1La situation juridique – et plus précisément la situation constitutionnelle – des détenus en France débute par un constat, assez simple mais éclairant. Pour le dire clairement et sans détour, jusqu’en 2009, le droit français se caractérise en la matière par sa pauvreté ; autrement dit, peu de jurisprudence constitutionnelle portant sur la situation des personnes détenues dans les prisons françaises. L’explication est assez simple, elle aussi, même si elle peut surprendre : en France, en 1958, une idée domine qui consiste à estimer que c’est au pouvoir règlementaire qu’il revient de déterminer les règles de fonctionnement interne des établissements pénitentiaires. Autrement dit, la priorité est donnée, dès les débuts de la V^e République, à l’intervention du pouvoir réglementaire, c’est-à-dire de l’administration.

2L’élément déterminant, en matière de prison, est l’habilitation du pouvoir règlementaire et, avec elle, la conséquence qu’elle emporte : l’encadrement législatif de la vie en prison est écarté. Rien de surprenant alors, puisque l’on privilégie l’intervention de l’autorité administrative, que le juge principalement intéressé, et principal producteur de jurisprudence en la matière, soit le juge administratif. Rien de surprenant alors – autre conséquence – à constater que la jurisprudence constitutionnelle est marginalisée, longtemps rare, pour ne pas dire quasiment inexistante, alors que, dans le même temps, la jurisprudence administrative, elle, naturellement, par le jeu du contrôle juridictionnel de l’action des autorités administratives pénitentiaires, est bien plus abondante. Et d’autant plus abondante qu’elle se développe stimulée par la pression de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Par conséquent, ce n’est qu’au fur et à mesure de la récupération par le législateur de sa compétence sur la question de la situation des personnes incarcérées, c’est-à-dire avec l’élévation du rang hiérarchique des règles encadrant la vie pénitentiaire, que le juge constitutionnel français va se trouver en position de contrôler l’encadrement adopté par le pouvoir législatif et de produire alors – éventuellement – une jurisprudence protectrice.

3Mais cette élévation et cette évolution – spécificité française supplémentaire – ont été assez tardives puisqu’elles ne datent que de 2009, car c’est seulement en novembre de cette année qu’a été adoptée la première loi générale relative au système pénitentiaire : la loi pénitentiaire du 24 novembre 20091. Avant cette date, pas de vide normatif, mais un vide législatif : il existait bien des dispositions législatives, dans le Code pénal et – surtout – dans le code de procédure pénale (CPP) mais elles renvoyaient au règlement l’encadrement des droits de détenus. Et si en 2009, ce changement intervient, c’est avant tout pour répondre à la pression des exigences supranationales et, avant tout, européennes. Ce sont elles qui poussent le législateur à intervenir pour consacrer les évolutions jurisprudentielles qui s’étaient produites devant le juge européen puis devant le juge administratif français, et, au passage, récupérer sa compétence. Bien évidemment, l’intervention de la loi de 2009 et l’élévation au rang législatif d’un certain nombre de règles encadrant la vie des détenus présentent un intérêt tout particulier : cette évolution offre désormais l’occasion au juge constitutionnel français de se saisir de questions relatives au statut des personnes détenues qui, jusque-là, lui avaient totalement échappé.

4Encore faut-il ajouter qu’à cette date, le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois n’intervenait qu’a priori. Et bien que la loi pénitentiaire de 2009 n’y échappe pas, puisqu’elle fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel, avant et après 2009, du côté du contrôle a priori, le volume de jurisprudence produite n’est pas impressionnant. Non pas que les autorités qui y sont habilitées, en particulier les parlementaires, hésitent à déférer au Conseil constitutionnel les lois adoptées. Mais tout simplement parce que dans le domaine qui nous intéresse, peu ou pas de loi ont été adoptées. Pour dire la vérité même, depuis 2009, aucune nouvelle loi n’est intervenue en ayant spécifiquement pour objet la détention. Pourtant, récemment, les thèmes de la sécurité, de la récidive, de la lutte contre le terrorisme – pour ne citer que ces quelques exemples – ont nourri de très nombreuses réformes législatives. Mais aucune n’a eu pour ambition de traiter spécialement de la situation des personnes détenues. La voie du contrôle a priori n’a donc pu que très peu nourrir la jurisprudence constitutionnelle relative aux détenus.

5Au contraire, la QPC, de son côté, est venue faire grossir la jurisprudence, cette fois-ci par le biais d’un contentieux a posteriori. Rangée parmi les procédures de contrôle incident de constitutionnalité ou question préjudicielle2, cette procédure permet de contester l’ensemble des règles législatives en vigueur. Les dispositions contenues dans la loi pénitentiaire de 2009 sont, dès lors, revenues devant le Conseil constitutionnel, en même temps que certaines des règles contenues dans le CPP. Et, sauf erreur de ma part, ce sont 19 décisions QPC qui ont été rendues par le Conseil constitutionnel entre 2010 et aujourd’hui3 concernant la détention. Sans dire qu’il est satisfaisant, disons au moins que le chiffre est encourageant. Il faut, toutefois, immédiatement l’entourer d’un certain nombre de précisions, voire de réserves. La première réserve porte sur le contenu ou l’objet de ces QPC : toutes ne sont pas exclusivement relatives aux détenus purgeant une peine. Entendons par là qu’un certain nombre d’entre elles porte sur des questions relatives à la détention provisoire et non pas au régime de la détention définitive stricto sensu. Cela invite à procéder à un éclaircissement méthodologique pour bien comprendre la situation des détenus en droit français : les personnes détenues, en France, forment une catégorie hétérogène qui regroupe toutes les personnes qui font l’objet d’une mesure privative de liberté à l’intérieur d’un établissement pénitentiaire. Autrement dit, le CPP distingue entre les personnes placées en détention selon qu’elles y sont à titre provisoire – les détenus prévenus – ou selon que ces personnes y sont pour purger une peine privative de liberté devenue définitive – ce sont les détenus condamnés.

6Les détenus prévenus correspondent à « tous les détenus qui sont sous le coup de poursuites pénales et n’ont pas fait l’objet d’une condamnation définitive »4, c’est-à-dire principalement les personnes mises en examen, prévenues ou accusées ; la différence est de vocabulaire et tient à la nature de la juridiction saisie, les prévenus relevant du tribunal de police ou du tribunal correctionnel, tandis que les accusés de la cour d’assises. Ces personnes peuvent être incarcérées dans le cadre de la détention provisoire5. Beaucoup de QPC, parmi les 19 recensées, sont relatives à des personnes placées en détention provisoire. Elles ne portent donc pas, à proprement parler, sur le statut des personnes détenues, si l’on entend par là les personnes définitivement condamnées et purgeant leur peine dans un établissement pénitentiaire. Elles dessinent, cependant, un statut constitutionnel des personnes détenues au sens large. Par ailleurs, à côté des personnes détenues provisoirement, on trouve donc une seconde catégorie, celle des détenus condamnés, c’est-à-dire les condamnés ayant fait l’objet d’une décision juridictionnelle définitive6.

7Ce qui est tout à fait remarquable, au regard des règles constitutionnelles, c’est que tandis que les détenus condamnés sont placés sous l’autorité de l’administration pénitentiaire, l’exécution de la détention provisoire s’exécute sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Aussi, les règles applicables ne sont pas nécessairement les mêmes et les personnes détenues provisoirement se trouvent souvent dans une situation « plus dure » encore – pour le dire simplement – que les personnes condamnées. Ajoutons encore que parmi ces 19 QPC, certaines sont relatives à une autre « catégorie » – si j’ose dire – particulière de détenus puisqu’il s’agit des détenus non nationaux, c’est-à-dire des étrangers. Ici, le caractère non national du détenu imprime également un contour particulier à l’appréciation du juge constitutionnel sur sa situation.

8Enfin, toujours pour en finir avec les observations générales, notons encore que les QPC ont été provoquées aussi bien par des personnes détenues (provisoirement ou définitivement) que par des associations dont l’objet est l’aide et la protection des détenus (en particulier la section française de l’observatoire international des prisons). Et après dix années de pratique, la matière pénale, entendue dans son sens le plus large comme regroupant le droit pénal général, le droit pénal spécial et la procédure pénale, apparaît clairement comme un terrain privilégié de cette nouvelle procédure. Ce n’est guère surprenant dans la mesure où le droit pénal et la procédure pénale sont fait de dispositifs qui, par nature, portent atteinte aux droits et libertés des individus. Pour autant, et pour synthétiser, aujourd’hui, la situation constitutionnelle des détenus est faite, d’une part, d’un cadre général (§ I) et, d’autre part, de précisions, très (trop ?) ponctuelles (§ II). Au point que si statut constitutionnel des personnes détenues il y a, il est encore incomplet et, peut-être donc, insatisfaisant.

I. Le cadre constitutionnel général de la détention

9Le cadre général du statut constitutionnel des détenus est fait de droits et de devoirs qui ont été essentiellement concrétisés et précisés – je l’ai dit – par la loi pénitentiaire de 2009, texte central en la matière. Cette loi comprend, notamment, une section relative à la vie privée et familiale des détenus et à leurs relations avec l’extérieur. Y figurent, en particulier, le droit au maintien des liens familiaux et aux liens avec l’extérieur, qui s’incarne dans la délivrance de permis de visite aux tiers, mais aussi dans la possibilité pour la personne détenue de communiquer par téléphone ou par écrit. Outre les droits des détenus, une seconde évolution notable intervient avec l’adoption de ce texte : la récupération par le législateur de sa compétence et, avec elle, la question de son éventuelle incompétence négative. Cette question surgit au sein du contentieux constitutionnel, bien sûr dans le cadre du contrôle a priori ; mais également, évidemment dans le cadre du contrôle a posteriori.

10Avant 2009, seules quatre décisions évoquaient l’application des peines privatives de liberté mais elles ne concernaient pas directement la problématique carcérale. Un premier ensemble général a été posé par le Conseil constitutionnel dans son importante décision 593 DC du 19 novembre 2009, rendue à propos de la loi pénitentiaire. Il y apporte un certain nombre de précisions inédites qui, même pour une recherche consacrée à la QPC, sont utiles car elles forment en quelque sorte le cadre dans lequel se meuvent les QPC postérieures. En particulier, le Conseil constitutionnel saisit cette occasion pour identifier les règles constitutionnelles spécifiquement applicables au contrôle des lois pénitentiaires et à la situation des détenus et pour poser les principes généraux qui encadrent toute intervention du législateur en la matière. Du côté des paramètres de contrôle, il en identifie un principal, auquel s’adjoignent les finalités de la détention : le critère central lorsque la situation des détenus est en cause est le principe de sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d’asservissement et de dégradation, principe fondé sur le Préambule de la Constitution de 1946. Quant aux finalités qui sont celles des peines privatives de liberté, elles sont conçues « non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion »7.

11Mais ce qui apparaît essentiel et totalement nouveau, c’est que le Conseil constitutionnel pose alors le principe selon lequel « il appartient au législateur, compétent en application de l’article 34 pour fixer les règles concernant le droit pénal et la procédure pénale, de déterminer les conditions et les modalités d’exécution des peines privatives de liberté dans le respect de la dignité de la personne ». Et si ces affirmations n’ont rien de surprenant, elles sont, néanmoins, importantes car elles annoncent, à partir de cette décision, le rappel, régulier, de la compétence de principe du législateur et des conditions dans lesquelles cette compétence doit s’exercer. C’est même tout à fait essentiel car ce rappel, de la compétence législative et des contraintes constitutionnelles générales qui pèsent sur elle, ouvre la voie, avec l’entrée en vigueur de la QPC, à un véritable contrôle et, avec lui, à la construction possible d’un statut constitutionnel des détenus.

12Encore un mot sur la décision de 2009. Un mot pour relever que la saisine des députés avait ceci de tout à fait particulier qu’elle n’articulait aucun grief. C’est donc le juge constitutionnel seul qui a décidé de soulever d’office deux questions : d’un côté, celle de la conformité à la Constitution de l’article 91 de la loi ; de l’autre, le renvoi au décret pour fixer la liste des sanctions disciplinaires. Quant à l’article 91 de la loi, il s’agit de celui qui institue les deux sanctions disciplinaires les plus graves pour les détenus et qui, donc, sont les plus susceptibles d’être attentatoires à leurs droits : le placement en cellule disciplinaire et le confinement en cellule individuelle ordinaire. Or, non seulement c’est la loi elle-même qui prévoit ces sanctions mais, en outre, elle en fixe la durée maximale. Ce sont ces deux éléments qui, selon le juge constitutionnel, sont de nature à prévenir toute disproportion ou violation excessive des droits des détenus. Cela d’autant plus qu’il note, par ailleurs, que le législateur a aussi fixé un délai réduit dès lors qu’est en cause le placement en cellule disciplinaire des mineurs de plus de seize ans, tout en réservant à cette sanction un caractère exceptionnel. Il en profite, aussi, pour ajouter un principe selon lequel le maintien de telles sanctions doit être compatible avec l’état de santé des personnes détenues. Finalement, toute mesure qui apparaît comme un encadrement propre à limiter le pouvoir de l’administration pénitentiaire et à protéger les détenus contre d’éventuels abus, est considérée par le juge constitutionnel comme un élément garant de l’équilibre établi par le législateur.

13Pour ce qui est du renvoi au décret pour fixer la liste des sanctions disciplinaires, le Conseil se contente de formuler une réserve selon laquelle : « il appartiendra aux auteurs du décret de ne pas définir des sanctions portant atteinte aux droits et libertés dont ces personnes bénéficient dans les limites inhérentes aux contraintes de la détention ». Réserve bien générale, qui sonne plus comme le rappel d’une évidence que comme un durcissement éventuel des contraintes pesant sur les autorités réglementaires. L’intervention du législateur n’est constitutionnellement exigible que pour les sanctions les plus graves. Ce critère de la gravité de la sanction, que retient ici le juge constitutionnel, est, cependant, d’un maniement délicat car dans l’enceinte d’une prison de nombreuses mesures – toutes ? – sont susceptibles d’être attentatoires aux droits fondamentaux, méritant dès lors d’être précisées par le législateur avant toute intervention du pouvoir réglementaire. Le seuil de protection établi apparaît finalement assez minimal. Prenons-en pour preuve le fait que les dispositions de l’article 91 de la loi ne prévoient pas, par exemple, dans quelles conditions la personne soumise à de telles sanctions peut exercer son droit à la correspondance ou sa liberté de culte. Par ailleurs, s’agissant des autres sanctions, la garantie des droits dont bénéficient les détenus ne s’applique pas seulement à la définition des sanctions disciplinaires, comme le laisse penser la décision du Conseil, mais s’étend à l’ensemble des règles disciplinaires, c’est-à-dire également à la définition des fautes commises, à celle de la procédure et à la détermination de l’organe disciplinaire.

14Cette décision apparaît ainsi effectivement comme une avancée, par rapport à un état du droit antérieur qui avait ceci, précisément, de particulier qu’il était inexistant. Mais, au regard du contrôle qu’elle met en œuvre, c’est bien plus douteux. En somme, une décision remarquablement brève, par laquelle seules deux dispositions de la loi déférée sont examinées, alors même qu’elle en comportait une centaine. Aussi est-il heureux que les modalités du contrôle de la constitutionnalité des lois aient été revues pour ouvrir la voie à une saisine a posteriori. On n’ose imaginer ce qu’aurait continué à être la situation des détenus dans le cas contraire. Bien évidemment, la QPC va se révéler très utile. Est-ce une surprise ? Pouvait-il en aller autrement compte tenu de la situation française ? Exploitée par les requérants autant que possible, on n’est, cependant, pas sûr que les résultats produits, pour les détenus, aient été à la hauteur de leurs immenses besoins. Reconnaissons que les silences du Conseil constitutionnel en 2009 ont, au moins, permis de nourrir, ensuite, des QPC apportant un certain nombre de précisions.

II. Des précisions en forme de progrès ponctuels

15Pour prendre la mesure des progrès produits par la QPC, il faut se souvenir de l’objet pour lequel elle a été pensée car bien que conçue pour être une nouvelle voie de droit au bénéfice des justiciables, la QPC reste soumise à un certain nombre de conditions. C’est évidemment le double filtrage qui la caractérise qu’il faut garder à l’esprit au moment d’apprécier son efficacité. De ce point de vue, son accès ne peut être aussi libre que si elle était aux seules mains des justiciables, même si ni le Conseil d’État ni la Cour de cassation n’ont, jusqu’à aujourd’hui, pas paru freiner les saisines dans le cadre de la vie en détention.

16Sur ces conditions proprement procédurales, inutile d’être trop long car il s’agit d’éléments généraux, concernant toute QPC, quel que soit le domaine dans lequel elle est formée. Évidemment, il existe quelques spécificités qui apparaissent dès lors que des questions de droit de la détention, ou plus généralement de droit pénal, sont en cause. Sans s’y attarder, pour se consacrer davantage au fond des questions traitées, gardons à l’esprit que, du point de vue de la procédure, les juridictions pénales se montrent exigeantes quant aux formalités, quelles qu’elles soient. Par ailleurs, une autre particularité – pour ne pas dire une bizarrerie – française doit être mentionnée : devant la Cour de cassation, une formation spéciale devait se charger d’examiner la recevabilité des QPC. Or, elle est rapidement apparue comme un instrument de politique juridique freinant le nouveau dispositif mis en place en 2008. C’est pourquoi elle a été purement et simplement supprimée.

17Quant au fond, c’est-à-dire à la jurisprudence produite par le Conseil constitutionnel, même après la loi de 2009, tout était loin d’être réglé et de nombreuses questions méritaient – et pour certaines méritent encore – de voir leur constitutionnalité appréciée. Et cela qu’il s’agisse de certaines conditions propres à la détention provisoire, parfois également applicables à la détention définitive – en général à travers des problèmes de procédure –, ou encore des droits spécifiques des condamnés au cours de leur détention : droit à la sécurité et à l’intégrité physique, fouilles, santé, obligation d’activité en détention, statut professionnel des condamnés exerçant une activité professionnelle, droit à la vie privée et familiale et aux relations avec l’extérieur, etc.

18Disons, d’emblée, que la QPC n’a pas été le terrain d’un bouleversement des principes constitutionnels du droit pénal et de la procédure pénale. Quelques-uns ont été élargis. D’autres ont été approfondis ; d’autres encore ont été restreints. Et, pour ce qui nous intéresse plus particulièrement, c’est-à-dire les droits des détenus, aucun bouleversement, aucune révolution, mais, néanmoins, des améliorations, réelles mais ponctuelles, donc sans doute insuffisantes. De ce point de vue, quelques chiffres sont tout à fait éclairants : au 31 décembre 2019, un peu plus de 70 000 personnes (70 751) étaient incarcérées en France, ce qui représente une hausse de 0,7 % par rapport à 2017. Parmi le total des personnes incarcérées, le nombre de personnes prévenues s’élève à 20 788 pour 49 091 personnes condamnées, soit 29,51 % des personnes incarcérées8. Depuis le début des années 2000, le nombre de détenus n’a cessé d’augmenter, parallèlement à l’importance prise dans la vie politique par le thème de l’insécurité, au point que la situation est considérée comme critique. La surpopulation et l’insalubrité de certains établissements pénitentiaires ne cessent d’être dénoncées.

19Si l’on revient, plus précisément aux QPC, de manière synthétique, plusieurs enseignements peuvent être livrés. D’abord, beaucoup de QPC sont relatives à la détention provisoire, c’est-à-dire aux règles qui la gouvernent et qui encadrent les pouvoirs de l’autorité judiciaire (juge d’instruction ou juge des libertés et de la détention), ou encore aux règles gouvernant le déroulement de l’instruction et le déroulement du procès lui-même. Dans toutes ces hypothèses, la QPC est alors bien relative à une personne détenue mais en amont de toute condamnation définitive. Et il s’agit alors, le plus souvent, de problèmes procéduraux qui, bien que parfois communs aux détenus prévenus et aux détenus condamnés, ne construisent souvent pas à proprement parler un statut constitutionnel du détenu purgeant sa peine, mais plutôt un encadrement procédural de sa situation aboutissant éventuellement à sa condamnation définitive. Dans toutes ces affaires, ce qui est au centre de la question posée, ce n’est pas la détention elle-même mais la conformité à la Constitution des règles qui peuvent entraîner la détention. Ces QPC participent toutefois de la détermination des droits des détenus, entendus au sens large.

20Ce n’est finalement qu’assez récemment (en 2013, puis en 2015) que les conditions proprement dites du déroulement de la détention sont arrivées devant le juge constitutionnel français. Ensuite, élément de synthèse, dans de nombreuses affaires, c’est à travers le prisme de la répartition des compétences entre la loi et le règlement que les questions relatives aux droits des détenus ont été envisagées, bien plus qu’à travers celui des droits fondamentaux des détenus. Plus largement encore, dans la majorité des affaires, c’est par ce biais ou par celui des exigences du procès équitable que le Conseil constitutionnel a traité la question et qu’il a, en cas de censure, le plus souvent invalidé la disposition contestée.

21Les droits fondamentaux ont, dans un premier temps, peu fondé de censures car, dans une première période, ce sont avant tout des questions de procédure qui ont été au centre des QPC formées. Ainsi, dans l’une des toutes premières QPC9, était en cause la possibilité pour toute personne détenue de pouvoir demander, à tout moment, sa mise en liberté. La solution vaut également pour tout détenu : tous – prévenus ou condamnés – doivent être en mesure de demander à tout moment leur mise en liberté, demande qui doit être examinée dans les plus brefs délais, par un juge. Les éventuelles limites posées par le législateur ne sont admissibles que si elles assurent une conciliation équilibrée entre « l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et les exigences qui résultent de l’article 16 de la Déclaration de 1789 ».

22De même de l’impossibilité supposée de faire appel de la décision de maintien en détention provisoire prise par le juge des libertés et de la détention10. Saisi de cette question, le Conseil constitutionnel a entendu la dépasser pour soulever d’office le grief plus vaste tiré de ce que le code de procédure pénale portait atteinte à l’équilibre des droits des parties dans la procédure car seul le droit d’appel de la personne mise en examen présentait un caractère exceptionnel. De ce point de vue, le législateur peut pour éviter, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, les recours dilatoires, exclure la possibilité d’un appel par la personne mise en examen d’ordonnances qui feraient grief à ses droits. Mais, cela uniquement à la condition qu’existent d’autres moyens de procédure permettant de contester utilement et dans des délais appropriés les dispositions que ces ordonnances contiennent. Encore une fois, c’est au regard de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 que le Conseil exerce son contrôle ici.

23C’est encore la situation procédurale avant éventuelle condamnation définitive qui est en cause avec le cas d’un mis en examen – détenu provisoirement – qui, parce qu’il n’est pas assisté par un avocat, peut se trouver dans l’impossibilité de présenter des observations sur les réquisitions du ministère public11. La question de la mise en liberté, ou plus précisément de ses modalités d’obtention, retient encore l’attention en septembre 2011, cette fois-ci à propos de l’hypothèse du maintien en détention lors de la correctionnalisation en cours d’instruction12.

24Et lorsque les décisions QPC restent consacrées à la détention provisoire, au fil des années, elles ne s’en diversifient pas moins et approfondissent l’examen du statut des détenus en ne s’en tenant plus seulement à leur situation procédurale mais en envisageant, parfois, à proprement parler leurs droits et libertés. Ainsi, à propos du permis de visite et de l’autorisation de téléphoner durant la détention provisoire, une décision du juge constitutionnel français permet-elle de relever plusieurs éléments intéressants13. D’abord, l’action est ici directement déclenchée par une association dont l’objet est la protection des détenus. C’est souvent le cas en France, les étrangers et les détenus représentant des groupes à l’égard desquels les associations d’aide sont particulièrement attentives. Sans doute y-a-t-il là l’illustration ou une preuve de leur particulière vulnérabilité. Ensuite, c’est la loi pénitentiaire de 2009 qui revient devant le Conseil constitutionnel : la QPC est relative à certains articles de la loi de 2009 et du code de procédure pénale. Double argumentation, à la fois de fond et de forme en quelque sorte, puisque l’association soutenait que, d’un côté, ces dispositions méconnaissaient le droit à un recours effectif, le droit de mener une vie familiale normale et le droit au respect de la vie privée et que, de l’autre, elles étaient entachées d’une incompétence négative. Ce sont les conditions de la délivrance et, surtout, les possibilités de contestation d’un éventuel refus qui fondent la censure. Car, alors que les prévenus sont présumés innocents, leurs conditions de détention, ainsi que le régime juridique qui s’y rattache, sont notoirement plus difficiles que pour les personnes condamnées.

25Dans le même sens, récemment, dans la décision 791 QPC du 21 juin 2019, il s’agissait de la possibilité – ou plus exactement son absence – de contestation du refus opposé à une demande d’autorisation de sortie sous escorte formée par une personne placée en détention provisoire14. La question est posée, une fois de plus, par l’Observatoire international des prisons. En réalité, trois articles du code de procédure pénale sont critiqués mais finalement le Conseil constitutionnel ne retiendra qu’une seule inconstitutionnalité alléguée, celle de l’article 148-5 de ce code. Le raisonnement mené par le Conseil constitutionnel l’est à partir du droit à un recours juridictionnel effectif résultant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ici était en cause la disposition du code de procédure pénale prévoyant que les personnes placées en détention provisoire peuvent, en toute matière et en tout état de la procédure d’instruction, bénéficier à titre exceptionnel d’une autorisation de sortie sous escorte octroyée par la juridiction d’instruction ou de jugement. Toutefois, ni ces dispositions ni aucune autre disposition législative ne permet de contester devant une juridiction la décision prise à propos de ce type de demande, ni davantage le refus d’une telle autorisation (art. 148-5 du code). Seul le cas des détenus prévenus était critiquable et a fait l’objet d’une censure, les détenus condamnés disposant, quant à eux, d’une voie de recours effective contre le refus d’autorisation. Au regard des conséquences qu’entraîne ce refus pour une personne placée en détention provisoire, l’absence de voie de droit permettant la remise en cause de la décision de la juridiction d’instruction ou de jugement méconnaît les exigences découlant de l’article 16.

26Plus remarquable encore, en septembre 2019, la décision 802 QPC était relative au recours à la visioconférence dans le cadre de la détention provisoire15. Se trouvaient critiquées des dispositions qui permettent le recours à la visioconférence pour assurer la comparution d’un détenu à l’occasion de l’examen de sa demande de mise en liberté. De manière générale, pour admettre leur conformité à la Constitution, le Conseil constitutionnel relève qu’elles ne fondent qu’une faculté offerte au président de la chambre de l’instruction de recourir à la visioconférence lorsqu’une audience physique a déjà eu lieu dans une période récente, c’est-à-dire moins de 4 mois auparavant. Par ailleurs, ces dispositions contribuent à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics. De ce point de vue, leur existence se trouve valablement justifiée selon le Conseil constitutionnel. S’ajoutent à cela un certain nombre de conditions dont l’accumulation met en évidence la juste appréciation à laquelle s’est livrée le législateur en les adoptant : la décision de recourir à la visioconférence appartient au juge, est alors assurée la communication de la personne détenue avec son avocat, en visioconférence le cas échéant, avocat qui a communication du dossier. Par ailleurs, l’intéressé a toujours le droit de s’opposer à l’utilisation de la visioconférence.

27Mais, un problème surgit en matière criminelle car la périodicité de demande de mise en liberté en cas de détention provisoire ou de prolongation de cette détention y est fixée à 6 mois, de sorte que la première prolongation de la détention provisoire peut n’intervenir qu’à l’issue d’un délai d’un an, ce qui implique qu’il n’y aura pas de présentation physique du détenu prévenu, placé en détention provisoire, devant le juge appelé à statuer sur sa détention provisoire pendant un an. Ici, le délai apparaît trop long, portant une atteinte excessive aux droits de la défense. Cette décision est particulièrement intéressante car elle est la conséquence d’un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation, à la suite d’une première censure par le Conseil constitutionnel dans sa décision 778 DC du 21 mars 201916. En effet, selon cette décision de mars 2019, la personne détenue doit toujours pouvoir refuser le recours à la visioconférence, non seulement lors des débats sur le placement en détention provisoire, mais aussi lors des débats sur la prolongation de la détention provisoire. Cette décision DC a donc conduit la Cour de cassation à opérer un revirement de jurisprudence à propos de son refus de renvoyer une QPC relative à l’absence de faculté d’opposition du détenu à la visioconférence lorsque le contentieux porte sur une demande de mise en liberté. C’est ce revirement qui a abouti au renvoi et, en conséquence, à la décision 802 QPC. D’autres QPC ont encore été relatives à la situation procédurale de personnes non définitivement condamnées et à leurs possibilités de remise en liberté. Certaines ont même porté sur des catégories très particulières de détenus. Je pense, par exemple, aux étrangers détenus frappés d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF)17. Et une fois encore la censure intervient au regard des conditions d’exercice des recours. Étaient en cause le délai de 48h imparti aux étrangers détenus pour former leur recours à l’encontre d’une OQTF et le délai de 72h imparti au juge pour statuer. En effet, compte tenu des contraintes spécifiques de la détention des étrangers, ces délais seraient trop courts pour conserver à un éventuel recours son effectivité. Problème de délai de recours également, cette fois contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière18, mais n’aboutissant pas à la censure dans cette hypothèse. Au-delà des éléments techniques, on observe, en tout cas, que l’habitude paraît désormais être prise par les associations d’aide – aux détenus et aux étrangers –d’intervenir, de manière plus ou moins directe, dans la procédure. On observe aussi que c’est l’incompétence négative qui est le plus souvent articulée.

28En dehors de la situation procédurale des détenus, qu’ils soient simplement prévenus ou d’ores et déjà définitivement condamnés, d’autres décisions – moins nombreuses – ont été consacrées à proprement parler à la détermination du statut des détenus exécutant leur peine définitive en établissements pénitentiaires. C’est, particulièrement, la situation au regard de l’emploi des détenus qui a retenu l’attention et, spécialement, l’encadrement des relations de travail. Dès 2013, cette problématique s’est frayé un chemin jusqu’au prétoire du juge constitutionnel français : deux QPC ont été relatives aux dispositions du code de procédure pénale qui prévoient que « les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail »19. En effet, le travail des détenus relève d’un régime particulièrement dérogatoire puisque lié à l’exécution de la peine privative de liberté.

29Tout au plus, depuis la loi pénitentiaire, les activités exercées en prison doivent faire l’objet d’un » acte d’engagement » qui doit énoncer les droits et obligations professionnelles de la personne détenue, ainsi que ses conditions de travail et sa rémunération (bien plus faible qu’à l’extérieur). Faute de contrat, certains droits élémentaires ne sont pas reconnus (pas de liberté syndicale, ni de participation à la détermination des conditions de travail, ni de droit de grève, ni de procédure de licenciement, de droits aux congés payés ou d’indemnités journalières durant un arrêt de travail en cas de maladie ou accident de travail, et refus du bénéfice du régime de retraite complémentaire). Donc une situation du détenu travailleur en profond décalage avec le droit commun. Pour autant – surprise ! – l’absence de contrat de travail n’est pas jugée contraire à la Constitution.

30De ce point de vue, sans doute, la tendance à aligner de nombreux droits des détenus sur ceux reconnus à l’extérieur ne peut pas ignorer la réalité carcérale et les restrictions nécessaires motivées par l’ordre ou la sécurité. Pour autant, la situation actuelle reste très insatisfaisante et ne doit pas demeurer figée. La décision du Conseil constitutionnel peut résonner comme une invitation à réformer le droit du travail en prison. Mais elle a aussi, comme cela était prévisible, été critiquée. Ne satisfaisant personne, elle n’a pas fait taire le débat et le problème du statut du détenu travailleur n’a pas tardé à revenir devant le juge constitutionnel, dès 201520. Sorte de crispation sur le thème du travail en prison, illustrant les zones de non-droit qui demeurent en prison. On se souvient que la loi de 2009 prévoit un acte d’engagement pour les personnes détenues participant aux activités professionnelles dans les établissements pénitentiaires.

31Deux grandes catégories d’arguments étaient articulées : d’une part, l’incompétence négative du législateur et, d’autre part, la violation d’un certain nombre de droits fondamentaux, « sociaux », consacrés par le Préambule de la Constitution de 1946, ainsi que le principe de sauvegarde de la dignité humaine et la liberté contractuelle. C’est la qualité du cadre juridique insuffisamment protecteur en matière de relations de travail qui était contestée. On savait déjà que l’absence de principe de contrat de travail ne viole pas la Constitution. Restait à savoir si cette solution médiane imaginée par le législateur avec cet acte d’engagement était satisfaisante car le législateur ne précise pas quels sont les droits et obligations professionnels déterminés par cet acte. Mais, encore une fois, le juge constitutionnel n’a pas trouvé dans l’incompétence négative du législateur ou dans la conciliation des droits fondamentaux avec les contraintes de la vie carcérale, la source d’une violation de la Constitution.

32Dans le même ordre d’idée, c’est la vie intérieure des établissements pénitentiaires qui se trouve modernisée dans son ensemble grâce à une importante QPC de 201421, même si l’affaire concernait une réglementation applicable avant la loi de 2009 et que justement cette loi avait réformée. En tout cas, le mécanisme de la QPC a permis la constatation de la violation flagrante de la Constitution par une règle qui voulait que l’autorité administrative fût compétente pour l’organisation et le régime des établissements pénitentiaires. Autrement dit, l’autorité administrative était compétente non seulement pour prononcer une sanction disciplinaire (ici un placement en cellule disciplinaire d’une durée de 45 jours) mais aussi pour définir l’essentiel du régime de la détention. Avant la loi pénitentiaire, la plupart des règles régissant les droits et obligations des personnes détenues étaient donc de nature règlementaire, alors que l’article 34 de la Constitution donne compétence exclusive au législateur pour définir les règles relatives à l’exercice des droits et libertés.

33Compte tenu de la part très importante laissée au pouvoir réglementaire, le grief essentiel était articulé autour de l’incompétence négative du législateur. Mais le requérant invoquait aussi ses droits au respect de la dignité humaine, au respect de l’intégrité physique et à la santé, le droit au respect de la vie privée ou encore sa liberté religieuse – entre autres. Or les dispositions en cause ne satisfaisaient pas à la règle la plus élémentaire, c’est-à-dire à l’exigence d’intervention du législateur. On était bien en deçà de toute conciliation entre l’exercice des droits et libertés, l’objectif de sauvegarde de l’ordre public et les finalités qui sont assignées à l’exécution des peines privatives de liberté ; on l’était, a fortiori, de tout équilibre dans cette conciliation. Le Conseil constitutionnel ne pouvait donc que juger que le législateur avait méconnu l’étendue de sa compétence et censurer ces dispositions du code de procédure pénale.

34Évidemment, si l’on pénètre un peu plus dans le déroulement de la vie carcérale, et que l’on garde à l’esprit le souci de maintenir, notamment, les liens familiaux et la vie privée des détenus, parmi les éléments déterminants, la possibilité pour les détenus de communiquer est essentielle. Toutefois, là aussi, les contraintes de la vie carcérale, en particulier liées à la sécurité, sont susceptibles de justifier des restrictions à cette faculté. C’est la raison pour laquelle le code pénal va jusqu’à réprimer le fait pour les détenus de communiquer en dehors des cas autorisés par les règlements. Le principe est même l’interdiction en la matière, tandis que le pouvoir règlementaire se voit habilité à déterminer lui-même, sans aucun encadrement, les cas dans lesquels la communication avec un détenu peut être autorisée. En pratique, cela renvoie à la possibilité pour les personnes détenues d’avoir accès à un téléphone portable22. Sans surprise, le Conseil constitutionnel juge que le législateur a abandonné au pouvoir règlementaire la détermination du délit de communication irrégulière avec un détenu et qu’il a, ainsi, méconnu les exigences découlant du principe de légalité des délits et des peines. En revanche, de manière décevante, le Conseil constitutionnel ne prend pas position sur l’interdiction elle-même, c’est-à-dire sur la question de fond dont il se contente de dire qu’elle relève bien de la compétence du législateur.

35De la même manière, toujours afin de maintenir une qualité de vie minimale, le droit de communiquer, par écrit cette fois, a également mérité les honneurs d’une QPC23 portant sur le droit du détenu condamné et du détenu prévenu de correspondre par écrit avec la personne de leur choix. La QPC était, une fois de plus, promue par la section française de l’Observatoire international des prisons. Ce droit de correspondre par écrit, prévu par la loi, s’exerce sous réserve que l’autorité judiciaire ne s’y oppose pas. Cette disposition reprend la distinction en fonction du statut pénal de la personne détenue et entend tenir compte, pour les prévenus, du risque que l’exercice de la correspondance peut faire peser sur l’instruction en cours ou le jugement à venir.

36Pour autant, il n’a pas été difficile de démontrer que la manière dont le législateur détermine ce droit à la correspondance écrite n’est pas conforme à la Constitution car la possibilité de contester la décision de l’autorité judiciaire s’opposant à l’exercice de ce droit n’était pas prévue, à la différence de ce qui se passe pour les personnes définitivement condamnées. C’est donc encore le droit à un recours juridictionnel effectif – plutôt que des droits de nature plus substantielle – qui fonde la censure24.

37Enfin, la possibilité pour un détenu de se voir imposer une période de sûreté de plein droit a récemment fait l’objet d’une QPC. Selon l’auteur de la question, l’automaticité de l’application d’une période de sûreté en cas de condamnation à certaines peines fermes privatives de liberté pour certaines infractions, porterait atteinte aux principes de nécessité et d’individualisation des peines. L’atteinte résulterait de ce que la période de sûreté s’applique, lorsque les conditions légales en sont réunies, sans que le juge ait à la prononcer expressément. Néanmoins, l’affaire est davantage relative à l’exécution de la peine plus qu’à la détention elle-même25 et je n’y insisterai pas.

38Finissons, d’un mot, pour constater que le panorama dressé illustre, en matière de détention, une évolution qui avait été entamée dans le cadre du contrôle a priori : l’exécution de la peine, comme la détention elle-même, se sont juridictionnalisées, offrant l’occasion au juge constitutionnel de développer, voire de construire, une véritable jurisprudence constitutionnelle précisant un peu plus les droits des détenus. Toutefois, il y aurait encore beaucoup à dire, par exemple, du maintien des liens familiaux ou du respect de la vie privée des détenus. C’est, in fine, poser plus largement la question des limites de la privation des droits des détenus. J’ajoute, seconde observation de conclusion, que les critiques contre le traitement défavorable des personnes prévenues placées en détention provisoire ne sont pas nouvelles. L’amélioration est sensible. Elle est lente aussi. Longtemps, l’ordre juridique n’a guère manifesté d’intérêt pour les détenus. Leur statut, peu développé, relevait pour l’essentiel, lorsqu’il existait, des initiatives du pouvoir réglementaire. Aujourd’hui, le mouvement est clairement celui d’une reconnaissance des droits des détenus. De manière générale, le mouvement d’élévation hiérarchique de l’encadrement normatif des détenus retire des mains de l’administration pénitentiaire un nombre important de prérogatives qui, jusque-là, relevaient de sa seule appréciation. Mais toutes les thématiques de la vie en détention n’ont pas été saisies par la jurisprudence constitutionnelle, en particulier dans le cadre du contrôle a posteriori – loin s’en faut – et pas toutes avec le même intérêt. Il y a donc la place, encore, pour de nombreuses QPC.