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L'eau à découvert

 | 
Agathe Euzen
, 
Catherine Jeandel
, 
Rémy Mosseri

Sixième partie. Eau et société

4. Le modèle urbain : histoire de l’accès à l’eau

Sylvain Petitet

Testo integrale

1Si l’eau et la ville apparaissent comme indissociables, elles sont aussi représentatives de l’état des sciences, des techniques et de l’organisation politique, économique et sociale de leur époque.

2Ainsi, à l’image de Rome, de sa dizaine d’aqueducs* principaux à l’époque impériale et des volumes d’eaux importants qu’ils permettent de mobiliser et d’acheminer sur des distances parfois élevées, les villes gallo-romaines, mobilisent une eau en quantité importante, acheminée par gravité, grâce à des ouvrages parfois impressionnants (cf. I.8). Leur construction nécessite un nivellement rigoureux, une maîtrise de la construction en pierre et en brique, des enduits de qualité, mais aussi la mobilisation de capitaux importants et une organisation municipale, dirigée par des curateurs des eaux, à même de gérer et entretenir l’ensemble des ouvrages. La disparition de cette organisation s’accompagne d’une absence d’entretien des infrastructures, de leur pillage ou de leur destruction, privant alors les habitants des villes du haut Moyen Âge de ce service urbain.

L’accès à l’eau des populations urbaines, un problème récurrent

3Les habitants des villes doivent alors durablement se contenter de l’eau puisée dans les fleuves ou dans les puits individuels ou collectifs. L’eau peut également être issue du captage de sources locales ou de dérivations de rivières alimentant des fontaines publiques et les concessions particulières, régulièrement remises en cause, dont bénéficient certains privilégiés. Ces ressources sont souvent limitées, de qualité médiocre et tributaires des aléas naturels. Les administrations municipales peinent à mettre en place et entretenir les ouvrages. Le développement des machines hydrauliques, essentiellement à partir du XVIIe siècle, semble ouvrir de nouvelles possibilités en permettant l’élévation des eaux des rivières. Mais ces machines sont coûteuses, peu performantes et fragiles, si bien qu’elles s’avèrent décevantes et changent finalement peu la situation des quelques villes, qui, comme Paris, parviennent à s’en équiper. La pénurie d’eau et sa qualité dégradée restent des problèmes récurrents qui préoccupent les administrations municipales.

4La première révolution industrielle et l’essor urbain qui l’accompagne accroissent la demande en eau, pour des usages à la fois domestiques et industriels, renforçant l’acuité du problème. La concentration des populations et la mauvaise qualité des eaux urbaines rendent les villes particulièrement vulnérables aux épidémies de fièvre typhoïde, voire de choléra (celle de 1832 fait environ 100 000 victimes en France). Fournir aux populations urbaines, dont l’accroissement est considérable, une eau pure et abondante constitue une préoccupation majeure tout au long du XIXe siècle, surtout avec l’essor du mouvement hygiéniste. Reste à savoir quelle eau utiliser (eau de rivière ou de source), comment la mobiliser (dérivation, barrages, élévation), la filtrer, à quel coût et pour une eau de quelle qualité.

L’usine des eaux d’Evreux à l’ère de la vapeur. Carte postale datant des premières années du XXe siècle

L’émergence d’un nouveau modèle urbain de l’eau

5À Paris, les frères Perrier font figure de précurseurs en fondant en 1778 la première société française par action consacrée à la fourniture d’eau. Dès 1782, ils distribuent une eau de la Seine élevée grâce à deux pompes à feu, c’est-à-dire des pompes mues par des machines à vapeur sur le modèle de celle mise au point en Angleterre par James Watt. L’eau était vendue par abonnement aux particuliers comme aux porteurs d’eau.

6Au début du XIXe siècle les projets et les réalisations se multiplient, mais ils sont parfois disproportionnés, notamment quand ils concernent des dérivations de fleuves pour alimenter des villes éloignées. Il faut donc attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour que la distribution d’eau urbaine prenne véritablement son essor et que se constitue un nouveau modèle urbain de l’eau, qualifié d’» industriel ». Selon une enquête réalisée par l’ingénieur des Ponts et Chaussées G. Bechman en 1892, si seules 15 villes françaises disposent d’une distribution d’eau en 1800, elles sont 53 en 1850 et 202 dès 1870, pour atteindre 368 en 1892. La distribution d’eau commence donc à toucher de nombreuses villes de second rang, même si les abonnés disposant d’eau à domicile restent très minoritaires, la distribution d’eau étant alors essentiellement conçue comme une distribution publique assurée par des fontaines et bornes fontaines en libre accès.

L’essor des grandes compagnies d’eau et la diffusion du modèle industriel des eaux urbaines

7À partir du Second Empire, de grandes compagnies industrielles apparaissent. Elles mobilisent des capitaux importants grâce à leurs assises bancaires et se concentrent sur les marchés les plus profitables des villes les plus prospères. La Compagnie générale des Eaux est fondée en 1853 et obtient la concession d’un service des eaux pour Lyon dès 1853, Nantes en 1854, puis pour des stations balnéaires ou des grandes villes industrielles. La Société Lyonnaise des Eaux et de l’Éclairage est fondée en 1881 et poursuit le même type de stratégie en France et dans ses colonies. Si les investissements importants sont alors financés par ces entreprises, leur rémunération est d’abord assurée par les collectivités pour leur service des eaux public, les abonnements particuliers n’apportant qu’un revenu complémentaire, mais qui prend de plus en plus d’importance à mesure que l’installation des robinets de jauge, puis des compteurs, se développe à domicile.

8Pour les villes les plus modestes, qui, dans un premier temps, intéressent peu les grandes compagnies industrielles, il faut dégager les capacités d’investissement nécessaires ou risquer l’aventure avec des entrepreneurs locaux à la fiabilité incertaine. Les projets connaissent souvent de multiples péripéties qui animent les débats locaux, mais obligent les habitants à patienter en se contentant de leurs puits ou pompes individuels ou collectifs. La possibilité offerte aux communes en 1890 de se réunir en syndicats intercommunaux, puis la loi de 1902 relative à la protection de la santé publique et surtout la mise en place en 1903 du fonds du Pari Mutuel Urbain (PMU), offrent aux collectivités de tailles plus modestes la possibilité de constituer un territoire permettant la réalisation d’économies d’échelles et des financements d’État pour les projets publics. Parallèlement, la seconde Révolution industrielle et le développement de l’énergie électrique permettent de s’affranchir des coûteuses machines à vapeur pour l’élévation des eaux. Tout est alors en place pour la diffusion de ce modèle urbain à l’ensemble du territoire et l’arrivée de « l’eau de la ville » jusqu’aux habitations rurales les plus reculées. Ce sera chose faite à la fin des années 1970.

Bibliografia

Références bibliographiques

• L. FIGUIER – Les merveilles de l’industrie ou description des principales industries modernes, Jouvet et Cie, tome 3, 1875.

• J.-P. GOUBERT – La conquête de l’eau. L’avènement de la santé à l’âge industriel, Robert Laffont, 1986.

• Les annales de la recherche urbaine – L’eau dans la ville, Dunod, n° 30, 1986

• S. PETITET – Eau, énergie, assainissement, déchets : vers une ville sans réseaux ? Métropolitiques, www.metropolitiques.eu/Eau-assainissementenergie-dechets.html, 2011.

Indice delle illustrazioni

Legenda L’usine des eaux d’Evreux à l’ère de la vapeur. Carte postale datant des premières années du XXe siècle
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/10035/img-1.jpg
File image/jpeg, 66k

Autore

Aménagement et urbanisme, Chercheur, Directeur de la Recherche et de l’Innovation d’Egis France, EVS, Vaulx-en-Velin, p. 254.
sylvain.petitet@egis.fr

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