Trésors de la chanson populaire française. Autour de 50 chansons recueillies en Acadie
| ,Chapitre VIII. Amour
27. La fontaine troublée
Texte intégral
A) Mme Jo Bordage, Saint Luc (Kent), N.-B.
1946 : Texte pris sous dictée en décembre 1946. Mélodie notée par une personne de l’entourage de la chanteuse.
MÉLODIE 27-A
1. - Quand j’étais chez mon père,
Arigo, michtigo, araba, tra la la,
Quand j’étais chez mon pèr’,
Grand matin me fait, michtificoté ,lever.
2. - Il m’envoi’-t-à la fontaine pour de l’eau aller chercher.
3. - Dans mon chemin rencontre, mon amant du temps passé.
4. - Il me parl’ d’amourettes, trop longtemps m’suis amusé’.
5. - Que va dir’ mon très cher père ? Trop longtemps m’suis amusé’ !
6. - Vous lui direz, mad’moiselle, qu’la fontaine était brouillé’,
7. - Qu’tous les oiseaux du bocage étaient v’nus s’y reposer.
B) Mme Alphée Chevarie, Sur-les-Caps (îles de la Madeleine), P. Q.
1946 : Texte pris sous dictée en août 1946.
1961 : Mélodie enregistrée en 1961.
MÉLODIE 27-B
1. - J’avais un’ méchante mèr’,
Arigo, michtigo, araba, tra la la,
J’avais un’ méchante mère,
Bon matin me fait, michtificoté, lever.
Bon matin me fait lever, (bis)
2. - Pour aller à la fontaine pour de l’eau aller chercher.
3. - Dans mon ch’min j’ai fait rencontre d’mon amant du temps passé.
4. - Il me parla d’amourettes, et moi je me suis ‘musé’.
5. - Que va dir’ ma très cher’ mère quand ell’ va savoir que je me suis ‘musé’ ?
6. - Je saurai bien lui dire qu’la fontaine était brouillé’,
7. - Et qu’les oiseaux du vert bocage étaient tout’ allés s’baigner.
C) Mme Alva Poirier, Barachois (îles de la Madeleine), P. Q.
1946 : Texte pris sous dictée en août 1946.
1961 : Mme Alva Poirier était alors décédée.
PAS DE MÉLODIE NOTÉE
1. - J’avais-t-un’ méchante mèr’,
Arigo, michtigo, araba, tra la la,
Tous les matins ell’ m’fait, michtificoté, lever.
Tous les matins ell’ m’fait lever.
2. - Pour aller à la fontain’ pour de l’eau aller chercher.
3. - Dans mon ch’min j’ai fait rencontr’ mon amant du temps passé.
4. - Il me parla d’amourett’, moi je me suis amusé’.
5. - Que va dir’ ma bonne mèr’ quand ell’ va voir qu’je m’suis amusé’ ?
6. - Mais j’saurai si bien lui dir’ qu’la fontaine était brouillé’,
7. - Qu’les oiseaux du vert bocag’ étaient allés se baigner.
D) Mme Vve André Chiasson, Lamèque (Gloucester), N.-B.
1946 : Texte pris sous dictée en août 1946.
1961 : Mme Chiasson étant décédée, la mélodie a été enregistrée de sa fille, Mlle Isabelle Chiasson, qui l’avait entendue chanter par sa mère.
MÉLODIE 27-D
1. - Je m’en vais-t-à la fontaine,
Arigou et michtigou, araba et tra la la,
Je m’en vais-t-à la fontaine
Pour de l’eau aller, mistificoté, chercher,
Pour de l’eau aller chercher. (bis)
2. - Dans mon chemin fais rencontre de mon amant du temps passé.
3. - Il me parlit d’amourettes et je m’suis trop longtemps ‘musé’.
4. - Que dira votre cher’ mère, que vous avez trop longtemps été ?
5. - Vous lui direz, la belle, qu’l’eau d’la fontaine était troublée,
6. - Tous les oiseaux du vert bocage avaient tous été s’baigner.
E) Mme Melvina Haché, Lamèque (Gloucester), N.-B.
1946 : Texte pris sous dictée en août 1946.
1961 : Mme Haché étant décédée en 1951, la mélodie a été enregistrée par sa fille, Mme Jean-Paul Chiasson, qui l’avait entendue chanter par sa mère.
MÉLODIE 27-E
1. - J’avais-t-une douce mèr’,
Et arigou et michtigou et araba et tralala,
J’avais-t-une douce mère
D’grand matin me fit, michtificoté, lever,
D’grand matin me fit lever.
2. - Ell’ m’envoi’-t-à la fontaine pour de l’eau aller chercher.
3. - Dans mon chemin fis rencontre mon amant du temps passé.
4. - Il me parlit d’amourettes, je m’suis don’ trop longtemps amusé’.
5. - Que dira ma très cher’ mère que j’ai trop longtemps été ?
6. - Mais vous lui direz, la belle, qu’l’eau d’la fontaine était troublé’,
7. - Qu’tous les oiseaux du bocage avaient tous été s’baigner.
F) M James Leblanc, Sur-les-Caps (îles de la Madeleine), P. Q.
1961 : Mélodie enregistrée en 1961.
MÉLODIE 27-F
1. - J’avais un’ méchante mèr’,
Larigo, michtigo, laraba, tralala,
J’avais un’ méchante mère,
Grand matin me fait, mistificoté, lever,
Grand matin me fait lever. (bis)
Coupe strophique
Les vers sont de quatorze pieds, rimant tous en é, et comportent tous une césure féminine, généralement élidée, au septième pied. De nombreux hémistiches oscillent entre six, sept, huit, voir même neuf pieds. Le refrain, pour sa première partie, est de longueur variable : douze syllabes en A, B et C , quatorze dans D et E. Sa seconde partie est toujours de cinq syllabes. [Coupe indexée : 2 ◊ FM ◊ 77 ◊ é.]
Parallèles
[Catalogues : Laforte, I, I-19.- Coirault, 1705.]
1°) Textes anciens
Premier livre d’airs mis en musique, par P. Bonnet, Paris, 1586, p. 28.- Chansons mises en musique, par Planson, Paris, 1593, p. 28 ; reproduit dans Trésor des plus excellentes chansons amoureuses et airs de court, Rouen, 1614, p. 154.- Ms, Bib. Marignanne, Aix-en-Provence, Livre des vers de lût, chanson 142 ; reproduit dans Arbaud, II, 111.- Ms Bib Mazarine, Paris, Ms de Castries 3979, p. 236.
2°) Tradition orale
FRANCE
ARDENNES : Mss Poés. Pop. Fr., VI, 1 et 9 ; reproduit dans Rolland, Ch. pop., II, chanson CXIX/e.
FRANCHE-COMTÉ : Beauquier, 65.
MAINE : R.T.P., IX, 456.
BRETAGNE : Mss Poés. Pop. Fr., V, 569 ; reproduit dans Rolland, Ch. pop., I, chanson CXIX/b.- R.T.P., IX, 407.- (Lorient) Rolland, Ch. pop., I, chanson CXIX/a.
POITOU : Mss Coirault.
BERRY : Barbillat et Touraine, V, 65.
NIVERNAIS ; Millien, II, 215, 3 versions.
LIMOUSIN : Chèze, Branchet et Plantadis, 121.
PROVENCE : Arbaud, II, 112.
LANGUEDOC : (Uchaud, Gard) Mss Poés. Pop. Fr., IV, 283.- (Lassalle, Gard) Rolland, Ch. pop., II, chanson CXIX/d.
QUERCY : Soleville, 49.
VALLÉE d’OSSAU : Bréfeil, 63.- Poueigh, I, 289.- Mss Coirault.
BÉARN: Mss Coirault.
Sans loc. : R.T.P., XXVII, 63.- Mss Coirault.
WALLONIE
Terry et Chaumont, 27.
CANADA
Sœur Ursule, 343.
ACADIE
- 1 L’une de ces versions est l’envoi de Mme Jo Bordage.
Coll. Le Blanc, Évangéline, 2/III/1939, 2 versions1.
Commentaire
1Le thème de la fontaine troublée « par la queue du rossignol » est anciennement attesté en France. Les versions françaises de tradition orale ont conservé le symbole du rossignol ; nos versions acadiennes lui ont substitué « les oiseaux du vert bocage », cependant, le grand collecteur que fut Jean-Thomas Le Blanc avait recueilli de sa mère une version où il est dit à propos de la fontaine : « le rossignol sauvage l’a brouillée ». La chanson française du xvie siècle se présente tantôt sous une forme grivoise (Bonnet, Planson), tantôt sous une forme où l’allusion grivoise est plus voilée (Ms d’Aix) :
Par un matin, la belle s’est levée,
A pris son seau, du lin, du lé,
du long de l’eau,
A pris son seau, à l’eau s’en est allée.
A son chemin, son amy l’a rencontrée.
- Où allez-vous, de moy la mieux aymée ?
- M’en vois à l’eau, la fontaine est troublée ;
Le rossignol luy a sa queue baignée.
Maudit soit-il, et toute sa lignée !
Si ne fut luy, je seroy mariée
A mon amy qui m’a tant désirée
Et maintenant, suis fille abandonnée.
Hellas mon Dieu qu’en dira-t-il ma mère ?
2La forme grivoise présente des vers encore plus proches de la tradition orale :
- Hélas ! mon Dieu, las ! que dira ma mère ?
- Vous lui direz : La fontaine est troublée,
Le rossignol y a sa queue mouillée.
- Maudit soit-il qui m’a tant abusée !...
- 2 Les Chansons de France, III. 84.
3Le rossignol qui trouble la fontaine est évidemment le symbole de l’amour qui a troublé pour toujours la vertu de la jeune fille. La même idée est exprimée dans une chanson du Périgord, distincte de la nôtre : « Les oies de Maître Pierre / La source ont tant brouillée, / Jamais ne sera claire / Que quand nous marierons. »2.
- 3 Voir Zeilschrift fuer romanische Philologie, XXXIV, 82, chanson 282.
4Le début de nos versions d’Acadie se trouve comme incipit d’une chanson du xvie siècle donnée par le chansonnier de Lucques3 :
N’ay-je pas mauvaise mère
Quy matin me faict lever
Pour aller à la fontaine
Devant que le jour soit cler...
5La suite n’a plus rien à voir avec notre chanson.
- 4 Cf. Thoinot Arbaud, Orchésographie, 18 verso. La première apparition du terme remonterait à Christi (...)
6Jean-Thomas Le Blanc croyait voir, dans le refrain, un emprunt à un dialecte indien. Il n’est pas plus étrange que celui des diverses versions de France, en particulier celles du Nivernais. Le premier terme de ce refrain, « arigo », existe en français : il désigne une sorte de flûte, « Larigot »4. Il n’est pas rare de rencontrer dans les chansons populaires des refrains faisant allusion à un instrument de musique :
-
« la pibole ... pibolons », dans la chanson bien connue de La Mère ageasse, désigne une flûte rustique ;
-
« turelure ... toureloure », dans la chanson de La Brebis en danse (dont nous avons recueilli une version à Saint-Antoine, N.-B.) est lié à l’ancien français loure = musette ;
-
- 5 Cf. Rondes pour les demoiselles, Paris, 1825, III, 50.
- 6 Refrain d’une version vendéenne de Le moine et la vache (cf. chanson n° 49) que nous avons recueill (...)
les refrains comiques de « la tante hurlurette » ( = tanturlurette )5 et du « tonton bourinons » ( = tambourinons)6 semblent également tirer leur origine, de la musette pour le premier, et du tambourin pour le second ;
-
- 7 Reproduite dans Poulaille, Ch. xve s., 237.
une chanson de 15487 a pour refrain : Dansons les bouffons, tambourinez donc.
Notes
1 L’une de ces versions est l’envoi de Mme Jo Bordage.
2 Les Chansons de France, III. 84.
3 Voir Zeilschrift fuer romanische Philologie, XXXIV, 82, chanson 282.
4 Cf. Thoinot Arbaud, Orchésographie, 18 verso. La première apparition du terme remonterait à Christine de Pisan qui l’emploie comme refrain : « Larigot va larigot ». (D’après Bloch, Dict. Etym. Lang. Fse, art. « arigot ». Voir aussi G. Thureau, p. 137.)
5 Cf. Rondes pour les demoiselles, Paris, 1825, III, 50.
6 Refrain d’une version vendéenne de Le moine et la vache (cf. chanson n° 49) que nous avons recueillie au Langon en 1951.
7 Reproduite dans Poulaille, Ch. xve s., 237.
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