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L'eau à découvert

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Agathe Euzen
, 
Catherine Jeandel
, 
Rémy Mosseri

Sixième partie. Eau et société

3. Villages lacustres du Néolithique et de l’Âge du Bronze

Pierre Pétrequin

Texte intégral

1Au XVIIIe siècle, les navigateurs – de Cook à Lapérouse – ont fait connaître au monde occidental les villages de Nouvelle-Guinée et d’Océanie construits sur l’eau, avec une architecture sur pilotis et un mode de vie largement tourné vers la pêche. Puis, en 1864, des ruines de constructions préhistoriques sur poteaux ont été découvertes sous le niveau de l’eau dans le lac de Zurich. L’image de cités lacustres* identiques aux villages exotiques s’est alors imposée dans l’imaginaire de nos sociétés. Cette découverte retentissante en a entraîné des centaines d’autres, dans les lacs et les marais situés dans l’emprise des anciens glaciers alpins. Il a fallu se rendre à l’évidence : pendant le Néolithique* et l’Âge du Bronze*, entre 5500 et 800 av. J.-C., les milieux littoraux ont attiré des communautés d’agriculteurs qui ont construit leurs villages dans des ambiances considérées aujourd’hui comme répulsives, en raison des risques d’inondation et de l’humidité permanente.

Une conservation exceptionnelle

2L’intérêt des villages en ambiance humide tient à la conservation remarquable des vestiges en milieu anaérobie*, en raison de la stabilité des nappes phréatiques* pendant des millénaires. À côté des outillages classiques, bois, fibres végétales, graines et restes alimentaires ont été préservés par milliers. De surcroît, l’étude dendrochronologique* a permis de dater nombre de bois de construction et d’établir un véritable calendrier du Néolithique et de l’Âge du Bronze, selon une chronologie absolue par tranches de dix ans. Il s’agit d’une véritable révolution scientifique pour des périodes qui précèdent l’invention de l’écriture.

3Les villages lacustres constituent donc des sources documentaires de tout premier ordre pour reconstituer l’histoire et les modes de vie des premiers agriculteurs d’Europe occidentale, en rapport avec l’évolution du climat et des environnements modifiés par les défrichements. Ces sites permettent également de situer dans le temps certaines inventions majeures, comme les premiers véhicules attelés à des bœufs – à l’exemple du travois* de Chalain –, l’introduction de la roue, la domestication du cheval ou l’utilisation de la balance.

Étiage des plans d’eau et choix de société

4La construction des villages en milieu amphibie a souvent succédé à des périodes de baisse prolongée du niveau des plans d’eau, durant certains épisodes climatiques momentanément plus secs. Lorsque le climat se dégradait à nouveau et provoquait la remontée des eaux, les villages littoraux étaient abandonnés en raison de la fréquence des inondations. Ce déterminisme climatique n’est cependant vrai qu’en partie, car des phases de bas niveaux ont été identifiées sans habitats riverains. Il s’agissait donc aussi d’un véritable choix de société où des agriculteurs ont adapté leur architecture en rehaussant les planchers sur pilotis, pour coloniser les milieux humides, sans pour autant se tourner vers la pêche comme ressource principale. D’autres raisons sont mises en avant pour expliquer ce mode d’habitat particulier, où maisons et greniers étaient bâtis loin des champs cultivés : la recherche de sites naturellement défendus par l’eau et par les marais, pour s’isoler des autres communautés, est l’une des causes les plus vraisemblables.

Fig. 1 – Les rives lacustres : un pôle d’attraction pour les populations du Néolithique et de l’Âge du Bronze. À gauche : vue aérienne de la rive occidentale du lac de Chalain (Jura). À droite : le site de Clairvaux-les-Lacs VII (Jura), en cours de fouille. © CRAVA/P. Pétrequin

Fig. 2 – Une conservation extraordinaire sous le niveau de l’eau. À gauche : Reconstitution du village de Chalain 2C, début du IIIe millénaire av. J.-C. À droite : Le travois de Chalain 19, fin du IIIe millénaire. © Institut C. N. Ledoux, Saline royale d’Arc-et-Senans/G. Abegg et CRAVA/P. Pétrequin

Sédentarité et densité de population

5Durant le ive millénaire, la durée d’occupation des villages excédait rarement une vingtaine d’années, période qui correspondait au défrichement et à la mise en culture céréalière, selon le principe d’une agriculture itinérante* en forêt et d’une faible densité de population. À partir du iiie millénaire, plusieurs groupes humains ont commencé à se sédentariser plus longtemps sur les rivages, pendant deux ou trois générations, jusqu’à épuisement total des sols dans un rayon de plusieurs kilomètres. Cette nouvelle forme d’agriculture et d’élevage était une réponse à des périodes de croissance démographique, conduisant à moyen terme à une crise économique locale provoquant le déplacement des populations vers d’autres terres.

Ajustements économiques et migrations

6Pour pallier les transformations environnementales provoquées par les défrichements répétés et l’épuisement progressif des sols, les populations ont adopté un spectre économique large – céréales, légumineuses, élevage du bœuf, du porc, du mouton, de la chèvre, chasse et pêche en lac et en rivière, collecte de petits fruits et stockage de glands. Une stratégie économique souple est apparue, évoluant en fonction de la durée des habitats ; le bœuf et le porc étaient favorisés au début de la colonisation, tandis que la chasse prenait ensuite de l’importance, avant une phase finale où moutons et chèvres étaient privilégiés.

7Dans ce contexte de crise attendue, des déplacements de population à l’échelle interrégionale se sont produits, certains groupes quittant leur région d’origine pour migrer en direction de régions moins peuplées. Ces migrations ponctuelles étaient d’ailleurs annoncées par les liens et les réseaux d’échange que supposait l’acquisition d’objets exotiques plus ou moins lointains (des haches en jade, des poignards en silex, des parures en coquillages, des céramiques…), qui permettaient l’affichage d’inégalités sociales marquées.

8En raison de l’intérêt patrimonial et scientifique exceptionnel des villages palafittiques préhistoriques autour des Alpes, l’Unesco a inscrit 111 des sites les plus remarquables au titre du Patrimoine mondial (2011). Sur le territoire français, onze sites ont ainsi été classés, autour des lacs de Chalain, de Clairvaux, du Léman, d’Annecy et du Bourget. Reste cependant en suspens le problème de la protection physique de ces archives de l’humanité, chaque année agressées davantage par les drainages, les mises en culture, les régulations artificielles de l’eau, l’érosion* et le développement du tourisme de masse ; sans mesures drastiques de protection, elles sont menacées de disparaître à brève échéance.

Bibliographie

Références bibliographiques

• P. PETREQUIN – Gens de l'Eau, Gens de la Terre. Ethno-archéologie des communautés lacustre, Hachette, 1984.

• Ministère de la Culture – Les hommes des lacs. Vivre à Chalain et à Clairvaux il y a plus de 5000 ans, Publications électroniques de la Mission de la Recherche et de la Technologie, www.chalain.culture.gouv.fr, 2002.

Les cités lacustres du Jura et de Savoie, Dossiers d’archéologie, n° 355, 2013.

Table des illustrations

Légende Fig. 1 – Les rives lacustres : un pôle d’attraction pour les populations du Néolithique et de l’Âge du Bronze. À gauche : vue aérienne de la rive occidentale du lac de Chalain (Jura). À droite : le site de Clairvaux-les-Lacs VII (Jura), en cours de fouille. © CRAVA/P. Pétrequin
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/10033/img-1.jpg
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Légende Fig. 2 – Une conservation extraordinaire sous le niveau de l’eau. À gauche : Reconstitution du village de Chalain 2C, début du IIIe millénaire av. J.-C. À droite : Le travois de Chalain 19, fin du IIIe millénaire. © Institut C. N. Ledoux, Saline royale d’Arc-et-Senans/G. Abegg et CRAVA/P. Pétrequin
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/10033/img-2.jpg
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