1.7. L’éducation alimentaire
p. 37-39
Texte intégral
A. L’éducation nutritionnelle
Une approche nécessairement globale
1Améliorer son alimentation, augmenter son activité physique tout en diminuant ses activités sédentaires sont des enjeux de santé importants pour les individus et les populations dans leurs différents lieux de vie.
2Pour faire face à ce défi, de nombreuses stratégies doivent être mises en place et s’inscrire dans une démarche de promotion de la santé telle que définie par l’OMS en 1986. En effet, les déterminants de notre consommation alimentaire et de nos pratiques d’activité physique étant multifactoriels (Figure), il est nécessaire d’agir à la fois au niveau des politiques publiques, de l’environnement dans lequel les individus vivent et de l’individu lui-même. Cette combinaison de stratégies, au-delà d’une meilleure efficacité, permet également de conserver un équilibre entre la responsabilité individuelle et la responsabilité collective dans la démarche de prévention, c’est-à-dire la balance entre la préservation de notre capital santé à travers des comportements individuels responsables et la nécessité de créer des environnements propices à l’adoption de ces comportements favorables à la santé. C’est dans ces conditions optimales que l’éducation nutritionnelle peut atteindre ses effets escomptés sur l’individu et la collectivité.

Fig. 1 – Déterminants de l’activité physique et des choix alimentaires (d’après Simon C. Prévention de l’obésité. La revue du praticien 2005 ; 55 : 1453-60.)
Les fondements de l’éducation nutritionnelle
3En France, dans les politiques de santé publique, la nutrition est considérée dans une acception qui comprend tant les apports nutritionnels, et donc l’alimentation, que les dépenses énergétiques via l’activité physique. Par ailleurs, éduquer ne signifie pas seulement informer ou apporter des connaissances. L’éducation nutritionnelle peut ainsi être définie comme un processus long de découverte ou d’apprentissage de savoirs, de savoir-être, de savoir-faire permettant de donner les moyens à un individu ou à un groupe d’exercer un choix par rapport à ses comportements alimentaires et d’activité physique.
4L’éducation nutritionnelle s’appuie sur une communication positive et non stigmatisante. Elle est basée sur l’échange et la participation des personnes concernées, le respect de leurs valeurs et de leur culture. Elle doit par ailleurs ne pas accroître les inégalités sociales de santé et donc être accessible et équitable.
Les activités mises en œuvre
5L’éducation nutritionnelle ne peut donc se limiter aux connaissances liées à l’équilibre alimentaire ou à la nécessité de faire de l’activité physique « pour sa santé ». Elle doit s’attacher à travailler, comprendre et décoder avec la population les représentations, mais également les freins et les leviers aux changements d’attitudes et de comportements alimentaires ou d’activités physiques. Elle permet aux populations de mobiliser leur savoir-faire existant en les valorisant et donne envie d’en acquérir de nouveaux. Les activités proposées en lien avec ces objectifs sont nombreuses et dépendent des caractéristiques des populations auxquelles elles s’adressent (enfants, adolescents, femmes enceintes, personnes âgées, personnes en situation de précarité, en intergénération) et des lieux où elles s’exercent (milieu scolaire, du travail, de loisirs, lieux d’hébergement ou de soins, domicile).
6Ces activités, qui concernent toutes les dimensions de l’acte alimentaire (biologique, hédonique, social et écologique), permettent aux personnes d’adapter leurs apports alimentaires en fonction de leurs besoins mais aussi de leur culture et croyances alimentaires ainsi que de leurs goûts ; de découvrir comment équilibrer leur alimentation à partir des différents groupes d’aliments ; de développer l’éveil sensoriel en faisant découvrir la grande variété des goûts et des saveurs, en mettant des mots sur leurs sensations et leurs émotions ; d’aider les consommateurs à faire des choix éclairés en sachant décrypter les étiquettes, les messages des médias sur l’alimentation et en optimisant leurs achats ; de redonner du sens à l’alimentation et aux aliments en découvrant ou redécouvrant leurs origines, leur production et leur transformation ; d’avoir une consommation citoyenne en intégrant des préoccupations écologiques et d’équité ; de créer du lien social autour de la confection et du partage du repas.
B. L’intérêt d’une éducation alimentaire
7Si l’on veut que l’information nutritionnelle soit entendue par des « mangeurs pluriels » il est nécessaire de mettre en place non seulement une éducation nutritionnelle mais une éducation alimentaire ou plutôt aux cultures alimentaires. On s’écarte alors de la logique de reproduction de normes qui caractérise l’injonction nutritionnelle et l’on s’inscrit dans une logique de « production », d’invention du social, des modèles et des pratiques qui l’expriment.
8Le rôle de la famille, la découverte des goûts par des activités en classe ou des manières de faire et d’agir alimentaires transmises à l’enfant constituent plusieurs dimensions des processus de socialisation liés à l’alimentation. Celles-ci s’inscrivent dans la filière du manger et participent d’un point de vue symbolique et socioculturel à l’incorporation de tel ou tel aliment où nous postulons le mangeur comme un joueur qui expérimente des possibilités, découvre, décide et déguste. Ce mangeur, dès l’enfance, comprend la relativité des répertoires alimentaires qui le socialisent, ce qui n’empêche pas d’en faire des matrices permettant la construction des identités alimentaires et gastronomiques.
9Il s’agit alors, non de nier la spécificité de l’enfant ou du mangeur quel que soit son âge, ni de chercher son inclusion dans des normes décidées ailleurs depuis une logique qui n’est pas la sienne, mais de valoriser le mangeur, acteur d’une création ou du moins d’une nouvelle lecture des déterminants dont il hérite.
10La dynamique du jeu permet parfois, à la suite de l’effervescence de l’interaction sociale, de glisser d’une forme paradigmatique à une autre. Une éducation à la culture alimentaire, obligatoirement ludique, participe à cette mutation jubilatoire.
11Ce type de rapport à l’aliment mobilise des savoirs faire culinaires, des manières de table, des principes de civilité qui s’acquièrent et se mémorisent lorsque les mangeurs « rencontrent » l’aliment. Ils peuvent ainsi accéder, d’une façon moins rébarbative, aux connaissances des sciences de l’alimentation, à des informations nutritionnelles qui « font sens grâce aux sens ».
12L’éducation alimentaire permet également de développer un rapport au temps, en apprenant à l’accepter dans les transformations culinaires, dans la satisfaction de ses désirs gustatifs, dans la verbalisation des émotions ressenties. On apprend l’histoire de l’aliment et on se construit sa propre histoire. Dimension affective qui participe fortement au plaisir alimentaire. On jouit de « l’ici et maintenant » mais en comprenant l’éventuelle conséquence des incorporations. Autrement dit, l’éducation alimentaire permet de saisir le passé, le présent et l’avenir à travers une matérialisation qu’est le mets dégusté. Bien évidemment, elle intègre la saisonnalité des produits et les mariages gustatifs qu’elle permet.
13Cette éducation aux cultures alimentaires développe un « goût jubilatoire », une mobilisation sensorielle qui ne renvoie pas à un mangeur passif, à un système de normes préétablies. Le mangeur-acteur dispose de principes lui permettant de construire ses connaissances conceptuelles, physiques et gustatives sans que la responsabilisation et le contrôle de soi ne tournent à la mésestime de soi, à la déconstruction inhibitive, au déni. Cette réflexivité critique et ludique résulte d’expériences porteuses de plaisir et créatrices de complicité avec l’altérité.
14L’éducation aux cultures alimentaires valorisant le plaisir et le ludique permet l’appropriation des manières de table, la découverte de l’altérité, de la complexité sous-jacente de l’acte alimentaire ainsi que des multiples propriétés et qualités des produits proposés. Elle permet d’être un acteur social, un mangeur citoyen et un individu pluriel au sein de situations de partages multiples.
Bibliographie
Références bibliographiques
• Bélisle C., Douillet A., « Jeunes et alimentation, un dossier Photolangage® pour penser ce que manger veut dire », CoDES du Vaucluse, Avignon, 2012.
• PNNS, 2011, www.mangerbouger.fr
Références bibliographiques
• Corbeau J.-P., Nourrir de plaisir : régression, transgression, transmission, régulation ?, OCHA, Paris, 2008.
• Corbeau J.-P., Poulain J.-P., Penser l’alimentation : entre imaginaire et rationalité, Privat-OCHA, Toulouse-Paris, 2002.
Auteurs
Nutritionniste de santé publique
UFR « Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives »
Université de Montpellier
Montpellier
genevieve.le-bihan@univ-montp1.fr
Nutritionniste
Institut de Veille Sanitaire
Saint-Maurice
c.delamaire@invs.sante.fr
Sociologue
Université François Rabelais
Tours
jean.corbeau@univ-tours.fr
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L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012