Les spots télévisés et les vidéos Internet des partis britanniques
De la représentation du réel à l’impact sur le réel
p. 211-224
Texte intégral
1Des années 1950 à nos jours, l’histoire des campagnes électorales britanniques montre que les partis politiques d’outre-Manche ont su faire preuve d’innovations techniques en investissant dans les nouveaux médias. La télévision d’après-guerre leur a permis de pénétrer dans l’espace privé des citoyens et, depuis les années 1990, l’émergence d’Internet ouvre la voie à une communication plus ciblée et plus interactive1. Les spots électoraux télévisés (party election broadcasts) offrent aux partis un temps d’antenne gratuit sur les cinq chaînes hertziennes (BBC1, BBC2, ITV, Channel 4 et Five) avec une quasi-totale liberté de contenu et de forme. Ces émissions, d’une durée de trois à cinq minutes, sont attribuées en fonction de la représentativité des partis (déterminée par leurs résultats aux élections précédentes et au nombre de candidats présentés) et diffusées pendant les campagnes officielles (élections législatives, européennes et locales). En complément, les partis utilisent désormais leur site Internet comme vitrine de communication et y mettent en ligne des messages à l’attention des visiteurs sous forme de courtes vidéos2. On observe une grande similitude entre ces dernières et les spots télévisés, les différences se limitant à la durée (non contrainte sur Internet), la fréquence (un plus grand nombre de vidéos sur Internet) ou, dans une moindre mesure, à l’objet (les appels aux dons sont interdits à la télévision). Nous nous appuierons donc sur ce double corpus pour étudier comment se fabrique l’image et quelle fonction lui est assignée.
2La spécificité de ces supports de communication est que le message est en partie transmis par les images (en tant que reproductions analogiques du réel et en tant qu’élément d’une séquence filmique). Le rôle de celles-ci ne saurait être limité à une fonction phatique (capter l’attention) ou illustrative (montrer ce dont on parle). Ce qu’elles donnent à voir est une représentation partisane du réel par laquelle un parti exprime sa vision du monde et sur laquelle il s’appuie pour justifier son action et ses propositions. En ce sens, les images produisent leur propre discours et participent activement à la mise en œuvre d’une stratégie de communication et de persuasion dont l’objectif ultime est d’influencer le vote.
3La présente contribution s’inscrit dans le champ des recherches en communication politique et propose une analyse des images telles qu’elles sont utilisées dans les productions audiovisuelles des partis (spots télévisés et vidéos mises en ligne sur leur site officiel), en prenant en compte leur média de diffusion, leur nature, leur source, leur fonction et leur visée. Notre approche s’inspire des travaux menés en media and cultural studies au sens large (incluant les sciences de la communication, l’analyse filmique, la sémiologie, la psychosociologie, etc.). Plus précisément, nous ferons référence aux travaux du linguiste Roman Jakobson sur les fonctions du langage3 et à l’analyse sémiotique proposée par Charles Sanders Peirce4. Dans un souci d’actualisation, nous prendrons pour exemple la campagne pour les élections législatives du 6 mai 2010, en nous concentrant sur les trois principales formations en lice : le Parti travailliste (majorité sortante), le Parti conservateur (l’opposition de sa majesté) et les Libéraux-démocrates (qui formeront un gouvernement de coalition avec les Conservateurs)5. Cet article s’articule autour des questions suivantes : en quoi la nature et les sources variées des images qui composent les productions audiovisuelles des partis favorisent-elles l’adhésion de l’électorat ciblé à une représentation partisane du réel ? Par quels mécanismes de persuasion passe-ton de cette représentation partisane du réel à une tentative d’agir sur l’attitude et le comportement de l’électorat ciblé et, au final, comment met-on en images la capacité d’un parti à comprendre le monde et à avoir prise sur le réel ?
Représenter : de la mise en images à la mise en scène du réel
L’« image-contact » et la fonction phatique
4Le premier temps de la communication est celui de la prise de contact et/ou de l’interpellation. L’« image-contact » peut servir cette fonction « phatique ». Le premier spot des Libéraux-démocrates s’ouvrait, par exemple, sur une série de plans fixes et silencieux où les bords de la Tamise et le pont de Westminster apparaissaient entièrement déserts et jonchés de feuilles de papier listant les promesses non tenues des deux partis de gouvernement (fig. 1). Avant même que Nick Clegg n’entame son discours face à la caméra, ces images visent à capter l’attention du public et à éveiller son intérêt. Vient ensuite la phase du « cadrage » qui permet d’établir ce qui se présente comme un diagnostic le plus consensuel possible pour le public visé6. Plus celui-ci recueillera d’adhésion, plus les recommandations du parti seront entendues avec bienveillance. Dans le cas de messages audiovisuels, ce diagnostic est mis en images, lesquelles se prêtent excellemment à cette fonction en restituant une « impression » du réel7. Au sens photographique, cette impression est une simple captation du réel. Mais c’est aussi une interprétation partielle et partiale du monde qui est mise en scène.

Figure 1 : Spot télévisé libéral-démocrate (14 avril 2010).
L’« image-preuve » et la fonction référentielle
5L’image « référentielle » (également « cognitive » ou « dénotative ») semble la plus à même de faire consensus. C’est une « image-preuve » ou « image-témoin » de « l’avoir-été-là » et du « cela s’est passé ainsi »8. Elle témoigne, d’une manière qui se veut objective, que quelque chose a bien eu lieu, indépendamment des besoins de la communication politique. Les images d’archives en sont la meilleure illustration. Le spot travailliste Fighters and Believers, mis en ligne le 18 novembre 2009, reprend ainsi, des extraits de films allant du début du xxe siècle à nos jours. On y voit le Premier ministre travailliste, Clement Attlee (1945-1951), au moment de la création du système national de santé (National Health Service), ainsi que des manifestations d’ouvriers, de suffragettes et de militants anti-apartheid protestant contre le soutien du gouvernement Thatcher au régime sud-africain. Le clip inclut également une séquence montrant Nelson Mandela dans les années 1960, puis dans les années 2000 aux côtés de Gordon Brown. Par juxtaposition d’images, le montage inscrit l’action du leader travailliste dans une tradition progressiste séculaire, celle d’un mouvement et d’un parti ayant toujours lutté contre les inégalités. L’image quitte alors sa fonction « référentielle » et « iconique » (montrer les choses telles qu’elles sont en insistant sur le rapport analogique entre l’image et l’objet représenté) pour adopter une fonction « expressive » et « indicielle » (donner à voir sa vision des choses en induisant un lien causal entre des événements distincts9).
L’« image-miroir » et la fonction conative
6Les images d’archives visent à convoquer une mémoire collective et à créer un sentiment d’appartenance commune. Elles constituent un miroir (un rétroviseur en l’occurrence) dans lequel une société peut s’observer en étudiant son passé. À côté de cela, les réalisateurs des spots cherchent aussi à capter le présent. En filmant des anonymes censés représenter l’électorat ciblé, ils construisent une « image-miroir » visant à favoriser une possible identification10. Parce qu’orientée vers son destinataire, l’image remplit une fonction « conative ». Le spot conservateur du 13 avril adopte les codes narratifs et filmiques du reportage (protagonistes filmés chez eux ou sur leur lieu de travail, entretiens in situ, commentaire en voix off, etc.) pour dresser le portrait de trois « citoyens ordinaires » : Julie, mère de famille galloise, Danielle, jeune bénévole de Brighton œuvrant auprès des sans-abri, et Iain, chef d’entreprise employant cinq salariés. À eux trois, ces portraits illustrent la vision sociétale du parti d’opposition en valorisant deux figures types de l’électorat conservateur (l’entrepreneur individuel et la mère de famille) et en donnant un visage jeune et souriant au projet de « grande société » (big society) où l’assistance sociale quitterait le giron étatique (État-providence) pour revenir à l’initiative citoyenne (« société-providence »11). Les Libéraux-démocrates ont poussé plus loin la logique de l’effet-miroir. Leur dernier spot (diffusé le 30 avril) s’ouvre sur une succession de portraits de sympathisants recrutés via les pages Facebook du parti et de son leader.
7Le processus de reconnaissance et d’identification peut aussi s’opérer par la voie de fictions scénarisées dans lesquelles le public ciblé est représenté par des acteurs professionnels12. La fonction « indicielle » de l’image prime une nouvelle fois, puisque ce type de mise en scène impose son propre récit et sa propre logique. Ce qui importe n’est pas la fidélité de ces images à une quelconque réalité empirique, mais la crédibilité du propos qu’elles actualisent. Cela est d’autant plus vrai dans les deux exemples fournis par la campagne de 2010 puisqu’il s’agit de deux films d’anticipation. Le spot travailliste du 28 avril, intitulé A Nightmare on your Street (« cauchemar dans votre rue »), donne à voir les conséquences d’une victoire conservatrice aux élections. Plusieurs couples reçoivent, chez eux ou dans leur rue, la visite d’un homme en costume gris leur annonçant les prestations sociales qui leur sont désormais retirées (crédit d’impôt pour enfant, droit de consultation d’un cancérologue). Sur le fond, le film ne fait que mettre en images un argument déjà lisible dans les brochures du parti. Ce qui retient l’attention et favorise la mémorisation du message est davantage la mobilisation d’une culture populaire commune : le film a été conçu par Stephen Hopkins, réalisateur de la série télévisée 24 heures chrono et du film d’horreur A Nightmare on Elm Street no 5 (Freddy, dans la version française), et l’homme en costume gris se démultipliant pour frapper à chacune des portes de la rue rappelle le personnage de Mr. Smith dans Matrix13 (fig. 2).

Figure 2 : Spot télévisé travailliste (28 avril 2010).
8Les Conservateurs ont aussi joué la carte du trivial lorsque le sursaut de popularité de Nick Clegg, le leader des Libéraux-démocrates, a rendu probable l’éventualité d’un « parlement suspendu » (au sein duquel aucun des partis n’obtient seul la majorité absolue). Leur émission du 27 avril se présente comme « un spot électoral du Parti du parlement suspendu » (« A Party Election Broadcast from the Hung Parliament Party ») et s’ouvre sur cette annonce : « Ce qui suit est fictionnel. Les conséquences ne le sont probablement pas14. » Un acteur parodiant Nick Clegg se présente comme le leader de ce parti fantoche et détaille un programme d’actions combinant opacité gouvernementale, instabilité politique et paralysie économique. Ceci doit aboutir à l’organisation de nouvelles et coûteuses élections, ce dernier point étant illustré par une séquence où des billets de banque sont aspirés dans la cuvette des toilettes. Pour les Conservateurs, la crainte était que Gordon Brown puisse rester en poste à la tête d’un gouvernement de coalition et le plan final était constitué d’un montage où le Premier ministre sortant posait devant le 10 Downing Street, accompagné du commentaire : « Voilà à quoi ressemble un parlement suspendu15 » (fig. 3). L’image superpose son propre discours au texte pour matérialiser une métaphore ou une prédiction. Une nouvelle fois, elle n’est plus « iconique » (ou « dénotative »), mais « symbolique » (la scène des toilettes signifie par convention le gaspillage) ou « indicielle » (le maintien de Gordon Brown à son poste est la conséquence du choix qu’envisagent certains électeurs).

Figure 3 : Spot télévisé conservateur (27 avril 2010).
L’« image-vitrine » et la fonction expressive
9Dans les cas que nous venons de présenter, l’image conserve une dimension « phatique » (« image-contact » servant à capter l’attention), mais elle cesse d’être « référentielle » (« image-témoin » de l’action menée) ou « conative » (« image-miroir » présentant des personnages et des situations reflétant le quotidien du public cible). Par anticipation, elle met en scène et donne à voir l’impact du vote sur le réel. Ce faisant, elle sert principalement à exprimer le point de vue de l’émetteur. Elle devient alors une « image-vitrine » dotée d’une fonction « expressive ». Cette dernière s’illustre plus conventionnellement par le dispositif du talking head (discours face à la caméra en plan rapproché) ou celui, plus dynamique, de la webcameron16. Dans un cas comme dans l’autre, le regard caméra agit comme un « indice de réel17 » en ce sens qu’il simule une situation de dialogue direct entre le locuteur et le public auquel il s’adresse. Par la voix de leur chef, les partis exposent leur vision des choses et construisent leur image (de marque), tout en cherchant à persuader l’électorat de les soutenir. Nous touchons là à un point essentiel d’articulation entre communication et persuasion politique : l’image (de marque) que construisent les productions audiovisuelles des partis doit alimenter le sentiment que le parti, s’il est élu, sera en capacité de tenir ses engagements et de transformer le réel par son action. En d’autres termes, les spots télévisés et les vidéos Internet mettent en scène, non seulement la capacité du parti à interpréter le monde, mais aussi sa capacité à agir sur lui.
Persuader : mise en mouvement du réel
10En aucun cas, une image, pas plus qu’un discours, ne peut produire un effet direct et mécanique. Le vote est le résultat d’un choix opéré par l’électeur en fonction de ses connaissances, de ses convictions, de ses attentes et des « valeurs sociales »18 auxquelles il adhère en référence au groupe social auquel il appartient ou souhaite appartenir. Dans ce cadre, la persuasion « consiste dans le processus de communication qui aboutit au changement endogène des préférences d’un interlocuteur ou d’un auditoire et sur lequel se fonde la décision »19. Les spots télévisés et les vidéos Internet, par la représentation partisane du réel qu’ils mettent en scène, cherchent donc à agir sur ces préférences, c’est-à-dire sur les « attitudes » (sentiments préacquis à l’égard des partis) et les « motivations » (états internes poussant vers l’action) des électeurs, car c’est en fonction de ces dernières qu’ils modifieront éventuellement leur « comportement » (vote)20. Par son pouvoir d’évocation, l’image est génératrice d’émotions et de sentiments susceptibles de produire ces effets. En ce sens, elle « n’est pas qu’un moyen d’information mais un espace possible de la transformation politique »21. En fonction des partis, les stratégies de construction de l’image de marque divergent, ainsi que les leviers de persuasion.
Les Travaillistes : l’acteur de télévision comme leader d’opinion
11Pour la campagne de 2010, les Travaillistes ont fait le choix d’une communication institutionnelle et horizontale. Afin de pallier le déficit de popularité de leur chef, ils ont mis en avant le bilan du parti et ont laissé la parole, dans tous leurs spots télévisés, à des personnalités du monde du spectacle22. La présence d’acteurs populaires vise à susciter un transfert du capital de sympathie dont jouissent ces derniers vers le parti qu’ils représentent. Implicitement, ils tiennent également le rôle de leaders d’opinion dont l’avis peut être influent (selon le modèle du « flux de communication en deux étapes »23). Les images utilisées en arrière-plan dans les spots montraient des écoles et des hôpitaux comme autant de témoignages de l’impact concret de l’action du gouvernement sortant (« image-témoin »). Mais le discours tenu était essentiellement anxiogène (nécessité de protéger les acquis menacés par l’opposition, évocation d’un retour au thatchérisme des années 1980, etc.) et ce bilan n’a pas été perçu comme la garantie que la majorité sortante pourrait améliorer le quotidien des citoyens. Les sondages d’opinion indiquent d’ailleurs que le parti souffrait du manque de clarté de son image. Seules 24 % des personnes interrogées le voyaient comme le défenseur des travailleurs ordinaires24.
Les Conservateurs : la persona du leader
12Les Conservateurs, à l’inverse, ont opté pour une communication majoritairement personnalisée et verticale. Celle-ci était donc largement centrée sur la persona du leader, c’est-à-dire sur l’image publique qu’il présente aux électeurs : celle d’un homme jeune, volontaire et incarnant le changement. Il n’est donc pas innocent que certaines images de meetings insérées dans les spots et vidéos évoquaient le candidat démocrate Barack Obama lors de la campagne pour les élections présidentielles américaines de 2008 (le leader se tient debout derrière un pupitre, en chemise blanche aux manches retroussées, entouré de sympathisants enthousiastes tenant des pancartes bleues sur lesquelles s’affichent des slogans appelant au changement : fig. 4).

Figure 4 : Spot télévisé conservateur (23 avril 2010).
13La citation visuelle peut surprendre dans la mesure où les deux partis sont généralement perçus comme appartenant à des familles de pensées politiques opposées, mais par ce procédé, David Cameron cherche surtout à emprunter certaines des qualités généralement attribuées à Barack Obama : le charisme et la capacité à incarner l’espoir et le changement. Malgré l’omniprésence du leader, la stratégie conservatrice fait également place à une communication plus horizontale. Cela s’observe, par exemple, dans la série Cameron Direct. Le principe était d’organiser des rencontres filmées dans de nombreuses villes du pays entre David Cameron et les électeurs afin, ensuite, de mettre en ligne sur le site du parti un florilège de séquences retraçant ces échanges. Interrogés avant le débat, certains participants se disaient indécis. Après la rencontre, les mêmes personnes affirmaient avoir été convaincues par les réponses du leader de l’opposition et déclaraient leur intention de voter conservateur. Par ce biais, le montage met en scène le processus psychologique de décision et invite l’internaute à l’imiter. Au final, les Conservateurs ont bénéficié d’une meilleure perception de leur identité par les électeurs. Une majorité de sondés (54 %) les voyaient comme un parti souhaitant en priorité aider les familles traditionnelles (couples mariés avec des enfants), ce qui correspond à l’image que ce parti voulait projeter25. Ce qui lui a fait défaut pour remporter la majorité absolue au parlement n’a sans doute pas été la capacité du parti et de son leader à fournir les garantis qu’ils auraient l’énergie et la capacité d’agir et donc d’impacter le réel, mais plutôt le contenu de leur programme.
Les Libéraux-démocrates : succès télévisuel et échec électoral
14Enfin, Nick Clegg, le leader des Libéraux-démocrates, a également tenté d’endosser les habits du leader charismatique26 pour incarner son parti. Lui aussi a pris des accents « obama-esques », que lui a reconnus la presse27, pour évoquer l’espoir et la possibilité du changement. On retrouve dans ses spots et ses vidéos la même franchise, la même détermination et le même ton que dans les débats télévisés. Mais, il s’avère a posteriori que l’attitude positive de nombreux électeurs à son endroit était davantage une réaction à sa performance télévisée qu’au programme de son parti, et que sa popularité personnelle ne s’est pas traduite par un succès dans les urnes. En tant que troisième force politique, les Libéraux-démocrates ont peiné à convaincre qu’ils étaient en capacité de transformer leur discours en action politique, et ce n’est qu’à la faveur d’un « parlement suspendu » qu’ils ont pu constituer un gouvernement de coalition avec les Conservateurs. Ce que nous enseigne le scrutin de 2010 est surtout que la communication politique reste limitée dans ses effets et que, même si elle peut agir sur l’attitude des électeurs à l’égard des partis, elle ne modifie leur décision que de manière marginale. Cette marge peut parfois offrir la majorité à un parti. Ou la lui refuser.
Conclusion
15Les spots télévisés ou les vidéos Internet associent des séquences filmiques de différentes natures (archive, portrait de gens ordinaires, allocution formelle, fiction scénarisée, etc.) et combinent des images répondant à différentes fonctions (spéculaire, mémorielle, narrative, etc.) pour construire une représentation partisane du réel. Par la dynamique du montage et par un jeu de redondance entre signes verbaux et iconiques, ces productions audiovisuelles donnent à voir et à entendre un discours. Celui-ci est interprété en termes cognitifs et affectifs par les téléspectateurs et des internautes qui, en fonction de leur allégeance politique, en font un décodage plus ou moins conforme au sens voulu par l’émetteur28. Du point de vue des partis, ce discours est normatif : il analyse le réel en fonction d’une idéologie et d’un système de valeurs. Il est aussi prescriptif : il dit et montre ce qui lui semble juste de faire. Il est enfin performatif : il annonce et donne à voir par anticipation la façon dont il se transformera en actes. Les spots et les vidéos construisent une représentation du monde à laquelle le public ciblé est invité à adhérer. Cette étape est essentielle car elle permet l’articulation entre la dimension locutoire du discours (énoncer quelque chose) et sa visée perlocutoire (induire une réaction). En effet, ce n’est que si l’électeur reconnaît le diagnostic établi par le parti qu’il consentira à entendre ses intentions et, le cas échéant, à le soutenir. Le discours politique (au sens large) ambitionne de « changer le monde social en changeant la représentation de ce monde »29, analysait Pierre Bourdieu. Une citation que l’on peut compléter par celle de Jacques Gerstlé, pour qui « l’enjeu de la communication électorale n’est rien moins que le contrôle de la construction d’une réalité à travers les représentations »30. Construire une vision du monde pour mieux l’orienter : c’est précisément ce à quoi participent les images dans les productions audiovisuelles des partis politiques.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Ce faisant, on passe des campagnes « modernes » aux campagnes « postmodernes ». Norris, P., A Virtuous Circle : Political Communications in Postindustrial Societies, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 142-149. Voir aussi Blumler, J. et Kavanagh, D., « The Third Age of Political Communication : Influences and Features », Political Communication, no 16, 1999, p. 209-230 ; Farrell, D. et al., « Parties and Campaign Professionals in a Digital Age : Political Consultants in the United States and Their Counterparts Overseas », The Harvard International Journal of Press/Politics, no 6, 2001, p. 11-30.
2 Les spots télévisés sont également mis en ligne sur le site des partis aux adresses suivantes : Parti travailliste (www.labour.org.uk), Parti conservateur (www.conservatives.com), Parti libéral-démocrate (www.libdems.org.uk). Les partis disposent aussi d’une page You-tube, accessible depuis leur site.
3 Le schéma de la communication élaboré par le linguiste russo-américain Roman Jakobson mobilise six pôles. Ainsi, un « destinateur » (1) entre en « contact » (2) avec un « destinataire » (3), afin de lui transmettre un « message » (4), dans un « contexte » donné (5) et en référence à un « code » commun partagé par les acteurs de la communication (6). À chacun de ces pôles, correspond une fonction : expressive (1), phatique (2), conative (3), poétique (4), référentielle (5) et métalinguistique (6). Jakobson, R., Essais de linguistique générale, Paris, Éditions de Minuit, 1981 [1963], p. 213-214.
4 En l’appliquant à l’image, nous reprenons la distinction qu’opère le philosophe et logicien américain entre trois catégories de signes en fonction de leur relation au référent (l’objet). L’« icône » (icon) entretient une relation de similarité physique et analogique avec son objet. L’« index » ou « indice » (index) est lié à son référent par une relation naturelle et le plus souvent causale. Enfin, le « symbole » (symbol) est attaché à ce qu’il désigne de manière purement arbitraire. Peirce, C. S., Écrits sur le signe, Paris, Le Seuil, 1978, p. 121.
5 Nous nous concentrerons, par ailleurs, sur les spots diffusés en Angleterre (les versions et les partis en lice diffèrent au pays de Galles, en Écosse et en Irlande du Nord). Au total, 18 spots ont été diffusés en Angleterre pendant la campagne officielle, de la dissolution du parlement (le 12 avril) à l’avant-veille du scrutin (le 4 mai). Ils se répartissent comme suit : respectivement 5 pour les Travaillistes et les Conservateurs, 4 pour les Libéraux-démocrates et 1 pour chacun des partis « minoritaires » : le Green Party, le British National Party, les English Democrats et l’UKIP (UK Independence Party). Pour Internet, le nombre de vidéos et leur date de mise en ligne dépendent uniquement des partis.
6 Breton, P., L’argumentation dans la communication, Paris, La Découverte, 2003 [1996], p. 79-96 ; Gerstlé, J., La communication politique, Paris, A. Colin, 2008, p. 89-92.
7 Le « réel » étant compris comme ce qui est en dehors de toutes les formes de représentations du monde, socialement interprétées et conditionnées. C’est le monde tel qu’il est. Voir, par exemple, Mucchielli, A. et al., Théorie des processus de la communication, Paris, A. Colin, 1998, p. 150.
8 Barthes, R., « Rhétorique de l’image », Communications, no 4, 1964, p. 47.
9 Dans la terminologie cinématographique, cet effet de montage est appelé « effet Koulechov ». Polan, D., « The “Kuleshov Effect” », Iris, vol. 4, no 1, 1986, p. 95-106.
10 Haigron, D., « Targeting “Essex Man” and “C2 wives” : The Representation of the Working Class Electorate in the Conservative Party Political Broadcasts (1970s-1980s) », dans Capet, A. (dir.), The Representation of Working People in Britain and France : New Perspectives, Newastle-upon-Tyne, Cambridge Scholars, 2009, p. 109-128.
11 Social Justice Policy Group, Breakdown Britain : Interim Report on the State of the Nation, London, Centre for Social Justice, 2006, p. 14.
12 Philo, G. (dir.), Message Received, Harlow, Addison Wesley Longman, 1999, p. 287.
13 Sweney, M., « Get me Jack Bauer-Labour calls in 24 director to revive election campaign », The Guardian, 27 avril 2010.
14 « The following is fictional. The consequences are probably not. »
15 « This is what a hung parliament looks like. »
16 Créé en septembre 2006, ce blog vidéo permet au leader David Cameron de mettre en ligne, avec une grande régularité, de courtes séquences dans lesquelles il exprime, face à la caméra, ses réactions et ses intentions. Ces vidéos, réalisées avec un caméscope numérique, peuvent être filmées dans son bureau, à son domicile ou en déplacement. Au-delà du contenu du discours, le message est avant tout véhiculé par l’image : celle d’un homme dynamique, volontaire, direct, omniprésent et affichant son désir de transparence.
17 Véron, E., « Il est là, je le vois, il me parle », Communications, no 38, 1983, p. 103.
18 « Une valeur sociale est une sorte de principe général (loi ou règle) qui peut être considéré comme générant (sous-tendant) la conduite reconnue comme idéale et estimable pour un groupe. », Mucchielli, A., Les motivations, Paris, PUF, 1992, p. 65.
19 Gerstlé, J., op. cit., p. 79.
20 Mucchielli, A., Les motivations, op. cit., p. 29 ; Seymour-Ure, C. K., The Political Impact of Mass Media, London, Constable, 1974, p. 21. Pour plus de détails sur la « hiérarchie des effets », voir Kapferer, J.-N., Les chemins de la persuasion : le mode d’influence des medias et de la publicité sur les comportements, Paris, Dunod, 1990, p. 46 et Adam J.-M. et Bonhomme, M., L’argumentaire publicitaire : rhétorique de l’éloge et de la persuasion, Paris, A. Colin, 2005, p. 29-31.
21 Gheude, M., « La Réunion invisible », Hermès, no 13-14, Paris, CNRS Éditions, 1994, p. 276.
22 Sean Pertwee a souvent prêté sa voix à des publicités et à des documentaires télévisés. David Tennant et Peter Davison ont, l’un et l’autre, tenu le rôle-titre de la série Doctor Who. Ross Kemp a joué dans le très populaire soap-opéra EastEnders. Par sa gestuelle et son attitude, le comédien Eddie Izzard apparaît tel qu’il se présente dans ses spectacles, que beaucoup auront vus à la télévision.
23 « Two-Step Flow of Communications », Lazarsfeld P. et al, The People’s Choice : How the Voter Makes his Mind in a Presidential Campaign, New York, Columbia University Press, 1968 [1944], p. 151-152.
24 Kavanagh D. et Cowley, P., op. cit., p. 342.
25 Ibid.
26 Dorna, A., Le leader charismatique, Paris, Desclée de Brouwers, 1998.
27 Burkeman, O., « Nick Clegg : The British Obama ? », The Guardian, 20 avril 2010.
28 Hall, S., « Encoding and Decoding in the Television Message », dans Stuart Hall et al. (dir.), Culture, Media, Language : Working Papers in Cultural Studies, London, Hutchinson, 1980, p. 138.
29 Bourdieu, P., Ce que parler veut dire : l’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982, p. 150.
30 Op. cit., p. 69.
Auteur
Maître de conférences à l’Université Rennes 2.
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