Introduction

1Le catalogue que vient de rédiger Marie-Louise Vollenweider est l’œuvre de nombreuses années, le résultat de réflexions et de méditations infinies. Il ne s’agissait pas seulement de classer les pierres fines selon le style d’une époque, selon la manière d’un graveur dont on peut retrouver la main d’une pierre à l’autre, mais il fallait encore comprendre l’esprit d’une époque (Zeitgeist), le talent des graveurs et la psychologie des personnages représentés.

2Dans l’Antiquité gréco-romaine, le créateur est artisan et il n’a pas de statut social défini. Il est souvent d’origine modeste et ce n’est que s’il parvient à la gloire qu’il peut signer ses œuvres. On se souvient alors de lui, on le cite en exemple, notamment chez les Grecs. Chez les Romains, le travail reste le plus souvent anonyme, mais avec patience on peut retrouver sur telle ou telle pierre la main d’un artiste dont la littérature nous a laissé le nom et signalé le genre de production.

3Cependant l’artiste attire le respect. Sa création peut, en effet, tenir de la magie puisqu’elle parvient à évoquer, à rappeler même la vie. Et ce rappel de la vie peut parfois provoquer, non seulement le respect, mais aussi la peur. Pouvoir extraordinaire de l’artiste qui, néanmoins, devra attendre la Renaissance pour se considérer comme un créateur égal, voire supérieur à Dieu. Mais comment devient-on artiste ? Comment un modeste enfant peut-il révéler un jour un talent créateur ? Ce talent est-il inné ou se transmet-il de maître à élève ? Rien n’est sûr, bien qu’on se doute qu’un long apprentissage soit souvent nécessaire à la formation d’un artiste et que le maître ait parfois quelque influence sur l’évolution de son élève. Le maître ne se contente pas de lui apprendre des procédés techniques, l’art de tenir correctement son burin, c’est évident. Mais comment réussir à sculpter un jour dans la pierre le portrait d’un être humain, en passant parfois par des étapes où apparaissent tout à coup les traits de tel ou tel ancêtre que le sculpteur ne connaît pas et n’a jamais rencontré1 ?

4Il est évident que pour sculpter un portrait, l’artiste doit éprouver une sympathie certaine pour le sujet qu’il entend représenter ; il doit également connaître parfaitement sa psychologie, son tempérament, ses réactions. En même temps, il doit éviter des interprétations hâtives, semblables à celles que la physiognomonie du xvii^e siècle a fait germer dans nombre d’esprits fragiles, jusqu’à l’époque nazie2 et même jusqu’aujourd’hui. En d’autres termes, il faut rejeter la caricature grossière, se garder d’étudier les caractères humains d’après la morphologie d’un visage, ses grimaces ou sa mimique.

5Depuis son enfance, Marie-Louise Vollenweider a mis une grande ardeur à observer le visage d’autrui. Ce visage l’a toujours fascinée : toujours curieuse de le connaître mieux encore, elle a multiplié les lectures qui pouvaient l’aider à progresser dans la connaissance ; C.G. Jung3, Rainer Maria Rilke, et derrière eux Freud l’ont beaucoup intéressée. Par ailleurs, on découvre en elle toute la mystique du pays rhénan, délicatement floue mais d’une profondeur certaine. Elle ne borne pas ses observations à la psychologie des gens ; elle scrute littéralement leur vie intérieure, ce qui n’est possible qu’aux personnes qui ont une connaissance parfaite d’elles-mêmes. La cognitio sui, héritée de l’oracle de Delphes et de Socrate, est la condition sine qua non d’une connaissance intime de l’autre, ce que Marie-Louise Vollenweider sait exactement.

6Psychologie et vie intérieure : Marie-Louise Vollenweider s’efforce toujours de bien démêler l’écheveau de cet ensemble compliqué. Mais elle évite de confondre Antiquité et temps modernes. Car il y a des différences dans l’utilisation et la perception du corps humain à chaque époque. Impossible, par exemple, de comparer l’enfant de l’Antiquité avec celui d’aujourd’hui. Longtemps enfermé au sein de la famille, l’enfant de l’Antiquité a souvent une forme androgyne, alors que celui d’aujourd’hui affirme très vite sa sexualité. Difficulté donc de bien identifier tous ces enfants des Ptolémées si finement étudiés par l’auteur, — comme s’ils appartenaient à sa famille. Difficulté encore de distinguer entre le divin et l’humain. Dans l’Antiquité, le visage de l’homme voudrait parfois se confondre avec celui d’un dieu, puissance supérieure — Alexandre-Zeus — dont il tente d’emprunter le regard exalté, la flamme intérieure : il importe, dans ce cas, de bien faire la part des choses pour découvrir, derrière ce regard, la réalité, sinon la pauvreté de la condition humaine, l’intelligence de l’un, l’ambition naïve de l’autre.

7Pour Marie-Louise Vollenweider, « le visage parle4 » et elle en comprend parfaitement le langage. Dans la tradition de E. Kris, elle nous offre une représentation extrêmement vivante et captivante du monde antique.