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L'eau à découvert

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Agathe Euzen
, 
Catherine Jeandel
, 
Rémy Mosseri

Septième partie. Représentations et perspectives

8. Comment communiquer et sensibiliser le grand public sur les enjeux liés à l'eau ?

Bernard Chocat

Texte intégral

Le paradoxe de la compréhension des enjeux liés à l’eau

1En France, la perception de l'eau et la compréhension des enjeux qui s'y rattachent sont paradoxales. D'un côté, l'eau est perçue comme un bien commun dont nous dépendons tous pour notre survie et que nous utilisons et côtoyions quotidiennement (cf. I.13). L’eau constitue donc logiquement un sujet de conversation commun (il est très banal de parler de la pluie et du beau temps), sur lequel beaucoup ont des opinions très tranchées : l’eau est trop chère, l’eau n’a pas bon goût, l’eau est polluée, le changement climatique est la cause des inondations… D’un autre côté, la méconnaissance des citoyens sur les enjeux réels, comme sur les systèmes techniques ou organisationnels est souvent surprenante, y compris en ce qui concerne leurs usages quotidiens de l'eau. À titre d’exemple, le baromètre 2014 C. I. Eau/TNS-Sofres montre que près de 50 % des Français pensent que l’eau distribuée dans le réseau d’eau potable est fabriquée en recyclant les eaux usées (cf. V.18).

2Des situations du même type se retrouvent dans différents champs scientifiques (environnement, santé, énergie…) dès lors que des enjeux sociaux ou économiques viennent perturber la seule compréhension des questionnements techniques ou scientifiques. Elles sont souvent associées à une certaine crainte d’être manipulé (« on nous cache la vérité ! »).

3La grande quantité d’informations disponibles sur l’eau, et dont l’accès est encore plus simple aujourd’hui avec le développement d’Internet et des réseaux sociaux, n’est donc pas correctement utilisée et comprise. « Informer n’est pas communiquer » écrit Dominique Wolton en 2009.

4Deux raisons peuvent expliquer ce paradoxe. La première est que, sous une apparence de simplicité, le sujet est redoutablement complexe, en particulier du fait des interactions multiples qui existent entre les dimensions physiques, chimiques, biologiques, sanitaires, sociales, écologiques, culturelles…, et qui le caractérisent. La seconde est liée à notre façon actuelle de nous informer et de nous documenter en recherchant des messages très courts qui ne laissent aucune place à la nuance. Le tweet est l’ennemi de la complexité. Les médias, par nécessité proches de leur temps, se contentent souvent de relayer des informations fragmentaires ou catastrophistes (l’eau du robinet est dangereuse pour la santé, nous manquerons bientôt d’eau en raison du changement climatique…).

5En conséquence, le sujet n’intéresse vraiment qu’un nombre réduit de personnes : professionnels ou passionnés. Pourtant, l’eau ne pourra être gérée de façon durable que si tous les citoyens partagent une culture commune et raisonnée. La communication est au cœur de notre modèle démocratique. Il est donc très important de trouver de nouveaux moyens de communication, susceptibles d’aider à développer cette culture.

Comment mieux communiquer ?

6Si les causes évoquées plus haut sont réelles, une solution possible consiste à adapter la nature et les modalités de diffusion du message aux attentes actuelles. En quelque sorte, traitons le mal par le mal : s’il est très difficile de faire passer l’information sous la forme d’un message demandant une attention soutenue pendant une durée longue, alors proposons des messages courts. Si Internet remplace le livre et si l’image remplace l’écrit, alors adaptons les supports. Si le sérieux n’attire plus, alors utilisons l’humour et le décalage.

Infographies tirées du site Internet de la plateforme Méli Mélo. www.graie.org/eaumelimelo

7Mais comment faire en sorte que ce message très court ne soit pas une version outrageusement simplifiée de la complexité réelle ? Il faut tout d’abord limiter son ambition. Un message peut être court sans être simplificateur uniquement à la condition que la question qu’il traite soit très limitée. Aborder un sujet vaste comme celui de l’eau, implique alors de multiplier les messages, chacun n’abordant qu’un petit aspect de la question générale. Le pointillisme devient une stratégie de communication.

8Un complément consiste à multiplier les niveaux, ou par analogie avec le ski, les pistes de lecture. Le même sujet doit être traité avec des niveaux de complexification ou de justification croissants : depuis la piste verte, très simple et rapide pour les plus novices, jusqu’à la piste noire pour ceux qui souhaitent approfondir les notions. L’intérêt de cette démarche est que, même si la piste verte va directement à l’essentiel en acceptant des raccourcis dans la démonstration, ceux qui la pratiquent savent qu’ils peuvent obtenir la justification de ces raccourcis par un autre niveau de lecture.

9Cependant, mettre à disposition de tous une information à la fois accessible, ludique et de qualité n’est pas encore suffisant. Il faut encore que cette information soit visible au milieu d’une quantité d’autres, toujours de plus en plus grande. Il faut enfin qu’elle soit perçue comme pertinente et non partisane. Une solution possible consiste à s’appuyer sur des chaînes d’acteurs (éducateurs, professionnels, passionnés), considérés comme légitimes et capables de s’approprier l’information et de la transmettre. Pour ceci, les supports doivent être facilement accessibles et duplicables.

L’exemple de Méli Mélo

10Le projet Méli Mélo, démêlons les fils de l’eau constitue un exemple d’un projet de communication bâti selon ce modèle. Le découpage de la question générale de l’eau a été fait en s’appuyant sur une liste d’idées fausses à combattre et toute prétention à l’exhaustivité a été abandonnée.

11Le premier niveau de lecture est constitué par de petites saynètes filmées de 2 à 3 minutes, exploitant l’humour et le décalage (visibles sur une chaîne YouTube). Le deuxième niveau de lecture est constitué par des textes de synthèse de 10 à 20 pages (disponibles sur le site Internet), argumentant les différentes idées et élargissant l'objet traité. Enfin, le troisième niveau de lecture est constitué par une sélection d’ouvrages ou de sites Internet considérés comme particulièrement bien documentés sur le sujet traité.

12Presque tous les éléments constituants le projet sont téléchargeables et réutilisables librement de façon à pouvoir être appropriés et réutilisés par tous les relais qui le souhaitent. Un suivi scientifique d’un tel projet serait utile pour mesurer son efficacité réelle et permettre d’en tirer des conclusions constructives.

Bibliographie

Références bibliographiques

• E. BROUDOUX et G. CHARTRON – La communication scientifique face au WEB 2.0 : Premiers constats et analyse, dans 20 ans d’H2PTM : Rétrospective et Perspective, Hermes/Lavoisier, 2009.

• P. CHARAUDEAU – La médiatisation de la science : clonage, OMG, Manipulations génétiques, De Boeck, 2008.

• J.-F. GERVAIS – Web 2.0 : les internautes au pouvoir : blogs, réseaux sociaux, partage de vidéos, mashups… Dunod, 2007.

• D. WOLTON – Informer n’est pas communiquer, CNRS Éditions, 2009.

Table des illustrations

Légende Infographies tirées du site Internet de la plateforme Méli Mélo. www.graie.org/eaumelimelo
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/10540/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 196k

Auteur

Hydrologue urbain, Professeur émérite de l’INSA, Lyon, p. 312.
bernard.chocat@insa-lyon.fr

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