10. Les outils d’aide à la décision
p. 316-317
Texte intégral
1L'eau constitue un système complexe formé de la ressource elle-même, des écosystèmes qui l'utilisent et qui l'abritent et des usages faits par la société. La gestion de ce système se heurte à la difficulté majeure de la prise en compte et de la conciliation d’intérêts, souvent peu ou pas compatibles.
Formaliser les enjeux et les valeurs
2La conciliation de ces intérêts a été pendant longtemps régie par une vision utilitariste et des notions d'intérêt général, parmi lesquelles figurent la production et la distribution d'eau potable, de denrées alimentaires, d'énergie, de biens manufacturés, de travail et de transport (cf. VI.16). La référence unique à ce système économique semble de plus en plus battue en brèche, car des attentes sociétales s'expriment avec une fréquence et une intensité croissantes. Ces attentes sont liées à des objets ou à des perceptions difficilement quantifiables d'un point de vue économique : quelle est la valeur du plaisir à pratiquer le canoë ou du bien-être à regarder des libellules ? Les tentatives pour donner une valeur économique à ces attentes montrant des limites et des alternatives sont proposées, comme celle de reconnaître le patrimoine comme irréductible au capital.
3Il existe en ce sens un réel enjeu de compréhension et d’appropriation des valeurs en jeu, qui ne relèvent pas uniquement du bon sens économique – auquel s’adossent les usages – mais également de dimensions purement sociales ou environnementales. Toute décision en lien avec le système eau, qu’il s’agisse directement d’une question de gestion de la ressource ou indirectement d’une question de planification territoriale (aménagement ou activités économiques) doit s’appuyer sur une lecture différenciée des enjeux socio-éco-environnementaux pour intégrer et concilier au mieux la diversité des intérêts au processus de décision. L’appropriation par les parties prenantes d’un projet de cette lecture différenciée, au travers d’un prisme d’analyse reconnu et partagé, apporte une condition nécessaire à une mise en perspective et à l’élaboration d’une réponse adaptée et respectueuse du plus grand nombre d’intérêts.
4Les outils d'aide à la décision trouvent leur plus-value à deux niveaux. Ils peuvent tout d’abord accompagner la phase d’avant-projet pour décrypter et formaliser les enjeux et les valeurs en jeu. Dans la phase opérationnelle des projets, les outils d’aide à la décision peuvent ensuite accompagner les exercices de concertation et de co-construction avec les parties prenantes.

Fig. 1 – Pour un projet donné, l'évaluation socio-éco-environnementale démontre le risque de sous-estimer les coûts totaux. Pour le projet d'infrastructure linéaire en milieu alluvial présenté à titre d'exemple, c'est l'option 2 qui montre les valeurs monétaires les plus faibles, alors que les coûts induits sociétaux sont les plus forts (recours, négociation, retard des travaux…). Source P. Vervier
Vers des modèles participatifs d’évaluation
5Pour illustrer la plus-value apportée par les outils de prise en charge des valeurs non marchandes dans la phase d’avant-projet, nous considèrerons l'exemple des zones humides (ZH). La littérature montre toute la difficulté à associer une grandeur économique aux actifs environnementaux, tels que les ZH, écosystèmes complexes multifonctions. Des incertitudes scientifiques existent quant à la compréhension des phénomènes, leur traduction en valeurs économiques et l’interprétation de ces valeurs. La tendance actuelle est de considérer que les ZH fournissent des services à la société, au travers de leurs fonctions et des usages dont elles sont les supports. Derrière ces services, il est possible d’identifier des flux économiques. À titre d’exemple : les bénéfices associés à la préservation d’une zone humide/à un aménagement (gains collectifs ou privés, coûts évités) ; et les coûts associés à la préservation d’une zone humide/à un aménagement (collectifs ou privés, directs ou indirects).
6L’élargissement de la lecture des enjeux socio-économique se base sur l’intégration des valeurs monétaires liées aux activités économiques du territoire concerné, des valeurs associées aux services écosystèmiques et des valeurs non-monétaires exprimées par les individus en tant qu’acteurs de leur territoire. Il ne s’agit pas d’agréger ces valeurs en une valeur totale d’un écosystème, mais bien d’en retraduire la diversité. Dans une démarche projets, une telle lecture offre la possibilité de prioriser différentes actions et d’anticiper les coûts de négociations nécessaires à l’aboutissement des projets (figure 1).
Vers des modèles supports à la concertation
7La mise en perspective de ces valeurs peut alimenter des processus de concertation dans les phases d’avant-projet ou de mise en œuvre du projet. Un projet pilote, Concert'Eau, sur la thématique de la conciliation des pratiques agricoles avec les contraintes environnementales, a livré une plateforme technologique collaborative qui a permis d’impliquer les acteurs d’un territoire (agriculteurs, associations, entreprises, collectivités, services de l'État) dans un processus de co-construction, d’évaluation et de comparaison de nouvelles pratiques (figure 2). L'évaluation, réalisée par des experts dans un référentiel validé par les parties prenantes, a offert aux acteurs une lecture reconnue et objectivée de leurs propositions, indispensable à la prise de décision.
8Les règles de concertation développées se veulent génériques, transposables aux problématiques complexes caractérisées par des intérêts multiples (comme le stockage du CO2). L’outil d’aide à la décision doit intégrer ces règles en offrant en sus les fonctionnalités suivantes : l'aide à l'identification et à la prise en charge des attentes des parties prenantes dans leurs dimensions subjectives ou affectives ; le support à un processus participatif de proposition de solutions ; et la comparaison objective des solutions proposées à l'aide d'une évaluation des dimensions technico-économiques, environnementales et sociétales.

Fig. 2 – La plateforme technologique Concert'eau® a permis de recueillir les propositions des parties prenantes et de les comparer objectivement. La cartographie de ces propositions au sein du triangle permet de les mettre en perspectives en fonction de leur capacité à rendre compte des contraintes économiques et environnementales et des attentes sociétales. Les propositions situées dans le cercle rouge sont celles qui respectent le mieux les enjeux du territoire
Bibliographie
Références bibliographiques
• D. BARTHÉLEMY, M. NIEDDU et F.-D. VIVIEN – Externalités ou production de patrimoines ? Les enseignements de travaux récents sur l'agriculture et l'environnement, Géographie, économie, société, vol. 6, www.cairn.info/revue-geographie-economie-societe-2004-3-page-331.htm, 2004.
• LIFE's Blueprint for Water Resources – Helping Farmers Better Understand EU Water Conservation Funding, p34-36, 2012.
• GCCSI – www.globalccsinstitute.com/publications/social-site-characterisation-stakeholder-management, 2013.
Auteurs
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Philippe Vervier
Écologue, Directeur de recherche à Acceptables Avenirs, Toulouse, p. 316.
philippevervier@acceptablesavenirs.eu -
Matthieu Saint-Michel
Socio-économiste, Chercheur à Acceptables Avenirs, Toulouse, p. 316.
matthieusaintmichel@acceptablesavenirs.eu -
Adrien Bonneu
Mathématicien et modélisateur, Chercheur en Acceptables Avenirs, Toulouse, p. 316.
adrienbonneu@acceptablesavenirs.eu
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