Delamonce, Jean, attribué à

Paris, 1635 – Lyon, 1718

93. Plainte de l’Espagne aux confédérés, 1677

1Dans une salle formant terrasse et ouvrant sur un vaste espace extérieur, les alliés de l’Espagne sont réunis, en cercle, avec le jeune roi Charles II (né le 4 novembre 1661, régnant depuis le 17 septembre 1665), assis à gauche sous un dais, et reconnaissable surtout à son collier de la Toison d’or. Il sera, de même que certains des autres participants, plus exactement portraituré sur l’estampe* dont ce dessin est la préparation. Il s’agit d’un almanach pour 1678 publié par Pierre Giffart (BNF, Est., coll. Hennin, n^o 4945), intitulé : Plainte d’Espagne aux confédérés causée par la prise de Valenciennes, Cambrai et Saint-Omer et la bataille du mont Cassel.

93* BNF, Est., coll. Hennin, n^o 4945

2La prise de Cambrai par Louis XIV (5‑17 avril 1677) et la bataille de Cassel remportée par Monsieur (11 avril) figurent toutes deux sur l’almanach, dans des cartouches de cuir dont l’un est esquissé en bas à gauche du dessin. La prise de Fribourg-en-Brisgau par le maréchal de Créqui le 17 novembre 1677 n’est pas représentée sur le dessin, mais c’est elle qui sur l’estampe occupe tout l’espace au-delà de la terrasse et que regardent à la lunette et à la loupe deux des participants, inquiets – elle sera confiée à un dessinateur différent, le même que celui des cartouches, qui sera peut-être aussi l’aquafortiste de cette partie de l’almanach. Quant à la prise de Valenciennes (7 mars 1677) et à celle de Saint-Omer (20 avril), elles ne sont représentées ni sur le dessin ni sur l’estampe.

3Le sujet du dessin, et par conséquent de l’almanach, n’a pas grand-chose à voir avec l’allégation proposée par l’inscription à la plume (Traité de la paix de Nimegue et l’assemblée de son congrez), car la paix de Nimègue n’interviendra avec la Hollande que le 10 août 1679 et sera donc célébrée dans les almanachs de l’année suivante. En effet, les participants à la réunion se plaignent d’une cascade de succès français, ce qui amènera tout de même la paix, aux conditions imposées par Louis XIV.

4En dehors du roi d’Espagne, les participants à cette réunion ne sont guère identifiables que par les inscriptions satiriques figurant sur des feuilles de papier qu’ils tiennent à la main. Mais comme elles ne sont pas indiquées sur le dessin, celui-ci ne peut guère être compris sans l’estampe qu’il a préparée, accompagnée de sa lettre explicative, et même ce guide est insuffisant. On peut cependant supposer que c’est à l’électeur de Mayence que correspond l’inscription « Je suis rongé jusqu’aux os comme un jambon de Mayence », et à l’électeur de Trèves (bien qu’il ressemble beaucoup à Ferdinand de Bavière, l’électeur de Cologne) « Une bonne trêve vaut mieux qu’une méchante guerre ».

5Pour ce qui concerne l’attribution du dessin à un certain Delamonce, elle pose problème, dans la mesure où le Delamonce artiste, prénommé Jean, père de Ferdinand, qui correspondrait chronologiquement, ne se trouvait pas à Paris, ni même en France, aux environs de 1677, puisque après un séjour à Chambéry il s’établit à Munich entre 1672 et 1684 avant de s’installer à Lyon, où il demeurera jusqu’à la fin de sa vie (voir Perez, 2000, p. 354-355 ).

6Auteur de projets de décoration éphémère, de compositions gravées par les Audran, tourné aussi vers l’architecture – le département des Estampes conserve un projet dessiné pour le portail de l’Hôtel-Dieu à Lyon qui lui est attribué (Galactéros de Boissier, 1980, p. 93‑98) –, Jean Delamonce pouvait fournir un dessin pour un almanach, mais la date de ce dernier supposerait que l’artiste ait conservé des liens avec la capitale française, et nous ne disposons d’aucune information à ce sujet.

m. p.

Deshayes, Gaspard (ou collaborateur de)

Actif au xvii^e siècle, documenté jusqu’en 1701

94. Dame consultant son avocat

7Repéré par Roger-Armand Weigert (IFF Deshayes, n^o 119), ce dessin préparatoire à une estampe* publiée par Gaspard Deshayes, en contrepartie, s’apparente à la catégorie des « scènes de genre en mode » ; il figure en effet une élégante dame, suivie par un jeune page portant une cravate à la Steinkerke (ce qui implique une date postérieure à septembre 1692), face à un homme en robe d’avocat, qui se penche légèrement vers elle en souriant. Les habits, de la dame comme de son interlocuteur, sont décrits avec soin, et l’ensemble baigne dans une atmosphère de conversation aimable.

94* BNF, Est. Oa 49 pet. fol.

8Le rapport d’affaires entre une jeune femme et la justice, représenté dans un cadre fort animé par Abraham Bosse dans L’Étude du procureur vers 1633, est ici devenu l’objet d’une représentation intimiste, comme si deux personnages seulement avaient été extraits du brouhaha et du fouillis de l’étude pour être présentés dans un cadrage resserré, qui crée une impression de calme au sein des procédures. Le même rapport de badinerie, presque galant, se retrouve dans une estampe publiée par Henri II Bonnart d’après un dessin de son frère Robert, intitulée Dame sollicitant son rapporteur. Si, dans cette dernière, les personnages sont assis, Deshayes semble s’en être inspiré, puisque l’on trouve dans son dessin la même bibliothèque et le même rideau, ainsi que des vêtements presque exactement semblables : robe à manteau retroussé et corsage garni de dentelle, jupe à falbala au niveau des genoux, bonnet à la Fontange orné de rubans, collier de perles et boucles d’oreille. Dans les deux compositions, où le ton est résolument plus léger qu’affairé, la jeune femme arbore d’ailleurs le petit sac qui contient les pièces du procès à la façon d’un accessoire de mode, tandis que le rapporteur tient élégamment une feuille blanche entre ses mains. La lettre de l’estampe de Deshayes est d’ailleurs sans ambiguïté, puisqu’elle est composée des vers suivants : L Avocat n’est point Laid La Dame a des appas / Des pieces… on n’en doute pas // Elle aura gain de Cause / Ie reponds de la Chose.

9Le style du dessin et différents éléments de la composition présentent une grande proximité avec la composition préparatoire à La Quêteuse (voir n^o suivant) ; le page, avec sa figure ronde aux grands yeux et son pied droit en mouvement, semble notamment avoir été simplement reporté d’une feuille à l’autre.

10La description de la scène, dans laquelle est décliné avec aisance un thème de la vie quotidienne, offre un éclairage inattendu et très intéressant sur la production d’un éditeur encore trop peu connu, dont les gravures sont souvent plus grossières que celles de ses concurrents. La feuille constitue ainsi un intéressant témoignage de la création des « modes », à la suite du succès remporté par les éditeurs de la rue Saint-Jacques, par un marchand installé rive droite, rue de la Coutellerie, capable de créations originales à partir de la production de ses confrères.

p. c.

95. La Quêteuse

11Préparatoire à une estampe* intitulée La Quêteuse, ce dessin classé parmi les anonymes, à l’encre et au lavis, était apparemment signé, en bas à gauche, dans le filet d’encadrement. La signature a malheureusement été délibérément recouverte d’encre, ce qui la rend totalement illisible. Nous attribuons la feuille à Gaspard Deshayes en raison de sa grande proximité avec le dessin précédent. D’autre part, l’estampe qui s’y rapporte (Oa 74 pet. fol.), bien qu’anonyme, semble correspondre à la politique éditoriale de cet éditeur encore peu connu. Ce dernier s’est en effet engouffré dans la brèche des « modes » à partir des années 1690, publiant des planches influencées par les Bonnart, Mariette et Saint-Jean. Faisant souvent intervenir plusieurs personnages, penchant vers la scène de genre, ses publications résultent de combinaisons plus ou moins réussies d’estampes déjà connues dont elles reprennent tantôt les quatrains, tantôt les personnages.

95* BNF, Est., Oa-74 pet. in-fol.

12Les trois silhouettes ici mises en scène dans un décor sommairement esquissé, en une composition qui semble relever davantage de la badinerie galante que de l’œuvre de charité annoncée par le titre final, portent des vêtements décrits par des aplats au lavis, bien moins détaillés que les habits dessinés par les concurrents de Deshayes : il n’est ainsi presque pas question de broderie sur les pans du bonnet à la Fontange ou les engageantes de la femme, pas plus que sur la cravate à la Steinkerke de l’homme. Cette caractéristique se retrouve dans la traduction gravée du dessin, où les étoffes sont évoquées par de grands pans lisses. Les accessoires et éléments de parure – mouches, collier, éventail et rubans – y sont toutefois mentionnés avec soin par le dessinateur, témoignant de la volonté de mettre en valeur la magnificence des personnages, constante de la gravure de mode qui signe immédiatement l’appartenance de l’estampe à ce genre.

13Au-delà de son style en lui-même, le dessin, dans sa composition, rappelle beaucoup celui de la Dame consultant son avocat (n^o précédent) ; il offre un bon exemple du renouvellement des compositions des « modes » par la modification de certains éléments, comme les gestes des mains ou l’orientation de la tête, plutôt que par l’invention d’une nouvelle formule. Déclinant sans cesse l’attitude générale de leurs personnages, transformant quelques détails, les dessinateurs des « modes » puisent en effet dans une large palette de possibilités, qui leur permet de réaliser de nombreuses planches sans grand investissement.

14D’une feuille à l’autre, le même page apparaît ainsi à la même place, accompagnant deux protagonistes qui semblent avoir interverti leurs situations : les positions respectives de l’homme et de la femme – ainsi que la couleur dominante de leur vêtement – ont été simplement inversées. Le même personnage de profil – ici un homme – se retrouve devant le page, dont seules les mains et le costume paraissent avoir été modifiés. Le profil est en effet presque exactement similaire d’un dessin à l’autre, avec de grands yeux, un nez droit et un menton légèrement empâté, témoignant d’un intérêt qui porte davantage sur le jeu des rôles définis par l’habit que sur la physionomie des personnages, quasiment interchangeables en dépit de leur sexe. Cet effet est encore souligné sur l’estampe par les mouches et les boucles de cheveux que l’homme comme la femme arborent.

15Les déclinaisons minimes entre ces deux compositions, qui les renouvellent pourtant, illustrent de manière frappante le processus de création de la gravure de mode, dont le renouvellement permanent, touchant surtout les détails au sein d’une formule pratiquement stable, n’est pas sans évoquer celui de la mode elle-même. Si cette répétition des mêmes silhouettes, accompagnée de légères modifications, se retrouve chez tous les dessinateurs de ces estampes, la création combinatoire est quant à elle particulièrement présente chez Gaspard Deshayes.

p. c.

Desmarestz, Marin, attribué à

Actif dans la seconde moitié du xvii^e siècle et au début du xviii^e siècle

96. La Grande Roue de fortune, 1705

16Ce dessin fort enlevé est directement préparatoire à la partie principale d’un almanach* pour 1706 publié par François-Gérard Jollain et gravé par Nicolas II de Larmessin (IFF N. II de Larmessin, n^o 119 ; Paris, 1995, p. 128, n^o 45, repr.).

96* BNF, Est., Ob 5, 1706

17Il est intitulé Les Loteries tirées par permission du roi pour le bien du public, le soulagement des hôpitaux, l’édification des églises et la sûreté de la ville de Paris contre les incendies. Il s’était agi en effet d’obtenir de l’argent pour la restauration de bâtiments publics ayant souffert de divers sinistres et pour l’acquisition de pompes à incendie d’un modèle nouveau, dont l’utilisation avait permis de limiter la gravité d’un feu survenu au séminaire du Petit-Saint-Antoine, dans la rue du même nom (Le Mercure galant, septembre 1705).

18La plupart des représentants de la Ville sont là. Le tirage au sort est effectué grâce à la « grande roue de fortune » et à la main innocente d’un enfant trouvé (reconnaissable à son cheveu ras). Au premier plan se presse le public, chacun espérant entendre le numéro inscrit sur son billet crié par l’animateur, appelé ici « annonciateur de bonnes nouvelles ».

19Au bas du dessin, au-dessus de l’espace prévu pour le calendrier, un emplacement est réservé pour Lembrassement du petit s.^t anthoine ou Lussage des pompes, mais finalement, dans l’almanach, ce sera une autre vignette montrant la loterie de Saint-Roch tirée à Paris le 10 novembre 1705. Un dessin préparatoire (qui n’est pas le dessin définitif) de ce sujet est conservé au musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg ; à la différence d’Irina N. Novosselskaya (2002, p. 25, fig. 7), nous hésiterons à l’attribuer également à Desmarestz, y voyant plutôt la main d’un des frères Bonnart.

20La manière de ce beau dessin est fort proche de celle des dessins signés (Desmarestz invenit) du département des Arts graphiques du musée du Louvre (Le Jugement dernier, provenant de la coll. Saint-Morys ; Guiffrey et Marcel, V, 1910, n^o 3638) et du musée des Beaux-Arts de Rouen (Le Salut des âmes du purgatoire, inv. AG 1975.4.1228), vraisemblablement destinés à des canons d’autel, dont on ne sait s’ils furent gravés. Son attribution à Desmarestz nous paraît donc tout à fait justifiée, encore qu’on ne sache pas grand-chose sur cet artiste.

21Le prénom de « Martin » lui est donné, semble-t‑il, par le seul Gault de Saint-Germain (1808, p. 170), suivi par Janneau (1965, p. 283‑284) : « Martin Desmarest [sic] : Gérard, [sic] Edelinck, Bernard Picart et François Cars ont gravé des pièces allégoriques et des portraits d’après cet artiste, sur lequel il est difficile de se procurer des renseignements », opinion qui reste vraie deux siècles après. Cependant, la lettre d’une gravure par Bernard Picart qui sert de frontispice au deuxième tome du Cabinet des singularitez d’architecture, peinture, sculpture et graveure, ou introduction à la connoissance des plus beaux arts figurés sous les tableaux, les statues et les estampes, publié par Florent Le Comte (1699), orthographie son nom ainsi que la seule occurrence de son prénom de la manière suivante : Marin Desmarais. Cette petite estampe allégorique représente, selon Pierre-Jean Mariette, « la déesse de la Peinture assise près de son génie qui soutient un tableau où sont représentés l’Art et la Nature » (« Notes manuscrites », VI, 233).

22Une autre composition de Desmarestz gravée par Picart sert de frontispice à l’une des éditions du Grand Dictionnaire historique de Louis Moréri.

23Desmarestz a effectivement fourni des dessins pour au moins deux compositions gravées par Jean-François Cars (1661-1730) : une image pour une confrérie de la Nativité de la Vierge fondée en 1711, et une représentation du mausolée du dauphin mort le 14 avril 1711 (IFF Jean-François Cars, n^os 23‑24).

24L’allusion de Gault de Saint-Germain à Gérard Edelinck (1640-1707) résulte en partie d’une confusion : un portrait du roi gravé par Edelinck s’insère dans une composition allégorique gravée par Louis Loisel d’après Desmarestz pour Les Glorieuses Conquestes de Louis le Grand par Sébastien de Pontault-Beaulieu (v. 1694). Il existe cependant un portrait de Louis de Lavergne-Montenard de Tressan, évêque du Mans et premier aumônier de Philippe d’Orléans, gravé par Edelinck d’après un certain Desmares [sic], selon la lettre de l’estampe ; s’agit-il de notre artiste, que l’on trouve à l’aise dans l’allégorie mais dont on ne voit pas d’autre portrait que celui-ci, ou d’un quasi-homonyme ?

25Mais si Gault de Saint-Germain nous propose ces quelques noms, nous en rencontrons d’autres dans les « Notes manuscrites » de Pierre-Jean Mariette : de Nicolas Pitau le fils (1670-1724), Pallas assise au pied du tombeau du prince de Condé, vignette pour une oraison funèbre (« Notes manuscrites », VI, 251) ; de Jean-Baptiste Scotin (né en 1678), La Science victorieuse de l’Hérésie présentant un livre à la Vérité qui est assise dans un trône, vignette (op. cit., VII, 4) ; plusieurs vignettes gravées par Nicolas de Larmessin (sans doute Nicolas III, 1684-1755) représentant des moines au travail (op. cit., VII, 5 ; IFF n. d.) ; de Jean Audran (1667-1756), La Justice, l’Éloquence et la Prudence soutenant les armes d’un président à mortier (op. cit., I, 39 ; IFF Jean Audran, n^o 112, lacune) ; de Jean Langlois, S^te / Cécile chantant les louanges de Dieu sur l’orgue (op. cit., IV, 155).

26Toutefois le graveur qui a le plus travaillé d’après Desmarestz est incontestablement Jean Mariette (1660-1742), si l’on en croit son fils Pierre-Jean, qui liste dans les tables de l’œuvre de son père une bonne quarantaine de vignettes, qu’il s’agisse de la collection du prince Eugène ou de celle de Jean V de Portugal (op. cit., V, 63, 64, 65, 66, 67, 67 a, 72, 73 v^o) ; on en retrouve un grand nombre dans l’œuvre de Jean Mariette conservé au département des Estampes de la Bibliothèque nationale de France. On constate alors que le nom de « Desmarestz » n’y est jamais inscrit et que tout repose sur l’opinion de Pierre-Jean Mariette, évidemment très autorisée en la circonstance, puisqu’il n’avait qu’à interroger son père.

27Ainsi, nous pouvons commencer à constituer un œuvre dessiné de Desmarestz, apparemment aussi habile dans le petit que dans le grand. Il nous reste cependant à étoffer la silhouette de cet artiste qui, pour l’instant, échappe fâcheusement à l’archive.

m. p.

97. Philippe V reçoit les témoignages de fidélité de ses sujets, 1706

28Ce dessin prépare directement la partie principale et la grande vignette d’un almanach pour 1707 publié par François-Gérard Jollain (IFF François-Gérard Jollain, n^o 32). Les figures sont inversées droite-gauche pour apparaître dans le bon sens à l’impression. L’estampe ne rend pas hommage au talent graphique de Desmarestz – si c’est bien de cet artiste qu’il s’agit –, dont le nom est inscrit à la plume au bas de la feuille.

29La scène se passe près du village fortifié de Jadraque (dans la province de Guadalajara, dont on aperçoit une vue supposée à l’arrière-plan), à côté duquel Philippe V a établi son camp en juillet 1706. On est en pleine guerre de Succession d’Espagne, et la Péninsule est partagée entre les Bourbons et les Habsbourg. Aussi est-il de bonne propagande de montrer que Philippe V n’est pas isolé mais reçoit le soutien de la noblesse espagnole.

30Le roi, chargé à la fois du Saint-Esprit et de la Toison d’or, debout devant un pavillon orné des lis de France et des tours de Castille, est entouré de ses fidèles : le comte de Mara, le duc d’Arcos, le duc de Montalto, le duc de Medina Sidonia et le duc d’Abrantes. Le duc d’Atrisco, agenouillé devant lui, lui baise la main, tandis que s’approchent de lui le père Foilan dans son habit de dominicain, le duc de Veragnas, le duc d’Osuna et le marquis de Castanaga (lequel est à genoux dans le dessin mais seulement légèrement courbé dans l’estampe).

31À la partie inférieure sont préparés des cadres pour plusieurs vignettes ; la plus importante d’entre elles a déjà son dessin, que l’on peut attribuer au même artiste. Très enlevé, il représente un épisode particulier de la guerre, mettant à l’honneur Luis Antonio Belluga y Moncada, un des plus chauds partisans de Philippe V, qui l’avait nommé évêque de Carthagène puis, en 1706, capitan général de Valence et de Murcie ; on le voit à cheval à la tête de ses troupes, contraignant les Portugais alliés aux Anglais à lever le siège de Murcie.

32La manière de ce beau dessin est fort proche de celle des dessins signés du département des Arts graphiques du musée du Louvre (Guiffrey et Marcel, V, 1910, n^o 3638 ; le dessin porte une signature probablement autographe : Desmarestz invenit.) et du musée des Beaux-Arts de Rouen, ce qui justifie son attribution à Marin Desmarestz. Sur cet artiste, voir La Grande Roue de fortune, 1705 (n^o précédent).

m. p.

98. La Déroute des agioteurs, 1710

33Ce dessin préparatoire à un almanach pour 1711 publié par Gérard II Jollain (coll. Hennin, 7347 ; IFF Gérard Jollain, n^o 78 ; Paris, 1995, p. 140, n^o 50, repr.) a l’avantage de nous décrire assez précisément la mode féminine en 1710. Ce n’est pas cependant sa principale intention, qui est de représenter une scène synthétique de la pièce de théâtre de Dancourt (Fontainebleau, 1661 – Courcelles-le-Roi, 1725) intitulée Les Agioteurs (autrement dit « les spéculateurs »). Cette comédie en trois actes fut jouée le 26 septembre 1710 au théâtre de la rue des Fossés-Saint-Germain, à Paris, ce qui date le dessin d’octobre ou novembre 1710.

34En faire le sujet principal d’un almanach manifeste le succès rencontré par cette comédie dans la folie spéculative qui régnait alors à Paris. La Justice foudroie et terrorise les personnages de la pièce, qui sont tous, à des degrés divers, liés par la cupidité.

35La manière très enlevée de ce beau dessin, son traitement des visages et des figures, la qualité de la mise en scène sont tout à fait comparables à ceux que l’on attribue à Marin Desmarestz non seulement dans les deux autres dessins préparatoires à des almanachs conservés par le département des Estampes (voir n^os 96 et 97), mais aussi à ceux des dessins signés du département des Arts graphiques du musée du Louvre (Le Jugement dernier, Guiffrey et Marcel, V, 1910, n^o 3638) et du musée des Beaux-Arts de Rouen (Le Salut des âmes au purgatoire, inv. AG 1975.4.1228), vraisemblablement destinés à des canons d’autel.

m. p.

99. Femme en robe brodée portant un diadème, debout devant un édifice à colonnes

36Le dessin porte une annotation ancienne indiquant le nom de Desmarestz, un artiste dont la biographie est mal connue et le prénom incertain (voir la notice sur La Grande Roue de fortune, n^o 96), auquel on associe ici trois projets d’almanachs (voir les trois notices précédentes).

37Ce dessin était sans doute destiné, lui aussi, à être gravé. Le verso de la feuille présente dans le haut une zone frottée à la sanguine qui correspond probablement à un projet de report au niveau de la tête. La figure, richement vêtue, debout près d’une colonne, se détachant d’un arrière-plan occupé par un paysage exotique et un tempietto, évoque les impératrices de l’Antiquité, Agrippine, Octavia, Flavie, Cornelia, auxquelles Robert Bonnart, par exemple, a consacré une suite où le type de présentation de l’héroïne est tout à fait comparable (BNF, Est., Oa 72 pet. fol. ; IFF Robert Bonnart, n^os 122‑133). Non sans charme mais non sans raideur, elle se rattache, dans un registre toutefois différent, à la production des « modes » du règne de Louis XIV.

Dubois, Jean

Avon, 1604 – Fontainebleau, 1676 ou 1679 ?

100. Portrait d’homme

38Bien que le dessin porte une annotation Dubois fecit, qui semble être une signature, il est resté longtemps en quête d’auteur. Louis Dimier (1924, p. 190) avait rapproché l’œuvre d’Élie Dubois, actif à Paris dans la première moitié du xvii^e siècle et qui travaille pour l’éditeur Nicolas de Mathonnière (IFF Élie Dubois, n^os 1‑44). Le dessin était par ailleurs enregistré dans les collections du département des Estampes sous le nom d’Antoine-Benoît Dubois (1619-1680), maître peintre ordinaire de la ville de Dijon, peintre ordinaire du roi et aussi graveur (Laveissière, 1980, p. 183). Reçu à l’Académie royale en 1663, il présente un paysage comme morceau de réception en 1664. Le département des Estampes conserve plusieurs Paysages à l’eau-forte signés B. Dubois qui lui reviennent (AA1 Dubois ; IFF Benoît Dubois, n^os 1‑6) et le musée national de Bucarest un tableau d’un Paysage avec figures et ruines qui porte une signature B. Dubois (inv. 8233/267 ; Milan, 1996, n^o 92, repr.).

39Plutôt qu’à Élie ou à Antoine-Benoît, nous avons pensé (Brejon, 2012) à Jean (1604-1676), fils du fameux peintre Ambroise Dubois (1542/1543-1614/1615).

40Si le modèle de notre portrait – peut-être un ecclésiastique – n’est pas identifié, l’œuvre révèle un dessinateur habile qui doit prendre sa place dans l’histoire du portrait dessiné en France au xvii^e siècle aux côtés d’un Claude Mellan ou d’un Philippe de Champaigne.

41La simplicité de présentation du modèle qui nous regarde, l’approche directe de celui-ci nous permettent de situer l’œuvre dans les années 1640, à un moment où Simon Vouet a imposé son style vif et plein de naturel à l’art parisien. Cette datation nous paraît compatible avec l’activité de Jean Dubois, dont le Louvre conserve une étude de Madeleine éplorée, à la pierre noire, sanguine et rehauts de pastel sur papier beige (RF 49960 ; Cordellier, 1999, p. 89, n^o 15, repr.). Présentée à la galerie Aubry (Paris) en 1971 sous le nom de Simon Vouet, elle avait été rendue à Jean Dubois par Anne Leclair et Pierre Rosenberg (1973, p. 259, fig. 3), qui l’avaient mise en rapport avec le tableau de La Sainte Trinité entourée de la Vierge, saint Jean, sainte Marie Madeleine et une sainte femme (maître-autel de la chapelle de la Trinité au château de Fontainebleau). Le tableau, in situ, a été payé à l’artiste en 1642.

42Passé à Rome en 1627, garde général des tableaux du roi au château de Fontainebleau à partir de 1635 et nommé peintre du roi en 1636 (Treydel, 2001, p. 58‑59), l’artiste, qui ne doit pas être confondu avec son homonyme dijonnais (voir les deux numéros suivants), est aujourd’hui trop peu connu, bien que Nicolas Bailly (1899, p. 353‑355) mentionne de nombreux tableaux de lui dans les collections du roi : une Renommée, une Nativité avec des bergers, une Crucifixion, une Résurrection du Christ, une Descente du Saint-Esprit sur les apôtres et la Vierge, une Gloire d’enfants dans des nuages, une Madeleine et une Femme assise tenant un vase rempli de fleurs.

Dubois, Jean

Dijon, 1625 – Dijon, 1694

101. Arc de triomphe avec figures allégoriques

102. Arc de triomphe avec figures allégoriques

43Ces projets d’arcs éphémères étaient destinés à célébrer Louis II de Bourbon, vainqueur à Thionville (1643), à Philippsbourg (1644), à Dunkerque (1646), comme l’indiquent les inscriptions portées sur un des projets. Louis II de Bourbon (1621-1686), duc d’Enghien, devient prince de Condé et gouverneur de Bourgogne après la mort de son père, survenue le 26 décembre 1646. Les deux dessins renvoient à l’entrée dans Dijon du prince de Condé le 6 mars 1648 ; l’amour du peuple pour le prince, l’importance des victoires de ce dernier, l’honneur du roi, la renommée de la maison de Bourbon étaient célébrés par des portiques et des arcs de triomphe dont la description a donné lieu à un livret par Étienne Brechillet publié en 1650 chez Guy-Anne Guyot. Les cinq estampes qui y sont incluses portent le nom d’un graveur peu connu et maladroit, Dorgelet (IFF Dorgelet, p. 472), et sont différentes des dessins de Dubois. La description des arcs et portiques non gravés ne leur correspond pas non plus, et on peut penser que les deux projets de Dubois n’ont pas été retenus. Soulignons le fait que l’artiste, encore jeune, ne commence à être lié à des activités officielles dijonnaises qu’à partir de ce moment-là (Fernandes, 2001, p. 59-60). Dessinateur, sculpteur et architecte, Dubois ne succédera qu’en 1682 à Jean Godran comme ordonnateur attitré des décors de circonstance de la ville de Dijon (Fyot, 1907). Le musée du Louvre conserve un album de dessins de Dubois (inv. RF 6066), où la diversité des projets, éléments funéraires, agencements architecturaux, mobilier liturgique et la qualité de l’exécution au lavis, pleine de brio, indiquent une plus grande maîtrise par rapport aux deux dessins de la Bibliothèque nationale de France et se placent certainement plus tard.

Dufresnoy, Charles-Alphonse ?

Paris, 1611 – Villiers-le-Bel, 1668

103. Quatre figures au pied du Christ en croix, l’une d’entre elles avec une croix de Saint-André

44Le dessin a été rejeté avec raison de l’œuvre de Poussin par Pierre Rosenberg et Louis-Antoine Prat (1994), qui pensaient alors au maître de Stockholm. Celui-ci est à identifier avec Charles-Alphonse Dufresnoy, comme l’ont démontré tour à tour Jacques Thuillier (1996) et Sylvain Laveissière (1995 et 1996).

45L’artiste avait l’habitude de schématiser ses figures  mais le dessin n’est pas exempt de faiblesses dans le tracé des corps et la pose sans nuances du lavis et l’attribution à Dufresnoy est proposée avec prudence.

Dumonstier, Pierre II

Paris, 1585 – Paris, 1656

104. Tête d’homme au turban

46L’annotation ancienne portée sur le dessin indique clairement que l’œuvre revient à Pierre II Dumonstier, fils d’Étienne II, neveu de Pierre (qui disparaît en 1601) et cousin germain de Daniel. Elle permet aussi de relier la feuille à d’autres dessins de l’artiste montrant des annotations similaires attestant de la présence de l’artiste en Italie pendant plusieurs années, La Main droite d’Artemisia Gentileschi, signée et datée Rome 1625 (Londres, The British Museum, voir en dernier lieu Stein, 2005, p. 48, n^o 13, repr.), la Tête de Christ d’après Raphaël signée et datée Rome…, mais la date est illisible (département des Arts graphiques du musée du Louvre, Cordellier et Py, 1992, p. 123, n^o 137, repr.), et Main tenant un drapé, signée et datée Rome 1627 (Cambridge, coll. Horvitz ; Clark, 1999, p. 416, A 117, repr.). Il ne nous est pas possible de préciser si les deux études de main citées constituent des études d’après nature (Dumonstier aurait pu, notamment, rencontrer Artemisia Gentileschi, rentrée à Rome après sept années passées à Florence) ou des motifs copiés d’après des tableaux. Nous pensons toutefois que l’étude Tête d’homme au turban semble plutôt une copie d’après une œuvre observée à Rome, mais nous n’avons pas identifié celle-ci. L’exécution soignée, voire appliquée, du dessin avec cette découpe appuyée du profil s’accorderait bien à un tel exercice.

47L’artiste était également portraitiste, et le département des Estampes conserve plusieurs exemples de cette activité, avec des dates antérieures de quelques années (1614, 1618 ; voir Brejon de Lavergnée, 2009).

Errard, Charles II

Nantes, vers 1601 – Rome, 1689

105. Un roi vêtu à l’antique ordonne le martyre d’un évêque sur un gril

48La paternité de ce dessin est restée énigmatique jusqu’au récent dédoublage effectué par l’atelier de restauration du département des Estampes. Cette opération a permis de découvrir, au verso de la feuille, une annotation explicite (avec une signature Errard) qui désigne au moins l’artiste ayant supervisé la création de cette composition. L’artiste indique en effet qu’il faut prévoir la composition en largeur ; ce commentaire écrit laisse entendre qu’il transmet un ordre à un collaborateur chargé d’exécuter le projet dessiné. La mention de mesures en pieds indique qu’il s’agit bien d’un tableau.

49Le style du dessin diffère pourtant grandement du langage plus classicisant, aux figures plus puissantes et également un peu raides, que Charles II Errard met au point dès les années 1640, comme le montrent les tableaux peints pour le maréchal de La Ferté-Senneterre (Boyer et Brejon de Lavergnée, 1980, p. 232‑234) ou les gravures pour le Brevarium Romanum de 1647 (Thuillier, 1978, p. 151, fig. 2 et fig. 5, p. 154, fig. 9‑21). Pour cette période, on conserve de nombreuses études de l’artiste d’après l’antique, des copies d’après des Italiens, des vues de sites romains (voir plus loin), mais peu de projets dessinés pour des compositions d’histoire.

50On pourrait évoquer la figure de Charles Errard, peintre actif à Nantes, père de Charles II et son premier maître, et même imaginer un projet du fils supervisé par le père, car la signature portée au verso du dessin n’est pas sans ressemblance avec la signature, attribuée au père, qui apparaît dans une requête adressée par le peintre à la Chambre des comptes de Bretagne (Nantes) en juin 1622 pour le paiement d’un « portrait de Sa Majesté à cheval » (Maison Charavay, Paris, Bulletin d’autographes n^o 771, février 1981, p. 14, n^o 38868 [photocopie au service de documentation du dép. des Peintures du musée du Louvre]). Emmanuel Coquery (comm. orale, 2011) reconnaît toutefois la signature de Charles II au verso du dessin de la Bibliothèque nationale de France et place celui-ci assez tôt dans la carrière de l’artiste. Le peintre, qui s’était rendu une première fois à Rome entre 1625 et 1628 en compagnie de son père et de son frère Paul, est de retour à Paris en 1629 ; il peut donc à ce moment-là connaître l’art de Simon Vouet, de Claude Vignon, de Laurent de La Hyre, influences qui transparaissent dans ce projet de Martyre.

51Tout indique la mise en place d’un projet élaboré : l’emploi de l’estompe, l’accentuation de certains contours, le papier laissé en réserve pour donner l’illusion de la lumière, le trait de sanguine délimitant la composition constituent autant de recherches d’effet contrastant avec les difficultés rencontrées dans le rendu des anatomies, des raccourcis, la mollesse du dessin du mur, du paysage ou de nombreux éléments comme le fagot, les torches, ou encore les objets disposés au premier plan. On peut remarquer aussi la rapide suggestion des cheveux par de petites bouclettes. Pour ce détail des chevelures, le dessin peut être rapproché de l’étude à la sanguine pour Le Frappe main, conservée au musée des Beaux-Arts de Rennes et en rapport avec une suite de Jeux d’enfants gravée par Louis Ferdinand et publiée par Pierre Ferdinand (Simonneau, 1999, p. 176, n^o 7, repr. ; pour la gravure, voir Thuillier, 1978, p. 159, fig. 25).

52La figure martyrisée, âgée et barbue, est difficile à identifier ; une crosse et une mitre, disposées au premier plan, désignent un évêque. Il ne s’agit donc pas de saint Laurent, qui était diacre ; nous pensons à saint Éleuthère, évêque, qui, sur ordre de l’empereur Hadrien, endura plusieurs tortures (dont celle du gril) sans en sentir les effets avant d’avoir la tête tranchée, ou à saint Cyrille, évêque, persécuté sous Decius, condamné à être brûlé vif, sans succès, et qui connut le même sort que saint Éleuthère. Le premier est fêté le 18 avril, le second le 9 juillet.

106. Femme assise (Le Dessein) près d’un médaillon, indiquant un vase posé sur un piédestal

53Le dessin est directement préparatoire au frontispice* du Recueil de divers vases antiques, où sont réunies douze planches exécutées par Georges Tournier d’après des dessins de Charles Errard, qui est également l’éditeur de l’ensemble (Est, Hd 101 in‑fol. ; Thuillier, 1978, p. 160, fig. 26). Pierre-Jean Mariette, qui nomme le graveur « G. Tourniere » ou « Tournier », signale que le médaillon du frontispice gravé porte le chiffre de Christine de Suède, la suite « ayant été présentée par l’auteur à cette illustre protectrice des beaux-arts » (Mandroux-França, Préaud, Rouillard, 1996, vol. II, p. 200). Emmanuel Coquery situe l’édition de la suite vers 1651 mais pense que les dessins auraient pu être exécutés lors d’un précédent séjour de l’artiste à Rome vers 1630 (Coquery, 2006 b, p. 110). Rappelons que l’artiste, nommé peintre ordinaire du roi en 1643, s’est rendu à plusieurs reprises à Rome entre 1627 et 1642 et qu’il dirige l’Académie de France à Rome de 1675 à 1683. Plusieurs dessins de vases sont conservés à la Réserve du département des Estampes dans un des recueils dits « du cabinet Peiresc » (Réserve Aa 53 in‑fol., entré avec la coll. de Michel de Marolles en 1667 ; Guibert, 1910, p. 81‑82 ; Bouquillard, 2003, p. 104, n^os 27‑30, repr. ; Coquery, 2006 b, n^o 43, repr.) ; ils ont donc un historique différent du Projet de frontispice, qui, lui, provient de la bibliothèque de l’Arsenal, comme l’ensemble du fonds de dessins d’Errard inventorié plus bas.

54Si le travail soigneux à la plume, le goût du détail sont comparables et s’expliquent par le fait que les feuilles, où l’artiste a cherché à être précis, seront transmises au graveur, le dessin de frontispice, d’une encre plus foncée, montre une exécution qui nous paraît plus appuyée que celle des dessins de vase, plus vibrants, où interviennent aussi de la sanguine ou de la pierre noire.

55Cette différence dans l’exécution pouvait jeter un doute sur le caractère autographe du dessin de frontispice, mais celui-ci est, comme les dessins de vase, repassé à la pointe pour un report et gravé en contrepartie. D’autre part, la gravure montre des ajustements par rapport au dessin : le piédestal, par exemple, est plus large afin de pouvoir porter le titre du recueil.

107. Plafond avec l’angle gauche occupé par une balustrade feinte, composition rectangulaire

56Ce dessin et les onze qui suivent ont été identifiés par Emmanuel Coquery, parmi les anonymes italiens (Coquery, 2004), qui y a reconnu des copies, par Charles Errard, de dessins des Carrache, probablement exécutées par l’artiste français à Rome chez l’amateur Francesco Angeloni, secrétaire de Giovanni Battista Agucchi (voir Loisel, 2004, p. 91 ; l’amateur a précisé dans son ouvrage Historia Augusta, Rome, 1641, qu’il possédait six cents dessins pour la galerie Farnèse ; cette collection exceptionnelle formait, avec ses objets antiques et ses tableaux, un petit « Museo » ouvert aux visiteurs et aux artistes et est décrit parmi les curiosités par Richard Symons lors de son voyage à Rome en 1647).

57Grâce à ces nouvelles identifications et aux recherches de Catherine Loisel sur le fonds des Carrache du Louvre (Loisel, 2004, p. 91), on voit qu’au moins deux artistes français, dans les années 1640, ont copié des dessins de la collection Angeloni : Charles Errard et François Bourlier. Selon Emmanuel Coquery, Charles Errard séjourne longuement à Rome de 1627 à 1642 avec, sans doute, deux courtes interruptions (Coquery, 2000, p. 44), et François Bourlier est recensé dans la Ville éternelle en 1642-1644 comme habitant avec François Perrier paroisse San Lorenzo in Lucina (Thuillier, 1993, p. 19). Francesco Angeloni disparaît en 1652.

58Nous reprenons ici les identifications proposées par Emmanuel Coquery, qui voit dans le dessin du recto la copie probable d’une étude pour le plafond du palais Farnèse et a reconnu, pour le verso, la copie d’une grande partie des croquis visibles sur un dessin d’Augustin Carrache, de provenance Angeloni-Crozat, conservé au Metropolitan Museum de New York et préparatoire pour les fresques du Palazzo del Giardino à Parme (notamment pour Thétis et les Néréides entourant l’Argo, inv. 1972.133.1 ; Bean, 1979, n^o 93 ; Loisel, 2004, p. 56, ill. 73).

107 verso

108. Étude de plafond

59Emmanuel Coquery a établi qu’une partie du dessin copie un dessin d’Annibal Carrache pour la galerie Farnèse conservé au musée du Louvre (inv. 7422 ; Loisel, 2004, p. 238, n^o 500, repr.), et on peut ajouter, pour l’autre partie, la référence directe à un autre dessin de Carrache du Louvre pour le même décor (inv. 7419 ; ibid., n^o 499, repr.). Les deux dessins ont la même provenance (Angeloni, puis Mignard et Coypel) que le dessin de New York. Ces deux compositions apparaissent aussi dans la copie dessinée par François Bourlier dans l’album Perrier du musée du Louvre (RF 929, fol. 53, Legrand et alii, 1997, n^o 1090, repr.).

109. Étude de plafond, caricature esquissée au centre de la composition octogonale

60Emmanuel Coquery a reconnu le modèle original, copié sur le recto du dessin, dans une étude à la sanguine d’Augustin Carrache conservée au Louvre, provenant des collections Angeloni, Mignard et Coypel (inv. 7424 ; Loisel, 2004, p. 177, n^o 287, repr.) ; seule diffère la partie gauche de la feuille d’Errard, plus complète et peut-être inspirée par un autre dessin. La caricature est peut-être tirée d’un dessin d’Annibal.

109 verso

110. Voussure de plafond, baie, figure féminine assise de profil à droite

61Emmanuel Coquery a identifié le dessin original d’Annibal Carrache qui est conservé à Vienne, Albertina (inv. 2150 ; Birke et Kertesz, 1994, p. 1128, repr.). La composition de la partie supérieure (voussure) apparaît dans la partie droite d’une feuille de l’album Perrier (RF 901, feuillet 23, Legrand et alii, 1997, n^o 1062, repr.). Le motif (baie avec ignudi et putti) représenté dans la partie inférieure se retrouve sur une autre feuille de l’album Perrier (RF 960, feuillet 83, Legrand et alii, 1997, n^o 1121, repr.).

62Le motif du verso apparaît, parmi d’autres, sur le folio 57 de l’album Perrier (inv. RF 933 ; Legrand et alii, 1997, p. 278, n^o 1094, repr.).

110 verso

111. Compartiment circulaire et compartiment rectangulaire encadrés de putti et d’ignudi, guirlandes et masque

111 verso

112. Tympan avec deux figures assises sur un fronton

63Comme l’a noté Emmanuel Coquery, le dessin copie une feuille d’Augustin Carrache conservée au musée du Louvre (avec une provenance Angeloni-Mignard-Coypel ; Loisel, 2004, p. 177, n^o 288, repr.). La composition est reprise en partie dans l’album Perrier (RF 932, feuillet 56, Legrand et alii, 1997, n^o 1093, repr.).

113. Plafond avec niches et bustes, compositions accostées d’ignudi

113 verso

114. Plafond avec, dans un angle, une balustrade feinte, une figure et un cheval, motif rectangulaire avec cadre décoré de masques, terme

64Le plafond représenté dans la partie haute du dessin est repris d’un dessin d’Annibal Carrache pour le décor de la voûte de la galerie Farnèse, de provenance Angeloni-Mignard-Coypel (musée du Louvre, inv. 8048 ; Loisel, 2004, p. 239, n^o 502, repr., qui signale par ailleurs la copie par François Bourlier). La partie basse du dessin avec la représentation d’un compartiment rectangulaire accosté d’un terme est à rapprocher d’une feuille de l’atelier d’Annibal Carrache du même fonds et de même provenance (inv. 8046 ; Loisel, 2004, p. 271, n^o 598, repr.).

114 verso

115. Plafond avec un groupe de trois atlantes, détail d’un compartiment rectangulaire, disposition générale du plafond, autels ; en bas, plafond avec figure assise sur le rebord d’une colonnade vue en raccourci

65Le dessin original, attribué à Ludovic Carrache, provenant de la collection Crozat, est passé dans la vente Jak Katalan à Londres, Sotheby’s, le 10 juillet 2002, n^o 58 (voir Loisel, 2004, p. 91, note 304, pour laquelle le dessin de la Bibliothèque nationale de France atteste de la provenance Angeloni du dessin de Ludovic). Le dessin reprend une partie des fresques de Pellegrino Tibaldi au palais Poggi, à Bologne.

66Emmanuel Coquery signale que la composition de la partie supérieure apparaît sur un dessin de Bourlier de l’album Perrier du Louvre (RF 959, feuillet 82, Legrand et alii, 1997, n^o 1120, repr.).

116. Paysage avec des arbres au premier plan, des collines à droite, une étendue d’eau avec un bateau à l’arrière-plan

67Probablement à nouveau, au recto comme au verso, copies d’après Carrache.

116 verso

117. Paysage avec barques au bord de l’eau. Paysage avec trois figures assises au premier plan

68Dans la partie inférieure du dessin, l’artiste a copié une feuille d’Annibal Carrache conservée au musée du Louvre et de provenance Angeloni (inv. 7447, Loisel, 2004, p. 301, n^o 738, repr.).

117 verso

118. Paysage avec des figures jouant aux quilles

69La copie a été exécutée d’après un dessin d’Annibal Carrache de provenance Angeloni conservé au musée du Louvre (RF 42277 ; Loisel, 2004, p. 298, n^o 732, repr.), lui-même copié par Giovanni Francesco Grimaldi (provenant de la coll. Mariette, musée du Louvre ; Loisel, 2004, p. 321, n^o 812, repr.).

119. Plafond à caissons avec des figures et des rosaces, à droite profil d’élément architectural

70Le dessin a été identifié par Philippe Rouillard (comm. orale, 2013) parmi des dessins anonymes classés sous la cote Gd mat, et l’attribution a été confirmée par Emmanuel Coquery (comm. écrite, 2013). Il s’agit probablement d’une copie d’après un dessin italien.

119 verso

120. Nymphée à Albano (élévation et plan)

71Emmanuel Coquery a reconnu ici une copie d’un dessin représentant la Fonte Diuturna, près du lac d’Albano, faisant partie du codex Destailleur A (conservé à Saint-Pétersbourg, Ermitage ; Geymuller, 1891, p. 133‑137 ; le codex a connu plusieurs attributions, mais Gaston, 1988, p. 176, le catalogue comme anonyme) ; la moitié du nymphée apparaît, avec la description, dans le codex Destailleur B, feuillet 20 (Saint-Pétersbourg, Ermitage ; Geymuller, 1891, p. 137‑144 ; Gaston, 1988, p. 109, note 84 ; Blair Mac Dougall, 1994, p. 110, fig. 75), et l’artiste a également recopié les annotations portées sur l’original sous le dessin. Celles-ci précisent les matériaux employés pour la construction du nymphée.

121. Trois figures debout

72Ce dessin et les onze suivants, attribués à Charles Errard par Emmanuel Coquery (Coquery, 2004), portent une numérotation à l’encre et forment une série de douze – onze dessins représentant des guerriers et des chevaux et un dessin représentant un paysage. Nous avons conservé l’ordre donné par cette numérotation bien que le paysage semble, a priori, sans lien avec les cavaliers et les chevaux.

73L’historien de l’art a bien vu qu’il s’agissait non pas d’une suite venant compléter une série conservée au musée du Louvre, mais de copies exécutées d’après les dessins conservés au musée du Louvre : les études de chevaux et de figures qui portent les n^os 151, 152, 154, 156, 157, 158 copient en effet les dessins du Louvre inv. 1077, 1078, 1079, 1083, 1080, 1082. La série du Louvre comporte une autre Étude de cheval (inv. 1081 pour laquelle la Bibliothèque nationale de France ne possède pas de copie). Les dessins du Louvre, inventoriés dans le musée Napoléon sous le nom de Piero di Cosimo, sont classés aujourd’hui sous la dénomination « école de Primatice et école de Fontainebleau » mais ont été attribués par Alessandro Cecchi à Jacopo Ligozzi (Cecchi, 1997) ; Dominique Cordellier pense plutôt à un artiste italien de culture mantouane, peut-être actif en France (Cordellier, 2004, p. 122 ; voir aussi Preti-Hamard, 2009, p. 60‑61, n^o 26, repr., n^o 27, repr.). Plusieurs dessins du Louvre portent des annotations précisant les couleurs des costumes, et la suite représente les personnages d’une fête, d’un apparat pour une entrée ou d’une mascarade et constituait un ensemble assez fameux pour être copié par Errard. On ignore toutefois où le Français avait pu effectuer ces copies.

74Un autre dessin de cheval en rapport avec l’ensemble du Louvre est conservé au Nationalmuseum de Stockholm (NMH 361/1863) sous le nom d’Ippolito Andreasi après avoir été donné à Giulio Romano par Frederick Hartt (1939, p. 46, fig. 21, et 1958, vol. I, n^o 220, et vol. II, fig. 364). Dominique Cordellier signale un dessin au Museum of Fine Arts de Boston qu’il rattache à cette main (Cordellier, 2004, p. 122 et p. 124, note 78), ainsi que Cavalier monté sur une licorne (Stockholm Nationalmuseum, inv. 847/1863 ; Bjurström, 1976, n^o 71 et Bjurström et Magnusson, 1998, n^o 415).

122. Paysage

75Le modèle du dessin n’a pas été identifié.

123. Cheval harnaché, tourné vers la gauche

124. Soldat tenant une massue et un écu

125. Soldat de dos tenant une lance

76Voir la notice n^o 121: copie d’après un dessin conservé au musée du Louvre (inv. 1077).

126. Figure casquée tenant un bâton décoré et un bouclier

77Voir la notice n^o 121 : copie d’après un dessin conservé au musée du Louvre (inv. 1078).

127. Soldat tenant un arc et des flèches

128. Cavalier tenant une bride et un bâton fleuri

78Voir la notice n^o 121 : copie d’après un dessin conservé au musée du Louvre (inv. 1079).

129. Cheval harnaché tourné vers la droite

79Voir la notice n^o 121 : copie d’après un dessin conservé au Nationalmuseum de Stockholm (NMH 361/1863) sous le nom d’Ippolito Andreasi, après avoir été attribué à Giulio Romano (Hartt, 1939, p. 46, fig. 21, et 1958, vol. I, n^o 220, et vol. II, fig. 364).

130. Cheval harnaché tourné vers la gauche, la bride attachée à un arbre

80Voir la notice n^o 121: copie d’après un dessin conservé au musée du Louvre (inv. 1083).

131. Cheval harnaché tourné vers la droite, la bride attachée à un anneau sur un mur

81Voir la notice n^o 121 : copie d’après un dessin conservé au musée du Louvre (inv. 1080).

132. Cheval harnaché tourné vers la droite, une jambe levée

82Voir la notice n^o 121 : copie d’après un dessin conservé au musée du Louvre (inv. 1082).

133. Porte monumentale

134. Casque et esquisse de corps masculin

83Le dessin a été identifié récemment par Philippe Rouillard (comm. orale, 2013) parmi des feuilles anonymes et des papiers de l’archéologue Millin classés sous la cote G matière. Son attribution a été confirmée par Emmanuel Coquery (comm. écrite, 2013). Il est intéressant de noter une fois encore la curiosité « archéologique » de Charles Errard, qui a multiplié de telles copies d’après l’antique (voir à ce propos Coquery, 2000, p. 41‑53 et fig., et 2002, 2005, p. 29‑43 et fig.) et d’après des œuvres de la Renaissance : le département des Estampes en conserve de nombreux exemples, ainsi que la bibliothèque de l’Institut à Paris, tous rendus à Errard par Emmanuel Coquery (pour les dessins conservés à l’Institut, voir Rosenberg, 2011, p. 583‑638, n^os F 1774 à F 1864, repr.).

84Le casque peut être comparé, malgré de notables différences pour les motifs qui l’ornent, à celui qui apparaît au premier plan du tableau de Tancrède et Herminie, commandé en 1639 par le maréchal d’Estrées pour sa galerie de l’hôtel de La Ferté-Senneterre, à Paris (autrefois Cheltenham, Queen’s Hotel ; Coquery, 2000, p. 137, n^o 26, repr.). Le soin porté, dans le tableau, à la représentation de la cuirasse, de l’épée et de son fourreau, du bouclier de Tancrède et du casque de Valfrin illustre le goût de l’artiste pour une certaine véracité « historique ».

135. Vue d’une loggia avec, sur la droite, une sculpture dans une niche

85Le dessin, reconnu en 2013 par Philippe Rouillard (comm. orale), parmi les anonymes conservés sous la cote F matière, est proche d’esprit de cinq Vues rendues par Emmanuel Coquery à l’artiste français (Coquery 2008, 2010, p. 128‑130, fig. 1‑5 : Façade orientale de la villa Médicis, Jardin de la villa Médicis, Vue intérieure de la loggia, Vue présumée des jardins Ludovisi, Vue de l’Ara Cœli ; BNF, série consacrée à la topographie italienne Vb 132 [S] in‑fol.) ; l’historien place les Vues dans les années 1630-1640, lors des premiers séjours romains du peintre. Errard emploie le lavis avec une liberté certaine, jouant de forts contrastes d’ombre et de lumière avec, toutefois, un dessin sous-jacent à la sanguine.

136. Chœur d’anges musiciens

86L’annotation ancienne portée sur le dessin pourrait être selon Emmanuel Coquery de la main de l’artiste (Coquery, 2006 b). Ce dernier a confirmé l’attribution du dessin et rappelé à son propos la participation du peintre au décor pour l’oratoire de l’appartement du roi au Louvre sans qu’il soit possible de proposer une identification sûre : « À côté de la même chambre [la chambre du roi] M. Errard fit encore peindre, orner et dorer un petit oratoire pour le roi » (Guillet de Saint-Georges, 2008, t. II, vol. I, p. 306). Le thème et les dimensions restreintes du projet dessiné peuvent correspondre en effet à un espace limité, comme celui d’un oratoire. Emmanuel Coquery a indiqué que l’accession, en 1656, d’Antoine de Ratabon à la direction de la surintendance des Bâtiments avait permis à Charles Errard d’obtenir des commandes pour les palais royaux, au Louvre, aux Tuileries, à Fontainebleau, à Saint-Germain-en-Laye et à Versailles (Coquery, 2002, 2005).

137. Projet d’une partie de plafond avec les emblèmes de Mazarin

87Le dessin, comme le dessin précédent, est caractéristique du style de la maturité de l’artiste, qui utilise la plume et l’encre avec aisance, schématisant les visages de ses figures et de ses élégants putti aux yeux sans pupille. L’étude constitue un bel exemple de son talent dans le domaine du décor et du plafond en particulier : l’artiste, fort des exemples italiens, combine les éléments décoratifs traditionnels, masques, cadres, guirlandes, volutes, rinceaux, avec les figures et les formes géométriques dédiées aux compositions. Il insère avec originalité des putti, notamment celui qui est assis en trompe-l’œil sur le rebord feint de la corniche de la voussure, portant les emblèmes de Mazarin, les étoiles et le faisceau romain (mais pas le chapeau de cardinal).

88Le dessin de la Bibliothèque nationale de France aurait pu être projeté pour l’appartement de Mazarin au Louvre, où Errard travaille vers 1653-1655 (Coquery 2002, 2005, p. 483) : en 1653, comme l’indique Guillet de Saint-Georges, Errard peint « quelques plafonds de l’appartement de M. le cardinal Mazarin, au-dessus de l’appartement du roi (Guillet de Saint-Georges, p. 306). En 1655, il peignit aussi le plafond de la chambre du Billard, dans le même appartement de M. le cardinal ». Le dessin peut se rapporter également à l’hôtel Chevry-Tubeuf acquis par Jacques Tubeuf en février 1641, loué par Mazarin à partir de 1643 puis acheté par lui (en 1649) pour y installer ses collections ; l’architecte François Mansart est commissionné en 1644, et deux ans plus tard lui succède Pierre Le Muet, assisté de Maurizio Valperga. Ce dernier, devenu architecte personnel du cardinal Mazarin, sera responsable, probablement entre 1647 et 1649, d’une construction perpendiculaire aux galeries, la Traverse, où était situé l’appartement d’hiver du cardinal (Cojannot, 2003 et 2006 ; Gady 2010, 2012). Les décors sont perdus, mais Bénédicte Gady a rappelé que Charles Errard avait travaillé sur le site, comme le prouve une contestation survenue entre la veuve du peintre et deux collaborateurs de ce dernier, où il est fait mention de travaux de dorure « pour M. Tubeuf » dont on ne sait s’il s’agit de travaux exécutés pour celui-ci ou, sous son couvert, pour Mazarin. Il demeure au département des Estampes quelques morceaux de lambris peints démontés lors des interventions de Labrouste pour la Bibliothèque nationale, qui ont été rendus par Bénédicte Gady à Errard (Gady, 2010, 2012, p. 270 ; Coquery, 2013, n^o Dc 37 et Dc 37 a à Dc 37 e, repr.).

89Plusieurs dessins de plafonds, de panneaux et de lambris conservés à Chatsworth, Devonshire Collection (Coquery 2002, 2005, p. 36‑39, fig. 9‑12) montrent, dans des projets précis, la variété du langage ornemental de l’artiste et le constant renouvellement, chez lui, des combinaisons de motifs.

Foucher

Actif dans la première partie du xvii^e siècle

138. Portrait du chirurgien Jacques Roland de Belebat

90Directement préparatoire à la gravure en contrepartie, le dessin constitue un témoignage rare de l’activité de cet artiste, puisque seul ce portrait représente Foucher dans les collections de la Bibliothèque nationale de France (IFF Foucher, p. 277). Robert-Dumesnil (V, 1841, p. 321) avait identifié l’artiste à Nicolas Fouché, né à Troyes en 1653, élève de Pierre Mignard et mort à Paris en 1733, ce dont doute Dominique Brême, avec raison (Brême, 2004, p. 61). Le prénom du graveur n’apparaît d’ailleurs ni sur le dessin ni sur la gravure, et il demeure donc inconnu.

91La date de 1630, écrite de la même encre que celle des attributs dessinés près des bords de la feuille, correspond à la publication d’un ouvrage par le modèle, qui est un chirurgien fameux de Saumur. À cette date paraissent la seconde édition de son livre Antiloimie ou contre-peste (Rouen, C. Le Villain) et un ouvrage qui contribuera grandement à sa réputation de médecin : Aglossostomographie ou description d’une bouche sans langue (Saumur, C. Gérard et D. de L’Erpinière). L’auteur y fait part de l’observation d’un enfant qui avait perdu sa langue à cause de la petite vérole. Les deux ouvrages (consultés à la bibliothèque de l’Arsenal à Paris) ne comportent pas de portrait de leur auteur. La première édition de l’Antiloimie ou contre-peste (Saumur, chez Jean Godeau, 1624), dont un exemplaire est conservé à la bibliothèque de Saumur, ne présente pas non plus de portrait du chirurgien, comme nous l’a précisé Geoffroy Grassin (comm. écrite, 6 juin 2012).

Francart, Gilbert

Actif dans la seconde moitié du xvii^e siècle

139. Trois têtes sous un bonnet

92L’almanach auquel ce beau dessin est directement préparatoire, ignoré de Victor Champier (1886), n’est malheureusement pour l’instant connu de nous qu’en une seule épreuve* (Est., Qb 5, 1677) ; encore est-elle incomplète de son calendrier, ce qui fait que l’almanach ne peut être daté avec précision ni attribué avec certitude à tel ou tel éditeur, même si nous penchons pour la veuve de Balthazar Moncornet.

139* BNF, Est., Qb 5, 1677

93Avec le titre indiqué sur la banderole, Trois têtes dans un bonnet, on pense évidemment à une caricature contre la Triple Alliance, qui réunissait en 1668 contre la France – pour le cas où elle aurait tenté d’occuper les Pays-Bas espagnols – l’Angleterre et les Provinces-Unies, puis la Suède ; et c’est ce que nous avions d’abord cru, à tort (Préaud, 1999, 2003, n^o 8). Mais les personnages représentés sont bien un Espagnol, un Hollandais et un Allemand pour figurer l’Empire. La chose se situe donc plus tard dans le temps, lors de la guerre de Hollande (1672-1679), et après la déclaration de guerre par l’Espagne, en 1673.

94C’était d’ailleurs l’opinion de celui qui signe du nom d’« Hippolyte Rolles » une notice dans le Musée de la Caricature d’Ernest Jaime (1838), décrivant cette image en compagnie de deux autres du même genre, toutes trois faisant allusion, selon lui, « à la mémorable invasion de la Hollande en 1672, et à la longue lutte où cette guerre entraîna la France contre la triple alliance du stathouder, de l’empereur et de l’Espagne ».

95Sur un cheval maigrichon marchant vers la gauche, vu de profil, et dont le corps est exagérément allongé (d’où l’allusion, dans les vers qu’on lira plus loin, à Bayard, le cheval fantastique qui pouvait porter en même temps sur son dos les quatre fils Aymon), trois cavaliers sont assis, serrés l’un contre l’autre. Le cheval, dans l’estampe où il marche dans l’autre sens, se plaint de cette lourde charge, comme on peut le lire sur la banderole au bas de l’almanach, sous le n^o 1 : Comment deuenir gras auec cette Engeance, / Quoy qu’ils me menent a petits pas / Faut que je les porte tous Trois / Sans auoir que demye Pitance.

96Le premier cavalier, celui qui est le plus près du col du cheval, représente les Allemands, ou l’Empire ; il tient serrés contre lui les deux autres, grâce à une grande écharpe qu’il tient de sa main (main droite dans le dessin, main gauche dans l’estampe). Dans le dessin, sa tête est celle d’un oiseau rapace, plutôt celle d’un hibou (il y en a d’autres sur la feuille), alors qu’on eût attendu une aigle impériale ; mais, dans l’estampe, le personnage a retrouvé visage humain, et de sa bouche sort l’alexandrin : les obiets que je voy sont de mauuais augure, sans que l’on puisse déterminer de quels objets il s’agit.

97Le deuxième cavalier, au centre, est le Hollandais, qui tient de la main droite (main gauche dans l’estampe) une sorte de canne qui fait penser au mât d’un navire, agrémenté d’une hune et de divers pavillons flottant au vent, ce qui paraît logique pour un peuple de marins.

98Le troisième cavalier est l’Espagnol. Comme dans la plupart des représentations d’Espagnols au moins depuis Abraham Bosse, il est affligé d’une jambe de bois qui symbolise les nombreuses défaites dont il est sorti estropié. Il est également armé d’une rapière surdimensionnée, si longue qu’Hippolyte Rolles, en décrivant l’estampe, l’avait prise pour une « lance en arrêt ». Il grimace en hurlant ces mots : J’ay raison de crier Ressentant mes blessures.

99Tous trois voient leurs têtes réunies sous un immense bonnet bordé de fourrure, qui recueille dans ses larges bords des pipes en terre pour le Hollandais ainsi que des raves et des oignons pour l’Espagnol ; l’Allemand, curieusement (à moins qu’il ne s’agisse, de la part de l’artiste, d’une allusion érudite à la Mélancolie de Dürer), est représenté par une chauve-souris perchée au sommet du bonnet, au-dessus duquel, dans l’estampe, se lisent ces vers qui s’adressent au spectateur : En Nous voyant n’ayez frayeur – [Ils] Nous font plus pitié que peur.

100Au-dessus encore, une longue banderole est supportée en son centre par une espèce de hibou et à gauche par une chauve-souris, tandis qu’à droite une autre chauve-souris s’envole. À l’extrémité droite de la banderole se trouve la signature probablement autographe de l’artiste, G. Francart, à la plume et de la même encre que le reste du dessin. Cette inscription ne se retrouve pas sur l’estampe, qui, en revanche, est enrichie de quatre quatrains explicatifs enserrant le titre : TROIS TESTES / DANS VN BONET. Le texte explicite en partie le dessin :

101Chacun va demandant qui sont ces Champions / Qui sont si diferents de mine et de posture / Ou jls peuuent auoir pris cette belle monture / Qui ressemble Bayar des quatre fils Emond / – / Vn qui les conoist bien dit a la Compagnie / Quoy ne voyez vous pas que sont 3. alliez / Que l’Allemand qui tient les deux autres liez / Les asseure que luy seul leur veut sauuer la vie / – / L’Espagnol neantmoins se plaint de sa promesse / Et jure que dans peu on le vera perir / Si quelqu’autre que luy ne le vient secourir / Ne pouuant resister assis sur une fesse / – / Les plaintes ne font rien que moster le Courage / Jay tant souffert et ie ne suis pas mort / Si le vent estoit bon Nous jrions bien plus fort / Mais nous sommes obligez de sauuer le bagage.

102Le bagage en question varie selon les nationalités. Ainsi, le bagage allemand est porté par une espèce de tortue chargée d’une gourde et d’un tonnelet d’eau-de-vie. L’explication se trouve dans l’estampe, gravée sur une banderole portée au bas de l’image par un hibou, tandis que s’enfuit une chauve-souris :

103Je porte des liqueurs pour augmenter la force / Afin que nos Germains en soient plus belliqueux / Mais depuis qui me menent ça et la auec eux / Jls reuiennent toujours dessus la mème Roce [sic pour : « rosse »].

104La tortue, qui dans le dessin est (par erreur) coiffée d’un chapeau hollandais (on y voit des pipes), défaut corrigé dans l’estampe, rejoint la troupe des soldats, dont on ne sait s’ils vont vers la ville qu’on voit à l’arrière-plan ou s’ils s’en éloignent. Apparemment, on accède à ce bourg par une longue passerelle bâtie au-dessus d’une rivière ou d’un marécage ; nous n’avons pas réussi à déterminer de quelle cité il pouvait s’agir, si ce n’est pas un lieu totalement imaginaire.

105Pour l’Espagnol, son bagage est figuré sous la forme d’un escargot qui s’appuie sur une béquille, dont le col est orné d’une fraise et dont la coquille est encombrée de raves, de navets et d’une épée, composition accompagnée des vers suivants : Il semble qu’on neglige à me do[n]ner escorte / Et je porte auec moy de forts precieux Mets / Mon Maistre les prefere aux Chapons et poulets / Encore qu’ils luy rendent laleine [sic pour : « l’haleine »] vn peu bien forte.

106Quant au bagage du Hollandais, il est porté par une grenouille, animal qui, bien avant les Français, a caractérisé les habitants des Pays-Bas, contrée quelque peu marécageuse ; on y trouve des pipes en terre, un rouleau de ce que nous croyons (sans certitude aucune) être une mèche d’amadou pour allumer son tabac, et un fromage dans lequel est planté un couteau. Le commentaire en vers est le suivant :

107Quoy rien que du tabac des pipes et du fromage / Et sans pain et sans vin peut on estre soldat / Nos Gens seront ma foy bientost sur le grabat / si Nous entreprenons de faire vn long Voiage.

108Une autre chauve-souris présente comme une pancarte l’espace qui, au bas de la feuille, est destiné à recevoir le calendrier de l’almanach. La présence multiple des animaux nocturnes (hiboux et chauves-souris) apporte, si c’était nécessaire, une connotation sombre à cet épisode. Mais ce sont aussi des animaux familiers de l’auteur du dessin, Gilbert Francart (voir la figure de Jean Robert, dessin conservé au département des Arts graphiques du musée du Louvre : Boyer, 1998, 1999 ; Brugerolles et Guillet, 2000). Jean-Claude Boyer, Emmanuelle Brugerolles et David Guillet ont commencé à reconstituer l’œuvre de ce peintre méconnu (vers 1627-après 1692), y incluant notre dessin. Dans un autre almanach, publié par la veuve Moncornet pour 1677, intitulé La Plaisante Allure des ennemis (BNF, Est., coll. Hennin, n^o 4910, format 5), on voit un Espagnol et un Allemand sur un char tiré par deux tortues qui ressemblent furieusement à celle qu’a dessinée Francart (et les vers disent : Par leur allure lente et triste / Ces braves ne disent-ils pas / Que s’ils font souvent des faux pas / Ce n’est pas pour aller trop vite), et nous ajouterions volontiers à l’œuvre de ce dernier cette composition originale.

109Quant à Sauvé, dont le nom a été ajouté, sans doute par le collectionneur, au bas de la feuille de notre dessin, il ne peut guère s’agir que de Jean Sauvé, surtout connu pour son activité d’éditeur d’estampes – son œuvre de dessinateur est aussi à reconstituer. Né en 1635, gendre de Balthazar Moncornet en 1661 (il publie des almanachs avec son beau-père pendant quelques années), il n’a laissé aucune trace après le 31 décembre 1692. Que son nom figure ici, surtout sous la forme Sauvé deli., serait embarrassant s’il y avait le moindre doute sur la paternité de Gilbert Francart. On se demande toutefois quel rôle il aurait pu jouer ici, sachant qu’il est également nommé dans un autre dessin préparatoire à un almanach pour 1691 (Les Justes Châtiments des écoliers ligués contre leur maître, Préaud 1999, 2003, n^o 15 ; voir ci-dessous, n^o suivant).

m. p.

Guérard, Nicolas I^er et Sauvé, Jean, attribué à

Guérard : vers 1648-1719
Sauvé : 1635 — documenté jusqu’au 31 décembre 1692

140. Les Justes Châtiments des écoliers ligués contre leur maître

110Ce dessin est directement préparatoire à un almanach* pour 1691, publié par Gérard II Jollain (Est., Qb 5, 1691 ; IFF Gérard II Jollain, n^o 64 ; Paris, 1995, p. 96, n^o 30, repr.) qui est l’une des feuilles les plus insultantes de la production parisienne à l’égard des puissances européennes coalisées contre la France. Celle-ci, en 1690, a connu quelques succès qui encouragent l’artiste à se moquer de ses ennemis : la bataille de Fleurus (en Belgique actuelle) voit la victoire du maréchal de Luxembourg le 1^er juillet ; le 10 juillet, l’amiral de Tourville bat la flotte anglo-hollandaise dans la Manche ; Catinat châtie sévèrement le duc de Savoie à Staffarde, en Piémont, le 18 août ; et on se permet de rappeler que le dauphin avait mis l’année précédente le Palatinat à feu et à sang. Aussi voit-on, dans le fond, Luxembourg donnant la fessée à Waldeck et à Castanaga, au second plan, le dauphin tenant au collet l’Électeur palatin, qui renoue sa culotte, et au premier plan le roi assis, jouant les maîtres d’école, avec à ses pieds le traître savoyard en collégien repentant. D’où le titre de l’almanach : Les Justes Châtiments des écoliers ligués contre leur maître.

140* BNF, Est., Qb 5, 1691

111À la partie inférieure, on voit à gauche la Gazette de Hollande sous la figure d’une femme portant le masque de la fraude et entourée du jacassement des pies, symbolisant sa propagande antifrançaise. À droite, les figures de la Renommée et de la Victoire portent des médaillons où un autre dessinateur a jeté d’une plume rapide des allusions aux batailles de Fleurus et de Staffarde. Le cartouche central, qui ne porte pas de dessin, se verra empli sur l’estampe par une allusion à la victoire navale de Tourville.

112La feuille est attribuée, par une main ancienne, à Sauvé et Guérard, deux noms qui ne s’inventent pas. Celui de Guérard est très acceptable pour les deux vignettes : il s’agit probablement de Nicolas I^er Guérard, né vers 1648, mort en 1719 (Préaud et alii, 1987, p. 151), qui a appris son métier de graveur avec François Chauveau et Jean Lepautre. Son œuvre dessiné, surtout en petit, qui doit le faire confondre avec Sébastien Leclerc, Pierre Lepautre ou Bernard Picart, est entièrement à découvrir.

113Quant à Sauvé, il s’agit sans doute de Jean Sauvé, né en 1635, gendre de Balthazar Moncornet en 1661 (voir notice précédente). Il n’est plus documenté après le 31 décembre 1692 (Préaud et alii, 1987, p. 279‑280).

m. p.

Hallé, Claude-Guy

Paris, 1652 – Paris, 1736

141. La Manne

114Inédit, le dessin prépare une estampe* en contrepartie conservée dans l’œuvre des Hallé du département des Estampes de la Bibliothèque nationale de France ; elle porte la mention d’auteur Edelinck jun. Sculp. Re, qui désigne Gaspard-François Edelinck, jeune frère du renommé Gérard Edelinck (BNF, Est., Da 41 in‑fol. ; Estournet, 1905, p. 126, n^o 30 ; Willk-Brocard, 1995, p. 347, n^o C 229, repr. ; IFF Gaspard-François Edelinck, non décrit). L’estampe est conservée avec deux autres estampes de même format et manifestement de la même série, Figure allégorique de l’Eucharistie et Jésus chez Marthe et Marie (Estournet, 1905, p. 125, n^o 27, p. 128, n^o 29) dont la lettre précise, à côté du nom d’Edelinck junior, la mention Halé. del., qui ne laisse aucun doute sur l’inventeur des trois pièces. Celles-ci étaient certainement destinées à illustrer un ouvrage liturgique.

141* BNF, Est., Da 41 in-fol.

Hallé, Claude-Guy ?

142. Le Repentir de David

115L’annotation, portée au verso du dessin, qui a été dégagé en 2012, a permis de compléter l’historique de l’œuvre et de l’ajouter à cette collection marseillaise Maurel-Guigou d’où proviennent plusieurs dessins de la collection de Philippe de Chennevières (voir Prat et Lhinares, 2007, n^os 13, 17, 251, 266, 556). Dans le catalogue de vente de dessins anciens de la collection de M. Victor Guigou (Paris, hôtel Drouot, 12 novembre 1877), il n’y a ni dessin sous le nom de Hallé ni dessin sous le nom de Corneille. En revanche, le dessin faisait peut-être partie du lot 248 ainsi décrit : « Parmi les dessins au bistre, n^o 248 Sujets bibliques… Adam et Ève, Daniel, David… Douze dessins. » Sur l’exemplaire du catalogue annoté conservé au département des Estampes se trouve, en face du lot 248, l’annotation Desch, qu’on est tenté d’interpréter comme « de Chennevières »…

116Le dessin, donné par Estournet à Noël Hallé (Estournet, 1905) puis, par Nicole Willk-Brocard, à Claude-Guy Hallé (Willk-Brocard, 1995), constitue certainement un projet destiné à l’illustration d’un ouvrage. S’il est vrai que la petitesse des formats requis dans ce domaine entraîne souvent une expression artistique propre au genre, le style et la technique du dessin nous ont paru un peu inhabituels pour Claude-Guy Hallé, qui utilise la gouache blanche avec célérité, suggérant les visages, plus ronds, de quelques touches rapides. Le verso du dessin porte d’ailleurs, en plus de l’annotation Hallé ?? [sic], qui revient peut-être à Philippe de Chennevières, une annotation Corneille, d’une autre main, semble-t‑il, qui renforce nos doutes. Nicole Willk-Brocard nous a précisé récemment (comm. orale, 2012) que la question de l’attribution à Claude-Guy Hallé pouvait être soulevée. Pour notre part, nous avons été frappée par les rapports entre le dessin et plusieurs estampes d’illustration sur le même thème publiées chez les Mariette (BNF, Est., Ed 82 in‑fol.) ; elles ne portent pas de mention d’auteur, mais Jean-Baptiste Corneille, qui avait épousé Marie-Madeleine, une fille de Pierre II Mariette, a vu nombre de ses compositions diffusées par ce dernier. Sans renoncer complètement au nom de Hallé, nous souhaiterions laisser la question ouverte.

Houasse, René-Antoine ?

Paris, vers 1645 – Paris, 1710

143. L’Entrée du Christ à Jérusalem

117Le dessin a été donné à René-Antoine Houasse sur la foi de l’annotation portée en bas de la feuille, de la même écriture que celle qui indique le nom de Restout sur un autre dessin conservé à la Réserve, Moïse sauvé des eaux, conservé un temps sous une attribution erronée à Charles de La Fosse et classé aujourd’hui parmi les anonymes (voir la notice n^o 335). Le montage à bordure verte et à filet doré est également identique à celui de L’Entrée du Christ, signe d’un passage commun chez le même collectionneur. Si l’attribution à Restout peut être rejetée assez facilement, celle qui concerne Houasse se révèle plus délicate. L’artiste, reçu à l’Académie en 1672 avec La Défaite de l’hydre de Lerne (Paris, École nationale supérieure des beaux-arts ; Tours, 2000, p. 231, n^o R 75, repr.), est un collaborateur de Charles Le Brun ; il épouse une cousine de ce dernier en 1673 (Thuillier, 1963, p. 64) et travaille à Versailles. Il sera directeur de l’Académie à Rome de 1699 à 1704 ; ses dessins restent mal connus, et, parmi le petit nombre de feuilles conservées sous son nom au département des Arts graphiques du Louvre, le seul dessin sûr – l’étude (inv. 30060) préparatoire au tableau de L’Éloquence peint vers 1681-1683 pour le cabinet des Beaux-Arts de Perrault (musée de Brest ; Schnapper, 1968, p. 242‑243, fig. 1 et 2) – ne permet guère d’établir des comparaisons avec le dessin de la Bibliothèque nationale de France. Il n’a pas été possible de mettre l’étude en rapport avec une œuvre peinte, et nous ne pouvons ni confirmer ni infirmer l’attribution actuelle ; Karen Chastagnol (comm. orale, 2013) juge l’attribution à René-Antoine possible et rappelle que, pour reconstituer l’œuvre de ce dernier, il faut prendre en compte l’existence du fils de l’artiste, Michel-Ange, qui est parfois proche, du point de vue artistique, de son père. Matthieu Lett (comm. écrite, 2013) classe le dessin parmi les œuvres seulement attribuées à Houasse et nous a précisé qu’il n’avait pas rencontré ce sujet dans les mentions d’archive qu’il a pu réunir dans le cadre des études qu’il mène sur l’artiste.

Jouvenet, Jean

Rouen, 1644 – Paris, 1717

144. L’Hiver

118Le dessin se rapporte, comme l’a précisé Antoine Schnapper (1974), à un tableau peint par Jouvenet en 1699 pour la décoration du salon du grand pavillon de Marly (aujourd’hui au musée du Louvre ; Schnapper, 1974, p. 201, n^o 78 et 2010, p. 241, P 110, repr.). Les autres Saisons étaient peintes par Antoine Coypel (Le Printemps, Paris, musée du Louvre), Louis de Boullogne (L’Été, musée des Beaux-Arts de Rouen) et Charles de La Fosse (L’Automne, musée des Beaux-Arts de Dijon ; voir Milovanovic, 2012, p. 228-229, n^o 33-36, repr.). Le dessin, exécuté au pinceau avec de grandes zones au lavis et des rehauts de gouache blanche, est caractéristique des études d’ensemble, si picturales, de Jouvenet. L’artiste, dans le tableau, modifiera ses figures de manière notable : il ne conserve, à l’arrière-plan, qu’une figure de vent – versant de l’eau d’une urne, celle-ci est associée au signe zodiacal du Verseau (Milovanovic, 2012) – au lieu de deux, et donne plus d’importance à la figure de l’Hiver – Éole, selon Milovanovic (ibid.). Une réplique peinte due à l’atelier et montrant des variantes est passée en vente en 1977 (localisation actuelle inconnue ; Schnapper, 2010, p. 264, repr.).

La Couperie, attribué à

Actif à la fin du xvii^e siècle et au début du xviii^e siècle ?

145. Les Souhaits inutiles, ou les agréables chimères

119Ce dessin est préparatoire à un almanach* pour 1710 gravé par Nicolas II de Larmessin (IFF Nicolas II Larmessin, n^o 120) et publié par Gérard II Jollain (IFF François-Gérard Jollain, n^o 35 ; BNF, Est., coll. Hennin, n^o 7277 ; Paris, 1995, p. 138, n^o 49, repr.).

145* BNF, Est., coll. Hennin, n^o 7277

120Dominant la scène principale, qui déborde sur la partie inférieure, est assis sur un trône un personnage enveloppé dans un manteau sombre, une couronne sur la tête : c’est le « triste roi des souhaits », le roi des projets chimériques, qui ne se réalisent jamais. Au-dessous, différents personnages représentant toutes les classes de la société formulent des souhaits, tous impossibles à satisfaire.

121Au bas du sujet principal, plusieurs encadrements sont dessinés, espaces vierges prévus pour le calendrier et les cinq vignettes qui, dans l’estampe, sont consacrées au même thème satirique.

122L’attribution à Marin Desmarestz proposée ici par l’inscription à la plume n’est pas absolument convaincante, car la manière du dessin, quoique proche de celle de Desmarestz que nous connaissons, est plus brutale, plus rudimentaire. Nos doutes sont d’ailleurs justifiés dans la mesure où l’estampe de l’almanach porte en toutes lettres, en bas à gauche, la mention gravée : La Couprie deline. On ne connaît malheureusement quasiment rien sur ce dernier artiste, dont le nom apparaît toutefois sur d’autres feuilles destinées à trois almanachs publiés par François-Gérard Jollain en 1719 et 1722 (Préaud, 1999, 2003, n^os 25, 27 et 28) ; ainsi se constitue le début d’un œuvre. Nous pouvons seulement supposer qu’il travaillait dans l’ombre de Desmarestz.

123Sur Desmarestz, voir la notice sur La Grande Roue de fortune, 1705 (n^o 96).

m. p.

La Fosse, Charles de

Paris, 1636 – Paris, 1716

146. Le Christ attaché sur sa croix

124Conservé sous une cote inhabituelle (B 24) avant son transfert à la Réserve, le dessin est peu connu ; il se rapporte à un tableau de Charles de La Fosse, Le Christ attaché sur sa croix provenant du couvent de la Visitation de Tours. Le tableau faisait partie d’une série de sept (parmi lesquels Le Baiser de Judas et L’Élévation de la croix ont disparu) ; il est conservé aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de la ville avec Le Lavement des pieds, Jésus au jardin des oliviers, Jésus à qui on perce le côté, Jésus descendu de la croix (Gustin-Gomez [a exclu Jésus à qui on perce le côté, et retenu les quatre autres compositions], 2006, vol. 2, p. 11, n^o P. 8, repr. pour le Christ attaché sur sa croix et P. 6 repr., P. 7 repr., P. 9 repr. pour les autres). Le tableau étant situé tôt dans la carrière du peintre par Clémentine Gustin-Gomez, le dessin constitue un bon exemple du mélange des techniques cher à La Fosse et de l’indépendance stylistique qu’il prend par rapport à son maître, Charles Le Brun.

147. Tête d’homme barbu portant un bonnet

125Le dessin, qui se trouvait classé parmi les anonymes, a été rendu à Charles de La Fosse par Louis-Antoine Prat et Dominique Cordellier (note sans date sur le montage). Cette tête de vieillard barbu n’est pas éloignée de celle du grand prêtre qui accueille Marie enfant dans la Présentation de la Vierge au Temple de 1682, conservée au musée des Augustins, à Toulouse (Gustin-Gomez, 2006, p. 39, P 50, repr.) ou encore de la tête d’un pèlerin d’Emmaüs dans Les Pèlerins d’Emmaüs (France, coll. part. ; Gustin-Gomez, 2006, p. 79, P 112, repr.), mais elle ne s’y rapporte pas directement.

148. Étude d’homme assis

149. Étude de femme assise

126Les deux dessins sont certainement préparatoires pour le décor d’un même espace, comme l’indiquent les annotations – l’une désignant le deuxième coin et l’autre le quatrième d’une pièce – et le type de présentation identique – des figures assises sur un arc de cercle et vues d’en dessous. Clémentine Gustin-Gomez, qui n’a pas pu mettre un décor de l’artiste en relation avec ces deux études, a rapproché celles-ci d’un dessin conservé à l’École nationale supérieure des beaux-arts, Étude d’hommes et d’ange (Gustin-Gomez, 2006, D 185, repr.), mais le parti de ce projet nous semble différent : les figures, qui n’évoquent pas la ronde-bosse, paraissent placées sur des nuées et non pas sur un élément décoratif de forme arrondie. La femme assise dans le dessin de la Bibliothèque nationale de France n’a pas de pupilles et semble tenir un instrument dans la main droite. Elle constituait sans doute un projet pour une figure allégorique traitée en sculpture feinte ; elle est proche des figures assises sur des petits frontons arrondis qui calent les grandes compositions dans le projet pour le plafond de la galerie du château de Choisy (Paris, École nationale supérieure des beaux-arts ; Gustin-Gomez, 2006, p. 301, D 277, repr.).

127Elle pourrait aussi être comparée à la figure représentant l’Architecture (dessin conservé dans une coll. particulière londonienne : Gustin-Gomez, 2006, p. 273, D 224, repr.) ou à la femme assise dans une autre étude conservée à l’École nationale supérieure des beaux-arts (Gustin-Gomez, 2006, p. 274, D 225, repr.), ayant en commun une présentation di sotto in sù et ce modelé sculptural que maîtrise si bien l’artiste.

150. Buste de femme vu d’en dessous

128Le dessin, conservé parmi les anonymes sous la cote B 24 avant son transfert à la Réserve, semble renvoyer au même projet décoratif que les deux dessins précédents. Il est proche de l’Étude de femme assise (voir n^o précédent) : la figure, sans pupilles, évoque une sculpture, et le point de vue di sotto in sù accentue la recherche de modelé. De facture sèche, la feuille n’est pas exempte de maladresses : les plis du drapé, l’esquisse du bras manquent de souplesse et pourraient indiquer une réplique, voire une copie.

129Signalons une étude, inédite, de Sphinge par l’artiste, à la sanguine et rehauts de craie blanche conservée sous la cote Réserve B 2 pet. fol.

Lagneau

Actif dans le deuxième et le troisième quart du xvii^e siècle

151. Homme tourné vers la gauche

152. Homme tourné vers la droite

130Pour cet artiste mystérieux, dont on ne connaît ni les dates et lieux de naissance et de mort ni le prénom, la collection référence demeure le fonds historique constitué par Michel de Marolles (1600-1681) et entré dans les collections royales en 1667 avec sa collection d’estampes. L’ensemble comporte soixante-neuf dessins d’assez grand format présentant des personnages vus à mi-corps projetant une ombre sur le fond et occupant un espace délimité à la pierre noire (Réserve Na 21 b boîte in‑fol.). Tous se caractérisent par une grande vigueur d’exécution où alternent traits sommaires et usage de l’estompe. Y sont assemblés de véritables portraits, d’autres plus proches de la figure de genre ou de la caricature, des figures burlesques de philosophes antiques ou de fous, ou encore des figures religieuses, comme les anges (Adhémar et Moulin, 1973, p. 95‑101, fig. 697‑765 ; voir aussi Brejon de Lavergnée, Garnier-Pelle, Préaud, 2005). Le fameux quatrain de Michel de Marolles dans Le Livre des peintres et graveurs (éd. 1872, p. 60), « Lanneau n’y faisoit pas bien des choses à fond, / Mais tout de fantaisie en diverse posture », ne doit pas occulter le spectre large du répertoire de Lagneau et la double composante de son art : le réalisme et le burlesque. Le nombre de dessins donnés à l’artiste et la variété de son répertoire ont entraîné de nombreuses tentatives de classement de l’œuvre, sur lesquelles Dominique Cordellier a fait un point très complet en 1984 (Cordellier, 1984, p. 22, n^o 17). Si le partage entre copies et originaux devrait pouvoir se faire assez facilement, il nous paraît vain, en l’état de nos connaissances, de chercher à définir une évolution stylistique de l’artiste dans le temps ; il nous semble plus probable que ce dernier ait adapté son style à son sujet. Lorsqu’il représente des modèles jeunes, il utilise presque exclusivement l’estompe ; ce goût de la simplification pouvait facilement aboutir à l’établissement de stéréotypes.

131L’artiste, probablement né à la fin du xvi^e siècle, doit être encore actif au début du règne de Louis XIV, comme le prouvent certains vêtements portés par les modèles. Les rares repères chronologiques à notre disposition sont les suivants : des dates apparaissant avec des textes sans aucun rapport avec l’art de Lagneau au verso de deux dessins, 1621 sur le verso d’un Portrait d’homme vu de face de Lagneau conservé à l’École des beaux-arts à Paris (inv. PM 2509) et 1625 sur une minute de notaire au verso d’un autre Portrait d’homme conservé au musée du Louvre (inv. RF 1111), ainsi que la mention en 1666 de « livres de crayons de Laneau [sic] » dans l’inventaire après décès de Jean I^er Leblond, peintre et éditeur d’estampes. On n’a repéré qu’une estampe en rapport avec l’œuvre dessiné de Lagneau : une gravure en couleurs exécutée par Jean Van de Velde IV aux alentours de 1660, Homme vu en buste de profil à droite, où le nom de Lagneau n’apparaît d’ailleurs pas (voir, pour ce bilan, Préaud, 2005, p. 7‑12 et fig. 4 pour la reproduction de la gravure ; pour cette dernière, voir aussi Paris, 1996, p. 44‑45).

132L’artiste est rapide, son faire parfois sommaire ; il schématise les mains mais emploie avec sûreté le pastel pour dessiner les vêtements et mêle pierre noire et sanguine pour rendre de manière implacable un visage traversé de rides. Le dessin, comme le précédent et le suivant, est le plus proche des dessins de l’album Marolles par la mise en page ambitieuse (la présentation du modèle incluant un bras ou une main).

133Le dessin montre le même homme que le précédent : malgré la différence de positions, le visage est reconnaissable, et le vêtement est identique. Cela conforte l’idée défendue par Maxime Préaud et nous-même (2005) qu’une partie de l’activité du dessinateur est bien celle d’un portraitiste, l’écueil principal demeurant qu’aucun modèle n’a pu être identifié.

153. Femme portant un attifet

134De même provenance que les deux dessins précédents, le portrait montre un parti et une qualité d’exécution identiques.

154. Homme de profil à gauche portant une calotte et une fraise

135L’artiste a utilisé toutes les ressources du portrait pour varier la présentation de ses modèles, de face, de trois quarts ou, comme ici, de profil, donnant cette image étonnante de vérité. D’autres portraits de profil sont comparables, comme le Portrait d’homme au Nationalmuseum de Stockholm (Bjurström, 1976, n^o 463, repr.).

155. Homme avec un buste de profil à droite, tournant le visage

156. Femme jeune avec une collerette dressée derrière la tête

136Le dessin, qui n’a pas été catalogué par Jean Adhémar et Christine Moulin en 1973, présente un modèle jeune, dont le visage, sur lequel ne court aucune ride, a été traité à l’estompe pour obtenir un rendu lisse, d’une exécution différente de celle du vêtement et de la chevelure, où l’on retrouve la vigueur habituelle à l’artiste.

157. Femme portant un bonnet

137La vision du dessin est gênée, car la feuille de papier est « brunie », comme de nombreux dessins de Lagneau de l’album Gatteaux au Louvre, pour lesquels André Le Prat a suggéré l’action d’un fixatif, peut-être posé au xix^e siècle.

158. Femme portant une coiffe avec un chaperon relevé en auvent carré

159. Homme en buste de trois quarts à gauche

138L’œuvre, omise par Jean Adhémar et Christine Moulin en 1973, constitue un exemple de portrait « classique » chez Lagneau ; la présentation est traditionnelle, les traits du modèle ne sont pas forcés, le faire demeure toutefois rapide, et le traitement des yeux, où sont détaillés les cils et quelques rides d’expression où se mêlent sanguine et pierre noire – une constante chez Lagneau –, contraste avec le modelé lisse du visage.

160. Homme vu en buste de face

139Autre cas de portrait « classique » et exemple supplémentaire de la variété de présentation des modèles chez Lagneau.

Lagneau, attribué à

161. Vieille femme portant un bonnet

140Le dessin offre, pour l’artiste, un exemple rare d’œuvre portant une annotation concernant le modèle : selon une pratique courante au xvi^e et au xvii^e siècle, et notamment chez Daniel Dumonstier, l’âge du personnage portraituré est donné, et sans doute le grand âge de cette femme – cent quatre ans – constituait-il une curiosité suffisante pour être précisé. L’annotation n’est pas entièrement compréhensible, car nous n’avons pas déchiffré la troisième lettre succédant aux lettres F et M (initiales du modèle ? ou F pour fecit, suivi d’une date ?), et, écrite de manière appliquée, elle diffère grandement des annotations écrites d’une manière fluide à la pierre noire grasse sur les dessins de Lagneau représentant des philosophes et savants grecs dans l’album Marolles, Aristote, Archimède, Socrate, Hippocrate et Platon (Adhémar et Moulin, n^os 756‑761, repr.). L’inscription sur le Portrait de vieille femme semble avoir été copiée, et le dessin lui-même n’est pas exempt d’une certaine sécheresse d’exécution, comme l’avait remarqué François-Georges Pariset, qui le mentionne comme un dessin de l’école de Lagneau (Pariset, 1961). Les traits du visage sont plus appuyés que d’habitude, et les rides du front particulièrement lourdes ; un dessin représentant le même modèle est passé en vente à Paris (hôtel Drouot, 11 décembre 1989, n^o 3, repr.), mais la photographie du catalogue n’est pas assez bonne pour qu’on puisse juger de la qualité du dessin ni lire l’annotation qu’il portait, il paraît tout aussi sec que celui de la Bibliothèque nationale de France.

162. Femme portant un bonnet de profil à gauche

141Le dessin n’a pas été inclus par Jean Adhémar dans son article sur les portraits dessinés conservés au département des Estampes (1973). La feuille ne semble de prime abord qu’un pâle reflet de l’art de Lagneau, et il serait tentant d’y voir un travail d’atelier, voire une copie. Si le dessin du vêtement et du bonnet du modèle reste sommaire, les petites touches de sanguine, ajoutées à celles de pierre noire, sur le visage relèvent toutefois du faire de l’artiste. Le portrait pourrait correspondre à une production en nombre, et, en l’état de nos connaissances actuelles sur Lagneau, nous préférons ne pas écarter ce dessin de son œuvre.

Lagneau ?

163. Jeune femme vue en buste tournée vers la droite

164. Jeune femme vue en buste légèrement tournée vers la gauche

165. Jeune femme tournée vers la gauche

166. Femme en buste de profil à gauche

167. Gaston d’Orléans en buste vu presque de face

142Henri Bouchot (1884) s’est interrogé sur la provenance (cabinet du roi ?) de ces dessins qui n’a pu être précisée ; la marque figurant ici (Bibliothèque royale, utilisée entre 1833 et 1848 ; Lugt 409) semble avoir été apposée en priorité sur les collections du fonds ancien. Bouchot avait mis à part le Portrait d’Anne-Marie-Louise, dite M^lle de Montpensier, pour lequel il pensait l’attribution à Lagneau fausse, et était resté prudent pour les autres, classés comme « Lagneau ? ».

143L’ensemble paraît cohérent du point de vue stylistique. La question principale concerne l’annotation « Laneau del. » et celle qui donne le nom de chaque modèle, qui ne sont pas de la même main. Seul le Portrait de Gaston d’Orléans présente des annotations dues à une seule main. L’identification des modèles des autres portraits a été apposée a posteriori : elle précise la date de mort de trois des modèles et la graphie, du xviii^e ou du xix^e siècle, ne peut pas être du xvii^e siècle. Cette écriture ressemble à celle qui indique aussi l’identité des modèles sur les dessins de François Clouet provenant de l’album Lécurieux entré en 1825 au département des Estampes (Portrait de Charles de France duc d’Angoulême, Réserve Na 22 boîte, Portrait d’Henri II, Réserve Na 22 boîte ; Zvereva, 2011, p. 208, n^o 14, repr., p. 296, n^o 241, repr.). Louis Dimier avait noté que les annotations portées sur ces dessins étaient modernes et souvent fausses (Histoire de la peinture de portrait en France au xvi^e siècle, 1925, t. II, p. 155‑167) ; Alexandra Zvereva y reconnaît l’écriture de Jean Duchesne, garde du département des Estampes (Zvereva, 2011) ; la comparaison avec l’écriture de Duchesne sur les pages de titre dont il a truffé les Notes manuscrites de Pierre-Jean Mariette lors du changement de classement de ces Notes (BNF, Est., Réserve Ya² 4 in-fol.) révèle en effet de nombreuses similitudes, mais nous préférons rester prudente sur cette question délicate. Quoi qu’il en soit, ces identifications de modèle, assez tardives, sont sujettes à caution. Aucune similitude n’a pu être établie entre le portrait dessiné de Marie de Bourbon, duchesse d’Orléans, première épouse de Gaston d’Orléans, décédée en 1627, et ceux qui ont été réunis dans la série N du département des Estampes de la Bibliothèque nationale de France, édités chez Louis Boissevin, chez Leblond, chez Balthazar Moncornet, ni entre le portrait dessiné de Marguerite de Lorraine, duchesse d’Orléans, seconde épouse de Gaston d’Orléans, et ceux qui ont été gravés par Van Merlen, par Pieter de Jode d’après Cornelis de Vos, par Pieter von Sompel d’après Van Dyck ou chez Moncornet et chez Daret. On s’étonne d’ailleurs de la simplicité de mise des modèles dessinés, qui ne portent pas de bijoux.

144Plusieurs portraits de la Grande Mademoiselle gravés dans les années 1640-1650 montrent la première fille de Gaston d’Orléans, née en 1627, avec un visage et une coiffure – boucles sur les côtés et cheveux tirés en arrière sur le haut de la tête pour former un chignon rond – qui peuvent être rapprochés du dessin (l’un édité en 1639 chez un certain Paslé, un autre chez Juste d’Egmont en 1642 ou encore chez Balthazar Moncornet, BNF, Est., série N). En revanche, le beau portrait de Mademoiselle toute jeune fille, gravé par Pierre Daret (IFF Daret, n^o 422), n’offre aucun point de comparaison avec le dessin.

145L’indication du nom de Lagneau sur un dessin constitue, quant à elle, une vraie rareté ; l’orthographe du nom correspond à celle du xvii^e siècle – « Lanneau » pour Michel de Marolles dans Le Livre des peintres et graveurs (1872), « Laneau » dans l’inventaire après décès du peintre et éditeur d’estampes Jean I^er Leblond (Préaud, 2002). Contrairement aux autres dessins, l’écriture est semblable à celle qui décline l’identité de Gaston d’Orléans sur le portrait de celui-ci. S’il est impossible de préciser qu’il s’agit là d’inscriptions de la main de Lagneau, on peut remarquer que l’identification du modèle est juste et que le dessin évoque en effet l’art de Lagneau, non pas tant les portraits d’hommes et de femmes d’âge mûr dont les visages, hauts en relief, sont parcourus de rides, que ceux, beaucoup plus lisses de facture, de modèles jeunes ou de figures religieuses présents dans le fonds Marolles (BNF, Est., Réserve Na 21 b ; Adhémar et Moulin, 1973, n^o 730, repr., n^o 739, repr., n^o 745, repr. n^o 746, repr.). Si le rendu appliqué, presque sec, quasi schématisé, du visage du modèle déroute, le traitement libre de la chevelure et du vêtement de Gaston d’Orléans est conforme au faire rapide de Lagneau. Le débat a toujours cours sur la disparité de l’œuvre graphique désigné sous le nom de Lagneau : les petits et les grands formats sont-ils de la même main ? Les caricatures et figures grotesques « tout de fantaisie » (Michel de Marolles) et les dessins qui paraissent de véritables portraits reviennent-ils au même artiste ? Nous avions défendu (Chantilly, 2005) la thèse d’un seul et même artiste, mais force est de reconnaître que nous ne savons presque rien de Lagneau. Avait-il un atelier ? Le fait qu’on recense chez Leblond plusieurs portefeuilles de « portraicts de crayon » et de « desseins » de Lagneau lors de l’inventaire après décès du peintre et éditeur Leblond en 1666 (Préaud, 2002) et que le musée Condé de Chantilly conserve un dessin d’une Tête de femme portant un voile (inv. PD 448 ; Chantilly, 2005, p. 102, n^o 65, repr.) extrêmement proche de deux Portraits de femme édités chez Leblond – l’un représentant la princesse Marie (probablement Marie de Bourbon, première épouse de Gaston d’Orléans ; voir Chantilly, 2005, p. 102, fig. 16.), l’autre la duchesse de Montbazon (BNF, Est., N2, Orléans, N2 Montbazon) – laisse à penser que l’artiste (et son atelier ?) a pu participer à la création de figures sommaires, voire stéréotypées, destinées à des suites gravées de portraits ou à des séries iconographiques comme les Courtisanes, dont Leblond s’était fait une spécialité (Chantilly, 2005, p. 9, fig. 2). Les modèles, aux visages peu individualisés, quasi interchangeables, pouvaient servir à des fins différentes et être facilement déclinés par des membres de l’atelier. C’est dans un tel contexte que prennent place, peut-être, ces portraits de Gaston d’Orléans et des supposés membres de sa famille. S’il n’est pas sûr que les dessins soient de la main de Lagneau, ils ne peuvent que se situer dans son environnement direct.

La Hyre, Laurent de

Paris, 1606 – Paris, 1656

168. Cyrus discutant avec Araspe ?

146Le dessin appartient, comme l’ont précisé Pierre Rosenberg et Jacques Thuillier, à une suite dessinée consacrée à l’« histoire de Cyrus et de Panthée », inspirée par La Cyropédie de Xénophon et mentionnée en onze pièces dans l’inventaire après décès de Laurent de La Hyre (1657), série que les deux auteurs ont pu reconstituer en partie (Rosenberg et Thuillier, 1988, p. 118‑119, n^os 8‑10, repr.). En effet, s’ajoutent au dessin de la Bibliothèque nationale de France Abradate [ou Cyrus (Clark, 1999)] reçoit une lettre de Panthée ? (Rijksmuseum, Amsterdam), Cyrus confie un commandement à Abradate ? (Beauvais, coll. part.), Abradate faisant ses adieux à Panthée avant la bataille ? (Hambourg, Kunsthalle) et enfin Panthée confiant un message à sa vieille servante pour Cyrus (Cambridge, Fogg Art Museum, coll. Jeffrey E. Horvitz ; Clark, 1999, p. 122, n^o 12, repr.), ainsi sans doute qu’un dessin de la collection Prat, Femme debout devant trois hommes assis (Rosenberg, 2004, p. 54, n^o 2, repr.). L’ensemble se situe tôt dans la carrière de La Hyre, au début de la décennie 1620-1630, à un moment où le style du jeune artiste est imprégné par l’exemple de la seconde école de Fontainebleau.

169. Moïse désignant les Tables de la Loi

147Le dessin, rendu à Laurent de La Hyre par Jean-Claude Boyer (note sans date sur le montage), est absent du catalogue consacré à l’artiste par Pierre Rosenberg et Jacques Thuillier (Rosenberg et Thuillier, 1988). La finesse de traitement du dessin, le goût d’une ligne ondoyante, la multiplication des hachures, l’élégance du personnage indiquent une œuvre précoce dans la carrière de l’artiste.

170. Hercule ramenant Alceste au palais d’Admète

148Le dessin fait partie d’une suite dessinée en onze pièces mentionnée, comme la série de l’Histoire de Cyrus et Panthée citée plus haut, dans l’inventaire après décès de Laurent de La Hyre (1657) : relatant l’« histoire d’Admète et Alceste », elle n’est plus connue aujourd’hui qu’à travers le dessin de la Bibliothèque nationale de France et une feuille conservée au Nationalmuseum de Stockholm, Hercule obtenant qu’Alceste lui soit remise (Rosenberg et Thuillier, 1988, p. 120, n^o 11, repr.).

171. Hercule méprisant les couronnes

149Plutôt que la stricte iconographie d’Hercule, Pierre Rosenberg et Jacques Thuillier ont proposé de voir ici une allégorie de la Vertu restant indifférente aux tentations de la puissance et de la richesse, rappelant qu’un tableau inventorié chez les parents de l’artiste en 1638 y était décrit comme l’« histoire du mépris du monde » (Rosenberg et Thuillier, 1988). Proche de style des dessins précédents, mais plus faible d’exécution, l’œuvre se situe à une date voisine, au début des années 1620-1630.

172. Jaël et Siséra

150Le dessin ne représente pas Samson et Dalila, comme le pensaient les auteurs du catalogue de 1988, mais illustre un autre haut fait d’une femme forte de l’Ancien Testament : Jaël, après avoir accueilli Siséra, dont l’armée a été mise en déroute par les Israélites, le tue en lui enfonçant un piquet de tente dans la tempe. Le dessin de l’Albertina, rapproché avec raison du dessin de la Bibliothèque nationale de France par les auteurs cités, représente bien Samson et Dalila et formait donc une paire avec ce dernier. Œuvres de la décennie 1620-1630, les deux études se caractérisent par leur élégance jusque dans leur format quadrilobé ; ils constituaient peut-être des projets pour des tableaux précieux, à l’exemple des deux tableaux sur cuivre, pour un tabernacle, et de forme trilobée conservés au musée des Beaux-Arts de Rennes, Abraham et Melchisédec et Élie dans le désert (Grenoble, 1989, p. 166, n^o 78, repr., p. 167, n^o 79, repr.).

151Pierre Rosenberg et Jacques Thuillier (Rosenberg et Thuillier, 1988, p. 172) ont signalé une copie du dessin de la Bibliothèque nationale de France à la Graphische Sammlung de Munich (inv. 3176).

173. Le Repos de la Sainte Famille avec saint Jean et quatre anges

152Le dessin se rapporte, comme l’avaient noté Pierre Rosenberg et Jacques Thuillier (1988, p. 268, n^o 233, repr.), à un tableau signé et daté 1646, conservé à Dresde, dans les collections nationales. Le tableau était apparu en 1787 dans le catalogue de vente Tableaux capitaux… le tout provenant des cabinets de M. le Chevalier Lambert et de M. Du (Portail) par J. B. Le Brun. Si la composition et le nombre de figures demeureront identiques, de nombreux changements interviendront dans l’iconographie (petit saint Jean-Baptiste tenant la croix et non plus un lis), dans les attitudes des personnages et dans de nombreux détails (profil des éléments architecturaux, dessin des arbres), révélant ainsi le soin porté par l’artiste à la conception et à la réalisation de ses tableaux vers le milieu du siècle. L’équilibre atteint dans la construction de la composition, l’importance de l’antique, le rendu précis des ruines sont caractéristiques de ce courant artistique parisien que Jacques Thuillier a défini comme l’« atticisme de la Régence ».

Lallemant, Georges ?

Nancy ou Lorraine, vers 1575 ? – Paris, 1636

174. Un homme tenant un coq

153Donnée à Jacques Bellange par François-Georges Pariset (1950), considérée comme de Georges Lallemant par Christopher Comer (1979), l’œuvre a été placée par Jacques Thuillier (2001) au sein d’un ensemble de dessins rejeté de l’œuvre de Bellange et qu’il a nommé le groupe des « calligraphies » à cause d’une utilisation de la plume proche de l’art de la calligraphie. Ces dessins révèlent des liens avec l’art de Bellange tant dans la verve du trait que dans les types physiques représentés, avec, notamment, des yeux globuleux tirés vers le haut.

154Dans ce groupe, le dessin de la Bibliothèque nationale de France apparaît particulièrement proche de style et d’inspiration de deux autres dessins conservés à l’Ermitage, Le Jeune Tambour et Le Mendiant à la béquille (Thuillier, 2001, p. 335, repr., p. 336, repr.). Les trois dessins ont en commun la représentation d’une figure populaire – le personnage du dessin de la Bibliothèque nationale de France étant souvent interprété comme un cuisinier – et un faire rapide. Celui-ci n’est toutefois pas, dans le dessin de la Bibliothèque nationale de France, exempt de lourdeurs, les contours de la figure étant appuyés par endroits, et les mains du personnage sommaires.

155Demeure le problème de l’attribution : Jacques Thuillier y voyait l’œuvre d’un élève ou d’un artiste proche de Bellange ; l’attribution à Georges Lallemant, artiste d’origine lorraine sensible au maniérisme de la fin du xvi^e siècle, demeure séduisante mais sujette à discussion. L’étude offre peu de points de comparaison avec les dessins avérés de Georges Lallemant, qui sont rares : l’étude de Sainte Geneviève identifiée par Frédérique Lanoë au musée du Louvre (Magny-les-Hameaux, 2009, p. 25, n^o 1, repr.) et préparatoire pour Le Prévôt et les échevins de la ville de Paris implorant sainte Geneviève (église de Montigny-Lencoup ; Magny-les-Hameaux , 2009, p. 25, repr.) montre un brio dans l’utilisation du lavis et une élégance dans le dessin de la figure assez éloignés du dessin de la Bibliothèque nationale de France. De même, les dessins de l’artiste conservés au Louvre, La Sainte Famille (inv. 21768 ; Paris, 1984, p. 21, n^o 15, repr.) et Saint Jean et saint Matthieu (inv. 21252), préparatoires pour des bois gravés par Ludolph Büsinck (BNF, Est., Réserve Ea 26 a in‑fol. ; Hollstein’s German, V, n^o 3, repr., n^o 21, repr.) – le dessin de L’Entremetteuse est, quant à lui, sans rapport direct avec le bois gravé par Büsinck sur le même thème (Hollstein’s German, V, n^o 24, repr.) –, montrent une maîtrise supérieure à celle du dessin de la Bibliothèque nationale de France. Enfin, les dessins portant l’annotation bellange inv. f. 1607, enlevés de l’œuvre de Bellange pour être rendus à Lallemant (voir Thuillier, 2001, p. 317‑319 et fig. ), Le Miracle du Christ (Orléans, musée des Beaux-Arts), La Déploration sur le Christ mort (Nemours, musée), Angelot au rosaire (Vienne, Albertina) et L’Astronomie (Paris, Louvre, inv. RF 11987), ne permettent pas davantage d’infirmer ou de confirmer l’attribution du dessin de la Bibliothèque. Celui-ci, il est vrai, se situe dans un autre registre, et la différence de genre ne facilite pas les comparaisons avec les œuvres citées. Il s’agit ici d’une de ces représentations de figures populaires qui, plus ou moins chargées d’ironie, ont eu tant de succès en Europe au xvii^e siècle. L’attribution à Lallemant demeure donc pour le moment hypothétique.

Larmessin, Nicolas I^er

Paris, 1632 – Paris, 1694

175 . La Présentation du dauphin

156Il ne semble pas que ce dessin, bien que très achevé, ait été gravé ; en tout cas, on ne connaît pas pour l’instant d’épreuve de l’almanach auquel il était destiné, probablement pour 1665.

157À la partie supérieure, dans le fond de l’image, sous un dais, une figure féminine casquée et cuirassée, vraisemblablement Pallas mais peut-être la France, tient debout devant elle le jeune dauphin, né à Fontainebleau le 1^er novembre 1661, qui paraît âgé d’environ trois ans ; celui-ci, coiffé d’une couronne ornée de dauphins, brandissant un sceptre de la main gauche et retenant de la droite un bouclier, piétine un petit génie ailé qui, un bandeau sur les yeux, tient un flambeau allumé, signifiant peut-être ainsi une guerre à la mesure de l’enfant. À droite se reconnaissent Monsieur, le prince de Condé, le duc d’Enghien et Turenne ; à gauche, des femmes, difficilement identifiables.

158Au deuxième plan, à cheval sur les deux feuilles, sont assis à gauche la reine Marie-Thérèse et à droite le roi, chacun tenant un sceptre de la main gauche (en prévision de l’inversion lors de l’impression de l’estampe).

159Au premier plan, deux anges désignent d’une main le dauphin et de l’autre maintiennent les armoiries de France et de Navarre couronnées, au-dessus de deux cornes d’abondance qui encadrent un espace destiné à recevoir le calendrier.

160L’attribution du dessin à Nicolas I^er de Larmessin, affirmée par la signature en bas à gauche, qui est probablement autographe, ne fait pas de doute.

161Outre un très grand nombre de portraits en suites, Larmessin a gravé quantité d’almanachs muraux ; d’abord, et quasiment tous les ans depuis 1659 jusqu’en 1678, pour son beau-père Pierre Bertrand, dont il avait épousé la fille Marie le 20 juillet 1654 ; puis pour sa belle-mère, devenue veuve, de 1679 à 1684 ; enfin pour son propre compte, de 1685 à 1694. Il mourut cette dernière année, inhumé à Saint-Séverin le 24 juillet. Dans la plupart des cas, ces almanachs portent l’indication que Larmessin en est à la fois le graveur et le dessinateur.

162Nicolas I^er de Larmessin avait un frère également nommé Nicolas, que Roger-Armand Weigert (IFF Nicolas II Larmessin) appelle « Nicolas II ». Il lui attribue notamment, et probablement à tort, la célèbre série des Costumes grotesques (voir plus loin, l’Habit de médecin, n^o 178). Mais ce Nicolas II a également gravé quelques almanachs de 1697 à 1710, et Weigert n’exclut pas qu’il ait pu auparavant travailler pour ou avec son frère aîné. Cependant, sa manière de graver est peu caractéristique.

m. p.

176. Portrait de Louis, dauphin, jeune

163Le dessin est proche d’un Portrait du dauphin gravé* par Nicolas I^er de Larmessin d’après Beaubrun qui porte la lettre suivante : Beaubrun pinxit De L’armessin sculpsit A paris chez P. Bertrand Rüe St Iacques à la Pomme dOr proche St Seuerin Auec Priuilege du Roÿ (IFF Nicolas I^er de Larmessin, n^o 215 ; l’exemplaire conservé au département des Estampes, sous la cote N2 France, porte une date manuscrite : 1669). Rappelons que l’éditeur, Pierre Bertrand, était le beau-père du graveur. Le dauphin, fils de Louis XIV et de Marie-Thérèse d’Autriche, né en 1661, y a sensiblement le même âge et porte un vêtement comparable mais il est représenté à mi-corps.

176* BNF, Est., N 2 France

164Il était envisageable de voir dans la gravure citée le fruit d’une interprétation du dessin dans un format plus modeste, mais des différences, minimes dans le visage, plus importantes dans le vêtement, où les nœuds des manches sont disposés différemment, font penser que le dessin de 1668 correspond à un autre projet.

177. Louis XIV reçoit les clés de la ville de Maastricht, 1673

165Ce dessin n’est pas préparatoire à un almanach pour l’année 1664, comme nous l’avions d’abord pensé, mais à un almanach pour 1674* publié par Pierre Bertrand, gravé dans le même sens par Nicolas I^er de Larmessin (IFF, Nicolas I^er de Larmessin  n^o 587) et intitulé La Fameuse Conquête de Louis le Grand. Louis XIV, à cheval, accompagné de Monsieur, des princes du sang et de ses maréchaux (aucun n’est vraiment reconnaissable, sauf le roi), la main sur la hanche, ne regarde même pas le « sieur Jargeau », en réalité l’héroïque Jacques de Fariaux, qui, à pied et suivi de quelques gentilshommes, lui remet les clés de la ville de Maastricht, laquelle avait capitulé le 30 juin 1673.

177* BNF, Est., coll. Hennin, n^o 4713

166En haut à gauche, un ange présente le portrait de la reine Marie-Thérèse dans un médaillon, et à droite c’est la Renommée qui propose celui du dauphin ; entre les deux, une draperie destinée à encadrer le titre gravé porte l’inscription à la plume erronée : Année 1663 4 7.^bre / Les clefs de Marsal remises entre les mains / de Sa Majesté.

167À la partie inférieure, sous un trophée d’armes enrichi des attributs de la France, un espace a été réservé pour une grande vignette en largeur et deux médaillons.

168On ne voit pas quelle raison pourrait faire rejeter l’attribution de cette feuille à Nicolas I^er de Larmessin, sinon cette utilisation particulière de l’indigo, alors que les autres dessins que nous connaissons de lui sont à la pierre noire. Mais on y retrouve la même couleur presque naïve, parfois proche de la maladresse, que celle qui caractérise sa gravure au burin, rendant sa manière très particulière. D’ailleurs, l’estampe porte la mention explicite : De L’armessin del. et sculp.

m. p.

178. Habit de médecin

169Classé parmi les anonymes, ce dessin partiellement incisé, que nous avons identifié en 2010, est préparatoire à une estampe publiée à l’enseigne de La Pomme d’or par Nicolas I^er de Larmessin. Intitulée Habit de médecin, elle appartient à la célèbre série des Costumes grotesques, constituée de quatre-vingt-dix-huit estampes éditées par Nicolas I^er de Larmessin, sa veuve Marie Bertrand ou son frère Nicolas II, sur lesquelles sont représentés avec humour et fantaisie des personnages évoquant chacun un métier, affublés de costumes réalisés à partir d’éléments servant à son exercice ou caractérisant sa production.

170Homme du livre et de la parole, le médecin est ainsi recouvert d’un manteau-bibliothèque renfermant des ouvrages des Anciens, se référant aux fondements grecs et arabes de la médecine occidentale ; on peut lire sur les tablettes de sa robe les noms de Paul d’Égine, Rhazès, Avenzoar ou encore Ali Abbas. Des flèches sortent de sa bouche, accompagnées sur l’estampe de mentions se rapportant à des prescriptions (Lauemens / Saigneés/ Ventouzes, etc.). La planche gravée, en contrepartie du dessin, présente de nombreuses différences avec ce dernier, qui concernent principalement le visage et la position de la main par rapport à la Bille Eschauffée ; des tracés de sanguine se superposent d’ailleurs au lavis, modifiant le premier parti et indiquant la voie à suivre pour donner un nouvel aspect au personnage, dont le visage est en partie repris à la plume en haut à droite.

171Le dessin est fondé sur une iconographie traditionnelle du médecin, proche de la caricature, qui est celle du « mireur d’urines » ; portant barbe, binocles et cheveux dépeignés, il ressemble à un mage et n’est pas sans évoquer les personnages de Molière. Son apparence sur l’estampe est plutôt celle d’un gentilhomme poli et élégant ; sa posture, sa fine moustache et sa perruque lui donnent en effet une allure proche de celle des « modes » de la rue Saint-Jacques. La modernisation du personnage touche son visage, sa silhouette et ses gestes mais non le contenu de la bibliothèque qui l’habille, laquelle le range clairement du côté – moqué dès les années 1670 et largement dépassé à la fin du xvii^e siècle – des Diafoirus, disciples invétérés de Galien et d’Hippocrate réfutant les thèses de Vésale ou de Harvey.

172La suite des Costumes grotesques a fait l’objet de nombreuses hypothèses et pose plusieurs problèmes, le principal étant la question de la paternité de son concepteur. Weigert faisait de Nicolas II (vers 1645-1725) son dessinateur et graveur en se fiant à la date de 1695, portée par plusieurs plaques éditées à son enseigne de La Coupe d’or (Weigert, 1973, p. 543). Il semble en fait qu’il faille départager plusieurs séries exploitant la même thématique au sein de la suite des Costumes grotesques, dont la plus importante du point de vue numérique est celle de La Pomme d’or – enseigne reprise par Nicolas I^er de Larmessin à la mort de son beau-père, Pierre Bertrand, en 1678 –, à laquelle appartient l’Habit de médecin. La découverte de dessins préparatoires renforce cette hypothèse. Il en existe quatre à la Bibliothèque nationale de France, dont trois (outre l’Habit de médecin, il s’agit de l’Habit de barbier-perruquier et de l’Habit de ceinturier, BNF, Est., Oa 36 fol. [2]) semblent clairement revenir à la main de Nicolas I^er. Ils partagent en effet, malgré leur spécificité, des caractéristiques que l’on retrouve sur d’autres œuvres qui lui sont attribuées de manière quasi certaine (voir n^o 175 à 177). Le dernier dessin (Habit de cabaretier, BNF, Est. Oa 36 fol. [2]), assez proche mais plus vif et dynamique, pourrait quant à lui être de Nicolas II et témoigner de la poursuite, sous son propre nom, de la suite commencée par son frère aîné.

173Si les modifications à la sanguine désignent une main assurée, a priori différente de celle de l’auteur du lavis, plus raide, rien ne permet d’affirmer qu’elles ont été réalisées par un second intervenant. Elles gardent toutefois, avec le visage repris à la plume dans le ciel, trace d’une élaboration en plusieurs temps, probablement accompagnée d’une discussion entre plusieurs personnes relative à la représentation de la figure à la fois populaire et moquée du médecin.

p. c.

Le Brun, Charles

Paris, 1619 – Paris, 1690

179. L’Espoir de la France

174Le dessin, qui célèbre la naissance du dauphin le 5 septembre 1638 à Saint-Germain-en-Laye, se rapporte à une estampe gravée au burin par Jean Humbelot et éditée chez Philippe Huart, celle-ci porte le titre L’Espoir de la France et ne doit pas être confondue, comme l’a montré Maxime Préaud, avec l’eau-forte d’Abraham Bosse qui s’intitule La Joye de la France (Préaud, 2001, p. 380, fig. 2 et 3). L’estampe, destinée à un almanach, dut être rapidement exécutée après la naissance du prince pour pouvoir être publiée avant le mois de janvier 1639. La sœur de Jean Humbelot, Jeanne, épousera en décembre 1641 Nicolas Le Brun, frère aîné de Charles et de Gabriel. Charles Le Brun a fourni plusieurs compositions qui furent gravées par Humbelot (Wildenstein, 1965, n^os 227‑229, repr. ; IFF Humbelot, n^os 7, 210, 213, 214, 220). Les recherches (Chomer, 1977 ; Montagu, 1991 ; Préaud, 2001 et 2004 ; et, plus récemment, Gady, 2010) ont permis d’enrichir de manière notable le corpus du jeune Le Brun dans les années 1630, notamment avec des œuvres pleines de charme aux figures menues et élégantes qui correspondent à une activité tournée vers l’estampe, comme Les Quatre Heures du jour ou l’histoire du Fils prodigue, Les Quatre Parties du monde, Les Quatre Âges de l’homme (voir Gady, 2010, p. 62, fig. 37, p. 63, fig. 38, p. 65, fig. 41‑42) ou encore les petites pièces de frontispice gravées par Pierre Daret en 1638 pour L’Aveugle de Smyrne et pour La Comédie des Tuileries (Gady, 2010, p. 100, fig. 66‑67).

175Comme l’a précisé Maxime Préaud, la planche consacrée à l’« âge viril » comporte, collé sur le mur, un almanach gravé à l’eau-forte dont la partie supérieure montre la composition de l’Espoir de la France : estampe dans l’estampe, chacune a finalement retrouvé sa véritable identité. Bénédicte Gady a souligné que  le jeune artiste, en accord avec l’imagerie du temps, ne se cantonne à aucun genre, comme le prouvent trois pièces facétieuses gravées par Humbelot (parmi lesquelles la Plaisanterie d’un pédant et d’une harangere [sic] ; Gady, 2010 , p. 66, fig. 43), ni à un seul style, comme le montrent, par exemple, les dessins et les estampes des Heures du jour, ces dernières étant publiées chez Poisson avant le départ de Le Brun pour l’Italie (Gady, 2010, p. 71‑73, fig. 50‑55). Les figures larges et modelées de satyres et de bacchantes qui y apparaissent sont sans lien avec les petites figures maigres des deux compositions réalisées à l’occasion de la naissance du dauphin, celle qui est ici commentée et la suivante.

176Le dessin montre le même jeu de hachures serrées et la même technique appliquée que l’étude à la pierre noire pour L’Oblation du dauphin, conservée dans la collection Hennin (n^o 2741 ; Préaud, 2004, p. 198, n^o 170, repr. ; Gady, 2010, p. 50, fig. 19).

180. Homme assis tourné vers la droite, la main gauche en appui sur un bâton

177Identifiée par Jennifer Montagu (Versailles, 1963), l’étude se rapporte à L’Aurore, une des rares eaux-fortes de l’artiste ; elle appartient à la suite Les Quatre Parties du jour publiée chez François Langlois, dit « Ciartres » (voir Thuillier dans Versailles, 1963, p. 151, n^os 53‑56, repr.). La comparaison avec le dessin d’ensemble de Le Brun pour L’Aurore, retrouvé, comme celui de La Nuit, par Pierre Rosenberg dans la collection Briganti à Rome, permet de comprendre le cheminement de l’artiste : parti d’une étude d’après le modèle dont il changera la tête pour le transformer en satyre, il arrive à un dessin complet d’une précision étonnante, passant d’une sanguine utilisée avec souplesse à une pierre noire fine et appuyée. Le dessin de la Bibliothèque nationale de France ne s’explique pas sans l’exemple de Simon Vouet, qu’il s’agisse du type de figure puissante, modelée de lumière, du travail sur la draperie ou du jeu des hachures et des contours. Si les sources concordent pour mentionner une formation du jeune peintre chez Simon Vouet, la date du passage chez ce dernier n’est pas établie avec certitude. Bénédicte Gady penche pour l’enchaînement suivant : passage de Le Brun chez François Perrier vers 1633-1634 (or, Perrier, qui avait œuvré pour Vouet sur le chantier du château de Chilly en 1630-1631, a adopté à ce moment-là un style fortement vouetisant) ; première formation chez Vouet vers 1635-1636, puis protection du chancelier Séguier ; ce dernier l’envoie continuer sa formation chez Vouet, qui décore précisément l’hôtel du chancelier ; enfin, prise d’indépendance à partir de 1638, puis départ pour l’Italie à l’automne 1642 (Gady, 2010). Quelle que soit la chronologie exacte – le passage en deux temps ou en un seul temps chez Vouet –, on peut noter la variété de style de l’artiste dans ces années-là et placer les compositions influencées par Vouet à une date légèrement postérieure à celle des compositions réalisées pour la naissance du dauphin.

181. Sainte tenant une palme dans la main droite et un livre dans la main gauche

178Le dessin et les sept suivants, conservés jusqu’à maintenant sous deux cotes différentes (B 29 et B 6), ont été réunis car ils reviennent à une main identique et constituent un ensemble. Curieusement, quatre d’entre eux portent une marque de la bibliothèque Sainte-Geneviève, et les quatre autres celle de la bibliothèque de l’Arsenal.

179Exécutés avec une pierre noire grasse parfois rehaussée de craie blanche, les dessins évoquent l’art de Simon Vouet, tant dans la technique de hachures rapides que par les personnages avec des mains aux doigts allongés. Paola Pacht Bassani a suggéré le nom de Jean de Saint-Igny (note sur le montage de la Sainte portant une coiffe conique), et l’élégance des figures n’est pas éloignée en effet de celle de l’artiste. Nous pensons toutefois que la manière de dessiner, où transparaissent un peu de maladresse mais aussi une force certaine, peut être rapprochée de la production de jeunesse de Charles Le Brun. Il est désormais possible d’avoir une vue plus complète des années de formation de ce dernier, et de la diversité des inspirations et des styles qui les caractérise. L’artiste a montré sa capacité à alterner les petites figures fines, voire maigres, qui apparaissent dans une partie de sa production destinée à l’illustration de livres, comme, par exemple, les frontispices pour L’Aveugle de Smyrne, pour La Comédie des Tuileries (Gady, 2010, p. 100, fig. 66‑67), et les figures plus puissantes, qui trahissent l’influence de Vouet comme celles des Quatre Parties du jour (Gady, 2010, p. 71‑73, fig. 50‑55). Sans vouloir abuser de comparaisons, toujours délicates entre techniques différentes, il nous semble que la figure de L’Ange rappelle celui qui allume le cierge de la sainte dans la petite composition peinte sur bois destinée à l’estampe, Sainte Geneviève, vers 1637-1639 (Rouen, musée des Beaux-Arts ; Gady, 2010, p. 53, fig. 22‑23) et que les Saintes pourraient être rapprochées des figures de saints et d’anges du frontispice, gravé par Michel Lasne, pour l’ouvrage de Jean Suffren, L’Année chrétienne, publié en 1640 (Gady, 2010, p. 102, n^o 69, repr.). La vigueur et la liberté du trait, le caractère sommaire de certains détails sont très similaires à la facture du dessin représentant Louis XIII et sa famille (voir la notice n^o 189).

180La sainte représentée pourrait être Justine, parfois représentée avec ces deux éléments : palme de martyre et livre.

182. Sainte couronnée de fleurs présentant ses deux seins sur un plateau

181Plusieurs saintes ont connu le martyre des seins coupés (sainte Anastasie, sainte Julie), la sainte le plus couramment représentée avec cet attribut de martyre étant sainte Agathe.

183. Sainte joignant les mains, un poignard en forme de croix dans le cou

182Il s’agit peut-être de sainte Lucie, qui, après avoir perdu ses yeux pour avoir refusé de se marier, aura la gorge tranchée ; elle est parfois représentée avec une épée en travers du cou.

184. Sainte joignant les mains accompagnée d’un enfant (angelot ?) tenant un objet

183Il est difficile de préciser si la sainte est accompagnée d’un angelot ou d’un enfant ; s’il s’agit d’un enfant, celui-ci pourrait désigner sainte Julitte, martyre souvent représentée avec son fils saint Cyr, martyrisé enfant.

185. Sainte tenant un gril et une palme

184La sainte tient un objet qui ressemble à un gril, et celui-ci indique un martyre infligé à plusieurs saintes : sainte Foy, Donatilla, représentée avec Maxima et Secunda, sainte Agathe, qui, après avoir survécu miraculeusement à son premier martyre (les deux seins coupés), connaîtra le gril.

186. Ange debout levant les mains

187. Sainte ou sibylle (?) tournée vers la gauche joignant les mains, elle porte une coiffe conique avec un voile

188. Sainte tournée vers la droite tenant une palme de martyre et présentant un sein sur un plateau

185Plusieurs saintes ont connu le martyre des seins coupés (voir plus haut, n^o 182), la sainte le plus couramment représentée avec cet attribut de martyre étant sainte Agathe, martyrisée sur ordre du consul de Sicile.

189. Louis XIII, Anne d’Autriche, le dauphin enfant et le petit duc d’Anjou esquissé à droite

186Le dessin se rapporte, comme Jean Vittet l’a précisé, à un panneau en Savonnerie dû à Simon Lourdet représentant Louis XIII, Anne d’Autriche et leurs deux fils, où apparaît la date « 1643 » inscrite deux fois (Paris, Mobilier national ; Vittet 1995, 1996, p. 106, fig. 4). L’attribution du dessin de la Bibliothèque nationale de France a été quelque peu difficile à établir à cause de son style vouetisant, peu connu pour Le Brun portraitiste ; Jean Vittet avait proposé le nom de Juste d’Egmont jusqu’à ce que Jennifer Montagu identifie, dans une collection particulière, une étude de détail pour la figure de la Renommée dont le style, plus caractéristique du premier peintre, levait les derniers doutes (Montagu, 2012). La composition est contemporaine du projet peint par Le Brun pour la Thèse du roi en sa jeunesse apparu récemment sur le marché de l’art (Gady, 2010, p. 133, fig. 82).

187Rappelons que Le Brun est à Rome de l’automne 1642 à la fin de 1645 ; Jennifer Montagu pense que l’artiste avait pu envoyer le tableau d’Italie, comme il l’a fait à plusieurs reprises à l’intention de son protecteur, le chancelier Séguier (Montagu, 2012). La tapisserie porte la date de l’année du décès de Louis XIII, et les différences que montre la tapisserie par rapport au dessin concernent principalement les attributs allégoriques et la place du petit duc d’Anjou, né en 1640. Elles semblent dues à une volonté plus marquée d’insister sur la continuité de la monarchie et de la royauté (les deux frères sont côte à côte) et sur la transmission faite par Louis XIII au dauphin, né en 1638. Louis XIII ne tient plus ni foudre ni figurine (la Victoire ?), mais un globe terrestre et la massue d’Hercule ; assis sur un monceau d’armes en signe de paix, il écrase du pied l’Hérésie, comme le fait aussi le dauphin. Ce dernier, portant d’abord un bonnet et une robe – signes de la petite enfance –, revêt finalement une tunique à l’antique et un manteau à la fleur de lis. La reine, qui posait la main sur le bras de son fils et semblait soutenir une statuette, s’est transformée en Minerve protectrice des arts qui désigne un livre où on remarque un portrait – sans doute le livre de l’histoire consignant les hauts faits du roi, au-dessus duquel souffle la Renommée.

188Le dessin correspond à un premier jet, où l’artiste met en place sa composition ; aucun des membres de la famille royale n’y a encore les traits personnalisés. Le canon des personnages, l’écriture nerveuse qui schématise, comme chez Vouet, les extrémités des figures nous incitent à placer le dessin avant le départ de l’artiste pour l’Italie. Le panneau aurait été tissé l’année suivante.

189Le panneau de Savonnerie, acquis par le Mobilier national en 1881, est resté au cours du xvii^e siècle propriété de la famille Lourdet, fondatrice de la manufacture de la Savonnerie, à Chaillot, puisqu’il est mentionné, ainsi que le modèle peint de l’œuvre, parmi les biens de membres de la famille en 1665 puis en 1674 (Vittet 1995, 1996 et 2002). Ni l’inventeur de la composition ni le commanditaire n’est précisé.

190Le dessin du verso, dégagé par une restauration récente, a été rapproché avec raison par Bénédicte Gady (comm. orale, 2011) d’une gravure, identifiée par elle, de Samuel Bernard d’après Charles Le Brun, La Concorde, dédiée à Jean-Baptiste Mallet, un ami du peintre (un exemplaire avec le nom d’auteur et la dédicace, conservé à Vienne, à l’Albertina (Gady, 2010, p. 75, fig. 57 ; exemplaire sans lettre à la BNF, Est., Da 35 in‑fol. ; Wildenstein, 1965, p. 27, n^o 161, repr.). Placée par l’historienne vers 1637-1642, la gravure est contemporaine de la composition dessinée au recto du dessin.

189 verso

190. Trois chevaux terrassés

191Comme l’avait précisé Jennifer Montagu (Versailles, 1963), le dessin prépare le groupe des chevaux terrassés par Hercule pour le tableau représentant le héros qui tue Diomède, roi barbare de Thrace qui donnait en pâture à ses chevaux la chair des voyageurs entrés dans le pays. L’œuvre, peinte pour Richelieu, était destinée à décorer une cheminée au palais Cardinal (Nottingham, Castle Museum and Art Gallery). Le tableau se place tôt dans la carrière du peintre, vers 1640-1641 pour Jacques Thuillier (Versailles, 1963, p. 7, n^o 2, repr.) et Bénédicte Gady (2010, p. 96) ; il montre encore l’influence du style puissant et vibrant de Simon Vouet, où se mêlent virtuosité et réalisme. Jacques Thuillier a noté que le dessin est plus proche du groupe de chevaux visible dans l’esquisse du tableau (coll. Petithory, aujourd’hui au musée Bonnat, à Bayonne ; Thuillier, Versailles, 1963, p. 9, n^o 3, repr. ; Cuzin, 1997, p. 107, n^o 120, repr.) que du tableau définitif, où Le Brun a modifié la position des jambes des chevaux. Un étonnant dessin à l’encre représentant les chevaux vaincus par Hercule et Diomède à terre pourrait correspondre à un premier jet (coll. Petithory, musée Bonnat, Bayonne ; Méjanès, 1997, p. 157, n^o 164, repr.).

191. Le Christ en croix

192Le dessin, usé, se rapporte à une Crucifixion gravée par Nicolas Tardieu, comme l’a montré Jennifer Montagu (1963, p. 41, repr. ; seul exemplaire connu de l’auteur conservé au Nationalmuseum de Stockholm), qui reproduit un tableau (disparu) peint par Charles Le Brun, lors de son séjour en Italie, pour le grand maître de l’ordre de Saint-Jean de Malte, Paul de Lascaris, à la demande du résident de l’ordre à Rome, dont le nom n’est pas connu à ce jour (Gady, 2010, p. 143 et note 497). L’œuvre peinte sur cuivre, dont témoignent Guillet de Saint-Georges, Nivelon et Florent Le Comte, comportait aussi deux saints, saint Jean-Baptiste et saint François, qui n’ont pas été repris sur la gravure. Le dessin a souffert, mais il est bien de l’artiste pour Jennifer Montagu (comm. écrite, 2009) ; cette dernière a attiré notre attention sur le fait que plusieurs tableaux dérivent de cette composition, parmi lesquels une Crucifixion conservée au musée de Besançon sous une attribution à Licherie, où apparaissent en effet les deux saints cités. Le Christ y apparaît extrêmement proche de celui du dessin de la Bibliothèque nationale de France.

193Le musée du Louvre conserve, pour cette même composition, un dessin préparatoire pour les figures de la Vierge et de saint Jean (Beauvais, 2000, t. I, p. 350, n^o 1210, repr.).

192. Ange de profil à droite pour l’Annonciation

194Le dessin a été mis en rapport (Montagu, 1963) avec une Annonciation peinte par Charles Le Brun à la demande du chancelier Séguier pour les petits pères de Nazareth ; l’historienne a rapproché le tableau d’une paire de gravures de Gilles Rousselet représentant les figures de l’ange et de la Vierge, vues seulement en buste, dont la lettre est la suivante : « C. le brun pinxit AEgid. Rousselet Sculp. Et excud. C. priu. Regis. » (Montagu, 1963, p. 42, fig. 2‑3 ; Meyer, 2004, p. 102, n^o 7, repr.). Véronique Meyer place les deux estampes de Gilles Rousselet dans les années 1640-1645, les jugeant proches de l’exécution du tableau (Meyer, 2004).

195Le dessin de la Bibliothèque nationale de France, où l’ange apparaît entier et agenouillé sur des nuées, renvoie aussi directement à la composition de l’Annonciation connue par une gravure* de Gabriel Le Brun (BNF, Est., AA4 Le Brun, actuellement non localisé ; Wildenstein, 1965, p. 5, fig. 18 ; Gady, 2010, p. 177, fig. 106).

192* BNF, Est., AA4 Le Brun

196Nivelon (Pericolo, 2004, p. 116‑119), le biographe de l’artiste, situait le tableau de Le Brun pour les petits pères de Nazareth avant le départ de l’artiste pour l’Italie, mais Jennifer Montagu, s’appuyant sur les comptes du couvent des Petits-Pères, où apparaît en novembre 1646 une partie des sommes dues pour la contre-table et le tableau du grand autel, a repoussé avec raison la date du tableau en 1646, suivie par Bénédicte Gady (2010). Cette dernière a d’ailleurs attiré l’attention sur l’étonnante dédicace de l’estampe à Pierre Poncet, membre de la parentèle du chancelier Séguier mais n’ayant apparemment joué aucun rôle dans la commande du tableau offert par Séguier.

197La facture sèche du dessin s’explique peut-être par le fait que la figure était destinée à être traduite en gravure mais nous entraîne aussi à nous interroger sur le caractère autographe du dessin.

193. Le Christ debout levant la main droite

198Le dessin se rapporte à la gravure de Gabriel Le Brun d’après Charles Le Brun, La Philosophie évangélique de Nostre Seigneur Jésus-Christ (Wildenstein, 1965, p. 54, n^o 287, repr. ; BNF, Est., AA6 Le Brun ; IFF Gabriel Le Brun, n^o 43), où il est fait mention de l’existence probable d’un autre état, comme le laisse entendre une description de la pièce par Jouin. Bénédicte Gady nous a précisé (comm. écrite, 2010) que l’Albertina de Vienne conservait en effet cet état, sans doute le premier, où le Christ lève les yeux vers le ciel, ainsi qu’un autre état où, cette fois, le visage du Sauveur, plus classique, a le regard dirigé vers le spectateur, comme dans la pièce conservée à la Bibliothèque nationale de France. Le titre IESV CHRISTO apparaît au-dessus de PHILOSOPHIA EVANGELICA avec un texte encore différent de celui de l’estampe de la Bibliothèque.

199Le dessin intrigue Jennifer Montagu (comm. écrite, 2009), qui oscille entre Charles Le Brun, son frère Gabriel ou un tout autre artiste et préfère ne pas se prononcer. L’étude est en effet sommaire et dans le même sens que la gravure, contrairement au dessin préparatoire pour cette figure conservé au musée du Louvre (sanguine et rehauts de blanc, inv. 29087 ; Beauvais, 2000, p. 653, n^o 2293). Le dessin du Louvre montre un drapé plus soigné et plus proche de celui de la figure gravée, mais la figure pose, comme dans le dessin de la Bibliothèque nationale de France, la main sur le socle de la colonne. Le dessin de la Bibliothèque ajoute à cela des différences dans le vêtement, dans la position de la main avec l’index tendu, une hésitation sur la place du pied droit et, somme toute, une certaine fermeté d’exécution qui pourraient jouer en faveur d’un travail préparatoire.

200Lydia Beauvais (2000, t. I, p. 363) a noté la similitude de la pose et de la draperie du Christ avec celles du Saint Thomas d’une suite gravée de treize pièces (douze apôtres et saint Paul) de l’invention de Charles Le Brun (C. le Brun invent.), éditée chez Pierre Mariette. Les gravures sont attribuées à Gabriel Le Brun par Florent Le Comte et Jouin (Wildenstein, 1965, p. 17, n^os 95 et suiv., pour le Saint Thomas, p. 23, n^o 135, repr. ; voir aussi IFF Gabriel Le Brun, n^os 11‑26).

201Artiste doué formé chez Gilles Rousselet, chez lequel il entre en apprentissage en 1640, décédé prématurément en 1660, Gabriel Le Brun a gravé d’après François Chauveau, Louis Beaubrun et Guillaume Perrier, mais son activité concerne principalement l’œuvre de son frère : réalisait-il des dessins en travaillant avec Charles ou en préparant ses estampes ? Il est vrai que seule la gravure de Saint Charles Borromée (BNF, Est., AA3 Gabriel Le Brun ; IFF Gabriel Le Brun, n^o 37) porte une lettre – G. Le Brun delineavit et sculpsit – explicitant les deux étapes de la création du graveur ; la question mérite toutefois d’être posée.

202Le dégagement du verso du dessin, obtenu lors d’une restauration effectuée en 2010, a permis de rendre à nouveau visible une étude de médaillon, assortie d’un encadrement et d’un masque de satyre, en rapport sans doute avec un décor. Le croquis, esquissé avec énergie, ne nous semble pas une copie, et le masque de satyre peut être rapproché d’un dessin de l’artiste conservé au Louvre (inv. 29847/196 ; Beauvais, 2000, p. 149, n^o 444, repr.). Le motif du médaillon associé à un masque de satyre apparaît également dans le décor du château de Vaux-le-Vicomte et dans celui de la grande galerie de Versailles, où il sera accompagné d’autres éléments décoratifs.

193 verso

194. Fillette vue à mi-corps de profil à gauche, étude de deux jambes de profil

195. Étude de drapé d’une figure agenouillée de profil à gauche

203Les deux dessins, inédits, préparent la figure de Marie dans la Présentation de la Vierge au Temple peinte par Charles Le Brun pour l’église des capucins du faubourg Saint-Jacques, tableau disparu mais connu grâce à une gravure de Gérard Scotin (BNF, Da 35 in‑fol. ; Wildenstein, 1965, n^o 16, repr. comme anonyme ; Gady, 2010, p. 186, fig. 111 ; l’attribution de la gravure à Scotin est due à Mariette selon Bénédicte Gady, comm. écrite, 2012). Le Brun avait peint une Assomption de la Vierge pour la même église, et la composition, également disparue, a été gravée par Claude Duflos (Gady, 2010, p. 187, fig. 112 ; l’auteur a rappelé à leur propos que, si le chancelier Séguier, grand protecteur de Charles Le Brun, avait accordé en effet son appui aux Capucins, il n’était vraisemblablement pas le commanditaire des deux tableaux destinés à leur église).

204La gravure de Scotin est dédicacée à François de Harlay, archevêque de Paris. Marion Tenbusch (1997) a précisé qu’elle avait dû être exécutée entre 1671, année où François de Harlay devient archevêque de Paris, et novembre 1686, date où elle paraît dans Le Mercure galant avec un nom de graveur atrophié qui peut être interprété comme celui de Scotin. Elle est en sens inverse par rapport à notre dessin.

196. Projet pour une statue d’Apollon, reprise de l’épaule droite en bas

205Jennifer Montagu (Versailles, 1963) a noté que le dessin de Le Brun avait inspiré François Girardon pour un Apollon en terre cuite qui apparaît sous le n^o 44 (légendé « Appollon Modèle de terre cuite de F. Girardon »), sur l’une des planches gravées par Nicolas Chevallier d’après des dessins de René Charpantier dans La Galerie du Sr Girardon (BNF, Est., Aa 56 in-fol. ; Souchal, 1981, p. 80, n^o 121, repr.). L’historienne a situé le dessin vers 1660 mais n’a pu préciser si ce projet de statue avait été conçu pour le château de Vaux-le-Vicomte, lieu où Le Brun et Girardon travaillent entre 1659 et 1661. La sculpture de Girardon est mentionnée dans l’inventaire après le décès du sculpteur, établi en septembre 1715 (Souchal, 1973, p. 75, 1981, p. 80, n^o 121, repr., n^o 122, repr. sans mention, cette fois, du dessin de Charles Le Brun). Malgré des différences entre le dessin et la sculpture, connue donc seulement par le biais de la gravure – la chevelure et la tunique d’Apollon ont été modifiées sur la sculpture, et le serpent qui s’enroulait autour du trépied a disparu –, l’attitude du dieu et les objets qu’il tient, torche et globe, sont semblables. Charles Le Brun et François Girardon resteront liés tout au long de leur carrière, collaborant, après Vaux, à la galerie d’Apollon, au Louvre, à Fontainebleau, aux Tuileries, à Versailles, où les deux artistes fourniront de nombreux projets pour la statuaire.

197. Trophée avec deux colombes aux attributs de Vénus et de Cupidon

198. Trophée avec un rhinocéros et un serpent

206Reconnus par Jennifer Montagu (1963), les deux projets, l’un avec les attributs de Vénus, l’autre symbolisant l’Asie, se rapportent aux trophées en dessus de fenêtre qui ornent la partie haute du grand salon du château de Vaux-le-Vicomte (Pérouse de Montclos, 1997, p. 136‑137, repr.). L’interprétation de tous les trophées en stuc, parmi lesquels on identifie les emblèmes des continents et de quelques dieux de l’Olympe, n’a pas été faite. Quant aux sculpteurs, seuls Nicolas Legendre et François Girardon voient leurs noms associés au décor intérieur du château (Pérouse de Montclos, 1997, p. 134). La coupole du grand salon, où Le Brun avait prévu une représentation du palais du Soleil, ne fut pas peinte à cause de la chute de son commanditaire, Nicolas Fouquet, en 1661.

199. Motif décoratif avec volutes et un griffon de profil posant une patte sur un globe et un masque de satyre surmonté d’une corne d’abondance

207Le motif du griffon apparaît à plusieurs reprises dans les études dessinées de Charles Le Brun – comme, par exemple, les études pour un angle du plafond de la chambre de Pompone de Bellièvre dans l’hôtel des Premiers Présidents, ou associé à un masque de satyre, dans les deux projets pour le décor entourant l’un des compartiments des Saisons à la voûte de la galerie d’Apollon. Jennifer Montagu a rapproché ce dessin avec raison d’une des feuilles du carnet de William Chambers (1723-1796), où l’architecte anglais a copié, en 1749, lors d’un voyage à Paris, un motif quasi identique avec la mention « Tuilleries » (Londres, Victoria and Albert Museum, 93B21, feuillet 71, n^o 275).

200. Minerve tenant un pan de draperie de la main gauche et posant le bras droit sur un blason de forme ovale

208Le dessin, accepté par Jennifer Montagu (comm. orale, 2009), constituait sans doute un projet pour une Minerve tenant un écu ; plusieurs compositions dues à Le Brun en sont proches d’esprit, comme la gravure de Gabriel Le Brun d’une Figure féminine ailée portant les armoiries de Nicolas Fouquet et de son épouse Marie-Madeleine Jeannin de Castille (Wildenstein, 1965, p. 52, n^o 275) ou, dans un registre un peu différent puisqu’il ne s’agit pas d’un écu mais d’un portrait soutenu par des figures allégoriques, le frontispice de thèse gravé par Gilles Rousselet représentant Minerve assise soutenant le portrait du chancelier Séguier à côté d’Hercule qui terrasse la Discorde (Wildenstein, 1965, p. 53, n^o 282 ; Meyer, 2004, p. 246, n^o 279, repr.) ou l’estampe de Gérard Edelinck avec Mars et Minerve soutenant le portrait de François Michel Le Tellier, marquis de Louvois (IFF Edelinck, n^o 378 ; Wildenstein, 1965, p. 26, n^o 156, repr.), le portrait étant dû à Mignard et les figures d’encadrement à Le Brun.

201. Jeune homme tourné vers la gauche, reprise de son bras droit

209Conservée parmi les anonymes français, la feuille doit être rendue, à notre avis, à Charles Le Brun, mais nous n’avons pas identifié cette figure, dont le dessin soigné, le canon équilibré indiquent peut-être une date à la fin des années 1650, par comparaison avec les figures de l’Histoire de Méléagre, tenture tissée aux Gobelins (tableaux au Louvre et à Liverpool, Walker Art Gallery ; Gady, 2010, p. 316, fig. 147, p. 317, fig. 148149).

202. Composition décorative avec une figure féminine drapée (Junon ?), une figure masculine ailée, un aigle, symbole de Jupiter, un paon symbole de Junon, des soufflets et des instruments de musique symbolisant l’Air

210Jennifer Montagu a confirmé l’importance de ce beau dessin (comm. écrite, 2009) qu’elle avait signalé dès 1964 à Jacob Bean et à Lawrence Turcic en même temps qu’un dessin représentant une allégorie de l’Eau conservé au Nationalmuseum de Stockholm (coll. Cronstedt, fonds Audran, NMH CC 1770). L’œuvre renvoie à une série des quatre Éléments, comme le confirment les dessins qu’en rapproche l’historienne : un dessin à New York au Metropolitan Museum (Bean et Turcic, 1986, n^o 160) avec la représentation de la Terre (Cybèle, accompagnée du lion, et une figure masculine associée à un ours), feuille de facture, de technique et de dimensions identiques au dessin de la Bibliothèque nationale de France, deux autres dessins conservés au Nationalmuseum de Stockholm, proches d’esprit malgré une différence notable de composition, Le Feu et L’Eau (coll. Cronstedt, fonds Audran, NMH CC 1750 et NMH CC 3009), où n’apparaissent plus ni les figures humaines ni les drapés décoratifs qui ornent le haut de la page dans les autres dessins. De plus, ces deux motifs ne sont exécutés à la sanguine que sur une moitié de la feuille, l’autre moitié ayant été obtenue par report, en contre-épreuve.

211Gaëlle Lafage a attiré notre attention (comm. écrite, 2010) sur le fait que le projet de L’Eau est tout de même construit selon le même principe décoratif que les dessins français et américain : un grand motif central posé sur des animaux – cette fois des dauphins et un homard – et accosté d’une figure féminine appuyée sur une rame et d’une figure masculine, Neptune probablement.

212Jennifer Montagu ignore la destination de telles œuvres et penche plutôt pour des ouvrages d’atelier, ce que semblent être en effet les trois dessins, à la sanguine seule, de la collection suédoise ; leur appartenance au fonds Audran (où sont mélangées des œuvres des différents artistes de la dynastie) s’explique sans doute par le fait que le peintre Claude II a été un collaborateur de Le Brun et que le graveur Girard Audran a été l’un des grands interprètes du premier peintre du roi dès 1670 pour la suite sur Alexandre (voir Thuillier, dans Versailles, 1963, p. lxiii). Peut-être les deux dessins de Paris et de New York, moins secs de facture et rehaussés de lavis, sont-ils de qualité supérieure. Les compositions des dessins évoquent, pour Bénédicte Gady (comm. orale, 2012), des études pour des tapisseries, leur format pouvant correspondre à celui de portières.

213Gaëlle Lafage (comm. orale, 2011) a noté que le motif principal du dessin représentant l’Eau (Stockholm, NMH CC 3009) apparaît sur la planche n^o 28 gravée par Jean Lemoyne dans une suite d’estampes dues à Jean Berain, François Chauveau et Jean Lemoyne, Ornemens de Peinture et de Sculpture qui sont dans la Galerie d’Apollon, au Chasteau du Louvre, et le grand Appartement du Roy, au Palais des Tuilleries (voir Sainte Fare Garnot, 1988, n^o 47, fig. 5152), tandis que le dessin du Feu (NMH CC 1750) se retrouve sur la planche n^o 29. La lettre des deux planches est la suivante : Lambris, dans le grand Appartement des Tuilleries Le Moine del. et Sculps. (BNF, Est., Hc 7 pet. fol. ; IFF Lemoyne, n^o 22, repr., n^o 23, repr.).

214Le dessin de la Bibliothèque nationale de France a peut-être pris place au sein d’un décor comparable, mais il est impossible de le rapprocher, en l’état de nos connaissances, du chantier des Tuileries, dont on sait toutefois que Charles Le Brun a supervisé les travaux dans les années 1664-1671 (voir, pour l’année 1666, la biographie de l’artiste, Thuillier, dans Versailles, 1963, p. 60 ; voir aussi les Comptes des Bâtiments du roi avec des paiements en 1666 et 1667 pour Francart, qui met au net les dessins de Le Brun). Rappelons que parmi les nombreux artistes qui travaillent aux Gobelins se trouve Claude II Audran.

215Le fonds de dessins de Charles Le Brun, gardé par le roi après la mort du peintre, aujourd’hui au Louvre (Beauvais, 2000), ne conserve rien qui ait été identifié pour ce lieu.

203. Femme casquée (Minerve), enfant tenant une torche

216Les deux figures renvoient au décor de la galerie des Glaces, à Versailles, dont la réalisation, documentée dès 1679 et sans doute effective à partir de 1680, se prolonge jusqu’en 1683. Comme nous l’ont précisé Jennifer Montagu (comm. écrite, 2009) puis Gaëlle Lafage (comm. écrite, 2010), la figure de Minerve est à rapprocher d’un des dessins préparatoires pour le médaillon de La Réformation de la justice (Beauvais, 2007, p. 250251, repr.). La composition symbolise la réforme de la justice menée par Colbert visant à alléger les procédures judiciaires civiles. Conservé au Louvre (Beauvais, 2000, t. I, p. 251, n^o 846, repr.), le dessin d’ensemble montre Minerve dans les nuées chassant des figures qui pourraient symboliser des procéduriers ; Minerve est située derrière Louis XIV, assis à côté de la figure de la Justice debout, la Chicane écrasée sous le pied du roi. Cette figure de Minerve apparaît encore dans le carton préparatoire (Louvre ; Beauvais, 2000, p. 252, n^o 847, repr.) mais ne sera pas reprise dans la peinture : à Minerve volant dans les nuées se substituent deux figures de magistrats sur fond de drapés.

217L’enfant tenant une torche, identifié par Jennifer Montagu (comm. écrite, 2009), vole en haut à gauche au-dessus des divinités de l’Olympe qui offrent leur assistance à Louis XIV dans la composition du Roi gouverne par lui-même (Beauvais, 2007, p. 215, repr.).

204. La Protection accordée par Louis XIV aux beaux-arts

218Minerve tient un plan de l’Observatoire et présente au roi six jeunes femmes représentant les académies, dont l’Éloquence, visible au premier plan, qui personnifie l’Académie française. Projet pour l’un des ovales de la voûte de la grande galerie de Versailles, La Protection accordée aux beaux-arts, 1663, le dessin ne montre que peu de différences avec la peinture : le roi, moins penché vers l’Éloquence, regarde vers le spectateur, et Minerve tient un plan d’architecture déroulé. Plusieurs dessins conservés au Louvre attestent du travail soigneux consacré aux figures principales à partir d’études d’après le modèle (Beauvais, 2000, t. I, p. 256-258, n^os 860-866, repr.).

Le Brun, Charles ?

205. Homme nu assis, les jambes repliées, les bras écartés

219L’annotation portée au verso du dessin entraîne à reconsidérer le dessin, qui se trouvait classé parmi les anonymes italiens ; il nous paraît en effet proche de style de l’étude pour le satyre de l’eau-forte de l’Aurore et relève, comme elle, de l’exercice d’après le modèle. La figure, appuyée contre un arbre, adopte la pose d’un saint Sébastien. Le jeu des hachures à la sanguine, la recherche de modelé, la puissance de la figure alliée à une élégance certaine (dans les jambes par exemple), pourraient correspondre au faire du jeune Le Brun, influencé par Simon Vouet dans les années 1638-1642 ; aucune œuvre ne permet de confirmer cette proposition d’attribution pour laquelle Jennifer Montagu reste partagée (comm. orale, 2009).

Le Brun, Charles ou son atelier ?

206. Femme portant une couronne végétale assise sur un socle sur lequel s’enroulent des plants de vigne, à terre une coupe et une partition musicale (projet de sculpture ?)

220La présence d’un socle sur lequel se tient la figure indique bien qu’il s’agit d’une sculpture. Les projets pour des ouvrages sculptés occupent une place importante dans l’œuvre de Le Brun. Certains ont été réalisés par les meilleurs sculpteurs du temps, d’autres sont restés à l’état de projets (voir pour le fonds du Louvre, Beauvais, 2000, t. II, p. 665-718). À Versailles, une des grandes entreprises de Le Brun dans ce registre, aucune statue n’a pu être mise en relation avec la feuille de la Bibliothèque nationale de France, comme nous l’a précisé Alexandre Maral (comm. écrite, 2011). La figure, probablement une bacchante, évoque sans doute l’automne. La qualité d’exécution du lavis et du rendu du modelé de la figure nous fait pencher pour un dessin du maître, mais Jennifer Montagu hésite entre Charles Le Brun et un membre de son atelier (comm. écrite, 2009).

Le Brun, Charles, atelier de

207. Femme entourée de putti

221La figure féminine et les putti apparaissent près du roi dans la composition de Louis XIV partant pour la guerre, connue, d’une part, par une tapisserie tissée à Tournai vers 1680 dont un exemplaire est conservé au J. B. Speed Art Museum de Louisville et un autre au Virginia Museum of Fine Arts à Richmond (Standen, 1998, p. 189, fig. 1112) et, d’autre part, par un dessin de Charles Le Brun et son atelier conservé au Louvre (inv. 27694 ; Beauvais, 2000, p. 742, n^o 2569, repr.). La composition complète, plus large que la composition tissée, montre Louis XIV se dirigeant vers son armée ; il est retenu par une jeune femme entourée de petits amours, et précédé par Minerve, qui lui désigne les troupes en marche. Les petits amours détruisent les objets avec lesquels ils jouaient, arc, instrument de musique. La ville de Dole se dresse dans le lointain. Lydia Beauvais reconnaît, à la suite de Fabian Stein (1985), la main de Van der Meulen dans le dessin du paysage et des troupes ; elle interprète le dessin de la Bibliothèque nationale de France comme une copie agrandie de la partie gauche du dessin du Louvre. Nous ne sommes pas si sévère : le fait que le dessin soit partiellement repassé à la pointe indique un projet de report qui pourrait avoir été exécuté par un membre de l’atelier, et Jennifer Montagu n’a pas exclu cette possibilité (comm. orale, 2009).

222Le musée du Louvre conserve un pendant, Louis XIV, retour de guerre (Beauvais, 2000, p. 743, n^o 2570, repr.), et tous deux s’insèrent dans un ensemble de projets pour une histoire « galante » du roi qui n’a finalement pas donné lieu à une tenture.

208. Femme tenant une guirlande de fleurs et entourée d’une guirlande de fleurs

223Le dessin pourrait correspondre à un projet de gravure – portrait ? Flore ? allégorie du Printemps ? –, comme le laisse penser le parti décoratif de la guirlande suspendue par des boutons dans la partie haute et se déroulant autour de la figure assise. De telles guirlandes sont des motifs décoratifs souvent employés par Le Brun pour encadrer des armoiries ou des textes dans des frontispices de thèses ; c’est le cas pour les Armes d’Anne de Gonzague, princesse Palatine dans une gravure de Gilles Rousselet (Wildenstein, 1965, p. 52, n^o 276 ; Meyer, 2004, p. 262, n^o 294, repr.) ou pour la thèse de Louis Girard, Allégorie à Claude Le Bouthillier gravée par Gilles Rousselet (Wildenstein, 1965, p. 53, n^o 283, repr. ; Meyer, 2004, p. 236, n^o 270, repr.).

224Jennifer Montagu (comm. orale, 2009) hésite pour ce dessin entre le maître et des collaborateurs mais a jugé le visage de la figure de belle qualité.

Le Brun, Charles, atelier de ou copie d’après ?

209. L’Ange apparaissant à saint Joseph endormi, la Vierge à l’arrière-plan

225Le dessin, rangé parmi les anonymes, nous avait dans un premier temps paru proche de François Verdier, mais Jennifer Montagu (comm. orale, 2009) ne reconnaît pas la main de celui-ci et préfère situer l’œuvre dans le cercle de Charles Le Brun sans avancer un nom précis. La feuille montre des traces de stylet qui semblent sans lien avec les contours des figures ; si l’étude porte le sceau du style de Le Brun, sa facture un peu sèche indique sans doute une autre main.

226Le thème a été traité par Le Brun, selon Guillet de Saint-Georges (2008, t. II, vol. II, p. 519), parmi les six tableaux commandés par Anne d’Autriche pour les oratoires de l’enceinte intérieure du couvent des carmélites de la rue Saint-Jacques, une commande qui pourrait se situer dans les années 1650 (Gady, 2010, p. 454, note 650).

210. Figure volant tournée vers la droite

227Classé parmi les anonymes, le dessin pourrait revenir à l’atelier de Charles Le Brun. Il évoque les figures aux poses complexes et aux raccourcis virtuoses que l’artiste multiplie dans ses décors de plafond, notamment celles que Le Brun avait prévues pour le plafond de la (troisième) chapelle du château de Versailles : un ambitieux décor à ciel ouvert avec La Chute des anges rebelles et, d’autre part, Dieu dans sa gloire. La composition d’ensemble est connue grâce à des esquisses peintes de l’artiste et à une copie d’ensemble due à François Verdier ainsi qu’à un lot important de dessins préparatoires et de dessins d’atelier conservés au musée du Louvre (Thuillier, dans Versailles, 1963, p. 101-103, p. 105, n^o 34, repr., p. 107, n^o 35, repr ; Beauvais, 2000, n^os 193-264, repr.). Le décor ne fut jamais exécuté, car la chapelle fut détruite, et Le Brun imagina un nouveau projet sur le thème du triomphe de la Croix pour la quatrième chapelle – mais celui-ci demeura sans suite.

211. Femme assise tenant un livre de la main droite et le bras gauche accoudé sur des livres

228La figure est directement inspirée par celle de Polymnie qui occupe un angle de la voussure du plafond de la chambre des Muses au château de Vaux-le-Vicomte (Pérouse de Montclos, 1997, p. 145, repr.), figure pour laquelle le musée du Louvre conserve un dessin préparatoire du maître (Montagu, dans Versailles, 1963, p. 225, n^o 91, repr. ; Beauvais, 2000, p. 60, n^o 91, repr.) et un dessin d’atelier (Beauvais, 2000, p. 61, n^o 96, repr.). Jennifer Montagu avait noté le rapport entre le dessin de la Bibliothèque nationale de France, qu’elle pensait alors peut-être de Le Brun lui-même, et le frontispice gravé par Girard Audran pour la Summula Philosophiae de Pierre de Saint-Joseph, Paris, 1662 (IFF G. Audran, n^o 148).

229Plus récemment, l’historienne penchait davantage pour une œuvre d’atelier (comm. orale, 2009) et soulignait le lien probable du dessin de la Bibliothèque non pas avec la gravure d’Audran, mais plutôt avec un tableau. De fait, le musée Tessé du Mans conserve quatre tableaux copiant certaines des Muses de Vaux, et l’un d’entre eux montre une figure identique à celle du dessin de la Bibliothèque ; mais, le bras gauche posé sur un volume portant le titre Thucydide, elle s’est transformée en Clio, Muse de l’Histoire (Foucart-Walter, 1982, p. 94, n^o 73, repr.). Élisabeth Foucart-Walter (p. 93) a rappelé que les Muses de Vaux avaient été traduites rapidement en tapisserie et que les pièces tissées ou leurs cartons préparatoires, dus à Yvart le père, Bonnemer et Audran (déjà perdus en 1736), avaient pu servir de modèle intermédiaire à l’auteur des toiles du Mans.

Le Brun, Charles, atelier de ?

212. Femme assise tournée vers la droite, elle tient un livre dans la main gauche et une lampe à huile dans la main droite : la Sapience

213. Femme ailée assise croisant les mains sur la poitrine, une couronne à terre : la Foi ou la Vraie Sagesse

230Les deux dessins forment une paire et renvoient probablement à un projet de gravure, car ils sont repassés partiellement à la pointe pour un report. L’agencement des compositions ménage un espace qui pourrait être destiné à un texte. La présentation des figures se détachant d’une paroi évoque aussi la statuaire, et le choix des allégories – la Sapience, dont les attributs sont, chez Ripa (1644, 1999, p. 175), le livre des Saintes Écritures et une lampe, et la Foi, figure allégorique caractérisée par le croisement des mains, ou la Vraie Sagesse, figure nue ailée qui foule les vanités de ce monde (Ripa 1644, 1999, p. 144) – est compatible avec un monument sculpté ; des figures allégoriques similaires ornaient, par exemple, la chaire de l’église Saint-Eustache à Paris, sculptée en bois par Louis Le Conte d’après des dessins de Le Brun (chaire détruite pendant la Révolution, voir Souchal, 1981, t. II, p. 211-212 et fig.).

231Cette recherche de monumentalité et de langage allégorique est également caractéristique de grandes compositions gravées, comme les thèses : Charles Le Brun est l’inventeur de belles pages de ce type, gravées par Gilles Rousselet. Ce projet n’est pas identifié ; ni Jennifer Montagu (comm. écrite, 2009) ni Bénédicte Gady (comm. orale, 2010) n’y reconnaît la main de Charles Le Brun.