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    Plan détaillé Texte intégral Eco-responsabilité et connaissance partagée en MéditerranéeInnover dans les pratiques de recherche et les pratiques environnementales : les enjeux de la métropolisation et de la participation Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    Savoirs en action

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Savoirs et actions : vers une culture de l’éco-responsabilité en Méditerranée

    Françoise Bernard

    p. 21-36

    Texte intégral Bibliographie Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1La Méditerranée constitue un espace naturel d’une grande richesse avec une biodiversité très importante, une faune et une flore endémiques, que les cultures traditionnelles avaient su préserver. Avec l’industrialisation, l’intensification des échanges et l’urbanisation, les équilibres ont été rompus il y a bien longtemps. L’activité touristique de masse – ou de luxe – exploitant la douceur du climat, la beauté des sites naturels et la richesse du patrimoine culturel en Méditerranée est porteuse de son lot d’aberrations qui s’ajoute aux dommages provoqués par l’industrialisation et l’urbanisation. La sur-urbanisation du littoral, l’accélération de la métropolisation et le développement de pratiques inadaptées (multiplication des stations balnéaires avec des programmes immobiliers démesurés, développement des golfs, des piscines, des pelouses, etc.) provoquent des dégradations qui peuvent conduire à des ruptures d’équilibre irréversibles. L’état environnemental des terres bordant la Méditerranée et des eaux est, depuis plus d’un demi-siècle, très préoccupant.

    « Malgré différentes initiatives politiques au niveau international, la Méditerranée reste confrontée à de graves problèmes environnementaux qui résultent à la fois du changement climatique et de facteurs tels que l’agriculture intensive, la surpêche, l’urbanisation galopante du littoral, le manque de contrôle sur l’élimination des déchets et l’évacuation des eaux usées et l’augmentation du commerce et du transport maritime1. »

    2Des initiatives scientifiques et publiques sont prises à différentes échelles – Europe, États, régions, villes – des organisations environnementales sont créées, des rencontres et études se multiplient. Depuis plus de trente ans, vingt et un pays riverains de la Méditerranée et l’Union européenne ont développé un dispositif de coopération régionale environnementale original dans le cadre du Plan d’action pour la Méditerranée (PAM) du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Le Plan Bleu2, en sa qualité d’observatoire de l’environnement et du développement durable en Méditerranée, joue un rôle important, notamment en ce qui concerne l’étude des conséquences du changement climatique pour les zones méditerranéennes et la problématique de l’eau. À l’échelle nationale, les pays du pourtour méditerranéen ont des expériences variées de la structuration ministérielle des thèmes environnementaux, le Grenelle de l’environnement en France, la préparation du code de l’environnement en Tunisie, etc. Autre exemple, local cette fois ci, en Région aixoise, le technopôle de l’environnement – Arbois-Méditerranée – réunissant chercheurs et partenaires multiples, conduit de nombreuses actions de recherche et de valorisation.

    3Tous ces efforts et ces initiatives semblent encore bien insuffisants et de plus ne portent pas toujours les fruits escomptés, d’autant plus que les enjeux de développement entre le Nord et le Sud sont différents et que les formes de cloisonnement entre états et régions méditerranéens sont multiples.

    4Au regard de l’importance des enjeux, et compte tenu des effets limités des initiatives déjà mises en place, la volonté publique et collective doit être encore consolidée, la mobilisation des populations concernées est, quant à elle, insuffisante. Face à de telles limites, la perspective qui consiste à développer des démarches associant savoirs et engagement solidaire des populations concernées semble être une des voies les plus prometteuses. Nous la trouvons comme source d’inspiration dans différents programmes, par exemple, avec le slogan : « La solution sera scientifique et solidaire »3, le technopôle de l’environnement – Arbois-Méditerranée – se positionne en faveur de ces dynamiques entre recherche et engagement civique et public.

    5Nous souhaitons poser les enjeux du partage citoyen des savoirs et rendre compte des projets de recherche à caractère expérimental et participatif fondés sur l’association entre savoirs académiques et savoirs d’expérience afin de mieux intégrer les enjeux environnementaux dans les activités humaines et les politiques publiques.

    Eco-responsabilité et connaissance partagée en Méditerranée

    6Les éléments de débat sur la question du partage des savoirs sont nombreux. Les enjeux et les postures sont différentiés. À côté de la question de la relation que les sciences entretiennent avec la société, une autre question forte est posée, celle de la relation entre savoirs et économie.

    7Les nouveaux dispositifs de la recherche publique et l’orientation autour de « l’excellence » mise en place, pour la France, tendent à orienter la recherche vers l’économie, nous ne traiterons pas cet aspect, pourtant important, dans notre réflexion pour ce chapitre. Nous nous centrerons plutôt sur la relation que les sciences entretiennent avec la société. De ce point de vue, il convient de distinguer deux enjeux, celui de la socialisation des savoirs et celui du partage des savoirs orienté vers des objectifs sociétaux et des réponses à une demande sociale. Le premier enjeu concerne la diffusion et la circulation des savoirs, le deuxième concerne la mise en place de dynamiques de changement dans la perspective d’une utilité sociétale.

    8La question de la socialisation des savoirs, aussi qualifiée de « vulgarisation scientifique » (Jurdant 1973 ; 2005), recouvre les pratiques qui permettent de diffuser des savoirs de la sphère scientifique vers la sphère non scientifique. Autour et à côté du modèle diffusionniste, des chercheurs vers les non chercheurs, s’est développée une réflexion centrée sur l’analyse du rôle des ressources de médiation et de médiatisation dans cette diffusion. À côté du fameux « troisième homme », figure de la médiation scientifique qui met en relation des spécialistes avec des non-spécialistes, les chercheurs en communication – et en sciences du langage – étudient les nouvelles formes de cette mise en relation, notamment via Internet avec les ressources textuelles de l’hypertexte (Reboul-Touré 2004) et plus généralement avec les dispositifs techniques de médiation (Le Marec 2007). Médiation et médiatisation permettent aux chercheurs de mieux faire comprendre leurs travaux par des non-spécialistes. Au-delà de la question de la diffusion, les chercheurs ont à rendre compte de la pertinence de leurs travaux pour la société, la science est aussi un enjeu citoyen (Lipinski 2012). Ainsi se dessine la figure du citoyen-chercheur qui est aussi un acteur d’une « culture scientifique ». Cette figure, au nord de la Méditerranée, est historiquement ancrée dans la dynamique mise en place depuis les Lumières, avec l’idée d’un citoyen éduqué, cultivé et responsable, apte à délibérer sur les questions importantes. Nous savons bien que cet idéaltype ne correspond à aucune réalité empirique, et les scientifiques eux-mêmes regrettent souvent la faiblesse de la culture scientifique de leurs contemporains. Cependant, cet idéal-type sert de « guide » au moins pour un ensemble de déclarations publiques et institutionnelles. Au sud de la Méditerranée, la question se pose différemment parce que l’histoire est différente, mais bien sûr il convient de laisser à nos amis, chercheurs des pays du sud concernés, l’initiative de la définition des termes du débat dans des environnements géopolitiques et culturels qui ont leurs spécificités. Pour les pays concernés, le problème de l’extension des zones arides est un des problèmes majeurs : « la désertification consiste non pas dans l’extension naturelle des déserts existants, mais dans la dégradation des sols dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches »4. Ce problème a aussi un volet culturel important qui affecte de nombreuses communautés, l’agriculture traditionnelle régressant sous l’influence de multiples facteurs dont celui de la globalisation dans le domaine agricole. À côté de l’industrie touristique, on note aussi l’émergence d’un écotourisme, par exemple en Tunisie le parcours nommé « Mémoire de la terre, du désert et des oasis ».

    9Au Nord, on voit se dessiner deux grandes perspectives. D’une part, une perspective de spécialisation de plus en plus forte du travail de la recherche couplée à une logique de production appliquée à une recherche au service de la compétition économique, y compris d’un capitalisme vert, et, d’autre part, d’autres courants qui s’interrogent sur la relation entre recherche et modèle de développement durable et sur la relation entre intelligence distribuée et approfondissement/élargissement du modèle démocratique – participatif (Stengers 2009). Parallèlement, le paysage idéologique et politique évolue. Au paradigme socio-historique en crise du progrès associé à l’état-providence, succède le paradigme de la société du risque et de l’incertitude (Beck, Giddens et Lash 1994). Ces perspectives soulignent que le débat sciences/société est doublé d’un autre débat sciences/pouvoir et que tous deux impliquent la communication dans toutes ses formes, et notamment la médiation et la publicisation. La science apparaît, de manière indéterminée, à la fois comme promesse et comme risque. De la même manière, la question du pouvoir se décline en catégories interdépendantes : pouvoir économique, pouvoir politique, pouvoir scientifique et pouvoir social. Force est de constater que la catégorie du pouvoir social est historiquement et globalement en retrait vis-à-vis des autres, à l’exception de quelques moments particuliers. L’exemple est venu récemment du Sud avec la Révolution de jasmin en Tunisie et plus généralement avec les « révolutions » qui touchent les pays du sud de la Méditerranée, le pouvoir social réapparaît. Face aux urgences sociales et politiques, la question environnementale semble en retrait ; or, elle est majeure pour des pays qui risquent d’être particulièrement fragilisés notamment par le réchauffement climatique dans les décennies qui arrivent.

    10La question environnementale dans sa dimension systémique est problématisée de multiples façons. Nous retiendrons plus particulièrement le « retour » de Gaïa, notion issue de la cosmogonie d’Hésiode et réactualisée au sens de cet « agencement chatouilleux de forces indifférentes à nos raisons et à nos projets » (Stengers 2009 : 55). Ce retour de Gaïa, déjà annoncé dans les années 1970 par le scientifique James Lovelock (1974 ; 2007) pour désigner « la Terre comme un être vivant », apporte une dimension centrale aux débats sur le modèle de développement. Nous pouvons nous demander en quoi cette notion est aidante pour penser les problèmes environnementaux des territoires et des peuples méditerranéens. La Mare nostrum, définition romaine d’une entité géopolitique, peut être définie comme un fragment de Gaïa chez certains auteurs. La question de sa préservation culturelle et environnementale continue à être de forte actualité vingt siècles plus tard (Bromberger 2001 ; Maniscalco 2002). Cependant, l’imaginaire d’une unité méditerranéenne se heurte aussi à la réalité et à l’épaisseur des nombreuses frontières. Les frontières officielles, nationales et les frontières plus souterraines, moins visibles, celles de la mosaïque des religions et des cultures (Albera, Blok et Bromberger 2001). Plusieurs questions se posent que nous résumerons de la manière suivante : peut-on imaginer que la Méditerranée du sud définisse un modèle de culture et de développement durables qui lui soit propre et qui ne reprenne pas les erreurs productivistes du modèle du Nord ? Peut-on imaginer des inflexions significatives économiques et culturelles pour les pays du Nord dans leur modèle de développement qui replacerait l’humain, le social et l’environnement au centre de la pensée et des pratiques ? Comment mutualiser, entre le nord et le sud de la Méditerranée, les expériences et les savoirs afin d’éviter certaines erreurs socio-environnementales. Quel est le rôle des chercheurs, de la société civile des pouvoirs publics et des entrepreneurs dans cette mutualisation ?

    11Nous allons explorer une question spécifique, celle de la coopération entre chercheurs et non-chercheurs dans des projets de recherches-actions à dimension participative.

    Innover dans les pratiques de recherche et les pratiques environnementales : les enjeux de la métropolisation et de la participation

    12Nous souhaitons apporter une contribution consacrée à l’innovation dans les pratiques de recherche en communication afin de prendre en compte des dimensions fortes : recherche, culture, environnement, changement. Ces dimensions ont à voir avec la reconfiguration des territoires méditerranéens et le phénomène de métropolisation, avec l’évolution culturelle orientée vers un désir de participation citoyenne et éco-citoyenne, avec les ressources de certaines méthodes de recherche, la recherche-action et la méthode participative. L’idée d’innovation, dans la réflexion présentée ici, ne passe pas obligatoirement par le mainstream des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), mais n’exclut pas – bien au contraire – les TIC comme ressources dans une logique participative, même si nous ne traiterons pas ici de cette dimension par ailleurs présente dans nos travaux (cf. notamment le projet ANR cité en référence).

    13La notion de métropolisation qui vient de la géographie est intéressante pour comprendre l’actualité des métamorphoses de l’occupation des territoires en pays méditerranéens mais encore plus pour comprendre l’importance des problèmes environnementaux actuels et à venir. Cette notion souligne une dynamique commune aux Nord et Sud. De grandes métropoles sont constituées autour des centres urbains, par exemple : Oran, Alger, Tunis, Alexandrie, Beyrouth au Sud, Séville/Malaga, Barcelone, Marseille (de Nice à Montpellier), Gênes, Naples, Athènes au Nord. Des couloirs très larges et étendus de métropolisation sont accompagnés des phénomènes caractéristiques : hausse des prix du foncier, privatisation de la mobilité, pression démographique sur le littoral.

    « La superficie d’une aire métropolisée est grosso modo proportionnelle à la taille de l’agglomération. Elle est généralement 10 à 12 fois plus étendue que celle de son noyau aggloméré. » (Douay et Moriconi 2009)

    14La carte des inégalités est elle aussi transformée, de nouvelles fractures apparaissent (Puissant et Lacour 1999). Si l’on associe métropolisation et mobilité, on s’aperçoit que des situations très contrastées existent, que des populations pauvres qui se rassemblent dans ces métropoles n’ayant pas accès à la mobilité côtoient des populations riches et à forte mobilité.

    15La métropolisation n’est donc pas synonyme de développement partagé ; par exemple, le nombre de sièges d’entreprises multinationales d’Oran et d’Alexandrie est quasi nul. Les spécialistes soulignent que la somme des Produits Urbains Bruts (PUB) générés par les quinze métropoles méditerranéennes n’atteint même pas le PUB d’autres grandes métropoles prises séparément, par exemple celui de Los Angeles, et la moitié de celui de New York ou de Tokyo (Douay et Moriconi 2009). Les espaces agricoles et les milieux naturels sont de plus en plus enchâssés dans des territoires urbains, la biodiversité est en régression constante et accélérée, fortement menacée. Les problèmes de la gestion des déchets, de la destruction des sols et de la pollution des eaux deviennent eux aussi cruciaux.

    16Cette nouvelle géographie de l’espace méditerranéen appelle de nouvelles politiques, mais appelle aussi la constitution de nouvelles formes d’échange et de coopération entre métropoles, tout particulièrement dans le domaine de l’environnement. Cependant, la coopération porte souvent sur des enjeux économiques et moins sur des enjeux environnementaux, par exemple le projet Coopération Métropoles Méditerranéennes (C2M) avait conduit en 2004 à la publication avec l’Institut de la Méditerranée d’un Livre blanc5 : Le système métropolitain méditerranéen. On y parle de « développement équilibré du territoire ». Ce réseau, représentatif de ces nouvelles coopérations inter métropoles, trouve son origine dans « la signature, en 1998, par les maires de Barcelone, de Lyon, de Gênes et de Marseille, d’une charte d’alliance par laquelle ils s’engageaient à renforcer leurs liens et leurs échanges sur toute une série de questions touchant à la cohésion et à la compétitivité du bassin méditerranéen ».

    17De manière générale, la métropolisation et ses effets environnementaux nécessitent aussi le développement d’une culture de la responsabilisation des populations qui est complémentaire et indispensable à la définition de politiques publiques environnementales. En effet, si nous reconnaissons le caractère indispensable de la volonté publique, nous en mesurons aussi toutes les limites dès lors que les populations ne se mobilisent pas pour les grandes causes qui concernent leur qualité de vie et leur avenir.

    18Nous souhaitons, modestement, porter témoignage de projets de recherche portant sur des expérimentations où la question environnementale est abordée de manière originale en conjuguant approche expérimentale et approche participative. La réflexion proposée est issue de travaux qui portent sur les pratiques de recherche-action participative et coopérative qui impliquent un corpus de projets de recherche financés6 et qui concernent un programme de recherche : « La communication engageante et instituante appliquée à l’environnement. » Nous ne développerons pas, dans cette contribution, le cadre théorique de ces travaux ni les résultats (Bernard, 2008 ; Bernard, Courbet et Halimi-Falkowicz 2010). Nous soulignerons plutôt la pertinence qu’il y a à associer des savoirs académiques et des savoirs d’expérience et à constituer des réseaux de partenaires hétérogènes : équipe de recherche, associations et pouvoirs publics dès lors que l’objectif est de favoriser la mise en place et l’institutionnalisation de nouvelles pratiques et de nouvelles valeurs. Ces projets ont fait l’objet de publications (Bernard 2008 ; 2007 ; 2006).

    19Afin d’illustrer notre propos, nous prendrons l’exemple de deux projets de recherche conduits sur le littoral méditerranéen et impliquant les populations, usagers de la mer, plaisanciers et baigneurs que nous allons présenter de manière très succincte.

    20Le premier projet a été consacré à « la sensibilisation des baigneurs à l’environnement marin et à la propreté urbaine sur les plages de Marseille » (Bernard (dir. scientif.) 2008) a aussi été impulsé par le Conseil régional de Provence-Alpes-Côtes d’Azur et par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. L’étude a été réalisée dans le cadre d’une collaboration entre le CREPCOM (IRSIC-CREPCOM depuis 2008) et l’Office de la Mer de Marseille. Cette recherche-action reprend le cadre théorique et méthodologique de la communication engageante (Bernard 2007). Elle a impliqué six associations environnementales dont certaines fédèrent un ensemble d’autres associations et les pouvoirs publics (Ville de Marseille, communauté urbaine Marseille Provence Métropole). En juillet-août 2006 : 1584 baigneurs se sont engagés ; lors de l’été 2007 : avec l’implication de 29 animateurs-enquêteurs (mouvement associatif et enquêteurs du laboratoire) pendant 239 demi-journées d’intervention, 3 041 baigneurs se sont engagés. Près de 5 000 baigneurs ont donc été sensibilisés et engagés à pratiquer des comportements écocitoyens (prise en charge et tri des déchets) tout en acquérant une culture de la responsabilité environnementale (connaissance et préservation du milieu marin et du littoral) pendant deux étés (2006 et 2007). L’étude intègre également une analyse portant sur les niveaux d’identification de l’action écocitoyenne où il apparaît que spontanément les baigneurs identifient leur action à des niveaux variés et plus ou moins élevés : pour leur confort, le respect des autres, pour leur Ville et même pour la planète.

    21Le deuxième projet (Joule, Masclef et Jarmasson 2006) a été conduit le long des côtes méditerranéennes (Côte d’Azur). Cette recherche-action a été impulsée par le service Environnement et Énergie de la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur et par l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie. Cette fois, il s’agissait de promouvoir l’éco-citoyenneté chez les usagers de la mer (plaisanciers, professionnels de la mer, etc.). La recherche a été réalisée dans le cadre d’une collaboration entre le Laboratoire de Psychologie Sociale de l’université de Provence et le collectif Ecogestes, collectif de praticiens regroupant seize structures d’éducation à l’environnement, soit près de cinquante « ambassadeurs de la mer » allant à la rencontre des usagers (plaisanciers notamment) directement en mer. L’étude avait précisément comme objectif l’amélioration du dispositif d’intervention utilisé par les ambassadeurs pour inciter les usagers de la mer à modifier certains de leurs comportements afin de préserver le littoral méditerranéen. Concrètement, lorsqu’ils étaient abordés par les ambassadeurs, les usagers de la mer étaient tout d’abord invités à accepter un entretien immédiat d’une vingtaine de minutes sur la thématique de la préservation de la mer (premier acte préparatoire). Dans le cadre de cet entretien, les usagers recevaient des informations et des conseils liés à la préservation de la mer. Leur participation active était recherchée durant tout l’entretien. On leur demandait, par exemple, leur avis sur les conseils les plus pertinents à donner aux autres plaisanciers (deuxième acte préparatoire). À l’issue de cet entretien, les usagers étaient invités à accepter la remise d’un livret (troisième acte préparatoire). Dans ce livret, gratuit, on trouvait des informations sur la faune et la flore marines et des conseils pour préserver la Méditerranée. Comme dans les deux études précédentes, les usagers étaient enfin invités à signer un bulletin d’engagement. Ils pouvaient choisir dans une liste de comportements ceux qu’ils s’engageaient désormais à adopter en mer, par exemple, à ancrer leur embarcation dans le sable et non pas dans l’herbier de Posidonie (herbier fragile et indispensable à l’équilibre de la flore et de la faune), à utiliser des savons naturels, ou encore à utiliser des détergents comportant un écolabel. Enfin, les usagers avaient la possibilité de placer sur leur embarcation, s’ils le souhaitaient, le fanion de la campagne Ecogestes, afin de montrer (dimension sensible) publiquement leur engagement en faveur de la préservation de l’environnement (renforcement de l’engagement via le caractère public de l’engagement).

    22Durant l’été, plus de trois mille usagers de la mer ont été sollicités. La procédure d’intervention utilisée est telle que la quasi-totalité d’entre eux a accepté, au terme de l’entretien, de signer le bulletin d’engagement et s’est donc engagée à modifier un ou plusieurs de ses comportements.

    23Afin d’évaluer l’impact de l’intervention, les ambassadeurs reprenaient ultérieurement contact en mer avec certaines personnes « engagées ». Elles étaient facilement repérables grâce au fanion flottant sur leur bateau. Dans le cadre d’un nouvel entretien, les ambassadeurs testaient leurs connaissances du milieu marin et des bons gestes à adopter pour ouvrer à sa préservation. Ils recueillaient aussi, par observation directe, un certain nombre d’informations sur les comportements effectifs à bord (ancrage, type de savon ou de produit d’entretien).

    24Il ressort clairement de ce recueil de données que les personnes engagées, comparativement aux usagers de la mer n’ayant pas été sollicités pour le premier entretien (condition contrôle) ont, d’une part, de meilleures connaissances sur le milieu marin et sur la façon de le préserver et, d’autre part, ont adopté des pratiques plus écologiques : par exemple, ils sont significativement plus nombreux à utiliser du savon naturel (53 % vs 39 %) ou des détergent comportant un écolabel (56 % vs 24 %), ou à ancrer dans le sable (75 % vs 60 %). Ainsi, le dispositif de communication engageante impliquant les usagers de la mer a permis de déboucher sur des effets cognitifs et comportementaux recherchés.

    25En guise de bilan, ces travaux contribuent à :

    • apporter une contribution à l’étude de la relation entre communication et action dès lors que l’objectif du changement de pratiques est défini ;
    • construire des formes inter organisationnelles : pouvoirs publics, associations/ONG, laboratoires de recherche, entreprises ;
    • favoriser des échanges entre groupes sociaux et cultures ;
    • mettre en relation savoirs académiques et savoirs d’expérience ;
    • développer des pratiques d’interdisciplinarité, en l’occurrence entre SIC et psychologie sociale ;
    • co-concevoir des actions collectives et coproduire des questions de recherche ;
    • favoriser le pluralisme théorique et méthodologique ;
    • articuler recherches-actions et recherche critique ;
    • penser la relation entre action et institutionnalisation de nouvelles pratiques et valeurs ;
    • penser le continuum : action, émotion, cognition, signification, symbolisation, en entrant par l’action comme « support » ;
    • réfléchir à une transférabilité, une généralisation des recherches-actions conduites.

    26L’objectif est de poursuivre la réflexion ouverte par ces recherches quant à la question de leur transférabilité et de leur généralisation.

    27Nous avons consacré une publication centrée sur les enjeux socioprofessionnels et les enjeux sociocognitifs présents dans ces projets (Bernard et Caspar 2011). Nous proposons de revenir brièvement sur l’adossement, assez original, d’une démarche expérimentale à une démarche participative, car cet adossement est aussi emblématique de la coopération et de l’interdépendance entre les partenaires de ces projets afin d’atteindre deux catégories d’objectifs : des objectifs de recherche et des objectifs sociétaux et environnementaux.

    28Dans ces projets, l’idée forte est de comprendre et expérimenter le changement en actes et en valeurs, en « milieu naturel », en l’occurrence avec les populations et sur le littoral méditerranéen. Une des questions structurantes est celle de l’ouverture d’un cours d’action par et dans une situation de communication. Dans ces projets, nous montrons que l’heuristique de l’action est centrale pour le traitement des questions d’écocitoyenneté et d’éco-responsabilité, elle se combine à deux autres heuristiques :

    • l’heuristique du sensible – et de la peur – ;
    • l’heuristique de la compréhension et de la connaissance.

    29L’heuristique de l’action est centrale dans le paradigme de la communication engageante, elle sert de « support » en quelque sorte aux heuristiques de la compréhension et du sensible. L’heuristique de la peur, explorée par le philosophe de l’écologie Hans Jonas (1979), quant à elle, a un autre statut, en ce sens qu’elle est omniprésente, de manière explicite ou latente, et qu’elle est en quelque sorte transversale aux autres heuristiques. L’heuristique du sensible passe aussi par « le choc du beau », un présupposé très présent pour la production photographique et cinématographique ayant trait à la préservation de l’environnement (cf. projet ANR). Nous présupposons que le passage d’une heuristique à l’autre, même s’il reste marqué par de l’indétermination, est facilité par l’action comme support et pivot. L’ensemble des heuristiques concourt à produire de la responsabilité éco-sociétale.

    30Ces recherches s’inscrivent par ailleurs dans le grand mouvement des recherches-actions (RA). La recherche-action à dimension sociétale a donné lieu à des expériences et à une réflexion approfondie principalement au Canada et en Amérique latine (Fals Borda 1987). La posture du chercheur est redéfinie. Le chercheur est préoccupé par une mise en relation entre la recherche et l’action et projette de contribuer à des transformations dans la société (cf. notamment : Anadon 2007) en même temps qu’à la production de nouveaux savoirs. Selon la pertinente formule de Huybens (2007), il s’agit d’« inscrire la recherche scientifique dans le laboratoire de la vie ». Bien évidemment, cette inscription revêt une dimension heuristique et soulève de nouvelles questions de recherche. La recherche-action est ainsi un mode de régulation de la société mais aussi de la recherche qui intègre la dimension politique et qui pose les questions du « pouvoir-savoir » et du « vivre-ensemble ».

    31Les RA que nous avons conduites et les pratiques de recherche qui les accompagnent prises dans leur ensemble deviennent pour nous, à un méta niveau, des objets d’étude. Nous proposons de théoriser ces démarches caractérisées par une dimension scientifique et une épaisseur sociétale. Les notions suivantes nous semblent particulièrement pertinentes :

    • Expérience, expérimentation sociale » (Dewey 1968) : cette notion renvoie à l’idée qu’il y a une forte pertinence à expérimenter une voie de résolution de problème (scientifique et sociétale) avant toute généralisation et transfert ;
    • Réflexivité » (Bourdieu 2001) : en l’occurrence, il s’agit de doter tout intervenant dans le projet de RA d’une compétence de réflexivité (qui n’est donc pas le seul apanage des chercheurs) ;
    • Dynamique instituante » (Castoriadis 1979) : les projets de RA contribuent à instituer actions et valeurs favorables à l’éco-responsabilité en les inscrivant et les légitimant dans la vie de la Cité ;
    • Hégémonie culturelle » (Gramsci 1983) : le changement de projet de société suppose que de nouvelles valeurs deviennent hégémoniques dans une forme sociale donnée et soient donc adoptées par des groupes sociaux diversifiés ; une telle approche appelle, selon Antonio Gramsci, une nouvelle définition de l’intellectuel, nous proposons en ce qui nous concerne la notion de « chercheur engagé » (Bernard et Caspar 2010) ;
    • Espace public » (Habermas 1978) et espace public partiel : la notion développée par Habermas, renvoie d’une part à l’espace public « antique » au sens d’agora (en l’occurrence : les plages de Marseille, les ports de plaisance, etc.) et, d’autre part, à l’espace public « bourgeois » (issu de la philosophie des Lumières et favorisant la délibération des citoyens) tel qu’il s’est redéployé et pluralisé avec les médias et nouveaux médias dans la société contemporaine7.

    32L’ensemble de ces travaux, dans leur dimension théorique, méthodologique et empirique, peut être transféré dans d’autres contextes culturels et environnementaux méditerranéens. La question du transfert doit prendre en compte d’autres notions, celles d’identité et de frontière notamment. En ce qui concerne l’identité, la RA s’inscrit dans des communautés humaines qui ont une histoire, une culture, et donc des représentations différentes de leur environnement. La dimension identitaire est importante et spécifique en Méditerranée. On peut aussi considérer que l’identité est un processus travaillé en permanence de l’intérieur et de l’extérieur. Les usages politiques et stratégiques de l’identité culturelle proposent des clôtures, là où l’analyse anthropologique met en lumière des « branchements » (Amselle 2001). L’ensemble des projets de recherche que nous avons conduits renvoie aussi à la notion de frontières, frontières entre disciplines, entre institutions et entre cultures professionnelles. La complexité des enjeux environnementaux associée à l’invention de modèles de développement « durables » en Méditerranée est d’une actualité brûlante. Peut-on concevoir une approche qui prenne ensemble la culture, la justice sociale et l’environnement ? Une telle approche suppose de transcender certains cloisonnements, de remettre en cause certains présupposés, mais aussi de développer et de généraliser en les adaptant à chaque fois des pratiques collectives d’expérimentation en réseaux qui précéderaient et éclaireraient des choix et des prises de décision, notamment en matière de politique publique, mais également en matière de politique scientifique.

    Bibliographie

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    Amselle, J.-L. (2020). Branchement. In Anthropen (1–). Bibliotheque de l’Universite Laval. https://doi.org/10.47854/ckvb9340
    Bernard, F. (2006). Organiser la communication d’action et d’utilité sociétales. Le paradigme de la communication engageante. Communication Et Organisation, 29, 64-83. https://doi.org/10.4000/communicationorganisation.3374
    Bernard, F., & Joule, R. V. (2004). Lien, sens et action : vers une communication engageante. Communication et organisation, 24. https://doi.org/10.4000/communicationorganisation.2918
    Bromberger, C., & Morel, A. (Eds.). (2001). Limites floues, frontières vives (1–). Éditions de la Maison des sciences de l’homme. https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.2898
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    Amselle, Jean-Loup. “Branchement”. Anthropen. Bibliotheque de l’Universite Laval, 2020. https://doi.org/10.47854/ckvb9340.
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    Bernard, Françoise. “Organiser La Communication d’action Et d’utilité sociétales. Le Paradigme De La Communication Engageante”. Communication Et Organisation, no. 29, June 2006, pp. 64-83. Crossref, https://doi.org/10.4000/communicationorganisation.3374.
    Bernard, Françoise, and Robert Vincent Joule. “Lien, sens et action : vers une communication engageante”. Communication et organisation, no. 24, May 2004. Crossref, https://doi.org/10.4000/communicationorganisation.2918.
    Bromberger, Christian, and Alain Morel, editors. Limites Floues, frontières Vives. [], Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2001. Crossref, https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.2898.
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    Bibliographie

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    Notes de bas de page

    1 J. Falzon, 2010, Préserver l’environnement en Méditerranée, Rapport, Commission de l’environnement, de l’agriculture et des questions territoriales (Conseil de l’Europe), Doc. 12439, 29 novembre 2010, http://assembly.coe.int/Documents/WorkingDocs/Doc10/FDOC12439.pdf.

    2 http://www.planbleu.org/.

    3 Slogan proposé dans le cadre de la promotion du colloque « Villes, monde rural et territoires », organisé en mai 2012, par le technopôle de l’environnement – Arbois-Méditerranée.

    4 http://www.environnement.nat.tn/sid/ (site du Ministère de l’Environnement – Tunisie).
    Cf. également colloque international : « Développement territorial, Patrimoine et tourisme en zones fragiles et menacées : entre dynamiques économiques, démocratie participative et communication. », Djerba-Tunisie, 14-15-16 novembre 2012 – CREM Nancy-Université ; Coordination scientifique du colloque : Houcine Khatteli, Mongi Sghaier et Vincent Meyer.

    5 http://www.ins-med.org/pdf/livre_blanc_c2m.pdf.

    6 « Sensibilisation des baigneurs à l’environnement marin et à la propreté sur les plages de Marseille – Ma plage, moi je la respecte », IRSIC-CREPCOM avec l’Office de la Mer de Marseille – Conseil de Région PACA – Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie ; « La communication engageante au service de l’éco citoyenneté – ECOCITOYEN », Agence nationale de la recherche (ANR-05-|N|T|05|1|4|4|3|8|9|) ; « Vers une recherche coopérative en Sciences de l’Information et de la Communication : Action, médias et environnement – AMERECO », Institut des sciences de la communication du CNRS.

    7 Cette partie reprend des éléments d’analyse présentés dans : Bernard et Caspar 2010.

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    Françoise Bernard

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    1 J. Falzon, 2010, Préserver l’environnement en Méditerranée, Rapport, Commission de l’environnement, de l’agriculture et des questions territoriales (Conseil de l’Europe), Doc. 12439, 29 novembre 2010, http://assembly.coe.int/Documents/WorkingDocs/Doc10/FDOC12439.pdf.

    2 http://www.planbleu.org/.

    3 Slogan proposé dans le cadre de la promotion du colloque « Villes, monde rural et territoires », organisé en mai 2012, par le technopôle de l’environnement – Arbois-Méditerranée.

    4 http://www.environnement.nat.tn/sid/ (site du Ministère de l’Environnement – Tunisie).
    Cf. également colloque international : « Développement territorial, Patrimoine et tourisme en zones fragiles et menacées : entre dynamiques économiques, démocratie participative et communication. », Djerba-Tunisie, 14-15-16 novembre 2012 – CREM Nancy-Université ; Coordination scientifique du colloque : Houcine Khatteli, Mongi Sghaier et Vincent Meyer.

    5 http://www.ins-med.org/pdf/livre_blanc_c2m.pdf.

    6 « Sensibilisation des baigneurs à l’environnement marin et à la propreté sur les plages de Marseille – Ma plage, moi je la respecte », IRSIC-CREPCOM avec l’Office de la Mer de Marseille – Conseil de Région PACA – Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie ; « La communication engageante au service de l’éco citoyenneté – ECOCITOYEN », Agence nationale de la recherche (ANR-05-|N|T|05|1|4|4|3|8|9|) ; « Vers une recherche coopérative en Sciences de l’Information et de la Communication : Action, médias et environnement – AMERECO », Institut des sciences de la communication du CNRS.

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