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L'eau à découvert

 | 
Agathe Euzen
, 
Catherine Jeandel
, 
Rémy Mosseri

Sixième partie. Eau et société

15. Modalités de gestion des services d'eau et d’assainissement : un affrontement public-privé ?

Lætitia Guérin-Schneider

Testo integrale

1Grenoble, Paris, Rouen, Nice, Montpellier… Autant de villes qui, après des décennies de gestion déléguée au privé, ont décidé de reprendre la gestion en régie*. Faut-il en conclure que la gestion des services d'eau en France résulte d'un affrontement entre deux modèles ? La réalité est évidement plus nuancée…

Un équilibre évolutif entre gestion publique et privée

2La délégation de service publique (DSP) trouve son origine sous l'ancien régime avec les concessions royales. Dans une DSP, l'autorité publique confie à une personne privée la responsabilité de mettre en place et d'exploiter des équipements de service public en monopole. Les motivations sont simples : profiter des compétences et des capacités de financement du privé. Dans le secteur de l'eau, la première concession date de 1776 à Paris. Mais la concession se développe à la fin du xixe et surtout au xxe siècle, avec la mise en place des réseaux urbains d'eau potable et d'assainissement* (cf. I.8). C'est aussi à cette époque que les grands groupes privés français prennent naissance. Depuis, l'équilibre entre gestion publique et privée n'a cessé de se modifier : la délégation est vue tantôt comme un moyen de bénéficier de conditions favorables (capacité d'investissement, avantage fiscal), tantôt comme un système trop contraignant (rigidité des contrats, recours aux capitaux privés trop coûteux).

Fig. 1 – Évolution de l'équilibre entre régie et délégation pour les services d'eau potable en France. Source : Pezon et Canneva jusqu'en 1993, enquête BIPE en 2006 et 2008, ONEMA depuis 2009

Quels sont les modes de gestion ?

3La palette des modes de gestion est large : depuis la régie, où la collectivité publique assume l'ensemble des fonctions, jusqu'à la concession, où un opérateur privé réalise les investissements et l'exploitation. Des formes intermédiaires existent comme la régie avec prestation de service, pour laquelle une entreprise intervient ponctuellement. Depuis 2010, une forme hybride est possible avec la Société Publique Locale (SPL) : comme dans une délégation, la gestion complète du service est confiée à une entreprise de droit privé, mais dont les capitaux sont publics. Il n'y a pas de mise en concurrence initiale. La SPL permet une plus grande autonomie de gestion, tout en préservant une gouvernance entièrement publique.

4Pour saisir la logique de la DSP, il faut comprendre qu'un contrat ne peut jamais définir complètement une mission aussi complexe que la gestion d'un service. Pour cette raison, le contrat de délégation va créer une obligation, non pas de moyens, mais de résultats. Il en découle deux principes. Tout d’abord, la procédure d'attribution des DSP fixée par la loi Sapin (n° 93-471) déroge au code des marchés publics, en donnant plus de place au principe de la confiance (intuitu personae), notamment durant une phase de négociation. Ensuite, la rémunération de l'entreprise est perçue directement auprès des usagers suivant leur consommation. C'est le principe des risques et périls. En pratique, ce risque est mesuré, car les consommations ne varient pas énormément, même si une tendance à la baisse est observée ces dernières années. Quel que soit le mode de gestion, la collectivité reste toujours responsable de l'organisation du service et demeure, in fine, propriétaire des infrastructures, y compris en cas de concession.

Les points qui font débat depuis les années 1990

5De 1991 à 2000, tous modes de gestion confondus, la facture totale moyenne (INSEE) passe de 187 € à 312 € par an en France. Cette augmentation peut s'expliquer : alors que les volumes vendus ont cessé d'augmenter et que les subventions deviennent plus rares, des directives européennes imposent des traitements plus poussés nécessitant des investissements, y compris en rural, là où les volumes vendus restent souvent faibles au regard des infrastructures nécessaires. Mais, dans le même temps, des scandales retentissants (le plus connu étant l'affaire Carignon à Grenoble) jettent le discrédit sur le secteur. La question d'une régulation émerge. Pendant un temps, le projet de créer une autorité de régulation nationale fait son chemin. Des outils se mettent en place pour améliorer le suivi des services (indicateurs de performance). Mais le projet est finalement abandonné en 2002. Un observatoire, simple outil d'information volontaire, est mis en place en 2007. La France est allée beaucoup moins loin dans les outils de régulation que plusieurs de ses voisins (Angleterre, Portugal ou Italie).

Fig. 2 – Les modes de gestion. Ces grandes familles se retrouvent dans d'autres pays, où le modèle de Délégation de service public* a fait école

6Le système actuel, qui repose essentiellement sur la responsabilité et la capacité des collectivités locales, est donc maintenu. Finalement, quel que soit le mode de gestion, il n'y a pas de service bien rendu sans une collectivité qui assume pleinement son rôle de définition des objectifs du service et de contrôle de l'opérateur, qu'il soit public ou privé.

Bibliografia

Références bibliographiques

• X. BEZANÇON – Histoire des concessions en France, Entreprises et Histoire, pp. 24-54, 2005.

• C. DEFEUILLEY – La dynamique industrielle des firmes de services urbains, Entreprises et Histoire, pp. 96-107, 2005.

• L. GUÉRIN-SCHNEIDER – Histoires des services publics d'eau potable et d'assainissement : entre stabilité et reconfiguration, In Des tuyaux et des hommes, Les réseaux d'eau en France, NSS-Dialogues/Quae, pp. 23-47, 2011.

• C. PEZON et G. CANNEVA – Petites communes et opérateurs privés : genèse du modèle français de gestion des services d'eau potable, Espace et sociétés, pp. 21-38, 2009.

Indice delle illustrazioni

Legenda Fig. 1 – Évolution de l'équilibre entre régie et délégation pour les services d'eau potable en France. Source : Pezon et Canneva jusqu'en 1993, enquête BIPE en 2006 et 2008, ONEMA depuis 2009
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/10059/img-1.jpg
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Legenda Fig. 2 – Les modes de gestion. Ces grandes familles se retrouvent dans d'autres pays, où le modèle de Délégation de service public* a fait école
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/10059/img-2.jpg
File image/jpeg, 122k

Autore

Sciences de gestion, Ingénieure-chercheuse à l’Irstea, G-EAU, Montpellier, p. 276.
laetitia.guerin-schneider@irstea.fr

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