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L'impossible Présidence impériale

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François Vergniolle de Chantal

Première partie. À la recherche d'un équilibre républicain : comparaisons franco-américaines

À la recherche d’un équilibre républicain : comparaisons franco-américaines

Testo integrale

  • 1 À titre d’exemple, on lira l’ouvrage de Serge Berstein et d’Odile Rudelle (dir.), Le modèle républ (...)
  • 2 L’expression est bien entendu tirée de Patrice Higonnet, Sister Republics : The Origins of French (...)
  • 3 Hannah Arendt, Essai sur la révolution, Paris, Gallimard, trad. fr. 1993 (On Revolution, éd. orig. (...)

1La France et les États-Unis partagent le privilège d’avoir décrété leur entrée dans la modernité politique par leurs révolutions fondatrices. Depuis lors, les deux communautés politiques semblent tout à la fois apparentées et différentes. Ainsi, loin d’être limité aux États-Unis, le mythe de « l’exception » est tout autant au cœur de l’identité politique française1. Dans les deux cas, un universalisme messianique est porté par un « modèle » républicain né à la fin du xviiie siècle. Mais les prétentions universalistes des deux pays sont à front renversé, de sorte que la relation entre les États-Unis et la France oscille entre rivalités et fascination. Les représentations charriées par ces credo nationaux ne sont certes pas à négliger, mais elles ne doivent pas pour autant obscurcir les similitudes, qui sont réelles, entre les « républiques sœurs » que constituent la France et les États-Unis2. Comme l’a expliqué Hannah Arendt dans son Essai sur la Révolution, les deux pays ayant été forgés dans les convulsions révolutionnaires de la fin du xviiie siècle, les défis auxquels ils ont fait face ainsi que leurs débats sont étonnamment similaires et demeurent instructifs pour l’un comme pour l’autre. Montesquieu et Tocqueville sont ainsi des clés essentielles pour comprendre non seulement la pensée politique américaine, mais aussi la pratique démocratique des États-Unis3.

  • 4 Alexis de Tocqueville, L’ancien régime et la révolution, Paris, Garnier-Flammarion, 1988 (éd. orig (...)
  • 5 Daniel Béland, François Vergniolle de Chantal, « L’État en Amérique. Entre invisibilité politique (...)

2Si les deux républiques dialoguent en permanence depuis plus de deux siècles, les comparaisons institutionnelles sont rares, sauf à faire un contraste entre la rapide succession de régimes politiques en France et la stabilité de la Constitution américaine depuis leurs événements révolutionnaires respectifs. Avec pas moins de cinq républiques et plusieurs essais de régimes divers – de la monarchie constitutionnelle à l’Empire sans oublier « l’État français » issu de la défaite de 1940 –, la France est en effet grande consommatrice de formules institutionnelles, offrant ainsi un contraste saisissant avec la permanence de la Constitution américaine et la révérence dont elle fait l’objet. En France, ce ne sont ni les institutions ni les constitutions qui assurent la pérennité de la nation, mais l’État. Tocqueville dans L’Ancien Régime et la Révolution peut être cité longuement sur ce point : « (…) en France, depuis 89, plusieurs révolutions ont changé de fond en comble toute la structure du gouvernement. La plupart ont été très soudaines et se sont accomplies par la force, en violation ouverte des lois existantes. Néanmoins, le désordre qu’elles ont fait naître n’a jamais été ni long ni général ; à peine ont-elles été ressenties par la plus grande partie de la nation, quelquefois à peine aperçues. […] [D]epuis 89, la Constitution administrative est toujours restée debout au milieu des ruines des Constitutions politiques. On changeait la personne du prince ou les formes du pouvoir central, mais le cours journalier des affaires n’était ni interrompu ni troublé ; […], car, si à chaque révolution l’administration était décapitée, son corps restait intact et vivant ; les mêmes fonctions étaient exercées par les mêmes fonctionnaires ; ceux-ci transportaient à travers la diversité des lois politiques leur esprit et leur pratique. Ils jugeaient et ils administraient au nom du roi, ensuite au nom de la république, enfin au nom de l’empereur. Puis, la fortune faisant refaire à sa roue le même tour, ils recommençaient à administrer et à juger pour le roi, pour la république et pour l’empereur, toujours les mêmes et de même ; car que leur importait le nom du maître ? »4 Ce qui était déjà évident en 1856 n’a fait que se confirmer depuis lors : la faiblesse des institutions politiques semble avoir nourri une légitimité et une stabilité encore plus forte de l’État en tant que structure administrative, comme l’illustra de manière éloquente la IVe République. L’expérience politique française se déploie donc à l’inverse des États-Unis : c’est l’État qui chez nous est la colonne vertébrale de la nation alors que ce rôle, en Amérique, est rempli par la Constitution5.

  • 6 Les politiques du mimétisme institutionnel. La greffe et le rejet, Yves Mény (dir.), Paris, L’Harm (...)
  • 7 Marc Lahmer, La Constitution américaine dans le débat français : 1795-1848, Paris, L’Harmattan, 20 (...)
  • 8 Voir par exemple le petit livre de Philippe Lauvaux, Destins du présidentialisme, Paris, PUF, coll (...)

3Par ailleurs, les emprunts explicites de part et d’autre de l’Atlantique sont quasi inexistants. Mis à part la symbolique de la Statue de la Liberté, on peine à dégager concrètement des « politiques du mimétisme institutionnel »6. Si la Constitution de 1791 ou la IIe République restent nos expériences nationales les plus proches de la configuration américaine, personne n’a jamais revendiqué la similitude, ni, a fortiori, ne pourrait être identifié comme le porteur des idées venues d’outre-Atlantique. Même lors de la période révolutionnaire en France, l’exemple des « républiques américaines », s’il fut bien débattu et fit l’objet de très nombreuses publications, a fini par être rejeté7. La diffusion institutionnelle entre les deux républiques est au mieux indirecte et, dans tous les cas, elle comporte une réinvention qui passe par une réappropriation. C’est par exemple le cas pour le « présidentialisme », une notion qui est utilisée pour décrire à la fois le système politique américain actuel et la Ve République. Mais les « présidentialismes » américain et français sont très différents, non seulement à la lecture des seules constitutions, mais aussi par leur pratique8. Si le « présidentialisme » est une notion quelque peu galvaudée, que peut-on dire de la comparaison entre le Législatif dans les deux pays ? À la rationalisation extrême du Parlement en France depuis 1958 s’oppose, aux États-Unis, un Congrès individualiste et incontrôlable. Au total, les dynamiques du pouvoir de part et d’autre de l’Atlantique semblent difficiles à rapprocher.

  • 9 Philippe Raynaud, Trois révolutions de la liberté. Angleterre, Amérique, France, Paris, PUF, coll. (...)

4C’est bien là que réside la principale limite du thème traditionnel des « républiques sœurs » : elles sont en effet le plus souvent présentées en opposition systématique. Les valeurs des deux modèles sont proches, mais leur articulation différente. Or cette perspective passe sous silence la similitude des défis auxquels les deux républicanismes proclamés ont dû faire face. À l’inverse de la voie britannique, dont le parlementarisme a lentement évolué par rapport à son origine aristocratique, les républicanismes français et américain ont avancé à tâtons dans les premières décennies qui ont suivi leur formulation9. La définition d’un équilibre neuf, donc inconnu, reposait sur des interrogations similaires malgré les différences de pratiques entre les deux pays. Ainsi, en France comme aux États-Unis, et malgré les écarts de temporalité et les divergences profondes dans les modalités de mise en œuvre, le défi de la maîtrise du pouvoir législatif fut le fil directeur des débats politiques, d’abord lors du cycle révolutionnaire fondateur, de la fin du xviiie au début du xixe, puis lors d’un cycle plus étendu, celui de l’apprentissage et de la maturité qui couvre un long xixe siècle. De même, le danger que représentait l’Exécutif était l’autre écueil conceptuel des révolutionnaires puis des républicains. L’ombre monarchiste a menacé leurs efforts d’ingénierie institutionnelle pendant des décennies après les évènements révolutionnaires. Dans les années 1830 encore, les opposants du président Jackson y voyaient un Roi (King Andrew), tandis que la fragile IIIe République française naît quelques décennies plus tard dans l’incertitude la plus absolue afin de ménager le parti monarchiste. Encore aujourd’hui, le débat sur le rôle de l’Exécutif est bien vivant : « impériale », aux États-Unis, ou « monarchique », en France, la Présidence se vit comme une difficulté. Autrement dit, le débat public franco-américain a constamment oscillé entre le Charybe de l’omnipotence législative et le Scylla d’un Exécutif irresponsable. C’est à ce mouvement de balancier commun qu’est consacrée cette première partie : en partant des principaux éléments du thème des « républiques sœurs » – la profonde intrication des débats intellectuels franco-américains de la fin du xviiie siècle et les logiques propres aux « deux universalismes » révolutionnaires de l’époque – puis de la configuration française, il va s’agir de mettre en relief le développement politique et historique du Congrès et de la Présidence aux États-Unis.

Note

1 À titre d’exemple, on lira l’ouvrage de Serge Berstein et d’Odile Rudelle (dir.), Le modèle républicain, Paris, Presses Universitaires de France, 2nd éd. 2014.

2 L’expression est bien entendu tirée de Patrice Higonnet, Sister Republics : The Origins of French and American Republicanism, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1988.

3 Hannah Arendt, Essai sur la révolution, Paris, Gallimard, trad. fr. 1993 (On Revolution, éd. orig. 1963). L’ouvrage standard sur les révolutions atlantiques de la fin du XVIIIe siècle est celui de Robert R. Palmer, The Age of Democratic Revolutions, 2 volumes, Princeton, NJ, Princeton University Press, 1959.

4 Alexis de Tocqueville, L’ancien régime et la révolution, Paris, Garnier-Flammarion, 1988 (éd. orig. 1856), p. 291.

5 Daniel Béland, François Vergniolle de Chantal, « L’État en Amérique. Entre invisibilité politique et fragmentation institutionnelle », p. 191-206 in Revue Française de Science Politique, vol. 64, no 2, avril 2014.

6 Les politiques du mimétisme institutionnel. La greffe et le rejet, Yves Mény (dir.), Paris, L’Harmattan, 1993. L’exportation des institutions politiques américaines dans le monde est assez limitée. Voir à ce propos l’ouvrage de George Athan Billias, American Constitutionalism Heard Around the World, 1776-1989. A Global Perspective, New York, New York University Press, 2009. L’auteur souligne le contraste entre la dimension « symbolique » et la dimension « opérationnelle » du modèle politique américain.

7 Marc Lahmer, La Constitution américaine dans le débat français : 1795-1848, Paris, L’Harmattan, 2001.

8 Voir par exemple le petit livre de Philippe Lauvaux, Destins du présidentialisme, Paris, PUF, coll. Béhémoth, 2002.

9 Philippe Raynaud, Trois révolutions de la liberté. Angleterre, Amérique, France, Paris, PUF, coll. « Léviathan », 2009.

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