Informer n’est pas communiquer. Une théorie actuelle de la communication
p. 151-154
Note de l’auteur
Extraits de Informer n’est pas communiquer, CNRS Editions, Paris, 2009, p. 23-26.
Texte intégral
1Hier, communiquer c’était transmettre, car les rapports humains étaient le plus souvent hiérarchiques. Aujourd’hui, c’est la plupart du temps négocier car les individus et les groupes se trouvent d’avantage en situation d’égalité. Le concept de négociation appartient d’ailleurs à la culture démocratique. Pas de négociation dans une société autoritaire ou totalitaire. Si l’on regarde bien la réalité, chacun passe son temps aujourd’hui à négocier, dans le couple, la famille, l’école, l’entreprise, la société, l’Europe, le monde... Beaucoup moins de choses s’imposent, beaucoup plus se négocient. Et plus les individus sont formés, plus ils critiquent et négocient.
2Je peux ici résumer les cinq étapes du schéma qui expliquent la théorie de la communication que je défends, et qui concerne autant la communication humaine que celle médiatisée sur les techniques.
3Premièrement. La communication est inhérente à la condition humaine. Pas de vie personnelle et collective sans volonté de parler, communiquer, échanger à l’échelle individuelle et collective. Vivre, c’est communiquer.
4Deuxièmement. Les êtres humains souhaitent communiquer pour trois raisons. Partager. Convaincre. Séduire. Et très souvent pour les trois simultanément. Même si cela n’est pas toujours revendiqué.
5Troisièmement. La communication butte sur l’incommunication. Le récepteur n’est pas en ligne ou pas d’accord.
6Quatrièmement. Il s’ouvre une phase de négociation où les protagonistes, plus ou moins librement et égalitairement, négocient pour trouver un point d’accord.
7Cinquièmement. Le résultat, quand il est positif, s’appelle la cohabitation, avec ses forces et ses faiblesses. La négociation et la cohabitation comme procédure pour éviter l’incommunication et ses conséquences, souvent belliqueuses.
8Cette théorie de la communication, apparemment modeste, repose sur l’hypothèse qu’aucun individu, aucune société ne peut échapper à la communication. Avec cinq conséquences. L’horizon de la communication est le plus souvent l’incommunication, visible notamment dans la discontinuité entre information et communication ; l’impossibilité de réduire la communication à la performance technique ; l’obligation de la négociation entre partenaires, et l’horizon de la cohabitation. Cette incommunication structurelle nécessite évidemment l’égalité des protagonistes, sinon il n’y a pas négociation, ce qui fait de la communication contemporaine une réalité indissociable de la culture démocratique et un processus beaucoup plus large que la simple expression. Pas de communication donc sans un minimum de temps, de respect et de confiance mutuelle, faisant de la tolérance une des conditions structurelles de tout processus de communication. Enfin toute théorie de la communication porte en elle une vision implicite de la société, des rapports sociaux, selon que l’on accepte un modèle plus ou moins ouvert, égalitaire, ou hiérarchique. La conception défendue ici est humaniste, avant d’être technique faisant de l’échange l’horizon de toute l’expérience humaine et sociale. C’est aussi une conception politique, au sens où elle privilégie la négociation en vue de l’établissement d’un compromis.
9Il y a finalement deux conceptions de la communication qui s’opposent. La première, largement dominante, insiste sur la performance des techniques comme progrès de la communication dans une sorte de continuum, avec son prolongement en faveur des industries qui sont aujourd’hui le secteur le plus en expansion dans le monde. La seconde, minoritaire, à laquelle j’adhère, qui part de la dimension anthropologique de la communication et privilégie les processus politiques à mettre en œuvre pour éviter que l’horizon de l’incommunication, entre les individus et les peuples, ne devienne source de conflit. Deux conceptions qui n’ont pas le même rapport à l’homme et à la technique.
10C’est ce modèle théorique qui structure les recherches empiriques* que je mène depuis de nombreuses années dans les cinq domaines suivants : les rapports entre sciences et technique ; les médias de masse et Internet ; l’espace public et la communication politique ; la mondialisation*, la diversité culturelle et l’Europe ; les rapports entre les sciences, les théories de la connaissance et la communication.
Auteur
Fondateur et directeur de la revue Hermès (depuis 1988, 57 numéros), fondateur et directeur de l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). Dans ses nombreux ouvrages, il montre le paradoxe qui fait que les outils de communication sont souvent un révélateur de l’incommunication et il insiste sur le fait que la communication concerne tous les domaines et pas seulement les sciences humaines et sociales.
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