L’image people des dirigeants
Vers de nouveaux codes de représentation politique ?
p. 179-194
Texte intégral
1Évoquer de nouveaux codes de représentation politique à propos de l’image people des dirigeants peut sembler présomptueux, à double titre.
2D’abord parce que la nouveauté de la vedettisation politique est toute relative, comme l’a montré Christian Delporte qui, lorsqu’il retrace l’histoire de la communication politique française, fait remonter de telles pratiques au moins au début de la IIIe République1.
3Ensuite, parce que la représentation, saisie non pas en tant que mise en scène, mais dans son sens plus spécifiquement politique de délégation du pouvoir, paraît a priori fort étrangère à une information people généralement décrite comme futile.
4Reste que la montée en puissance de la notion de peopolisation dans le débat collectif des années 2000 ne suggère pas seulement une transformation de la médiatisation des personnages publics assez importante pour que s’impose un tel néologisme, mais de surcroît l’influence, dans cette transformation, d’un système people dont la presse du même nom sera ici analysée en tant qu’élément-clé.
5De fait, cette décennie se distingue par une augmentation inédite de la présence, volontaire ou non, de dirigeants dans la presse de célébrités, les campagnes présidentielles de 2002 et plus encore 2007 ayant joué en la matière un rôle d’accélérateurs. Au point que, initialement réticentes par crainte d’un mélange des genres, les rédactions des magazines people ne conçoivent pas aujourd’hui de publier un seul numéro sans consacrer au moins un écho à un homme ou une femme politique. De même préfèrent-elles évoquer, plutôt qu’une peopolisation de la politique, une « politisation du people », pointant l’initiative des élus dans ce phénomène.
6Ce n’est d’ailleurs pas l’un des moindres problèmes soulevés par la présence de dirigeants dans la presse spécialisée que de pouvoir désigner les auteurs de l’imagerie « peopolitique ». Elle-même nourrie d’« images-documents » iconiques – photos posées ou volées en l’occurrence – l’iconographie people participe à l’« image de marque » du personnage politique à la fois construite par « ceux qui les produisent (dans la presse people, les photographes d’agence, photoreporters des journaux, politiques consentants et leurs conseillers), ceux qui en organisent la diffusion (journaux), ceux qui les commentent (journalistes-rédacteurs, public), ceux qui y sont exposés (public), sans oublier ceux qui les soutiennent ou les combattent puisque telle est la nature de la politique »2.
7Aussi, devant le nombre, la complexité et l’enchevêtrement de ces médiations, fera-t-on le choix, pour dégager la portée politique de l’image people des dirigeants, de se concentrer dans un premier temps sur le traitement des personnalités politiques dans la presse spécialisée, à partir d’une analyse de contenu et du discours des huit principaux titres3 de la presse de célébrités française entre 2006 et 2010. Équivalent en apparence à celui de toutes les autres personnalités, ce traitement paraît largement esthétisant et semble, de ce fait, conduire à une dépolitisation des personnages politiques qui s’inscrit dans les règles spécifiques d’allocation de la valeur journalistique et de mise en forme des nouvelles people.
8Il conviendra donc, ensuite, de nuancer cette première approche car la politique s’invite malgré tout dans le contenu rédactionnel, par des références indirectes mais aussi parce que la stylisation des personnages politiques et leur mise en perspective avec la vie ordinaire sont tout sauf politiquement insignifiantes, sans pour autant être réductibles à un avatar de la communication politique.
Une prime à l’esthétique…
Au crible du sensible
9Dès lors que des titres people l’incorporent dans leur discours, le personnel politique ne semble plus visible qu’au prisme du sensible, au double sens du terme : à travers la mise en scène des sentiments et des affects, d’une part, ou en raison d’une focalisation sur l’apparence, d’autre part.
Tableau 1. Thématiques de l’imagerie des personnages politiques dans la presse people (2006-2010).
Sentiments-affects | Apparence |
Les épisodes du feuilleton amoureux | 1. Glamour : éloge de la beauté et de l’élégance |
10Entre 2006 et 2010, tous les articles consacrés à des politiques par la presse people tournent soit autour du couple ou de la famille, toujours sous l’angle de ce qu’éprouvent les protagonistes et avec une prédilection pour la vie sentimentale de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal, soit autour de l’allure des personnalités, tour à tour admirée et raillée.

Figure 1. Une prédilection pour le feuilleton sentimental : Closer no 279 16 octobre 2010.
Figure 2. Éloge de l’apparence : Point de Vue no 3168, 08 avril 2009.
11À ce titre, largement ritualisée depuis 2006 au point que la presse anglo-saxonne a cru y déceler un particularisme français qu’elle a surnommé « bikini politics », l’exhibition de dirigeants en tenue de plage est parfaitement emblématique, dans son ambivalence même. Tantôt cette « épreuve du maillot » se traduit par des éloges sur l’apparence de la personnalité, jugée bien conservée pour son âge, voire « sexy » ; tantôt elle met en évidence les défauts physiques ou la faute de goût dans le choix du costume de bain et suscite des commentaires désobligeants.

Figure 3. L’épreuve du maillot : Voici no 1135, 07 août 2009.
12Voués – fût-ce par ventriloquie – à l’expression de sentiments et non plus d’idées, évalués à l’aune de leur apparence, extraits de leurs espaces et situations professionnels, privés, enfin, des attributs usuels de leur pouvoir, les dirigeants sont donc bel et bien confinés par la presse people dans le monde domestique et dans celui de l’opinion, à l’exclusion du monde civique, ce que semble confirmer la récente étude sémiotique d’Eva-Marie Goepfert4, qui teste les catégories proposées par Luc Boltanski et Laurent Thevenot5 dans le cas des magazines people et de reportage photographique.
13On notera à ce sujet que, dès les années 1950-1960, Edgar Morin relevait la propension de la part de la vedettisation inhérente aux médias de masse à neutraliser la dimension politique des dirigeants transformés, au même titre que la pléthore d’autres héros de culture de masse, en Olympiens à la fois proches et inaccessibles, capables de susciter aussi bien la projection que l’identification des consommateurs.
« Relativement indifférente aux thèmes proprement politiques, la culture de masse vedettise pour vedettiser, parce qu’elle a besoin de vedettes, et c’est dans ce sens qu’elle exalte la grandeur olympienne des réceptions, des visites officielles, etc., et prospecte toutes les dimensions de la familiarité privée de l’olympien politique6. »
14Dans la presse people contemporaine, l’esthétisation apparente des personnages politiques au détriment de la politique répond toutefois à des règles professionnelles spécifiques, que l’on a pu recenser grâce aux propos de journalistes people, tenus en public ou recueillis lors d’entretiens approfondis7.
Une prise en charge sélective
15De prime abord, le fait que les apparitions de dirigeants soient aujourd’hui monnaie courante dans la presse de célébrités ne doit pas faire oublier sa répugnance initiale à aborder l’univers politique, à la fois par prudence vis-à-vis du pouvoir et pour des raisons éditoriales – la politique « politicienne » étant jugée par les professionnels de la presse people ennuyeuse8, peu « glamour » et surtout trop « segmentante9 », en ce qu’elle pourrait irriter une partie du lectorat qui ne partagerait pas les mêmes opinions.
16Aussi, loin d’être automatique, l’intégration d’un élu dans le vivier des people résulte de la mise en balance de différents critères positifs ou négatifs, et plus ou moins inhérents à son statut de politique.
17Parmi les critères négatifs :
la position hiérarchique de l’élu, qui fait craindre, à tort ou à raison, des représailles10 et suscite une forte autocensure : plutôt une Ségolène Royal dans l’opposition qu’un Nicolas Sarkozy au pouvoir (ministre de l’Intérieur ou chef de l’État) ;
la forte protection de la vie privée dans le droit français, qui incite les magazines people, pour éviter des sanctions judiciaires trop lourdes et le paiement de dommages et intérêts trop élevés, à ne publier des indiscrétions que sur des individus censés apprécier leur propre médiatisation et ayant déjà, eux-mêmes, ouvert une brèche dans leur sphère personnelle : plutôt Ségolène Royal, là encore, qui a publicisé son accouchement en 1992, qu’une Martine Aubry ayant fait savoir qu’elle refusait d’évoquer publiquement son mari et sa progéniture.
18Parmi les éléments favorisant la prise en charge d’une personnalité politique, des critères d’allocation de la valeur people non spécifiques :
le « glamour », en grande partie lié à la beauté et à l’élégance supposées. Essentiellement genrée au sens où elle est le plus souvent assignée à des femmes, cette qualité peut advenir de façon métonymique, à la conjointe : tel est le cas pour Nicolas Sarkozy, par le biais de Carla Bruni, professionnelle de la séduction en tant qu’ancien mannequin11 ;
La popularité, mesurable par les sondages ou le « buzz », pour s’assurer l’intérêt des lecteurs12 ;
La proximité, qui renvoie à des particularités dans lesquelles le lectorat, surtout féminin, doit pouvoir se reconnaître ;
Le potentiel narratif : pour être choisi, l’individu doit présenter un certain degré de « narratogénie »13, c’est-à-dire qu’il doit pouvoir se prêter facilement à une mise en récit par ses particularités biographiques, les hauts et les bas qu’il traverse ou a traversés.
19Un ingrédient original joue en outre dans le sens d’un intérêt particulier de la presse people pour les responsables politiques : la séduction du pouvoir, reconnue en dépit du caractère supposément ennuyant de la politique politicienne.
20Plus radicalement, en amont de toute considération éditoriale, la propension esthétisante de la presse de célébrités s’explique par la modalité matérielle sans doute la plus spécifique du discours people : la centralité de la photographie, posée ou volée, depuis que la formule en a été testée par le groupe Prisma Presse dans Voici (1987) et Gala (1993), avant d’être reprise par l’ensemble des titres échotiers.
21Le contrat de lecture de la presse spécialisée est en effet essentiellement fondé sur l’exégèse de clichés. La photo est censée dépasser le simple rôle d’illustration de l’information pour constituer l’information même, en tant que signe soi-disant patent d’un nouvel état physique ou moral d’une personnalité : kilos en trop, maladie, grossesse, dépression, bonheur retrouvé, etc. Selon une approche toute somatique, s’opère donc une focalisation sur la surface corporelle, à laquelle s’arriment toutes les présomptions sur les états d’âme.
22Est-ce à dire, pour autant, que la presse people réussit le tour de force de parler de personnalités politiques sans parler de politique ? Rien n’est moins sûr, car la vie politique y est bel et bien présente, fût-ce de façon indirecte et peu conventionnelle.
… Mais une trame politique…
23Le monde domestique, mettant en avant les liens conjugaux et familiaux, et le monde de l’opinion, valorisant le pouvoir d’attraction de la célébrité, gouvernent le discours people mais n’y sont pas pour autant déconnectés de toute référence à la sphère publique, ni même de tout enjeu civique.
La politique comme décor
24La vie politique est d’abord présente en toile de fond. Dans certains articles soucieux de respecter un certain formalisme, issus de titres people se voulant haut de gamme et consensuels tels que Point de Vue et Gala, le calendrier politique national ou diplomatique et les grandes étapes d’une carrière électorale sont des éléments avant tout décoratifs, certes, mais non négligeables du récit peopolitique. Ainsi l’article « Qui est vraiment Ségolène Royal ? »14 fournit-il plusieurs renseignements sur la carrière et les idées politiques de la candidate socialiste à l’élection présidentielle de 2007 : entre autres, son élection dans les Deux-Sèvres en 1988, qui l’aurait « transfiguré[e] », ou les « cartables trop lourds, le bizutage, l’accouchement sous X et le congé-paternité » présentés comme ses chevaux de bataille au sein du gouvernement Jospin, de 1997 à 2002.
25Dans des périodiques plus sacrilèges, Voici notamment, le mélange des genres entre monde domestique et monde civique peut être un ressort humoristique qui trahit, du même coup, une connaissance fine de la vie politique. Dans son article « Ségolène Royal. De plus en plus seule… »15, Voici fait par exemple assaut de légendes ironiques pour commenter la situation de Ségolène Royal, sur un double plan politique et physique :
« Dans son maillot panthère, elle resplendit. Les éléphants du PS n’ont qu’à bien se tenir. Si on la cherche, elle sort ses griffes. »
« Les soucis qu’elle traverse, ces derniers temps, n’ont en rien altéré sa beauté. Si la ligne du parti est un peu floue, la sienne, en revanche… » « À l’horizon, pas un nuage. Un petit coup d’œil à gauche. Ah, là, c’est un peu bouché… »
La politique comme sujet
26De même la politique peut-elle être naturalisée grâce à l’alibi de « médiateurs » profanes la rendant compatible avec les propriétés énonciatives de la presse people en général ou le contrat de lecture spécifique de chaque magazine16.
27L’un des procédés les plus usités pendant la campagne présidentielle de 2007 consiste ainsi à se focaliser sur le soutien des célébrités aux différents candidats. Cet angle journalistique renvoie donc à l’autre versant d’une peopolisation politique saisie non plus en tant qu’imitation du show-biz par les dirigeants mais comme engagement des vedettes en politique17.
28Le magazine Public offre quant à lui plusieurs illustrations d’un angle de traitement de la politique adapté à son cœur de cible, les 15-25 ans. Ainsi, il rend compte de la campagne en se concentrant sur le cas de Thomas Hollande, engagé auprès de sa mère Ségolène Royal18.
29De même, le 14 novembre 2005, il propose un dossier « Les stars et la banlieue. Ceux qui en viennent. Leurs solutions », en résonance évidente avec l’agenda politique du moment, les émeutes de novembre-décembre 2005, mais aussi en affinité avec les centres d’intérêt supposés de son lectorat jeune.

Figure 4. Un écho de l’agenda politique : Public no 122, 14 novembre 2005.
30Ce dernier exemple est particulièrement emblématique de la possibilité pour la presse people de faire de la politique, dans un sens non point partisan mais civique. Certes, une telle approche des problèmes sociaux par le biais de la célébrité peut aisément être disqualifiée au motif de son simplisme et de son décalage par rapport aux conventions du débat politique traditionnel. Mais comment ne pas voir en elle une esquisse de montée en généralité à partir de cas individuels, et par là même une contribution à la configuration d’un problème public ?
31Loin d’être isolé, un tel exemple invite donc à interroger à nouveaux frais la portée civique de l’esthétisation people, qui est souvent considérée, en soi (Celebrity News), comme incompatible avec la démocratie, par-delà la question de son éventuel intérêt pour les dirigeants (Celebrity Politics).
… Pour quels enjeux démocratiques ?
Rationalisme vs romantisme
32S’agissant de son impact politique, le discours people fait les frais d’une tradition critique, à la fois savante et profane19, que l’on peut qualifier d’iconoclaste en ce qu’elle adopte les mêmes griefs que pour tous les dispositifs de mise en images issus de la culture de masse : ceux-ci seraient dotés d’un tel pouvoir de fascination et d’aliénation qu’ils disqualifieraient la rationalité et l’argumentation20.
33Toujours est-il que cette critique repose sur des arguments contradictoires : d’un côté, en raison de sa nature spectaculaire, la peopolisation est taxée d’insignifiance, d’éloge du vide. De l’autre, on lui reproche de faire le jeu de manipulations populistes et/ou démagogiques, lui reconnaissant ainsi l’efficacité d’une propagande pouvant influer sur les choix électoraux.
34En réalité, le problème réside, en partie du moins, dans le modèle théorique auquel on se réfère pour définir ce qu’est la politique – ou ce qu’elle devrait être. Il est, à ce compte, permis d’opposer à l’approche pessimiste de la peopolisation, essentiellement rationaliste, des conceptions de type romantique, identifiant la politique comme un art plutôt que comme une science et remettant en cause la séparation traditionnelle entre, d’une part, la « haute politique » et, d’autre part, la « “basse” culture populaire, les compétences et les pratiques ordinaires qui construisent le monde »21.
35Deux lignes de force se dégagent de telles conceptions, majoritairement défendues par des chercheurs anglo-saxons.
36Premièrement, loin d’y entrevoir le spectre du populisme, certains d’entre eux signalent l’intérêt civique de tous les points de contact entre politique et vie ordinaire et/ou monde populaire : ainsi Peter Dahlgren rappelle-t-il que la démocratie n’est pas « uniquement affaire de politique officielle, mais a aussi à voir avec les normes et les horizons de la vie et de la culture quotidienne »22. De ce point de vue, le seul fait, pour certains leaders, d’accepter de figurer dans un média aussi populaire et centré sur la sphère domestique que la presse people va dans le sens d’une Life Politics d’inspiration blairiste, qui part des problèmes du quotidien et « préjuge que chaque citoyen est porteur d’une vérité, d’un fragment d’expérience et de savoir »23.
37Deuxièmement, ces travaux soulignent la dimension performative de la politique24 et prônent l’existence d’un espace public symbolique autant qu’argumentatif. Frank R. Ankersmit, par exemple, fait valoir que l’homme politique doit posséder le talent essentiellement esthétique de représenter la réalité politique de façons nouvelles et originales25. La représentation n’est alors plus seulement perçue comme une délégation de pouvoir mais comme une manière de styliser le monde et de le rendre à la fois plus sensible et intelligible aux citoyens. Dans ce sens, l’élu a pour mission d’offrir au public les symboles qui lui permettront de s’approprier une réalité politique souvent complexe. Dès lors, pourquoi pas ceux que fournissent les formats médiatiques les plus populaires, tabloïds ou presse people, par exemple ?
38En l’occurrence, force est de constater que la publicisation du style de vie des dirigeants peut faire symbole, en dépit – ou plutôt en raison – des artifices de sa mise en scène. Qu’on l’approuve ou non, l’affichage par Nicolas Sarkozy d’un style de vie « bling-bling » entre en cohérence avec ses idées politiques : plus particulièrement, le rapport décomplexé à l’argent qu’il préconise pour la France. Preuve également que les symboles de la vedettisation politique mettent en jeu l’intérêt général : de 2007 à 2009, les nombreuses discussions suscitées par la médiatisation de la vie privée de l’ancienne garde des Sceaux, Rachida Dati, sur des thèmes aussi divers que le statut des minorités en France, la méritocratie républicaine, l’accès des femmes au pouvoir ou encore la conciliation entre maternité et activité professionnelle.
Une distance aux images
39Mais quand bien même on souscrirait à une approche rationaliste, strictement argumentative, du jeu démocratique, se fonder sur le seul pouvoir de fascination de l’image pour juger la présence de dirigeants dans la presse people comme une dérive démagogique est un grave contresens, lié à une méconnaissance, et du propos, et des usages réels des magazines de célébrités. C’est en effet ignorer que, tout centré qu’il soit sur l’image, le discours people est, dans son codage comme dans son décodage, au moins aussi iconoclaste que la tradition critique qui refuse d’accorder le moindre intérêt civique aux produits visuels de la culture de masse.
40Le contrat de lecture de la presse people est bien fondé sur une promesse d’authenticité. Mais l’authenticité pointée est labile car il est par ailleurs posé en principe, suivant une orientation toute postmoderne, que les apparences peuvent être trompeuses. Y participent-ils de fait, les magazines spécialisés ménagent toujours un doute à l’égard de la représentation médiatique.
41Des titres tels que Oops ! ou Voici, où la mise en récit est fondée sur le mode mimétique bas26 – c’est-à-dire sur une désacralisation des personnages publics – excellent tout particulièrement à ce jeu, en dénonçant ce qui relève de la pose et de l’hypocrisie sociale dans les agissements des vedettes mais aussi en raillant le trafic, cosmétique ou chirurgical, des apparences.
42Les périodiques qui, comme Gala ou Point de Vue, privilégient le mode mimétique haut et donc l’admiration des puissants, ne sont pas en reste lorsqu’ils suggèrent à quel point l’image de ces derniers peut être travaillée. Bien qu’à la gloire, officiellement, de la passion retrouvée entre Nicolas et Cécilia Sarkozy, un article de Gala du 7 février 2007 fait, par exemple, allusion non seulement au rôle déterminant de la seconde femme du candidat dans la fabrication de son image politique, mais au fait que leur réconciliation puisse éventuellement être factice, uniquement orchestrée dans un but électoral27.
43Du côté des lectorats, la méfiance envers l’image « document » ou « de marque » semble là encore être de mise, d’après les premiers résultats d’une enquête de réception réalisée entre 2006 et 201028. Quels que soient leur statut socio-démographique, l’intensité de leur pratique et les plaisirs retirés, les 28 lecteurs interrogés expriment, chacun à leur manière, un sens critique aiguisé. Tous mettent plus ou moins en doute la fiabilité des nouvelles people, dont ils soulignent le caractère approximatif et lacunaire, et la plupart font spontanément référence aux procédés qui régissent le traitement de l’information people tels que, en photographie, effets de flou, montage ou recadrage et, en particulier, tenants et aboutissants des fausses « paparazzades » mises en scène avec la complicité des vedettes, etc.
44Ni dans son discours, ni dans les interprétations auxquelles il donne lieu, les éléments ne semblent donc réunis pour envisager les magazines people français comme de simples relais de la propagande de leaders soucieux de séduire les masses par une image à la fois familière et séduisante.
Conclusion
45Démontrant que, contrairement aux apparences, l’intérêt de la presse people pour les personnalités politiques ne conduit ni à un discours apolitique, ni à une propagande nécessairement efficace, les arguments qui viennent d’être présentés risquent d’être interprétés comme une défense de la démagogie et de la société du spectacle29.
46Pourtant, il n’en est rien. Il n’est pas question d’affirmer que toutes les opérations de communication politique sur le mode du people soient également valables ou inoffensives pour la démocratie. On ne peut oublier, notamment, que l’instrumentalisation de leur propre vie privée par certains dirigeants les aide à s’imposer à l’agenda public et, partant, à détourner l’opinion de thématiques d’intérêt général, à des moments cruciaux du débat collectif.
47Encore faut-il rappeler un principe simple : qu’il s’adapte ou non aux formats people, le style n’est pas indifférent dans l’exercice de la représentation démocratique. Que l’on juge ou non cette adaptation nécessaire est un autre problème. En tout état de cause, d’après les études empiriques qui ont été consacrées à la presse de célébrités, les médiations politiques susceptibles de lui être imputées – qui restent largement à investiguer – ne sauraient être qu’abusivement rabattues sur le modèle du culte de la personnalité.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Delporte, C., La France dans les yeux. Une histoire de la communication politique de 1930 à nos jours, Paris, Flammarion, 2007 ; Delporte, C., « Quand la peopolisation des hommes politiques a-t-elle commencé ? Le cas français », dans Dakhlia, J. et Lherault, M. (dir.), dossier « Peopolisation et politique », Le Temps des médias, no 10, printemps 2008, p. 27-52.
2 Gourévitch, J.-P., L’image en politique. De Luther à Internet et de l’affiche au clip, Paris, Hachette-Littératures, 1998, p. 13.
3 Par ordre d’ancienneté : Ici Paris (1945), France Dimanche (1946), Point de Vue (1948, mais Images du Monde est né en 1944), Voici (1987), Gala (1993), Public (2003), Closer (2005), et Oops ! (2008). Sont ici abordés les magazines people à proprement parler, à distinguer de picture magazines tels que Paris Match ou VSD, beaucoup plus généralistes et non exclusivement centrés sur la vie des célébrités. Cf. Charon, J.-M., La presse magazine, Paris, La Découverte, 1999, pp. 66-68.
4 Goepfert, E.-M., Médias, politique et vie privée. Analyse du phénomène de peopolisation dans la presse écrite française, Thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication, Université Lumière Lyon 2, 10 décembre 2010, p. 92-98.
5 Boltanski, L. et Thévenot, L., De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991, p. 206, 224.
6 Morin, E., L’esprit du temps, tome 1, Névrose, Grasset, 1962, p. 135-136.
7 Dakhlia, J., Culture people. Discours, pratiques professionnelles et usages de la presse de célébrités en France, Mémoire d’habilitation à diriger des recherches, Université Nancy 2, 2010.
8 Cf. Interview de l’ancien P.D.-G. de Prisma Presse, Axel Ganz, dans l’émission J’ai mes sources, France Inter, présentatrice C. Schneck, 16 octobre 2006.
9 Selon le terme même de Philippe Bonnell, directeur de la rédaction de France Dimanche (entretien réalisé le 27 septembre 2007).
10 Cette crainte, qui nous a été confiée lors d’entretiens menés avec des journalistes people, a également été évoquée dans Le Monde en 2006 au sujet des pressions exercées pour empêcher la parution d’une biographie de Cécilia Sarkozy écrite par Valérie Domain, journaliste de Gala : cf. Beuve-Méry, A. et Ridet, P., « Cécilia Sarkozy sujet d’un récit à clés », Le Monde, 3 février 2006, p. 32 ; Santi, P., « Prisma renonce à censurer les livres de ses journalistes », Le Monde, 25 mars 2006, p. 15.
11 Le glamour présente de surcroît l’intérêt pragmatique d’alimenter une « information de service » (de consommation), qui permet au magazine d’indiquer à ses lecteurs la marque des vêtements et des accessoires arborés par la personnalité décrite, et d’effectuer ainsi des annonces publicitaires non officielles. En témoigne cette déclaration de Laurence Pieau, directrice de la rédaction du magazine Closer : « Je crois que ce qui est très nouveau depuis quelques années, c’est que les photos se lisent différemment, c’est-à-dire que là où il y a quelques années vous aviez une photo où vous disiez : “Voilà, untel est à la plage”, aujourd’hui, le lecteur veut aller plus loin, que ce soit le lecteur de presse people ou lecteur de presse magazine tout simplement, c’est-à-dire c’est de savoir : qu’est-ce qu’il fait à la plage, qu’est-ce qu’il lit, un livre, un magazine, un essai, un auteur à la mode ? Est-ce qu’il a une crème solaire ? Quel type de maillot de bain il met ? Si vous regardez les photos de Nicolas Sarkozy, on s’aperçoit qu’il a une collection de maillots de bain Vilebrequin™ de toutes les couleurs depuis deux étés. Quel chapeau ? Est-ce que c’est un chapeau de paille, est-ce que c’est une casquette ? Qu’est-ce qu’il y a de marqué sur la casquette ? », interview dans Le Téléphone sonne, France Inter, 13 août 2009.
12 Ainsi une journaliste de Gala répondait-elle à notre question « Comment est-ce que vous choisissez tel ou tel politique ? En fonction de quels critères ? » : « Eh bien, c’est en fonction de sa popularité, de sa cote de popularité. Rachida Dati, on la fait, même si elle ne veut pas, on la fera ! Parce que tout le monde en parle, parce qu’elle est jolie, parce qu’elle s’habille bien… » (entretien réalisé le 19 octobre 2007)
13 Dubied, A., « L’information-people, entre rhétorique du cas particulier et récits de l’intimité », Communication, Laval (Québec), Nota Bene, 2009, p. 54-64.
14 Bernard, D., Gala no 693, 20 septembre 2006, p. 30-35.
15 Voici, no 1088, 13 septembre 2008, p. 16-17.
16 Goepfert, op. cit., p. 234-236.
17 Dans la nomenclature proposée par John Street, CP2 (Celebrity Politics 2), la CP1 renvoyant à l’imitation des vedettes par les politiques. Street, J., « Celebrity Politicians : Popular Culture and Political Representation », The British Journal of Politics & International Relations, Vol. 6 (4), novembre 2004, p. 438.
18 Public no 185, « Ségolène : et si on votait pour son fils ? », 29 janvier 2007.
19 Cf. les critiques formulées par certains politiques, le député socialiste Arnaud Montebourg, par exemple : Forcari, C., « La vie privée, un outil de diversion » (interview d’Arnaud Montebourg », Libération, 2 août 2007).
20 On pense évidemment aux notions de « simulacre » et d’« hyperréel » chez Baudrillard (1981) mais dès 1961, Daniel Boorstin écrit : « The Graphic Revolution has made the hypnotic appeal of the image take the place of the persuasive appeal of the argument. » (1992 [1961], 192) Plus récemment, Philippe Breton (2007) déplore le recul de l’argumentation et de la rhétorique en politique mais aussi dans tous les domaines de la vie courante, au profit de la séduction, en tant qu’instrumentalisation des affects.
21 « […] a variety of “romantic”, “aesthetic” or “performative” views which elaborate matters of representational style in order to level the traditional hierarchy with “low” popular culture and more “ordinary” practices and skills of world-making », Corner, J. et Pels, D., « The Re-Styling of Politics », in Corner, J. et Pels, D. (dir.), Media and the Restyling of Politics, Londres, Thousand Oaks, New Delhi, Sage, 2003, p. 16.
22 Dahlgren, P., « Enhancing the Civic Ideal in Journalism », in Brants, K., Hermes, J. et Van Zoonen, L. (dir.), The Media in Question. Popular Culture and Public Interest, Londres, Sage, 1998, p. 91.
23 Laïdi, Z., « Le véritable apport de Mme Royal », Le Monde, 5 juillet 2006, p. 19. Bien que rivaux, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont tous deux revendiqué s’être inspirés de l’ancien Premier ministre britannique pendant la campagne présidentielle française de 2007.
24 Ankersmit, F. R., Political Representation, Stanford, Stanford University Press, 2002. Voir également Brennan, G. et Hamlin, A., Democratic Devices and Desires, Cambridge, Cambridge University Press, 2000 ; Street, J., « Celebrity Politicians : Popular Culture and Political Representation », The British Journal of Politics and International Relations, no 6, 2004, p. 435-452 ; Corner, J. et Pels, D. (dir.), Media and the Restyling of Politics, op. cit.
25 Ankersmit, F. R., op. cit., p. 116-117.
26 Pour reprendre la classification de Northrop Frye, d’après Aristote : Frye, N., Anatomy of Criticism : Four Essays, Princeton, Princeton University Press, 1990 [1971], p. 33-34.
27 « Mais son influence dans le dispositif de campagne n’en est que plus déterminante. Si elle n’occupe plus le premier rang des meetings, en coulisses, elle est omniprésente. Notamment pour adoucir l’image du candidat. » « Entourée de sa fille Jeanne-Marie, de Pierre et Jean, les aînés de Nicolas, Cécilia assiste au triomphe de son champion, qui remporte, le 14 janvier, l’investiture de son parti avec 98 % des voix. Une victoire qu’elle a mise en scène de main de maître. Décor, éclairage, placement des invités : elle a tout supervisé. » « […] Peut-on sortir indemne d’une crise de couple de l’ampleur de celle qu’ils ont traversée ? L’amour est-il intact ? […] Sarko, qui en a terminé avec les poignées de main, se dirige vers la voiture, ne la voit pas et jette, tout bas : “Où est ma femme ?” » « Avant, conclut le rapporteur de la scène, il aurait dit : “Où est Cécilia ?” » ; « Nicolas & Cécilia Sarkozy. Leur pacte intime. Cinq clés pour comprendre leur couple », Gala no 713, p. 26-30.
28 Dakhlia, J., op. cit.
29 Debord, G., La société du spectacle, Paris, Gallimard, Folio, 1996 [1967].
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