proposition de Dugot (2006) de responsabiliser les usages particuliers comme professionnels par une politique tarifaire incitative à l’économie de la ressource, calculée par pallier, selon les seuils de consommation. Certains pays l’ont déjà mise en place comme l’Algérie, l’Égypte, la Grèce, le Maroc, Malte ou la Turquie, mais la politique tarifaire pourrait y être encore affinée par tranche d’usagers. Dans le secteur de l’agriculture ces pratiques d’économies d’eau sont peu respectées. Clarifier la question du prix de l’eau vise à démasquer une opacité au service d’intérêts commerciaux.
7Les fonds ainsi récupérés pourraient être investis dans le traitement et l’assainissement d’eaux usées de provenance urbaine à des fins agricoles. La réutilisation des eaux usées est déjà en cours dans certains pays, principalement en Espagne, Chypre et Israël, mais aussi en Égypte et Tunisie. « Nettoyer » l’eau est alors crucial pour éviter les problèmes sanitaires subséquents liés à la dégradation des sols. Toujours sur la question d’une réorganisation des usages de l’eau, il serait opportun de limiter voire éviter des choix agricoles particulièrement gourmands en eau alors que le stress hydrique y est particulièrement élevé : coton, agrumes, bananes, ananas, etc.
8Enfin, étant donné l’importance de la dépendance alimentaire des pays notamment du Sud et de l’Est de la Méditerranée (PSEM), il faut considérer la réalité de « l’eau virtuelle » ayant servi à la production de denrées alimentaires importées (blé, viande bovine, etc.) ; ce qui représente pas moins de 60 milliards de mètres cubes d’eau virtuelle.
Une gouvernance locale déficiente éclairée par la mise en place de l’Union pour la Méditerranée ?
9Dugot (2006) souligne que l’État n’est pas un modèle de gouvernance dans les pays du Machreq comme du Maghreb, en témoigne les actuelles révolutions arabes. Les problèmes de corruption sont omniprésents, aggravés par un déficit d’organes de contrôle des dépenses et de personnels qualifiés. De nouvelles bases législatives et éthiques s’imposent.
10En outre de nombreuses tensions (réchauffement climatique, hausse de la démographie, querelles politiques, résistances culturelles, sociales, mondialisation) peuvent aggraver la crise de l’eau en une guerre de l’eau, déjà présente dans le conflit israëlo-palestinien.
11Une régulation supragouvernementale telle que celle promise par l’Union pour la Méditerranée permettrait une meilleure transparence et équité et d’anticiper d’éventuelles crise politico-militaires dont l’enjeu serait l’accès à l’eau. Œuvrer pour une coopération méditerranéenne et un dialogue “public-privé” optimiserait la recherche de solutions pour la gestion de l’eau. Cette coopération doit envisager des solutions locales, endogènes et ne pas céder à la tentation de transférer des recettes du Nord sur des particularismes du Sud.
12L’Union pour la Méditerranée a placé la question de la dépollution de la mer Méditerranée et de la gestion de l’eau parmi ses six chantiers prioritaires. À partir du site internet de cette Union (http://www.ufm-water.net/), nous avons pu constater sept projets retenus à la date du 24/11/2009, soit environ une année après son lancement. Les pays à l’origine des projets retenus sont le Liban, l’Espagne, l’Algérie, la Syrie, la Palestine et le Maroc. Pour la plupart d’entre eux, il s’agit de mettre en oeuvre des diagnostics et des moyens concrets de gestion durable de la ressource eau pour fournir les besoins en eau potable des villes, l’irrigation de régions agricoles actuellement menacées de sécheresse et de désertification, d’anticiper les problèmes dus au réchauffement climatique et de dépolluer des cours d’eau. La totalité de ces partenariats associent des partenariats institutionnels, politiques, industriels locaux mais aussi français (Agence de l’eau des régions principalement de Corse, Rhône-Alpes, Rhône-Méditerranée et Provence-Alpes-Côte d’Azur). Les financements demandés avoisinent le million d’euros en moyenne. Chaque projet soumis est très localisé sur une zone géographique spécifique du pays demandeur et insiste sur une prise en considération des particularismes institutionnels, législatifs et culturels.
13Aucun bilan intermédiaire d’avancement de ces projets n’est disponible. Seuls sont donc consultables les textes de présentation du projet par le demandeur. En outre, depuis lors, il semblerait que peu d’actions concrètes aient été menées, mise à part des comptes-rendus épars de divers meeting. Aucun autre projet sur les années 2010 et 2011 n’est indiqué. Concernant la sélection des projets 2009, le site internet ne précise pas les critères à partir desquels ces projets ont été retenus. Peu d’informations sont également disponibles sur les modalités précises de financement et d’évaluation des projets au fur et à mesure de leur déroulement. Ainsi, la seule dépollution de la mer Méditerranée a été chiffrée à 2 milliards d’euros. Aucun des 43 États membres de cette Union ne s’est précisément prononcé sur la répartition des financements et un calendrier explicite d’actions. Dans leurs déclarations diverses, est simplement mentionné un recours aux entreprises privées.
14Aucune coopération ou articulation des projets n’est proposée en lien avec une autre instance institutionnelle, celle sur Plan d’action pour la Méditerranée, initié en 1975, sous l’égide du PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement) et concrétisé en une Commission méditerranéenne du développement durable, créé depuis 1996 par les parties contractantes de la convention de Barcelone. Au centre de ses préoccupations, la question du développement d’un tourisme responsable et durable a fait l’objet, en 1999, de la rédaction d’un document de recommandations et de proposition d’actions dont le Plan bleu de la région de Nice-Sofia Antipolis en est l’une des parties-prenantes leader (http://www.unepmap.org). Cependant, le site internet actuel de Planbleu.org ne témoigne pas réellement des avancements des activités de terrain suite à l’élaboration de ce document. Il fournit un ensemble de bilans d’ordre stratégiques sur des préconisations en terme de biodiversité par exemple, un état des lieux daté de 2009 sur le développement et l’environnement en Méditerranée On note également une raréfaction, de l’ordre de 50 %, du nombre d’ateliers et séminaires thématiques sur les années 2010 et 2011 comparativement à 2009. De là, nous pouvons nous poser la question si, tout comme pour l’Union pour la Méditerranée, l’ensemble des documents publiés sur ces sites institutionnels en restent majoritairement à des directives, des orientations, des stratégies « méta-méditerranéennes » mais qui peinent à s’ancrer dans des actions de terrain d’envergure et à nouer des synergies de partenariats entre elles.
L’intelligence territoriale comme mise en relation des acteurs au sein d’une organisation élargie
Fondements théoriques : Intelligence territoriale ascendante versus intelligence territoriale descendante
15L’approche de l’intelligence territoriale ascendante s’oppose a priori à l’intelligence territoriale descendante en considérant le territoire, non pas comme un espace d’application de politiques déconcentrées d’intelligence économique, mais comme un lieu d’émergence d’une nouvelle conception de la gouvernance locale dans le cadre du développement durable (Pelissier 2008 ; Dumas, 2007). L’intelligence territoriale ascendante prend ainsi pour principal objet le développement durable et équitable de la collectivité territoriale. Elle participe d’une vision du territoire comme espace de valorisation de ressources construites selon une logique endogène et favorise le partage de l’information selon une logique coopérative. Cette acception de l’intelligence territoriale est assimilée à un phénomène d’appropriation de ressources du territoire puis de transfert de compétences entre des catégories d’acteurs locaux de cultures différentes. Les territoires ne sont plus considérés comme des « réceptacles passifs » (Greffe 2000) mais comme des ressorts locaux de dynamisme dans une nouvelle approche du développement local ou territorial. À un rôle passif de pourvoyeur de ressources, les territoires deviennent actifs et acteurs de leur propre développement. Cela se traduit par une démarche d’information et de communication territoriale, de création de contenus territoriaux innovants susceptible de favoriser la collaboration et l’adhésion aux projets novateurs vers l’émergence et la valorisation d’un capital formel territorial. Veltz (2002) précise que « l’écosystème relationnel est devenu le facteur clé de performance » et le territoire devient le fournisseur privilégié de ces ressources relationnelles.
Penser les formes et les pratiques de mise en relation des parties-prenantes des rivages méditerranéens
16Au sein de la question de la « crise de l’eau en Méditerranée », nous choisissons de proposer une méthodologie informationnelle et communicationnelle prospective sur la problématique du grand cycle de l’eau et de la biodiversité marine. Nous nous intéressons ici aux rivages méditerranéens, aux prises à des tensions lourdes et complexes : forte densité de population urbaine, récupération et assainissement des eaux usées, pollution des littoraux, pression touristique importante, biodiversité menacée par des espèces invasives et par les rejets et accidents des transports maritimes2. Cette problématique permet aussi d’associer étroitement à cette réflexion, les territoires méditerranéens français, soumis à ces mêmes difficultés mais disposant d’équipements et de compétences supérieurs, et de réfléchir ainsi aux « branchements » possibles, au sens de Amselle (2001) ; c’est à dire permettre aux différentes cultures impliquées de s’ouvrir à ce qui leur font défaut.
17Il s’agit alors d’établir une liste des parties-prenantes pour leur proposer une mise en relation locale mais aussi internationale : penser tout à la fois les formes de mise en relation, les décloisonnements de frontières, « l’inter » et « l’intra », au sein de ce que nous qualifions d’« organisation élargie » (Duvernay 2004). Celle-ci désigne la contextualité sous forme de cinq niveaux organisationnels, au sein desquels prennent place les actions conduites par des individus ou des collectifs engagés dans un processus de communication de changement : infra, micro, méso, macro et méta niveau d’organisation.
- Infra niveau (motivations individuelles) : les usagers grand public, habitants des rivages, de tous âges (de l’enfant jusqu’aux personnes retraitée).
- Micro niveau (collectifs organisés de spécialistes, eux-mêmes subdivisions d’institutions plus larges) :
- les associations de protection de l’environnement ;
- les laboratoires de recherche privés, comme l’Institut océanographique Paul Ricard localisé sur l’île des Embiez, qui conduit régulièrement des missions dans diverses régions de la Méditerranée ;
- des laboratoires de recherche dans les domaines de la biologie marine (sédimentation, prélèvements, aquaculture…) et de la courantologie (suivre la dispersion des effluents) ;
- des laboratoires de recherche en sciences humaines et sociales spécialisés sur les questions en sciences de l’information et de la communication, la géographie, l’économie, etc.
- Méso niveau : agit comme une médiation, sous la forme d’un réseau d’acteurs mis en relation afin de permettre une coopération entre le changement prescrit par les acteurs du macro niveau, dans une démarche d’intelligence territoriale descendante, et le changement initié par les acteurs des infra et micro niveaux, dans une logique d’intelligence territoriale ascendante (Pybourdin et Duvernay 2010).
- Macro niveau (instances gouvernementales, tissu industriel) :
- les collectivités locales, régionales voire gouvernance nationale : maires, conseils généraux, régionaux, communautés urbaines, ministères, etc. ;
- les experts : par exemple, le pôle de compétitivité Mer PACA, les agences de l’eau, l’Union pour la Méditerranée, le Plan bleu, le Plan d’action pour la Méditerranée, etc. ;
- les industriels tous secteurs d’activités confondus, tout à la fois consommateur mais aussi pollueur vis-à-vis du grand cycle de l’eau ;
- les industriels spécialisés dans l’acheminement, l’assainissement, le retraitement des eaux usées en eau potable (par exemple Véolia).
- Méta niveau : héritage parcours politique, social, historique, culturel, à l’origine des grandes Institutions (ici la Méditerranée, l’Environnement). Il influence les autres niveaux en les irriguant.
18La complexité d’une telle liste hétérogène de parties-prenantes est la divergence de leurs intérêts. Par la conduite d’entretiens approfondis de type compréhensif (Kauffman 2001), il s’agira de les engager en mettant au jour les points de convergences possibles.
Le changement socio-écologique au cœur d’une dialectique top down et bottom up
La « communication engageante » pour co-créer des dispositifs d’information et de communication endogènes
19Duvernay et Dumas (2010) ont montré que le changement socio-écologique implique une relation complexe entre local et global, entre les personnes, entre les individus et les technologies, qu’une approche uniquement top-down ne peut résoudre. Il s’agirait alors de construire des ponts entre les fossés interpersonnels fondés sur des représentations partagées et un sentiment d’appartenance territorial.
20Nous pensons que le paradigme de la communication engageante cofondé par des chercheurs en psychologies sociales et en sciences de l’information et de la communication (Joule et al. 2004 ; Bernard et Joule 2004 ; Bernard et al. 2007) est à même de favoriser l’engagement des acteurs hétérogènes au sein d’un réseau de coopération, permettant ainsi de passer des idées stratégiques top-down à des actions concrètes de type bottom-up. En appui de cette proposition, ces chercheurs ont par ailleurs conduit avec succès des travaux de « communication d’action et d’utilité sociétales », notamment dans le domaine de l’environnement méditerranéen (Bernard 2005-2008 ; 2008) : les comportements écocitoyens dans l’espace balnéaire auprès des baigneurs sur les plages de Marseille et auprès des plaisanciers en mer Méditerranée. Ces auteurs ont montré que, pour être engageant, un acte devait être précédé d’un « acte préparatoire peu coûteux », obtenu dans un « contexte de liberté » (ce peut être un clic de souris dans un média numérique ou la participation à une réunion par exemple), pour que l’individu puisse tisser un lien « entre ce qu’il est et la cause à défendre ou à promouvoir » (Bernard 2009). La relation entre l’acte et sa signification s’accomplit notamment par « l’identification de l’action », dans un contexte où c’est la situation qui engage l’individu selon des caractéristiques objectives et non pas personnologiques (Joule et Bauvois 2002). « Ainsi la notion d’identification de l’action structure le dispositif de communication engageante conçu dans les projets de recherche-action. » (Bernard 2009) Enfin, reste le « caractère public » de l’acte, plus engageant qu’un acte réalisé dans l’anonymat.
21Dans la continuité de leurs travaux, nous proposons de nous appuyer sur le réseau des parties-prenantes pour co-construire les dispositifs socio-techniques d’information et de communication jugés les plus efficients par l’ensemble des acteurs. Cette co-création entre scientifiques et acteurs de terrain est à même d’assurer la prise en compte des spécificités et enjeux locaux. Etant donné l’hétérogénéité des publics des rivages méditerranéens, l’idée serait de mettre en relation les logiques d’acteurs divergentes et d’ainsi combiner dispositifs de communication en face-à-face avec des dispositifs de communication à distance médiés par l’internet. Bernard (2009) souligne sur la question des parties-prenantes que « la mise en relation d’objectifs, de projets par et dans ces formes inter-organisationnelles est marquée par un ensemble de tensions et peut être définie comme relevant d’une logique de coopération-lutte ».
Proposition d’une scénarisation de plusieurs dispositifs de communication engageante
22Nous proposons d’étudier les usages et comportements communicationnels des populations du littoral et des aires marines au sein de plusieurs dispositifs mettant en œuvre les nouvelles formes de communication, dans des situations de communication de crise, puis de communication éducative, et à travers trois usages de l’eau :
- La population consommatrice d’eau douce potable et de loisirs en milieu marin (alimentation, baignades, sports nautiques, plaisance, etc.) ;
- La population pollueuse de ce milieu marin par les effluents qu’elle rejette ;
- La population globalement prescripteur collectif au sein de sa collectivité locale, voire régionale, pour la mise en œuvre de politiques d’aménagement du territoire, et notamment des plages et zones côtières (qualité des eaux de baignade, systèmes de rejet des déchets polluants et des eaux usées, etc.). Le citoyen prescripteur individuel par un comportement responsable (respect de la biodiversité marine).
23L’originalité de notre approche consiste à étudier les usages et comportements communicationnels de cette population à travers la mise en place de trois dispositifs de communication différents et mis en perspectives dans une approche comparative, favorisant « la répétition de l’acte engageant » et par là-même, l’engagement des acteurs. Ils seront animés par de la « communication virale »3, sous forme de vidéos retraçant par exemple une situation de crise, à télécharger, et dont le clic nécessaire pour cela constitue un « micro acte préparatoire » (Bernard et Courbet 2009).
24Le premier dispositif est un dispositif de communication directe lors de situations animées où la population est physiquement face-à-face (événements, réunions plénières, etc.) permettant d’affirmer le « caractère explicite » de l’acte et d’amorcer « l’identification de l’action » : les observations scientifiques seront conduites sous forme de captations vidéos, d’entretiens semi-directifs et questionnaires a posteriori.
25Vient ensuite un dispositif de communication médiée sous la forme d’un site internet contributif de type Web 2.0 où la population communique à distance au même moment (chat ou en différé (publications de contenus textuels de type blog ou forums, et aussi audiovisuels de type photos, vidéos, podcasts, etc.), renforçant ainsi « l’identification de l’action » : les mesures opérées par les chercheurs se feront par des questionnaires en ligne a posteriori, des analyses discursives et sémiotiques des contributions.
26Enfin, le dernier est un dispositif sous la forme d’un monde virtuel de type Second Life où la population communique à distance au même moment mais par l’intermédiaire d’avatars (personnage 3D), mais aussi en différé (publications de contenus textuels et audiovisuels sous forme d’objets dans un environnement spatial). Ce dernier dispositif agit en tant que « publicisation de l’acte », déjà amorcée par les forums et blogs du dispositif précédent, dans un « espace public partiel » (Bernard 2009). Les observations se feront sous forme de captation vidéo des séances, de questionnaires en ligne a posteriori, d’analyse discursive et sémiotique des contributions.
27Les méthodologies mobilisées porteront sur l’observation des usages et comportements communicationnels, les médiations de savoirs mobilisés et diffusés, les relations entre « l’espace public partiel » et les médias numériques, ainsi que l’étude des représentations sociales que s’en font les acteurs que nous avons identifiés.
28En conclusion, nous pouvons affirmer qu’il n’y a pas une mais des questions de l’eau en Méditerranée tant la situation notamment environnementale est contrastée entre les pays du Nord de la Méditerranée et ceux de l’est et du sud, moins dotés en équipements et en moyens financiers, bien que les plus touchés par la pénurie d’eau et les problèmes d’assainissement. Des progrès constants sont réalisés en termes de pollution marine, et de préservation de la biodiversité. Cependant, de lourds efforts sont encore à mettre en oeuvre sur les rejets de déchets sur les côtes, les dégazages de bateaux dans les ports et en mer, et la lutte contre des espèces animales et végétales toxiques invasives provenant de zones tropicales. De nombreuses lois, la plupart internationales, ont été promulguées dans les pays méditerranéens, mais leur application réelle sur le terrain reste inégale, due notamment à des modes de gouvernance déficients. Reste à anticiper si possible, mais aussi à gérer en temps réel, les effets déjà présents dus au réchauffement climatique.
29Dans un tel contexte, notre approche prospective propose un accompagnement des dynamiques de territoires. Une réflexion informationnelle et communicationnelle de l’intelligence territoriale vise à aider pour pallier aux lacunes relevées en termes de données et informations disponibles, sur le plan de leur qualité comme de leur quantité. Il s’agit en fait d’impulser une communication de changement par une démarche de recherche-action participative. C’est pourquoi, nous pensons que partir des acteurs de terrain, en favorisant les synergies locales, peut permettre une coopération endogène efficace, tout en restaurant un dialogue porteur de solutions croisées entre des préconisations obtenues par des démarches d’intelligence territoriale ascendante (bottom-up) et des directives parfois trop exogènes aux situations vécues car issues de démarches territoriales descendantes (top-down).
30L’institution de gouvernance globale, l’Union pour la Méditerranée, s’inscrit dans cette dynamique dialectique. Cependant, à ce jour, elle n’a pas encore pris la pleine possession de ses prérogatives. Demeurent en suspens : les transitions vers la démocratie encore incertaines suite aux révolutions récentes des pays arabes de la rive sud du bassin méditerranéen ; le conflit israëlo-palestinien ; la gouvernance de cette Union et l’Égypte abandonnant sa co-gouvernance avec la France.
31Selon l’ONU, le défi est maintenant de faire en sorte que les gouvernements priorisent une hydropolitique, du fait de son enjeu géopolitique qui dépasse les frontières nationales des États, pour éviter une « guerre de l’or bleu » au profit des États les plus forts politiquement et économiquement.
Bibliographie
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Webographie
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Notes de bas de page
1 Voir le site internet de l’Union pour la Méditerranée consacré à la question de l’eau : http://www.ufm-water.net.
2 Données issues d’un rapport intitulé État de l’environnement et du développement en Méditerranée réalisé en 2009 par le Plan d’action pour la Méditerranée et disponible sur le site internet : www.planbleu.org.
3 L’intérêt de la communication virale pour nous est de permettre de recruter une population de référents actifs locaux sur notre objet d’étude, laquelle fera participer ses réseaux sociaux à notre expérimentation sur les trois dispositifs. Nous voulons ainsi constituer une population identifiée et suivie sur toute la durée du projet de recherche.
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2014
Pratiquer les frontières
Jeunes migrants et descendants de migrants dans l’espace franco-maghrébin
Françoise Lorcerie (dir.)
2010