1Les espèces vivantes – végétales, animales, humaines – existent depuis des millénaires, à l’état naturel.

2Les commissaires de Justice2, quant à eux, n’existent que depuis que la cité – regroupant des individus – justifie une organisation fonctionnelle autour d’un pouvoir politique, et des règles juridiques y afférentes.

3Or, la relation entre le commissaire de justice et l’animal est complexe au regard de l’article 515-14 du Code civil, car celui-ci comporte deux phrases antinomiques : la première dispose que l’animal est « un être vivant doué de sensibilité » le sortant définitivement de la catégorie des biens inanimés ; la seconde précise que « sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ».

4Cette combinaison des mots a toute son importance dans les voies d’exécution, dans la mesure où le commissaire de justice muni d’une décision de justice qu’il doit ramener à exécution jouit d’un arsenal légal de mesures d’actions – dites de saisies et d’expulsion – sur la personne d’un débiteur et sur les objets qui lui appartiennent.

5Et, dire qu’un commissaire de justice exécute sur la personne ou les biens d’un débiteur lorsqu’il en est requis, c’est admettre qu’il exécute également sur l’animal qui lui appartient !

6Comment appréhender l’animal dans le respect de la première phrase de l’article 515-14 du Code civil, alors qu’il est soumis au régime des biens via les règles de procédures civiles d’exécution, qu’il s’agisse de le saisir ou de l’expulser ?

7En effet, tantôt l’animal est saisissable et le commissaire de justice devient l’acteur principal du traitement de son sort, tantôt il ne l’est pas et l’officier ministériel doit se retirer. Il peut aussi être un témoin – parfois passif – d’un cas de maltraitance de l’objet vivant. Et, quelquefois, le commissaire de justice est amené à gérer le sort des « animaux liminaires »3 et donc de décider de leur éradication.

8En définitive, le droit animalier n’entre pas réellement dans le cadre des procédures civiles d’exécution, car l’animal demeure un objet soumis au régime des biens.

9Aussi, cet article propose d’analyser la place ambivalente de l’animal en tant qu’être doué de sensibilité, face au commissaire de justice tenu stricto sensu par les règles de procédures civiles d’exécution ; démontrant par là même les limites du champ d’action de ces officiers ministériels amenés à gérer l’objet vivant.

10Dans une première partie, nous analyserons l’ambiguïté de la protection de l’animal dans les procédures civiles d’exécution (I). Puis, dans une seconde partie, nous aborderons les mécanismes qui limitent le champ d’action du commissaire de justice sur l’animal (II).

I. Ambiguïté de la protection de l’animal dans les procédures civiles d’exécution 

11Le code des procédures civiles d’exécution comporte des dispositions qui protègent l’animal. Toutefois, la portée des textes adoptés est limitée à certaines catégories d’animaux selon la destination qui leur est affectée par leur propriétaire (animal de compagnie, animal de rente, outil de travail). Ainsi la protection de l’animal dans les voies d’exécution dépend d’un critère d’affectation (A).

12Or, dans certains cas d’espèces, le code des procédures civiles d’exécution est lacunaire ou contredit le principe de l’affectation comme critère de saisissabilité. Aussi, lorsqu’il exécute sur l’animal, le commissaire de justice s’adapte à la pratique du terrain selon une approche subjective. En ce sens, le commissaire de justice détermine une typologie empirique de l’animal saisissable, objet vivant (B).

A. Protection de l’animal dans les procédures civiles d’exécution : la dépendance au critère de l’affectation

13L’animal est un objet affecté, qui dépend d’un choix lié à la destination que son propriétaire entend lui donner : animal de compagnie4, outil de travail répondant à un critère économique de rentabilité5, ou outil de travail sans critère de rentabilité financière.6

14C’est cette allégeance de l’animal à son propriétaire qui détermine le statut saisissable ou insaisissable de l’animal, ainsi que le régime qui lui est applicable dans les voies d’exécution.

15Il convient donc de distinguer l’animal insaisissable (1) de l’animal saisissable (1).

1. L’animal insaisissable

16L’animal insaisissable est celui qui est affecté à la compagnie, ou ayant la qualité d’outil de travail qui ne répond pas au critère de rentabilité. L’article L. 112-2 combiné à l’article R 112-2 du code de procédure civile d’exécution (CPCE), précise que les « animaux d’appartement ou de garde »7, et « les animaux destinés à la subsistance du saisi ainsi que les denrées nécessaires à leur élevage »8 sont insaisissables.

17En sus des animaux de compagnie et d’élevage insaisissables, s’ajoutent les « prothèses vivantes »9, comme les chiens d’aveugle, car ils sont considérés comme des accessoires indispensables à la survie de l’humain qui le possède : dès lors, il fut proclamé totalement insaisissable même pour le paiement de son prix.10 En ce sens, l’animal prothèse vivante est une « personne par destination »,11 car indispensable à la survie de l’humain qui le détient.

18Ainsi, le critère affectif et nécessiteux de l’objet vivant envers son propriétaire oblige les procédures civiles d’exécution à détacher l’animal du statut de meuble saisissable, pour le rendre insaisissable et lui maintenir une vie auprès de celui qui le possède. L’animal apparaît alors comme le prolongement de la personne de son propriétaire.

19L’animal insaisissable interdit alors sa saisie par le commissaire de justice. Il s’oppose à l’animal saisissable.

2. L’animal saisissable

20L’animal saisissable est indéniablement celui qui obéit à un critère de rentabilité économique, car il entre dans le patrimoine ou l’actif de son propriétaire. L’animal est voué à apporter un gain financier qui peut être saisi pour garantir le paiement d’une dette. Le commissaire de justice peut donc saisir un cheptel pour le faire vendre aux enchères.

21Les animaux saisissables sont alors soumis au régime des biens et sont qualifiés tantôt de meubles12 ou de fruits13, tantôt d’immeubles par destination14.

22Il existe toutefois un tempérament textuel à cette appréhension de l’animal soumis au régime des biens : le commissaire de justice ne peut saisir les biens mobiliers nécessaires au travail du saisi.15

23Or, le cheptel est un outil de travail pour son propriétaire, qui en attend une contrepartie productive.

24Le commissaire peut-il donc valablement saisir l’essaim, le cheval de course ou l’unique chatte et chat de reproduction d’un élevage félin ?

25De facto, il convient de reconnaître que les dispositions du code des procédures civiles d’exécution sont lacunaires et se contredisent parfois, obligeant le commissaire de justice à s’adapter aux cas d’espèces.

26Autrement dit, le commissaire de justice établit une typologie empirique de l’objet vivant, saisissable.

B. Typologie empirique de l’objet vivant saisissable, par le commissaire de justice 

27Pour déterminer une classification des animaux saisissables de ceux qui ne le sont pas, le commissaire de justice établit une typologie pragmatique de l’objet vivant.

28Pour ce faire, il va combiner deux approches qui déterminent le caractère saisissable ou insaisissable de l’animal.

29Premièrement, le commissaire de justice s’appuie sur une approche objective via les articles du code des procédures civiles d’exécution qui contredisent le principe d’insaisissabilité. Deuxièmement, le commissaire de justice combine les textes avec une approche stratégique dite de terrain.

30De ce fait, la typologie permettant de déterminer l’animal saisissable est empirique, en ce sens qu’elle dépend de la sensibilité de l’officier ministériel qui exécute sur l’animal.

31Il convient donc de préciser l’approche objective de classification de l’animal saisissable (1), et de la confronter à l’approche subjective et stratégique du commissaire de justice confronté à la pratique du terrain (2)

1. Approche objective de classification de l’animal saisissable

32Comme précisé précédemment, le code des procédures civiles d’exécution distingue les biens saisissables et insaisissables dont font partie certaines catégories d’animaux.

33Toutefois, à bien des égards, l’animal insaisissable redevient saisissable.

34Premièrement, « les animaux d’appartement ou de garde » et ceux « destinés à la subsistance du saisi ainsi que les denrées nécessaires à son élevage », demeurent saisissables « s’ils se trouvent dans un autre lieu que celui où le saisi demeure ou travaille habituellement, s’ils sont des biens de valeur, en raison notamment de leur importance, de leur matière, de leur rareté, de leur ancienneté ou de leur caractère luxueux, s’ils perdent leur caractère de nécessité en raison de leur quantité ou s’ils constituent des éléments corporels du fonds de commerce »16.

35Potentiellement, ce tempérament autorise la saisie de toutes les catégories d’animaux, quelle que soit l’affectation choisie par leur propriétaire. En effet, si le débiteur dispose de 15 chats de race qu’il déclare affecter à la compagnie, rien n’interdit le commissaire de justice de les saisir en raison de leur caractère luxueux.

36Deuxièmement, la nouvelle version de l’article L. 112-2 du CPCE entrée en vigueur le 1^er juin 2012 pousse au paroxysme l’interprétation objective de l’affectation saisissable des animaux, notamment lorsqu’il s’agit des « animaux prothèses ».

37En effet, cet article cite comme absolument insaisissable même pour le paiement de leur prix, les « biens mobiliers mentionnés aux 5° et 6° » ; soit les « biens mobiliers » « nécessaires à la vie et au travail du saisi et de sa famille », lorsqu’ils « sont la propriété des bénéficiaires de prestations d’aide sociale à l’enfance prévues aux articles L. 222-1 à L. 222-7 du code de l’action sociale et des familles ».

38Il semble donc que la seule affectation de l’animal à une catégorie de biens ne permette plus d’affirmer l’insaisissabilité absolue de l’animal, celle-ci étant dorénavant conditionnée à l’octroi de prestations familiales.

39Cette analyse est d’autant plus pertinente que la création de l’article L. 112-2 du CPCE17 n’a pas recopié la lettre des dispositions de l’article 42 du décret n° 92-755 du 31 juillet 199218, abrogé suite à la réforme des procédures civiles d’exécution.

40En effet, si l’on se réfère à cet ancien article 42, qui avait confirmé la règle de l’insaisissabilité absolue de « l’animal prothèse » même pour le paiement de son prix, la lecture du nouvel 7° de l’article L. 112-2 du CPCE laisse penser que la prothèse vivante redevienne saisissable19, le critère de l’insaisissabilité absolue n’étant repris que par les 5° et 6° du même article.

41Aussi, la classification de l’animal saisissable et insaisissable ne peut être appréciée par la seule lecture objective des articles du code des procédures civiles d’exécution, car ils se contredisent.

42La typologie de l’animal saisissable ne peut être déterminée qu’à travers une approche complémentaire dite de terrain. La détermination de l’animal saisissable va donc dépendre d’une approche subjective et stratégique du commissaire de justice.

2. Approche subjective et stratégique du commissaire de justice dans la classification de l’animal saisissable

43La détermination de la saisissabilité de l’animal ne peut reposer que sur la seule approche objective textuelle. La typologie de l’animal saisissable repose également sur une perception du commissaire de justice confronté à l’animal, objet vivant, dans le cadre de ses missions.

44C’est alors qu’il devient le témoin ou l’acteur principal du sort de l’animal, qu’il retrouve parfois maltraité. Pour étayer cette argumentation, prenons quelques exemples concrets de mesures d’exécution diligentées par un commissaire de justice face à l’animal.

Première hypothèse : le commissaire de justice, muni d’un titre exécutoire, découvre un animal saisissable au domicile ou sur le lieu de travail du débiteur 

45L’officier ministériel qui entend saisir un animal doit d’abord l’inventorier dans un procès-verbal, au même titre qu’un meuble meublant20.

46L’acte doit préciser, à peine de nullité, que le bien est indisponible et sous la garde de son débiteur, mais qu’il a la possibilité de procéder à la vente amiable de l’animal pendant le délai d’un mois qui suit la saisie (pour la saisie-vente). S’il s’agit d’une saisie-conservatoire, il est fait défense à son débiteur de l’aliéner ou de le déplacer sans en informer préalablement le créancier21.

47La vente de gré à gré de l’animal n’est valide que si elle reçoit l’agrément du créancier, ce dernier pouvant la refuser si le prix de cession proposé est insuffisant22. À ce stade, la procédure peut être stoppée par une proposition d’épurement de la dette entre les mains du commissaire de justice.

48Si le débiteur ne s’exécute pas dans le délai qui lui est imparti, le commissaire de justice a la faculté de vendre l’animal, mais uniquement aux enchères23. Il s’ensuit des mesures de publicité et la vente s’opère sur place, dans une salle des ventes ou tout autre endroit approprié.

49Si, par hypothèse, l’officier ministériel craint le détournement de biens saisis de son débiteur, il peut se faire autoriser par le juge de l’exécution à retirer l’animal, comme tout autre objet inanimé, et le placer dans un lieu sécurisé, dénommé séquestre24.

50Pourtant, il convient d’admettre que la saisine des animaux est difficile à mettre en œuvre à plusieurs égards.

51La première problématique est liée à l’animal lui-même. Son déplacement dans un séquestre, puis sa vente éventuelle aux enchères sont des évènements stressants pour la bête. Le commissaire de justice doit anticiper les exigences sanitaires, de soins, de transports et de gardiennage parfois onéreux.

52La seconde problématique est liée à la fonction du séquestre, puisqu’il est responsable de l’animal durant la procédure d’exécution, jusqu’à ce que le commissaire de justice y mette fin. Ainsi, si le débiteur paie sa dette, l’animal lui est restitué. S’il ne paie pas sa dette, l’animal est vendu aux enchères, mais doit demeurer en bonne santé jusqu’au transfert de propriété. À défaut, la responsabilité du gardiennage pourrait être engagée25.

Deuxième hypothèse : le commissaire, muni d’un titre exécutoire, trouve un animal insaisissable semblant maltraité

53S’il trouve un animal insaisissable semblant maltraité, l’officier ministériel n’a aucun pouvoir cœrcitif.

54L’action du commissaire de justice dépend de la présence ou non du débiteur sur les lieux de l’intervention, mais aussi de la sensibilité de ce dernier à la cause du vivant.

55Si le débiteur est présent, l’officier ministériel parlemente et tente de le sensibiliser sur la façon dont il traite son animal. Il peut aller jusqu’à lui proposer de récupérer l’animal pour le placer dans un endroit plus approprié, lorsque le débiteur reconnaît ne plus pouvoir s’occuper correctement de la chose vivante.

56Si le débiteur est absent des opérations de saisies, ou s’il refuse de parlementer, le commissaire de justice a l’obligation de se retirer et de laisser l’animal dans les lieux, tel qu’il l’a trouvé.

57L’officier ministériel ne dispose alors que du seul recours au Procureur de la République, au visa de l’article 40 du Code de procédure pénale26. Cette saisine lui permet alors de lever le secret professionnel et de transmettre les actes afférents à la procédure et de dénoncer, par ce biais judiciaire, le cas de maltraitance.

58La protection de l’animal par le commissaire de justice s’arrête à ce stade puisque le relais est assuré en principe par le magistrat de parquet. L’exécutant qui a dénoncé un cas de maltraitance ne peut espérer connaître les suites données à cette réclamation, puisque le procureur de la République est tenu par le secret de l’instruction, et dispose seul du pouvoir de donner suite à un cas de maltraitance déclaré, lequel suivi dépendra de la sensibilité personnelle du juge à rendre justice à l’animal.

Troisième hypothèse : le commissaire de justice, muni d’un titre exécutoire, trouve un animal, lors d’une procédure d’expulsion

59Il s’agit d’un cas pratique assez fréquent lors d’une procédure d’expulsion : un animal est retrouvé, au milieu des meubles inertes d’un local que le commissaire de justice doit libérer de tout occupant et de tout bien pour le restituer à son propriétaire.

60Le sort de l’animal va être scellé selon deux critères indissociables : celui de l’affectation dont il fait l’objet, et la volonté du propriétaire de s’occuper de son objet vivant.

61L’hypothèse la plus simple est celle où le débiteur, présent lors des opérations d’expulsion, emporte l’animal et quitte le logement avec lui. L’animal suit le sort de son propriétaire, le commissaire de justice ne peut qu’acter le départ.

62Mais, en pratique, il arrive que l’expulsé quitte les lieux en laissant l’animal sur place. Et ce départ du propriétaire ne peut s’analyser comme un abandon immédiat de l’objet vivant. En effet, le propriétaire évincé dispose d’un délai de deux mois à compter de l’expulsion, pour récupérer son bien27.

63Or, durant ce délai, l’animal aura des besoins vitaux qui devront être assouvis (manger, boire, se soulager). Et, se pose la question de la mission du commissaire de justice qui dispose de l’objet vivant entre ces mains, étant entendu que le code des procédures civiles d’exécution ne traite pas de son sort en pareille circonstance.

64C’est à ce stade que le commissaire de justice doit user de stratégie pour une prise en charge acceptable de l’animal.

65En effet, l’officier ministériel peut laisser l’animal sur place ou le déplacer28. S’il choisit de le déplacer, il doit mentionner « le lieu et les conditions d’accès au local »29 afin de permettre au débiteur expulsé de le récupérer dans le délai précité de deux mois.

66Surtout, l’officier ministériel est tenu d’estimer si le bien, objet vivant, comporte une valeur marchande30. Or, cette évaluation économique de l’animal doit être réfléchie :

• si le commissaire de justice estime que l’animal a une valeur marchande, alors il devra le vendre aux enchères après le délai susvisé31.
• À l’inverse, si l’animal inventorié est considéré comme dénué de valeur marchande, alors il sera réputé abandonné si, dans ce délai de deux mois, le débiteur ne le récupère pas32.

67Cette appréciation financière de l’animal est très complexe, car elle est combinée à l’obligation d’anticiper et d’analyser les potentielles aptitudes du débiteur évincé à prendre en charge son bien :

• Si l’officier ministériel inventorie l’animal en le déclarant sans valeur marchande, il s’expose à une procédure, initiée par le débiteur expulsé devant le juge de l’exécution, en contestation de « l’absence de valeur marchande des biens retenus par l’huissier de justice dans l’inventaire »33. Effectivement, la détermination de la valeur financière d’un animal ne répond qu’à une appréciation subjective qui varie d’une personne à une autre. La valeur de l’animal peut être inestimable pour son propriétaire qui garde un lien affectueux avec l’objet vivant ; mais elle peut être quasiment inexistante pour une personne tierce étrangère à cette relation amicale homme/animal.
• À l’inverse, si l’officier ministériel estime que l’animal comporte une valeur marchande suffisante pour le vendre aux enchères, il doit anticiper le fruit de ladite vente qui sera amputée des frais de garde, de soins et de nourriture.

68Aussi, le commissaire de justice peut-il être tenté de ne pas inventorier l’animal, et de gérer son sort selon sa propre sensibilité envers la cause animale : au pire, il fait sortir de l’habitation l’animal non identifié, espérant qu’il retrouve son instinct de chasse ; au mieux, il prend l’animal avec lui et s’en occupe.

69Toutefois, dans ce cas très précis où le commissaire de justice ose se détacher des règles des procédures civiles d’exécution pour s’adapter à la cause du vivant, il encourt plusieurs sanctions via les actions suivantes :

• civiles, en nullité d’acte puisqu’il n’a pas inventorié l’animal. Il pourrait, en outre, être condamné à des dommages-intérêts en cas de préjudice subi ;
• pénales, par la procédure d’inscription de faux, car il aurait sciemment omis d’inventorier l’animal ; mais aussi pour vol s’il place l’animal dans un nouveau foyer avant qu’il y ait eu transfert de propriété
• disciplinaire via les instances professionnelles qui sanctionnent les manquements graves à la profession.

70Ainsi, l’animal subit une forme de maltraitance des procédures civiles d’exécution qui le soumet au régime juridique des biens.

71La typologie empirique opérée par l’officier ministériel, dans la prise en charge de l’objet vivant, est inconfortable et engage la responsabilité de son auteur.

72Il est donc nécessaire de comprendre pourquoi cet officier ministériel est « pieds et poings liés » à un droit processuel qui l’oblige et traite l’animal comme un simple meuble. Autrement dit, il convient d’appréhender les mécanismes qui limitent le champ d’action du commissaire de justice sur l’animal.

II. Les mécanismes limitant le champ d’action du commissaire de justice sur l’animal

73Le commissaire de justice est l’officier ministériel qui exécute sur les personnes et leurs biens. Il ne dispose que d’un pouvoir restreint sur l’animal : le saisir pour le vendre, ou traiter de son sort comme d’un bien meuble dans les procédures d’expulsion ou de reprise de logement abandonné. Pourtant, la pratique démontre que cet officier ministériel est régulièrement en contact avec l’objet vivant, mais qu’il ne dispose d’aucune action à effet immédiat sur lui. Aussi, convient-il d’admettre que le commissaire de justice a des pouvoirs insuffisants sur l’animal.

74L’étiologie de cette inadaptation des fonctions du commissaire de justice face à l’animal trouve ses sources, d’une part, dans la répartition des fonctions monopolistiques au cœur de la cité ; d’autre part, dans l’étendue de la mission qui lui est conférée lorsqu’il est requis par un particulier. Aussi, on distingue deux mécanismes qui limitent le champ d’action du commissaire de justice sur l’animal : l’absence du pouvoir de police entre ses mains (A), et l’obligation qui lui est faite de respecter les règles liées au mandat (B).

A. Absence du pouvoir de police entre les mains du commissaire de justice

75Les pouvoirs du commissaire de justice sur l’animal sont cantonnés aux voies d’exécution. Il obéit littéralement aux articles du code des procédures civiles d’exécution.

76Ce cantonnement strict à la matière dont il dépend trouve sa source dans le fonctionnement structurel de la cité où les prérogatives de puissance publique sont dispatchées entre différents organes. Ce fractionnement des tâches évite les abus de pouvoir, et garantit par là même les droits et les devoirs de chacun.

77Ainsi, lorsqu’il s’agit de faire respecter la sécurité, la tranquillité et la salubrité publique, les mesures d’exécution prises sur l’animal sont immédiatement exécutoires. Il s’agit d’un pouvoir de police administrative qui appartient au maire de la commune34, sous le contrôle du préfet qui veille à l’exécution des règlements et des décisions gouvernementales35. Il est également sous le contrôle judiciaire du tribunal administratif qui peut sanctionner un arrêté pris en méconnaissance des règles juridiques.

78Ainsi, les pouvoirs de ces officiers sont élargis, puisqu’ils peuvent décider de placer l’animal dans un dépôt, voire d’ordonner son euthanasie, indépendamment de la volonté du propriétaire ou si celui-ci ne se manifeste pas pour récupérer son animal36.

79L’action municipale s’entend également comme un pouvoir de contrôle sanitaire sur les conditions de détention et d’hygiène des animaux qu’ils soient détenus à des fins domestiques ou mercantiles. Cet exercice de contrôle est confié principalement à des agents rattachés à l’état (fonctionnaires, ou vétérinaires sous contrats)37.

80Cette latitude d’action sur l’animal ne relève pas du seul monopole des élus locaux, puisque le procureur de la République, magistrat de parquet, dispose également d’un réel pouvoir de police judiciaire sur l’animal.

81En effet, au visa de l’article 99-1 du Code de Procédure pénale, son intervention est sollicitée à titre conservatoire, dans le cadre d’une action pénale diligentée contre le propriétaire d’un animal, afin d’autoriser les services publics décentralisés à le saisir, le retirer et le placer dans un lieu approprié qu’il aura déterminé.

82Mais, il peut aussi solliciter d’un magistrat saisi par requête, une autorisation afin qu’il puisse céder à titre onéreux ou euthanasier l’animal, si le placement de ce dernier présente un caractère de dangerosité apparent ou évident.

83Comme pour les décisions prises par le maire d’une commune en pareille matière, la décision du magistrat au visa de cet article est immédiatement exécutoire, avec des voies de recours strictement encadrées38.

84L’action instantanée des maires et procureurs de la République est intéressante, car elle permet de prendre des décisions concrètes sur l’animal, immédiatement exécutoires, que ce soit pour son intérêt ou celui de la population.

85Il est donc surprenant de constater qu’il n’existe aucun pouvoir de police spécifique aux commissaires de justice, afin qu’ils puissent, eux aussi, prendre des décisions spontanées et immédiatement exécutoires sur l’animal confronté à une mesure d’exécution forcée.

86Cet état de fait est d’autant plus curieux que les commissaires de justice répondent à des critères d’honorabilité qui ne sont pas remis en cause39.

87Premièrement, le commissaire de justice est un « tiers de confiance »,40 « parce qu’il exerce une profession réglementée qui lui impose de respecter un certain nombre de règles qui sont garantes du bien commun »41.

88Le commissaire de justice apporte donc des garanties de moralité suffisante qui autoriserait à ce qu’il soit détenteur d’un pouvoir de police sur l’animal. En effet, au même titre que le magistrat de parquet, il est donc nommé par arrêté du garde des Sceaux après avoir justifié de plusieurs années d’études. Délégataire d’une puissance publique, il est tenu de prêter serment sur réquisition du procureur de la République, devant la juridiction de son ressort d’exercice dans le mois qui suit cette nomination. Il est également soumis à un contrôle judiciaire strict tant d’un point de vue pénal via l’autorité tutélaire des procureurs de la République, que d’un point de vue civil via le juge de l’exécution qui vérifie la régularité des actes diligentés par l’officier ministériel.

89Deuxièmement, s’agissant du pouvoir de police du maire sur l’animal, on peut s’interroger la légitimité de l’étendue de son champ d’action, dans la mesure où il peut décider d’euthanasier l’animal, immédiatement au nom de l’intérêt public, sans requérir une décision judiciaire préalable. De ce fait, existe-t-il un intérêt pratique pour cet officier élu à répondre à l’exigence posée par l’article 40 du Code de procédure pénal précité ?

90En effet, l’action entreprise par les maires pour le compte de la collectivité publique obéit à un impératif politique électoral ; et la détention du pouvoir de police de ces personnalités élues sur les animaux ne dépend nullement de l’étendue de leurs connaissances juridiques.

91Aussi, il n’est pas rare que les arrêtés municipaux soient sanctionnés par les tribunaux. On peut citer l’exemple de l’annulation de l’arrêté du maire de Divonne-les-Bains interdisant l’installation de cirques et de spectacles impliquant des animaux, au motif qu’il n’y avait pas de trouble à l’ordre public, et que le maire ne pouvait s’arroger un droit initialement dévolu au préfet pour faire interdire une telle manifestation sur sa commune42.

92Dans le même ordre, un maire a déjà été sanctionné par une cour d’appel pour s’être substitué aux droits du propriétaire sur l’animal, au motif qu’il n’avait pas respecté la procédure du contradictoire visé par l’article L. 211-11 du Code rural et de la pêche maritime. En l’espèce, des bovins qui divaguaient sur la voie communale ont été placés dans un lieu approprié sur ordre du maire, puis cédés à une association. Or, l’Officier ministériel n’avait pas respecté la procédure contradictoire de mise en demeure obligatoire préalable au retrait des animaux ; alors que la divagation n’entraînait « aucun danger grave et imminent » qui justifiait un placement et une cession immédiate43.

93Ainsi, l’action du maire sur l’animal est surveillée par les instances juridictionnelles, autant que celle du commissaire de justice.

94En définitive, l’insuffisance des pouvoirs des commissaires de justice sur les animaux s’explique par un pouvoir de police qui appartient au seul pouvoir administratif cœrcitif, lequel agit dans la sphère publique pour assurer l’ordre et la sécurité publique.

95Le commissaire de justice en est exclu, et son champ d’action sur l’animal est cantonné à la sphère privée. Or, dans ce cadre, les misions des commissaires de justice sur l’animal sont limitées par l’obligation de respecter un mandat.

B. L’obligation faite au commissaire de justice de respecter un mandat

96Le commissaire de justice a un statut hybride : en tant qu’officier ministériel investi d’un monopole d’exécution, il est tenu de prêter son ministère chaque fois qu’il en est requis44. Mais, exerçant à titre libéral45, il est tenu de respecter les règles du mandat.

97Dès lors, son champ d’action sur l’animal est cantonné à l’étendue de la mission qui lui est conférée par le mandant, lequel provisionnant les honoraires nécessaires à l’exécution d’une prestation46.

98Et, dans ce domaine, on ne peut pas dire que l’animal soit la priorité.

99Premièrement, l’ordonnateur d’une procédure d’exécution n’est intéressé que par l’encaissement d’une somme d’argent qui lui revient, ou la récupération d’un bien qui lui appartient. De sorte, il va expressément mandater l’officier ministériel à une tâche définie.

100Deuxièmement, le commissaire de justice ne peut se prévaloir d’une provision de prise en charge de l’animal, car l’objet vivant est un aléa que les procédures civiles d’exécution n’ont pas anticipé.

101Aussi, si l’officier ministériel découvre un animal à prendre en charge, il a l’obligation de solliciter l’accord du mandant sur le coût financier que comporte l’accompagnement de l’objet vivant.

102Si le mandant refuse d’avancer les honoraires, le commissaire de justice doit se retirer !

103Dans le cas d’une maltraitance, il ne reste à l’exécutant qu’à aviser le procureur de la République au visa de l’article 40 du code de procédure pénale, en espérant qu’une procédure pénale soit relayée à cette saisine.

104Pourtant, afin d’éviter l’abandon de l’animal soumis aux voies d’exécution, il pourrait être proposé une financiarisation collective de sa prise en charge (tel un fonds budgétaire par exemple), lorsque celui-ci est retrouvé ou mis en cause par un commissaire de justice.

105D’ailleurs, la CEPEJ – Commission européenne pour l’Efficacité de la Justice – dans le Guide des bonnes pratiques en matière d’exécution des décisions de justice, recommande qu’il soit proposé aux créanciers qui ne peuvent avancer ou régler les frais d’exécution, « un dispositif d’aide judiciaire […] quelle que soit la nature du titre exécutoire dont ils sont munis »47.

106On peut craindre toutefois que cette proposition d’aide financière s’apparente à l’aide juridictionnelle48 telle que nous la connaissons, et qui ne concerne que la seule espèce humaine.

107En effet, l’animal n’est pas une priorité européenne pour la CEPEJ eu égard au seul fait que, dans aucun des rapports ou réunions de cette commission, il n’a été fait mention de la prise en charge de l’animal en matière d’exécution.

108À croire que la commission n’a pas (ou pas encore) vocation à s’intéresser au sort de l’animal puisque le Programme d’activités 2022-2023 de la CEPEJ n’en fait nullement allusion49.

109Ainsi, le commissaire, qui dans l’exercice de ses fonctions est confronté à la sauvegarde de l’animal, doit faire des choix cornéliens. À défaut de pouvoirs suffisants ou clairement établis par les textes, il s’adapte à la réalité du terrain. Au pire, il ignore l’animal et procède à sa voie d’exécution en méconnaissance de l’être sensible. Au mieux, il sollicite de son mandant une provision suffisante pour la prise en charge de l’animal (soins vétérinaires ou de garde auprès d’un service de protection animalier). À défaut, il peut prendre la responsabilité du sort de l’animal avec les risques liés à l’engagement d’une responsabilité civile en cas de difficulté liée à la nature vivante de l’objet.