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L'eau à découvert

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Agathe Euzen
, 
Catherine Jeandel
, 
Rémy Mosseri

Septième partie. Représentations et perspectives

11. Controverses autour de l'eau

José Teixeira

Texte intégral

1Trois des plus grandes polémiques qui ont secoué le monde de la physique ont concerné l'eau. Il s’agit des controverses sur l'eau polymérisée, la fusion froide et la mémoire de l'eau. Elles ont pour point commun d’avoir chacune suscité un fort engouement, mais elles ont toutes été invalidées par la suite, même si le débat reste entre-ouvert pour deux d’entre elles.

2Ainsi, l’existence d'une « eau polymérisée » de haute viscosité* a été admise de 1969 à 1973. Les physiciens soviétiques Nikolai Fedyakin et Boris Derjaguin avaient, en effet, réalisé une série de mesures sur les propriétés de l’eau condensée en la faisant s’écouler dans des tubes capillaires en quartz. Les expériences semblaient montrer que l’eau se séparait en deux phases : une qui conservait les propriétés « normales » de l’eau et l’autre qui se trouvait dans un nouvel état, avec un point d’ébullition plus élevé, un point de congélation plus bas et surtout, une plus forte viscosité (l’eau était plus « épaisse », comme un sirop). Cette découverte a fait l'objet de centaines de publications, et certains physiciens sont même parvenus à reproduire l’expérience, avant que ne soit reconnue la contamination à la silice (et autres substances) des échantillons préparés dans les tubes en verre. La silice contenue dans le verre était partiellement dissoute par le liquide, ce qui expliquait la plus grande viscosité.

3Concernant la « fusion froide », cette « découverte » provient d’une expérience d'électrolyse de l'eau lourde (cf. IV.13) réalisée par Martin Fleischmann et Stanley Pons en 1989. Elle connut un fort retentissement, car un dégagement de chaleur inexplicable (à température et pression ambiantes) faisait fondre l’électrode. En réalité, ce dégagement anormal de chaleur fut rapidement attribué à des réactions de fusion* nucléaire à basse température, dues à l'utilisation d'une électrode en palladium, qui aurait eu un effet catalytique et aurait permis à des atomes d’hydrogène de se rapprocher. L’expérience a été reproduite, mais des bilans énergétiques plus détaillés ont invalidé cette explication, sans que l'idée de fusion froide ne soit complètement abandonnée.

La mémoire de l’eau

4La polémique la plus médiatique a été celle de la « mémoire de l'eau », certainement à cause de son rapport avec la pratique controversée de la médecine homéopathique. Dans un article publié en 1988 dans la revue Nature, Jacques Benveniste, chercheur à l'INSERM, et ses collaborateurs ont montré que des basophiles* (cellules jouant un rôle dans le système immunitaire) libéraient de l'histamine* (molécule qui provoque une réaction immunitaire) grâce à l'action d'anticorps anti-IgE*, même quand la concentration de ces derniers dans l'eau était de 10-120 (après 60 dilutions centésimales), c’est-à-dire, finalement, en absence d'anticorps. Benveniste et son équipe en vinrent donc à la conclusion que l’eau ayant été au contact de certaines molécules conservait une empreinte de leurs propriétés, alors même qu’elles ne s’y trouvaient plus statistiquement.

5Les solutions aqueuses étaient préparées suivant la méthodologie de la pharmacie homéopathique. Partant d'une solution concentrée à 1 %, des dilutions successives avec de l'eau pure, suivies de fortes secousses, faisaient descendre la concentration à des valeurs infinitésimales, suivant une progression géométrique (cf. II.6). Ainsi 60 opérations de ce type aboutissaient à une concentration « théorique » de 10-120. Même si la procédure ignore la pureté de l'eau additionnée et les erreurs statistiques dues à l'échantillonnage, il est certain que la probabilité de présence d'une seule molécule d'anticorps dans la solution finale était pratiquement nulle.

6Dans le cas de cette controverse, il faut signaler que, contrairement aux polémiques sur l’eau polymérisée et la fusion froide, les expériences en biologie dépendent souvent de méthodes statistiques, un résultat étant établi par rapport à celui qui serait le fruit du seul hasard. En oubliant ou en minimisant ce fait, il est donc possible de parvenir à des conclusions fausses, suite à des raisonnements qui sont pourtant apparemment logiques et presque d'esprit positiviste. Les résultats des expériences de Jacques Benveniste l'ont donc amené à conclure que s'il y a un effet en absence de molécule, il ne peut être dû qu'à l'eau.

Image 3D d'un granulocyte basophile. © BruceBlaus

7Ce n'est pas d'ailleurs le moindre paradoxe de cette démarche. Tandis que la pharmacie allopathique* s'intéressait aux processus biologiques d'action des principes actifs des médicaments, parfois aux réactions chimiques sous-jacentes, mais très rarement à la physique fondamentale, l'explication de l'action éventuelle des solutions très diluées prétendait s'appuyer directement sur la physique fondamentale de l'eau pure (cf. II.3). Des tentatives rationnelles d'explication ont évoqué des formations de « cages » au sein de l'eau. Leurs propriétés, spécifiques à chaque soluté, auraient permis de garder la « mémoire » de molécules préalablement en solution, et cela pendant des années ! Sachant que les temps caractéristiques de la dynamique de l'eau sont de l'ordre de 10-12 s (1 picoseconde), l'idée de la mémoire de l'eau n'a jamais été acceptée dans le monde de la physique, à l’exclusion d’une approche théorique de physiciens des particules dépourvue de base expérimentale.

Traitement et impacts de la polémique

8La revue Nature, gênée par l'avortement trop médiatique d'un scoop potentiel, a voulu se dédouaner en orchestrant une mise en scène ridicule, dans laquelle un prestidigitateur a été mis à contribution dans le laboratoire de Jacques Benveniste pour détecter une éventuelle imposture scientifique. Le retentissement médiatique a duré un certain temps et a alimenté une polémique entre plusieurs journaux et magazines (en particulier, Le Monde et Science & Vie), largement amplifiée en raison de l'impact potentiel dans le monde de l'homéopathie. Dans ce cas aussi, la polémique n'est pas complètement éteinte. Certains groupes défendent toujours l'idée d'une mémoire de l'eau, comme s'il s'agissait de la seule explication possible de résultats prétendument observés dans la pratique médicale. D’autres pratiquent le syncrétisme* en combinant la mémoire de l'eau à des notions de physique mal comprises (structures dissipatives*, fluctuations du vide*, matière noire*...). S'y côtoient des visions naïves et des confusions parfois grossières entre des concepts différents partageant le même nom. C'est le cas, par exemple, du mot « onde », transposé de la mécanique à l'électricité, à la mécanique quantique ou à la gravitation, qui se retrouve dans les publications du groupe de Luc Montagnier, qui avait obtenu le prix Nobel de médecine en 2008 sur un tout autre sujet (la determination du virus du sida). La mémoire de l'eau reste particulièrement populaire dans le monde de l'homéopathie et alimente une littérature parallèle relativement riche et souvent bien accueillie dans l'ensemble du monde médical, en particulier dans les pays d'Europe centrale.

9Pourquoi l’eau se trouve-t-elle donc, bien plus que d'autres substances, au centre de tant de polémiques ? Probablement en raison de son omniprésence et du fait qu’il s’agit du seul liquide naturel présent à la surface terrestre, mais également par son cycle permanent, qui la fait naturellement passer d'un état physique à un autre.

10L'eau, déifiée dans l'antiquité, fluide sacré de la mythologie hindoue et l’un des quatre éléments d'Empédocle au Ve siècle av. J. C (cf. VII.3), est associée, depuis toujours, à des aspects positifs (la pluie dans l'agriculture, la nourriture en provenance des rivières et de la mer) et négatifs (les grandes catastrophes naturelles). Elle est aussi intimement associée à la vie et à la recherche de vie extra-terrestre, laquelle commence forcément par la détection de sa présence dans les planètes (cf. VII.13). Et n’oublions pas que plus de 60 % de la masse du corps humain et 70 % de la masse du cerveau sont constituées d'eau. Enfin, à notre mort, le cycle est bouclé, car l'eau s'échappe pour participer à son cycle naturel !

Bibliographie

Références bibliographiques

• J. BENVENISTE – Ma vérité sur la mémoire de l'eau, Albin Michel, 2005.

• SCIENCE & VIE – Les Médecines alternatives, n° 1168, janvier 2015.

• LE MONDE, éditions du 30/6/88 et du 27/7/88.

Table des illustrations

Légende Image 3D d'un granulocyte basophile. © BruceBlaus
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/10548/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 87k

Auteur

Physicien, Directeur de recherche émérite au CNRS, LLB, Saclay, p. 56, p. 318.
jose.teixeira@cea.fr

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