L’appropriation des images du téléphone mobile et la création des Hot News
p. 317-330
Texte intégral
1Écrire sur la presse en ligne, ou sur le rapport entre le web et les images mobiles, revient en quelque sorte à écrire une partie de l’histoire audiovisuelle mobile digitale pendant que les événements se déroulent. D’ici peu, cet article ne sera plus qu’une réflexion a posteriori sur ce qu’une partie du web occidental est, ou a été : une tranche intéressante de la construction des actualités par le biais des images mobiles entre les années 2005 et 2010. Étudier ce que les gens font avec leurs images – les garder soigneusement ou les envoyer à leurs proches – et ce que ces images font pour ces gens – les rapprocher, les représenter, les identifier – sont deux aspects complètement liés, au point qu’on ne peut plus séparer la production de la diffusion. Pourtant, pour bien comprendre comment nous gérons ces images, il faut mettre l’accent sur ce que nous faisons avec elles1. Par exemple, les exposer sur la toile aura un autre impact que de les projeter sur une chaîne de télévision, les réseaux sociaux ou la page d’accueil d’un journal en ligne. Les différents supports de diffusion ont en effet une incidence notable sur la création et sur la réception de ces images mobiles. Nous étudierons la façon dont, en seulement cinq ans, l’ubiquité des téléphones portables et la possibilité d’enregistrer les événements à travers eux ont remis en cause, menacé et/ou aidé la publication et la circulation d’images mobiles sous le monopole des médias traditionnels. Dans ce processus, il convient de souligner les éléments suivants : événements soudains, fuites d’informations politiques comme les wikileaks (faits divulgués de manière anonyme), usages par les adolescents, situations d’urgence, réseaux sociaux, rapidité et critique des médias. La réflexion sera conduite à partir d’une analyse de l’influence de quelques images mobiles et de leur lien à nos histoires individuelles et à la construction d’une histoire collective – c’est-à-dire à une histoire visuelle globale et mondialisée.
2La notion d’appropriation nous semble ici essentielle. Tout en étant relative à la propriété, l’appropriation désigne, d’une part, l’adaptation de quelque chose à un usage et, d’autre part, la capacité de rendre sien quelque chose qui ne l’était pas. Dans la construction d’une histoire visuelle mobile, de quelle façon l’implantation de cette double appropriation s’est-elle développée ? Les exemples que nous avons retenus ont été choisis en leur qualité de bornes représentatives, mais ne sont pas du tout exclusifs. Il s’agira donc, d’analyser une double appropriation : celle des gens sur des espaces d’actualité en enregistrant des hot news2 et celle des médias traditionnels sur des images faites avec des téléphones portables.
3Il sera aussi utile de faire appel à l’ouvrage Smart Mobs : the Next Social Revolution3, paru en 2002, où le critique, écrivain et enseignant Howard Rheingold développe le concept de Smart Mob, foule intelligente, qui désigne une action collective de personnes qui ne se connaissent pas, organisée par le biais d’Internet et/ou des téléphones portables. Ces personnes forment ainsi une masse hétérogène et politisée en diffusant des informations qui, sans elles, seraient absentes via les moyens de communication mainstream (grand public). La théorie de Rheingold a trouvé des illustrations frappantes dans le monde entier.
Hot News : entre amateurs et professionnels
4Dans le sillage d’Anna Reading et de ses recherches sur l’influence du téléphone portable comme témoin et vecteur des concepts qu’elle nomme « mémoire collective » et « Âge de la Terreur »4, notre objectif est de remettre en question la notion d’appropriation du téléphone portable sur la création, le partage et l’impact des news (actualités). Il s’agira de comprendre de quelle façon la capture et le partage de ces images mobiles ont pu changer le paysage de la communication et la création des hot news. Les hot news sont alors des nouvelles considérées comme suffisamment importantes pour apparaître à la une des journaux et dans les émissions télévisées ou radiophoniques (car ce sont principalement les médias traditionnels qui leur attribuent ou non ce statut de hot news). Par quel moyen les rédactions d’information décident-elles de valider une image mobile pour la transformer en hot news ?
5Certains événements tragiques récents ont confirmé que des photographies et vidéos faites au moyen d’un téléphone mobile, même de faible qualité graphique et/ou sonore, pouvaient informer et devenir des hot news mondiales. Ces images se sont retrouvées ainsi à la télévision, à la une des journaux internationaux et buzzées sur le web. Leur basse qualité a même été compensée par leur pertinence et leur haut contenu émotionnel, du fait de leur proximité avec les faits dramatiques. Grâce aux usages du téléphone portable et du web – conçus désormais comme un couple quasi inséparable appelé « internet-mobile » – ces images sont disponibles plus souvent et plus rapidement, parfois même instantanément. Les voir en temps réel fait écho aux mythes du « en direct » et du « non mis-en-scène », caractéristiques considérées comme convaincantes et parfois même comme garantes d’une réalité-vérité. Les hot news provenant d’un téléphone portable sont ainsi appropriées par les publics dans le cadre de ce que nous nommerons l’« imaginaire d’une réalité spontanée », c’est-à-dire l’impression de regarder quelque chose de spontané et pourtant d’un passé réel très proche (et) non manipulé. Une sorte d’actualité à l’état brut. Même si on sait que toute information est éditée, ce qui prime, ici, c’est la sensation de lire ou regarder des actualités non trafiquées5. Bien que ces images représentent des témoignages directs, elles ne permettent de garantir ni une fiabilité ni une crédibilité iconographique. Cela rentre en lien direct avec la perte de crédibilité des médias traditionnels. À ce propos, Yves Michaud consent :
« […] la construction de la réalité visuelle telle que la rapportent en prétendant la refléter les reportages du photojournalisme est aussi artificieuse que la construction de toute réalité sociale. Nous vivons un monde fait de très peu d’expériences directes, de peu de savoir, qui plus est en général assez flou et chaotique, et de beaucoup d’images6. »
6Michaud expose ici quatre termes clés : prétendre, construction, peu d’expérience directe et beaucoup d’images. Tout se passe comme si le fait d’avoir peu d’expérience directe et, au contraire, beaucoup d’images disponibles nous ferait prétendre que ce que nous voyons en tant qu’« image-reflet » d’une expérience directe n’est pas une construction. Néanmoins, même si les exemples cités ici se vendent comme étant des hot news sans retouche, édition, ou montage, d’une façon ou d’une autre, tout est – comme dans tout récit journalistique – bel et bien construit. »
L’appropriation visuelle des événements soudains
7Lorsque survient un événement soudain, il y a de fortes chances que le téléphone portable soit le premier outil d’enregistrement audio-visuel. Même si la qualité des appareils est encore inférieure à beaucoup d’autres technologies d’imagerie numérique, elle ne cesse de s’améliorer. La faible qualité du téléphone portable peut être compensée par son ubiquité (le fait que nous portons presque toujours nos téléphones portables) et surtout – comme on va le voir – sa condition d’objet personnel détourne les contraintes politiques ou géographiques. Pour André Gunthert :
« Seules des circonstances exceptionnelles peuvent métamorphoser un service de loisir en média d’information. On peut distinguer deux cas de figure : celui d’un événement paroxystique bref, comme les attentats de Londres ou plus récemment la tuerie de Virginia Tech […], qui ont pour effet d’intensifier l’offre comme la demande d’information, en occupant tous les canaux disponibles. Le second cas est un déficit du traitement de l’information par les médias classiques, qui se traduit par l’expression d’une demande qui s’adresse en priorité aux réseaux alternatifs7. »
8Une des premières manifestations qui exemplifient le cas des « événement soudains » sont les attentats de Londres. Le 7 juillet 2005, des bombes explosent dans le métro. Comme il est impossible d’y descendre, seules quelques images d’amateurs prises au téléphone portable sont mises en ligne immédiatement8. Dans les médias classiques, les photos ne sont publiées que le lendemain, chose qui ne serait aujourd’hui plus acceptable – principalement pour la presse en ligne. Le fait de recevoir des informations sans délai – et parfois même en temps réel – est amplifié par le web, via les tweets, les newsfeeds, le flux ininterrompu de news, etc.

Figure 1. Elliot Ward, « attentat à la bombe de Londres, pris au piège » (capture d’écran).
Appropriation visuelle des fuites d’information politique
9La petite taille du téléphone portable, sa malléabilité et son usage familier en font un outil d’enregistrement aisément dissimulable, plus apte à être considéré comme inoffensif et qui fait partie de notre quotidien, de notre habitus9. L’enregistrement de l’exécution de Saddam Hussein, le 30 décembre 2006, vidéo non autorisée, fournit un exemple éclairant de ce cas de figure. Un responsable irakien présent lors de l’exécution est soupçonné de l’avoir filmée clandestinement avec un téléphone portable. Il est arrêté sur fond de polémique liée à la diffusion de ces images. La vidéo mobile avait été diffusée par la chaîne satellitaire panarabe Aljazeera, et reprise ensuite aux États-Unis par la chaîne de télévision Fox News. Après avoir être postée toujours anonymement sur Internet, elle suscite l’indignation dans le monde arabe et soulève en particulier des protestations au sein de la minorité sunnite irakienne, à laquelle Saddam Hussein appartenait. M. Munquit al-Faroonn, le procureur de S. Hussein, évoque la présence de « deux responsables du gouvernement »10 ayant réalisé « l’enregistrement officiel » de la pendaison à l’aide de téléphones portables. Le New York Times11 rapporte que M. Munquit al-Faroon lui avait déclaré dans un entretien que « l’un des deux hommes qu’il avait vu tenir en l’air un téléphone portable équipé d’une caméra afin de réaliser (la) vidéo […] était Mowaffa al-Roubaie », politicien éminent irakien et actuel membre du Parlement irakien. La source de la vidéo d’exécution n’est (jusqu’à présent) toujours pas claire. Cet exemple illustre non seulement le potentiel du téléphone portable comme nouvel et puissant outil de la création ou du relais d’actualités, mais aussi le manque du contrôle des autorités vis-à-vis de la prise d’images interdites à l’aide de cet outil.

Figure 2. Vidéogramme de l’exécution de Saddam Hussein.
Adolescents
10Les adolescents ont toujours employé le téléphone portable, initialement, pour envoyer et recevoir des SMS. Mais ils l’utilisaient aussi déjà en 2007 pour prendre des vidéos. Lors de la fusillade de l’université de Virginia Tech (Virginia Tech Shootings), le 16 avril 2007, plusieurs étudiants12 prennent des images grâce à leur téléphone portable et les transmettent au cours même de l’événement. Même si on peut difficilement comprendre ce qu’on voit sur ces images – un plan séquence d’environ une minute, où l’on n’aperçoit qu’un parking avec quelques voitures –, c’est le fait d’entendre plusieurs coups de feu qui nous fait percevoir la gravité du moment.

Figure 3. Jamal Albarghouti, « Virginia Tech School Shooting Caught on Camera telephone », vidéogramme.
11En 2003, O. Daisuke et M. Ito prédisaient : « Les téléphones portables sont en train de changer la définition de ce qui est digne de faire image13. » On peut en déduire que si une image mobile devient un buzz, c’est du fait de l’impression de contenu informatif qu’elle fournit. Aucun des sites de diffusion de ces vidéos n’en remet en cause la qualité ou l’esthétique, ce qui a un impact sur la réception des images, puisque malgré une définition moins bonne celles-ci sont acceptées comme supports visuels de l’actualité et des discours médiatiques l’entourant.
Situations d’urgence
12En mai 2008, un énorme tremblement de terre frappe la Chine14. Des centaines de bâtiments s’effondrent, dont de nombreuses écoles : 70 000 morts, 20 000 disparus, 350 000 blessés et 500 0000 personnes sans-abri. Le tremblement est signalé d’abord chez QQ (le plus grand réseau social en Chine) et sur Twitter, alors même que la terre continue à trembler. En quelques minutes, des photographies » et des vidéos sont téléchargées en direct, à chaud, bien avant que les mass médias ne les transmettent. Des centaines de milliers de personnes utilisent leurs téléphones portables pour envoyer des SMS et/ou enregistrer directement15 ce qu’elles vivent. Par exemple, deux étudiants filment une vidéo mobile dans leur dortoir, à 14 heures 30, le 12 mai 2008, au moment exact où le tremblement de terre de 7.8 d’intensité se fait sentir. Les précisions telles que la date, l’heure et le lieu sont des fonctions intrinsèques de l’appareil ; c’est donc un flux en direct. Les personnes communiquent avec leurs téléphones portables car il s’agit d’un outil de survie : elles s’en servent pour s’appeler, s’envoyer des SMS. Un tel événement, comme toute autre catastrophe, accélère la modification des usages médiatiques. Selon Clay Shirky16, une fois que les gens adoptent des médias sociaux dans une situation inhabituelle, ils sont ensuite beaucoup plus susceptibles de les intégrer dans leur vie quotidienne et leurs espaces de partage.

Figure 4. Ericnestler, « Amazing Live Video Hits * 7.9 Tremblement de terre en Chine », vidéogramme.
Réseaux sociaux
13L’importance des réseaux sociaux est devenue très grande dans nos vies quotidiennes. Ces plateformes peuvent jouer un rôle clé dans la diffusion d’informations et d’images liées à des événements tragiques. Ainsi, une production iconographique initialement individuelle peut prendre une ampleur collective. C’est le cas lors d’une froide journée d’hiver de 2009, quand un avion amerrit dans l’Hudson, à New York. Par un acte devenu reflex, Janis Krums, passager d’un bateau à proximité, poste une photographie de l’événement en utilisant Twitpic17. Twitpic est une application qui permet de diffuser des photos directement à partir d’un téléphone portable sur un compte Twitter. L’intérêt manifesté est tel que le serveur de Twitpic plante18. De nombreux journaux – imprimés et en ligne – utilisent cette photo pour leur une.
14Le téléphone portable joue également un rôle central en tant qu’objet démocratique. Au cours du mois de juin 2009, l’Iran connaît de violentes scènes d’émeutes après la réélection contestée de M. Ahmadinejad comme Président. Les SMS, MMS et connexions Internet étant interdits, certaines personnes tentent de détourner cette contrainte en utilisant principalement Twitter pour diffuser les images des événements19. À cette occasion, on a pu vérifier que l’usage du téléphone portable a un impact énorme sur les actualités, en particulier lors d’événements extraordinaires. Par exemple, dans l’une des nombreuses vidéos de protestations à Téhéran, nous voyons un homme blessé tentant de passer son téléphone portable à l’une des personnes dans la foule, probablement pour informer ses proches de son sort20. Nous rejoignons ici, une fois de plus, la philosophie du contenu généré par l’utilisateur – celle qui donne la priorité à des voies plus informelles de collecte d’informations : e-mails, textes, images et vidéos mobiles. Les événements se ne déroulent plus seulement à travers le langage policé des médias traditionnels, mais aussi à travers les yeux des gens ordinaires aidés par leurs téléphones portables, contournant davantage le système des médias par la création et circulation de leurs images.

Figure 5. Les protestations de Téhéran - Camera Phone - homme abattu par la police, vidéogramme.
15Au cours des manifestations à Téhéran, la vidéo mobile la plus remarquable a été celle montrant la mort de Neda Agha Soltan touchée par une balle. D’abord postée presque immédiatement sur la page Facebook de « Hamex iranien »21, cette vidéo a été vue et diffusée dans le monde entier. Hamex décrit ce qu’il a vécu ; étant médecin, il a essayé de porter secours à la jeune fille, mais « l’impact de la balle a été si violent qu’elle avait détruit la poitrine de la victime et celle-ci est morte en moins de 2 minutes. […] Le film est tourné par mon ami, qui était debout à côté de moi. S’il vous plaît, faites-le savoir au monde.22 » Il dit aussi : « Ce qui a été ma page personnelle s’est transformé, au cours de la protestation iranienne, en un portail de nouvelles, où j’essayais de publier ma perception des actualités ; aidez-moi dans cette affaire [sic].23 »

Figure 6. Capture d’écran de la page Facebook de « Hamex iranien », détail.
16Ces images, et d’autres images mobiles trouvées sur le web, étaient très émouvantes. C’est ainsi que, par des reposts immédiats et le buzz conséquent qui en a découlé, Neda s’est transformée en une martyre innocente et, en un court laps de temps, en une icône du web. Les médias et les journalistes sont conscients de cette masse croissante d’images mobiles prises par les gens et les intègrent de plus en plus à leurs sources éditoriales. Il y a même de nouveaux mots créés pour désigner cette pratique : snaparazzis24 ou waparazzis25. Ces fournisseurs d’images mobiles ont été qualifiés de « journalistes citoyens »26 et on a pu parler de « journalisme participatif »27. A. Gunthert note que nous devrions les appeler « tous photographes » au lieu de « tous journalistes »28, car prendre des photos ne transforme pas un photographe en journaliste. Toutefois, et à notre avis, être au « bon endroit au bon moment » pour faire une photo ou une vidéo mobile ne transforme pas non plus la personne en photographe ou cameraman. Cela lui permet, il est vrai, de participer, d’être engagée et ainsi de transmettre sa propre façon de voir, son point de vue, ses sentiments et expériences, mais pas de la transformer en reporter. « Si quelqu’un a été témoin d’un événement, qu’il enregistre avec une petite caméra, il pourra nous transmettre son film. Celui-ci n’aura peut-être pas la qualité d’un film professionnel, mais il apportera une sensation différente de proximité et de réactivité29 ». Grâce aux SMS ou à la diffusion sur le web, ces images sont facilement accessibles aux médias, qui y puisent sans cesse. De cette manière, les citoyens, armés de téléphones portables (comme nous pouvons le constater avec les deux vidéogrammes ci-dessous), ont un rôle beaucoup plus interactif dans la création des grandes nouvelles et de l’histoire des événements.

Figure 7. Les protestations de Téhéran - Camera Phone – homme abattu par la police, vidéogrammes.
17Mais, « [c]ette activité parallèle ne modifie pas le schéma général du pilotage de la réception par les grands médias »30. Dans le flux visuel, le téléphone portable ajoute la possibilité d’avoir d’autres sources directes. « En revanche, celui-ci [le schéma général du pilotage de la réception par les grands médias] s’altère lorsque, en l’absence d’un traitement médiatique approprié, les plate-formes visuelles sont sollicitées comme une source d’information première31. » En 2002, Michaud32 réfléchit sur l’accès à l’image ; selon lui, cet accès dépend de trois paramètres principaux : premièrement, des moyens financiers pour se rendre sur les lieux et des possibilités de transport, deuxièmement de la connaissance de la région et des lieux (ce qui dépend des guides et des informateurs disponibles, plus ou moins compétents ou intéressés, plus ou moins partisans, plus ou moins professionnalisés comme les attachés de presse) et finalement, de la possibilité d’accéder aux événements compte tenu du danger physique ou des risques encourus. La thèse de Michaud semble toutefois s’être périmée depuis quelques années. Le 12 janvier 2010, un tremblement de terre dévaste Haïti33. Les réseaux sociaux, spécialement Twitter et Facebook, se remplissent en temps réel de messages et d’images postés par des Haïtiens désespérés. Sur le web, les mass médias ne précisent pas si les images qu’ils utilisent sont de source amateur ou professionnelle. Peu importent leur qualité et la source, ce qui compte est d’avoir des images, de l’information. Le rapport au temps (rapide) devient primordial. La production des images au téléphone portable repose tout d’abord sur le fait que le dispositif est devenu omniprésent : il y a, ou il peut y avoir, des images de tout à n’importe quel moment, ce qui fait que les paramètres de Michaud perdent de leur validité.
Critique des médias
18Jouer un rôle actif dans la production d’images nous permet de nous rappeler différemment les moments ainsi capturés. C’est désormais à travers la création d’images que les gens s’approprient les événements, surtout s’ils sont marquants. Les mass médias, quant à eux, s’approprient ces vidéos mobiles amateurs. Beaucoup de sites journalistiques demandent directement à leurs lecteurs d’envoyer à la rédaction leurs images, leurs scoops. Un double discours s’installe : encourager les gens à faire du journalisme citoyen, tout en accusant ces nouvelles sources de mettre en péril la profession. Mais du point de vue du lecteur, c’est à travers ce type de prise de parole visuelle active qu’on peut initier une critique des médias traditionnels. Cette énorme production iconographique impliquerait un besoin plus fort de professionnels afin de trier ces images et d’en donner une lecture critique. Pour Donald Matheson, le rôle du journaliste est certes d’orienter, mais aussi de poursuivre un travail d’investigation afin d’éclairer pour l’usager à la fois l’événement et sa mise en image34.
19Avec la fin du monopole des médias professionnels, la production de contenu devient une question d’affirmation identitaire. Dans les nouvelles pratiques, et plus encore avec les nouveaux outils numériques, les images ne se contentent pas de soutenir le discours : elles deviennent le discours. Le téléphone portable est un exemple de cette démocratisation d’une création iconographique au quotidien.
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Références bibliographiques
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Daisuke, O. et Ito, M., « Cameraphones Changing the Definition of Picture-Worthy », Japan Media Review, 29 août 2003.
10.1145/1012807 :Gillmor, O., We the Media, Grassroots Journalism by the People, for the People, Sebastopol, O’Reilly, 2004.
Gunther, A., « L’image parasite », Études Photographiques, no 20, juin 2007, p. 174-186.
Gunther, A., « Tous journalistes ? Les attentats de Londres ou l’intrusion des amateurs », ARHV, Actualités de la Recherche en Histoire Visuelle, 19 mars 2009.
Michaud, Y., « Critiques de la crédulité », Études Photographiques, no 12, novembre 2002, p. 110-125.
10.3917/soc.079.0075 :Rheingold, H., Smart Mobs : the Next Social Revolution, Cambridge, Mass., Basic Books, 2002.
Shirky, C., Here Comes Everybody. How Change Happens When People Come Together, New York, Penguin Books, 2008.
Notes de bas de page
1 Chalfen, R., Snapshot Versions of Life, Bowling Green State University Popular Press, Ohio, 1987, p. 119.
2 Une hot news est une actualité « chaude », très récente et, pour cette raison, censée être digne d’intérêt.
3 Rheingold, H., Smart Mobs : the Next Social Revolution, Cambridge, Mass. Basic books, 2002. En français : Foules intelligentes : la révolution qui commence, traduit de l’américain par Pierre-Emmanuel Brugeron, 2005.
4 Reading, A., The Global and the Mobile : Camera Phone Witnessing an Age of Terror, Collective memory and Collective Knowledge in a Global Age – An Interdisciplinary Workshop, 17-18 juin 20007, Londres, [en ligne], http://www.lse.ac.uk/Depts/global/workshopagenda.htm. Selon Reading, des images telles celles des attentats de Londres ou de l’exécution de Saddam Hussein sont signifiants pour l’articulation des sentiments présents relatifs à ce qu’on entend par the War on Terror, op. cit., p. 6.
5 Nous soulignons.
6 Michaud, Y., « Critiques de la crédulité », Études photographiques, no 12, novembre 2002, p. 110-125, [en ligne], http://etudesphotographiques.revues.org/index321.html.
7 Gunthert, A., « L’image parasite », op. cit., p. 178-180.
8 Ward, E., « London Underground Bombing, Trapped », Alfies moblog, 7 juillet 2005, [En ligne], http://moblog.net/view/77571/.
9 « Habitus » dans le sens de Pierre Bourdieu.
10 Marrakech, portail marocain d’actualités, Vidéo de l’exécution de Saddam Hussein : un suspect arrêté, 3 janvier 2007, [en ligne], http://www.emarrakech.info/Video-de-lexecution-de-Saddam-Hussein-un-suspect-arrete_a10539.html.
11 Cité par The Independant, Official arrested for filming Saddam execution, 3 janvier 2007 [en ligne], http://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/official-arrested-for-filming-saddam-execution-430655.html.
12 En relation avec cela, le film de Jamal Albarghouti par cameraphone vidéo, darkdeicide08, (1 min 15 s), posté tout d’abord sur CNN i-Report, en avril 2007, se trouve parmi les vidéos les plus vues, [en ligne], http://www.youtube.com/watch?index=22&playnext_from=PL&feature=PlayList&p=D6C14E6A566B26A9&v=iVPx6oWmtKY&playnext=1.
13 Daisuke, O. et Ito, M., « Cameraphones Changing the Definition of Picture-Worthy », Japan Media Review, 29 août 2003, [en ligne], http://www.ojr.org/japan/wireless/1062208524.php.
14 Anon, « China Feels The Quake Online », BBC news, 16 mai 2008, [en ligne], http://news.bbc.co.uk/2/hi/asia-pacific/7402612.stm et cf. Sydell, L., « Phones Faltering, Quake Survivors Rely on Texting », 19 juillet 2009, [en ligne], http://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=90425687&ft=1&f=1001.
15 Ericnestler, « Amazing Live Video, Earthquake 7.9 Hits in China » (1 min 32 s), posté le 7 octobre 2008, http://www.youtube.com/watch?v=gmdrGTIlxm8.
16 Shirky, C., Here Comes Everybody, How Change Happens When People Come Together, Penguin Books, 2008. Nous traduisons et soulignons : « Events like this one accelerate the pace of changes, of usages, because once people adopt social media in an unusual situation, they are much likelier to integrate it into their everyday lives. » (p. 298)
17 La légende de la photo de Janis Krums affiche : « There’s a plane in the Hudson. I’m on the ferry going to pick up the people. Crazy ». Nous traduisons : « Il y a un avion dans le Hudson. C’est fou. Je suis dans le ferry, je vais chercher les gens. » (600 x 800 pixels, 15 janvier 2009, http://twitpic.com/135xa).
18 Terdiman, D., « Photo of Hudson River Plane Crash Downs TwitPic », Digital Media, Cnet News, 15 janvier 2009.
19 Cf. Web Ecology Project, site où on peut retrouver le rapport complet des premiers 18 jours, « The Iranian Election on Twitter : The First Eighteen Days », 26 juin 2009, http://webecologyproject.org/.
20 Nobodyimportant10002, Tehran Protests - Camera Phone - man shot by police, 2 minutes 19 seconds, 20 juin 2009, http://www.youtube.com/watch?v=F1imoqIq3zo.
21 Le décès de Neda, cameraphone vidéo, Hamex Iranian Facebook page, 37 seconds, 20 juin 2009, http://www.facebook.com/video/video.php?v=89928823259.
22 Le texte original peut être lu dans la prise d’écran, Fig. 6.
23 Hamex Iranian Facebook page, http://www.facebook.com/video/video.php?v= 89928823259#!/hamedfrt.
24 Greenslade, R., « Seen it, Shot it, Sold it », The Guardian, 8 août 2005, http://www.guardian.co.uk/technology/2005/aug/08/media.pressandpublishing et cf. Anon., « Paparazzi », English Wikipedia, s/d, verifié le 19 juillet 2009, http://en.wikipedia.org/wiki/Snaparazzi.
25 Waparazzi : « A new term for amateur photographers at major events was coined in February 2006 by Orange », écrit le MediaGuardian, 20 février 2006, http://media.guardian.co.uk/site/story/0,,1713281,00.html. Nous traduisons : « Un nouveau terme pour nommer les photographes amateur lors des événements majeurs a été inventé par Orange en février 2006. »
26 Cf. Bowman, S. et Willis, C., « We Media : How Audiences are Shaping the Future of News and Information », 2003, The Media Center at the American Press Institute, accessible en ligne, www.hypergene.net/wemedia/download/we_media.pdf et cf. Gillmor, D., We the Media, Grassroots Journalism by the People, for the People, Sebastopol (États-Unis), O’Reilly, 2004.
27 Gunthert, A., « Tous journalistes ? Les attentats de Londres ou l’intrusion des amateurs », ARHV, Actualités de la Recherche en Histoire Visuelle, 19 mars 2009, [en ligne], http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2009/03/19/956-tous-journalistes.
28 Cf. Gunthert, A., op. cit. ; il fait lui-même référence à la une du journal français Libération du 20-21 août 2005. Voir prise d’écran [en ligne], http://www.flickr.com/photos/gunthert/3361760025/.
29 Weigwang, Y., interviewée par Yanwei, C., Nanfang, Renwu Zhoukan (extraits), « Objectif trouver une audience mondiale grâce au Net », Courrier International, no 974, juillet 2009, p. 51.
30 Gunthert, A., « L’image parasite », Études Photographiques no 20, juin 2007, p. 174-86, [en ligne], http://etudesphotographiques.revues.org/index996.html.
31 Ibid., p. 177.
32 Michaud, op. cit, p. 116.
33 Cf. Mentre, M., « Haïti Deadline », MediaTrend, les nouveaux médias & les nouveaux usages, 24 janvier 2010, [en ligne], http://www.themediatrend.com/wordwordpress/?p=2382.
34 Cf. Matheson, D., « Media Discourses, Analysing Media Texts : Issues », in Cultural and Media Studies, Berkshire (UK), Open University Press, 2005, p. 164-165.
Auteur
Doctorante à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.
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Sous les images, la politique…
Presse, cinéma, télévision, nouveaux médias (xxe-xxie siècle)
Isabelle Veyrat-Masson, Sébastien Denis et Claire Secail (dir.)
2014
Pratiquer les frontières
Jeunes migrants et descendants de migrants dans l’espace franco-maghrébin
Françoise Lorcerie (dir.)
2010