Versione classicaVersione mobile

Les dernières séances

 | 
Claude Forest

Première partie. L'exploitation cinématographique française

Chapitre III. Concentration des structures

Testo integrale

1Après une première phase d’introduction sur le marché (1889-1908), une étape ultérieure de croissance (1909-1944), puis de maturité (1945-1957), le spectacle cinématographique en salles va aborder son vieillissement en termes de fréquentation. Cette dernière phase du cycle de vie de l’exploitation va se diviser en deux périodes qui elles-mêmes se répéteront dans le temps. Une première période de chute continue et importante de la fréquentation : 1957-1969, avec une perte de 55 % des entrées (puis 1982-1989 avec - 50 %) ; suivie d’une relative stabilité dans le comportement des spectateurs (1970-1981, puis 1989- ?).

2Comme toute phase de déclin, celle qu’a connue l’exploitation cinématographique française - et mondiale - s’est accompagnée d’une modification progressive de la structure de la concurrence. Avec un volume d’activité diminuant, les principaux acteurs ont commencé à se partager le marché. Les restructurations ont alors renforcé le poids des grandes entreprises pour aboutir à une situation de type oligopolistique.

  • 1 Notamment René Bonnell, in : Le Cinéma exploité, Paris, Éditions du Seuil, 1978, et Joëlle Farchy, (...)

3Nous ne reviendrons pas sur les nombreuses analyses1 des différents éléments qui ont cristallisé ce déclin. Durant cette douzaine d’années de baisse de fréquentation ininterrompue, les multiples types de concurrence n’en n’ont été que des agents, pas des causes intrinsèques. Il importe alors peut-être moins de savoir quelles furent leurs intensités respectives que de s’interroger sur les comportements nouveaux du consommateur qu’ils incarnaient et favorisaient, et d’analyser les réactions de l’exploitation.

CONCURRENCE ET DÉCLIN (1958-1968)

4L’augmentation du pouvoir d’achat, de la qualité et de la quantité des biens disponibles, le fort développement de l’accession à la propriété de son logement, les conséquences matérielles du baby-boom et tant d’autres effets induits par le confort rendu possible par la forte croissance économique vont radicalement réorienter les dépenses des ménages, au détriment de certains spectacles pour favoriser d’autres loisirs et la détention de biens durables. Pour le cinéma, le confort domestique accroît l’exigence quant à la qualité de la prestation offerte à l’extérieur, et la pénétration de la télévision dans les foyers va pousser la consommation en salles vers des films de plus en plus récents. Cette évolution de la demande du public va s’observer à la même période dans l’ensemble des nations industrialisées, provoquer la disparition d’une large fraction de l’exploitation et de certains quartiers de salles, tandis que le développement de l’exclusivité prélude à l’apparition d’une nouvelle offre.

Des salles de quartier aux quartiers de salles : l’exemple parisien

5Depuis les origines du spectacle cinématographique, Paris a occupé une place privilégiée et prépondérante, tant dans le nombre de salles que dans le niveau des entrées. Ne regroupant que 5 % de la population française, la capitale réalise entre le quart et le cinquième des entrées, largement plus en terme de recettes. Le taux de fréquentation de Paris a toujours été supérieur (trois à six fois pour la période étudiée) à la moyenne nationale.

6L’équipement représente 8 % du parc, ce qui permet d’offrir deux fois plus de fauteuils par habitants que la moyenne nationale, ainsi qu’un nombre de séances et de choix de films incomparables. Les grandes évolutions de la profession ont de ce fait souvent pris leurs sources à Paris, et une étude attentive de la ville permet de les illustrer (tableau V).

Tableau V - Évolution du parc de Paris : 1952-1966

Tableau V - Évolution du parc de Paris : 1952-1966

(Sources : CNC. 1NSEE)

7Au sein de Paris intra-muros, la recomposition du parc va suivre deux mouvements opposés : fermeture de salles dans les arrondissements périphériques plus populaires (du 11e au 20e), ouvertures de salles dans les arrondissements marchands du centre de la ville (1er au 10e). Ainsi, sur la période, le solde négatif de 46 salles qui apparaît se décompose en 78 fermetures, dont 60 (77 %) dans les quartiers périphériques, et 32 ouvertures, dont 24 (75 %) dans les quartiers centraux.

8Une analyse géographique (tableau VI) plus détaillée permet de déceler avec plus de précision cet abandon de la proximité des quartiers de la part des cinémas, et leur regroupement en ensembles attractifs.

Tableau VI - Évolutions du parc dans les arrondissements parisiens : 1952-1966

Tableau VI - Évolutions du parc dans les arrondissements parisiens : 1952-1966

(Source : CNC)

9Alors qu’ils regroupent 71 % de la population, qui a moins évolué qu’au centre (-1,5 % contre - 6,8 %) les arrondissements périphériques ne vont plus représenter que 53 % du parc, contre 61 % en 1952. Les quelques salles qui ont été créées sont venues renforcer des quartiers existants : Ternes, boulevards Clichy et Rochechouart.

  • 2 Antoinette Comiti-Duchemin, « Géographie des cinémas à Paris », mémoire de maîtrise, Paris I, 1968.

10Les salles ferment au moment d’une rénovation, ou sont remplacées par d’autres commerces. Sur les 12 salles disparues dans les 13e et 18e, 7 ont été démolies avec l’immeuble les abritant et n’ont pas été remplacées, 2 l’ont été par un Uniprix, 2 par un garage et 1 abandonnée2. Comme au sein de toutes les grandes villes, leur valeur immobilière a pu dépasser celle du fonds de commerce propre à leur activité déclinante.

11En revanche, les arrondissements centraux ont vu leur parc augmenter de 6 salles (139 contre 133) entre 1952 et 1966.

  • 3 Les boulevards de la Madeleine à la porte Saint-Martin drainent 11 millions de spectateurs, ceux de (...)

12Le phénomène majeur est l’émergence de la rive gauche (5e, 6e, 7e) qui se développe autour de trois pôles (Saint-Germain, Montparnasse, Quartier latin), et gagne plus de 40 % d’entrées sur la période (2,3 M). Alors que leur population régresse de 9 %, leur part dans les entrées parisiennes fait plus que doubler (de 4,6 à 10,3 %). L’euphorie de ce - ghetto doré » est liée à la croissance de la population étudiante et à la pratique de prix qui leurs sont adaptés, une nouvelle segmentation du marché se développant avec l’art et essai (voir infra). Le poids de la rive gauche passera de 19,6 % du parc à 26,5 %, et de 16,2 % des entrées à 22 %. Le renforcement de ces quartiers de cinéma durant la période 1952-1969 polarise la fréquentation cinématographique, tout en la modifiant. Ces groupes d’au moins une dizaine d’établissements représentent désormais 42 % (au lieu de 30 %) des salles parisiennes, mais accueillent 60 % des entrées (au lieu de 44,5 %)3.

13La modification de l’offre n’a pas été que géographique. En disparaissant, les salles de quartier ont entraîné avec elles deux de leurs caractéristiques principales : une grande capacité d’accueil et de faibles prix de places. Ainsi, le nombre moyen de fauteuils offerts par salle dans la capitale a diminué, passant de 747 à 697, dans un double mouvement : les salles parmi les plus grandes ont fermé : 798 fauteuils en moyenne ; les salles nouvellement créées étaient plus petites, avec 460 fauteuils en moyenne. Une seule salle de plus de 1 000 places est construite durant cette période, tandis que celles de moins de 300 places représentent la moitié des ouvertures. Le solde créations-disparitions est d’ailleurs positif pour cette seule catégorie de salles, celles de 300 à 600 places perdant 17 % de leurs effectifs, et celles de 600 à 1 100 places, 13 %.

14Dans le niveau global de l’offre, cette baisse de la capacité unitaire d’accueil est cependant largement compensée par l’augmentation du nombre de séances, d’une part, par l’allongement de la période annuelle d’ouverture (50 semaines par an en moyenne, au lieu de 48) ; d’autre part, par l’augmentation hebdomadaire des horaires d’ouverture (25 séances par semaine, au lieu de 22). Il s’ensuit une augmentation de 6 % du nombre annuel de séances offertes (380 000 en 1966). Le rapport s’inverse entre les salles permanentes (qui deviennent majoritaires en 1963) et celles ne tournant que le soir et le week-end.

15Les salles de quartier correspondaient à celles qui offraient le moins de séances hebdomadaires, et la désaffection de ce type d’offre touche les salles survivantes dans une mesure largement supérieure (71 fermetures entre 1952 et 1966) à celles fonctionnant en permanent (7 fermetures). Durant la même période, les entrées ont chuté de 44 % pour les salles qui offraient moins de 17 séances par semaine, pour seulement 27 % pour celles fonctionnant en permanent.

16Cette évolution générale est provoquée par le développement du temps libre, par la nouvelle composition sociologique des spectateurs, et elle illustre la moindre importance accordée à la fonction conviviale de sortie régulière du cinéma. Renforcé par le travail des ciné-clubs, soutenu par le travail des enseignants qui investissent le cinéma comme art, la fonction culturelle de la sortie en salle se voit mise en avant. Il n’est pas certain que cette appropriation progressive du cinéma par une nouvelle classe sociale ait été de nature à enrayer le déclin de la sortie populaire et conviviale du « samedi soir ». Une certaine pratique, réfléchie, exigeante, tendra peu à peu - malgré le souci contraire défendu par ses promoteurs - à transformer ce loisir en investissement culturel. Un discours élitiste, voire d’exclusion, ne tardera pas à émerger durant la décennie suivante. Même minoritaire, il est symptomatique du déplacement de la représentation du film en salle pour l’ensemble des spectateurs. Officialisé par la création d’une catégorie de films dits d’auteurs, leur soutien - ou répudiation - place le cinéma comme enjeu d’une activité qui ne peut plus être de simple distraction.

17Dans ces années soixante, la production accentue une diversification qui se trouve ainsi légitimée, favorisant une segmentation de l’offre. Les cinémas d’art et essai apparaissent en France en 1955, et le CNC leur reconnaît un statut avec des privilèges afférents, notamment en matière de liberté de prix de places, en 1962. Les cinq salles initiales vont devenir 41 en 1960, et 127 en 1966, dont 45 à Paris. Dans leur capacité d’accueil, ces dernières sont d’ailleurs homogènes, toutes sauf 3 offrant entre 100 et 500 places, c’est-à-dire largement moins que la moyenne parisienne. Les salles d’art et essai, dernières venues sur le marché, sont plus petites que toutes les autres (341 fauteuils en moyenne, contre 896 aux salles d’exclusivité), mais se situent pour les autres critères (prix des places, nombre de séances annuelles) entre les deux catégories principales. Inexistantes quinze ans plus tôt, en 1966 elles représentaient 15 % des salles, 12 % des entrées avec seulement 7 % des fauteuils (tableau VII).

Tableau VII - Évolutions du parc parisien selon le type de programmation

Tableau VII - Évolutions du parc parisien selon le type de programmation

(Source CNC)

18Par ailleurs, parce qu’elles offrent un standing plus élevé, plus de confort, plus de rêve dans leur architecture et leur décoration, qu’elles sont plus accueillantes, regroupées et situées dans les artères commerçantes, les salles d’exclusivité vont devenir la nouvelle norme et tirer vers le haut les attentes des spectateurs. Bien que proposant un prix de places inférieur (de moitié) et ayant augmenté moins vite que celui des salles d’exclusivité (de 2,8 au lieu de 3,2), les autres salles, de quartier principalement, vont voir leur influence et leur attractivité diminuer.

19L’élévation générale du niveau de vie a augmenté le niveau d’exigence du public. La réponse d’une partie de l’exploitation fut d’élever à son tour la qualité de l’offre, rendant par là même la sortie en d’autres salles moins gratifiante. Mais c’est bien parce que cette modification correspond à la demande du public que les salles d’exclusivité connaissent le succès. Les spectateurs délaissent une offre de proximité de qualité limitée, au profit d’une salle éloignée géographiquement, mais qui le rapproche du rêve, tant par sa structure que par ses programmes. Ce n’est pas, en soi, parce qu’elles sont plus chères que les spectateurs choisissent un certain type de salles, mais parce qu’une fois prise la décision de sortie, ils préfèrent se rendre dans une salle offrant les avantages précédemment décrits, et profiter des films plus récents. Ce faisant, cette mutation du public a condamné les salles de quartier dont l’autofinancement est insuffisant pour suivre ses exigences, et il a transformé un loisir populaire bon marché en une dépense divertissante à vocation culturelle. Il ne s’agit donc pas d’une stratégie collective, cohérente et uniforme, de la part d’une « exploitation » mythique, mais d’une somme de réactions individuelles à un basculement de la demande.

L’exploitation amorce sa concentration

• La poursuite de la modification du parc

20La fréquentation cinématographique est essentiellement un phénomène urbain. Le coût de l’équipement augmentant, le seuil de rentabilité s’est élevé tandis que diminuait la fréquentation. À partir de 1957, la fermeture des salles dans les petites communes, de moins de 8 000, puis de moins de 15 000 habitants, va accélérer la concentration des entrées, mais surtout des recettes dans les villes moyennes et importantes. La part de ces villes va donc croître proportionnellement à la désaffection des zones à habitat moins dense ou dispersé. Si la fréquentation annuelle moyenne chute de moitié en France entre 1957 et 1967 (de 10,1 à 5 sorties par habitant), cette proportion sera plus importante pour les communes de petite taille (de 13 à 5 sorties pour celles comprenant entre 8 000 et 15 000 habitants...).

21Les exploitants abordent leur restructuration en ordre très dispersé. La petite exploitation est majoritaire, pratiquant un montant de prix des places peu élevé. En 1959, les quatre cinquièmes des salles pratiquent un prix en dessous du prix moyen national, ce qui implique une forte concentration des entrées et des recettes. Les 1 200 premiers établissements collectent la moitié de la recette totale, l’autre moitié allant aux 4 100 autres salles.

22La faiblesse de cette partie de l’exploitation a toujours été criante. Fonctionnant sur le mode artisanal, sous-capitalisée, sous-équipée, économiquement faible et totalement dépendante des distributeurs de films, elle fonctionne de manière occasionnelle, saisonnière, ou avec un petit nombre de séances hebdomadaires regroupées autour du week-end : 25 % assurent une à trois séances hebdomadaires en 1969, 27 % quatre ou cinq séances. À cette date encore, les trois quarts des cinémas français tournent moins de six jours par semaine, signe - et conséquence - d’une faible importance économique ; leur marché ne constitue pas un enjeu économique. L’exploitant exerce souvent un second métier, et la profitabilité de son commerce n’est pas déterminante pour sa continuation. Pour cette catégorie de salles, restructuration va signifier fermeture et 2 806 d’entre elles disparaîtront sur la période (1958-1969), flux masqué par l’ouverture (1 365) ou la transformation (262) d’autres établissements, le parc de salles suivant ainsi, en moyenne, l’évolution de la fréquentation.

• La primauté des programmateurs

23Jusqu’au milieu des années 1950, il se trouvait des salles commercialement plus ou moins performantes. Avec le succès de la segmentation du marché entre les salles d’exclusivité et de quartier au profit des premières, et avec le raccourcissement dans le temps de la demande de vision des films, la sortie des films en certaines salles d’exclusivité - et donc leur possession, ou au moins leur programmation - va devenir stratégique.

24La force des salles d’exclusivité vient de leur capacité d’attraction auprès du public, et du poids économique qui en résulte. Le rassemblement de plusieurs d’entre elles leur a permis peu à peu d’acquérir un réel poids de négociation. Face au rétrécissement du marché, les distributeurs se regroupent, à commencer par les Américains avec CIC, et commencent à fermer leurs agences de province. Les contacts entre les agents du marché deviennent géographiquement plus distants et plus émiettés. En réponse, les salles, qui deviennent un point de passage obligé pour une grande partie de la production, ressentent la nécessité d’un intermédiaire-négociateur avec les distributeurs. Le métier de programmateur, qui était apparu dès avant la guerre, prend son importance économique durant cette période, et la décennie suivante verra sa consécration. Souvent exploitant lui-même, son pouvoir de négociation, en nombre de copies et de conditions de location qu’il peut obtenir, est proportionnel au poids économique des salles qu’il représente. Les alliances entre groupes d’exploitation prennent alors leur véritable sens, avec un succès indéniable qui va les faire tendre vers des situations oligopolistiques au cours de la décennie suivante.

  • 4 Ordonnance du 20 juin 1945, décrets des 9 août 1953 et 24 juin 1958.

25Seules Paris et les grandes villes influent réellement sur l’évolution du marché que les exploitants présents ont depuis longtemps essayé de maîtriser. Malgré leur interdiction (décision 1 du CNC), les ententes de programmation entre salles ont toujours existé, leur poids réel étant difficile à évaluer pour cette époque. La lutte des pouvoirs publics contre les ententes en général, et celles de l’industrie cinématographique en particulier, visait surtout les pratiques limitant l’abaissement des prix, ou conduisant à des refus de vente4. Dans le domaine de la programmation, le succès des ententes locales ou régionales va être indéniable, et devenir encore plus crucial par la primauté accentuée du produit-film. La recherche du meilleur rendement de publicité et d’exploitation des titres pousse la profession à se garantir le plus haut niveau de recette, dans un délai le plus bref possible. La recherche des salles d’exclusivité les plus appropriées a déjà été effectuée par les groupes nationaux, principalement à Paris et pour quelques salles de province bien situées.

  • 5 Jusqu'en 1969, la commission sur les ententes se réunira onze fois, émettant un avis favorable pour (...)

26L’évolution de la législation va se faire après la création du marché commun européen, notamment après le premier règlement d’application (du 6 février 1962) du traité de Rome portant sur la réglementation des ententes. La décision réglementaire n° 49 (du 11 décembre 1963) va définir un premier cadre à l’intérieur duquel les ententes de programmation devront se constituer, notamment avec une demande d’agrément auprès d’une commission professionnelle chargée d’émettre un avis5. Ces ententes ne pouvaient regrouper plus de 30 salles, l’une d’entre elles étant mandatée par les autres pour négocier les contrats de films auprès des distributeurs. Aucune entente ne pouvait grouper plus du cinquième des salles de même catégorie dans une région cinématographique, ni plus des deux tiers des salles d’une même commune (lorsqu’elle en comportait au moins trois). Cependant, rien n’interdisait les ententes entre ententes, par exemple l’une des 30 salles considérées s’alliant avec une autre salle d’un autre groupe de 30 salles... Formalisée ou non, l’étroitesse relationnelle du milieu implique de forts liens entre exploitants économiquement importants. Ces facteurs conduisent à une opacité rendant impossible toute cartographie exacte de ces ententes de programmation pour les années 1960.

27Le premier pôle d’importance (plus d’une centaine d’écrans) a été constitué par le rapprochement de Pathé et Gaumont en 1967, réunis au sein d’un GIE de programmation qu’ils formaliseront en 1970. Son but était d’assurer l’approvisionnement en films des deux circuits et d’élaborer une politique commune d’expansion. Il a rassemblé les salles appartenant aux deux groupes, ainsi que de nombreuses autres salles séparées juridiquement, mais stratégiques pour le maintien d’une position dominante en certaines villes (tableau VIII).

28Au cours de la même année 1967, la société Parafrance s’était rapprochée de la Paramount, par le biais d’une prise de participation de cette dernière dans les sociétés d’exploitation, de distribution et de production des frères Siritzky.

Tableau VIII - Répartition des salles à la constitution de l’entente Pathé-Gaumont

Tableau VIII - Répartition des salles à la constitution de l’entente Pathé-Gaumont

29L’Union générale de cinématographie, groupe nationalisé, résulte de la fusion en 1947 d’entreprises de toute la filière cinématographique : l’UGPC (production), l’AGDC (distribution), l’UGEP (exportation), ainsi que de cinq entreprises d’exploitation : la SOGEC, les sociétés du Casino de Toulon, de Nice, des cinémas de l’Est et du Splendid de Choisy-le-Roi. Sa taille demeure relativement modeste, puisqu’à la fin des années 1960 elle exploite 23 salles en propre (dont 5 à Paris) et en programme 70 autres. En février 1969, l’UGC va s’allier avec P. Hellmann (le Rex, la Rotonde, à Paris...) et Raymond Gautreau du groupe Océanic (25 écrans dans le Sud-Ouest et le Midi) pour former un GIE de programmation (le « groupement pour l’exploitation cinématographique ») qui rassemblera 75 écrans.

30Ce regroupement en pôles de programmation, ainsi que le combat des représentants de l’exploitation auprès des pouvoirs publics, va avoir des incidences financières positives pour cette branche. Alors que la part de la recette revenant à la distribution va demeurer stable sur la période (31 à 32 % de la recette brute), celle de l’exploitation - principale bénéficiaire de la baisse des taxes - ne va cesser de croître, pour passer de 40 % en 1957 à 48 % de la recette brute en 1969. Cette augmentation de leur marge va partiellement expliquer que le mouvement de fermetures de salles soit inférieur à celui de la baisse de fréquentation.

31D’autre part, la loi d’aide, en particulier grâce au cumul possible des fonds entre plusieurs salles réunies juridiquement, après avoir permis la rénovation du parc, puis sa modernisation, va commencer à jouer un rôle cumulatif et renforcer les entreprises les plus importantes, leur permettant de développer la seconde génération de salles : les complexes cinématographiques.

L’évolution de la demande

32La télévision ayant mis dans le domaine public les films plus anciens, l’espérance de vie d’un film en salles va diminuer. Il s’ensuit que le choix des films devenant déterminant, le produit, et surtout son caractère récent, va présenter à la fois un caractère de différenciation vis-à-vis de la télévision, et discriminant pour le choix de la salle.

• Les fonctions de la sortie en salles

33La baisse de fréquentation coïncide avec la diminution de la durée de vie économique des films. Sur cette période, l’offre des titres présents à un instant donné sur le marché va évoluer assez lentement : environ 10 % des titres sont en première année d’exploitation et à peu près autant (mais avec une tendance à la baisse) pour chacune des quatre années suivantes. L’autre moitié a plus de cinq ans et va augmenter pour représenter plus de la moitié des titres offerts.

34La demande du public va se concentrer sur des titres de plus en plus récents. Si au début des années 1960 moins de 30 % des spectateurs voyaient les films l’année de leur sortie et plus de la moitié au cours des deux années suivantes, ils seront plus de 42 % à la fin de la décennie à préférer les voir dans l’année qui suit leur sortie, 30 % l’année suivante et seulement 9 % en troisième année... En une décennie, la date médiane de vision passe de plus de vingt mois à moins de quinze mois : pour les spectateurs, l’exigence de fraîcheur d’un titre augmente de deux semaines par an.

35La structure de l’exploitation se modifiant au profit de la première exclusivité aux prix de places plus élevés, la rentrée des recettes s’accélère mathématiquement. En 1968, pour la première fois, plus de la moitié des recettes de l’année est assurée par les films qui sont sortis depuis moins d’un an (les trois quarts depuis moins de vingt-deux mois) (fig. 7).

Fig. 7 - Résultats d’exploitation d’après l’année d’ancienneté des films diffusés en 1961 et 1968

Fig. 7 - Résultats d’exploitation d’après l’année d’ancienneté des films diffusés en 1961 et 1968

Films sortis dans l’année (source : CNC)

  • 6 « La fréquentation et l'intérêt du cinéma en France », CNC, Paris, 1970, in : Bulletin d'informatio (...)

36Cette accélération de l’usure culturelle et économique du film attire (et est provoquée par) les spectateurs dans les salles qui leur proposent ces films. Mais elles sont aussi celles qui ont le prix de place le plus élevé, et qui les augmentent le plus vite. En 19706, le prix perçu comme trop cher avoisine 7,50 F, alors que le prix moyen réel s’établit à 6,60 F. Le prix psychologique du cinéma va tendre vers la cherté, le prix moyen réellement payé étant inférieur à celui estimé.

37L’exploitation substandard (diffusant des films de format 16 mm), loin d’être épargnée malgré de très faibles prix de place (0,88 F en 1957 et 1,87 F dix ans plus tard, contre 1,33 F et 3,71 F pour les salles standards) et une absence de concurrence avec les salles d’exclusivité, va se voir cependant condamnée par la nouvelle exigence du public (fig. 8).

Fig. 8 - Évolution du parc des salles substandard, fréquentation et prix de places : 1957-1969

Fig. 8 - Évolution du parc des salles substandard, fréquentation et prix de places : 1957-1969

(Source : CNC)

38Le facteur prix ne peut absolument pas être invoqué : alors qu’en francs courants il a été multiplié par moins de trois en treize ans, la fréquentation va être divisée par dix. Ce type de représentation du film va perdre 85 % de ses spectateurs entre 1957 et 1969, et les fermetures (les deux tiers du parc) vont s’observer à un rythme beaucoup plus rapide que pour les salles standards. Cette catégorie de l’exploitation va devenir marginale en quelques années. La médiocrité des projections (image, son, confort, copies usées) va se surajouter à une offre de programmes trop anciens pour se différencier de la télévision Installés principalement dans les petites communes, les nouveaux modes de vie et de loisirs domestiques vont provoquer son obsolescence et une indifférence culturelle plus rapide.

39Masqués par l’accroissement de la fréquentation en certains départements, les autres types de concurrence au spectacle en salles produisent leurs effets à cette période :

    • 7 R. Bonnell, op. cit.

    par dissuasion ou contrariété7 comme l’achat de résidences secondaires, l’augmentation de la durée des congés payés et des départs en vacances, le développement du crédit pour l’achat de biens durables de consommation et de logements, la possession d’une automobile...

  • ou par substituabilité, avec le développement de la télévision. Malgré une fréquentation qui a atteint en 1957 un sommet qu’elle ne reverra jamais plus, ce concurrent externe s’est en effet déjà révélé.

  • 8 Un premier dossier complet lui est consacré dans un numéro spécial du Film français, n° 200, du 15 (...)
  • 9 Par exemple, durant la semaine du 15 au 21 janvier 1949, il en sera ainsi d'Une si jolie petite pla (...)

40Apparue en 1932, la production de téléviseurs s’intensifie dès la paix survenue : 6 500 en 1946, 200 000 en 1947, 1 M en 1948, 2,6 M l’année suivante... Précocement, la profession s’est inquiétée8, car les cafetiers diffusent gratuitement dès la fin de 1948 des télécinémas dans leurs établissements. Cette concurrence sauvage se permet de passer les filins avant leur sortie en salle en attendant que des accords interviennent9.

  • 10 Le Madeleine-cinéma (Gaumont) retransmet les images télévisées sur un écran de 4 mètres de base le (...)
  • 11 « Le cinéma français, perspectives 1970 », enquête SEMA parue dans le Bulletin d'information, n° 91 (...)

41L’essor se fait rapidement en termes de temps de diffusion (elle émet tous les jours à compter du 2 octobre 1949) et en couverture du territoire par la multiplication du nombre de ses émetteurs. Quelques salles s’essaient à la rediffusion10 mais, tirant les enseignements venus des États-Unis, l’exploitation s’alarme du bouleversement introduit par la télé dans les habitudes familiales. Le CNC a très tôt révélé l’étroite corrélation entre le taux d’équipement en téléviseurs et la baisse de fréquentation en salles, même si ces effets contrariants tendent naturellement à diminuer lorsque le taux de pénétration approche de la saturation11.

42Ces concurrences sont, à la fois, causes et simples manifestations d’une mutation dans la représentation de la sortie en salles pour l’ensemble des pays industrialisés. Par sa capacité d’évocation à travers les mécanismes psychologiques d’intégration des représentations et d’identification aux héros, le spectacle public sur grand écran peut remplir quatre fonctions principales :

  • de délassement, après le labeur et les difficultés matérielles, mais comme toute autre forme de loisir, d’où le peu d’importance accordé au thème du film ;

  • de lien social, ou de convivialité, par les habitudes créées (la sortie du samedi soir), allant de pair avec une consommation de proximité et la part importante des assidus dans le niveau de la fréquentation ;

  • de divertissement, d’où la prépondérance de la fiction, et à l’intérieur de ce genre, de la comédie ;

  • culturelle (voire d’investissement culturel), de développement de la personnalité, d’ouverture sur le monde.

43À partir de 1947 pour Paris, de 1948 pour la banlieue et certaines grandes villes, puis de 1957 pour toute la France, c’est bien la possibilité ouverte à l’offre d’autres formes de loisirs qui va atténuer la première, puis la seconde de ces fonctions. La mutation économique et sociale, induite par les Trente Glorieuses avec l’augmentation du niveau - et de la durée -de vie des Français, provoquera une modification de la représentation économique, sociale et culturelle de la sortie en salles de cinéma.

44Après une longue période de rareté des loisirs - en temps disponible et en offre sur le marché -, l’augmentation du pouvoir d’achat et du temps libre condamnaient l’exploitation cinématographique au partage de son marché. La perte de sa place - privilégiée dans les loisirs, monopolistique dans la représentation des images animées - était inscrite dans l’agrandissement du marché des loisirs et dans la multiplication de la concurrence. Peu importe alors pour les exploitants que ce développement prenne telle ou telle forme. L’amélioration du taux de pénétration des récepteurs de télévision, l’augmentation du nombre et de la qualité commerciale des films diffusés, le développement du parc des biens ménagers et des automobiles, la multiplication des résidences secondaires et des départs en vacances, le boom des paris et jeux d’État... tous ces facteurs ne pouvaient assurément évoluer qu’en sens inverse de la fréquentation en salle.

45Entre 1950 et 1960, le retrait de consommation aura lieu dans les mêmes proportions entre le cinéma et les autres spectacles et attractions, (alors que les prix ont été multipliés par 2,75 pour le cinéma, mais par 2 pour les autres). En revanche, et toujours en volume, elle aura augmenté de 60 % pour les casinos, et aura été multipliée par 3,5 pour le PMU. Malgré ses augmentations de prix supérieures aux autres activités, le cinéma qui représentait en 1950 46,5 % des dépenses de cette catégorie (le PMU, 7 %) n’en pèsera plus, en 1960, que 44 %, mais le PMU 16 %.

46Les dépenses des ménages deviennent structurellement différentes et s’orientent vers l’équipement, le durable. Toujours dans le domaine des loisirs, l’ensemble des dépenses concernant l’équipement en radio-photo-télévision pesait à peine plus lourd que la seule sortie en salle (351 millions contre 294 millions) en 1950. En valeur, elles dépasseront celles de l’ensemble des spectacles et attractions en 1958. En volume, ces achats vont augmenter régulièrement, celui des postes radio triplant sur la décennie, celui des appareils photo et celui des électrophones se multipliant par 7, celui des télévisions par 1 000...

47Mais quels que soient leurs liens, il n’existe pas de corrélation parfaite entre l’évolution de tel loisir et le déclin de tel autre. La multiplication de l’offre pousse le consommateur à opérer un arbitrage de ses ressources - de temps et d’argent - en faveur de telle(s) ou telle(s) activité au détriment de telle(s) autre(s). La consommation de films en salles s’inscrivait jusqu’à la Seconde Guerre mondiale dans une économie, une culture et des relations sociales données. L’ensemble de son environnement changeant, il était structurellement impossible à l’exploitation de maintenir la fréquentation à un niveau élevé. En dehors des pays économiquement peu développés, aucune nation n’y est parvenue.

• Un déclin international

48La baisse de fréquentation atteint à la même époque toutes les nations occidentales, leur phase de maturité s’achevant au cours des années cinquante. Si le déclin, en amplitude et en longévité, ne va pas prendre une forme similaire pour l’ensemble des nations, il faut constater qu’il débute après un maximum de fréquentation : aux États-Unis en 1943 (4,4 milliards de spectateurs) ; en Grande-Bretagne en 1946-1948 (1,6 milliard) ; en 1955, en Italie (819 millions de spectateurs), en Belgique (110 millions) et au Danemak (59 millions) ; à partir de 1956 aux Pays-Bas (70 millions) et en RFA (818 millions) ; en France à partir de 1957 ; au Japon en 1958 (1,1 milliard de spectateurs)...

49Les pays anglo-saxons anticipent donc le phénomène, et vont l’accentuer. Après une légère pause en 1953, la chute de fréquentation américaine se ralentit en 1962-1963 (1,1 milliard), mais après la disparition de 75 % des spectateurs. Elle connaîtra une décrue d’amplitude beaucoup plus faible jusqu’en 1971 (- 25 %). La Grande-Bretagne connaîtra une stabilisation en 1965 (à - 80 %), mais qui apparaîtra comme une simple diminution dans le rythme de la baisse, qui se prolongera jusqu’en 1977 (à nouveau - 47 %). L’anticipation de ces deux pays sur le mouvement de baisse ne sera donc suivi que d’un ralentissement, pas d’un arrêt plus précoce de cette chute. D’une durée plus longue, cette récession sera également d’une amplitude totale plus grande : - 81 % pour les États-Unis, - 93 % pour la Grande-Bretagne.

50Les autres nations développées vont stopper leur hémorragie un peu plus tard, et dans une période groupée ; pour les principales cinématographies, en 1969 en RFA (- 76 %), en 1970 en Italie (- 36 %) et en Fiance (- 45 %), en 1972 au Japon (- 83 %)... (fig. 9).

51La mondialisation des échanges s’accélérant dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’internationalisation du phénomène est bien liée à l’évolution globale d’un mode de vie. La croissance économique et la diffusion des modèles culturels vont générer un parallélisme des attitudes dans le temps, l’évolution négative de la consommation cinématographique n’étant qu’un des nombreux symptômes. Réduire, pour la France, cette évolution mondiale à des pratiques conjoncturelles d’un des acteurs de cette filière (la hausse des prix par les exploitants) serait s’aveugler sur un épiphénomène (tableau IX).

Fig. 9 - Principales fréquentations : 1956-1972

Fig. 9 - Principales fréquentations : 1956-1972

(Source : CNC)

52Dans ces années cruciales de basculement de la fréquentation, si toutes les nations augmentent leurs prix de places, toutes ne le font pas dans les mêmes proportions, et il n’existe pas pour elles de corrélation entre l’évolution générale des prix de leur pays et la fréquentation. De plus, alors que la France est le seul pays à pratiquer des taux d’augmentation de prix à deux chiffres, elle est également l’un des rares pays à ne pas voir sa fréquentation connaître une baisse de cet ordre (tableau IX, page suivante).

DES SALLES MULTIPLES AUX MULTI-SALLES (1969-1981)

53En un temps extraordinairement court - trois à cinq ans -, quelques grandes entreprises au pouvoir économique très limité vont se retrouver à la tête d’un réseau de salles jusqu’alors inconnu en France, acquérant, puis abusant, d’une position désormais dominante. Entre 1968 et 1972, l’exploitation cinématographique va radicalement changer son visage, ses structures, son rapport au spectateur. Son économie, quittant le stade artisanal, va entrer dans une ère préindustrielle.

  • 12 A. Astoux, directeur général du CNC, conférence de presse du 5 décembre 1969.

54Cette évolution a été rendue possible par le passage à la deuxième génération de salles de cinéma, qui va lui-même être voulu et encouragé par les pouvoirs publics. « Chaque fois que cela est possible, il faut doubler ou tripler la salle pour offrir deux ou trois programmes [...]. Aux États-Unis, il y a parfois six salles réunies diffusant six films différents12 » Le développement des complexes cinématographiques, dont le nombre d’écrans ne cesseront de croître tandis que diminuent leur surface et la taille des salles, va permettre l’essor des circuits d’exploitants qui vont réellement atteindre une taille nationale à cette période. Une nouvelle génération d’exploitants a été à l’origine de cette mutation qui va marquer de son empreinte durant deux décennies la représentation du film en salles.

Tableau LX - Évolution du cinéma européen : 1958-1962

Tableau LX - Évolution du cinéma européen : 1958-1962

(Sources : CNC. INSEE)

La restructuration du parc

55Après sept ans d’interruption, l’arrêté du 31 juillet 1967 avait réinstauré la loi d’aide, fixant les droits revenants aux salles de cinéma. Depuis cette date, ceux-ci vont être calculés en fonction de la taxe additionnelle collectée par chaque salle. Les salles pouvaient initialement prétendre à 40 % de la taxe collectée jusqu’à un montant de 5 000 F annuels, et 18 % de la taxe perçue au-delà. Ces droits pouvaient rembourser 90 % du montant total des travaux (hors taxes) pour la petite exploitation, 70 % pour les autres.

• L’essor des complexes cinématographiques

56L’avantage que cette aide soit attribuée à l’entreprise - et non à la salle - qui la collecte va rapidement être compris et développé par les plus grandes d’entre elles, principalement Pathé, Gaumont, Océanic-Paramount-Parafrance et l’UGC. Mais d’autres vont également saisir l’opportunité de la nouvelle ordonnance (23 septembre 1967) sur les regroupements d’entreprises à travers les groupements d’intérêts économiques. Ces GIE vont permettre à leurs entreprises solidaires économiquement, mais indépendantes juridiquement, de mettre en commun les droits collectés. Les affectant à tour de rôle à leurs membres, chacun d’entre eux va bénéficier du poids des autres, et donc pouvoir procéder à des travaux plus importants, et plus rapidement. Cet avantage, discriminatoire envers les petites exploitations ou les salles isolées, va produire un effet de levier multiplicateur, accélérant la croissance de certaines entreprises. Le renforcement des entreprises nationales a été - et demeure -voulu et financièrement favorisé par les pouvoirs publics.

  • 13 F. Lacloche, in : Gaumont : 90 ans de cinéma, Paris. Ramsay, 1986.

57L’idée de réunir plusieurs salles en un même lieu n’était pas nouvelle. En France, si Léon Brézillon avait dès avant la Première Guerre mondiale réuni deux salles en un même lieu (ses Palais des Arts et Palais des Fêtes de 1 000 places chacun), Marseille avait accueilli sur La Canebière Les Trois Salles dès 193613, dix ans plus tard Les Trois Hausmann s’ouvraient à Paris, suivis des deux Cinévog en 1963, puis durant l’été 1967 des indépendants inaugureront les trois écrans des Trois Luxembourg, de capacités unitaires réduites (147, 150 et 173 places). Ce dernier exemple mettra cependant plus de deux ans à être suivi, la première tendance étant plutôt à la prudence, en ne faisant que diviser en deux des grandes salles déjà existantes. Les premiers exploitants à appliquer cette recette vont d’ailleurs insister auprès de leur public : il s’agit bien de deux cinémas, certes au même endroit, mais qui ont deux structures distinctes et portent deux noms différents. La logique du complexe (économie de gestion, personnel réduit et commun) n’est donc pas immédiatement présente dans l’esprit de tous les créateurs de cette deuxième génération de salles.

58Pathé inaugurera cette tendance à Marseille (le 4 octobre 1967) en transformant le Pathé-Palace en Pathé-Canebière (1 100 places) et Esterel (450 places). Si le hall est commun, les caisses sont séparées, bien que jumelées. Il sera suivi à Paris (17 novembre) de l’ouverture des Saint-Germain-Village (250 places) et Huchette (200 places), l’un se situant au niveau de la rue, l’autre en sous-sol. En 1968, ce sera au tour du Marignan de se dédoubler en Concorde, au Mondial de Nice en Paramount et Studio Paramount orienté vers l’art et essai, mais toujours avec deux caisses...

59Ce n’est qu’en 1969 que ces constructions se multiplieront et que le concept du complexe cinématographique sera réellement développé. Si Pathé transforme encore sa salle de la place Clichy en Caravelle et Wepler, le Saint-Lazare-Pasquier devient en juin le second triplex, appliquant par ailleurs le permanent de midi à minuit, et modulant ses tarifs selon les horaires : 5,50 F avant 13 h 30, 7,50 F après. En banlieue, le 4 novembre, s’ouvre le premier complexe dans le nouveau centre commercial de Parly II, les Studio A et Studio Β (2 χ 250 places) de J.-C. Édeline, avec une seule caisse commune. Ce nouveau président de la FNCF va répandre ce concept de nouvelles salles : le mouvement est lancé et 1971 marque son essor, et le déclin de celui de la mono-salle. Les noms des salles va moins faire référence au théâtre, et les différents écrans ne porteront plus des noms différents, mais des numéros en chiffres romains pour la plupart (Liberté I et II, Tricycle I, II et III...), arabes quelquefois (Alpha 1, 2, 3, 4, 5...), ou des lettres de l’alphabet (Artel A, B, C, D...).

60À partir de 1971 (tableau X), les éclatements de salles représentent le tiers des nouvelles salles, proportion également atteinte par les créations ex nihilo de complexes deux ans plus tard. Les créations de mono-salles ne seront plus que pour 8 % dans l’accroissement du parc dès 1973. Il s’ensuit mathématiquement que le nombre moyen de fauteuils par salle ne pouvait que baisser, phénomène accentué après les trois premières années d’expérience d’introduction des complexes.

Tableau X - Accroissement du parc des salles françaises : 1967-1973

Tableau X - Accroissement du parc des salles françaises : 1967-1973
  • 1 non compris les transformations de 16 en 35 mm, ni les adjonctions du 35 à des salles équipées en 1 (...)

Note 11

  • 2 salles d’origine non comprises

Note 22

(Sources : CNC. l e Film français)

61Sur cette période de transition relativement courte, outre que l’effort financier consenti par l’exploitation se porte radicalement sur la création de complexes, et alors même que la fréquentation nationale s’est stabilisée depuis 1970, en six ans la capacité unitaire d’offre de nouveaux fauteuils va diminuer de moitié, phénomène essentiellement dû - mais pas uniquement - aux complexes : en six ans, de 1968 à 1973, le nombre moyen de fauteuils pour les nouvelles salles va chuter de moitié (de 437 à 212) (tableau XI).

62Un complexe multisalles offre plusieurs programmes au même instant et au même endroit, augmentant le choix pour le public. Des essais de complémentarité entre écrans vont initialement être tentés, la plupart du temps entre un film grand public et un autre art et essai. Mais, rapidement, pluralité de programmation ne va plus rimer avec diversité, chaque complexe se tournant plutôt vers une cohérence de genre (grand public, art et essai, érotique). La différence de taille des salles du complexe va servir pour équilibrer la programmation selon les résultats des titres.

Tableau XI - Nombre moyen de fauteuils dans les nouvelles salles : 1968-1973

Tableau XI - Nombre moyen de fauteuils dans les nouvelles salles : 1968-1973

(Sources : CNC, Le Film français)

63L’économie de gestion va être une autre caractéristique des multisalles. Économie de fonctionnement par diminution des effectifs salariés (non proportionnels au nombre d’écrans : moitié moins de caissières, projectionnistes, directeur...), mais également par une conception différente de l’architecture : décoration et aménagements intérieurs minimaux, rétrécissement des espacements entre rangées de fauteuils, suppression des caches et rideaux devant l’écran, disposition et organisation des salles d’un même complexe très rationnelles, utilisation rentable de tout l’espace disponible...

64Durant ces premières années, les multisalles ne s’implantent que dans les grands centres urbains, la prudence commerciale estimant nécessaire une haute densité de population. Ainsi, à la fin de 1972, les quatre cinquièmes de ces établissements sont établis en région parisienne et à Marseille (tableau XII).

Tableau ΧII - Répartition géographique et taille des complexes (1972)

Tableau ΧII - Répartition géographique et taille des complexes (1972)

(Source : Le Film français)

• Les indépendants dynamisent la profession

65Pour permettre ces constructions, les exploitants n’hésitent pas à créer des sociétés distinctes, un même établissement pouvant accueillir autant de sociétés que d’écrans. Et durant ces premières années, les mouvements de créations et d’agrandissement sont assez peu le fait des sociétés nationales : à Paris, la Paramount ne dédouble sa salle (dans le 9e) qu’en 1972. Les exploitants indépendants sont donc massivement les initiateurs de cette transformation radicale de la consommation cinématographique en salles : 127 complexes sur les 149 construits au début de 1973, pour seulement 7 à Pathé, 5 à Gaumont, 3 à l’UGC, 4 à Paramount-Parafrance et 3 à Océanic...

66Les complexes ne sont pas immédiatement conçus selon leur taille optimale, un ou plusieurs autres nouveaux écrans pouvant être adjoint(s) l’année suivant la création ou la partition. S’ils sont initialement de deux écrans, ils vont tendre à partir de 1974 vers trois écrans et plus, le nombre moyen étant proche de 2,9 dès cette période. Il va s’opérer une course à la taille, car les effets de la création des complexes sur la fréquentation et la recette sont indéniables. À capacité d’accueil (nombre de fauteuils) égale, voire inférieure (une partition entraîne souvent une perte d’espace et donc de fauteuils disponibles), le nombre de spectateurs augmente plus que de moitié, et la recette fait plus que doubler (tableau XIII).

67Les mandarinats locaux qui avaient traversé les années 1960 n’étaient pas puissants de par leur taille économique, mais parce qu’ils contrôlaient une zone géographique déterminée. Alors qu’à la même époque les distributeurs - surtout américains (CIC) - procédaient à leur phase de concentration et de centralisation autour de Paris, ces exploitants ne représentaient pas un réel poids de négociation. Conscients de cette faiblesse, et une décennie de chute ininterrompue de la fréquentation ayant laminé une large fraction de la petite exploitation traditionnelle, une génération d’exploitants plus jeunes et plus sensibilisés aux problèmes financiers va prendre la relève.

Tableau XIII - Résultats d’exploitation des complexes créés après une partition (1971-1977)

Tableau XIII - Résultats d’exploitation des complexes créés après une partition (1971-1977)

(Sources : CNC. Le Film français)

  • 14 Il possédait les Grand Pavois bâbord et tribord (15e), les Studio Obligado A et Β (17e)... Il spéci (...)
  • 15 Le Film français, n° 1521, 22 février 1974.
  • 16 Ils développeront un petit circuit de programmation qui comprendra à la fin de cette période (1981) (...)
  • 17 Idées sur l'exploitation cinématographique, J.-M. Causse, ronéoté, 1965.
  • 18 Qui ne connaîtra, en temps qu'exploitant, un véritable essor qu'une quinzaine d'années plus tard av (...)

68Jean Rebotier, directeur chez Gaumont, après un passage à la tête de la FNCF (1963-1964), devient président du GIE Pathé-Gaumont (30 avril 1970), puis directeur général de la SNEG en juin 1971. Il cédera alors sa place au nouveau président de là Société des théâtres cinématographiques de chez Pathé, Pierre Vercel. Henri Douvin, président du SFDTC (1962 à 1972) et président de la FNCF (1965-1967 puis 1971-1975), sera l’un des exploitants les plus actifs sur Paris, tant par la création de complexes, que par sa stratégie constante de recherche de segmentation du marché14. De nombreux autres exploitants s’illustrent à Paris par leur dynamisme, principalement dans le secteur érotique, comme M. Gourevitch (Cinévog-Saint-Lazare I à IV...) qui s’intéresse également à l’art et essai en développant le Quartier latin (Hautefeuille, Dragon, Quintette, Saint-Germain). Son souhait de pousser davantage encore la miniaturisation des salles vers 50, voire 30 places15, ne sera cependant pas suivi par ses collègues qui ont contribué à faire de ce quartier de Paris un haut lieu de l’exploitation indépendante, tels Charles Rochman (les Trois Luxembourg, 1967, Le Studio action...), puis Roger Diamantis (Saint-André-des-Arts, novembre 1969), J.-M. Rodon et J.-M. Causse (Action-Christine, Studio Rive Gauche..)16, ce dernier s’étant déjà fait remarquer par la diffusion d’une réflexion innovante sur le métier de l’exploitant17... Ils s’intéresseront également peu à peu à la distribution de films art et essai, à l’instar de Marin Karmitz (salles 14-Juillet), Simon Simsi18, Gérard Vaugeois et quelques autres.

69Dans le dynamisme commercial, la province n’est pas en reste, comme à Marseille où Fernand et Félix Méric construisent en juillet 1971 le plus grand complexe d’Europe (7 écrans, le K7, de 85 à 443 places) tout en essayant de bâtir un circuit régional (3 K7 à Aix-en-Provence en 1971, 4, à Montpellier en 1972...). Sur la France entière, les circuits traditionnels vont être assez peu présents au début de cette période. En banlieue, nous avons vu qu’ils n’ont construit que deux complexes : Paramount (2 écrans) dans le nouveau centre commercial de La Celle-Saint-Cloud (1971), et Pathé dans celui de Thiais-Belle-Épine (3 écrans).

70Et pourtant, l’essor principal provient de la banlieue parisienne, désormais baptisée « périphérie » tant l’urbanisation bouleverse le nombre et la sociologie des habitants de ces communes jouxtant Paris (comme l’ensemble des grandes villes). Les villes nouvelles qui surgissent sont légion, regroupant cités dortoirs et centres de loisirs, centres administratifs et centres commerciaux. Avec ces rapides promotions immobilières et ces importants déplacements de population, certains exploitants vont comprendre la nécessité de renouveler les implantations cinématographiques, en s’adaptant aux nouveaux types de consommation et de déplacement de la clientèle. Chaque centre commercial qui se construit accueillera désormais un complexe cinématographique en son sein.

  • 19 Notamment dans ses nombreux discours et interventions (Le Film français années 1969-1971) et dans s (...)
  • 20 Jean-Charles Édeline assura la création, le développement, la puissance du groupement d'intérêt éco (...)
  • 21 Artel (A à D) à Nogent-sur-Marne, (1 à 3) à Villeneuve-Saint-Georges, (1 a 6) à Rosny-sous-Bois...
  • 22 Argenteuil (Alpha 1 à 6), Saint-Denis, Épinay-sur-Seine, Deuil, Enghien...

71Le nouveau président de la FNCF, Jean-Charles Édeline, va théoriser19, et réaliser, avec sa famille et en s’alliant à d’autres familles d’exploitants, cette nouvelle implantation géographique de l’exploitation. Après les Studio A et Β du nouveau centre commercial Parly II en 1969, il ouvrira deux écrans lors de la construction de celui de Cergy-Pontoise (1971), puis de Vélizy II (1972). Dès les premières années d’implantation des complexes (1969-1973), il multiplie par ailleurs les transformations de mono-écrans dans l’Ouest parisien20... L’Est de Paris sera réservé à la famille Verrechia21, le Nord-Est reviendra à la famille Puren (Carrefour, 1 à 6, à Pantin...) et le Nord-Ouest à celle des Condroyer22. En banlieue parisienne, la construction des complexes va principalement être le fait de ces exploitants : sur les 24 complexes (représentant 73 écrans) qui s’ouvrent entre 1969 et 1972, 16 (52 écrans) vont l’être de leur fait. Plus nombreux que ceux de leurs concurrents, ils vont aussi être plus grands : 3,25 écrans par établissement en moyenne, contre 2,6 pour les autres. Ils ont en effet plus rapidement compris, en s’en donnant les moyens financiers, que l’effet multiplicateur (attractivité auprès des spectateurs, poids face aux distributeurs...) ne jouait à plein qu’avec la construction de grands complexes.

Le développement des circuits nationaux

72L’accroissement de la recette lié aux agrandissements incite le développement des complexes et les favorise financièrement par disponibilité de cash-flow. Le fonds de soutien donne de surcroît une prime aux entreprises déjà présentes sur le marché qui bénéficient d’une position localement favorisée. Après une courte période d’observation (1967-1970), les entreprises de taille nationale vont procéder à des investissements d’une ampleur jusqu’alors inconnue, passer des accords de programmation et s’assurer rapidement des positions dominantes sur le marché. La constitution des circuits nationaux s’opère précisément dans ces années-là (1970-1974) par le regroupement et le développement d’entreprises d’exploitation de salles.

• Le réveil de l’UGC

  • 23 Le Monde, 14-15 février 1971.

73La nouvelle géographie exploitante dans la banlieue parisienne illustre le partage explicite du marché qui s’est effectué. Ce partage, officiel, et dont la validité demeure tacite (1995), n’a été rendu possible que par la cession de l’UGC par l’État. Possédant la totalité des parts, les représentants des pouvoirs publics ont entériné le 1er mars 1971 les accords conclus le 5 février entre l’État et deux groupes d’exploitants privés23, l’UCIDEX et l’UFIDEX, rachetant respectivement 51 % et 49 % des parts de l’UGC. L’aspect extraordinairement favorable - certains l’estimant scandaleux - de la cession résultait moins du prix payé (59,2 millions F) assez proche, même si légèrement sous-estimée, de la valeur réelle des actifs, que des modalités financières de la vente et du cadre juridique dans lequel vont évoluer les principaux nouveaux actionnaires.

74L’UGC constituait la seule entreprise publique d’exploitation (22 écrans dont 6 à Paris), programmant par ailleurs 70 autres salles et réalisant en 1970 environ 3,5 % des recettes françaises. Ses déficits financiers répétés qui avaient attiré l’attention de la Cour des comptes allaient servir d’argument légitimant sa cession à un secteur privé mettant en avant son réel dynamisme.

75En payant comptant, l’UFIDEX acquit 49 % du capital (29 millions) grâce aux apports personnels, par emprunt (auprès du Crédit national) ou fonds propres, de la centaine d’exploitants qui composaient ce premier GIE de financement. Une autre société à capital variable, l’UCIDEX, composée des exploitants les plus importants de l’UFIDEX, souscrit 51 % du capital. Cette part est équivalente au montant des prêts consentis par différentes banques, publiques et privées. Le contrôle de la société revenait donc à une minorité d’actionnaires qui n’avaient (dans cette part reposant sur des prêts, certes gagés en partie sur leurs actifs) versé aucun centime, excluant dès les origines la majorité des actionnaires qui avaient engagé leurs entreprises.

  • 24 Noramment, in : « La Cinématographie française », Le Film français, n° 1513, 28 décembre 1973.

76Mais le privilège fiscal exorbitant de l’opération réside dans les modalités de remboursement de ces prêts, sur dix ans. Il va en effet s’effectuer par prélèvement de 2,50 % sur les recettes hebdomadaires des salles concernées, ce qui revient à dire que les salles se sont elles-mêmes rachetées. Et surtout, ces prélèvements, donnant droit à des actions en contrepartie (augmentant l’actif des associés), ont été sortis par dérogation spéciale du ministère des Finances du régime commun, comme s’il s’agissait fiscalement de charges d’exploitation, c’est-à-dire soustraites à l’impôt sur les bénéfices (50 %). Contrairement aux nombreux démentis publics de J.-C. Édeline24, il y a bien eu à la fois différé de paiement et exonération totale d’impôts : en toute légalité, l’État a gracieusement cédé près de la moitié des actifs de l’UGC, les actionnaires minoritaires finançant l’autre moitié, au profit exclusif d’une poignée de personnes.

  • 25 P. et J.-C. Édeline, C. Condroyer, Guy et René Verrecchia, M. Puren, E. de Fesquet (GRP), P. Hellma (...)

77Autour de J.-C. Édeline, qui devient son P.-D.G. le 1er mars 1971, vont se rassembler les membres fondateurs de l’UGC25, et va fonctionner un conseil d’administration composé des représentants des deux GIE de financement, l’UFIDEX et l’UCIDEX. La centaine de membres affiliés représente 600 salles en France, dont 120 à Paris et dans la périphérie, et sont regroupés au sein de neuf GIE régionaux réalisant 200 millions F de CA, soit près du quart du marché cinématographique. La cession s’était opérée sous réserve du respect d’un cahier des charges, au demeurant fort peu contraignant : maintien de l’objet social de l’UGC ; conservation du réseau de salles existant ; garantie d’emploi de deux ans pour le personnel en fonction lors de la cession ; fonctionnement non monopolistique sur le marché ; concours technique aux petits exploitants (« dans des conditions à déterminer ») ; accueil des exploitants indépendants au sein de la société ; projections de films français au moins 72 semaines tous les trois ans. Si les nombreux vœux pieux étaient difficilement contrôlables, le non-respect de cette dernière clause entraîna quelques remontrances, mais aucune sanction particulière.

  • 26 Le Film français, n° 1407, 10 octobre 1971.

78Ce cahier des charges semblait quelque peu dérisoire face à la formidable montée en puissance que la nouvelle direction va impulser à l’UGC. Elle va se vanter que désormais - l’UGC ouvre une salle toutes les 42 heures26 », ce qui durant ces mois exaltés, et en tenant compte de l’ensemble des adhérents du groupe, était assurément exact (tableau XIV). En 1972, à Paris, le Rex se rajoute 5 écrans et reprend la tête du box-office national, le Marbeuf et l’Odéon l’imitent, tandis qu’en province l’UGC construit 6 écrans à Metz, autant à Lille.... À partir de 1978, la phase de restructuration du circuit ayant été menée à bien, les investissements vont cesser pour faire place aux amortissements durant plusieurs années.

Tableau XIV - Part des complexes dans UGC SA

Tableau XIV - Part des complexes dans UGC SA

(Sources : UGC. Le Film français)

• La montée en puissance des autres circuits nationaux

79Avec 600 salles programmées par Pierre Édeline, l’UGC et sa structure favorisent la coopération entre exploitants juridiquement indépendants et semblent avoir profondément modifié - et perturbé - le marché des salles (voir infra). Son dynamisme et les accords de programmation entre Pathé et Gaumont vont interagir entre ces groupes, les poussant à acquérir une véritable taille nationale.

- Parafrance

  • 27 Le Film français, n° 1323, 9 janvier 1970.

80Jo et Samy Siritzky vont cependant adopter une stratégie un peu différente pour leur entreprise. Estimant qu’une présence sur tout le territoire était inutile, ils vont concentrer leurs implantations dans les villes universitaires et en expansion : Aix-en-Provence, Nice, Nancy, Toulouse, Grenoble, Bordeaux... Ils militent par ailleurs pour le maintien d’une hiérarchisation de passage stricte entre les salles, « on ne vend pas en même temps le livre de luxe et le livre de poche27 », c’est-à-dire contre la généralisation de l’exclusivité... que leurs salles diffusent (tableau XV).

Tableau XV - Évolution du nombre de salles Parafrance (1954-1975)

Tableau XV - Évolution du nombre de salles Parafrance (1954-1975)

(Source : Le Film français)

81En février 1967, une alliance avait englobé les salles Paramount (29 établissements regroupant 32 écrans à Paris, et 10 écrans en province) puis Publicis. Poussés par la concurrence, ils vont ensuite imiter l’accord Pathé-Gaumont en septembre 1972 en mettant en commun leurs salles et celles d’Océanic, représentées par Raymond Gautreau, principalement implantées dans une cinquantaine de villes clés en province. Les 148 salles (33, à Paris) du nouveau circuit de programmation engendraient 130 millions de francs. Les prestigieuses salles parisiennes, qui en réalisaient près de la moitié, vont également se transformer en complexes en 1973 : 3 écrans au Paramount-Opéra, 2 au Max-Linder, au Marivaux, 4 porte Maillot...

  • 28 Les Publicis Élysées et Saint-Germain, les Paramount Odéon et Élysées, les Triomphe, Balzac, Lord-B (...)

82Les combinaisons de sortie de films, qu’ils réussissaient à mettre en place sur Paris avec les autres salles qu’ils possédaient ou programmaient28, leur assuraient une place de premier plan dans l’exclusivité. Également distributeurs (14 millions de CA), ils privilégièrent cependant leurs investissements dans l’exploitation. Après avoir investi vingt millions de francs en 1971 dans le rachat de salles existantes, ils vont créer quinze nouvelles salles jusqu’en 1975, ce qui permit à Parafrance de devenir le quatrième circuit national. Comme pour les autres circuits, l’effort d’agrandissement se ralentit dans la seconde moitié des années 1970, Parafrance se contentant d’agrandir certains complexes existants.

- Gaumont

  • 29 Avec plus de 1,2 million d'entrées annuelles, le Gaumont-Palace se disputait la première place du b (...)

83La plus ancienne société d’exploitation française illustre la mutation en cours. Son plus grand vaisseau, le Gaumont-Palace, avait traversé la période de l’Occupation sans trop d’encombrés, et s’était rénové en 1954 pour accueillir le plus grand écran du monde. La baisse de fréquentation va proportionnellement plus le toucher29, l’obligeant à réduire régulièrement sa capacité : 4 670 places jusqu’en septembre 1959, 4 200 ensuite, puis 3 500 à partir d’octobre 1960... jusqu’à 2 000 places à la fin des années 1960, loin désormais derrière le Rex (3 292 places). En octobre 1970, il va se transformer en Gaumont-Palace Music-Hall, mais le groupe devra se résoudre à sa fermeture définitive le 31 mars 1972, et en décembre commençait la démolition du symbole d’une époque du cinéma.

  • 30 Le Gaumont-théâtre, le Festival, le Richelieu à Paris, le Dijon I, le Club et l'Olympia de Bordeaux
  • 31 À Paris, le Montrouge devient le Gaumont-Sud (4 écrans), les 3 Convention s'adjoignent un quatrième (...)

84Mais les 14 écrans parisiens et les 23 de province représentaient 80 millions F (1972), les recettes du groupe ayant jusqu’à présent continué à croître plus que proportionnellement aux entrées (tableau XVI). Gaumont, qui avait déjà divisé le Convention Paris (en trois écrans) et le Rex (Marseille), va également se lancer dans un lourd programme d’investissements dans ces années charnières : 15 millions vont être consacrés à la rénovation de 6 salles30 et à la construction de 24 autres sur des sites déjà existants31, la dernière salle de quartier du groupe (le Gambetta) devenant un complexe de trois écrans en 1973.

Tableau XVI - Évolution de la Gaumont : 1968-1971

Tableau XVI - Évolution de la Gaumont : 1968-1971

(Source : SNEG)

85En 1974, Nicolas Seydoux est nommé vice-président et directeur général de Gaumont, et les accords de programmation avec Pathé sont renouvelés, donnant au GIE la première place au sein de l’exploitation. Avec l’arrivée de D. Toscan du Plantier comme directeur-adjoint en mars 1975, une politique de développement tous azimuts va être développée (voir infra) : implantation de salles à l’étranger (Italie, Brésil...), productions audacieuses et originales...

86En 1977, Gaumont possédera 34 établissements regroupant 96 écrans, taille légèrement supérieure à son partenaire dans l’exploitation.

- Pathé

  • 32 En 1952, elles étaient toutes situées dans les arrondissements périphériques et comprenaient 400 à (...)

87La société Pathé était demeurée la plus petite entreprise nationale de l’époque au niveau de l’exploitation. Par la vente de salles de quartier, la vingtaine de salles du début des années 1950 (dont 16 à Paris)32 diminuera jusqu’à 16 en 1968, mais cette entreprise va cependant être la première à se lancer avec succès dans la partition de ses salles, anticipant la stabilisation nationale de la fréquentation. Le circuit réalisera 3,1 millions d’entrées en France en 1968, 3,7 en 1969, 4 en 1970 (tableau XVII)...

Tableau XVII - Fréquentation de salles transformées et du circuit Pathé (1966-1971)

Tableau XVII - Fréquentation de salles transformées et du circuit Pathé (1966-1971)

(Source : Le Film français)

  • 33 Le Film français, n° 1793, 4 janvier 1980.

88Les trois années suivantes vont également être pour Pathé une période de forts investissements, 40 millions de francs étant consacrés à des transformations de mono-salles : 4 écrans à Lyon (1972), 3 à Lille (1973), 4 écrans au Montparnasse-Pathé de Paris (1974). Deux ans après la création du complexe de Belle-Épine (septembre 1971), un quatrième écran lui sera adjoint, deux autres étant construits au Pathé-Canebière, trois autres place Clichy, un cinquième à Montparnasse... Des 16 salles de 1968, Pathé va se retrouver à la tête de 27 écrans en 1971, puis 75 écrans au début de 1974. À la fin de la décennie, ses 25 établissements accueilleront 92 écrans, dont 77 en propriété directe33.

• Les entraves à la concurrence

  • 34 Rapport « Delocque Fourcaud », Paris, 1979.

89Les trois groupements nationaux de programmation, Parafrance, Pathé-Gaumont et l’UGC, en sus de se développer horizontalement, le firent verticalement à travers leurs filiales de distribution, voire de production. Leur poids sur le marché des salles, et particulièrement sur Paris et sa région, fut rapidement acquis en systématisant des pratiques assez éloignées du respect de la libre concurrence, ce que « l’affaire Cometti » ne fit que mettre en relief. Propriétaire du « Rio » de Livry-Gargan en banlieue nord-est de Paris, M. Cometti demanda en 1971 à l’UGC d’assurer la programmation de sa salle. L’UGC refusa, ainsi d’ailleurs que Parafrance et Gaumont-Pathé auxquels il s’adressa, le marché ayant été partagé entre les circuits, ce que confirmera la future Commission de la concurrence34.

  • 35 Jack Ralite, in : Le Film français n° 1836, 12 décembre 1980.
  • 36 G. Grégoire, in : Le Film français n° 1832, 14 novembre 1980.

90En 1973, M. Cometti écrivit au CNC pour lui demander d’imposer l’égalité de passage entre les salles du secteur. M. Viot, directeur général du CNC, consulta la commission ad hoc qui rejeta cette égalité en juin 1974, mais préconisa que les exploitants en cause ne puissent se prévaloir d’une priorité systématique dans le passage des films. M. Cometti demanda alors les films de son choix, mais « les distributeurs furent informés que les salles appartenant à l’UGC ne prendraient pas les films35 » en question. Les distributeurs ne le soutinrent donc pas, argumentant que la position commercialement peu avantageuse de sa salle « aurait fait perdre aux films en question des recettes importantes36 ». Il adressa alors plusieurs plaintes, la dernière l’étant pour « abus de position dominante, entente illicite et refus de vente », ce qui entraîna la saisine de la Commission de la concurrence. L’administration dressa procès-verbal à Walt Disney en 1975 et en 1977 pour refus de prestation de service, d’autres procès-verbaux étant également adressés à Parafrance et Planfilm, fondés sur une présomption d’intention du distributeur de refuser un film.

91Deux ans plus tard, la Commission des ententes rendit un avis retentissant, qui tranchait avec le « laisser faire » jusque-là observé, accablant les chaînes de télévision principales acheteuses de films, les pratiques professionnelles dans l’exploitation et la distribution, ainsi que les comportements des circuits. Sur ces derniers points, elle rappela notamment :

    • 37 Avis de la Commission de la concurrence, in : Bulletin officiel des services des prix, 20 octobre 1 (...)

    la position dominante des circuits, notamment sur le marché directeur parisien ; position qu’aucun d’entre eux n’assure seul, mais collectivement, et que s’il n’y a pas preuve d’une concertation préalable « chacun des circuits est assuré que les autres observent un comportement analogue37 » ; qu’ils réduisent la durée de passage, ou le taux de location, des films en fonction du succès obtenu ;

  • la nécessité pour les distributeurs de traiter avec au moins l’un des circuits pour assurer une rentabilité à leurs films ; leur incapacité commerciale de rompre avec l’un des circuits, et ce malgré les inobservations unilatérales des circuits à leur égard : bons de commande renvoyés avec retard, après changement unilatéral de certaines clauses (taux, durée de location...) ; que des menaces peuvent être employées sur ces clauses en vue de l’obtention de l’exclusivité d’un film sur une zone, et que des exploitants indépendants peuvent être victimes de ces comportements abusifs.... Tout en condamnant les positions dominantes au nom de l’article 50 de l’ordonnance n° 45 1483 du 30 juin 1945, elle a « invité » les circuits à établir un code de bonne conduite, tout en exigeant la cessation des pratiques actuelles.

92Ces dix années de procédure ont eu le mérite de mettre les vrais problèmes de la profession au grand jour. Elle a contribué à une prise de conscience des pouvoirs publics et à la mise en place de procédures pour tempérer ces abus liés à l’évolution de rapports de forces internes à l’exploitation.

93L’accès aux films détermine les valeurs marchande et concurrentielle d’une salle, qui influent en retour sur cet accès aux copies. La privation systématique de titres en sortie nationale, ou en égalité de passage avec des concurrents, ampute à la marge l’exploitant de recettes qui peuvent se montrer indispensables à son équilibre financier, donc à la survie de sa salle. Si cette égalité de passage peut, ponctuellement, diminuer la rentabilité de telle ou telle société de distribution, son interdiction répétée va conduire au déclassement relatif de la salle par rapport à ses concurrents. L’amenuisement de ses recettes, et donc de sa capacité d’investissements, l’empêche par ailleurs d’augmenter sa taille ou de se maintenir à un niveau matériel concurrentiel. Cela pourra lui être reproché et servir de nouvel argument pour ne pas lui fournir les films demandés... Cet effet cumulatif va entraîner de nombreuses fermetures dans ce marché mi-administré mi-concurrentiel. Ce sera, dans tous les cas, une perte de recette pour l’ensemble de la filière, distributeurs inclus, et un manque que l’on sait définitif d’une large fraction des spectateurs concernés.

  • 38 G. Grégoire, président de la FNDF, Le Film français, n° 1892, 5 mars 1982.

94La nécessité pour les pouvoirs publics d’intervenir pour corriger ces effets négatifs ne se concrétisera qu’après le changement de gouvernement en 1981, les distributeurs voyant avec soulagement « l’institution d’un médiateur pour régler les problèmes de concurrence en matière cinématographique38 ».

La fin de l’exclusivité

95Le développement des complexes et des circuits a provoqué d’autres modifications structurelles dans l’exploitation. La primauté va rapidement porter sur la programmation des films, l’importance étant d’ailleurs moins donnée à leur contenu qu’à leur « fraîcheur ». À la suite du développement des quartiers d’exclusivité, l’introduction massive de la télévision dans les foyers et l’apparition des complexes va bouleverser la segmentation du marché établie selon la date de passage du film.

• L’exclusivité parisienne

96Au milieu des années 1970, le GIE Pathé-Gaumont va programmer 446 écrans (10,5 % du parc, 13,5 % des fauteuils), représentant 315 millions de CA (24 % de la recette nationale), faisant quasi jeu égal avec l’UGC.

97Entre 1970 et 1974, le nombre de salles d’exclusivité va doubler, leurs entrées augmenter d’un tiers, et leurs recettes de deux tiers. Durant la même période, 20 % des autres salles vont disparaître, leurs entrées chutant de plus d’un tiers, leurs recettes diminuant de 12 % (francs courants). Cependant, cette évolution apparemment positive masque des conditions de rentabilité des exploitations totalement différentes. La chute de la fréquentation n’a été enrayée qu’au prix de lourds investissements, n’empêchant pas une diminution des recettes par écran. Sur Paris, ce n’est que l’augmentation de la taille du parc qui a permis de freiner la chute globale de fréquentation, la moyenne des entrées annuelles par écran continuant de diminuer, de 35 % pour les salles d’exclusivité, de 20 % pour les autres salles.

98Malgré la hausse des prix de leurs places, la moyenne des recettes des salles d’exclusivité a baissé de plus de 20 % en cinq ans, à laquelle il faut rajouter l’érosion monétaire. Seule la compression des charges fixes que permet le complexe cinématographique a réussi à compenser la chute de recette, cette innovation apparaissant alors comme seule véritable alternative à la fermeture des salles.

99À Paris, la fermeture des établissements s’est accélérée durant la décennie considérée, leur solde étant largement plus négatif (- 28) que durant la décennie précédente (- 8). La concentration géographique se poursuit, ainsi que la fermeture des établissements de tous les arrondissements périphériques (hors le 15e). Ce mouvement de fermeture d’établissements sera initialement masqué par la multiplication des écrans dans les complexes consacrés à l’exclusivité, phénomène qui va cependant amplifier l’effet de concentration de l’offre en certains quartiers : Quartier latin, Opéra-Boulevards, Champs-Élysées et Montparnasse. L’accroissement significatif du nombre d’écrans sur moins de la moitié des arrondissements révèle les principaux lieux de créations des complexes et traduit les zones d’enjeux pour les entreprises de l’exploitation. L’accélération de la concentration sur une demi-douzaine de quartier préfigure des affrontements de type oligopolistiques d’où les mono-écrans ont, déjà, disparu. À Paris comme dans toutes les villes, grandes d’abord, moyennes ensuite, cette course à l’investissement en certaines zones va rapidement aboutir à des affrontements pour leur partage ou leur domination. La clé de voûte en devient l’accès aux films avec un renforcement du rôle du programmateur et une modification de la notion d’exclusivité.

100Dès cette période, le concept de salle de cinéma n’est plus signifiant, et cette dénomination ne demeure plus qu’une commodité langagière. Il faut dès lors distinguer l’établissement cinématographique, lieu géographique déterminé où se rendent les spectateurs, qui peut comprendre un ou plusieurs écrans (ancienne salle de cinéma stricto sensu), lieu physique dans lequel ils pourront s’asseoir, le film y étant projeté.

• L’exclusivité devient la norme

  • 39 Cité par Le Film français, n° 1330, 27 février 1970.

101En 1937, Léon Siritzky qui exploitait le Marivaux sur les grands boulevards pouvait faire sa publicité pour La Grande Illusion en notant que « ce film ne sera projeté dans aucune autre salle avant un an39 », ses successeurs ont vu l’apparition de deux quartiers d’exclusivité après guerre, puis d’un troisième et d’un quatrième dans la décennie suivante. En 1970, Borsalino va battre un record de diffusion (qui ne cessera d’être pulvérisé année après année), soit... douze salles pour Paris et sa périphérie. Cette recherche de la recette maximale dans un délai raccourci va également servir les distributeurs qui en attendent un meilleur rendement pour leurs dépenses publicitaires. Mais cela se fera au prix de la perte de l’acception initiale de l’exclusivité, comme point de départ de la segmentation contrôlée de diffusion dans le temps.

102Les salles d’exclusivité - c’est-à-dire diffusant habituellement un film dès le jour de sa sortie nationale - vont réaliser (sur Paris) plus de la moitié des entrées globales dès 1968, et elles vont devenir majoritaires en nombre en 1972. La notion d’exclusivité, qui s’est étendue d’une salle à un quartier de salles dans les années 1960, va désormais simplement définir un mode d’exploitation, jusqu’à perdre son sens originel. La rotation des films s’accélérant, l’usure économique et la demande des spectateurs se raccourcissant dans le temps, le coût des films tendant à augmenter alors que la fréquentation n’avait cessé de baisser durant douze ans, il importait à toute la filière d’accélérer l’amortissement des titres et donc d’augmenter les combinaisons initiales de salles.

103Parafrance et J.-C Édeline vont être les promoteurs de cette nouvelle stratégie de l’exploitation. En 1969, l’exclusivité apparaît dans la banlieue parisienne dans les complexes nouvellement créés. Programmant l’exclusivité en même temps que les Champs-Élysées, ces salles vont bouleverser cette notion et changer radicalement la perception de la nouveauté chez les spectateurs. Apportant les films près du lieu de résidence du public, ce dernier va initialement accueillir cette modification comme un élément de valorisation des salles, d’autant plus qu’elles sont neuves, confortables. Même si elles pratiquent des prix nettement plus élevés, cette différenciation par rapport aux salles de quartier traditionnelles sera un succès sans précédent qui, seul, explique la stabilisation de la fréquentation durant la douzaine d’années qui va suivre.

  • 40 Notamment par l'accroissement des charges financières. Pathé les ayant ainsi vu augmenter de plus d (...)

104Pour rentabiliser les investissements consacrés aux complexes qui obèrent les comptes d’exploitation des entreprises40, la course à l’accès aux copies dans un délai raccourci va donc être lancée. D’où la nécessité de regroupements des salles en circuits de programmation, d’abord pour constituer une demande économiquement plus forte face aux distributeurs, et ensuite pour s’accaparer la plus grande part du marché, dans une âpre lutte concurrentielle.

105Alors qu’à l’arrivée des complexes le nombre de salles programmées par une entreprise nationale était négligeable (6,4 % du parc parisien en 1967), dix ans plus tard elles vont représenter la moitié du parc : 18,6 % pour l’UGC, 10,4 % pour Parafrance, 7 % pour Multiciné, 6,8 % à Gaumont et 6,4 % à Pathé. Leurs lieux d’implantation accentuent l’illustration de l’évolution géographique de la consommation cinématographique, puisque ces circuits nationaux représentent plus des deux tiers des écrans dans les nouveaux quartiers en expansion, l’UGC dominant largement.

• Un nouveau rythme d’exploitation des films

  • 41 Sur quelques détails de la naissance du ciné-chiffres : Jean-Michel Frodon, L Âge moderne du cinéma (...)

106En 1972-1974 apparaissent donc de nouveaux réflexes dans toute la profession, à commencer par cette fixation sur les résultats du box-office des films lors de leur première semaine, la survie de l’ensemble des acteurs se faisant peu à peu au détriment de carrières individuelles. Symptomatiquement, en octobre 1973 va être créé le Ciné-chiffres, publication regroupant les résultats quotidiens des salles d’exclusivité de Paris-périphérie, puis de quelques grandes villes de province41.

107Jusqu’en 1973, une sortie sur plus de 20 salles sur Paris-périphérie correspondait à un titre exceptionnel, et 25 écrans représentaient un maximum absolu. Neuf ans plus tard, les sorties dans ces combinaisons sont courantes, et L’As des As va établir un record (provisoire) avec 52 écrans pour l’accueillir le jour de sa sortie. Un premier saut quantitatif s’opère en 1976 avec l’apparition de combinaisons supérieures à 30 écrans et avec 45 films bénéficiant d’une combinaison initiale supérieure à 20 écrans, et un second en 1980 avec deux films qui vont occuper plus de 40 écrans et 80 autres plus de 20 écrans.

108La décennie s’achève avec, en moyenne, chaque semaine, deux titres qui occupent plus de 20 écrans, alors qu’elle avait débuté en offrant une telle combinaison à deux titres... dans l’année (tableau XVIII).

Tableau XVIII - Évolution du nombre de films occupant plus de 20 écrans le jour de leur sortie

Tableau XVIII - Évolution du nombre de films occupant plus de 20 écrans le jour de leur sortie

(Source : le Film français)

  • 42 Gilbert Grégoire, Le Livre blanc des distributeurs, FNDF, 1974.
  • 43 Le Film français, n° 1854, 17 avril 1981.

109Les tandems et tridems se sont généralisés dans toutes les villes, ou quartiers de villes. Sur Paris et sa périphérie, le nombre d’écrans participant à la sortie d’un titre croissant au fil des ans, il va accélérer les succès pour ceux qui en bénéficient, et les échecs pour nombre d’autres films. Ainsi, le plus gros succès de 1971 (Le Cassé) avait mobilisé 16 écrans lors de sa sortie, mais il en faudra 26 à Rabbi Jacob en 1973, 32 à L’Espion qui m’aimait en 1977, 36 à Moonraker en 1979, 45 à Rien que pour vos yeux en 1981... L’inflation des devis et l’érosion monétaire s’accélérant, les distributeurs, qui ont eux-mêmes des demandes pressantes des producteurs, vont insister auprès des exploitants pour obtenir une récupération accélérée des sommes investies. Le développement des complexes va permettre de répondre à leur demande, en faisant rapidement passer l’exploitation des titres de sa forme extensive sur une longue période, à une forme intensive sur un nombre d’écrans de plus en plus grand, mais sur une période qui va être de plus en plus brève. Les combinaisons d’écrans occupés par un titre lors de sa sortie vont croître régulièrement, triplant sur la décennie, le succès rencontré, loin d’être proportionnel, n’augmentant que d’environ 50 %. Mais globalement, les résultats et le nombre des films en exclusivité vont rapidement tendre à la hausse, doublant en une décennie. La concentration des entrées sur un faible nombre de films n’est pas nouvelle, mais le phénomène va s’accentuer : en 1973, les 100 premiers films ont réalisé la moitié des recettes, les 208 premiers (5 % des films exploités) les trois quarts. La durée économique du film va également continuer de diminuer. Alors qu’en 1963 un film attirait dans sa première année d’exploitation 73 % des spectateurs de sa carrière et 80 % de ses recettes, dix ans plus tard ces 80 % de recettes lui seront acquises dans les quatre premiers mois de son exploitation (69 % dans les trois premiers mois), la première année lui en assurant 94,60 %42. Le raccourcissement des délais et la concentration des entrées vont continuer à progresser. À la fin de la décennie, si l’on pouvait d’affirmer que - tout se joue en trois mois43 », il était cependant possible de noter de nombreuses disparités dans cette évolution.

110Géographiques d’abord, Paris et sa périphérie jouent un rôle moteur dans le démarrage et l’amortissement initial des films, réalisant 80 % des entrées de la première semaine d’un titre, l’équilibre avec la province n’étant atteint qu’au début du deuxième mois (tableau XIX).

Tableau XIX - Répartition chronologique et géographie de la fréquentation : 1979

Tableau XIX - Répartition chronologique et géographie de la fréquentation : 1979

(1) en millions de spectateurs. (Source : CNC)

111Cette première semaine d’exploitation sur Paris-périphérie représente alors 6 % des entrées de la carrière globale des titres : l’enjeu du contrôle de ce marché ne peut en être que plus vif. La durée de vie d’un film est la plus courte en banlieue (la moitié de ses entrées est réalisée en trois semaines, 89 % en trois mois), puis à Paris (84 % en trois mois). La province exploite les films plus lentement, réalisant la moitié des entrées France au début du quatrième mois, alors qu’elle en réalisera les deux tiers en fin de carrière du film. Avec 20 % des écrans, la région parisienne réalise donc le tiers des entrées restant, le quart étant atteint au cours du deuxième mois.

112La multiplication de l’offre et l’exploitation intensive des titres vont abolir, dans un double mouvement, la raison d’être des grandes salles : d’abord parce que l’offre de films augmentant il fallait augmenter le nombre d’écrans, ensuite parce que le nombre de lieux d’exploitation d’un même titre s’accroissant, l’espérance unitaire de recette (et donc du nombre de spectateurs) de chaque écran diminuait. La rentabilisation de tels lieux devenant problématique, l’évolution du marché a ainsi rapidement rendu l’offre de grandes salles obsolète. Malgré la vague de fermeture des années 1960, le nombre moyen de fauteuils par écran était resté relativement stable. C’est l’apparition de la deuxième génération de salles qui va provoquer une diminution continue de l’offre unitaire de places à partir de 1971, celle-ci ne tendant à se stabiliser que vingt ans plus tard, au début des années 1990 (fig. 10).

Fig. 10 - Évolution du nombre de fauteuils par écran

Fig. 10 - Évolution du nombre de fauteuils par écran

(Source : CNC)

Les vieux combats corporatifs

• Le prix des places

113Durant les années 1970 encore, il faut souligner l’influence déterminante de la réglementation, en particulier celle des prix qui évoluent de blocages en augmentations encadrées, et contre lesquels ne cessent de se battre les exploitants et les distributeurs. Si l’exploitation se plaint de l’encadrement continu des prix, c’est surtout en raison des forts investissements qu’elle vient de consentir et de l’augmentation rapide des coûts salariaux faisant suite aux mouvements revendicatifs des années 1968-1974.

  • 44 M. Labrusse, Rapport du groupe Cinéma du VIe plan, mars 1971.
  • 45 5,50 F au 1er juillet 1972 avec des augmentations de 0,20 F et 0,30 F pour les places inférieures à (...)

114Les prix de place, qui avaient été bloqués en juillet 1967, vont voir la TSA ne plus y être intégrée en avril 1968, des paliers complexes de majoration étant consentis les mois suivants. Alors que le franc est dévalué (de 12,50 % en août 1969) et que la TVA va être étendue à l’exploitation (17,60 %) en janvier 1970, quelques hausses parcimonieuses vont être autorisées. Seules les salles « art et essai » continuent de bénéficier de la liberté de fixer leurs prix, et la liberté totale ne cesse d’être demandée, appuyée par les experts du VIe plan qui estiment que « la pression inflationniste n’est pas démontrée44 ». Mais les pouvoirs publics se contentent d’établir des prix planchers qu’ils relèvent régulièrement45.

  • 46 J.-C. Édeline, in : Le Film français, n° 1531, 3 mai 1974.

115Depuis 1957, ce blocage est inflationniste car il pousse les salles à augmenter les prix dès que la possibilité se présente, mais sans toujours savoir si le public suivra. De ce fait, « la pensée administrative prend le pas sur la pensée commerciale, et l’exploitant se trouve dépossédé de son réflexe vis-à-vis du client46 ». Et, depuis 1967, il est également accélérateur de la construction d’écrans, puisque les nouvelles salles peuvent pratiquer un nouveau prix, naturellement plus élevé. Pour compenser ces pertes - au moins subjectives - de recettes, ce blocage va inciter la profession à multiplier les parades, une d’entre elles se trouvant être l’accroissement des combinaisons de sorties. Même s’ils poussent à la hausse, il nivelle de fait le prix de l’exclusivité par le bas, les salles d’exclusivité présentes sur le marché étant toujours plus nombreuses, et moins chères, que les nouvelles entrantes.

116Alors que la fréquentation s’est stabilisée à partir de 1969, les prix vont continuer d’augmenter plus vite que l’inflation durant huit années encore, déconnectant l’hypothétique causalité que certains avaient cru déceler entre l’augmentation du prix des places et la baisse de fréquentation (fig. 11). Les hausses de prix ne vont se ralentir qu’après la fin de la phase principale de construction des complexes, la mutation étant presque achevée, et les besoins de trésorerie moins pressants (1976-1977).

Fig. 11 - Fréquentation et prix de places : 1958-1981

Fig. 11 - Fréquentation et prix de places : 1958-1981

(source : CNC)

• La longue marche vers le 7 %

  • 47 A. Astoux, directeur général du CNC, remis un rapport en juillet 1970 pour défendre un taux de 7 %, (...)
  • 48 E. Michelet, A. Bettencourt, J. Duhamel, M. Druon, M. Guy, F. Giroud, M. d'Ornano, J.-F. Lecat.
  • 49 Avis présentés par leurs rapporteurs : n° 2011 du 8 octobre 1971 de M. André Beauguitte, n° 2586 du (...)
  • 50 Avis n° 28 du 18 novembre 1971 et n° 100 du 21 novembre 1974, n° 66 du 23 novembre 1976 de M. Georg (...)
  • 51 Notamment dans le rapport du groupe Cinéma du VIe plan, présidé par M. Bertrand Labrusse en mars 19 (...)
  • 52 Rappelés par son directeur général de l'époque, A. Astoux, in : Ce maudit cinéma, J.-C Lattès, Pari (...)

117Le 1er janvier 1968, l’application de la TVA fut généralisée dans les secteurs d’activité de France. Pour le cinéma, des quatre branches, seule l’exploitation en fut curieusement exclue, restant redevable de l’impôt sur les spectacles. Il fut supprimé le 1er janvier 1970 au profit de cette TVA, à un taux de 17,60 %, tout le monde, y compris les pouvoirs publics et leurs représentants47, s’accordant pour trouver le taux trop élevé pour ce secteur culturel. Durant huit ans, malgré les avis favorables des huit ministres de la Culture successifs48, de ceux des commissions des affaires culturelles de l’Assemblée nationale49 et du Sénat50, des commissions du Plan51, de toutes les organisations professionnelles réunies au sein du BLIC (Bureau de liaison des industries du cinéma) et du CNC52, le ministère des Finances refusa de céder. Ce ne fut que le 1er novembre 1979 que la profession obtint satisfaction : la TVA passera enfin à 7 %.

• Les distributeurs

118Les distributeurs avaient rencontré de grandes difficultés lors de la décennie précédente, liées à la chute de la fréquentation, leurs effectifs passant de 171 en 1957 à 113 en 1970, date à partir de laquelle, avec la stabilisation de la fréquentation, leurs effectifs vont légèrement augmenter. Cette embellie profitera principalement aux plus petits d’entre eux, le degré de concentration tendant à s’amoindrir.

  • 53 Artistes associés, Cinédis, Ciné-sélection, Cocinor, Columbia, Comacico, Corona, Discina, Fox, Gaum (...)
  • 54 Gilbert Grégoire, op. cit.

119En 1957, il demeurait 19 sociétés de taille nationale53 se partageant 63 % du CA de la branche. Une dizaine d’autres sociétés avaient une activité sur plusieurs régions, 145 ne l’exerçant que sur une seule. Quinze ans plus tard, il ne restera plus que 4 sociétés ayant une activité sur tout le territoire par l’intermédiaire d’agences établies dans chaque légion. La plupart des antennes régionales (74 sur 114)54 ont dû fermer leurs portes durant cette période, distendant le lien avec les exploitants, les contrats étant de plus en plus négociés au téléphone à partir de Paris, les projections corporatives ne restant plus qu’un vieux souvenir.

120Jusqu’en 1969, les 20 plus grandes sociétés réalisaient entre 85 et 90 % du CA total de la branche ; à partir de cette date, leur part va régulièrement diminuer pour en représenter moins de 80 %. Mais elles distribuent chacune plus de 120 films par an alors que le nombre moyen de titres distribués oscille entre 20 et 40 entre 1960 et 1975, 80 % des distributeurs ayant moins de 60 titres en portefeuille. Ce sont surtout les distributeurs de taille médiane (60 à 100 films) qui vont disparaître, leurs effectifs passant de plus de 50 au début des années 1960, à une douzaine une décennie plus tard. L’hétérogénéité du secteur, qui est l’une de ses faiblesses, a toujours été plus accentuée que dans le secteur de l’exploitation. Également réunis au sein d’une Fédération nationale (des distributeurs français), ils vont souvent agir de concert avec les représentants de l’exploitation, tant sur le problème de la libéralisation des prix de places, de la baisse de la TVA, que de la limitation de la diffusion de films à la télévision.

121La multiplication des complexes et la généralisation de l’exclusivité augmentèrent les frais d’éditions (de copies) et de lancement (publicité) des films. Les circuits, qui développeront leur propre distribution, vont s’associer aux radios (Europe 1 pour UGC, RMC pour Parafrance) pour disposer d’un support publicitaire pour leurs films. Disposant de l’intégralité de la recette pour les films qu’ils distribuent et diffusent en s’adossant sur leurs réseaux de salles, leur influence ne va également cesser de s’accroître au sein de la distribution.

122Le classement des distributeurs selon les entrées réalisées par leurs films, nonobstant les inévitables fluctuations liées au succès de quelques titres, montre plusieurs évolutions profondes sur la décennie (tableau XX). La moitié des distributeurs importants à la fin des années 1960 vont disparaître avec l’évolution du marché (Valoria, 2e en 1969, disparaît en 1975.), ou devenir mineurs : SNC-Impéria 4e en 1973 devient 26e en 1980, évolution analogue pour Prodis.... A l’inverse, trois des plus grands (CIC, AMLF et UGC) n’avaient pas d’activité (significative) dix ans auparavant ; parmi eux, les deux français sont liés à un circuit de salles. Parafrance bénéficie aussi, mais dans une moindre mesure, de son intégration verticale, et par ailleurs, Gaumont, qui avait une activité déjà importante, prend durablement la première place du box-office. Le tournant de ces évolutions se situe dans les années 1976-1978, après achèvement des principaux investissements en salles et généralisation de l’exclusivité.

Tableau XX - Rangs des principaux distributeurs (entrées Paris-périphérie)

Tableau XX - Rangs des principaux distributeurs (entrées Paris-périphérie)

Entrées des salies classées, du 1er septembre au 31 août (Source : Le Film français)

123La stratégie de développement et d’intégration des différentes activités de la filière a incontestablement réussi aux entreprises nationales qui l’ont adoptée, les faisant ainsi accéder aux rangs de majors. Quels que soient les abus légaux, internes à la profession, qu’elles aient pu commettre pour y parvenir, les pouvoirs publics ne pourront rester insensibles au fait que ces sociétés, françaises, atteignent une taille suffisante pour prendre place sur ce marché trop longtemps dominé par des entreprises américaines (CIC, Artistes Associés).

• Cinéma et télévision

124Alertés par les professionnels, les pouvoirs publics avaient essayé en 1957 de se pencher sur les relations du cinéma et de la télévision, mais la commission nommée à cet effet n’avait guère apporté de solutions.

125En 1963, la FNCF avait assigné l’ORTF devant l’autorité judiciaire qui reconnut, au terme d’un procès qui dura neuf ans, la gravité des faits, mais sans lui donner la qualification juridique (concurrence déloyale, abus de position dominante) que les professionnels attendaient. Pour ces derniers cependant, la cause était entendue depuis longtemps : l’essor de la télévision (nombre de récepteurs, couverture du territoire par les émetteurs, augmentation du nombre de films diffusés) s’appuie sur le cinéma, mais provoque son déclin en salles.

  • 55 Mais il faudra attendre dix ans, 1977, pour que la vente annuelle des récepteurs couleurs dépasse c (...)

126La mise en service de la deuxième chaîne (18 avril 1964) avait augmenté le nombre de films diffusés et, durant une dizaine d’années, la croissance du parc de téléviseurs va épouser la courbe de l’augmentation du nombre de films diffusés sur les chaînes. La prochaine ouverture de la troisième chaîne (1er janvier 1973) augmentait les craintes des professionnels, d’autant que la couleur (apparue le 1er octobre 1967 sur la 2e chaîne) tendait à se généraliser55.

  • 56 « En 1973, l'ORTF a payé 19 051 492 francs pour l'acquisition des droits de diffusion de 333 films, (...)
  • 57 Pas de films pour les trois chaînes le samedi ; pour le dimanche avant 20 h 30, pas de film pour FR (...)

127Un modeste engagement pris en mars 1972 ne sera cependant pas respecté, et les distributeurs, qui n’encaissaient qu’un demi-centime56 par téléspectateur pour un film diffusé (contre 2,73 F en salle), réclamèrent une vraie politique commune avec la télévision. Après l’éclatement de l’ORTF en 1974 en sociétés de programmes distinctes tenues de respecter un cahier des charges, les obligations des chaînes à l’égard du cinéma prirent ainsi un caractère institutionnel et impératif, prévoyant notamment : un contingentement du nombre de films diffusés (508 par an) ; un quota de 50 % de films français ; des restrictions de programmation des films durant certains jours et heures57 qui vont apparaître comme des « sanctuaires » pour l’exploitation ; contribution au compte de soutien (11 millions en 1975, 20 en 1977) et crédits consentis à l’achat de films.

128Ces accords, bénéfiques pour l’économie de la filière cinématographique, sont cependant trop tardifs pour l’exploitation pour provoquer un réel changement de la perception de l’image télévisuelle chez le spectateur, et donc pour influer sur sa consommation de films en salles. S’il a déjà été souligné qu’il ne peut exister de corrélation statistique parfaite entre le développement d’un média et le déclin d’un autre, le changement des habitudes de loisirs demeure cause et effet du développement télévisuel au détriment du cinéma (fig. 12).

Fig. 12 - Évolution des comptes télévision et du nombre de films diffusés à la télévision : 1957-1980

Fig. 12 - Évolution des comptes télévision et du nombre de films diffusés à la télévision : 1957-1980

(Source : CNC)

  • 58 Le Film français, n° 1803, 15 mars 1980.

129Mais les années 1970 voient apparaître de nombreux autres supports sur lesquels vont pouvoir être enregistrées et diffusées les images animées. En décembre 1969, Electro Video Recording a présenté les premières vidéocassettes qui seront commercialisées six mois plus tard ; ce sera le point de départ d’une lutte commerciale avec les autres constructeurs (Sony, Matsushita...) pour l’imposition d’un standard. En juin 1971, la télévision par câble fait son apparition en France, le pay-per-view ayant déjà été expérimenté depuis plus de dix ans aux États-Unis. Quand débutera une nouvelle décennie, près d’un million de magnétoscopes auront été vendus, faible mais réelle présence d’un nouveau concurrent, tandis que la révolution de la décennie suivante vient de prouver son efficacité opératoire : la diffusion par satellite58.

Note

1 Notamment René Bonnell, in : Le Cinéma exploité, Paris, Éditions du Seuil, 1978, et Joëlle Farchy, in : Le Cinéma déchaîné, Paris, Presses du CNRS, 1992.

2 Antoinette Comiti-Duchemin, « Géographie des cinémas à Paris », mémoire de maîtrise, Paris I, 1968.

3 Les boulevards de la Madeleine à la porte Saint-Martin drainent 11 millions de spectateurs, ceux de Clichy-Rochechouart 10,5 millions, les Champs-Élysées 5 millions, le Quartier latin 4 millions, Montparnasse 3 millions.

4 Ordonnance du 20 juin 1945, décrets des 9 août 1953 et 24 juin 1958.

5 Jusqu'en 1969, la commission sur les ententes se réunira onze fois, émettant un avis favorable pour les 113 demandes qui lui seront présentées.

6 « La fréquentation et l'intérêt du cinéma en France », CNC, Paris, 1970, in : Bulletin d'information, n° 126, décembre 1970.

7 R. Bonnell, op. cit.

8 Un premier dossier complet lui est consacré dans un numéro spécial du Film français, n° 200, du 15 octobre 1948.

9 Par exemple, durant la semaine du 15 au 21 janvier 1949, il en sera ainsi d'Une si jolie petite plage, avec G. Philippe (le dimanche à 19 h), et d'Allemagne année zéro, de R. Rossellini (samedi à 21 h) qui sortira en salles le 2 février...

10 Le Madeleine-cinéma (Gaumont) retransmet les images télévisées sur un écran de 4 mètres de base le 4 décembre 1950.

11 « Le cinéma français, perspectives 1970 », enquête SEMA parue dans le Bulletin d'information, n° 91, CNC, février 1965.

12 A. Astoux, directeur général du CNC, conférence de presse du 5 décembre 1969.

13 F. Lacloche, in : Gaumont : 90 ans de cinéma, Paris. Ramsay, 1986.

14 Il possédait les Grand Pavois bâbord et tribord (15e), les Studio Obligado A et Β (17e)... Il spécialisera le Brady (10e) et le Styx (5e) dans les films de terreur (1968), reconvertissant ce dernier dans l'art et essai en 1976, puis dans le fantastique en 1978 ; le Colorado (18e, en 1972) diffusera des films érotiques... S'il s'occupe de la gestion, il se retrouve rapidement (1974) à la tête de 21 salles parisiennes avec son jeune neveu Gaston Douvin, chargé de la programmation.

15 Le Film français, n° 1521, 22 février 1974.

16 Ils développeront un petit circuit de programmation qui comprendra à la fin de cette période (1981) le Nickel Odéon, le Mac-Mahon, les (trois fois deux) Action Lafayette, Christine et Écoles.

17 Idées sur l'exploitation cinématographique, J.-M. Causse, ronéoté, 1965.

18 Qui ne connaîtra, en temps qu'exploitant, un véritable essor qu'une quinzaine d'années plus tard avec les Reflets Logos et Médicis, l'Escurial, le Panthéon, puis le Républic, l'Arlequin...

19 Notamment dans ses nombreux discours et interventions (Le Film français années 1969-1971) et dans son « Étude de marché des salles de cinéma - Segmentation », FNCF, 1975.

20 Jean-Charles Édeline assura la création, le développement, la puissance du groupement d'intérêt économique Socogex, qui comprenait deux types de salles : celles appartenant en totalité ou majoritairement à la famille Édeline (Versailles, le Chesnay, Viroflay, Rueil-Malmaison, Bougival, Le Pecq, Saint-Germain-en-Laye, Élancourt, Mantes-la-Jolie), et celles de familles alliées, les Édeline y étant minoritaires initialement ou n'y ayant aucune participation : avec Lucien Galandrin aux Mureaux, à Maule, Gargenville, Melan, Triel, Verneuil, avec la famille Sovet à Châtenay-Malabry, Vélizy, Les Ulis, avec d'autres familles à Poissy. Cergy, Pontoise, Rambouillet, Conflans, Enghien, Montmorency, Chartres, Meaux...

21 Artel (A à D) à Nogent-sur-Marne, (1 à 3) à Villeneuve-Saint-Georges, (1 a 6) à Rosny-sous-Bois...

22 Argenteuil (Alpha 1 à 6), Saint-Denis, Épinay-sur-Seine, Deuil, Enghien...

23 Le Monde, 14-15 février 1971.

24 Noramment, in : « La Cinématographie française », Le Film français, n° 1513, 28 décembre 1973.

25 P. et J.-C. Édeline, C. Condroyer, Guy et René Verrecchia, M. Puren, E. de Fesquet (GRP), P. Hellmann (le Rex à Paris...), R. Aubert (Cannes), J.-P. Lemoine (Paris...), M. Guillaume (Sud-Est), R. Larriaga (Bordeaux), J.-P. Thirriot (Ardennes).

26 Le Film français, n° 1407, 10 octobre 1971.

27 Le Film français, n° 1323, 9 janvier 1970.

28 Les Publicis Élysées et Saint-Germain, les Paramount Odéon et Élysées, les Triomphe, Balzac, Lord-Byron, Vedettes, Atlas, Moulin-Rouge, Rio-Opéra…

29 Avec plus de 1,2 million d'entrées annuelles, le Gaumont-Palace se disputait la première place du box-office avec le Rex, qui va maintenir sa fréquentation et définitivement le supplanter à partir de 1960, puisqu'il ne cessera de chuter pour réaliser moins de 400 000 entrées en 1968 ; il se fera ensuite dépasser par d'autres salles (Berlitz, Paramount...).

30 Le Gaumont-théâtre, le Festival, le Richelieu à Paris, le Dijon I, le Club et l'Olympia de Bordeaux.

31 À Paris, le Montrouge devient le Gaumont-Sud (4 écrans), les 3 Convention s'adjoignent un quatrième écran, Le Madeleine un deuxième. Le mouvement touche toutes les salles de province : le Gaumont de Toulon (2 écrans), l'Omnia de Rouen (3), l'Empire de Nancy (2), celui de Reims (3).

32 En 1952, elles étaient toutes situées dans les arrondissements périphériques et comprenaient 400 à 2 000 places chacune. Il s'agissait des : Louxor-Pathé (10e, 462 places), Bagnolet-Pathé (20e, 608 pl.), Belleville-Pathé (19e, 827), Demours-Pathé (17e. 900), Royal-Pathé (17e, 903), Montparnasse-Pathé(l4e, 926), Sèvres-Pathé (7e, 970), Fééerique-Pathé (20e, 1 018), Sélect-Pathé (18e, 1 038), Lutetia-Pathé (17e, 1 113), Mozart-Pathé(l6e, 1 241), Métropole-Pathé (18e, 1 527), Lyon-Pathé (18e, 1 549), Orléans-Pathé (14e, 1 559), Secrétan-Pathé (19e, 1 837), Saint-Marcel-Pathé (13e, 2 017).

33 Le Film français, n° 1793, 4 janvier 1980.

34 Rapport « Delocque Fourcaud », Paris, 1979.

35 Jack Ralite, in : Le Film français n° 1836, 12 décembre 1980.

36 G. Grégoire, in : Le Film français n° 1832, 14 novembre 1980.

37 Avis de la Commission de la concurrence, in : Bulletin officiel des services des prix, 20 octobre 1979.

38 G. Grégoire, président de la FNDF, Le Film français, n° 1892, 5 mars 1982.

39 Cité par Le Film français, n° 1330, 27 février 1970.

40 Notamment par l'accroissement des charges financières. Pathé les ayant ainsi vu augmenter de plus de 26 % entre 1967 et 1970 (Le Film français, n° 1438, mai 1972).

41 Sur quelques détails de la naissance du ciné-chiffres : Jean-Michel Frodon, L Âge moderne du cinéma français, Paris, Flammarion, 1995.

42 Gilbert Grégoire, Le Livre blanc des distributeurs, FNDF, 1974.

43 Le Film français, n° 1854, 17 avril 1981.

44 M. Labrusse, Rapport du groupe Cinéma du VIe plan, mars 1971.

45 5,50 F au 1er juillet 1972 avec des augmentations de 0,20 F et 0,30 F pour les places inférieures à 10 F, puis de 0,20 F pour toutes le 19 juin 1974 avec prix-plancher de 6,60 F qui passera à 8,25 F le 28 janvier 1976.

46 J.-C. Édeline, in : Le Film français, n° 1531, 3 mai 1974.

47 A. Astoux, directeur général du CNC, remis un rapport en juillet 1970 pour défendre un taux de 7 %, ce que son ministre de la Culture, E. Michelet, approuva, mais ne pu défendre pour cause de maladie.

48 E. Michelet, A. Bettencourt, J. Duhamel, M. Druon, M. Guy, F. Giroud, M. d'Ornano, J.-F. Lecat.

49 Avis présentés par leurs rapporteurs : n° 2011 du 8 octobre 1971 de M. André Beauguitte, n° 2586 du 12 octobre 1972 de M. Jean Bichât, n° 622 d'octobre 1973, et n° 1231 d'octobre 1974, n° 1917 de 1975, n° 2530 de 1976 de M. Jack Ralite....

50 Avis n° 28 du 18 novembre 1971 et n° 100 du 21 novembre 1974, n° 66 du 23 novembre 1976 de M. Georges Lamousse, du 22 novembre 1977 de M. Jacques Garat...

51 Notamment dans le rapport du groupe Cinéma du VIe plan, présidé par M. Bertrand Labrusse en mars 1971.

52 Rappelés par son directeur général de l'époque, A. Astoux, in : Ce maudit cinéma, J.-C Lattès, Paris, 1974.

53 Artistes associés, Cinédis, Ciné-sélection, Cocinor, Columbia, Comacico, Corona, Discina, Fox, Gaumont, Jeanic, Metro Goldwyn Mayer, Marceau, Pathé, RKO, Sirius, UGC, Universal, Warner Bros.

54 Gilbert Grégoire, op. cit.

55 Mais il faudra attendre dix ans, 1977, pour que la vente annuelle des récepteurs couleurs dépasse celle des noir et blanc (1 million contre 900 000).

56 « En 1973, l'ORTF a payé 19 051 492 francs pour l'acquisition des droits de diffusion de 333 films, soit un prix moyen de 57 200 francs par film (...) pour les 460 films diffusés en 1973, cela correspondait à une dépense de 26 310 000 francs pour 4 800 000 000 spectateurs. » G. Grégoire, in : Le Film français, n° 1563, du 17 janvier 1975.

57 Pas de films pour les trois chaînes le samedi ; pour le dimanche avant 20 h 30, pas de film pour FR3, un seul pour A2, 2 par mois pour TF1 ; pas de film avant 22 h 30 le vendredi pour TF1 et A2.

58 Le Film français, n° 1803, 15 mars 1980.

Note di fine

1 non compris les transformations de 16 en 35 mm, ni les adjonctions du 35 à des salles équipées en 16 mm.

2 salles d’origine non comprises

Indice delle illustrazioni

Titolo Tableau V - Évolution du parc de Paris : 1952-1966
Legenda (Sources : CNC. 1NSEE)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-1.jpg
File image/jpeg, 152k
Titolo Tableau VI - Évolutions du parc dans les arrondissements parisiens : 1952-1966
Legenda (Source : CNC)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-2.jpg
File image/jpeg, 132k
Titolo Tableau VII - Évolutions du parc parisien selon le type de programmation
Legenda (Source CNC)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-3.jpg
File image/jpeg, 268k
Titolo Tableau VIII - Répartition des salles à la constitution de l’entente Pathé-Gaumont
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-4.jpg
File image/jpeg, 100k
Titolo Fig. 7 - Résultats d’exploitation d’après l’année d’ancienneté des films diffusés en 1961 et 1968
Legenda Films sortis dans l’année (source : CNC)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-5.jpg
File image/jpeg, 200k
Titolo Fig. 8 - Évolution du parc des salles substandard, fréquentation et prix de places : 1957-1969
Legenda (Source : CNC)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-6.jpg
File image/jpeg, 192k
Titolo Fig. 9 - Principales fréquentations : 1956-1972
Legenda (Source : CNC)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-7.jpg
File image/jpeg, 260k
Titolo Tableau LX - Évolution du cinéma européen : 1958-1962
Legenda (Sources : CNC. INSEE)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-8.jpg
File image/jpeg, 548k
Titolo Tableau X - Accroissement du parc des salles françaises : 1967-1973
Legenda Note 11
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-9.jpg
File image/jpeg, 228k
Titolo Tableau XI - Nombre moyen de fauteuils dans les nouvelles salles : 1968-1973
Legenda (Sources : CNC, Le Film français)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-10.jpg
File image/jpeg, 240k
Titolo Tableau ΧII - Répartition géographique et taille des complexes (1972)
Legenda (Source : Le Film français)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-11.jpg
File image/jpeg, 156k
Titolo Tableau XIII - Résultats d’exploitation des complexes créés après une partition (1971-1977)
Legenda (Sources : CNC. Le Film français)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-12.jpg
File image/jpeg, 416k
Titolo Tableau XIV - Part des complexes dans UGC SA
Legenda (Sources : UGC. Le Film français)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-13.jpg
File image/jpeg, 144k
Titolo Tableau XV - Évolution du nombre de salles Parafrance (1954-1975)
Legenda (Source : Le Film français)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-14.jpg
File image/jpeg, 92k
Titolo Tableau XVI - Évolution de la Gaumont : 1968-1971
Legenda (Source : SNEG)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-15.jpg
File image/jpeg, 104k
Titolo Tableau XVII - Fréquentation de salles transformées et du circuit Pathé (1966-1971)
Legenda (Source : Le Film français)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-16.jpg
File image/jpeg, 188k
Titolo Tableau XVIII - Évolution du nombre de films occupant plus de 20 écrans le jour de leur sortie
Legenda (Source : le Film français)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-17.jpg
File image/jpeg, 204k
Titolo Tableau XIX - Répartition chronologique et géographie de la fréquentation : 1979
Legenda (1) en millions de spectateurs. (Source : CNC)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-18.jpg
File image/jpeg, 284k
Titolo Fig. 10 - Évolution du nombre de fauteuils par écran
Legenda (Source : CNC)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-19.jpg
File image/jpeg, 168k
Titolo Fig. 11 - Fréquentation et prix de places : 1958-1981
Legenda (source : CNC)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-20.jpg
File image/jpeg, 224k
Titolo Tableau XX - Rangs des principaux distributeurs (entrées Paris-périphérie)
Legenda Entrées des salies classées, du 1er septembre au 31 août (Source : Le Film français)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-21.jpg
File image/jpeg, 208k
Titolo Fig. 12 - Évolution des comptes télévision et du nombre de films diffusés à la télévision : 1957-1980
Legenda (Source : CNC)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/1403/img-22.jpg
File image/jpeg, 150k

Il testo e gli altri elementi (illustrazioni, file importati) possono essere utilizzati con OpenEdition Books License, se non diversamente specificato.

Questa pubblicazione digitale è stata realizzata tramite il riconoscimento ottico dei caratteri automatico (OCR).
Cerca su OpenEdition Search

Sarai reindirizzato su OpenEdition Search