1Le droit animalier fait l’objet d’un intéressement de plus en plus important de la part des citoyens. En France, les élections sont un révélateur de cet intérêt grandissant. Devenant une préoccupation pour beaucoup d’électeurs français, la cause animale entre alors dans le débat électoral. Avec toutes les réserves à apporter aux sondages, les résultats d’une enquête IFOP parus en mars 2022 révèlent que 81 % des Français sont sensibles au bien-être animal2. En conséquence, il n’est pas surprenant de constater que le bien-être animal soit présent dans la grande majorité des programmes des candidats à l’élection présidentielle de 20223. Certes, « l’investissement des partis est à géométrie variable »4, d’une ligne à plusieurs pages dans les programmes politiques selon les candidats. Sont apparus par ailleurs des classements des candidats engagés en faveur des animaux, plaçant le plus souvent en tête les candidats Jean-Luc Mélenchon (LFI) et Yannick Jadot (EELV) pour cette élection5. En outre, il est intéressant de constater les différences notables de positionnement. Par exemple, certains candidats souhaitent l’abolition des chasses traditionnelles alors que d’autres soulignent – comme le candidat Emmanuel Macron – que « ces chasses font partie du patrimoine et de l’histoire de nos territoires »6.

2Cet intéressement des citoyens à la cause animale trouve différentes justifications. Il peut s’agir d’un engagement personnel pour la cause animale ou pour la préservation de l’environnement. Cela peut également être pour des intérêts purement personnels, comme la protection de sa santé. Ces positionnements sont bien souvent symbolisés, même si cela peut être réducteur, par une « adaptation » de son alimentation ou de son mode de vie. Avec une évolution terminologique, on distingue notamment les végétariens7, les végétaliens8, les végans9, les flexitariens10 ou les personnes consommant de la chair animale. Certaines terminologies sont plus récentes, les termes « végétaliens », « véganisme »11 ou « flexitariens » n’ayant à ce jour pas d’entrée dans les dictionnaires de l’Académie française.

3Cette prise en compte du bien-être animal s’appuie également sur un rejet des atteintes portées aux animaux. Sans se limiter aux seuls animaux de compagnie, certains faits divers viennent désormais susciter de vives contestations, à l’image des atteintes inutiles portées aux animaux d’élevage ou la chasse de certains animaux sauvages emblématiques. Pour autant et comme pour une évidente réalité d’un grand nombre de faits infractionnels, tristement illustrée par les infractions sexuelles12, le chiffre noir des atteintes aux animaux est nécessairement important puisque cette victime animale n’a pas la parole utile à la dénonciation. De fait, l’utilisation des incriminations pour poursuivre les auteurs est réduite. Sur cette mise en œuvre des incriminations, il y a encore peu d’éléments sur le contenu des décisions des juges du fond. Cette situation évoluera certainement avec l’élargissement de l’accès aux décisions de justice, par l’organisation d’un open Data des décisions de fond. À ce jour, sont principalement connues les affaires surmédiatisées ou bénéficiant d’une certaine couverture médiatique en raison du bouleversement citoyen – notamment par un emballement sur les réseaux sociaux – ou des affaires donnant possiblement lieu à des « sanctions exemplaires ».

4Quelques statistiques sont néanmoins disponibles sur les champs répressifs du Code pénal, plus particulièrement sur les maltraitances et les abandons. Selon une étude, « le nombre de mis en cause pour l’abandon de leur animal passe de 257 en 2016 à 395 en 2018, soit une hausse de 54 % en trois ans. Concernant la maltraitance animale, 1 025 personnes ont été mises en cause en 2016, 1 177 en 2017 et 1 256 en 2018, soit une hausse de 23 % »13. L’expression « maltraitance » utilisée dans cette étude regroupe plusieurs infractions issues de la nomenclature Natinf : les mauvais traitements par une personne morale ou un exploitant, les sévices de nature sexuelle14, et les sévices graves ou autre acte de cruauté commis envers les animaux domestiques, apprivoisés ou captifs. L’étude permet également d’avoir des précisions criminologiques, spécifiquement que les trois quarts des mis en cause sont des hommes ; que les mis en cause ont majoritairement entre 26 et 35 ans ; qu’un tiers des mis en cause n’ont pas d’activité professionnelle ; et que les actes sont majoritairement commis pendant la période estivale15. Enfin, l’étude expose l’augmentation des chiffres : « Entre 2007 et 2017, le nombre de condamnations a augmenté, passant de 70 à 110, soit une hausse de 57 %. Cette hausse a été particulièrement forte à partir de 2015, date à laquelle les animaux ont été reconnus comme des êtres vivants doués de sensibilité dans le Code civil (Art 515-14) »16. Ces éléments démontrent l’existence d’un mouvement de dénonciations des actes critiquables, ce qui n’implique pas nécessairement une augmentation des actes infractionnels à l’encontre des animaux.

5Si ces statistiques sont nécessairement très faibles face à la réalité criminologique, elles illustrent le renforcement de la mise en œuvre progressive du droit pénal animalier. Cette application, et l’approfondissement de ce droit spécifique, est la conséquence de plusieurs facteurs. Si les citoyens semblent se sentir plus concernés par le bien-être animal, le renforcement des dénonciations comme l’action des associations favorisent la mobilisation des autorités publiques à l’encontre des actes infractionnels portant atteinte à la protection animale (II). Toutefois, cette mobilisation nécessite une connaissance des règles applicables, qui invitent au renforcement de la formation au droit animalier (I).

I. L’adaptation par la formation

6Appréhender le droit animalier n’est pas chose aisée puisque cette discipline – en construction ou consacrée17 – nécessite d’accéder à différentes notions et matières juridiques, voire de disposer de diverses compétences non juridiques (philosophie, sociologie, économie, géographie, etc.). Malgré ces difficultés inhérentes à ces compétences pluridisciplinaires, un engagement pour l’affermissement de la formation est impératif, idéalement auprès d’un public élargi18. Si les réflexions s’attachent à la formation des actuels professionnels (B), il devient impératif de penser la formation des futurs professionnels (A).

A. Former les futurs professionnels ou l’apparition d’une discipline universitaire

7Pour faire face à l’absence d’enseignements dans les cursus généraux des études universitaires (1), des formations spécifiques sous la forme de diplômes universitaires se sont développées depuis quelques années (2).

1. L’absence de formation dans le cursus général

8Absence d’enseignements spécifiques. Le droit animalier n’est pas enseigné dans les cursus généraux. Les étudiants effleurent la question du droit animalier, possiblement, dans les cours d’introduction générale au droit ou de droit des personnes, lors de leur entrée en première année de licence. En effet, des précisions peuvent être apportées lors de la présentation de la distinction entre les personnes et les choses, ou pour souligner que l’animal ne dispose pas de la personnalité juridique. Les manuels de droit reprennent par ailleurs ces indications, en y consacrant le plus souvent des brefs passages19.

9Exception avec l’UE Libre à Brest. Il faut néanmoins souligner qu’à l’Université de Brest est proposée une Unité libre d’enseignement intitulée « UE Libre Droit de l’animal »20, depuis l’année universitaire 2016-2017. Il s’agit d’un enseignement optionnel de plus de 20 heures de cours21, dispensé aux étudiants de Licence – toutes formations de l’Université confondues22 – ayant fait ce choix de matière. L’originalité de ce cours réside dans son accès au sein du cursus général, avec une matière comptant dans la formation initiale du diplôme de licence des étudiants concernés23. Il permet ainsi aux étudiants intéressés par la protection animale d’acquérir des connaissances précises sur les droits des animaux, mais également aux étudiants curieux ou interrogatifs sur les règles juridiques applicables d’accéder à un enseignement consacré à cette question.

10Absence regrettable mais non isolée. À ces exceptions près, les étudiants suivant un cursus de droit peuvent ne jamais avoir eu de précisions relatives au droit animalier, malgré l’importance du contact à l’animal des citoyens et les nombreuses problématiques juridiques qui en découlent. Ils vont donc embrasser des professions juridiques, sans n’avoir appréhendé ni étudié ces questions. S’il est possible de le regretter, un tel constat n’est pour autant pas étonnant. La spécialisation progressive, comme les contraintes universitaires24, ne permet pas d’appréhender toutes les disciplines juridiques. Pour relativiser cette absence, il est par exemple possible de constater que nombre de jeunes avocats « se lanceront » dans les permanences de garde à vue en début de carrière sans forcément avoir eu des cours de procédure pénale pendant leurs études universitaires. De même, nombre de professionnels n’ont pas de cours de pénologie ce qui ne les empêche pas de devenir avocat pénaliste, avec un apprentissage des fondements juridiques par la suite.

2. Le développement des formations spécifiques

11Développement des diplômes universitaires. Pour assurer un approfondissement des problématiques en droit animalier, et à l’appui de la reconnaissance d’une telle discipline en France, plusieurs formations spécifiques sont apparues plus récemment en parallèle de la recherche universitaire25. Plus particulièrement, la formation s’est donc construite par la création de diplômes universitaires. Après Limoges, ce sont les diplômes universitaires des universités de Brest, d’Aix-Marseille et de Toulon pour les approches juridiques, avec la création récente d’un nouveau DU à Nice ; ou Rennes pour une approche sociétale. À Strasbourg, et aux côtés du master avec une option en éthique animale, des journées de formation sont organisées, avec le droit et l’éthologie. Une réflexion est en cours pour la création d’autres diplômes universitaires semblables. Ces propositions de création peuvent s’appuyer sur une impulsion politique. Ainsi, le député Dimitri Houbron envisageait la proposition de création d’un tel diplôme dans le nord de la France26.

12Plus-value de ces formations. Ces formations mettent en lumière la réalité du droit animalier et surtout l’évidente existence de problématiques juridiques fondamentales, comme la question du statut juridique de l’animal et sa nécessaire évolution, ou la remise en cause de l’approche catégorielle. Ces discussions et ces travaux apparaissent alors essentiels compte tenu des enjeux d’une application des règles juridiques. En effet et par exemple, certaines distinctions infractionnelles sont complexes. Tel est le cas des actes de cruauté et des mauvais traitements. La rédaction textuelle de ces incriminations, et les applications jurisprudentielles qui en découlent, ne permettent pas une franche distinction. Ces formations facilitent une compréhension de ces dispositions, source d’une meilleure application de la législation en vigueur.

B. Former les praticiens ou le développement d’une formation continue

13Un premier constat est nécessaire : il n’y a pas de formation des juges et des avocats dans le cadre du cursus initial des écoles, École nationale de la magistrature ou écoles des avocats. Il faut alors s’appuyer sur les dispositifs de formation continue. En effet, les professionnels – les magistrats (1) comme les avocats (2) – peuvent assister aux colloques proposés mais, au-delà, participer à des formations spécifiques organisées par les écoles ou recourir aux enseignements spécifiques des diplômes universitaires. Pour d’autres professionnels, l’utilisation et la confrontation à l’animal dans le cadre de leurs actions impliquent une formation spécifique (3).

1. La formation des magistrats

14Création d’une session de formation spécifique. Une formation est désormais proposée par l’École nationale de la magistrature – au titre de la formation continue des magistrats – lors d’une session intitulée « L’animal et le droit : statut, protection et sécurité alimentaire »27. Cette formation se déroule depuis 2018. Elle permet de regrouper une trentaine de participants chaque année. Les apprenants sont principalement des magistrats, avec également des délégués du procureur et quelques avocats. Cette formation se déroule traditionnellement sur deux ou trois jours consécutifs28. Elle est construite à l’appui d’intervenants variés : universitaires, biologistes, représentants politiques (députés), et professionnels (conseillers référendaires de la Cour de cassation, avocats et agents de la brigade nationale d’enquête vétérinaire). Les thématiques d’intervention sont également variées, avec des propos juridiques traditionnels relatifs à l’évolution du statut juridique, à la classification des animaux, à la sensibilité et au bien-être de l’animal ; et des questions plus actuelles comme sur la 6^e extinction massive des espèces sauvages ou des débats sur les propositions d’évolution législative29. Il est possible d’observer que la formation traite des animaux domestiques, d’élevage comme sauvages30.

15Importance d’une telle session de formation. Une telle formation est impérative pour lever des difficultés ou des lacunes évidentes. Par exemple, un enseignement de droit pénal animalier est de nature à éviter les erreurs de qualification dans certains dossiers. En outre, comme pour de nombreuses disciplines, il peut y avoir des particularités interprétatives qui nécessitent une connaissance adaptée. Ainsi, le recours à l’ancienne incrimination de sévices sexuels était envisageable – malgré la terminologie possiblement inadéquate – en l’absence de violences, de brutalité ou de mauvais traitements, comme l’avait précisé la Cour de cassation dans un arrêt du 4 septembre 2007 (affaire « Poney Junior »)31. Pourtant et malgré l’importance de la décision de la Cour suprême, des classements sans suite de dossiers de zoophilie pouvaient se fonder sur un défaut de préjudice à l’animal. Le récent changement terminologique de « sévices sexuels » de l’article 521-1 du Code pénal par « atteintes sexuelles », dans un nouvel article 521-1-1 du même code, écarte désormais plusieurs lacunes de la rédaction antérieure32.

2. La formation des avocats

16Un possible accès en formation continue. Les avocats ne disposent pas de formation obligatoire sur le droit animalier. En revanche, dans le cadre de l’obligation de formation continue33, les avocats peuvent assister à des colloques ou à des journées d’étude, y compris sur le droit animalier. Il est également possible d’avoir des travaux ou des formations spécifiques proposés par les barreaux. Tel est le cas au sein du barreau de Paris, dans lesquels « les avocats, nombreux à intervenir et à s’investir dans la défense des droits de l’animal, ont fait le constat unanime de la nécessité de réfléchir sur les outils juridiques au service de la condition animale et de la pertinence d’élaborer un droit autonome »34. Une commission a été créée en 2016 – « Animaux (droit de l’animal) », dirigée par M^e Marie-Bénédicte Desvallon, avocat à la Cour. Une vingtaine de formations ont été dispensées dans ce cadre depuis fin 2016, d’une durée de 3 à 4 heures. Aucune précision n’est disponible sur les intervenants invités ou le contenu de ces formations35.

17Une nécessaire spécialisation par les diplômes universitaires. Les avocats, souhaitant une spécialisation sur les questions animales, doivent s’appuyer sur la validation d’un diplôme universitaire. En effet, si l’avocature prévoit une multitude de mentions de spécialisation36, il n’existe pas de spécialisation institutionnelle en droit animalier. La construction d’une spécialisation « Droit animalier », belle utopie à l’heure actuelle, assurerait une appréhension par les aspects civils, administratifs, pénaux et autres. S’il peut donc être regretté l’absence d’une telle spécialisation, cette éventuelle lacune n’est pas forcément étonnante. Effectivement, la spécialité en droit des mineurs, malgré l’importance de ce contentieux fondamental, n’a été consacrée qu’en octobre 2021 sous l’intitulé « Droit des enfants »37. Avant cette consécration, le droit des mineurs était néanmoins pris en compte par d’autres mentions. Une situation comparable peut être envisagée – dans une certaine mesure – pour le droit animalier, ces aspects pouvant possiblement entrer dans le giron du droit de l’environnement.

3. La formation des autres professionnels

18La formation des forces de l’ordre. D’autres professionnels ont une activité pouvant justifier l’utilité d’une formation en droit animalier. C’est notamment le cas des forces de l’ordre. Les policiers par exemple recourent à l’animal pour assurer leur mission de maintien de la sécurité. Il est possible de penser aux maîtres-chiens dans les brigades cynophiles ou aux cavaliers pour les brigades montées. Ces policiers doivent avoir des qualifications particulières à l’utilisation de l’animal dans cette fonction de maintien d’ordre public. Pour le policier à cheval, outre les qualifications de gardien de la paix pendant 2 années après la titularisation ou être officier gradé, il faut avoir un diplôme de la Fédération française d’équitation (FFE) justifiant d’un niveau d’équitation Galop 5. Après avoir été sélectionnés, les candidats intègrent une unité équestre, leur permettant de se voir dispenser une formation spécifique. D’une durée de 6 mois, cette formation assure l’obtention d’un niveau Galop 7 et la maîtrise d’un travail avec son cheval. Pour le maître-chien, il doit posséder un certificat de capacité pour le dressage de chiens au mordant. Les policiers peuvent également intervenir dans le cadre de la gestion des animaux en divagation. Cela peut être le cas de la police municipale. L’attribution d’une telle compétence impose une formation spécifique. Toutefois, cela interroge sur l’instauration de services spéciaux en charge de ces actions, et d’éviter l’intervention de policiers non spécialistes sur de telles actions38. Sur la question des animaux en divagation, les communes peuvent seuls gérer ces animaux à l’appui d’un service de la ville. D’ailleurs, chaque commune devrait disposer d’une fourrière39. Ce sont alors des agents de la mairie qui seront sollicités. Ils ont été formés spécifiquement car ils peuvent être amenés à capturer des animaux dangereux. Ils doivent pouvoir manipuler un matériel spécifique. Le travail de ces services s’appuie également sur les refuges, qui vont éventuellement assurer un accueil des animaux. Même si on s’éloigne de la chaîne pénale à proprement parler, plusieurs services administratifs – dont les mairies – peuvent être amenés à travailler avec les animaux. Cela peut par exemple prendre la forme de l’écopâturage. Ces actions sont de nature à sensibiliser à l’utilisation des animaux, et plus particulièrement les autorités publiques et participer à une plus grande application du droit animal.

19Le nécessaire renforcement de la formation. Les lacunes en matière de formation des professionnels peuvent s’appuyer sur la croyance d’une marginalité des faits ou d’un faible contentieux en droit animalier. Dès lors, si les professionnels perçoivent une faible utilité – voire une inutilité – des compétences en droit animalier, il peut apparaître difficile d’assurer une vraie mobilisation. L’explication de la réalité des enjeux semble essentielle. A contrario, la réalité de ce contentieux peut inviter au développement de la formation comme de la spécialisation des professionnels concernés. Il apparaît possible d’effectuer un parallèle avec la pratique du droit de l’environnement. Cette discipline était, il y a encore quelques années, ni codifiée et ni enseignée. Désormais, l’évolution est majeure avec une introduction dans les cursus universitaires et un développement de formations de masters spécialisés, une spécialisation des professionnels (dont les avocats ou les policiers), une codification ainsi que des juridictions spécialisées. Le droit animalier semble se renforcer lentement mais progressivement avec un processus comparable. D’autres pays se sont déjà engagés vers une plus grande spécialisation de certains professionnels, à l’image des Pays-Bas avec l’instauration d’une unité de police spécifique pour la protection animale, avec un numéro de téléphone dédié40. En France, ce processus de formation – et de spécialisation – doit donc se poursuivre pour favoriser la mobilisation adéquate.

II. L’application par la mobilisation

20L’efficience de la règle de droit, et par voie de conséquence des règles protectrices des animaux, implique leur mise en œuvre. Cette mobilisation se trouve fortement impulsée par l’action associative (A). Ces soutiens voire ces interventions associatives peuvent guider l’action judiciaire. En effet, ce sont bien les magistrats qui permettent, dans le processus pénal, une application des incriminations pour rendre justice (B).

A. L’action associative ou militante

21À défaut d’une représentation institutionnalisée par un « représentant des animaux », d’un « avocat des animaux »41 ou d’une autorité administrative indépendante (AAI), et outre la possible pression médiatique, ce sont les associations qui assurent un rôle fondamental dans la protection animale par la mobilisation des règles de droit (1), même si cette action présente aujourd’hui des contradictions protectrices (2).

1. Entre précisions procédurales

22De l’action civile des associations de protection animale. Le soutien associatif est essentiel et assure le recueil des animaux de compagnie abandonnés ou maltraités, la lutte contre les maltraitances par des campagnes publicitaires, des actions de prévention ou de pédagogie pour un meilleur respect des animaux, etc. Toutefois, cette action associative peut également avoir un rôle actif dans la chaîne pénale, avec un mouvement de « judiciarisation croissante de la cause animale »42. En effet, l’intervention associative est organisée et précisément encadrée dans le Code de procédure pénale. Le recours à l’article 2-13 du Code de procédure pénale permet aux associations d’exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues par le Code pénal et – depuis la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous43 – aux articles L. 215-11 et L. 215-13 du Code rural réprimant l’abandon, les sévices graves ou de nature sexuelle, les actes de cruauté et les mauvais traitements envers les animaux ainsi que les atteintes volontaires à la vie d’un animal. En effet, cet article dispose : « Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits et dont l’objet statutaire est la défense et la protection des animaux peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues par le Code pénal et aux articles L. 215-11 et L. 215-13 du code rural et de la pêche maritime réprimant l’abandon, les sévices graves ou de nature sexuelle, les actes de cruauté et les mauvais traitements envers les animaux ainsi que les atteintes volontaires à la vie d’un animal. Toute fondation reconnue d’utilité publique peut exercer les droits reconnus à la partie civile dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que l’association mentionnée au présent article ». Pour qu’une association puisse agir, les conditions traditionnelles doivent être remplies : ancienneté de l’association et prévision statutaire d’une action de protection animale. Dès lors, la mobilisation des associations est conditionnée, excluant toute action en dehors de ce champ précis, notamment par la poursuite à l’appui d’incriminations plus techniques. Bien évidemment, la victime directe – l’animal – comme la potentielle victime indirecte – le maître, le propriétaire ou l’humain lorsqu’il n’est pas mis en cause – n’ont pas à délivrer un consentement à une telle action. Les associations seront donc sources de déclenchement des poursuites par le parquet (ou d’une hésitation du parquet) ou de « contre-pouvoir » à l’opportunité des poursuites du parquet en provoquant l’action judiciaire.

23De l’appui aux forces de l’ordre. Dans ce cheminement procédural en matière pénale, les associations peuvent également intervenir à l’appui des services de police. D’une part, cette intervention peut s’inscrire dans la transmission des dénonciations (également anonymes) et des éléments de preuves pouvant être reçus par l’association. La situation est particulièrement intéressante puisque la preuve est libre, les personnes privées n’étant pas soumises au principe de loyauté de la preuve44. Ce constat démontre l’intérêt des éléments vidéo ou photos transmis par certaines associations, comme l’association L. 214. D’autre part, cette intervention peut s’établir dans le cadre des interventions pour l’animal en divagation ou pour l’animal signalé45. Ainsi, cette action associative peut aider – ou guider – l’intervention des policiers municipaux, des gendarmes ou du maire. Par ailleurs, ces autorités publiques peuvent ne pas connaître les réglementations spécifiques. Par exemple, les règles sont précises pour l’animal à l’attache (3 mètres de chaîne, un chiot ne doit pas être à l’attache, etc.), ce qui est le plus souvent méconnu des autorités publiques. Cette action des associations est également évidente dans la facilitation des saisies des animaux, bien évidemment pour la gestion mais aussi pour l’incitation. En effet, les associations pourront inciter les officiers de police judiciaire ou le procureur de la République sur la nécessité d’adopter des mesures d’urgence, par un retrait provisoire de l’animal sur le fondement de l’article 99-1 du Code de procédure pénale. Cet article spécifique à la protection animale n’est pas forcément connu des autorités publiques46.

2. Et contradictions protectrices

24Le possible défaut de moyens juridiques. Dans le cadre de leurs actions, la question des moyens des associations peut susciter des interrogations, ou plutôt le manque de moyens doit soulever des questionnements. En effet, les associations sont souvent aidées de professionnels bénévoles, notamment dans le cadre des actions juridiques (avocats) comme médicales (vétérinaires). Toutefois, les associations peuvent être submergées ou acculées sur le plan judiciaire. Dans ce cas et en l’absence de moyens utiles, il pourra être fait appel à des avocats non spécialistes. Ceci soulève la question des compétences juridiques des professionnels intervenants, compte tenu de la spécificité et de la technicité de la discipline.

25La potentielle préférence pour la voie non judiciaire. L’action associative peut être de nature à éteindre l’action répressive. Effectivement, et quand bien même les justifications sont louables, des actions associatives peuvent provoquer une inaction judiciaire. Tel est le cas lorsque les animaux sont retirés des « griffes » de propriétaires maltraitants par négociation. Bien évidemment, l’objectif principal est de protéger – de sauver – l’animal. La contrepartie sera l’absence de poursuites des auteurs de mauvais traitements ou de sévices réels. Dès lors, le sauvetage de l’animal sera préféré à l’action juridique et judiciaire. En outre, certaines affaires sont parfois particulièrement délicates et la voie non judiciaire plus pertinente. Par exemple, dans le cadre de violences dans le couple – avec une réalité de violences sur l’animal – il sera plus difficile d’agir pour l’animal dans ce contexte familial où les victimes identifiées seront les enfants ou le conjoint.

26La possible préférence pour des actions illicites. Face à une action « traditionnelle » des associations, ou des militants de la protection animale, d’autres actions pour la cause animale peuvent nourrir un mouvement d’inquiétudes. Si les moyens mis en œuvre sont le plus souvent pacifiques, certains activistes recourent à des moyens violents pouvant être sanctionnés pénalement. Plusieurs faits divers, faisant l’objet d’une médiatisation importante, illustrent ces actions : dégradation de boucheries, destruction des miradors de chasseurs, menaces ou injures, etc. Certaines actions de Sea Shepherd sont par exemple visuellement très marquantes par leur caractère impressionnant47. D’ailleurs, si ces actions peuvent être résiduelles sur le travail global de l’association, elles pourront se présenter comme une vitrine du mouvement. Toutefois, en réponse aux actions illicites, des poursuites de ces défenseurs, et donc une répression de la cause animale, peuvent être organisées. Il s’ensuit la tentative d’instauration d’une pénalisation des actions militantes, comme l’illustrent l’amendement anti-L214 dans la proposition de loi « sécurité globale » (considéré comme un cavalier législatif)48 ou la proposition de la création d’un nouveau délit pour limiter les entraves à l’exercice de la chasse ou de certaines activités agricoles49. Néanmoins, en pratique ou en réaction politique, des réformes législatives peuvent possiblement contraindre l’action militante, avec une institutionnalisation d’une telle pénalisation. A par exemple été mise en place DEMETER, la cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole, justifiée par l’ancien ministre de l’Intérieur Christophe Castaner par ces mots : « De plus en plus, nos agriculteurs sont visés par des intimidations, des dégradations, des insultes. Des individus s’introduisent dans leurs exploitations agricoles et les bloquent. Ils font des films aux commentaires orduriers, avant de jeter les exploitants en pâture sur les réseaux sociaux. Parfois même, les intrus dégradent, cassent et volent »50. Si la création de cette cellule est justifiée par une lutte contre « l’agribashing », elle démontre un objectif évident dans la surveillance de l’activisme en matière animale et d’un contrôle de l’ensemble des inquiétudes qu’il représente, qui s’ajoutent à celles liées à l’activisme environnemental. À outrance, cette exacerbation des dangers liés à ce militantisme violent soulève des inquiétudes sur les risques du développement d’un écoterrorisme. Ainsi, si certains décrivent ce risque comme le « fait des défenseurs zélés des animaux et/ou de la nature »51, d’autres alertent sur un des « crimes qui menacent l’humanité dans son essence ou son existence même »52. Si ce phénomène ne suscite pas d’importants débats à l’heure actuelle, en l’absence d’actions répondant à une telle définition, l’écoterrorisme est néanmoins annoncé comme la prochaine vague terroriste à redouter53.

27La possible pertinence des actions illicites. Se pose alors la question des actions possiblement illégales mais nécessaires pour lutter contre les dérives attentatoires à la protection des animaux. Ainsi, un mode d’actions particulièrement efficace ces dernières années – liées au recours à l’image comme mode de dénonciation des atteintes aux animaux – est l’utilisation des caméras cachées pour dénoncer, images à l’appui, les comportements contestables. Ainsi, les militants sont parfois amenés à s’introduire illégalement dans des locaux, à recourir à l’utilisation de drones, ou à se faire engager sur des emplois pour assurer les captations d’images utiles54. À l’encontre de ces actions, différentes incriminations peuvent être mobilisées : violation de domicile ou atteinte à la vie privée par fixation, enregistrement ou transmission de l’image55. Face à ce risque pénal pour les activistes, et à des empêchements ou des obstacles pour la dénonciation de la réalité d’infractions pénales, plusieurs garde-fous peuvent être mobilisés. Ainsi, la liberté d’expression protégée par la Cour européenne des droits de l’homme apparaît comme un mécanisme de nature à protéger les militants, pouvant justifier certaines actions dans le respect des conditions de nécessité et de proportionnalité des interventions mises en œuvre56. Au-delà, le statut de lanceurs d’alerte semble pouvoir être mobilisé, malgré les tentatives récentes du Gouvernement d’en limiter son utilisation. Ainsi, le fait justificatif spécial de lanceur d’alerte a été introduit à l’article 122-9 du Code pénal par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dite « Loi Sapin II »57, statut d’application rétroactive. Ainsi, une personne n’est pas responsable – bien qu’elle porte atteinte à un secret protégé par la loi – « dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu’elle intervient dans le respect des procédures de signalement d’affaires définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d’alerte prévus à l’article 6 de la loi », c’est-à-dire « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ». Si les personnes morales ne peuvent pas y recourir, les personnes physiques – notamment les militants associatifs que le professeur Jean-Pierre Marguénaud qualifie de « courageux éclaireurs de la cause animale »58 – pourront utiliser cette justification. Tel peut être le cas d’un salarié filmant clandestinement.

B. L’action judiciaire

28Les sondages, comme « les vagues vertes » lors d’élections récentes59, démontrent l’intéressement du grand public à la cause animale. Dès lors, les citoyens se sentant concernés, les signalements, parfois encore anonymes, se multiplient. S’il est possible de mettre en exergue certaines lacunes (1), l’action judiciaire se construit progressivement (2).

1. Des champs d’action à renforcer ou les champs d’action oubliés

29Des dysfonctionnements au stade de l’enquête. Des lacunes apparaissent au stade de l’enquête. Il faut parfois regretter des oublis dans les démarches qui devraient être effectuées par les forces de l’ordre. Par exemple, les policiers peuvent omettre de solliciter les papiers afférents tels qu’à l’I-Cad (Identification des carnivores domestiques) ou de demander qui est détenteur. Pourtant, ces contrôles sont de nature à déterminer les responsables de l’animal, permettant de poursuivre les bonnes personnes et surtout toutes les personnes. En outre et en contradiction avec l’obligation pour les officiers de police judiciaire de recevoir les plaintes au titre de l’article 15-3 du Code de procédure pénale, il est à craindre que de nombreuses déclarations fassent l’objet de la technique de la main courante, pour limiter des procédures pour des faits qui seront parfois considérés comme moins importants60. Pire, les personnes pourront être confrontées à un refus de prendre en compte la dénonciation au motif que la personne ne serait pas directement victime des faits rapportés.

30Des dysfonctionnements au stade des poursuites et du jugement. Les difficultés judiciaires peuvent concerner la qualification des faits. À défaut des connaissances utiles, la qualification retenue risque d’être minimisée. S’il peut bien évidemment s’agir d’une sous-qualification volontaire, par la mise en œuvre du procédé de contraventionnalisation61, cette conséquence sera également la résultante de ce manque de connaissances. Ainsi, les distinctions entre mauvais traitement et sévices graves, précédemment évoquées, sont fondamentales mais complexes. Face à la contravention de mauvais traitements de la compétence du tribunal de police, les sévices graves sont un délit de la compétence du tribunal correctionnel. D’autres exemples soulignent les subtilités des qualifications pénales envisageables, nécessitant une connaissance adaptée du droit animalier. Pour un autre exemple, des difficultés peuvent apparaître pour distinguer le délit d’abandon d’un animal domestique et les mauvais traitements. En effet, un délaissement temporaire ou récurrent de l’animal – en le plaçant dans une situation portant atteinte à son état de santé par certaines privations – pourra recevoir la qualification d’abandon. D’ailleurs, les rares décisions de la Cour de cassation répertoriées « appliquent cette disposition non pas à des abandons au sens strict mais à des cas de négligence grave dans les soins apportés aux animaux »62. La complexité de qualifier convenablement les faits est en plus renforcée par l’existence de dispositions spécifiques avec un éclatement des textes dans des lois ou des codes différents en raison d’une protection variable des animaux concernés (élevages, domestiques, espèces protégées, etc.).

31Des dysfonctionnements au stade de l’application des peines. Des interrogations n’échapperont pas au contexte animalier. Un débat est possible, avant même l’application des peines, sur la sévérité des sanctions adoptées. S’agissant des faits perçus comme les plus contestables et répréhensibles dans notre société, l’opinion publique dénonce bien souvent des peines trop faibles63. Des critiques semblables peuvent être retrouvées lors de l’application du droit pénal animalier. Puis, la peine permettant de limiter efficacement les risques de récidive de maltraitance animale de manière générale est l’interdiction de détention. Toutefois, l’adoption de la peine d’interdiction d’avoir des animaux suscite la question du contrôle de sa bonne application. Outre la nécessité d’envisager – ou de ne pas oublier – son possible recours, la bonne application de cette interdiction est complexe. Ainsi, à défaut de contrôle, les personnes interdites reprennent des animaux. Que faire dans ce cas ? Pourtant, un tel contrôle est essentiel pour empêcher la reprise d’un animal et l’engagement dans un cercle vicieux.

32Tous ces dysfonctionnements procéduraux ne sont pas exclusifs de l’application du droit pénal animalier. Des critiques similaires peuvent être relevées pour un grand nombre d’infractions de droit commun. Toutefois, il faut craindre que la matière animalière souffre plus fortement de ces maux.

2. La justice animalière de demain

33Des critiques à des décisions de justice. Si des critiques peuvent facilement être mises en avant, il faut également souligner le renforcement d’une réalité judiciaire animale. Les décisions se multiplient devant différentes juridictions judiciaires comme administratives. Des décisions de principe ou des décisions d’espèce originales offrent un fondement à un renforcement de la protection animale et à une possible mobilisation du droit pénal. Par exemple, le Conseil d’État a jugé en juin  2021 que la technique de la chasse à la glu ne pouvait être autorisée en l’état, indiquant que la précision du caractère « traditionnel » de ces méthodes de chasse ne suffisait pas à justifier une dérogation64. Autre exemple, l’affaire des sangliers Gruinou et Nonotte. Après avoir sauvé de l’euthanasie deux sangliers, une femme est poursuivie pour les avoir conservés alors que la détention n’était possible que pour un unique animal (sauf obtention d’un certificat de capacité et d’une autorisation d’ouverture administrative pour les établissements d’élevage). Elle souligne néanmoins que les deux animaux – frère et sœur – sont désormais domestiques et ont vécu ensemble pendant 8 ans, soulignant la menace d’une séparation et d’une remise en liberté. Si le tribunal correctionnel de Valence la condamne pour cette détention, avec décision de saisir l’un des sangliers65, la cour d’appel de Grenoble infirme le jugement et dit n’y avoir lieu à confiscation. En effet, les juges considèrent qu’« au regard du danger actuel ou imminent pesant sur la vie de l’animal, dans l’incapacité de survivre seule dans le milieu naturel, coupée de son frère, et en l’absence de toute alternative quant à la possibilité de confier l’animal à une structure adaptée, Marie-Christine G. justifie de l’existence d’un état de nécessité, la commission de l’infraction étant alors le seul moyen d’éviter un dommage plus grave que celui qui risquait d’être causé par l’infraction, dans les conditions visées par l’article 122-7 du Code pénal, et de façon proportionnée, l’animal étant pris en charge de façon adaptée »66.

34Des critiques aux évolutions législatives. De même, et s’il faut regretter les lenteurs législatives et le manque de volonté politique, des évolutions peuvent être mises en exergue. Par exemple, la décision du tribunal de Brest dans l’affaire des poussins de Brest a permis d’aboutir à l’interdiction du broyage des poussins mâles vivants67. Si les annonces d’une interdiction en 2021 n’ont pas été tenues, le Gouvernement a réaffirmé le processus d’interdiction pour l’année 202268. Il faut alors attendre la publication du décret n° 2022-137 du 5 février 2022 pour que cette interdiction soit consacrée69. Un délai de mise en conformité avec les nouvelles techniques de mise à mort est octroyé aux établissements concernés ayant une activité d’accouvage d’œufs, date fixée au 31 décembre 202270.

35Vers des rapprochements originaux aux bénéfices de la Justice et du droit animalier. Le rapprochement entre la justice et la protection animale passe également par des interactions plus inattendues. Ainsi, les refuges peuvent accueillir des jeunes pour l’exécution d’un travail d’intérêt général (TIG) avec l’objectif de favoriser l’insertion professionnelle. Il serait souhaitable que ces actions appellent à une vraie relation entre les structures protectrices et la justice. Par exemple, si le refuge de Landerneau – dans le Finistère – est sollicité pour accueillir des TIG, aucun juge de l’exécution des peines n’a à ce jour visité le refuge pour une telle mise en œuvre. D’autres mobilisations doivent alors être pensées…

36Vers une justice animalière spécialisée. Finalement, il faut se résoudre à constater un tâtonnement progressif vers la construction d’une justice plus spécialisée. Dès lors, et bien que la question puisse apparaître précipitée, doit-on aller vers l’institution de juridictions spécialisées ? Le contentieux environnemental peut servir d’exemple : « Le contentieux de l’environnement ne constitue qu’une très faible part de l’activité des juridictions pénales, oscillant entre 0,5 % et 1 % des affaires traitées […] Afin d’y remédier, la loi du 24 décembre 2020 prévoit la création, dans le ressort de chaque cour d’appel, d’un pôle régional spécialisé en matière d’atteintes à l’environnement attaché à un tribunal judiciaire »71. Il faudra s’interroger sur la nécessité d’une telle projection, et notamment sur le niveau de technicité du contentieux animalier. D’ailleurs, ce mouvement de spécialisation semble déjà engagé. En effet, la création inédite d’un pôle dédié à la maltraitance animale au sein de la Cour d’appel de Toulouse – composé du procureur général, d’un assistant juridique et d’une chargée de mission – apparaît comme une expérimentation originale. Ce pôle, compétent sur le ressort de la cour, a pour objectif de rendre plus rapide et plus efficace le traitement des dossiers, par un meilleur suivi72. Cela s’accompagne d’une formation des magistrats au droit animalier ainsi qu’un renforcement des liens avec les partenaires (services de police, associations). Ainsi, cette expérience pourrait facilement être généralisée à l’ensemble des cours d’appel.

37Pour conclure, il faut faire le constat de l’approfondissement d’un véritable droit animalier – notamment sur le terrain répressif – mais également d’une justice animalière. Ce mouvement juridique accompagne donc une réalité sociétale d’une prise en compte de la sensibilité animale. Dès lors, une vigilance est également nécessaire à l’encontre des dérives liées à l’évolution de ce mouvement de protection animale. Ainsi, la protection juridique et judiciaire doit accompagner cette transition. Par exemple, le développement des produits végétariens ou végétaliens, source de pratiques commerciales trompeuses, doit faire l’objet de contrôles efficients. Au-delà de la dénomination, il s’agit également de contrôler la composition des produits73. Si tout n’est pas à construire, les champs d’améliorations ou d’actions sont néanmoins très vastes.