1La condition animale occupe une place importante dans les médias français. En effet, ces derniers se font le relais des mauvais traitements infligés aux animaux, qu’il s’agisse par exemple de la vivisection – c’est-à-dire la dissection expérimentale pratiquée sur un animal vivant –, du broyage de poussins mâles vivants dans un élevage ou encore des maltraitances subies par des animaux de compagnie. Ces violences suscitent l’émoi et l’indignation de la plupart des citoyens français. La protection de l’animal est alors aujourd’hui un phénomène de société, d’autant que les connaissances scientifiques et l’évolution de la réflexion philosophique permettent de mieux comprendre les comportements des animaux, leur intelligence et leur sensibilité2. Répondant aux attentes sociétales nouvelles souhaitant éradiquer la souffrance et le mal-être des animaux, la protection juridique des animaux se développe considérablement depuis ces dernières décennies. En effet, plusieurs normes protectrices sont entrées en vigueur en France afin de vivre dans une société plus pacifique et plus respectueuse des animaux ; preuve en est la récente loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes3.

2Cependant, comme l’affirmaient Florence Burgat et Jean-Pierre Marguénaud, « le décalage entre les règles de droit et leur application concrète, que l’on observe en tous domaines, n’est peut-être jamais aussi grand qu’en matière de protection des animaux. La soumission de l’élevage, des transports, de l’abattage, de l’expérimentation… aux exigences de la rentabilité et à l’inflexible loi du marché mondialisé font qu’il n’y a sûrement jamais eu autant d’animaux souffrant aussi terriblement que depuis qu’il existe des lois pour les protéger »4. Dès lors, les affaires judiciaires ou administratives rendent cette protection de plus en plus effective en condamnant la maltraitance et l’abandon des animaux. Le juge du référé-liberté s’estime par exemple compétent pour connaître le cas d’une euthanasie prévue pour un chien5 et le juge judiciaire pour connaître des cas de maltraitances infligés aux animaux. La chambre criminelle de la Cour de cassation estime, par exemple, que le fait d’attacher volontairement un animal à une laisse à l’arrière d’un véhicule pour parcourir une courte distance constitue un fait de nature à démontrer une volonté de « faire souffrir inutilement et stupidement cet animal »6.

3Cependant, cette protection juridictionnelle des animaux présente, en pratique, des lacunes. Ce peut être tout d’abord le fait d’un manque de clarté du droit de l’animal et de son statut. En effet, les animaux sont considérés, selon l’article 515-14 du Code civil, comme des êtres vivants doués de sensibilité mais sont, sous réserve des lois qui les protègent, toujours rattachés au régime juridique des objets. Alors que le Code pénal prévoit que constituent des délits les sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux (articles 521-1 à 521-2) et les atteintes volontaires à la vie de l’animal (articles 522-1 à 522-2), il autorise dans le même temps les courses de taureaux et les combats de coqs au nom des traditions culturelles (article 522-1, al. 2). Bien que rattachés au régime juridique des objets, les animaux ont-ils finalement des droits et libertés ? sont-ils fondamentaux ?7 ont-ils le droit à la vie ?8 sont-ils protégés pour eux-mêmes ou pour une pédagogie morale tournée vers l’Homme ?9 de quels animaux parle-t-on précisément ? tant de questions auxquelles il n’existe à l’heure actuelle aucune certitude et avec lesquelles le juge doit composer.

4En outre, « (l)es animaux n’ayant pas accès au langage, ils n’ont pas accès à l’univers symbolique et donc au droit. Ils peuvent émettre des sons et aussi communiquer : répondre à certains signaux, apprendre à indexer des signaux sur des choses du monde réel, et même reconnaître des signes abstraits pour les animaux les plus intelligents (un chien saura ainsi répondre à son nom). La communication n’est cependant pas du langage, lequel suppose précisément l’accès à un monde symbolique »10. Ignorant ainsi tout de l’essence du droit, l’animal ne peut, de lui-même, dénoncer les mauvais traitements qui lui sont infligés. Et lorsque ces mauvais traitements sont connus, encore faut-il qu’une personne habilitée par les textes juridiques puisse représenter l’animal11 puisqu’il ne peut demander ou réclamer que justice lui soit rendue. Outre la problématique des conditions d’accessibilité à une protection juridictionnelle, se pose également la question de l’établissement des preuves, ce qui réduit considérablement le nombre d’affaires pouvant être portées devant le juge.

5Cette protection juridictionnelle, aussi indispensable soit-elle, reste somme toute relative. Pourrait alors être étudiée en complémentarité une protection non juridictionnelle, voire non contentieuse. Cette dernière pourrait être assurée par un Défenseur des droits des animaux qui permettrait une meilleure effectivité des droits des animaux. Le précurseur de cette idée a été Robert Badinter lors de ses propos conclusifs au colloque « Droit et personnalité juridique de l’animal » du 22 octobre 2019 à l’Institut de France :

« Je dois dire que, s’agissant de ce qui demeure notre commune préoccupation, quels que soient les aspects techniques qu’elle revêt ou les conséquences juridiques qu’elle suggère, la grande question est la protection et la sauvegarde des animaux dans notre société, pour ne pas dire dans notre civilisation. […] Parmi les techniques envisagées, j’en suggérerais une, parce que l’expérience me permet de savoir que l’on vote des textes, mais que souvent, ils ne demeurent guère effectifs dans la pratique. En revanche, je crois beaucoup à l’effectivité des autorités administratives indépendantes. […] Écrire des lois, rendre des décisions, tenir des colloques, formuler des codes, c’est bien. Mais seule une autorité indépendante est de nature à permettre d’étendre la protection, la sauvegarde nécessaire des animaux qui sont, disons-le, nos compagnons de vie, et souvent fraternels. »

6L’idée a même été reprise le 13 juillet 2021 par trente-cinq députés dont Loïc Dombreval (LREM) et Laëtitia Romeiro-Dias (LREM) dans une proposition de loi portant création d’un Défenseur des droits des animaux12. Elle n’a, pour le moment, qu’été renvoyée à la commission des affaires économiques. Selon les députés, « (s)i nos concitoyens réclament une amélioration de la condition animale, c’est surtout le sentiment d’impunité et de manque d’application des nombreux dispositifs existants qui est souvent pointé du doigt. […] Ainsi, cette proposition de loi vise à se doter d’une instance capable de faire appliquer le droit dans le domaine de la protection animale en créant un Défenseur des droits des animaux. Il s’agirait d’une autorité administrative indépendante, en mesure de garantir l’application réelle des dispositifs déjà existants »13.

7Une autorité administrative indépendante (AAI) est un organisme public doté ou non de la personnalité morale14 dont les fonctions présentent des garanties d’indépendance par rapport à l’administration ordinaire. Ces AAI ont une organisation spécifique distincte de l’administration ordinaire15 puisqu’elles ne sont pas soumises, dans leur mode de fonctionnement, à un contrôle de tutelle de la part du Gouvernement. Les AAI sont ainsi libres de déterminer leur(s) action(s) et les conditions d’exercice de leur pouvoir de régulation16. Selon Martin Collet, la régulation serait « l’ensemble des techniques visant à faire participer les destinataires des normes unilatérales (“molles” ou “dures”) à leur élaboration, ainsi que l’ensemble des normes unilatérales “molles”, c’est-à-dire formellement non impératives et/ou sanctionnées, mais ayant vocation à être suivies »17. L’autonomie et la régulation constituent ainsi les conditions d’une capacité d’influence de l’opinion publique et des personnes concernées.

8Les AAI sont une catégorie difficile à délimiter car chaque création répond de manière pragmatique et ajustée aux nécessités d’une régulation d’un secteur sensible dans lequel l’intervention directe de l’administration de l’État n’est pas souhaitée du fait d’une volonté d’indépendance politique. Il s’agit notamment de la régulation des activités économiques et financières18, de l’évaluation d’activités ou de politiques publiques19 ou encore de la protection et la défense des droits des citoyens dans leurs relations à l’administration20. Les animaux n’étant pas toujours dans une relation avec l’administration21, rien n’empêche la création d’un nouveau domaine d’intervention afin de répondre de manière pragmatique au besoin de réguler le secteur de la condition animale. Cette AAI pourrait alors prendre le nom de « Défenseur des droits des animaux ». Tout comme le Défenseur des droits humains (DDD) et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) qui sont des autorités administratives indépendantes22 permettant de rendre visible des atteintes aux droits des personnes placées dans des situations désavantageuses ou vulnérables23, le Défenseur des droits des animaux pourrait agir de manière similaire en faveur de la protection des animaux.

9Bien que le sujet soit prospectif, il s’agit ici d’une étude juridique qui a uniquement vocation à s’intéresser aux intérêts et opportunités juridiques du développement d’une autorité administrative indépendante pour veiller au respect des droits des animaux. Cette étude ne prétend pas être prescriptive : certains éléments pourraient être ajustés, modifiés, complétés, voire supprimés. Le développement d’une telle autorité en France mériterait alors d’être juridiquement analysé. Quelles seraient les raisons pour lesquelles la France pourrait se doter d’un Défenseur des droits des animaux et quelles seraient ses modalités de fonctionnement et d’exercice ? Une autorité administrative indépendante rendrait davantage effectifs les droits des animaux (I) grâce à des facultés adaptées à la régulation de la condition animale (II).

I. La garantie d’une application effective des droits des animaux

10Les instances de garantie non juridictionnelle permettent une protection effective des droits des animaux puisqu’elles interviennent avant même qu’il y ait eu un litige et surtout parce qu’elles privilégient le recours à des mécanismes incitatifs de direction des conduites24. Cette garantie, pour être optimale, pourrait s’opérer par la création d’une autorité administrative indépendante remédiant aux carences institutionnelles déjà existantes (A) dont l’objet serait spécifique à la protection animale (B).

A. Une nouvelle institution remédiant aux carences institutionnelles existantes

11En pratique, plusieurs acteurs œuvrent pour rendre plus effectifs les droits des animaux mais leurs actions ou moyens d’action comportent bien souvent des limites.

12Les associations de défense des animaux limitées. Bien que les organisations non gouvernementales ou les associations dénoncent des maltraitances dans les médias dans l’intérêt des animaux, leurs dénonciations s’opèrent bien souvent par des biais politiques et médiatiques dont l’objectif est de faire évoluer le droit des animaux. L’autorité administrative indépendante, quant à elle, n’aurait pas pour objectif le militantisme mais se positionnerait uniquement dans un cadre juridique, à savoir celui d’assurer l’effectivité en pratique des droits des animaux. En outre, quand bien même les ONG ou les associations de défense des animaux peuvent être reconnues comme des organisations d’utilité publique, elles ne peuvent procéder aussi facilement à la régulation du secteur de la condition animale que ne pourrait le faire une autorité administrative indépendante. En effet, puisque l’AAI émane de l’État, elle disposerait de prérogatives particulières – que nous développerons dans la seconde partie de l’étude – lui permettant d’être davantage entendue par les personnes concernées. Contrairement à l’AAI, les associations de défense des animaux n’ont pas les compétences pour contrôler à leur convenance les établissements détenant les animaux comme les parcs nationaux, les cirques ou encore les élevages.

13Le manque d’efficacité et d’indépendance des corps d’inspection spécialisés. D’autres structures contrôlant la condition animale peuvent être habilitées cette fois-ci à se rendre plus facilement dans les lieux dans lesquels se trouvent les animaux. Il s’agit notamment des vétérinaires-inspecteurs des directions départementales des services vétérinaires, des techniciens supérieurs du ministère de l’Agriculture, des ingénieurs de l’agriculture et de l’environnement, des ingénieurs fonctionnaires du génie rural et ceux des eaux et forêts, des gardes de l’établissement public de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, des gardes champêtres, de la police municipale dans le cadre public de la commune, de la gendarmerie ou police nationale25. Ces contrôles ne portent pas uniquement sur la condition animale puisqu’ils portent également sur les documents administratifs et sanitaires et sur les locaux. « Il est vérifié en particulier que les obligations légales de conformité sont respectées, et que les agréments ou certificats de capacité ont été obtenus. Certains contrôles sont effectués plus ou moins régulièrement à l’initiative des administrations, d’autres le sont à la suite de dénonciations ou de plaintes. D’autres encore, exceptionnels mais alors massifs et en urgence, pour des motifs sanitaires, par exemple lors d’une épizootie »26.

14Ces contrôles déjà existants sont toutefois insuffisants et parfois inefficaces. En effet, le contrôle est rendu « difficile par le nombre des domaines d’intervention, la diversité des infractions, sans oublier le nombre considérable des animaux concernés, qu’ils soient de consommation, de compagnie, de laboratoire, des animaux sauvages captifs, au total largement plus d’un milliard. Faute de personnel, l’administration fait preuve d’un optimisme angélique en espérant trouver une efficacité fiable dans l’autocontrôle délégué aux établissements eux-mêmes »27. Permettre aux établissements de se contrôler eux-mêmes paraît dès lors incongru. Marie Coulon et Jean-Claude Nouët évoquent même un manque de connaissance et d’expertise en pratique des personnes habilitées à protéger les animaux. Par exemple, « les douaniers sont peu nombreux à être formés à la reconnaissance scientifique des nombreuses espèces protégées par la [Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction] et ne disposent pas de locaux ni d’équipements appropriés pour héberger et soigner les animaux saisis en attente de leur placement définitif »28.

15En outre, la protection de la condition et du bien-être animal opérée par ces corps d’inspection spécialisés ne peut être absolue, car ces derniers sont rattachés au gouvernement29 qui, lui-même, peut être sous l’influence des lobbies. À titre d’exemple, le ministre de la Transition écologique se pose la question des intérêts de la chasse ; le ministre de l’Agriculture et de la Pêche se pose la question des intérêts de la production agroalimentaire et de la pêche industrielle. Sachant qu’il n’existe à l’heure actuelle aucun ministère spécifiquement dédié à la cause animale, l’ensemble des problématiques relatives aux animaux se chevauchent, qu’elles soient dans l’intérêt de l’humain ou pour la protection de l’animal.

16Quid d’un ministère ou secrétaire de la condition animale ? L’on pourrait alors s’interroger sur la création d’un ministère à la Condition animale. Selon un sondage de l’IFOP, « une large majorité de Français (68 %) considère que le gouvernement ne prend pas suffisamment en compte la protection animale dans sa politique »30. En 2017 en France, a été entreprise une pétition réclamant un ministère ou même un secrétaire d’État à la Condition animale à l’instar de la Wallonie (Belgique). Malgré plus de cent mille signatures atteintes en 2021, la pétition n’a pas été entendue puisque le gouvernement de Jean Castex n’a prévu aucune direction ministérielle ou structure interministérielle pour la condition animale. Cette proposition pourrait alors être reprise lors de l’élection présidentielle de 2022. Si tel est le cas, un ministère ou un secrétaire d’État à la Condition animale permettrait de mener une politique publique avec un portefeuille ministériel dédié à la cause animale. Qu’il y ait un tel ministère en place ne prive toutefois pas d’intérêts la création d’un Défenseur des droits des animaux. En effet, leurs rôles respectifs seraient complémentaires puisque, contrairement à un ministère à la Condition animale dont l’objectif est de mener une politique publique, l’AAI aurait pour impératif de rendre effectifs les droits des animaux en pratique en apportant une expertise technique de terrain.

17En outre, s’il peut y avoir pour le ministre une obligation de conduire une politique conforme à celle souhaitée par le président de la République et le Premier ministre au risque d’un remaniement du gouvernement, le Défenseur des droits des animaux, quant à lui, pourrait mener des actions selon sa propre convenance puisque, premièrement, il ne pourrait être ni révoqué31 ni renouvelé32 et, deuxièmement, il ne recevrait et ne solliciterait dans l’exercice de ses attributions aucune instruction33. Dès lors, le Défenseur des droits des animaux peut agir de manière indépendante alors que les moyens humains, matériels et financiers dédiés à un ministère dépendent du gouvernement en place. Il faut toutefois mentionner que si le financement de l’AAI est assuré par des crédits ouverts sur le budget général de l’État34, comme c’est notamment le cas du DDD ou du CGLPL, le Défenseur des droits des animaux resterait maître de la détermination et de l’exécution de son budget.

18In fine, ces manques d’indépendance, d’harmonisation et de moyens octroyés à la protection non juridictionnelle ne permettent pas suffisamment de protéger la condition animale. L’avènement d’un Défenseur des droits spécifique aux animaux permettrait d’y remédier.

B. Une nouvelle institution avec des objectifs dédiés à la protection de la condition animale

19L’avènement d’une nouvelle AAI. Pourrait tout d’abord se poser la question d’un rattachement des animaux au Défenseur des droits humains ou au Contrôleur général des lieux de privation de liberté déjà existants. Que ce soit pour le CGLPL ou le DDD, les prérogatives assignées semblent déjà bien délimitées. Il s’agit davantage de défendre les droits et libertés des personnes dans leurs relations à l’administration que de défendre les droits et libertés de manière générale ; les animaux se situant d’ailleurs très peu dans une relation avec l’administration35. Ajouter à l’une de ces deux institutions une compétence de protection des droits des animaux dénoterait donc fortement par rapport à la légitimité qu’elles ont acquise dans leur domaine de compétence respectif. En outre, ajouter au CGLPL l’ensemble des établissements détenant des animaux ou au DDD l’ensemble des saisines concernant la condition animale paraîtrait illusoire, voire absurde. En effet, le CGLPL doit déjà veiller au respect des droits fondamentaux dans près de 5 500 lieux36, sachant que par année, il opère environ 150 visites37. Le DDD, quant à lui, a reçu par exemple en 2020 plus de 165 000 demandes d’intervention ou de conseils pour seulement 226 agents au siège et 536 délégués38.

20Si l’objectif est de créer une nouvelle autorité administrative indépendante, cette dernière ne saurait participer à la « prolifération »39 incontrôlée de ce type d’institution, problème sur lequel, en 2015, le Sénat avait livré un rapport sur les AAI afin d’alerter sur l’absence de cohérence et de rationalité de cette catégorie institutionnelle40. Pour pallier ce problème, est entrée en vigueur la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes. Dès lors, la création d’un Défenseur des droits des animaux ne participerait pas à la prolifération incontrôlée des AAI puisqu’en se calquant sur le statut légal offert par la loi du 20 janvier 2017, elle ne créerait pas une nouvelle forme d’AAI.

21L’environnement et les animaux. Si la protection des animaux ne peut être rattachée à celle de l’Homme, pourrait-elle l’être à celle de l’environnement ? Concilier l’environnement et l’animal aurait pour effet de réduire les animaux à une vision encore anthropocentrique et utilitariste du respect ou de la protection des animaux car, en France, l’environnement est tourné vers la protection de la biodiversité pour que l’homme puisse avoir une vie saine. De plus, une AAI pour l’environnement prônerait les « libertés communes » c’est-à-dire le droit à l’environnement et le droit à un environnement sain pour les générations actuelles et futures41. Elle pourrait protéger les animaux sauvages, mais pas l’ensemble des animaux. Florence Burgat et Jean-Pierre Marguénaud affirmaient dans leur ouvrage Le droit animalier que « (l)e droit de l’environnement a une tendance très marquée à protéger la biodiversité et les espèces menacées de disparition sans se préoccuper le moins du monde de la sensibilité de chaque animal qui les compose, alors que le droit animalier tente de faire sa place à partir de la prise en compte de la sensibilité de tout animal domestique ou sauvage »42. Une AAI spécifique aux animaux permettrait alors de prendre en considération chaque animal et ce, peu importe la catégorie à laquelle il appartient.

22La protection des animaux non humains uniquement. Si l’on s’en tient à une AAI refusant l’écueil de l’anthropocentrisme, il s’agirait de protéger uniquement les droits des animaux et non pas des propriétaires des animaux, des particuliers, ni des humains. Pour permettre cette protection, plusieurs objectifs seraient assignés au Défenseur des droits des animaux.

23Rendre effectifs les droits des animaux. À l’évidence, et à l’instar du DDD ou du CGLPL, il s’agirait de doter la France d’une instance capable de garantir l’application réelle des dispositifs juridiques en vigueur. L’objectif premier pouvant lui être assigné serait alors de veiller à ce que les droits des animaux43 soient respectés en pratique.

24Ce Défenseur des droits des animaux s’appuierait sur les sources contemporaines du droit animalier. Comme l’indique Jacques Leroy dans l’ouvrage Le droit animalier, ces sources sont réparties entre le Code pénal, le Code civil, le Code rural et de la pêche maritime et le Code de l’environnement. Le Code pénal protège les animaux contre les abandons, sévices graves ou de nature sexuelle et actes de cruauté (art. 521-1 à 521-2 ; R. 654-1 et R. 655-1), les atteintes volontaires à la vie de l’animal (art. 522-1et 522-2) ainsi que la prévention et la protection des animaux dangereux (art. R. 622-2 et 623-2). Le Code civil reconnaît l’animal comme un être vivant doué de sensibilité (art. 515-14). Le Code rural et de la pêche maritime reconnaît également la sensibilité de l’animal (art. L. 214-1, L. 214-3, L. 214-4, L. 214-5) et comprend « (la) prévention, (la) surveillance et (la) lutte contre les dangers sanitaires concernant les animaux, garde et circulation des animaux domestiques et sauvages apprivoisés ou tenus en captivité, identification et déplacement des animaux, cession d’animaux et des produits d’animaux, protection des animaux, dangers zoosanitaires, médecine et chirurgie, sécurité sanitaire des aliments. Il renvoie aussi au Code de la consommation quand il s’agit de cession (art. L. 213-1) »44. Le Code de l’environnement, quant à lui, protège des espèces protégées et traite « des milieux aquatiques et marins, des parcs nationaux, des établissements détenant des animaux d’espèces non domestiques, de la conservation des habitats naturels, de la faune sauvage, sans oublier le droit de la chasse ou de la pêche »45.

25Pour rendre effectif les droits des animaux, et comme le prévoyait la proposition de loi portant création d’un Défenseur des droits des animaux du 13 juillet 2021, le Défenseur des droits des animaux veillerait « au respect, par l’État, de ses engagements en matière de bien-être animal »46, « au respect de la réglementation applicable aux animaux par les personnes morales, publiques comme privées, exerçant des activités en lien avec les animaux sur le territoire de la République »47 et « au respect de la réglementation applicable aux animaux par les personnes physiques, propriétaire ou détentrice d’animaux »48.

26In fine, il s’agirait de veiller de manière générale au respect des droits des animaux, de soulager la souffrance animale chaque fois que cela est possible et de faire évoluer les pratiques illégales et illicites.

27Apporter une expertise technique en matière animale. Une deuxième mission accordée au Défenseur des droits des animaux serait celle d’apporter un appui technique d’expertise. Il s’agirait de vérifier sur le terrain le respect des droits des animaux et donc d’apporter des informations et réflexions de haut niveau. Pour veiller au respect des droits des animaux en pratique, le Défenseur des animaux devrait acquérir une connaissance pointue des thématiques propres à la condition animale, ce qui lui permettrait de développer une expertise complète et concrète49. La participation de professionnels tels que des juristes, des vétérinaires, des ethnologues, des biologistes, des psychologues – et bien d’autres – permettrait de garantir l’information la plus parfaite possible, de prendre les bonnes mesures avec les réalités de terrain et de réagir avec souplesse aux difficultés rencontrées.

28Pour asseoir une forte légitimité, et à l’instar du CGLPL et du DDD, le Défenseur des droits des animaux pourrait voir à sa tête une personne dont les qualités et le prestige social ou ses valeurs sont notoirement reconnus50. Jean-Jacques Hyest évoquait à propos du CGLPL que « le choix de la première personnalité appelée à exercer les fonctions de Contrôleur général revêtira une importance essentielle pour asseoir le magistère moral de cette autorité » et que « cette personnalité devra réunir la compétence et l’expérience nécessaires pour bénéficier d’un crédit incontestable auprès de l’opinion publique tout en suscitant la confiance des administrations et des personnels responsables des lieux soumis à son contrôle »51. Il pourrait ainsi en être de même pour le Défenseur des droits des animaux.

29Participer à l’amélioration du droit pour les animaux. Enfin, une autre mission du Défenseur des droits des animaux, et non des moindres, serait celle de participer à l’amélioration de la protection légale des animaux. Pour cela, l’un des pouvoirs accordés au Défenseur des droits humains et au Contrôleur général des lieux de privation de liberté pourrait être transposé au Défenseur des animaux. Dans son domaine de compétence, le Défenseur des animaux pourrait émettre des avis, formuler des recommandations aux autorités publiques et proposer au Gouvernement toute modification des dispositions législatives et réglementaires applicables aux animaux ; tout comme le font le CGLPL et le DDD. Le CGLPL s’est par exemple adressé aux parlementaires en 2016 dans le cadre de l’examen au Sénat du projet de loi renforçant la lutte contre la criminalité organisée, le terrorisme et leur financement52. Le Défenseur des droits a par exemple émis un avis sur le très récent projet de loi relatif à la protection des enfants le 15 octobre 202153 et propose des réformes réglementaires ou législatives qu’il appelle les « fiches réforme ».

30Le Défenseur des droits des animaux pourrait être entendu sur des projets de loi afin de communiquer son expertise technique, comme l’ont déjà été le CGLPL ou le DDD54. Il est en effet reconnu que le Parlement tire grand profit des observations formulées par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et par le Défenseur des droits humains dans le cadre de l’examen de projets de loi, ne serait-ce qu’en mentionnant leurs travaux lorsque cela est nécessaire. Le CGLPL et le DDD contribuent ainsi à faire évoluer la situation des personnes concernées par leurs domaines de compétence respectifs et, à plusieurs reprises, le Parlement s’est appuyé sur leurs avis, recommandations et propositions pour faire évoluer la loi. Le Défenseur des droits des animaux pourrait également contribuer à faire évoluer la situation des animaux.

31Le développement d’un Défenseur des droits des animaux en France présenterait ainsi de forts intérêts pour rendre les droits des animaux davantage effectifs. Pour cela, il doit être doté de facultés nécessaires à la réalisation de sa mission.

II. Des facultés adaptées à la régulation de la condition animale

32La valorisation des droits des animaux s’opérerait par la création d’un Défenseur des droits des animaux pourvu de modalités de fonctionnement et d’exercice permettant une meilleure connaissance de la condition animale et des droits des animaux (A) et une protection plus effective de leurs droits (B).

A. Une meilleure connaissance de la condition de vie et des droits des animaux

33Pour que le Défenseur des droits des animaux soit efficace, il faut non seulement qu’il apporte une connaissance de la condition de vie et des droits des animaux, mais aussi que cette connaissance soit un gage de qualité et de crédibilité. En effet, une fois divulguée, elle pourrait renforcer la sensibilité du public aux conditions animales.

34Le recueil de l’information. Cette connaissance qualitative et crédible s’opérerait de deux façons : par une information diversifiée et par une information exigée55.

35L’information n’est diversifiée et pertinente que si le Défenseur des droits des animaux mobilise tous les outils mis à sa disposition. Ce dernier pouvant être autonome dans son fonctionnement, il doit pouvoir mobiliser des outils novateurs et variés tels que les sondages, la production de statistiques, la mise en place de diverses consultations et enquêtes sur des sujets spécifiques56. De plus, et comme c’est notamment le cas pour le CGLPL et le DDD, le Défenseur des droits des animaux pourrait s’informer à travers un réseau de correspondants et de délégués implantés au niveau local puisqu’ils auraient une connaissance concrète des problèmes et dysfonctionnements de terrain.

36Plus encore, les autorités administratives indépendantes ne disposant pas toujours des moyens techniques ou financiers permettant de procéder au recueil de l’information dans son entièreté, l’on pourrait se laisser séduire par le fait que le Défenseur des droits des animaux coopérerait avec les instances et organisations internationales (avec par exemple l’UNESCO, World Wide Fund for Nature, etc.) ou encore avec les associations, les organismes de protection déjà existants susmentionnés, les administrations de l’État et organismes de contrôle interne à l’administration (avec par exemple l’institut Jane Goodall France, les inspecteurs de santé publique vétérinaire, etc.) dans l’objectif de partager des expertises ou solliciter diverses informations. À titre d’exemple, le CGLPL, qui ne peut se rendre de manière permanente dans un lieu privatif de liberté, a établi un partenariat avec l’inspection des services pénitentiaires afin d’obtenir des informations quant au suivi de ses recommandations57. Il pourrait en être de même pour le Défenseur des droits des animaux : après avoir établi une recommandation suite à l’une de ses visites, un inspecteur de santé publique vétérinaire pourrait l’informer des suites qui lui auront été données.

37Pour obtenir cette information, le Défenseur des droits des animaux pourrait même être saisi. Contrairement au juge qui ne peut être saisi que par une association, par le propriétaire de l’animal ou par le déclenchement de l’action publique du ministère public dans le cadre d’un procès pénal, le Défenseur des droits des animaux pourrait soit se saisir lui-même, soit être saisi, de manière gratuite, par toute personne s’estimant témoin d’une violation d’un ou des droits des animaux. La proposition de loi n° 4351 du 13 juillet 2021 prévoit même que le Défenseur des droits des animaux pourrait être saisi « par un juge, dans le cadre d’un litige impliquant un acte de maltraitance animale, pour (qu’il) réalise une médiation entre les parties ».

38Au-delà d’une information diversifiée, les autorités administratives indépendantes doivent être en capacité de rassembler les informations utiles et pertinentes pour nourrir leur expertise auprès de toute personne susceptible de l’éclairer. Exiger une information est un pouvoir non négligeable qui, contrairement à une association de défense des animaux, peut être attribué à une autorité administrative indépendante. L’information exigée dépend de l’attribution de compétences d’accès aux informations et de pouvoir de contrainte offert à l’autorité administrative indépendante. Ce défenseur pourrait alors demander des documents et vidéosurveillances, ordonner des convocations, procéder à des auditions ou diligenter certaines investigations sur place. Il pourrait notamment, tout comme le fait le CGLPL, se rendre de manière inopinée dans des lieux détenant des animaux dans lesquels les personnes privées ou publiques exerçant une activité professionnelle en lien avec les animaux ne pourraient s’opposer à sa visite. La proposition de loi n° 3265 du 28 juillet 2020 visant à améliorer le bien-être des animaux de compagnie proposait en ce sens que « le Défenseur des animaux peut visiter à tout moment, sur le territoire de la République, les refuges, élevages ou fourrières mentionnés à l’article L. 214‑6 du Code rural et de la pêche maritime ainsi que les lieux de vente, de transit, de garde, d’éducation, de dressage et de présentation au public d’animaux de compagnie ».

39La chose semble toutefois se complexifier s’il s’agit d’une personne privée possédant au moins un animal mais qui n’exerce aucune activité professionnelle en lien avec les animaux. Le propriétaire de l’animal pourrait accepter la venue du Défenseur des droits des animaux – comme il peut déjà le faire par exemple pour les agents de la SPA enquêtant sur la maltraitance d’un animal – afin qu’il investigue son domicile. Mais ce propriétaire privé pourrait tout aussi bien refuser l’entrée à son domicile du Défenseur des droits des animaux et ce dernier ne pourrait le contraindre en vertu de l’article L. 226-4 du Code pénal qui dispose que « l’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». Sans l’assentiment du propriétaire et seulement si les nécessités de l’enquête relative à un délit passible d’une peine d’emprisonnement l’exigent, il devrait faire appel à un officier de police judiciaire disposant d’une commission rogatoire délivrée par un magistrat pour qu’il puisse contrôler dans ce lieu le respect de la réglementation applicable aux animaux (art. 76 du Code de procédure pénale).

40Permettre à ce Défenseur d’être doté d’une telle prérogative soulagerait les associations de défense des animaux qui opèrent de très nombreuses enquêtes afin de vérifier le bien-fondé des signalements de maltraitance reçus. La SPA a par exemple mené, en 2019, 14 181 enquêtes58. Cela permettrait également au Défenseur des droits des animaux d’avoir une connaissance étendue de la condition animale sur l’ensemble du territoire de la République, y compris au sein des domiciles. Enfin, les corps d’inspection de la condition animale et les associations de défense des animaux étant à l’heure actuelle largement dispersés en fonction du type d’animal et tributaires des compétences et des moyens financiers et humains, une telle compétence permettrait au Défenseur des droits des animaux d’établir un contrôle harmonieux de la condition animale. A contrario, ajouter les domiciles aux nombreux lieux à contrôler par le Défenseur des droits des animaux paraîtrait incommensurable. En effet, le nombre de lieux dans lesquels une personne publique ou privée exerce une activité professionnelle en lien avec les animaux est déjà considérable. Jean-Marie Coulon et Jean-Claude Nouët affirmaient que l’élevage des animaux de consommation représente à lui seul près de 500 000 établissements59. Les pouvoirs dont disposerait le Défenseur des droits des animaux, s’il avait connaissance d’une violation d’un ou des droits des animaux, seront précisément étudiés dans la seconde sous-partie de l’étude.

41La divulgation de l’information. Pour asseoir une légitimité auprès du grand public et un pouvoir d’influence, le Défenseur des droits des animaux ne doit pas seulement recueillir l’information ; il doit encore la divulguer.

42La divulgation de l’information peut tout d’abord s’opérer par la prévention, c’est-à-dire l’enseignement, la sensibilisation dans les médias, la mise à disposition de l’information sur un site internet dédié ou encore l’apport de conseils juridiques à toute personne souhaitant avoir des renseignements sur l’ensemble de la législation en vigueur portant sur la condition animale. Il ne s’agirait pas pour l’autorité administrative indépendante de remplacer les institutions réalisant déjà une prévention, mais de compléter cette prévention et lui donner davantage de légitimité. En effet, puisqu’il s’agit d’une autorité émanant de l’État mais autonome dans son fonctionnement, cette prévention pourrait avoir un plus fort impact aussi bien auprès des citoyens que des pouvoirs publics.

43La divulgation de l’information, c’est aussi avoir un impact à l’international en participant à des groupes de travail, des études, des congrès internationaux. Par exemple, le CGLPL et le DDD participent à des études internationales pour mettre en œuvre l’effectivité des droits des personnes et faire part des problématiques françaises afin de faire évoluer notre droit et celui des autres États. Le droit animalier étant en pleine progression, les expériences et le droit étrangers permettraient de mettre en avant les points forts et les points faibles de notre système français.

44La divulgation de l’information s’opérerait également lorsque le Défenseur des droits des animaux rendrait publics ses visites, avis, recommandations, rapports annuels au Journal officiel et site internet dédié, comme le font déjà le DDD et le CGLPL. Une autre prérogative du CGLPL et du DDD pourrait être transposée au Défenseur des droits des animaux : celle de saisir les ministères compétents pour alerter sur une situation. Saisir ces autorités les contraindrait à répondre de la pratique puisque le ministère applique une politique publique non respectée.

45La connaissance de la condition animale et de leurs droits ne peut toutefois permettre à elle seule une protection effective des droits des animaux. Pour cela, l’autorité administrative indépendante doit être dotée de certains pouvoirs.

B. Une protection plus effective des droits des animaux

46La régulation des AAI. Les AAI sont dotées d’un statut spécifique différent de l’administration classique pour mener à bien leur mission de régulation. Le Conseil d’État, dans son rapport public de 2001 portant sur les autorités administratives indépendantes, affirmait que l’« on attend […] de la régulation qu’elle assure en continu l’interactivité entre le droit et le fait. Ce qui veut dire qu’il appartient à l’autorité de régulation de faire évoluer en permanence la règle qu’elle applique pour mieux suivre l’évolution de comportements sur le terrain ou l’inventivité des opérateurs, et qu’elle doit parallèlement mettre fin en permanence aux comportements déviants ou susceptibles d’affecter les équilibres du système et plus encore, si possible, les prévenir »60. Lorsqu’il s’agit de réguler un secteur particulier qui relève de son champ de compétence, l’autorité administrative indépendante, de manière générale, peut aussi bien disposer de pouvoirs juridiques classiques que de modes d’intervention plus souples et plus concertés61.

47Les infractions relevant du Code pénal. Parfois, le CGLPL ou le DDD ont connaissance sur le terrain de faits ne relevant pas de leur compétence. Il s’agit notamment de ceux pouvant constituer des infractions pénales et qui paraissent de nature à justifier une sanction pénale. Pour ces cas de figure-là, le DDD et le CGLPL portent à la connaissance du procureur de la République ces faits, et ce sans délai, conformément à l’article 40 du Code de procédure pénale62 puisque ce dernier est compétent pour poursuivre l’auteur de l’infraction devant un tribunal ou une cour d’assises en déclenchant l’action publique. Si le Défenseur des droits des animaux avait, par exemple, connaissance d’une atteinte sexuelle portée sur un animal tenu en captivité dont l’infraction relève du Code pénal lors d’une visite d’un établissement, il pourrait à son tour saisir le procureur de la République.

48Règlement amiable. Contrairement au CGLPL, le Défenseur des droits humains procède à la résolution amiable des différends par voir de médiation63. La proposition de loi du 13 juillet 2021 accorde une telle prérogative au Défenseur des droits des animaux en précisant qu’il serait chargé « sans préjudice des prérogatives que la loi attribue aux autorités judiciaires ou juridictionnelles : (5°) D’organiser des médiations entre les parties à un litige relatif à un ou plusieurs actes de maltraitance animale » (article 1^er). La médiation se définit comme « un processus de communication éthique reposant sur la responsabilité et l’autonomie des participants, dans lequel un tiers – impartial, indépendant, neutre, avec la seule autorité que lui reconnaissent les (parties demandant la médiation) – favorise par des entretiens confidentiels l’établissement, le rétablissement du lien social, la prévention ou le règlement de la situation en cause »64 dans l’objectif d’éviter tout procès. Elle est donc connue pour désengorger les tribunaux et favoriser la rapidité. La médiation est un processus encadré par la loi qui garantit aux parties la confidentialité des échanges et peut donner lieu à diverses solutions comme le changement de comportement, une transaction avec indemnisation, etc. Comme l’indique le Défenseur des droits humains sur son site internet, cette voie est privilégiée lorsque les réclamations indiquent une erreur de procédure, une incompréhension, une défaillance d’une administration.

49Avec la médiation, le Défenseur des droits des animaux interviendrait en facilitant le dialogue entre les personnes concernées par la situation dans l’intérêt de l’animal et en proposant une solution adaptée afin d’éviter toute action en justice. Par exemple, à la suite d’une saisine par une association de défense des animaux d’un cas de maltraitance d’un animal chez un éleveur, ce Défenseur des droits des animaux pourrait trouver une solution adaptée. La médiation n’aurait pas ici pour objectif premier une vision anthropocentrique visant à rétablir une paix sociale entre voisins mais à trouver une solution pour veiller au respect des droits de l’animal maltraité.

50La médiation aurait ses avantages comme ses inconvénients. Elle permettrait une meilleure protection des droits des animaux, surtout que les procès relatifs aux animaux sont encore peu nombreux. Elle aurait toutefois l’inconvénient d’une surcharge de travail pour le Défenseur des droits des animaux qui, rappelons-le, contrôlerait un nombre de lieux considérable (près de 500 000 établissements rien que pour l’élevage des animaux de consommation). Tout dépend également du rôle accordé au Défenseur des droits des animaux. Par exemple, le CGLPL ne procède pas à la résolution amiable des différends, car il est chargé du contrôle des conditions générales de la détention. Il ne s’intéresse ainsi pas en tant que tel aux cas individuels, mais se fonde sur les questions ponctuelles dont il aura été saisi pour relever des problèmes structurels65.

51Les recommandations et les avis. Si la médiation est une prérogative offerte au Défenseur des droits des animaux mais que la procédure amiable échoue, ce dernier pourrait, comme le Défenseur des droits humains, formuler une recommandation exigeant que le problème soit résolu ou qu’une mesure soit prise dans un délai qu’il fixe.

52En dehors de toute demande de règlement amiable et à l’issue du recueil de l’information précédemment évoqué, le Défenseur des droits des animaux pourrait également formuler, comme le fait le CGLPL, toute recommandation ou avis qui lui paraîtrait de nature à garantir le respect des droits et libertés des animaux et à régler les difficultés soulevées devant lui ou à prévenir le renouvellement de ces difficultés. Par exemple, après la visite d’un élevage détenant des animaux de consommation sur le territoire de la République, le Défenseur pourrait émettre une recommandation indiquant à l’éleveur de respecter la surface imposée par la loi pour l’élevage de ses volailles.

53Tout comme le DDD et le CGLPL, ce Défenseur des animaux disposerait d’un véritable droit de suite sur les recommandations qu’il prononce. La personne mise en cause serait tenue de lui rendre compte des suites données à ses recommandations.

54Pouvoir d’injonction. En l’absence de réponse de sa part ou en cas de réponse insuffisante, le Défenseur pourrait exercer un pouvoir d’injonction non juridictionnel, consistant en une sommation adressée au contrevenant à appliquer le contenu de la recommandation afin de « revenir dans le droit chemin juridique »66, et ce, dans un nouveau délai qu’il fixe.

55Dans le cadre du recueil de l’information, l’AAI pourrait également ordonner de lui transmettre certaines informations lui permettant de remplir sa mission, ou encore ordonner des convocations, procéder à des auditions, à des enquêtes sur place. Le pouvoir d’injonction peut parfois revêtir un caractère contraignant grâce aux sanctions qui l’accompagnent. Il s’agit par exemple de la mise en demeure des personnes concernées par un contrôle de répondre à ses demandes de documents, d’informations ou d’observations dans un délai fixé par l’AAI. À l’instar du CGLPL, le législateur peut tout aussi bien rendre punissable le fait d’entraver la mission du Défenseur des droits des animaux. Ainsi, serait puni de 15 000 euros le fait d’entraver la mission du Défenseur des droits des animaux, soit en s’opposant au déroulement de vérifications sur place, soit en refusant de lui communiquer, en dissimulant ou en faisant disparaître les informations ou pièces nécessaires aux vérifications, etc.67.

56La magistrature d’influence. Pour continuer dans cet ordre progressif de contrainte, le Défenseur des droits des animaux pourrait décider de rendre public un rapport spécial si aucune suite n’est donnée à l’injonction, comme le fait le Défenseur des droits humains68. Le CGLPL, quant à lui, rend publics ses avis, recommandations ou propositions après avoir informé les autorités responsables. Il rend également publiques les observations de ces autorités69. Le Défenseur des animaux pourrait à son tour rendre publics ses avis, recommandations et rapports annuels pour asseoir une magistrature d’influence.

57À l’instar de toutes les autres autorités administratives indépendantes existantes en France, un Défenseur des animaux posséderait une réelle magistrature d’influence, c’est-à-dire que les avis, recommandations ou même les rapports qu’il établirait ne relèveraient certes pas de l’impératif ni du contrat, mais feront néanmoins agir les individus70. L’autorité administrative indépendante pourra renfoncer la sensibilité du public aux conditions animales grâce à la médiatisation de ses documents et au fait qu’elle occuperait une place légitime dans le système institutionnel.

58La « magistrature d’influence » est un terme emprunté à Julien Mouchette71. Il s’agit du pouvoir de dénoncer des agissements, des comportements ou des actions d’un établissement ou d’une personne morale mise en cause en raison d’un comportement jugé non conforme aux dispositions en vigueur ou jugé incompatible avec les valeurs promues par l’autorité. Il s’agit, en somme, de changer les pratiques en s’appuyant sur l’opinion publique. Cette dénonciation participe à une réaction de la part de la société civile et s’apparente donc à un pouvoir d’alerte. Par exemple, la publication au Journal officiel des conditions de détention de la prison des Baumettes par le CGLPL a été à l’origine de l’introduction d’une requête initiée par des associations de protection. Dans ce cas, la dénonciation a été une technique efficace d’alerte.

59Pouvoirs juridiques classiques. Outre ces modes d’intervention souples et concertés, pourrait se poser la question d’octroyer au Défenseur des droits des animaux des pouvoirs juridiques classiques tels qu’un pouvoir de décision individuelle, un pouvoir réglementaire ou encore un pouvoir de sanction.

60Un pouvoir de décision individuelle correspondrait à une délivrance d’autorisation ou même à un retrait. Pour ce qui est de la délivrance d’autorisations telles que les permis d’élevage ou de détention de certains types d’animaux, d’autres institutions en ont déjà la charge. Par exemple, la mairie de la commune de résidence décerne des permis de détention de chiens dangereux et la direction départementale des services vétérinaires décerne des permis de détention de certaines espèces protégées. Doter un Défenseur des droits des animaux de cette prérogative d’autorisation de détention d’un animal ne semble pas pertinent puisque son objectif premier est avant tout celui de rendre effectifs les droits des animaux en pratique.

61Concernant les mesures de saisie ou de retrait d’un animal, plusieurs facteurs peuvent en être la cause. Il peut s’agir « d’animaux dangereux, de maltraitance, mais aussi de commerce illégal, de trafic illicite ou encore eu égard à des conditions sanitaires mauvaises »72. Ces opérations sont mises en œuvre par plusieurs autorités. Il s’agit du maire de la commune ou du préfet de département en cas de danger grave ou imminent ; des agents de police, inspecteurs de la santé publique vétérinaire, agents et techniciens du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, vétérinaires et préposés sanitaires contractuels de l’État lors d’une inspection ou d’un contrôle ou encore du procureur de la République et le juge d’instruction lors d’une procédure judiciaire ou lors de contrôles dans le cadre d’une procédure pénale. Permettre au Défenseur des droits des animaux de saisir ou retirer un animal lui permettrait de le protéger plus rapidement sans pour autant devoir nécessairement en faire la demande auprès des autorités compétentes.

62Le pouvoir réglementaire, quant à lui, vise l’aptitude des autorités administratives indépendantes à adopter des règles de droit générales et abstraites permettant de mettre en œuvre une loi. Très peu d’AAI en sont dotées (CSA, CNIL, Commission des sondages, AMF, ARCEP CRE), car ce pouvoir réglementaire ne peut être exercé que dans des domaines avec des techniques particulières et que pour des mesures de portée limitée tant par leur champ d’application que par leur contenu73. Dans sa décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, le Conseil constitutionnel a admis que les dispositions de l’article 21 de la Constitution ne faisaient « pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité autre que le Premier ministre le soin de fixer […] des normes permettant de mettre en œuvre une loi », à la condition que ce soit « dans un domaine déterminé et dans le cadre défini par les lois et règlements ». À noter que ce pouvoir réglementaire n’est que subordonné et second face au pouvoir réglementaire national puisqu’il ne règle que les mesures de détail74. À l’instar du DDD et du CGLPL, le Défenseur des droits des animaux n’aurait sûrement pas la nécessité de disposer tel pouvoir, à moins que son domaine de compétence comporte des techniques particulières nécessitant l’adoption de règles générales et abstraites permettant la mise en œuvre d’une loi. Il pourrait toutefois, comme susmentionné, être entendu sur des projets de loi pour parler de son expertise ou encore proposer au Gouvernement, dans son domaine de compétence, toute modification des dispositions législatives et réglementaires applicables aux animaux ; mais il s’agirait alors non pas d’un pouvoir réglementaire mais d’un pouvoir d’influence.

63Enfin, l’on pourrait s’interroger sur un pouvoir de sanction. Si un tel pouvoir est offert au Défenseur des droits des animaux, il s’agirait d’infliger soit des sanctions pécuniaires (qui ne peuvent toutefois pas se cumuler avec une sanction pénale75), soit des sanctions à caractère professionnel ou fonctionnel. Ces sanctions administratives seraient intéressantes car les affaires concernant les animaux sont encore peu nombreuses et aucun tribunal ni aucune chambre n’est spécialisé sur le droit des animaux. Par exemple, un éleveur (personne privée exerçant une activité professionnelle en lien avec des animaux) qui ne respecterait pas la réglementation applicable à ses animaux, sans que cela ne constitue une infraction pénale, pourrait se voir infliger une interdiction d’exercer toute activité professionnelle en lien avec des animaux par le Défenseur des droits des animaux. Quoi qu’il en soit, si pouvoir de sanction il y a, il doit être précisément encadré par le législateur et être nécessaire à l’accomplissement de la mission de l’autorité administrative indépendante76. Ce pouvoir de sanction présente néanmoins des inconvénients. En effet, il pourrait y avoir un risque de confusion des pouvoirs d’enquête et de prononcé des sanctions, surtout que l’« objection est souvent faite comme quoi les Autorités administratives indépendantes ne devraient pas être dotées d’un tel pouvoir et ne sont pas légitimes à en être titulaires, car la sanction est au cœur du pouvoir régalien et les tribunaux judiciaires, garants des libertés individuelles, devraient en avoir le monopole »77. Le CGLPL et le DDD n’ont d’ailleurs pas ce pouvoir-là mais peuvent, rappelons-le, saisir l’autorité investie du pouvoir d’engager les poursuites des faits dont ils ont la connaissance. De plus, la magistrature d’influence peut même prendre le pas sur le pouvoir de sanction. Les conséquences sur l’économie et sur la notoriété causées par des dénonciations médiatiques/publiques ont des retombées parfois plus importantes qu’une sanction prononcée par l’autorité de compétence. Nous pouvons prendre l’exemple des marques testant leurs produits cosmétiques sur des animaux. Face au rejet de ces pratiques par les consommateurs et à des législations de plus en plus fermes, les marques n’ont d’autre choix que de s’adapter78. Un autre exemple est celui de l’accusation de maltraitance animale au Puy du Fou lors d’une enquête réalisée par Hugo Clément, journaliste et militant pour le bien-être animal, pour l’émission de France 5 Sur le Front. Le directeur de l’établissement, répondant de ces accusations, estimait que cette enquête visait uniquement à « jeter l’opprobre sur tout [leur] travail »79. L’apport de l’autorité administrative indépendante serait ici de mener une enquête objective, complète et concrète de terrain avec des informations utiles, pertinentes et de haut niveau.

64L’évolution du droit animalier. Convaincre : tel est finalement l’objectif premier qu’une telle institution devrait rechercher. Il lui faudrait cultiver une relation de confiance avec l’ensemble des acteurs concernés par la législation animale et fuir les rapports de force susceptibles de provoquer l’hostilité, tout en respectant son objectif de rendre effectifs les droits des animaux en pratique. La prise de conscience sociétale traduit un besoin d’évolution et de valorisation des droits des animaux, autant d’enjeux auxquels la création d’une autorité administrative indépendante pour les animaux permettrait de répondre.

65Une AAI spécifique aux animaux permettrait in fine, pour la première fois en France, de placer la condition animale au cœur même d’une institution étatique. La création d’un Défenseur des droits des animaux pourrait de surcroît faire évoluer, progresser et mieux connaître le droit animalier, voire en faire une discipline juridique reconnue à part entière. Jean-Pierre Marguénaud écrivait déjà en 2016 que « le droit animalier est […] sur le point de voler fièrement de ses propres ailes sous la poussée de fortes évolutions de la société civile, gagnée petit à petit par l’influence d’idées philosophiques qui ont définitivement ridiculisé le point de vue que le cartésianisme portait sur les animaux et travaillée en profondeur par les combats inlassablement livrés par d’innombrables ligues, fondations et associations de défense de la cause animale80 ». Un Défenseur des droits des animaux émanant de l’État contribuerait à ce développement.