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L'alimentation à découvert

 | 
Catherine Esnouf
, 
Jean Fioramonti
, 
Bruno Laurioux

Troisième partie. Les systèmes alimentaires

3.8. La filière viande

Pierre Sans

Volltext

1La filière viande (hors volailles) permet aujourd’hui la valorisation des productions issues des 219 000 exploitations françaises ayant une activité d’élevage significative, dont 179 000 pour lesquelles les herbivores dominent. D’après les données INSEE-ESANE pour l’année 2010, les quelques 1 200 entreprises qui transforment les viandes de boucherie emploient près de 52 000 salariés pour un chiffre d’affaires de 17 milliards d’€.

Une filière en évolution

2Depuis la fin des années 1950, la filière viande s’est structurée et a subi des mutations importantes. L’un des faits majeur est constitué par la lente émergence d’outils industriels qui assurent désormais trois transformations : 1° l’abattage ; 2° le désossage et la découpe en pièces et minerai* et 3° la fabrication de portions unitaires destinées aux consommateurs (Figure 1). Schématiquement, le travail de démontage des carcasses pour en tirer la meilleure valeur ajoutée globale, autrefois dans les mains du boucher détaillant, est désormais assurée en très grande partie par les industriels de la transformation. Cette évolution a été portée par l’émergence, à partir des années 1960, de nouveaux clients – la grande distribution alimentaire – et d’une nouvelle forme de vente, le libre-service. Il faut cependant noter que ce transfert n’est, pour les viandes de boucherie, que partiel. En effet, en France, la grande distribution s’approvisionne majoritairement en produits issus de la 2e transformation (muscles prêts-à-découper) qu’elle travaille et conditionne dans les laboratoires de ses points de vente pour les rayons libre-service. Placés en situation de fournisseurs de produits intermédiaires, les industriels ont du mal à faire émerger des marques fortes telles qu’elles peuvent exister dans d’autres filières de produits animaux (produits laitiers par exemple).

3Il s’agit pourtant d’un défi important dans la mesure où l’augmentation des volumes vendus sur le marché domestique n’est plus d’actualité, malgré la croissance démographique. En effet, la consommation de viandes de boucherie par habitant régresse depuis la fin des années 1980 : après être passée de 65,5 à 74,2 kg équivalent-carcasse/hab/an* entre 1965 et 1988, elle est descendue à son point jusqu’ici le plus bas en 2013 (59,4 kg ec/hab/an).

Une nécessaire adaptation

Fig. 1 – Représentation schématique des étapes de valorisation des viandes de boucherie (adapté de FranceAgriMer-OFPMA)

4L’enjeu pour la filière est donc de générer de la valeur en répondant mieux aux attentes variées des consommateurs. On peut illustrer ce propos par trois exemples concrets.

5Suite aux crises sanitaires qui ont secoué la filière viande (« vache folle », E. coli), des efforts conséquents ont été faits par les éleveurs et les industriels pour améliorer la traçabilité des produits à toutes les étapes du processus de production ainsi que pour limiter l’impact des dangers biologiques. Les pratiques d’élevage ont été largement médiatisées et l’information du consommateur a été améliorée, notamment grâce à un étiquetage plus complet sur l’origine des viandes et leurs caractéristiques.

6La sensibilité croissante des consommateurs aux caractéristiques des modes de production (depuis l’élevage jusqu’à l’abattage des animaux) a fait émerger des attentes nouvelles (ou de plus forte intensité), susceptibles de faire évoluer les pratiques des professionnels. Le renforcement de la réglementation sur le bien-être animal ou sur l’usage des antibiotiques et l’émergence d’offres différenciées (agriculture biologique par exemple) en sont les témoins.

7Les évolutions des habitudes de consommation constituent des moteurs de l’adaptation de l’offre : le développement du snacking* fait émerger de nouveaux produits qui, s’ils ne constituent pas le cœur du marché, contribuent à diversifier l’offre et à offrir aux consommateurs de nouvelles opportunités de consommer des viandes de boucherie.

8Cette « reconquête des estomacs » n’est pas une tâche aisée dans la mesure où les attentes des consommateurs ne s’accompagnent pas toujours d’un consentement à payer* additionnel, surtout dans le contexte de crise économique que nous vivons depuis 2008. À cela s’ajoute un discours anti-viande de plus en plus prégnant qui est susceptible de détourner certains consommateurs de ces produits. La filière viande, qui a cependant montré durant les trente dernières années sa capacité d’adaptation, doit pouvoir continuer à évoluer.

Histoire de la filière viande
Sylvain Leteux
Dans les zones rurales, la filière viande est courte jusqu’au milieu du XXe siècle. Le producteur et le consommateur sont en relation directe, avec éventuellement le recours à un intermédiaire local, le marchand de bestiaux. Mais, quand il faut approvisionner en gros bétail (bovins et ovins) un grand centre urbain, une filière viande se met en place, c’est-à-dire une série d’intermédiaires entre le producteur et le consommateur. Dès la fin du XIVe siècle a existé à Paris un régime de jurés-vendeurs, étendu à toutes les villes françaises au début du XVIIe siècle. Les jurés-vendeurs surveillent les marchés aux bestiaux et tiennent des statistiques sur les prix et les volumes échangés. Sous l’Ancien Régime, la Caisse de Poissy, institution financière permettant de garantir le paiement des bestiaux, gère les deux grands marchés ayant le monopole d’approvisionner la capitale. Les intermédiaires sont clairement identifiés : marchands de bestiaux (qui font venir le bétail de province), herbagers (qui engraissent le bétail autour de Paris), bouchers (qui ont le monopole de l’abattage en ville).
La création des abattoirs municipaux à Paris en 1810 entraîne l’apparition d’un nouvel intermédiaire, le chevillard (ou boucher en gros), qui achète le bétail vivant, l’abat et fournit les carcasses au boucher détaillant. Le chevillard prend toute sa place dans la filière viande à partir de 1867 avec l’ouverture des abattoirs de La Villette. L’essor des grands abattoirs modernes au milieu du XIXe siècle s’accompagne de l’apparition du commissionnaire en bestiaux, nouvel intermédiaire urbain entre le marchand de bestiaux (basé en province) et le chevillard. Les gros abattoirs urbains fournissent de la matière première à de nombreux professionnels traitant les sous-produits : tanneurs, fondeurs de suifs, salaisonniers, conserveries, triperies, boyauderies, etc.
Sous le Second Empire, la réorganisation des Halles Centrales permet l’apparition d’un second circuit d’approvisionnement en viande qui s’épanouit grâce au chemin de fer : des bouchers-abattants de province expédient des pièces de viande à des intermédiaires légaux (mandataire, commissionnaire, facteur à la criée) qui vendent la viande en demi-gros ou au détail. Les progrès des transports frigorifiques permettent aux mandataires d’accroître considérablement leur activité après 1918.
Outre le développement timide des abattoirs régionaux « modernes » (abattage sur le lieu d’élevage et non plus de consommation), le grand changement des années 1920-1930 est l’apparition de groupements coopératifs d’agriculteurs (syndicats de vente de bétail), qui s’organisent pour lutter contre la concurrence des marchands de bestiaux. La création de la Société interprofessionnelle du bétail et des viandes (SIBEV) en 1953 marque une étape importante pour la filière viande française car l’État s’octroie la possibilité de réguler les cours et encourage la création des sociétés d’intérêt collectif agricoles.

Literaturverzeichnis

Références bibliographiques

• IDELE, L’élevage d’herbivores au Recensement agricole 2010 : cheptels, exploitations, productions. Le dossier Économie de l’élevage, 2013, N° 440-441.

• Mainsant P., Peut-on imaginer un développement des UVC industrielles de viande de boucherie en France ? Viandes et Produits Carnés 1995 ; 16 : 101-6.

• Ministère de l’Agriculture, « Panorama des IAA 2012 - fiche sectorielle : Transformation et conservation de viande de boucherie », 2013. http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/10-11ZViandeBoucheriePanoramaIAA2012_cle4d851f.pdf

Références bibliographiques

• « Normes et marchés : le cas de la viande (XVIIIe-XXe siècles) », Cahiers d’Économie et Sociologie Rurales, 2005, n° 74.

• Abad R., Le grand marché : l’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Fayard, Paris, 2002.

• Chatriot A. et al., Organiser les marchés agricoles : le temps des fondateurs, des années 1930 aux années 1950, Armand Colin, Paris, 2012.

Abbildungsverzeichnis

Bildunterschrift Fig. 1 – Représentation schématique des étapes de valorisation des viandes de boucherie (adapté de FranceAgriMer-OFPMA)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/10334/img-1.jpg
Datei image/jpeg, 498k

Autor

Économiste
École Nationale Vétérinaire
Toulouse
p.sans@envt.fr

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