1L’objectif de cet Essentiel est d’informer le lecteur des origines souvent méconnues, voire oubliées des sciences de la communication. Ces sciences recherchent, observent, classent et interprètent les phénomènes d’échange, de partage, de diffusion d’informations et de savoirs, de controverses qui contribuent au vivre ensemble. Les phénomènes qu’elles observent sont notamment : des instruments et leurs usages, des pratiques fonctionnelles et symboliques, des langages, des dispositifs, des circulations d’information et de savoirs, des polémiques, des stratégies et des politiques. L’enjeu ultime en est la cohabitation (Wolton, 2009).

Quelques rappels historiques

2L’histoire de ces sciences est à construire. Dès la très haute Antiquité, les hommes ont réfléchi sur les manières de communiquer et sur leurs effets. Leurs enjeux sont permanents : pouvoir et consentement, territoire, connaissance des sociétés et de la Nature, rapports sociaux notamment. La nature de ces enjeux explique les proximités thématiques de cette discipline avec l’anthropologie, la sociologie, la science politique ainsi qu’avec les techniques d’instrumentation et de distribution telles que les médias, l’informatique et l’automatique documentaire. Restent à établir les filiations de pensée, la généalogie des théories, les paradigmes* successifs dans lesquels elles s’inscrivent.

3Le présent ouvrage veut y contribuer. Il s’agit d’un travail archéologique, au sens où l’entendait Michel Foucauld, d’une histoire discontinue de la pensée qui consiste à rassembler des informations éparses en fonction d’un champ de préoccupation sous tendu par une ou plusieurs théories de référence. Le champ de préoccupation est celui défini plus haut, dont la finalité est le vivre ensemble, pour identifier des savoirs théoriques congruents quelque soit leur discipline de rattachement, sans faire pour autant de la rétro histoire qui présuppose des filiations qu’on prend à rebours.

4Cet Essentiel se réfère au numéro de la revue Hermès consacré à ce thème (n^o 48, 2007) qu’Anne-Marie Laulan et moi-même avons dirigé. Voici la périodisation en trois phases que nous avions adoptée.

• La première concerne les années trente, avec des considérations sur la communication que suscitait principalement l’essor de la radiophonie.

• La seconde débute avec les années soixante. Elle porte la marque de la Seconde Guerre mondiale, de l’irruption de la télévision et des revendications du mouvement social* qui fait appel aux médias (Belgique, France, Canada, Amérique Latine). Elle voit émerger une pensée critique sur les mass media, tant aux États-Unis qu’en Europe.

• La troisième période commence au tournant des années soixante-dix. L’investissement des intellectuels s’intensifie dans le débat sur les médias de même que les pratiques militantes de radio et de vidéo. En 1968, des phénomènes de communication explosent dans plusieurs pays et des auteurs comme H.M. Enzensberger, H. Marcuse, G. Deleuze, J. Baudrillard, travaillent la dimension critique des relations entre pouvoir et médias. Au milieu de la décennie – 1975 – la question de la communication se fond dans une critique plus générale du technicisme. Des auteurs comme M. Heidegger (La question de la Technique, 1954), L. Mumford (Technique et civilisation, 1946), J. Ellul (Le système technicien, 1977), sont pris en considération et invoqués dans les controverses sur les rapports entre Technique, Communication et Pouvoir. La notion de progrès est mise en question par un ouvrage collectif qui fit date, Les dégâts du progrès, paru en 1977 (CFDT). Ce livre montre sur études de cas que le progrès technique ouvre aussi la voie à la régression sociale. C’est au cours de cette décennie qu’apparaît la notion de machine à communiquer (P. Schaeffer, 1970 ; A. Moles, 19701 ; R. Escarpit, 1975).

5Désormais, dans l’opinion publique comme chez beaucoup d’auteurs, une liaison indéfectible s’est construite entre la notion de communication et la technologie, alors que cette dernière n’en est jamais que l’instrument. La venue d’Internet renforcera la confusion des genres.

6Dans la décennie suivante, 1980-1990, on assiste à une rupture épistémologique* d’importance. Ce n’est plus le dispositif qui se situe au cœur de la réflexion mais celui ou celle qui s’en sert, l’usager. L’école américaine dite des gratifications et des usages des années 50 (E. Katz, D. Foulkes) avait déjà mis les utilisateurs au premier plan, mais de façon globale. Ici, les comportements et pratiques individuelles sont pris en considération. Le théoricien reconnaît à l’usager, qui ne l’a pas attendu pour cela, le droit de braconner, de butiner des informations où il veut, quand il veut (M. de Certeau), sa conduite suit une logique dont il établit les paramètres (D. Hymes, J. Lawler, J. Perriault). La période actuelle échappe au cadre analytique de cet ouvrage. C’est heureux car il est possible que dans le maelstrom des réseaux sociaux, dans le streaming et le buzz en continu sur Internet, surgissent actuellement de nouvelles théorisations de la communication. L’avenir le dira peut-être.

7Ce petit traité de l’oubli est loin d’être exhaustif. Il n’échappe certainement pas à l’absence de souvenir. Cette introduction commence par réparer un oubli que le numéro d’Hermès sur Les racines oubliées des sciences de la communication n’avait pas relevé. Il concerne les travaux qui de l’Antiquité jusqu’au Siècle des Lumières ont réfléchi à ce qui nous importe ici. Elle se poursuit par le rappel des théoriciens et des mouvements sociaux recensés dans le numéro d’Hermès. Espérons que ce qui suit suggérera au lecteur des parentés et des voisinages de pensée jusqu’à présent non relevés et fera émerger des hypothèses sur les facteurs qui ont engendré l’oubli.

Un oubli total : l’image projetée

8Les grands thèmes de réflexion sur la communication du xvii^e et du xviii^e siècles héritent de l’Antiquité, d’Aristote, de Platon et d’auteurs tout au long de l’histoire de la pensée occidentale. Nombreux sont ceux qui se sont intéressés à la rhétorique et à l’apologétique*, de Cicéron et Tertullien à Bossuet, en passant par Dumarsais et Fontanier, tous deux sortis de l’oubli par Roland Barthes et Gérard Genette à la fin des années soixante. La rhétorique est à leurs yeux un moyen de communication codifiée sous formes de tropes* et de figures du discours, susceptible de faire sens chez l’interlocuteur à la fois par le contenu et par la tournure de l’expression.

9Mais l’intérêt de cette période pour la communication ne se limite pas à la parole et à l’image fixe. Il concerne aussi l’image projetée. Il a été éveillé en ce qui me concerne par la découverte d’un gisement important de plaques pour projections pédagogiques par lanterne magique à la fin du xix^e siècle. Cela m’a conduit à publier en 1975 un Premier catalogue de procédés audiovisuels oubliés. J’ai ainsi réalisé que la communication, que l’on dirait aujourd’hui audiovisuelle, était une préoccupation très ancienne puisque on trouve à son sujet de nombreux textes du xvii^e siècle, rédigés en latin2. Les quatre exemples ci-dessous sont des constructions intellectuelles nourries de pratiques qui dénotent chez leurs auteurs la volonté de convaincre, de séduire et de modifier les représentations de leurs interlocuteurs. Les termes génériques qui les désignent ont été construits bien longtemps après. Ils signalent un événement épistémologique important quant à la différence entre la perception diachronique* et la perception synchronique* d’un champ scientifique.

L’archéocinéma

10Ce terme désigne les formes et dispositifs de projection lumineuse antérieurs au cinéma. Des auteurs aussi différents et éloignés que Platon, Aristote, Ibn Al Haitam, Kircher, Faraday, Huygens, Descartes, Zahn, Robertson, Plateau y ont réfléchi. Cette énumération constitue peut être une lignée, même si fortement discontinue, car la plupart de ces auteurs se réfèrent explicitement à des travaux antérieurs. Cette lignée s’est d’abord préoccupée de l’ombre projetée, dite ombre chinoise, puis de la projection des images. Pierre Maxime Schuhl a montré en son temps que le mythe de la caverne (Platon) s’inspirait des projections d’ombre dans la culture dravidienne*.

11Pline l’Ancien fixe l’origine mythique de cette lignée en relatant l’histoire de Dibutades, un potier de la ville de Sicyone. Le potier, raconte Pline, sa fille et l’amant de celle-ci sont assis autour de l’âtre, la veille du départ de ce dernier pour une longue absence. La fille du potier est triste, se lève, prend un charbon de bois dans l’âtre et trace sur le mur le contour de l’ombre que projette son amant. Le lendemain, le potier remplira d’argile ce dessin et fera ainsi le premier bas relief. Ce mythe rend – déjà – compte de la suppression de l’absence par le virtuel, thème que l’on retrouvera tout au long de notre histoire : le téléphote à la fin du xix^e siècle, conjonction de téléphone et de transmission de clichés par télégraphe, Internet aujourd’hui. Au xvii^e siècle, le jésuite Athanasius Kircher écrit sur l’emploi catéchétique* des projections lumineuses, à une époque où se superposent montrer et démontrer. Dans l’Ars Magna Lucis et Umbrae, il décrit soigneusement leur instrumentation pour la démonstration : « je dis que grâce à celles-ci (les plaques lumineuses), tu peux démontrer ce que tu veux (quidquid volueris demonstrare potest) ». Son projet est de mettre la lanterne au service de la propagation de la Foi. À cette fin, écrit-il, il faut surprendre les spectateurs, provoquer leur stupeur « summo stupore Auditoribus »3.

Les dispositifs de communication

12Il y en eut de tout temps. Vient à l’esprit la prison de Syracuse organisée de telle façon que Denys le Magnifique pouvait y entendre par réverbération les conspirations des prisonniers. Au début du Moyen Âge, la réflexion sur la communication est principalement religieuse et se préoccupe de la relation avec Dieu. Un philosophe et théologien irlandais du ix^e siècle, Jean Scot Erigène, écrit : « Toute créature visible ou invisible est une lumière portée à l’existence par le Père des Lumières » et il enchaîne : « Ainsi c’est tout l’univers matériel qui devient une grande lumière, composée d’une infinité de petites lumières, qui sont comme autant de lanternes (lucernis) ».

13De ces considérations où se rejoignent lumière matérielle (lumen) et lumière spirituelle (lux) émergera une problématique de la médiation par la lumière (claritas). Celle-ci conduisit l’Abbé Suger (1081-1151) à organiser des dispositifs qui guident l’esprit humain vers sa cause transcendante qui n’est autre que Dieu. Un de ces dispositifs fut la basilique Saint Denis près de Paris, conçue par Suger qui s’en explique. Son projet était d’exposer les fidèles à la claritas, d’éblouir leurs sens par la luminosité du vitrail (lux), par le feu des cierges (ignis), par le scintillement des ors sur lesquels ils se reflètent. Erwin Panofsky (1967) le définira comme le premier organisateur de spectacle total (show).

« L’audiovisuel jésuite »

14Pour reprendre la métaphore de Marc Fumaroli (1998), il s’agit d’une construction de messages oraux, les exempla, susceptibles, à partir de procédés rhétoriques, de susciter chez l’auditeur des images mentales. Ignace de Loyola préconise aux prédicateurs qui vont courir le monde cette méthode d’imagerie mentale. Les exempla décrivent de grands moments de l’Histoire Sainte, de sorte qu’à leur audition, les fidèles visualisent dans leur for intérieur les tableaux qui les représentent. Bernard de Clairvaux n’avertissait-il pas « Si tu veux voir, écoute » ? Cette méthode doit être robuste et reproductible, tout comme les icônes, auxquelles le fondateur de la Compagnie portait un intérêt appuyé.

Les loci ou lieux mémoire

15Il ne faut pas les confondre avec les lieux de mémoire, étudiés par Pierre Nora. Selon Cicéron, on doit à Simonide de Céos la technique des lieux mémoires. C’est un procédé très puissant qui fonctionne sur le principe des mémoires associatives. Le substrat mémoriel réside dans l’enregistrement par l’individu de scènes visuelles fixes, notamment les pièces d’une maison et leurs agencements intérieurs. Il faut être capable de passer en revue mentalement dans un ordre fixe mobilier, portes, fenêtres, etc. On associe alors à chacun de ces éléments un fragment de texte, une strophe, un argument d’une plaidoirie. Il suffit alors – mais cela suppose un entrainement sérieux et quotidien – de faire défiler mentalement chacun de ces éléments pour retrouver le fragment de texte qui lui est associé. Un orateur entrainé disposait ainsi de nombreux schémas mémoriels de référence : dans le De Oratore, Cicéron déclare en disposer de trois cents. Selon Frances Yates, ce procédé a décliné en même temps que l’esprit cartésien gagnait du terrain, car ce dernier dispose de « logiciels », le syllogisme* par exemple, qui produit des résultats à partir de données, tandis que la méthode des lieux mémoire est essentiellement tabulaire (Yates, 1987).

16Sous-jacent à ces dispositifs, à ces représentations par technologies interposées, qu’elles procèdent du discours, de l’image projetée, du dispositif agencé, semble bien se trouver un déterminisme de l’illusion. J’en avais formé l’hypothèse à la lecture d’un article de Umberto Eco4, qui notait que l’Homme recherche, aux travers des simulations qu’il construit, à duper de mieux en mieux ses sens. Cela semble plausible. Le cinéma en relief est plus saisissant que la lanterne magique – les utilisateurs n’ont plus été étonnés (cf. le « summo stupore » de Kircher) –, la « société Facebook » est aujourd’hui plus séduisante pour certains que les sociétés traditionnelles.

Les oublis traités dans cet Essentiel

17Oubli est entendu ici au sens de manque de souvenir. L’oubli connaît des variations. À la limite, il est total, on n’en sortira que par la découverte éventuelle de vestiges matériels ou mémoriels, dans les traditions populaires, par exemple. Il peut être partiel et sélectif. On n’aura conservé d’un auteur qu’une des facettes de son œuvre. L’oubli peut être intermittent, sur de plus ou moins longues périodes. Les textes de cet Essentiel concernent des auteurs, des mouvements sociaux, des notions, des pratiques, des dispositifs que les uns et les autres ont proposés, frappés ensuite d’oubli.

Les Auteurs oubliés

• Abraham Moles, qui fit un travail interdisciplinaire pionnier, alliant théorie de l’information, psychologie et esthétique, (texte d’A.-M. Laulan).

• Pierre Schaeffer, dont l’œuvre comprend une partie musicale (théorie de l’interprétation, musique concrète), un ensemble d’essais sur la communication, des romans et des productions expérimentales de média (J. Tournet-Lammer). Son travail relève de la pluridisciplinarité, mais, comme pour le cas d’Abraham Moles, se pose la question de la communauté qui recueille une œuvre inter-ou pluridisciplinaire et qui en entretient le souvenir.

• Robert Escarpit, dont l’image de brillant éditorialiste du journal Le Monde s’est brouillée avec celle du théoricien de la communication (A.-M. Laulan) ;

• Jacques Ellul, qui émit des critiques virulentes dans les années soixante-dix sur l’excès de technologie dans nos civilisations contemporaines (A. Vitalis). Il fut jugé maximaliste à l’époque – comme Schaeffer d’ailleurs – par la communauté scientifique, prise à rebrousse-poil.

• Henri Desroches qui créa le Collège Coopératif et qui expérimenta sur le terrain les notions de travail collaboratif (T. Paquot). Cette notion, remise à l’ordre du jour par Internet, fait aussi ressurgir celle de réseau spécifique de communication sociale, que Schaeffer proposa et expérimenta dans les années soixante-dix avec la radio Antelim, créée par Yves Le Gall et Pierre Schaeffer ;

• Paul Henry Chombart de Lauwe, qui travailla sur les moyens de faire groupe, de fédérer, de mutualiser ce qui ressort des individus et de leurs relations (T. Paquot) ;

• Michel Tardy à qui l’on doit l’introduction de la sémiologie de l’image dans l’espace scolaire en vue d’une initiation à la lecture critique des mass media et Henri Dieuzeide qui favorisa cette dimension par son action à l’Éducation Nationale puis à l’Unesco (G. Jacquinot Delaunay) ;

• Edgar Morin, dont l’œuvre n’est certes pas oubliée, encore que certaines composantes le soient, notamment son effort de rapprochement de la sociologie et de la biologie (B. Dagenais). Il fera partie du groupe des 10 avec Henri Laborit. Avec Georges Friedman, un autre grand chercheur injustement oublié, il fonda le Centre d’Études des Communications de Masse (CECMAS) à la fin des années soixante, bientôt rejoint par Roland Barthes, tandis qu’à la même époque, Pierre Schaeffer créait le Service de la Recherche de l’ORTF.

Les mouvements sociaux

18La communication a toujours été une préoccupation essentielle des mouvements sociaux, celle-ci servant à la cohésion sociale, à la revendication, à la lutte, toutes fonctions qui entrent dans la problématique du vivre ensemble. Les plus oubliés de tous ces mouvements sont sans doute ceux qui ont poussé à l’utilisation des projections lumineuses pour l’éducation des adultes à la fin du xix^e siècle. Après avoir servi à la catéchèse au xvii^e siècle, aux séances organisées par les colporteurs dans les villages au siècle suivant, elles furent utilisées pour les adultes à partir des années 1875. Des vues sur verre, soigneusement enveloppées, circulaient par la poste et donnaient lieu à des séances de projection le soir dans les écoles et les salles communales. Les mouvements qui soutinrent fortement cette entreprise sont la Ligue de l’Enseignement, fondée en 1875 par J. Macé, des sociétés philanthropiques comme la Société Havraise des Conférences par l’Aspect ou encore la Bonne Presse. Ce n’est que tardivement que l’État reprit la main, en nommant en 1896 chef du service des projections lumineuses du Musée Pédagogique, rue d’Ulm à Paris, le président de la Société Havraise. Cent ans plus tard, au cours des années 1970, des mouvements institués à l’initiative d’enseignants se consacrèrent à la formation des élèves à une lecture critique des mass media : l’Initiation à la communication audiovisuelle (ICAV), fondée par René Laborderie et Jeune Téléspectateur Actif (JTA) avec le soutien du Fonds d’Intervention Culturelle, disparu depuis5.

19A.-M. Laulan, dans sa contribution, rappelle que le mouvement social a maintenu vivace l’héritage des Lumières jusqu’à une époque récente. La Ligue de l’enseignement, le Sillon, plus récemment les CEMEA, le Mouvement Freinet, pour ne citer qu’eux ont entretenu la réflexion sur la communication. A.-M. Laulan, à qui l’on doit d’avoir signalé la résistance aux systèmes d’information, souligne infra l’investissement du mouvement social dans les débats sur sciences, technique et société dans les décennies 70 et 80. Hélas, le mouvement social s’investit dans des innovations dont on perd la mémoire.

20J.-P. Lafrance rappelle combien les associations ont milité par vidéo interposée dans les années soixante-dix. Il souligne le rôle éminent qu’ont joué des personnalités aussi différentes que Saul Alinsky et Paulo Freire dans les stratégies de communication pour la revendication et pour le développement. En complément, S. Proulx nous éclaire sur la stratégie qui a empêché de problématiser le phénomène des mass media comme enjeu de contrôle social aux mains des élites et de s’en tenir à la question des effets. Le christianisme sous l’impulsion du Vatican s’est fait un « zélateur » de la communication sociale, terme qu’on lui doit6. On en trouve la manifestation en Amérique du Sud7. Il faudrait citer ici les radios de lutte, Radio Londres en tête, la radio bolivienne pilotée par les mineurs, Lorraine Cœur d’Acier, en France, pour défendre la sidérurgie, Antelim pour la communication dans la marine de commerce8.

21Cette longue énumération montre que le chantier d’investigation est vaste et que les travaux en sont à leur début. Un conservatoire de la mémoire sociale des théories et des pratiques de communication reste à imaginer. On doit aux mouvements sociaux d’avoir introduit les médias dans la construction de la démocratie, depuis la lanterne magique à la fin du xix^e siècle jusqu’à la vidéo portable dans les années 1970. C’est un apport d’envergure et la société, tellement concernée par Internet et par le Web, ne devrait pas oublier qu’au delà des technologies, il y a des invariants sociétaux dont il convient de construire l’histoire.