1Si la diffusion du cinéma en salles a été quantitativement menacée par l’introduction d’autres supports, les évolutions de ces derniers ont également modifie le rapport aux films, puis aux images. La mondialisation des échanges, le raccourcissement de l’espace-temps dans lequel évoluent les humains, l’abandon généralise de l’analogique au profit du numérique et de l’écrit en faveur de l’écran, modèlent depuis une décennie d’autres rapports aux êtres et aux biens.

2Cette mutation radicale des comportements favorise l’accroissement de la concurrence des autres secteurs des loisirs et des images, tout en pesant sur les positionnements internes à l’exploitation. Mais si l’exploitant est un prestataire de service situe dans un univers éminemment concurrentiel, comment peut-il - aujourd’hui et demain - faire valoir la qualité et la spécificité de sa prestation ? Comment - ou plutôt, quelle peut être la nature de son offre, que doit recouvrir la qualité de sa prestation, et avec quels moyens pourra-t-il exercer son métier ?

3Alors que dans les années 1970 l’exploitation avait servi de pole de référence pour entrainer l’ensemble de la filière cinématographique, cette dernière l’a économiquement abandonnée dans la décennie suivante au profit d’un audiovisuel en pleine expansion et assoiffe de programmes. Dépossèdes de leur rôle d’amortissement financier des films, les exploitants traditionnels vont disparaitre. L’exploitation de films en salles a encore un rôle social, culturel et vaporisateur à jouer, qui sera minoritaire dans les loisirs ou la diffusion des images animées, en risquant de perdre peu à peu son aura mythique. Les salles survivantes ont alors relativement peu de stratégies disponibles pour continuer de présenter une offre attractive par rapport aux autres secteurs, notamment la consommation domestique d’images.

UN DÉPLACEMENT DU RÔLE DE L’EXPLOITATION

4La problématique qui se pose aujourd’hui est radicalement différente pour exploitation qui se trouve au bout d’une filière cinématographique passée sous totale dépendance de l’audiovisuel. Ayant moins besoin d’elle, l’attention que lui portent les pouvoirs publics comme ses anciens partenaires accentue encore ses difficultés.

Une in adaptation des films français

5Des les années 1950, la défense du niveau général de la recette a eu une incidence positive sur le reste de la filière de l’industrie cinématographique1, et il y a eu alliance objective par convergence d’intérêts entre toutes les branches, exploitation, distribution et surtout production. Le décrochage à partir de 1987, lie à l’accélération brutale de la baisse de fréquentation, illustre par ailleurs la rupture des équilibres économiques au sein de la filière (fig. 58).

Fig. 58 - fréquentation et recette : 1957-1994

6Même non réfléchie stratégiquement sur la période 1957-1969 et la suivante (1970-1982), la hausse des prix a assure la sauvegarde du niveau de la recette (en francs constants), puis sa légère augmentation. Ce qui non seulement a permis au reste de la filière de ne pas disparaitre (maintien du niveau quantitatif de la production française de films...) ou de devenir un cinéma d’État, mais également, en valorisant la sortie en salles, d’amortir la chute de la fréquentation. La liberté de fixer les prix qui, longtemps revendiquée par la profession, a été accordée en 1987 d’art et essai en bénéficiait déjà depuis 1968) est cependant intervenue au plus fort du rétrécissement du marche. Elle n’a pas eu d’effet notable sur ses montants, l’élasticité-prix de la demande l’interdisant à ce moment-la.

7La nouvelle économie du film qui va se mettre en place au milieu des années 1980 ne sera pas sans conséquences, tant sur le produit présente, que sur le poids de l’exploitation dans la conduite de la politique de cette industrie qui n’est plus cinématographique, mais audiovisuelle.

8Obligées de s’alimenter en programmes - le « film » demeurant produit d’appel -, depuis 1986, les chaînes ont massivement investi dans la production cinématographique. En 1993, Canal + a coproduit 80 des 101 films français, et les autres chaînes 6l2. Ce changement du lieu d’amortissement économique des films a implique une totale déconnexion entre les montants investis par les producteurs dans les films et les montants restitues par les salles. Jusqu’en 1986, la part distributeur-producteur (ce dernier n’en recevant globalement que la moitie) des recettes-salles devait structurellement être supérieure aux investissements consentis pour la production des films, mais l’arrivée des nouveaux partenaires bouleverse cette régie et le cout des films français s’envole. Tandis que cette part des recettes-salles demeure à peu près constante depuis cette date (environ 1,5 milliard de francs par an), les investissements de la production dans les films français se déconnectent totalement du marché des salles, représentant plus de 3,6 milliards en 1991 comme en 1992.

9Les nouvelles sources de financement des films vont désormais être externes à la filière cinématographique ; alors qu’en 1986 les chaînes de télévision finançaient en moyenne 11,7 % du cout des films, leur investissement en francs a été multiplie par six en sept ans, leur part triplant pour en représenter 30,8 % en 19933 (900 millions de francs). En sus des préachats, les chaines achètent les droits télé des films, eux aussi en constante augmentation et supérieurs à la part producteur des recettes-salles : 1,44 milliard de francs en 1993.

10II s’ensuit que la faible part de l’exploitation en salles dans l’amortissement du cout d’un film - celui-ci pouvant être totalement préfinance par les achats télé - a conduit de nombreux producteurs et réalisateurs à une conception à courte vue, le passage salle n’étant que le point de départ du compte à rebours avant les réelles rentrées financières : vidéo, chaînes à péage, chaines en clair. Ce que reconnaissent certains, comme M. Scorsese : « Pour mes propres films, je prépare l’image et le son en fonction de la salle et de la vidéo, mais en favorisant de plus en plus cette dernière, car le type de films que je fais s’avère avoir l’essentiel de son audience grâce à la vidéo et non aux salles4 ».

11Ces nouvelles sources financières émettent diverses contraintes sur les producteurs qui ont bien du mai à demeurer de véritables entrepreneurs au lieu d’être de « simples prestataires de services pour la télévision5 ». Sur les réalisateurs, également, dont les plus jeunes d’entre eux, s’ils s’accrochent encore à la notion de cinéma, savent très bien que le marché en salles ne leur laisse plus guère de place6.

12Alors que les films français coutent de plus en plus cher, leur financement par le petit écran et l’absence de sanction économique sur le marché des salles ont forcement des répercussions sur le contenu des œuvres. L’attente du public n’étant pas la même en salle qu’a son domicile, l’adaptation des œuvres au format télé (plans rapproches, œuvres intimistes, simplification des dialogues...) a pu le décevoir lorsqu’elles lui étaient présentées en salles. Et il s’en est éloigne, par insatisfaction devant l’indifférenciation de la majorité de la production française.

Fig. 59 - Évolution de la fréquentation selon la nationalité des films

13Depuis le milieu des années 1950, l’évolution globale de la fréquentation des salles françaises observe une très forte corrélation avec celle des films français. La chute de la fréquentation de la dernière décennie n’est que la baisse des entrées des films français (- 60 millions), baisse qui n’a profite à aucune autre cinématographique. Il s’agit d’une perte nette, et donc d’une déception par rapport à une certaine offre, non un déplacement interne de la demande (fig. 59).

14L’appétence pour les films américains se maintient avec une tendance à la hausse depuis vingt ans, en se nourrissant de l’abandon de toutes les autres nationalités qui, voila deux décennies, attiraient davantage de spectateurs que ce « cinéma-monde  ». Mais depuis quarante ans, il s’agit bien d’un effritement régulier de ces cinématographies, leur situation depuis 1987 étant devenue alarmante, renforcée par la disparition d’une production conséquente - quantitativement et qualitativement - de ces nations.

15Les œuvres françaises, si elles sont appréciées, se distinguent trop peu du téléfilm dans l’esprit du consommateur d’images, particulièrement s’il est jeune et issu d’une classe sociale moins favorisée7. À l’encontre des films américains, le public - surtout jeune et masculin - leur reproche de manquer d’action, de rythme, de suspense, et de se dérouler dans des décors par trop confines. Défauts qui marquent trop leur adaptation au media de taille physique plus réduite. Les plus gros succès français sont des comédies, et il est certain que pour différents motifs l’amont de la filière cinématographique a oublie, ou méprise, ce cinéma qui était avant tout populaire. Mais il ne semble guère possible de faire durablement des films « en oubliant le public »8.

16Le défi n’est pas si simple pour le cinéma français, qui continue à réaliser d’excellents scores lors de ses passages à la télévision. En dehors des problèmes économiques et esthétiques lies à l’offre, il n’est pas certain que l’augmentation de la consommation de films à domicile n’ait pas également modifie la demande « type ». Le cinéma français sur ce support correspond bien à une attente et un plaisir familiaux ; repérable, familier, connu, reconnu (« c’est un bon film du dimanche soir »), il semble s’y être rétréci, se fabriquant une ontologie qui devient alors (majoritairement) déplacée lorsqu’elle est vue en salles. Inadaptée !

17Et pourtant, comme le prouve l’exemple américain, il est possible à la filière de modifier son offre afin de satisfaire le public. Cela a eu pour effet de relever la fréquentation en salles de leurs films, non seulement aux États-Unis, mais partout dans le monde, et particulièrement en France. La réflexion approfondie sur la nature d’un film à produire a permis aux américains de redresser la situation et d’augmenter en moyenne de 30 % leur fréquentation depuis 1971 sur leur territoire : cette dernière a été doublée en France sur la même période ! Et depuis quarante ans, avec un à deux ans de décalage (le temps de la venue des films en Europe), révolution de la fréquentation aux États-Unis coïncidé avec celle des films américains en France (fig. 60).

Fig. 60 - Fréquentation comparée : États-Unis/films américains en France: 1957-1994

18La trop grande ignorance des attentes du public, volontaire ou non, justifiée ou pas, entache les films « d’auteur » d’un a priori négatif. La déception répétée du spectateur peut créer un filtre dans sa perception et son appréhension des films ultérieurs qui appartiendront à cette typologie, quelle que soit leur qualité intrinsèque. L’insatisfaction résultant de ses sorties antérieures influence sa prise de décision : la qualité de (l’expérience acquise précédemment fait office de frein (ou d’accélérateur dans le cas contraire) devant un choix du même type à opérer.

19Pour la survie économique des films en salles, le débat porte moins sur d’éventuelles dichotomies concernant les œuvres, au demeurant aussi anciennes que réductrices : artisanat/industrie, qualité/vulgarité, auteur/commerçant, art et essai/commercial, français/américain... bons/mauvais. Si un film doit être montre (problème d’accès des films aux salles), il doit aussi être vu (problème de la venue des spectateurs aux salles). La quantité de la demande ne préjuge en rien de la qualité de l’offre, et la répétition d’un niveau dérisoire des entrées ne signifie certes rien sur la qualité artistique d’un type de films. (En France, les défenseurs de cette thèse oublient souvent que l’inverse est également vrai : le succès d’un titre n’équivaut pas à sa médiocrité.) Mais elle pose problème quant à son adaptation au support de diffusion choisi, et sur la légitimité sociale, non point de produire ou de réaliser de telles œuvres, mais de leur octroyer des lieux désormais réserves de facto à une élite privilégiée. Que celle-ci défende son plaisir et ses intérêts en parant sa pratique culturelle des vertus de l’accès de la culture à tous n’y change rien. Au fil de la dernière décennie, qu’elle arrive ou non à en faire son deuil, la cinéphilie a dramatiquement vu sa pratique se révéler largement minoritaire, et le formidable rôle social autrefois assume par le cinéma désormais rempli par la télévision. D’ou une régression d’une fraction du milieu vers une célébration du cinéma « à l’ancienne », une crispation sur une vision nostalgique du cinéma, une nécrocinéphilie9...

20Les changements des modes de perception des spectateurs, qui consomment des images ayant un autre langage que celui du cinéma10, ont modifie leur demande. Que la majorité des producteurs et réalisateurs français n’en n’ait pas tenu compte pose évidemment un problème économique pour l’exploitation dont les films constituaient l’unique ressource.

L’obsolescence des aides de l’État à l’exploitation

21Pour aider l’exploitation - comme le reste de la filière - à s’adapter ou survivre, l’État a mis en place une série de mesures réglementaires et financières. Ces dernières transitent par le compte de soutien financier de l’État qui se subdivise en deux parties : l’une concerne l’industrie cinématographique, l’autre l’industrie audiovisuelle. Le compte de soutien a été assimile au seul sous-compte cinéma jusqu’en 1985 et la TSA en a constitue la principale ressource (environ 75 %) jusqu’a cette date. La loi de finance de 1986 a institue le principe d’une taxe sur le chiffre d’affaires des sociétés de programmes de télévision, qui alimente aujourd’hui à plus de 90 % le sous-compte concernant l’audiovisuel, et à 45 % le soutien financier dans son ensemble.

22À l’intérieur du sous-compte cinéma, la part de la TSA - c’est-à-dire proprement cinématographique et engendrée par l’exploitation des films en salles - fond de 10 % par an à partir de 1985, y devient minoritaire en 1989 pour se stabiliser ensuite à un peu moins de la moitie des recettes. Les autres ressources sont marginales, hormis la contribution du budget de l’État qui a varie entre le quart et le cinquième de ce compte, mais qui a disparu depuis 1988.

23De par la chute des entrées en salles et l’augmentation du CA des sociétés de programmes, l’écart ne peut que se creuser entre les deux principales sources de financement, provoquant des déséquilibres internes et posant des problèmes d’ordre économique et politique. Il s’agit d’un subventionnement de fait - et d’une mise sous dépendance - d’un secteur économique (le cinéma) qui fonctionnait jusque-là en circuit ferme. Il est peu probable qu’avec l’accroissement de leur nombre et l’exacerbation de la concurrence qu’elle entrante, les diffuseurs télévisuels acceptent durablement la ponction qui s’effectue sur leurs revenus à des fins qui ne correspondent plus au nouvel équilibre entre les deux medias11.

24Côté dépenses, si les grands équilibres du compte de soutien ont peu varie, le soutien à la production - qui a toujours été le compte plus important - tend à progresser sensiblement au détriment du soutien à l’exploitation : de 32 % du compte en 1984, la part de cette dernière a régulièrement diminue, pour passer à 28 % en 1993. Après avoir règne durant trente ans sur le compte de soutien, même s’il lui était rappelé qu’elle ne faisait que collecter la TSA, l’exploitation se trouve aujourd’hui financièrement et politiquement dépendante des chaines de télévision. Rien ne lui garantit plus que des arbitrages - qui ne feraient que traduire les nouveaux équilibres du marche - ne seront pas pris à l’avenir en sa défaveur, sans quelle puisse économiquement s’y opposer. Et ce d’autant moins que (‘utilisation des sommes la concernant peut facilement être critiquée.

25Les aides sélectives jouent un rôle très circonscrit et demeurent largement insuffisantes et inadaptées pour la partie (de plus en plus restreinte) du pare qui en aurait besoin. Certaines d’entre elles, devant l’accroissement non maîtrisé de leurs bénéficiaires (art et essai), illustrent bien « une survivance institutionnelle voire corporatiste qui ne mérite plus le traitement économique qui lui est octroyé »12. Il n’est même pas certain que leurs bénéficiaires seraient très nombreux à protester contre leur disparition13. Et qu’y pourraient-ils face à un front uni de leurs bailleurs de fonds ? Pour être réellement incitatrices, nous avons vu que leurs montants devraient être singulièrement relève, et leurs modalités révisées, ce qu’aucun acteur ne propose pour d’évidents motifs d’équilibre et de répartition budgétaire. La position des pouvoirs publics n’est pas non plus aisée, même si devant la constitution d’une exploitation sans exploitants mais à deux vitesses, les formes d’aides jusqu’alors élaborées ne sont plus pertinentes. Car la fraction rentable du secteur n’a nul besoin économique d’en profiter, et la mise sur pied pour l’autre fraction de l’exploitation de subventions adaptées n’est plus tout à fait de leur ressort. II s’agit davantage pour les collectivités territoriales d’une question de maintien d’une activité autant que de légitimation.

26L’aide automatique (le remboursement des travaux par le SFEIC) peut désormais être soumise aux mêmes critiques. Provoque par l’introduction des multiplexes, le changement d’échelle dans le niveau des investissements nécessaires au maintien d’un seuil concurrentiel est devenu tel qu’il rend caduque cette aide automatique. Non motivante pour les groupes qui s’appuient sur des capitaux externes à l’exploitation (Paribas, générale des eaux dans l’UGC, Chargeurs pour Pathé...), son délai d’amortissement ne peut même plus lui faire jouer un rôle de levier pour les « indépendants » qui voudraient rester en lice.

27Seule une reforme profonde du SFEIC (attribution par établissement et non plus par entreprise, relèvement des tranches, paliers progressifs de remboursement, augmentation substantielle de leur part au sein de la répartition de la TSA...) pourrait de nouveau lui faire jouer un rôle moteur pour cette profession. Or, elle se heurterait aux intérêts des autres branches de la filière (production notamment), des circuits nationaux et surtout du reste de l’audiovisuel, car elle se ferait forcement à leurs dépens. En l’absence d’une forte volonté politique, qu’aucun gouvernement ria pour le moment manifestée, le faible nombre d’entreprises qui pourraient réellement en bénéficier rend une telle hypothèse improbable.

28Le fonds de soutien a été utilise comme un levier par les pouvoirs publics, certes pour accélérer la modernisation du pare, mais surtout pour constituer des entreprises nationales capables d’assurer leur survie durable et de rivaliser avec l’étranger. Il a joue son rôle, mais il est devenu un outil obsolète. Quelles que soient les nouvelles priorités de l’État, il n’a plus guère de fonctionnalité et devrait être remplace par d’autres modalités. Plus simples, plus souples, plus ciblées et plus transparentes, ces aides collectives, pour atteindre leur but, ne doivent plus continuer à être attribuâtes comme elles le sont. Mais surtout, aussi bien sur le plan de l’animation que de l’équipement, la part de l’État devra être plus réglementaire et incitatrice que financière, le relais pouvant être pris par les autres niveaux publics existants, plus proches des besoins et des réaltines locales : communes, départements, régions.

29En dehors des aides directes, coûteuses, et aux effets difficilement mesurables, l’action de la réglementation est également limitée. La fiscalité a été réduite au minimum ; des possibilités d’exonération de la taxe professionnelle sont permises aux collectivités territoriales ; le taux de retour de la TSA est déjà en faveur de l’exploitation depuis l’explosion des comptes audiovisuels. La seule charge diminua blé pour aider les salles demeure le taux de location des films qui avoisine désormais son plafond : 50 % de la recette hors taxes. Si la production ne serait guère affectée par une diminution de ce taux, et si les huit à dix (mini) premières entreprises de la distribution se garantissaient déjà des revenus sur les autres marches du film (télé, vidéo...), le reste des distributeurs, dont beaucoup sont en situation précaire, souffrirait largement de cette baisse éventuelle. Un système de compensation pourrait cependant être mis en place afin que ces distributeurs puissent continuer à prendre des risques en alimentant le marché (adaptation des aides sélectives qui existent déjà) avec des œuvres novatrices ou à la rentabilité plus incertaine.

30En tenant compte du changement rapide et irrémédiable du lieu d’amortissement du film, l’exploitation pourrait être amenée à occuper une place qui serait moins économique que symbolique, en tant qu’espace de découverte et de valorisation du film. Quelle que soit la formule de partage de la recette retenue, une baisse significative de son montant permettrait à une fraction plus large d’exploitants de se maintenir en activité. Dans le cas contraire, seuls des regroupements importants de salles pourront maintenir leur activité avec une gestion privée ou un subventionnement réduit.

Une tendance oligopolistique

31Après leur véritable constitution sur un plan national à la fin des années 1960, leur développement dans les années 1970, et leur renforcement dans toute la filière cinématographique, voire audiovisuelle, les trois groupes intègres tiennent encore le devant de la scène dans les années 1990, par leur capacité à réaliser des investissements considérables en création ou rénovation de salles.

32Les stratégies suivies par les circuits nationaux mettent l’accent sur tel ou tel élément du métier selon le passe de l’entreprise et la volonté des dirigeants. Si ces trois entreprises sont comparables par leur taille sur le marché de l’exploitation, elles ne le sont cependant pas quant à leur implantation au sein du reste de la filière. La structure de leur actionnariat (autonomie familiale chez Gaumont, faible majorité d’actionnaires fondateurs chez l’UGC, totale propriété d’un groupe industriel pour Pathé) influe naturellement sur la stratégie suivie, ainsi que sur les moyens matériels pour la mettre en œuvre.

33Toutefois, la division par deux de la fréquentation durant la dernière décennie, la présence de deux frères à la tété de deux circuits nationaux, la lourdeur des investissements à réaliser ne pouvaient qu’appeler un contrôle encore plus étroit du marche. Leur position dominante les a conduit à adopter séparément, mais de concert, une stratégie par les couts et les volumes excluant un affrontement qui aboutirait à des surinvestissements qui pourraient se révéler mortels, surtout sur ce marche déclinant. Aussi, le partage effectif du territoire s’est accélère ces dernières années, s’opérant selon la taille du marché des zones géographiques.

34La fusion des entreprises étant impossible, et une entente de programmation illégale, ce partage s’est concrétise par des échanges d’actifs entre les groupements et par des fermetures ou des ventes isolées14. En mars 1992, l’UGC a racheté la totalité des salles appartenant à Jean-Pierre Lemoine15, rétablissant ainsi le déséquilibre que la cession d’actifs Pathé-Gaumont avait engendre à son détriment. En Janvier 1993, l’UGC racheté également les salles de Lyon des frères Lapouble, ce qui lui permet de réaliser plus de la moitie du marche lyonnais...

35Si leur histoire et leur passe récent sont également différents, leur poids dans l’exploitation demeure voisin, bien qu’avec une implantation et des modes de pénétration du marche singuliers.

36Nicolas Seydoux acquit 51 % du capital de Gaumont et associes en 1974, et opéra une diversification et une internationalisation tous azimuts. Devenu le premier groupe cinématographique en 1984 (1,2 milliard de francs), mais au prix d’un endettement déraisonnable (290 millions, 1984), le groupe doit rapidement réorienter sa stratégie et revendre ses recentres acquisitions (1984-1985), tout en continuant de produire et distribuer une quinzaine de films par an.

37Dans l’exploitation, son orientation fut beaucoup plus cohérente. Tout en se débarrassant d’une trentaine d’écrans pas, ou peu, rentables, il anticipa le retour aux salles prestigieuses. En 1986, il lance ses Gaumont-Rama, plus grande salle d’un complexe aux normes techniques rigoureuses. Fidèle à sa stratégie d’implantations en centre-ville, il a préfère jusqu’a présent investir dans la rénovation de son pare, ainsi que quelques nouvelles constructions de salles haut de gamme16. En choisissant d’implanter son premier multiplexe à l’écart de toute zone de chalandise importante (12 écrans à Coquelles en mars 1995), Gaumont tente un pari audacieux dont la réussite ouvrirait de nombreuses perspectives à toute la profession. Cet essai ne l’empêche cependant pas d’investir de manière plus traditionnelle cette même année : 12 écrans en centre-ville de Nantes, 16 à Valenciennes...

38Plus ancienne entreprise française de cinématographie, Pathé-Édeline-Indépendants s’est depuis longtemps recentre, sur l’exploitation et en tire aujourd’hui 80 % de son CA. Dans la décennie quatre-vingt, la grande agitation dans son actionnariat l’a empêche de mettre en œuvre une stratégie efficace et suivie, jusqu’a l’arrivée des Chargeurs (aout 1990) et de Jérôme Seydoux, son P-D.G.

39Pathé a précède ses concurrents dans rémission, en décembre 1987, d’une carte de réduction (rechargeable et payable par tout moyen) valable sur l’ensemble de ses salles. Cette politique commerciale visait à faciliter une relance de la fréquentation et s’appuyait sur ce qui se voulait trois services « plus » : plus d’espèces, plus d’ouvreuses, plus de pourboires. Au début des années 1990, le groupe a relance ses activités de production tout en préparant l’ouverture de salles techniquement haut de gamme, avant tous ses concurrents. Pathé a permis que le premier multiplexe français sorte de terre en juin 1993 à Toulon-La Garde, précédant de quelques mois un second à Thiais-Belle-Épine17, puis un troisième à Avignon (mars 1995)...

40Présent dans vingt-huit départements et trente-huit villes, programmant 313 écrans en 1994, il en possède moins de la moitié (146 contre 227 à Gaumont comme à l’UGC en 1994)18, étant ainsi le groupement national le plus ouvert, même si la création des multiplexes tend à augmenter rapidement cette proportion. Il est aussi le moins puissant, les vingt et un établissements19 dont il est propriétaire assurent 3,4 % de la recette nationale, l’ensemble du groupement 13 %, moins que Gaumont (15,2 %), et surtout l’UGC (19,1 %).

41Dernier-né des trois circuits, l’Union générale cinématographique est aujourd’hui le plus puissant. Originellement conçu comme une véritable union entre exploitants indépendants mettant en commun une structure à leur service, son esprit a rapidement évolue. Au départ de la famille Édeline en 1982, le souci d’efficacité servi par un dynamisme et une bonne gestion lui donne une orientation plus centralisatrice. Comprenant que la décennie suivante sera de l’alimentation en programmes des medias, il se lance en 1985 dans une politique d’achat de droits d’exploitation et en devient le premier détenteur. Pour financer ses acquisitions, il doit laisser entrer dans son capital des institutions financières et industrielles : Paribas et OBC à hauteur de 13,5 %, la CGE à 27 % puis 32 %. En 1995, le groupe UGC se caractérise par un actionnariat en cascade, encore contrôlé par un noyau familial, 55 % étant détenus par Guy et René Verrocchio, Michel Puren, P. Hellmann (Rex) et le GIE Ufidex. Stable, puissant, organise, il est le seul groupement à avoir gagne des parts de marche sur la période, partiellement grâce au rachat des salles de Pierre Édeline qui revient diriger la programmation en juillet 1988, puis du circuit Lemoine sur Paris, en 1992. Les exploitants indépendants cèdent en 1989 leur actifs-salles qu’ils détenaient à titre personnel.

42Ce groupe a lance également ses salles « prestige » aux critères techniques voisins des Gaumont-Rama, et deux types de cartes d’abonnement « privilège » à tarif réduit donnant priorité aux spectateurs dans les files d’attente. Il a pousse le plus loin la recherche dans l’équipement technique des salles, informatisation des caisses et l’information du public, distribuant en premier (printemps 1993) son propre journal d’information distribué gratuitement aux spectateurs.

43Dernier arrive dans l’aventure des multiplexes, il a souhaite aller plus loin que ses concurrents en créant un concept qui dépasse le positionnement traditionnel d’une salle, fut-elle haut de gamme, se rapprochant ainsi des expériences étrangères. Son cinérite des halles de Paris, ouvert en juin 1995, rajoute en effet aux 15 écrans de grand confort physique, sonore et visuel, un vaste hall (2 000 m²) se positionnant sur le terrain des loisirs (réseau internet, mur video...) et non plus seulement cinématographique ou audiovisuel.

44À la suite de Gaumont, qui s’était allie avec Buena Vista (films Disney) en 1993 tandis que Pathé demeurait l’allie d’AMLF, l’UGC a conclu en 1995 une alliance de distribution avec une première entreprise américaine, la Fox.

45Si la hauteur des investissements désormais nécessaires pour la construction des multiplexes (ou la rénovation conséquente des complexes) élimine du marche toute l’exploitation classique, les trois circuits nationaux vont inévitablement devoir faire face à une concurrence étrangère qui avait tarde à se révéler pour de nombreux motifs : présence active de l’oligopole français, maintien d’un pare assez dense, forte réglementation, présence de la gauche au pouvoir, grande ruralité... Après avoir massivement investi dans d’autres pays européens, certains groupes fortement capitalises (AMC, UCI, le groupe Bert20...) vont stratégiquement devoir s’intéresser au territoire national. Une nouvelle phase concurrentielle entre grandes entreprises risque d’avoir lieu, en l’absence de tout exploitant traditionnel, mais forcement à son détriment lorsque ces nouveaux partages du marché se dérouleront sur son ancienne zone de chalandise. Il en va d’ores et déjà ainsi à l’étranger. Implantes en Allemagne depuis 1990, si « les multiplexes dopent le marché21 », l’oligopole allemand qui les construit (UFA, UCI Flebbe) supprime la concurrence : les 1 700 petits exploitants indépendants de 1971 ne sont plus que 558 en 1992 (- 68 %). Les douze multiplexes actuels (1993) rassemblent 160 écrans (sur 3 700), mais plus de 10 % de la fréquentation nationale (onze autres multiplexes sont en construction).

46Si les sommes investies sont considérables au regard de l’histoire du cinéma en salles, il sera néanmoins inévitable que cette nouvelle concurrence entre groupes provoque quelques fermetures retentissantes jusqu’a réduction du nombre de participants.

47Dans un second temps, la taille jusqu’a présent modeste des multiplexes français risque de doubler, la logique n’étant plus alors d’occuper une part prépondérante d’un marche local, mais de le saturer complètement afin d’éliminer ou d’empêcher l’arrivée de toute concurrence. En cas de réussite, il n’est pas certain que nos actuels groupes nationaux puissent encore demeurer à trois sur le marché, ni qu’ils en gardent la moitie des recettes. Par ailleurs, l’effet induit sur des salles de proximité, y compris celles fonctionnant en dehors de tout critère de rentabilité, pourrait alors se révéler désastreux, notamment si ces nouveaux établissements prenaient J’option de diversifier leur programmation (festivals, répertoire, VO...). Au-delà de l’aspect économique, c’est toute la notion de « représentation » dans un théâtre cinématographique qui va se voir bouleversée.

QUELLES STRATÉGIES POUR L’EXPLOITATION ?

Le maintien du niveau de la recette

48Face à une consommation gratuite à domicile, la sortie en salles devait mettre en avant des éléments (confort, qualité, accueil...) matériellement différenciateurs. Mais l’augmentation du prix des places était également obligatoire et cohérentes pour, symboliquement, faire passer le spectacle cinématographique d’une image populaire de délassement à celle correspondant à l’attente des classes moyennes émergentes, tournées vers le divertissement ou la recherche culturelle. Une pratique de prix bas aurait été contradictoire avec un tel positionnement, le délassement et la quasi-gratuite étant irrémédiablement occupes par la télévision généraliste.

49En fonction de révolution de la sociologie des spectateurs et de leur représentation modifiée du cinéma, sur un marché déclinant les exploitants français ont appliqué à partir de 1957 la seule politique de survie possible : la hausse des prix. Une politique de baisse, ou de moindre augmentation des prix, aurait tente assez illusoirement de fidéliser une clientèle structurellement perdue, car attirée par d’autres concurrents plus en rapport avec révolution sociale et culturelle générale. Elle n’aurait pas automatiquement fait revenir les 55 % de français qui ne vont jamais au cinéma, ni ceux qui, sans l’abandonner, ont espace leurs sorties. « Le prix ne peut exercer qu’un effet dissuasif. Cette non-réversibilité de l’effet-prix tient à la fugacité du besoin du cinéma22 ». L’expérience des années 1930 l’avait déjà prouve, celle des années 1993-1995 sur le marché lyonnais l’a encore illustre23.

50De plus, en période de vieillissement d’un produit comme celui des salles, les besoins de renouvellement des équipements et immobilisations sont toujours présents, alors que la quantité de consommateurs, et donc de ressources, diminue. Une autre conduite aurait été collectivement suicidaire, car se traduisant inévitablement par une course-poursuite à la baisse des prix - et des revenus - de la part des acteurs demeurant sur le marché, d’ou de lourdes pertes financières. La structure légère, individuelle ou familiale, des exploitations par ailleurs sous-capitalisées condamnait irrémédiablement une telle voie.

51Le cinéma en salles a avant tout essayé de s’adapter à la nouvelle demande, tant dans la nature de l’offre que dans la manière de la présenter. Il faudra initialement douze ans (1969-1981) à l’exploitation pour apporter une réponse partielle avec les complexes, Après s’être redéployée géographiquement et avoir procède à des restructurations internes. Mais il en faudra trente pour vraiment assimiler que la nouvelle demande s’exerçait sur le rapport qualité/prix, et pour adopter une stratégie qui ne soit plus celle des coûts.

52Le problème du prix des places ne se pose plus aujourd’hui dans les mêmes termes à l’exploitation. Si la mutation de la sociologie de son public n’est toujours pas achevée, une attitude qui viserait à reconquérir durablement et massivement la fraction qui s’en est éloignée ne serait pas réaliste. N’étant plus ni populaire ni majoritaire, la consommation cinématographique, qui à perdu son rôle de délassement tout en demeurant une détente, va de plus en plus se restreindre à un investissement culturel. La nécessite de posséder un capital de cette nature24 présuppose la possession d’informations, d’expériences et d’opportunités financières et temporelles. Ce qui s’illustre par la rétraction du public vers les catégories sociales possédant du temps (jeunes, inactifs) et/ou des revenus importants (cadres supérieurs) ou possesseurs de ce capital culturel tout en étant socialement favorises (étudiants). Des lors, le prix des places n’est plus un obstacle réel à la consommation de films en salles, même s’il doit naturellement toujours être mis en rapport avec les offres concurrentes.

53Les salles qui enregistrent les plus fortes fréquentations sont également celles qui pratiquent le prix de places le plus élève, en offrant le moins de plages de réductions catégorielles. Ce paramètre n’est pas dissuasif, même lorsque des facteurs premiers indispensables (film, situation géographique, nombre de fauteuils) sont partages avec d’autres salles d’une même zone. Le succès de ces établissements, comme celui des multiplexes, prouve que le facteur prix n’est pas déterminant, pourvu qu’il s’accompagne d’une offre (technique, esthétiques...) de qualité. Plus ce type d’éléments est prononce, plus l’exploitation a intérêt à augmenter ses prix de places. Ces derniers pourraient alors devenir un facteur qui, loin d’être discriminant, serait non seulement différenciateur en lui-même par rapport à la télévision et aux autres loisirs, mais également valorisant.

54En effet, la sortie en salles possède toujours une aura élevée dans le discours culturel. Mais, des lors, le renoncement à cette pratique « quelle qu’en soit la cause » produit un discours rationnel qui doit être déculpabilisant pour celui qui le tient. La cherté relative du cinéma est alors d’autant plus mise en avant que l’abandon (partiel ou total) de cette sortie est socialement inavouable.

55Le cinéma en salles « n’est plus ce qu’il était » et il ne peut plus l’être. Ayant été définitivement supplante par l’écran domestique dans sa vocation populaire et majoritaire de délassement, il convient alors qu’il occupe un autre positionnement sur le marché des loisirs, plus en rapport avec l’investissement culturel dont il est déjà, réellement, l’objet.

56L’établissement de prix élèves n’exclut ni leur adaptation à la sociologie de chaque salle, ni des opérations tarifaires promotionnelles (individuelles ou collectives), ni une politique de fidélisation jouant sur ce facteur. Au regard d’autres commerces, on ne peut d’ailleurs qu’être stupéfait de la frilosité à utiliser cet outil marketing, et de la rareté de son emploi collectif. Nonobstant les deux initiatives nationales (le lundi, puis le mercredi à tarif réduit ; le, puis les trois jours, de la fêté du cinéma), celles initiées par quelques départements ou régions dynamiques ont pourtant rencontre l’intérêt du public. Mais elles se limitent à des opérations promotionnelles et les exploitants se retranchent trop souvent derrière le prétendu respect des politiques d’entreprises pour refuser des politiques tarifaires communes. Pour être efficaces, de telles politiques doivent être connues du public, et le cout de communication les réserve de fait aux entreprises nationales. En ce domaine également, seul un dépassement de leurs intérêts à court terme pourrait fournir à des regroupements de salles les moyens nécessaires à une action innovante et efficace en direction du public.

57De plus, face à une élévation des couts des matériels permettant de différencier la salle du salon domestique (grands écrans, son numérique...), ou d’offrir des prestations ou des facilites de gestion (informatisation des caisses), l’exploitation dans son ensemble se trouve confrontée à une augmentation de ses besoins financiers. L’offre de prestations de plus grande qualité qui permettent une stabilisation ou une légère augmentation de la quantité de spectateurs, à défaut de pouvoir être financée par une augmentation des marges (baisse du taux de location des films), doit l’être par une augmentation des prix, ainsi que par la recherche de ressources diversifiées.

58La nécessite économique de ces dernières, dépassant largement la recette-confiserie classique, est à la mesure de la désaffection des salles : télématique, jeux vidéos, bar, restauration légère, merchandising, sous-location d’espaces, achat de terrain constituant des réserves foncières..., la panoplie d’une diversification se déploies largement, accélérée par les multiplexes. Des lors, le danger pour les exploitants serait de perdre de vue que leur métier de base consiste tout de même à projeter des films.

Rationalisation de la filière

59L’exploitation cinématographique française a procédé par le passé à des changements structurels importants, mais relevant de la réaction - ou de l’adaptation - face à un marche aux contraintes évolutives. La récession caractérisant ce marché depuis 35 ans, plusieurs axes stratégiques ont successivement été déployés25.

60La période 1957-1970 a été caractérisée par une accélération de la concentration des entreprises et l’union d’indépendants au sein d’ententes de programmation ; une diminution du volume général de l’offre à la fois par un regroupement des établissements dans les quartiers porteurs (et l’abandon des salles de proximité) et par la réduction de la taille des salles ; le combat des exploitants pour l’augmentation de leur marge, c’est-à-dire pour la libéralisation des prix de places et leur augmentation.

61Le période suivant, 1970-1982, voit une stabilisation, puis une augmentation de la demande, favorisée par une extension des complexes multisalles, qui génèrent d’indispensables économies de gestion. La concentration des entreprises s’accélère et les circuits nationaux se constituent, plus ou moins intègres verticalement, qui cherchent à contrôler l’accès aux films-produits à leur seul profit.

62Depuis 1983, la détérioration brutale du marché a conduit une partie de la profession à s’interroger sur la pertinence de ces axes et à rechercher de nouvelles logiques d’investissement.

63La fin de la décennie connait une poursuite de la concentration, et en 1995, l’exploitation comprend 4 500 écrans regroupes au sein de 2 300 établissements, appartenant à 1 100 entreprises. Parmi celles-ci, même si leur part est en légère diminution, l’oligopole Gaumont-Pathé-UGC programme 20 % du pare français (858 écrans), mais génère 48 % de la recette. Les trois circuits ont opère un retour vers la qualité de l’offre et une nouvelle attention portée au consommateur en vue d’un meilleur service : rénovation complété du pare, construction de salles aux normes techniques élevées, cartes à puce coupe-files...

64Au début de son deuxième centenaire, l’ensemble de la profession est concerne par l’impératif d’une nouvelle qualité de service. Toutefois, pour se maintenir sur un marche qui a déjà perdu la moitie de ses établissements en vingt ans, et la moitie de ses spectateurs en dix, les exploitants doivent plus que jamais se situer sur deux niveaux : celui de la concurrence à l’intérieur de la profession, et celui qui tient compte de la diffusion extérieure des images animées, assurée principalement par un pole vidéo-télé-vision qui s’oriente vers le multimédia. L’exploitation cinématographique n’a jamais été uniforme, mais le développement de la concurrence intersectorielle des dix dernières années a exacerbe l’hétérogénéité de la profession. Les deux grands types de stratégies possibles26 - par les couts ou par la différentiation - sont cependant en œuvre depuis longtemps.

65Les stratégies par les couts s’appuient sur l’avantage durable obtenu par l’entreprise qui a pu se doter des couts d’exploitation les plus faibles. Cet avantage permet soit une concurrence par les prix qui élimine les concurrents les plus faibles ne disposant pas d’un tel atout, soit de bénéficier de marges élevées permettant un autofinancement supérieur27. En raison de leur position dominante, les trois circuits nationaux ont été prédisposes à adopter un tel positionnement. Ils bénéficient en effet des compétences et ressources requises : accès aux capitaux, investissements soutenus, savoir-faire technique en matière de constructions des salles et de leur exploitation, organisation structurée, économies d’échelle, relations privilégiées avec certains fournisseurs...

66Leurs pares ont atteint une taille optimale en fonction de l’état de la fréquentation et de la concurrence intra sectorielle. Aides en cela par la volonté de l’État (a travers la loi d’aide) de préserver des entreprises nationales économiquement fortes, la totalité de leurs investissements - au demeurant fort lourds28- peut désormais s’orienter vers une modernisation des salles, gage d’une qualité optimale, menée à un rythme des aujourd’hui insoutenable par le reste de la concurrence. Ce positionnement a également permis à Pathé de démarrer la construction de la troisième génération de salles. Les nouveaux multiplexes qui viennent des États-Unis via d’autres pays européens (Allemagne, Grande-Bretagne, Belgique...) possèdent plusieurs caractéristiques :

• un accroissement de l’offre grâce a un nombre d’écrans plus élevé que pour les complexes habituels (respectivement 12 et 10 écrans pour les deux premiers Pathé, à Toulon et à Thiais) ;
• une qualité haut de gamme des équipements décoratifs et techniques avec un son (THX ou Dolby SR), et une image (grands écrans de plus de 10 m de base) irréprochables ;
• un personnel nombreux (plus de 40 salaries), compétent et forme à l’écoute du client ;
• un parking de taille importante adjacent à l’établissement ;
• un prix de places élevé (50 F en 1995), en rapport avec la prestation offerte ;
• la présence de produits annexes nombreux (bar, glacier, vente de confiserie en comptoir) et esthétiquement mis en valeur, permettant de générer un chiffre d’affaires conséquent (en moyenne 7 à 8 francs de consommations par client, contre 2 à 3 francs pour une salle habituelle : dans les multiplexes allemands, la marge confiserie est égale à la part exploitant sur le film).

67Cette présence d’autres commerces de loisirs ou de restauration induit un autre comportement du spectateur, qui peut désirer passer sa journée en un tel lieu. D’ou l’intégration probable de multiplexes au sein de centres de loisirs et la multiplication de ressources pour la salle, qui va être tentée de délaisser son métier de base, la projection de films, au profit des connexions télématiques, espaces informatiques, merchandising, jeux vidéo, réaltines virtuelles...

68La première génération de salles (1895-1968) se contentait d’offrir un simple lieu, monopole de la diffusion des images animées ; la deuxième génération (1968-1992) proposait la multiplication austère de l’offre quantitative, comme résultante d’une économie de gestion ; la troisième prend en compte la demande réelle actuelle du spectateur et se donne les moyens matériels de la satisfaire intégralement. Mais la construction de ces nouveaux multiplexes correspond à une prise de risque élevée, l’investissement nécessaire (60 à 100 MF) n’étant rentabilise qu’avec une fréquentation supérieure à 700 000 entrées annuelles, niveau exceptionnel en France : en 1994, seule une dizaine d’établissements ont atteint 800 000 entries, dont les deux premiers multiplexes Pathé.

69Cette stratégie par les couts et les volumes requiert un contrôle étroit du marché afin de se garantir de tels niveaux de fréquentation. Elle exclut toute logique d’affrontement qui aboutirait à des surinvestissements mortels pour (au moins) l’un de ceux qui les pratiqueraient. Elle nécessite au contraire des alliances et un partage du marché, et son succès implique obligatoirement une concentration accrue du secteur. Les échanges d’actifs de 1991 et 1992 entre les trois circuits français ne font qu’illustrer la mise en œuvre croissante de ces stratégies de développement29.

70D’autres stratégies qui éliminent la contrainte des couts sont possibles, en ne suivant pas une telle voie industrialiste. Les salles soutenues par les collectivités territoriales, ou celles gérées par des associations aux nombreuses bonnes volontés bénévoles, peuvent emprunter un positionnement de ce type. Disposant de ressources financières ou matérielles indépendantes de leur place sur le marché, elles peuvent évidemment proposer des prix de places peu élèves. Nous avons vu les problèmes qu’une telle pratique implique en cas de concurrence avec des établissements qui ne peuvent compter que sur les recettes provenant des spectateurs. Cette offre d’un prix bas peut se combiner avec un positionnement de différenciation liée au produit (art et essai, recherche) ou à la prestation.

71De par l’accroissement des couts d’équipement, et face à la concentration du secteur, les (rares) exploitants indépendants privés qui demeurent ne peuvent structurellement appliquer durablement une stratégie par les couts. Leur survie - passée et- actuelle - n’a été rendue possible que par l’acceptation d’une sous-rémunération de leur capital et de leur travail, solution qui atteint forcement sa limite, financière ou humaine, même si l’amour du métier la recule souvent au-delà du raisonnable.

72Cependant, quelle que soit la pertinence de telles stratégies intrasectorielles, parce qu’elle évolue en concurrence avec d’autres secteurs délivrant le même produit qu’elle, l’exploitation cinématographique prise dans son ensemble ne peut maintenir un tel positionnement. En effet, intersectoriellement, l’exploitation se trouve écrasée par la structure de couts des diffusions télévisuelle et vidéo qu’elle ne pourra jamais égaler : faiblesse du montant de la redevance télévisuelle - qui n’est pas acquittée par tous et qui, même doublée, offrirait le film télévise à moins de 30 centimes par foyer domestique - forte productivité de la diffusion hertzienne ou par satellite ; cout nul de l’utilisation de l’espace domestique ; absence des frais connexes à la sortie (transports, garde des enfants, restauration)... Structurellement, et définitivement, l’offre d’un spectacle de même durée ne peut être propose par l’exploitation cinématographique qua un cout largement supérieur, le rapport étant aujourd’hui au minimum de 1 à 200 en défaveur des salles.

73Même si les produits en concurrence ne sont pas identiques mais voisins, le consommateur a depuis longtemps arbitre entre les différents modes de diffusion : en 1995, seulement 4 % des films vus le sont dans un théâtre cinématographique. Le positionnement par les prix étant occupe par la télévision, une éventuelle stratégie de ce type ne peut globalement s’appliquer, quelle que soit la catégorie des exploitants concernés.

74La concurrence frontale avec les autres medias audiovisuels qui procurent, de surcroît, d’autres avantages aux consommateurs, pose la question du rapport qualité/prix propose par l’exploitation, et lui impose une stratégie de différentiation.

Les stratégies de différenciation

75Les stratégies de différenciation visent à valoriser auprès du client une différence, une caractéristique particulière dans l’offre. Les éléments de différenciation possibles sont nombreux (le type de produit, sa qualité, son esthétiques, les services rendus, un effet d’image...) et peuvent porter sur l’ensemble des consommateurs, ou seulement un groupe de clients particuliers dans une volonté de « focalisation »30.

76La prévalence du produit-film a permis à certains exploitants d’affirmer la spécificité de leur travail par ce biais, comme ce fut le cas pour l’art et essai, qui s’adresse à une clientèle déterminée. Depuis peu, souhaitant revaloriser leur image et se distinguer de ce concept devenu diffus, les salles de recherche se sont rassemblées en 1991 au sein du Groupement national des cinémas de recherche, essayant de retrouver l’esprit et le positionnement du début du mouvement art et essai. Le Groupement rassemble les associations régionales qui existaient auparavant, soit environ quatre cents écrans. Le problème soulève par le GNCR concerne le positionnement des salles par le produit-film, de leur spécificité et de leur capacité à garder une identité valorisante aux yeux du public, mais avec, pour elles, le difficile écueil du ghetto culturel. D’autant qu’il s’agit bien de ce public vise qui a largement déserté les salles ces dernières années. Toutefois, si cet axe de différentiation peut trouver une légitimité sociale, culturelle ou de service public (qui la fait rentrer dans un autre champ que celui de la compétition économique), il est rarement source de rentabilité par le simple jeu du marche.

77Cet axe n’est pas le seul qui puisse être poursuivi par les exploitants, d’autant que nous avons vu que la variété des genres segmentables (pornographie, karaté, séries B...) s’était réduite avec la fréquentation. D’autres stratégies peuvent valoriser auprès du client le caractère unique de l’offre du spectacle cinématographique en salle. Elles nécessitent des capacités de recherche plus importantes, une créativité et une intuition qui permettent d’assurer une réputation à l’établissement, de fidéliser la clientèle grâce à une image positive soulignant le caractère, sinon unique, du moins particulier de la salle. Et si la décision du spectateur se prend avant tout en fonction du produit-film, cette prépondérance ne peut seule expliquer le fréquent sous-investissement par l’exploitation d’autres éléments lies au marketing-mix. Quelques-uns peuvent se détacher, évidemment combinables entre eux :

1. La différenciation par effet de chalandise prend acte du caractère déterminant des habitudes de déplacement des ménages. Les salles se sont originellement implantées en centre-ville, puis dans tous les quartiers, puis en certains quartiers commerçants, pour ensuite accompagner la création des centres commerciaux. L’exploitation se trouve plus que jamais concernée par la proximité d’une combinaison favorable de commerces, services, infrastructures urbaines ou d’autres activités culturelles ou de loisirs, qui constituera une offre globale déterminante pour la venue et la consommation du public potentiel. Le style, l’esthétique, le prestige, la commodité, la variété du choix de tels équipements complémentaires influent sur le niveau d’attractivité de cette offre globale. L’implantation des multiplexes à également cette préoccupation, le cinéma pouvant à son tour pousser la dynamique des autres commerces31.
2. La différenciation par la qualité technique de l’image, du son et du confort est la plus pratiquée mais la plus vulnérable. Au fur et à mesure que les innovations de ces catégories se diffusent, l’exceptionnel devient la norme et l’avantage concurrentiel disparait. II en est ainsi aujourd’hui du système Dolby stéréo pour le son, comme il en a été de même il y a vingt ans pour les fauteuils moelleux, il y a trente ans pour le cinémascope grand écran, avant guerre pour le parlant... Mais le cout de ces investissements a encore accru les différences entre salles. Les multiplexes qui s’équipent systématiquement en haut de gamme (son numérique et THX, écrans courbes de plus de 10 m de base...) bénéficient d’une aura de qualité et de prestige et vont obliger, par l’augmentation de l’exigence technologique du public, le reste de l’exploitation à consentir des efforts d’équipements analogues. De nombreux exploitants pourront d’autant moins s’adapter que l’augmentation du confort domestique (taille des écrans TV, vidéo-projection, Home-Theater, THX adapte...) poussera au renouvellement rapide des équipements sonores et visuels des salles, mais avec un cout sans cesse croissant.
3. La différenciation par la qualité du service, qui côtoie régulièrement la précédente, ne peut se résumer à l’ajout gadgétise de quelques prestations. La clientèle a souvent boude ces innovations (garderie d’enfants, possibilité de réservation, hôtesses n’acceptant pas les pourboires...) ou les a considérées comme évidentes (paiement par carte bancaire, information par Minitel ou téléphone interactif, bar, nettoyage des salles Après chaque séance...). Elles ne peuvent en effet compenser le terrible déficit de qualité du service de base, aiguise par deux décennies d’inattention ou de mépris. Tous ces services, ajoutes aux autres éléments, jouent assurément, mais de manière diffuse et globale. Cet élément différenciateur indispensable se rajoute à la perception générale de la prestation que l’exploitant cinématographique peut procurer aux spectateurs pour qu’ils accroissent leur fréquentation. S’il est un élément indispensable à une réelle affirmation de l’identité des salles, il n’est pas suffisant car il comporte certains risques32, à commencer par la banalisation ou l’imitation des éléments initialement différenciateurs et leur perte d’influence au cours du temps.

78Un sous-ensemble peut être consume par l’animation de la salle, avec différentes techniques adaptées à la sociologie : venue de réalisateurs, soirées spéciales, festivals... Elle constitue l’élément le plus fréquemment mis en avant par des salles art et essai, mais, sauf cas d’espèce, elle ne peut que renforcer une programmation spécifique, sans pouvoir toujours pallier la nécessite d’un accès aux films intéressant un public majoritaire.

Des alliances collectives de survie

79En dehors des stratégies individuelles (même si elles sont suivies par un sous-ensemble du secteur), les trois décennies passées montrent que des alliances, des accords de coopération entre certains acteurs sont possibles, voire nécessaires.

• Une nécessité historique

80Le rétrécissement du marche des années 1960 a favorise le regroupement de certains exploitants, principalement au sein d’ententes de programmation, afin de négocier dans de meilleures conditions l’obtention et les conditions de location des films. La décennie suivante a prouve la pertinence de cette démarche, la rendant indispensable pour peser sur le marché et faire face aux majors de la distribution. Pour pouvoir bénéficier des effets multiplicateurs du rétablissement du soutien financier de l’État, certains établissements se sont constitues en G1E ou ont pousse plus avant leur intégration juridique et économique. La plupart des entreprises qui ont emprunte cette voie ont rapidement acquis une taille régionale ou nationale, l’UGC étant un bel exemple de réussite. Le mouvement n’est toujours pas achève sur ce marche qui doit suivre de prés les évolutions des zones d’habitat et lieux de consommation, pour procéder à de constants renouvellements des investissements.

81La baisse de rentabilité liée à celle de la fréquentation des années 1980 a opère une sélection sur les entreprises de toutes tailles, mais conforte le poids de trois circuits nationaux et de quelques circuits régionaux, achève la disparition de la petite exploitation atomisée, réduit en effectifs et en importance économique les moyennes et grandes exploitations indépendantes. Elle a, en revanche, favorise Introduction de nouveaux acteurs, pour la plupart fonctionnant en dehors des contraintes du marché. Mais la relative opulence dont ont bénéficie les salles jusqu’a la déréglementation de l’audiovisuel (1985) n’a pas pousse l’ensemble des acteurs à rechercher de réelles alliances, hormis celles déjà constituâtes, et une décennie de baisse continue les a au contraire incitées au repli vers la défense de leurs intérêts immédiats.

82Avec un unique produit, qu’elle vend de plus en plus difficilement, l’exploitation se retrouve en position de demande face aux distributeurs, et ce d’autant plus que son poids économique individuel est faible. S’ils souffrent eux aussi de la faiblesse du marche, les distributeurs-producteurs gagnent à diversifier leurs sources de revenus et à n’être plus dépendants d’un unique débouche. Quant aux petits distributeurs, non producteurs, ils peuvent mesurer leur avenir à l’aune de leur part dans le financement des films en France : par leur avaloir, ils y contribuaient à 29 % en 1984, à moins de 6 % en 1992. Moins d’un distributeur sur deux qui est titulaire d’une carte d’exercice a effectivement eu une activité ; et parmi ces derniers, 51 % distribuaient moins de cinq films dans l’année, tandis que 10 % s’en octroyaient plus de cent chacun. Les exploitants ont eu aussi à faire face à la concentration de ce secteur, le nombre d’interlocuteurs diminuant parallèlement à la fréquentation, et donc au nombre de films permettant de rentabiliser une structure de distribution. Il existe donc des convergences d’intérêts objectifs entre la plupart des distributeurs et des salles. Le regroupement de ces dernières au sein d’ententes de programmation peut non seulement les aider elles-mêmes, mais également les petits et moyens distributeurs qui voient ainsi le suivi de leur copies assuré, réduisant incertitude de la carrière d’une majorité de films, limitant une désaffection notoirement trop rapide.

83Pour les salles, qui ne peuvent fusionner ou s’intégrer juridiquement, ou ne veulent pas le faire, il existe divers types d’alliances, qui ne semblent avoir été explorées de manière ni intensive ni extensive. Elles concernent au premier chef les établissements de taille modeste ou moyenne, quel que soit leur mode de gestion. La systématisation d’accords de coopération et l’invention d’autres formules semblent pourtant relever d’une nécessite de survie sur leur marche. Ces alliances peuvent naturellement prendre différentes formes (association, GIE...) et porter sur des points plus ou moins étendus, mais l’intérêt des salles invite au moins à les étudier dans leur ensemble. Il apparait que si cela n’a été que rarement le cas, c’est davantage en raison de présupposes psychologiques que de réels obstacles ou divergences d’intérêts matériels.

84En effet, au sein de l’exploitation concernée, deux grands types de cultures coexistent, quand elles ne s’affrontent pas : l’un prend ses sources dans la recherche d’une rentabilité économique, l’autre dans sa mission culturelle. L’intérêt objectif de tous les acteurs peut être servi par l’organisation d’une confrontation, et non pas d’un affrontement entre ces deux approches de la même profession. Les premiers ont certainement à apprendre en direction de l’animation, du travail avec les scolaires..., les seconds d’une rigueur gestionnaire ou des contraintes du marché. Plus généralement, la mise sur pied de rencontres humaines, dégagées d’une compétition qui n’a pas lieu d’être (et ce d’autant moins qu’a ce niveau économique les zones géographiques de réelle concurrence sont devenues rares), doit permettre de transmettre des expériences et des conditions d’exploitation extrêmement différentes. L’acquisition de ces micro-expériences, même sur des éléments extrêmement simples, enrichit le métier de chacun et augmente sa « productivité ». Il ne s’agit donc-pas seulement de l’acquisition d’un savoir (que beaucoup possèdent déjà), même si l’absence de formation initiale, puis de formation permanente, doit d’autant plus être palliée que l’ensemble du secteur évolue rapidement et que l’exercice du métier est par nature individuel et isole. La rupture avec une tradition de méfiance et un culte de l’indépendance (sémantique, pas réelle) doit être une nécessite pour une collectivité de salles qui se fixerait comme but sa propre défense, celle du public, des films et du cinéma.

• Les domaines de coopération entre salles

85Les accords de coopération sont particulièrement nombreux dans les secteurs industriels qui doivent faire face à de couteux investissements, particulièrement en matière de recherche et développement (aéronautique, télécommunications...). S’il peut y avoir création d’une filiale commune - inadaptée dans le cas de l’exploitation -, ces coopérations reposent sur des accords ou les comportements des responsables des entreprises comptent énormément en son degré de réussite. La méfiance est initialement de régie, et même la volonté de sortir d’une situation critique ne permet pas de résoudre le dilemme qui peut s’apparenter à celui du prisonnier dans la théorie des jeux33. Des enseignements peuvent être tires de l’analyse de telles situations, encourageant une théorie de la coopération, une tactique du donnant-donnant34, qui ménage les stratégies individuelles sans avoir besoin den tenir compte. Chaque rationalité individuelle mène au pire résultat possible pour les deux acteurs, et si, individuellement, le gain retire d’une coopération n’est pas celui qui pourrait être maximal, il Test toujours collectivement. Assez éloignée de notre culture35, cette pratique nécessite l’observation de plusieurs régies pour réussir : éviter les conflits inutiles en coopérant aussi longtemps que l’autre coopère (on ne joue plus -contre-, mais -avec-) ; pratiquer la réciprocité dans tous les cas, (dans des proportions équivalentes à celles provoquées par le partenaire) ; avoir un comportement transparent afin que le partenaire puisse s’adapter à son mode d’action.

86Ce système du « vivre et laisser vivre », applique parfois en des situations durables d’affrontement comme les guerres36, exige la réciprocité bien comprise, mais aussi le changement de ses critères dévaluation du succès, la réussite du partenaire/adversaire étant habituellement le critère le plus immédiat. Mais « se demander si Ton fait mieux que l’adversaire n’est pas un bon critère à moins que l’objectif soit de le détruire37 », alors qu’il n’est pas nécessaire de faire mieux que l’autre pour obtenir soi-même de bons résultats, adaptes à notre situation.

87Au sein de l’exploitation de proximité - que Ton pourrait opposer à une exploitation de zones de chalandise -, une coopération stable peut être favorisée par la multiplication des interactions entre salles, par la mise en valeur des gains réels à obtenir, par la reconnaissance des valeurs humaines et des difficultés des collègues.

88L’étendue du champ des alliances possibles peut se fonder sur la simple étude d’un compte d’exploitation (au sens comptable). Il apparaît des lors que, quel que soit le statut juridique des salles qui souhaitent se rencontrer, deux voies basiques peuvent être suivies : l’augmentation des recettes, la diminution des charges. Selon le degré d’implication des salles entre elles, l’examen de ces voies va d’un regroupement ponctuel sur une opération a... la constitution d’un circuit d’indépendants, en passant, surtout, par quelques étapes intermédiaires plus adaptées aux réalités locales.

89Outre un meilleur mode d’exercice individuel de leur métier, les responsables de salles peuvent attendre de leur regroupement l’accroissement de leurs recettes.

1. Indirectement, l’échange systématique d’informations permet de suivre à temps des pistes qui seraient restées inexplorées ou engagées trop tardivement (octroi de subventions, copies disponibles, promotions sur des recettes annexes...).
2. L’effet de taille accroit les possibilités collectives, tout en facilitant les négociations individuelles (sponsoring, publicité d’entreprises nationales...).
3. La ressource principale provient des films, et chaque lieu, dans sa spécificité, cherche à toucher le public concerne le plus large. L’accès aux copies et sa rapidité déterminent le niveau des entrées. Si d’aucuns pratiquent depuis longtemps le regroupement de leurs demandes auprès des distributeurs (groupements de programmation), d’autres s’y refusent alors même que cela dessert leurs intérêts38. Outre que ces ententes peuvent se pratiquer à divers niveaux géographiques, certaines formes seraient à développer ou à innover (entente selon le type de films, ou leur nombre ; pour certains distributeurs...). Elles pourraient mieux préserver l’identité de chaque salle, les circuits nationaux laissant peu de marge de manœuvre, quand ils ne proposent pas un « tout ou rien ».
4. Après l’obtention du film, il convient d’informer, puis de susciter le désir chez le spectateur, et les voies d’alliance y sont les plus profitables : Programmations complémentaires dans l’espace et le temps ; rédaction de plaquette sur les films, de bulletins ou d’affiches collectifs ; publicité commune ; tournée lors de programmes exceptionnels ; négociation groupée pour la venue d’un participant sur un film... Ces types d’ouvrages, que chaque salle réalise isolement au prix de temps et d’énergie considérables, sont démultiplies par leur mise en commun qui, pour être optimale (effet d’apprentissage...), doit passer de l’avantage occasionnel à l’habitude méthodique.
5. S’il dépend du volume des entrées, le niveau des recettes dépend également de celui des prix, sujet sensible tant globalement qu’au niveau individuel. En conjuguant les deux paramètres : montant nominal du prix des places / réductions catégorielles accordées, il doit exister autant de possibilités que d’établissements en France ! L’élaboration d’une politique commune est toutefois un élément (de cohésion, d’image, de communication...) indispensable. La réflexion devrait utilement ne reculer devant aucune question, et se fonder à coup sur davantage sur l’écoute du client et les besoins de la salle que sur les a priori d’un élu ou d’un directeur autocentré. La possibilité de fixer un montant uniforme n’étant certainement pas souhaitable d’un strict point de vue commercial, les prix ont effectivement à être établis en tenant compte de chaque lieu (sociologie des habitants, politique des élus...). Alors que certains commerces pratiquent des opérations promotionnelles dynamiques et que les expériences locales (départementales...) tentées sont des succès, le manque d’impact pour une salle isolée n’appelle-t-il pas plus d’initiatives collectives et régionales ?

90Pour les dépenses, la même démarche groupée peut s’avérer fructueuse, le but devant être de réaliser des économies d’échelle sur l’essentiel des postes.

1. Le taux de location des films obéit aux mêmes principes que leur obtention. Isolées, les salles doivent payer un minimum garanti parfois élève ; groupées, il devient discutable ou disparait. Le taux maximal de 50 % est largement devenu la régie, et ce sera un enjeu de la prochaine décennie, tant par les entreprises nationales qui doivent récupérer une forte marge pour amortir leurs importants investissements, que par les petites salles qui auront besoin de cette marge pour poursuivre leur activité.
2. Pour le personnel, l’entente peut aller du simple échange de compétences à l’embauche conjointe d’une personne pour un poste insuffisant séparément pour plusieurs salles, jusqu’au regroupement centralise d’un ensemble de tache jusqu’ici effectuées isolement (bordereaux CNC, comptabilité...).
3. Pour les investissements et la plupart des autres charges, des remises sont automatiquement accordées pour des commandes importantes auprès des fournisseurs (matériel, publicité, confiserie...). D’un simple regroupement des achats à la constitution d’une centrale ou d’un GIE, les formes juridiques, peu usitées par les salles de cinéma, abondent.

91Le marché a changé, la concurrence interne a changé, la concurrence externe également. Si la fraction la moins rentable de l’exploitation ne renouvelle pas ses pratiques, ses alliances et son mode de fonctionnement, il n’est pas certain que son offre s’avère encore durablement concurrentielle et attractive pour un public dont la demande s’est profondément modifiée.