1Le militantisme en faveur de la cause animale s’exprime de différentes manières parmi lesquelles se trouvent un certain nombre d’instruments juridiques actionnés soit indirectement, tels que le lobbying auprès des élus, soit plus directement, tels que l’utilisation du droit de manifester, l’exercice du droit de pétition auprès des autorités nationales ou européennes ou encore les actions en justice. Ces dernières ont pu se développer et sont de plus en plus nombreuses à la faveur d’une législation plus protectrice des animaux y compris d’élevage. Parmi ces instruments juridiques à la disposition des citoyens pour faire entendre leur voix, se trouve le droit d’initiative populaire, avec ou sans référendum, présent dans plusieurs États, que ce soit à l’échelle fédérée ou fédérale, locale, nationale ou européenne. Plusieurs types de procédures d’initiative populaire existent en effet avec des modalités qui diffèrent d’un système juridique à l’autre. Ce qui caractérise les initiatives populaires est, comme leur nom l’indique, que ce sont des propositions provenant des citoyens, en principe seulement ceux disposant de la capacité électorale, qui sont soumises à l’examen du parlement dans la plupart des cas, ou directement au vote du peuple. Ainsi, contrairement à une idée reçue parfois en France, toutes les initiatives populaires ne sont pas destinées à être soumises au référendum. Certaines procédures, comme l’Initiative citoyenne européenne (ICE2) ou l’initiative législative italienne de l’article 71 de la Constitution3, ne prévoient pas du tout de recours au référendum. Ce type de procédure est qualifié d’initiative populaire d’agenda, en ce que l’objectif visé est de faire inscrire une proposition de loi (ordinaire ou constitutionnelle) à l’ordre du jour d’une assemblée. Si la proposition est recevable, sur la forme et sur le fond, et qu’elle recueille le nombre de signatures exigé par les textes qui encadrent la procédure, elle pourra être proposée au Parlement. Dans plusieurs ordres juridiques, ces propositions sont traitées ensuite comme n’importe quelle proposition de loi (Espagne4, Italie5) : elles peuvent être examinées, votées, rejetées, amendées. Le comité d’initiative d’une telle proposition perd ainsi la main sur le devenir du texte une fois déposé au parlement. Les initiatives d’agenda peuvent également être qualifiées d’initiative populaire indirecte (IPI), pour reprendre le vocabulaire retenu aux États-Unis6, et se distinguent des initiatives populaires directes (IPD), dont l’objectif est de soumettre un texte au référendum7. Ainsi, les initiatives populaires directes concurrencent le Parlement en ce qu’elles soustraient un texte à un vote parlementaire sur le fond pour le présenter au scrutin populaire tandis que les initiatives populaires d’agenda font l’objet non seulement d’un examen parlementaire, mais également, si la proposition est retenue, d’un débat, d’amendements possibles et d’un vote du parlement. Certains ordres juridiques prévoient un mécanisme intermédiaire, mais qui relève tout de même de l’initiative populaire indirecte : si le texte est modifié ou rejeté par le parlement, un référendum est organisé soit sur le texte initial s’il a été rejeté, soit sur le texte amendé8.

2Ainsi peut-on qualifier de faible, le mécanisme d’IPI qui se contente de proposer un texte au Parlement et de fort, celui pour lequel un référendum est prévu en cas de rejet ou de modification du texte,9 car l’obligation de présenter le texte modifié ou rejeté au peuple contraint les parlementaires à se justifier ou/et peut les mettre en difficulté d’un point de vue politique. Une initiative populaire directe n’exclut pas la mise en place d’un contrôle de la recevabilité de la proposition opéré par un organe politique, administratif ou juridictionnel10. Toutefois, si les conditions de recevabilité sont réunies, et que le nombre de soutiens est suffisant, le texte sera obligatoirement présenté au vote des électeurs. Alors qu’avec l’IPI, les citoyens tentent de modifier l’agenda du Parlement, avec l’IPD, ils le concurrencent, et visent à se substituer à lui pour faire adopter une réforme constitutionnelle ou législative.

3D’autres procédures intéressantes existent, déclenchées également à l’initiative d’un collectif de citoyens, mais dont le but est de s’opposer à un texte venant d’être adopté ou déjà entré en vigueur. Le premier est qualifié de référendum veto et existe notamment en Suisse à l’échelle fédérale11 et cantonale et aux États-Unis dans certains États fédérés. Ces procédures permettent à un comité d’initiative, soutenu par un certain nombre de citoyens, de demander que l’entrée en vigueur d’une loi soit suspendue en attendant que l’ensemble du corps électoral se prononce pour ou contre le texte. Ce type d’initiative, intervenant a posteriori, présente l’intérêt d’inciter les parlementaires à anticiper une opposition citoyenne sous forme de veto en recherchant le consensus sur un projet de texte avant le vote12. Le référendum abrogatif déclenché à l’initiative des citoyens, à l’instar de la procédure prévue par l’article 75 de la Constitution italienne13, peut également conduire le gouvernement et le parlement à modifier eux-mêmes le texte pour éviter le recours au référendum. À la différence du référendum veto, dont l’organisation est limitée dans le temps pour ne pas retarder indéfiniment l’entrée en vigueur d’un texte, le référendum abrogatif peut intervenir à tout moment une fois que le texte est entré en vigueur14. Cette procédure présente notamment en Italie n’a pas été mobilisée pour l’instant en faveur de la cause animale dans ce pays.

4En somme, ces procédures d’initiative populaire permettent de proposer l’adoption d’une règle de droit ou de s’opposer à une norme déjà existante ou prompte à entrer en vigueur. Dans tous les cas, de tels mécanismes sont destinés à peser sur les choix de politiques publiques15. Cette influence se fait soit de façon directe, en imposant de nouvelles dispositions qui viendront s’insérer dans l’ordre juridique quitte à provoquer des contradictions ou à rendre caduques des dispositions antérieures, soit de façon indirecte en incitant les représentants à tenir compte d’une manière ou d’une autre de la revendication populaire ou de l’opposition. En effet, l’IP propositive comme le veto et le référendum d’abrogation sont des mécanismes d’opposition destinés à inciter le parlement (IP propositive), à empêcher (veto) ou à expurger l’ordre juridique d’une norme qui ne convient plus (abrogation). Le mécanisme de référendum simple, en revanche, qui propose l’acceptation ou rejet d’un texte entièrement élaboré par les représentants, permet de tester et, en cas de vote positif, de renouveler la confiance que les citoyens ont envers les gouvernants par rapport aux choix de politique publique qu’ils font en leur nom. Il ne s’agit pas d’un mécanisme d’opposition par essence.

5En France, les procédures d’initiative populaire n’existent pas à l’échelle nationale ou locale. La revendication citoyenne passe par d’autres canaux tels que celui de pressions menées par des représentants d’intérêts collectifs auprès des représentants, de manifestations, d’actions protestataires visant à marquer les esprits16, de pétitions individuelles ou collectives. La procédure de l’article 11 alinéa 3 de la Constitution, qualifiée généralement de « référendum d’initiative partagée » (RIP), n’est pas une procédure d’initiative populaire. En effet, la procédure de RIP ne peut aboutir qu’à titre exceptionnel à un référendum et ne peut être déclenchée que par une minorité parlementaire (1/5^e des membres du Parlement, soit 185 parlementaires). Si la proposition est déclarée recevable par le Conseil constitutionnel, il est nécessaire de réunir un nombre de signatures équivalent à 10 % du corps électoral (soit 4,7 millions de signatures) pour que le parlement soit contraint d’examiner le texte. Il s’agit en somme d’une initiative minoritaire (minorité parlementaire) d’agenda pouvant être soutenue par une minorité populaire. Le texte ne sera obligatoirement présenté au référendum que si les assemblées ne l’examinent pas. Une telle procédure a été amorcée en 2020 sur le bien-être animal, sans succès17.

6En revanche, dans d’autres États, de tels mécanismes ont été utilisés afin de faire évoluer favorablement la législation sur la protection des animaux notamment d’élevage. Le recours à ces procédures pour défendre la cause animale est un moyen de chercher l’adhésion de la population et des représentants aux objectifs défendus, mais aussi de pousser les représentants à agir et à faire évoluer la législation d’une manière plus favorable.

7La recherche présentée dans le cadre de cette université d’automne porte, d’une part, sur l’utilisation par les citoyens de mécanismes de démocratie directe, au sens de participation directe au processus d’élaboration des dispositions normatives, pour défendre les animaux et, d’autre part, sur l’impact que le recours à de tels mécanismes a pu avoir, soit directement en termes d’adoption d’une disposition favorable à la cause animale, soit indirectement en incitant les représentants, et parfois même les juridictions, à prendre position. Si l’influence directe de tels mécanismes peut être considérée comme négligeable en termes d’adoption de mesures proposées par initiative populaire (I) leur influence indirecte, en revanche, est de plus en plus importante (II). L’étude est comparative et porte principalement sur les mécanismes présents en France, en Suisse au niveau fédéral, aux États-Unis au niveau des États fédérés et au sein de l’Union européenne.

I. Une influence directe limitée

8Les propositions concernant la défense de la cause animale n’ont pas toutes suscité un élan de la part des citoyens et un soutien très important. L’influence directe, en termes d’adoption par les citoyens d’une proposition d’initiative populaire, est limitée sauf sur certaines questions qui ont particulièrement ému l’opinion publique. Toutefois, cela ne doit pas étonner, car l’un des intérêts principaux de ces procédures de participation citoyenne est de provoquer un débat, voire des réactions, c’est-à-dire d’interpeller les pouvoirs publics et les citoyens sur un sujet. Ainsi, que ce soit en Suisse ou aux États-Unis, l’initiative populaire est un instrument utilisé par des groupes de pression et des partis politiques généralement minoritaires, cherchant à s’appuyer directement sur les citoyens pour faire passer un acte ou au moins un message. Toutefois, comme cela a été rappelé en introduction, toutes les initiatives populaires ne conduisent pas nécessairement à un référendum. Pour illustrer l’influence directe que peuvent avoir certaines initiatives citoyennes sur la législation, trois cas de figure sont présentés : tout d’abord, celui de propositions d’IPI qui seraient reprises et adoptées par les représentants sans modifications ou avec des modifications limitées (A) ; ensuite, celui d’IPI modifiées par le Parlement puis soumises à référendum et adoptées (B) ; enfin le cas d’initiatives populaires directes (IPD) qui, comme leur nom l’indique, ne passent pas par les représentants et permettent de soumettre un texte directement au scrutin référendaire (C).

A. L’adoption d’une proposition citoyenne par les représentants

9Les initiatives populaires d’agenda ont généralement peu de succès en termes de résultats législatifs concrets en rapport direct avec le texte proposé. Cela provient du fait que, généralement dans les différents ordres juridiques qui ont prévu ce mécanisme, leur examen est tout au plus obligatoire par une commission dans un délai déterminé18. De ce fait, il est rare que des initiatives populaires indirectes soient adoptées sans modifications par les représentants. La marge de manœuvre qui leur est généralement laissée, permet des discussions, des négociations, des adaptations donc engendre nécessairement des modifications. Force est de noter par ailleurs qu’il arrive fréquemment que peu de publicité soit faite autour d’une initiative d’agenda. En Espagne, plusieurs propositions d’« initiative législative populaire », qui font partie de la catégorie des IPI sans référendum, ont porté plus ou moins directement sur les animaux ces dernières années. Ainsi, en 2012, la Proposición de Ley de protección y bienestar de los animales (120/000009) avait été déclarée irrecevable, car elle prévoyait une peine privative de liberté, matière exclue du champ des initiatives populaires19. À l’inverse, l’année suivante a été adoptée avec des modifications la proposition de loi reconnaissant que la tauromachie fait partie du patrimoine culturel20, en réaction à la crainte d’une interdiction de cette pratique par la prise en compte de la souffrance infligée aux taureaux. Plus récemment, une initiative législative populaire a permis la reconnaissance de la personnalité juridique à une lagune, la Mar Menor, impliquant une attention accrue accordée à la préservation des écosystèmes et de la faune de ce lieu, en particulier un droit à la conservation des espèces21. Dans ce cas également, la proposition d’initiative populaire présentée initialement a été adoptée après modifications apportées par les chambres. Force est cependant de reconnaître que les avancées majeures en termes de bien-être animal en Espagne ont emprunté la voie normale des projets de loi présentés par le Gouvernement. Un projet de loi sur le bien-être animal est d’ailleurs en discussion devant les chambres22, sous l’influence notamment de l’évolution de la législation européenne.

10La procédure d’initiative populaire d’agenda dans l’Union européenne fait partie des moins contraignantes en termes d’obligations pesant sur les représentants. En effet, le mécanisme de l’initiative citoyenne européenne (ICE) permet à un million de citoyens provenant de sept pays de l’UE de demander à la Commission européenne de faire des propositions législatives (règlement, directive ou décision) sur un domaine relevant de sa compétence. La Commission européenne n’est pas tenue de suivre la proposition, mais si elle le fait, ce sera dans le cadre normal de la procédure législative. Cela signifie que pour se concrétiser, elle devra être examinée puis adoptée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne (ou, dans certains cas, seulement par le Conseil). Même lorsqu’une ICE est déclarée recevable, et qu’elle fait l’objet d’un examen, les réponses possibles sont multiples et ne vont pas nécessairement se traduire par une proposition de législation. D’autres modalités que celles proposées par les citoyens, et qui permettraient d’aboutir à un résultat satisfaisant, peuvent être recherchées. Ainsi, les objectifs visés par les mesures faisant suite à une ICE peuvent être revus à la baisse et prendre en considération d’autres intérêts en présence.

11Deux initiatives citoyennes européennes peuvent être mentionnées en particulier. L’initiative « Pour une nouvelle ère sans cage », visant à supprimer progressivement l’élevage en cage des animaux, enregistrée par la Commission européenne le 5 septembre 2018 a obtenu près d’1,4 million de signatures dans 18 États de l’UE. Après avoir été déclarée recevable par la Commission, elle a donné lieu à des auditions et des débats au sein du Parlement. Suite à cela, ce dernier a incité la Commission européenne à faire des propositions législatives visant à la suppression progressive des cages en 2027 au plus tard. Cet objectif suppose à la fois de prendre des mesures d’incitation au changement et de soutien financier pour les éleveurs, afin de les accompagner dans une transition progressive, et de mettre en place un dispositif imposant également de nouvelles règles aux importations depuis des pays tiers à l’Union européenne. Cette ICE fait partie des 6 sur les 98 enregistrées (au 28 février 2023)23 à avoir été suivies.

12D’autres initiatives ont été proposées, mais n’ont pas eu le même succès. Ainsi, l’initiative STOP VIVISECTION, présentée en 2015, visait notamment à abroger la directive 2010/63/UE relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques et à la remplacer par une nouvelle mettant un terme à l’expérimentation animale. Toutefois, la Commission a répondu que cette abrogation ne pouvait se faire en l’absence de solutions de remplacement. Elle s’est cependant engagée à assurer le respect de la législation et à poursuivre les études pour des méthodes ne nécessitant plus le recours à ces pratiques. Elle a rendu plusieurs rapports dans le cadre du suivi de l’initiative Vivisection dont un rapport sur la question du réexamen de la directive de 2010 et un autre sur sa mise en œuvre24. Estimant que ces réponses étaient « inadéquates », les promoteurs de l’initiative sont revenus à la charge en déposant une plainte auprès du Médiateur de l’UE en 2017. Toutefois, ce dernier a considéré qu’il n’y avait pas eu de « mauvaise administration » de la part de la Commission25 dans la manière dont elle avait traité l’initiative proposée.

13La défense de la cause animale, et plus largement de la nature, fait partie des thématiques récurrentes des ICE proposées depuis 2012. Elles représentent environ 10 % des initiatives présentées. Ainsi, plusieurs initiatives relatives aux animaux ont été déclarées valides ces dernières années. L’initiative « Pour des cosmétiques sans cruauté – s’engager en faveur d’une Europe sans expérimentation animale », visant à mettre fin à l’expérimentation animale en matière de recherche cosmétique, a obtenu plus d’1,2 million de signatures et a été déclarée recevable le 25 janvier 2023. L’initiative visant à mettre fin à la pêche aux ailerons de requins (Stop Finning – Stop the trade [Stop à la pêche aux ailerons – Stop au commerce]), pratique aboutissant à rejeter en mer des requins sans leurs ailerons, a obtenu plus d’1,1 million de signatures et a été déclarée valide le 11 janvier 2023. L’initiative Fur Free Europe (« Pas de fourrure en Europe ») a recueilli plus d’1,5 million de signatures avant le 1^er mars 2023. Le comité d’initiative demande d’interdire à la fois l’élevage et l’abattage d’animaux pour leurs fourrures et la commercialisation de ces dernières. Aucune d’entre elles n’a pour l’instant reçu de réponse de la part de la Commission européenne. Une autre initiative en cours de recueil de signatures, End The Slaughter Age (Sortir de l’ère de l’abattage), vise à mettre fin à la production de viande animale, par la suppression d’aides financières aux éleveurs, et incite à trouver des alternatives en particulier végétales.

14L’ICE constitue donc un outil de plus en plus utilisé par les citoyens européens pour exhorter les autorités de l’Union à adopter des législations plus protectrices des animaux. Au regard des dispositions déjà existantes et des différents intérêts en présence, les mesures éventuellement adoptées participent nécessairement à la construction d’un droit plus attentif au bien-être animal. La possibilité de présenter la mesure à un scrutin référendaire, en cas de rejet de la proposition citoyenne par le Parlement, aurait nécessairement des effets plus contraignants sur les autorités chargées d’examiner la demande. Les représentants peuvent toutefois conserver un rôle très important dans la procédure.

B. L’adoption d’une IPI par référendum après avoir été modifiée ou rejetée par le Parlement

15Les procédures d’initiatives populaires indirectes prévoyant l’organisation d’un référendum en cas de modification de la proposition présentée par les citoyens ou de rejet de celle-ci par le parlement sont assez répandues. Ainsi, à l’échelon national, le Liechtenstein le prévoit pour les initiatives populaires législatives26 tandis que la Constitution de Lettonie étend ce dispositif également aux initiatives populaires proposant des réformes de la Constitution27. En Suisse également, à l’échelle fédérale, l’IPI peut aussi être utilisée pour proposer une révision de la Constitution en termes généraux28 que l’assemblée fédérale sera chargée de concrétiser. Comme toute révision de la Constitution, la soumission au référendum pour ratifier les nouvelles dispositions est obligatoire. Toutefois, dans ce pays, ce type de procédure n’a plus été utilisé depuis les années 1980 en raison de l’existence d’une procédure d’initiative populaire directe.

16Aux États-Unis, les procédures d’initiatives populaires indirectes sont présentes à l’échelle fédérée29. Dans plusieurs États, un référendum est prévu si le Parlement modifie la proposition des citoyens comme dans le cas du Maine, moyennant parfois l’acquisition de signatures supplémentaires (Massachussetts, Ohio, Utah). Dans l’État de Washington, le Parlement peut également proposer un contre-projet qui sera soumis au vote parallèlement à la proposition citoyenne.

17Dans le Maine, trois initiatives populaires indirectes concernant la protection des animaux, modifiées ou rejetées par le Parlement, ont été soumises au référendum. Elles ont toutes été rejetées. Deux d’entre elles concernaient la criminalisation de la chasse à l’ours en 200430 et la réglementation de la chasse à l’ours en 2014 pour interdire certaines techniques de chasse ou de piégeage31. Le Maine ne fait pas partie des 23 États à avoir constitutionnalisé le droit de chasser et de pêcher, mais comme dans de nombreux États américains, la NRA (National Rifle Association), puissante organisation qui soutient le droit de détenir et de porter des armes, est très présente dès qu’il s’agit du droit de chasser au point de proposer un amendement constitutionnel type à insérer dans les constitutions des États pour éviter une atteinte au droit de chasser et de pêcher32. Toute tentative de réglementer la chasse est perçue comme une atteinte à des droits hérités des premiers colons en réaction à la Couronne d’Angleterre33. Or, pendant longtemps, mis à part dans le Vermont, un tel droit n’était pas constitutionnalisé, car considéré comme une activité récréative et non comme un droit fondamental34. Inscrire le droit de chasser dans les constitutions est un moyen de se préserver de toute atteinte législative et de laisser aux citoyens le dernier mot sur le sujet, car, dans de nombreux États fédérés, toute modification constitutionnelle est soumise au référendum.

18De la même façon, deux IPI visant à interdire la chasse à la tourterelle ont également été rejetées en Ohio et dans le Dakota du Sud35. Certains votes de rejets peuvent toutefois avoir des effets plutôt favorables à la défense de la cause animale. Par exemple, en 1983, les citoyens du Maine ont rejeté une initiative supprimant la détermination d’une saison pour chasser l’orignal. Cette mesure aurait permis la chasse y compris en période de reproduction. Dans cet État, les évolutions de la législation ne sont pas passées par l’initiative populaire, mais sont directement le fruit de la représentation. Ainsi, dans un rapport rendu en 2022 par l’association Animal legal defense Fund, le Maine fait partie des États les mieux classés en matière de législation protectrice des animaux avec le Colorado, l’Oregon, l’Illinois et le Rhode Island.36 Or, le Colorado et l’Oregon sont deux États qui avec la Californie accordent une attention très importante à la participation citoyenne.

19D’autres États ont connu des propositions d’initiatives populaires ou des scrutins dont l’objet portait sur le bien-être animal et à propos desquels de puissants lobbies, dont celui du port d’armes et ceux des grands fermiers, ont tenté de peser lourdement sur le processus afin de ne pas faire évoluer la situation. Par exemple, au Massachussetts, une première IPI a été rejetée en 1988 concernant les conditions d’élevage des animaux de ferme37. Quelques années plus tard, d’autres propositions concernant les animaux ont été soumises au vote des citoyens et quelques-unes ont été approuvées telles que celles interdisant certaines techniques de piégeage dont les pièges à mâchoires (Question 1, 1996) ou les courses de lévriers (Question 3, 2008) malgré l’investissement important du lobby des entreprises de pari dans la campagne contre ce type de mesure. Une seconde IPI relative aux conditions de confinement des animaux a été présentée au référendum en 2016 et a été un succès. La Question 3 intitulée « Minimum Size Requirements for Farm Animal Containment », a été approuvée le 8 novembre 2016 avec 77,64 % des voix, pour devenir une disposition législative. Elle permet d’interdire la vente d’œufs, de veau ou de porc confinés dans des espaces qui empêchent l’animal de se coucher, de se lever, d’étendre ses membres ou de se retourner.

20Cette proposition d’initiative populaire a donné lieu à un contentieux judiciaire important. En effet, treize États ont attaqué le Massachussetts sur le fondement d’une violation de la clause sur le commerce interétatique prévue par la Constitution des États-Unis (Art. 1 § 8). Ils estimaient que la Question 3 conduirait à « dicter la façon dont les autres États choisissent de réglementer les opérations commerciales et les processus de fabrication à l’intérieur de leurs propres frontières ». Cette affaire a été portée devant la Cour suprême qui a rejeté la possibilité pour les États de déposer une plainte, le 8 janvier 201938.

21Des affaires similaires sont survenues quelques années plus tôt en Californie et dans d’autres États après l’adoption directe par le vote des électeurs d’une initiative populaire remettant en cause le confinement des animaux de ferme.

C. L’adoption d’une initiative populaire directe

22Les initiatives populaires dites « directes » sont celles qui, une fois déclarées recevables sur la forme, le fond et après avoir recueilli le nombre de soutiens exigé, sont présentées directement au scrutin des électeurs afin d’être adoptées ou rejetées. D’une manière générale, peu d’initiatives populaires aboutissent à un vote positif. Beaucoup n’obtiennent pas le nombre de signatures nécessaires pour pouvoir être présentées au référendum, comme cela a été souvent le cas en Suisse à l’échelle fédérale pour des propositions concernant la manière de traiter les animaux et aux États-Unis à l’échelle fédérée39. Certaines initiatives sont retirées et parfois reprises par la législation ordinaire dans une version souvent plus édulcorée et consensuelle au regard des différents intérêts en présence40. En outre, nombreuses sont les initiatives populaires qui subissent un échec ou sont invalidées dans les États qui imposent des quorums de participation, ce qui n’est pas le cas de la Suisse ou des États-Unis.

23Bien que la défense des animaux gagne du terrain, force est de constater qu’en Suisse, toutes les IPD relatives à la cause animale se sont soldées par un rejet ou par un retrait de la proposition. De même, aux États-Unis, de nombreuses initiatives populaires directes tendant à réglementer la chasse ont été un échec. En outre, pour faire face à la montée en puissance des actions mettant en cause les conditions d’élevage des animaux de ferme, un État, le Dakota du Nord, a choisi de se prémunir en inscrivant dans sa constitution un « droit pour les agriculteurs et des éleveurs à employer la technologie agricole, la production moderne de bétail et des pratiques d’élevage » qui ne pourraient être restreintes par la loi41.

24En revanche, dans quelques États, certaines initiatives populaires ont permis de faire avancer la cause animale contre de puissants lobbies soutenus par les représentants. En 2002, la Floride était le premier État fédéré à adopter un amendement constitutionnel visant à empêcher le confinement excessif des truies durant la période de gestation42. En 2006, en Arizona, la proposition 204 intitulée Relating to Cruel and Inhumane Confinement of Animals, a été approuvée à 62 %. Elle prévoit depuis 2013, la classification en délit de classe 1, le fait d’attacher ou d’enfermer une truie en gestation ou un veau élevé pour sa viande dans une ferme, pendant toute la journée ou la majorité de la journée, empêchant l’animal de se coucher et d’étendre complètement ses membres ou de se retourner librement. Une IPD proposait d’aller plus loin en prévoyant un espace défini pour les veaux, les truies en gestation et les poules pondeuses (Arizonans Against Farmed Animal Cruelty)43. Cette initiative n’a pas été présentée au scrutin de 2022, mais l’Arizona a renforcé sa législation concernant en particulier les poules pondeuses44, l’amélioration des conditions d’élevage des animaux de ferme répondant par ailleurs à une demande des consommateurs.

25En 2008, la Californie a adopté une disposition similaire à celle de l’Arizona45 et, en 2018, a été approuvée une législation déterminant un espace minimal pour les animaux de ferme (veaux, truies en gestation, poules pondeuses), avec une entrée en vigueur progressive à partir de 202046. Plus de 13 millions de dollars ont été investis dans la campagne en faveur de la proposition soutenue notamment par la très influente Humane Society qui était à l’origine de la proposition 2 en 200847. Parmi les opposants, se trouvaient également des associations de défense des animaux demandant l’interdiction de l’élevage à des fins de consommation de la viande (Humane Farming Association).

26Les propositions de 2008 et 2018 ont fait l’objet de recours de la part à la fois d’autres États craignant la diffusion de telles législations au-delà de la Californie ou de la part des grands éleveurs et fermiers estimant que cette politique demanderait des investissements très conséquents, augmenterait considérablement le prix de production de la viande et des œufs et créerait nécessairement du chômage. Les menaces pesant sur le pouvoir d’achat des consommateurs et sur l’emploi sont fréquentes lorsque ces questions sont abordées. Plusieurs procès ont été engagés concernant l’adoption de la proposition de 2008. La Cour d’appel fédérale du 9^e circuit s’est notamment prononcée en 2015 dans une affaire Cramer v. Harris. Les plaignants considéraient que la disposition était trop vague. La Cour a confirmé cependant la constitutionnalité de la disposition en rejetant ces arguments48. Un procès de plus grande envergure a été mené par différents États (le Missouri auquel s’est joint l’Alabama, l’Iowa, le Kentucky, l’Oklahoma et le Nebraska) contre la proposition 8 adoptée en Californie. Ils considéraient notamment que cette disposition violait la clause constitutionnelle de commerce interétatique. Les plaignants ont été déboutés49. De la même façon, la proposition 12 adoptée en 2018 a été attaquée en justice par douze autres États membres estimant que cette même clause était violée en obligeant notamment ceux-ci à se conformer aux règles adoptées en Californie, en imposant des pratiques uniformes dans et hors de l’État. Si ces arguments ont été pour l’instant rejetés50, la Cour suprême des États-Unis a été saisie et doit se prononcer en 2023.

27De manière générale, plusieurs États ont fait évoluer leur législation de manière favorable au bien-être des animaux de ferme aux États-Unis en partie grâce à des initiatives populaires qui ont été adoptées par les citoyens. En effet, d’autres mesures ont été approuvées telles que l’interdiction de combats de coqs (Arizona51, Missouri52, Oklahoma53), l’interdiction des courses de lévriers (Missouri54), l’interdiction de certains types de pièges ou méthodes et pratiques de pêche55 ou encore l’interdiction du trafic d’animaux sauvages ou exotiques (Oregon56, Washington57) qui ont donné lieu parfois à des procès, mais sans succès pour ceux qui s’y opposaient. Au Texas, un référendum a approuvé à plus de 93 % des voix un amendement constitutionnel organisant le transfert de propriété d’animaux utilisés pour le travail, tel que les chiens de police ou les chevaux, « mis à la retraite »58. Cet amendement avait été préparé par les chambres avant d’être soumis au vote des citoyens.

28Même si certaines initiatives ont pu passer ou du moins inciter les États à adopter des réglementations plus favorables au bien-être animal, beaucoup d’échecs peuvent également être relevés notamment en ce qui concerne les initiatives sur la vivisection ou les expérimentations animales. Pourtant, cette question a été très tôt présentée au vote sur initiative citoyenne. En effet, dès les années 1920 en Californie des propositions visaient à interdire les expérimentations à la fois humaines et animales59.

29Les propositions refusées ne sont cependant pas toujours de vrais échecs. Il arrive que certaines initiatives rejetées soient adoptées quelques années plus tard60. Plus encore, toute question proposée au vote est soumise au débat donc l’ensemble des citoyens est susceptible de s’en saisir et éventuellement de faire évoluer l’opinion publique sur les thématiques en débat, ce qui contribue nécessairement à terme à l’évolution des législations61. D’ailleurs, au-delà des États et des municipalités aux États-Unis, plusieurs lois fédérales ont également été adoptées notamment pour interdire les combats de coqs et de chiens, ou encore la cruauté envers les animaux dont la loi PACT62 (Prévention de la cruauté et de la torture envers les animaux) adoptée en 201963. Ces évolutions favorables au bien-être animal sont le résultat d’une influence indirecte de certaines initiatives populaires et, plus largement, des mouvements citoyens en faveur de la protection animale.

II. Une influence indirecte incontestable

30L’initiative populaire est une procédure qui permet aux citoyens de peser sur les politiques publiques. Qu’elles soient un succès ou un échec en bout de course, les citoyens se voient reconnaître le droit de tester la popularité d’une proposition ou d’une opposition, d’en saisir la communauté politique dans son ensemble afin qu’une partie de cette dernière soutienne ou non l’initiative lors de la phase de recueil des signatures. De ce fait, le rejet ou même le retrait d’une initiative populaire propositive ne signifie pas qu’elle est ignorée. Elle permet de faire surgir une question dans le débat public voire d’influencer les parlementaires et le gouvernement quant aux choix de politiques publiques si le nombre de soutiens exprimés est important (A). De la même façon, avec les procédures de veto ou les demandes d’abrogation, les citoyens disposent également d’instruments leur permettant de remettre en cause une législation qu’ils estiment inadaptée, ce qui influence nécessairement les choix des représentants (B). En France, enfin, cette influence serait possible si certaines procédures de participation citoyenne étaient améliorées. En l’état, en effet, les quelques moyens d’action institutionnalisés dont les citoyens disposent paraissent bien faibles à côté des précédents (C)

A. Le rejet ou le retrait d’une initiative au profit d’un texte plus consensuel

31La Suisse constitue un bon exemple de l’influence positive que peut avoir une procédure d’initiative populaire directe sur les politiques publiques, même lorsqu’une proposition est rejetée par les citoyens ou/et les cantons ou retirée par le comité d’initiative. En effet, toutes les initiatives populaires fédérales favorables à la condition animale ont été rejetées à l’exception d’une seule, la première, adoptée en 1893 et qui constituait également la toute première IPD adoptée en Suisse à cette échelle. Cette initiative intitulée « Interdiction d’abattre le bétail de boucherie sans l’avoir préalablement étourdi »64, visait à interdire l’abattage rituel. Ce procédé était à la fois considéré comme générateur de souffrance pour l’animal et, dans un climat antisémite, comme un moyen pour la Suisse alémanique de rejeter cette pratique. Le Conseil Fédéral65 avait incité au rejet de cette initiative au motif qu’elle portait atteinte à la liberté de conscience et de religion ainsi qu’à la liberté de culte. Malgré cet avis de rejet, cette proposition d’initiative populaire a tout de même été approuvée par les citoyens et les cantons pour des raisons liées au rejet de la religion juive plus que dans un souci de protéger le bien-être animal. Cette disposition a été supprimée par la suite, près d’un siècle plus tard, au profit d’un article plus général prévoyant la compétence de la Fédération sur la protection des animaux66. Pendant longtemps, la question du traitement des animaux relevait en effet de la compétence cantonale. Une loi sur la protection des animaux a été adoptée en 1978 à l’échelle fédérale, une autre loi s’y est substituée en 2005 et a connu plusieurs modifications jusqu’en 2020.

32Le Parlement fédéral a proposé le rejet de plusieurs autres initiatives populaires notamment en matière d’expérimentation animale, tout en permettant à la législation d’évoluer sur ces questions. L’Assemblée fédérale a ainsi émis une recommandation de rejet sur l’initiative « Pour l’interdiction de la Vivisection » proposée en 1981, car elle considérait que ces expériences étaient nécessaires pour les traitements médicaux et la recherche67. Les autorités fédérales à l’écoute des différents acteurs intéressés par le sujet, ont pris également en considération les conséquences négatives que pourrait entraîner le succès d’une telle proposition sur les industries pharmaceutiques. Les citoyens se montrent très souvent à l’écoute des recommandations officielles lors du scrutin puisque la plupart des recommandations incitent au rejet et la plupart des initiatives sont rejetées68. L’initiative « Pour l’interdiction de la Vivisection » sera effectivement rejetée en 1985 à la fois par le peuple avec plus de 70 % des voix et par les cantons à l’unanimité69.

33Une autre initiative intitulée « Pour l’abolition de l’expérimentation animale et de la vivisection », qui prévoyait l’interdiction de toute expérimentation et toute vivisection sur l’ensemble du territoire, présentée en 1985 n’a pas pu atteindre le seuil de signatures requis70.

34Sur le même thème, en 1986, une nouvelle initiative moins radicale que la précédente est proposée, intitulée « Pour une réduction stricte et progressive des expériences sur les animaux »71. L’initiative proposait d’ajouter un article 25ter à la Constitution fédérale interdisant toute expérience sur des animaux « causant à ceux-ci des douleurs, des maux ou des dommages ». Les cas de dérogation ne devraient, selon l’initiative, être accordés « qu’avec la plus extrême retenue ». Le Conseil fédéral (le gouvernement en Suisse) avait recommandé le rejet de cette initiative en estimant que les dispositions législatives existantes étaient suffisantes. L’Assemblée fédérale, tout en préconisant aussi le rejet de l’initiative populaire, a proposé un contre-projet indirect, sous la forme d’une proposition de modification du texte législatif relatif à la protection des animaux. Ce contre-projet72, adopté et entré en vigueur en 1991, a renforcé les contrôles sur les expérimentations animales, en mettant notamment en place une commission chargée d’examiner les demandes d’autorisation. Si ce contre-projet a été accepté par le parlement, l’initiative populaire originaire en revanche a été rejetée en 1992 à la fois par le peuple (56,4 % des voix) et la majorité des cantons73. En 1993, est de nouveau présentée au vote une initiative populaire plus radicale déposée en 1990. Intitulée « Pour l’abolition des expériences sur les animaux », elle était portée par la Ligue internationale des médecins pour l’abolition de la vivisection. Elle visait à interdire complètement les expériences sur les animaux. Elle a été rejetée avec 72,2 % des voix et la totalité des voix des cantons et demi-cantons74.

35La loi sur la protection des animaux a continué à être modifiée par la suite dans un sens plus protecteur, sous l’influence notamment de trois initiatives populaires déposées puis retirées. Par exemple, en 2002, une initiative populaire intitulée « Les animaux ne sont pas des choses » visait à introduire un article 79 a dans la Constitution disposant : « 1 – Les animaux sont des êtres vivants dont la dignité, les perceptions et la sensibilité à la douleur doivent être prises en considération par l’être humain. 2 – Le législateur fédéral définit les droits particuliers qui reviennent aux animaux et institue des défenseurs adéquats chargés de les représenter ». Cette initiative populaire a été retirée le 25 octobre 2002 suite à l’adoption d’un contre-projet indirect75. En 2003, l’initiative populaire « Pour un meilleur statut juridique des animaux », prévoyant aussi l’introduction d’un nouvel article 79 a et décrivant également les animaux comme « des êtres vivants doués de sensibilité », a été retirée. Enfin, en 2006 a été retirée l’initiative « Pour une conception moderne de la protection des animaux (Oui à la protection des animaux !) » qui proposait, pour sa part, une modification de l’article 80 de la Constitution de 1999, qui elle-même se situait dans le prolongement de l’article 25 bis de la Constitution fédérale de 1874 en rappelant la compétence du législateur fédéral en la matière76. Cette proposition d’initiative populaire, beaucoup plus poussée que les deux autres, visait non seulement à préciser que le législateur fédéral « veille à la protection du bien-être et de la dignité des animaux, cocréatures et êtres vivants doués de sensibilité » et à indiquer un certain nombre de principes, s’imposant au parlement fédéral, permettant d’assurer un minimum de bien-être pour les animaux quant à leurs conditions d’élevage, de traitement, de transport ou encore d’abattage. Dans ce cas encore, les instances fédérales préconisaient le rejet de l’initiative en indiquant notamment que de telles précisions n’avaient pas leur place dans la Constitution, car relèvent de la compétence des autorités législatives voire d’autorités infralégislatives. Elles considéraient également que l’adoption de cette proposition conduirait à figer certaines règles dans la Constitution ce qui obligerait à réviser cette dernière dans le cas où l’on souhaiterait faire évoluer ces règles et surtout ces dispositions seraient contraires à certains traités internationaux dont la Convention européenne des droits de l’homme77. En revanche, le Conseil fédéral était prêt à soutenir un projet de loi pouvant constituer un contre-projet indirect à cette proposition. Effectivement, en 2005, sera votée la loi fédérale sur la protection des animaux dont l’article 46 précisait qu’elle serait publiée si l’initiative « Pour une conception moderne de la protection des animaux » était retirée ou rejetée78.

36D’autres initiatives ont été proposées par la suite sans qu’une influence sur l’évolution de la législation puisse être démontrée. Ainsi, la loi de 2005 sur la protection des animaux a été modifiée et complétée par une loi fédérale du 15 juin 2012 qui ne correspond pas à un contre-projet indirect. À la même période, a été mise au scrutin une initiative populaire lancée en 2008 intitulée « Contre les mauvais traitements des animaux et pour une meilleure protection juridique de ceux-ci » qui visait notamment à mettre en place un avocat chargé d’assurer la protection des animaux. Une disposition prévoyait qu’« En cas de procédures pénales motivées par des mauvais traitements envers des animaux ou par d’autres violations de la législation sur la protection des animaux, un avocat de la protection des animaux défendra les intérêts des animaux maltraités. Plusieurs cantons peuvent désigner un avocat de la protection des animaux commun ». Le rejet de cette initiative a été recommandé, comme précédemment, par les autorités fédérales souhaitant ne pas empiéter sur les prérogatives des autorités cantonales compétentes pour décider d’instituer un défenseur public des animaux. Cette initiative populaire a été rejetée par le scrutin du 7 mars 2010.

37Les initiatives populaires les plus récentes n’ont pas entraîné de modifications législatives. Elles sont pourtant nombreuses et ont toutes fait l’objet d’une recommandation de rejet de la part des autorités fédérales. Parmi celles-ci, une initiative de 2016, présentée au scrutin en 2018, a fait parler d’elle, car le vote a eu lieu concomitamment au mouvement des gilets jaunes en France. Cette initiative « pour la dignité des animaux de rente agricole » également sous-titrée « Initiative pour les vaches à cornes »79 proposait de soutenir financièrement les fermiers qui n’écorneraient pas leurs animaux. Certains détracteurs du référendum d’initiative citoyenne (RIC) se sont moqués de la Suisse, à cette occasion, estimant que les citoyens étaient, par le biais de ce type de procédure, amenés à se prononcer sur des propositions sans intérêt voire fantaisistes, alors que l’objectif de cette initiative était bien la protection du bien-être animal.

38Une initiative populaire visant à interdire les expérimentations animales et humaines a également été rejetée le 13 février 202280. Enfin, une initiative « Non à l’élevage intensif en Suisse », visant à augmenter les exigences quant aux conditions d’élevage des animaux dits « de rente » a été rejetée le 25 septembre 2022. Les autorités fédérales, une fois de plus, en recommandaient le rejet au motif que la législation assure déjà une protection déjà parmi les plus strictes au monde, que le coût de la mesure serait important ainsi que son impact sur le prix des denrées alimentaires provenant de ces élevages, et que cette mesure remettrait en cause des accords et traités internationaux par rapport aux importations. Un contre-projet souhaitant « tenir compte des souhaits du grand public et des acteurs politiques, qui attachent une grande importance au bien-être des animaux et aux méthodes de production des denrées alimentaires » avait été proposé par le Conseil fédéral et aurait permis d’introduire une disposition précisant que la Confédération légifère pour assurer le « bien-être » des animaux de rente81. Toutefois, ce contre-projet n’a pas été soutenu par le parlement fédéral et n’a pas été présenté aux urnes.

39Un phénomène similaire d’influence d’une initiative populaire sur l’évolution de la législation a pu être observé aux États-Unis. Par exemple, en Idaho, en 2012, suite au lancement d’une IP relative à la criminalisation de la cruauté envers les animaux, le législateur est intervenu pour adopter une loi avec des sanctions moins strictes que celles proposées par l’initiative populaire82. Au Colorado également, l’un des États considéré parmi les plus protecteurs des animaux83, une initiative sur les normes de confinement des animaux d’élevage, destinée à être présentée au scrutin le 3 novembre 2020, visait le confinement des poules pondeuses, des truies reproductrices et des veaux élevés pour leur viande. L’initiative prévoyait une amélioration des conditions d’élevage de ces animaux et des sanctions en cas de violation des normes de confinement. Alors que la période de COVID ne favorisait pas la récolte des signatures pour une initiative populaire, le Parlement du Colorado a adopté de son côté un texte en juillet 2020 imposant notamment des normes minimales quant à l’espace réservé aux poules pondeuses à partir de 2023 et la suppression de cages à partir de 2025 (bill 20-1343) et ne permet plus la vente dans l’État de poules élevées dans des conditions ne respectant pas les normes adoptées par cette loi84. Cette législation répond partiellement à la demande d’initiative populaire et intervient surtout dans le prolongement d’un mouvement favorable à la prise en compte du bien-être animal, et notamment des poules, pour lesquels d’autres États ont adopté des mesures similaires85. Ce mouvement semble montrer que les citoyens, et de ce fait leurs représentants, sont de plus en plus sensibles aux conditions d’élevage des animaux notamment parce que cela peut améliorer la qualité des produits qu’ils trouvent dans leurs assiettes.

40Il arrive plus rarement que ce soit l’adoption d’une législation portant sur le traitement des animaux qui mobilise des citoyens en demandant sa suspension ou sa suppression.

B. Les référendums-veto

41En matière de bien-être animal, ce n’est pas tant l’existence de législations fixant des normes favorisant un mauvais traitement des animaux qui est remise en cause que l’absence de législations soucieuses du bien-être animal ou l’insuffisance des législations existantes. Aussi, n’est-il pas étonnant que peu de demandes de veto (Suisse) ou d’abrogation (Italie) soient déposées par des comités de citoyens, car le droit en la matière est en cours d’évolution ou reste encore à construire. Toutefois, des défenseurs de la cause animale peuvent actionner ce type de procédure lorsqu’ils estiment que la législation existante, issue de compromis, est insatisfaisante.

42En Suisse, par exemple, les nombreuses consultations opérées préalablement au dépôt d’un projet de loi dans le cadre d’une procédure législative participent à la recherche d’accommodements entre les différents intérêts en présence. Pourtant, deux demandes de veto ont été opposées à des législations concernant les animaux. L’une a visé la loi du 9 mars 1978 sur la protection des animaux. Les demandeurs, la Ligue genevoise contre la vivisection et de défense des animaux (devenue quelques mois plus tard la ligue Suisse contre la vivisection et pour les droits de l’animal), devaient rassembler 50 000 signatures dans un délai de 100 jours à compter de la publication de la loi dans la Feuille fédérale86. Bien que ce seuil ait été largement dépassé, cette législation a été confirmée par 81,7 % de votes favorables exprimés lors d’un scrutin organisé le 3 décembre 1978. Plus récemment, la Loi fédérale sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages a également été contestée par plusieurs associations (Pro Natura, le WWF Suisse, BirdLife Suisse et le Groupe Loup Suisse) réunies sous le slogan « Non à la révision inacceptable de la loi sur la chasse ». Ces associations reprochaient notamment à cette réforme, qui visait à l’origine la régulation des loups, de transférer trop de compétences aux cantons et au Conseil fédéral pour déterminer les espèces pouvant être chassées et pour effectuer une régulation à titre préventif. Elles estimaient également que la loi aurait pu intervenir pour assurer une meilleure protection des espèces dites « menacées »87. Cette demande a convaincu les citoyens, car non seulement les 50 000 signatures nécessaires ont été obtenues dans le délai de 100 jours88 et, en outre, le texte a été rejeté lors du scrutin organisé le 27 septembre 2020 avec 51,9 % des voix et un taux de participation élevé de près de 60 % des personnes disposant de la capacité électorale89.

43Aux États-Unis, dans certains États membres, le référendum-veto a également été utilisé par des partisans de la cause animale donnant lieu parfois à une lutte entre les différents acteurs et lobbies en présence : représentants au parlement, militants de la cause animale, défenseurs d’autres intérêts dont ceux de la chasse et de la pêche. Dans le Michigan en 2014, par exemple, deux référendums-veto ont été organisés. D’une part, la proposition 1 soutenue par une association de défense des loups (Keep Michigan Wolves Protected) visait une loi (Public Act 520) qui permettait d’établir des saisons de chasse au loup et désignait le loup comme forme de gibier et non comme espèce protégée. D’autre part, la proposition 2, portée par la même association, s’opposait à une loi adoptée en 2013 qui permettait à la Commission des ressources naturelles de définir directement les espèces pouvant être qualifiées de gibier sans passer par le parlement et de déterminer les saisons de chasse (Public Act 21)90. Dans les deux cas, les propositions de rejet ont été soutenues par les citoyens91, le veto contre ces lois a donc fonctionné, ce qui était favorable à la défense des loups, encore classés comme espèce menacée. Toutefois, dans le même temps, une association favorable à la chasse a déposé une initiative populaire indirecte reprenant les dispositions contestées de ces deux lois et permettant notamment à la Commission des ressources naturelles du Michigan de déclasser certaines espèces et donc de décider peut-être un jour que les loups pourraient être chassés en tant que gibier (Public Act 281)92. Cette IPI a été directement approuvée par le Parlement sans modification, rendant sans objet les deux référendums-veto. L’association Keep Michigan Wolves Protected a remis en cause cette législation en contestant la compétence de la Commission des ressources naturelles du Michigan pour définir le loup comme étant un gibier et a finalement obtenu gain de cause devant la Cour d’appel du Michigan93. Celle-ci a considéré que cette loi était inconstitutionnelle pour ne pas avoir respecté la règle de l’objet unique qui vise à éviter que des dispositions disparates figurent dans une même initiative populaire94. En 2019, une disposition fédérale de l’administration Trump décide de déclasser les loups comme espèce menacée95. Toutefois, un jugement de la Cour du district nord de Californie est revenu sur cette décision permettant de placer à nouveau les loups gris dans la liste des espèces menacées96.

44L’exemple du Michigan illustre bien les différents moyens à la disposition des citoyens pour défendre une cause puisque les référendums-veto n’ayant pas fonctionné s’y sont substituées des actions en justice qui ont permis de préserver le statut du loup comme espèce menacée d’extinction au Michigan et dans la majorité des États américains. Si dans ce cas, l’initiative populaire indirecte proposée au Parlement avait pour but de soutenir une législation favorable à la chasse du loup, elle montre aussi que les parlementaires sont attentifs aux procédures dont disposent les citoyens pour faire entendre leur voix et éventuellement soutenir une proposition provenant de lobbies divers, qu’ils soient favorables ou défavorables à un renforcement des exigences concernant le bien-être animal et la protection des animaux. Si la France ne dispose pas de dispositifs analogues à ceux décrits ci-dessus, le peu de mécanismes dont disposent les citoyens pour soutenir la cause animale peut tout de même produire certains effets lorsque le militantisme en faveur de la cause animale parvient à sensibiliser l’opinion publique.

C. Quels instruments pour les citoyens français et quelle influence sur les choix opérés ?

45En France, la place de la participation citoyenne dans les choix effectués en matière de politiques publiques est sans commune mesure avec celle réservée aux citoyens suisses ou américains à l’échelon étatique ou même italiens puisque ces derniers disposent de la possibilité de proposer des lois au Parlement97 ou de demander l’abrogation d’une législation en vigueur.

46Même si les dispositifs participatifs sont faibles, la montée en puissance des revendications concernant le bien-être animal, la consommation de produits provenant des animaux ou encore la défense de la biodiversité ou d’une relation plus équilibrée entre les humains et la nature conduisent à l’émergence de propositions utilisant l’ensemble des canaux prompts à influencer les choix des gouvernants. De ce point de vue, la procédure de référendum d’initiative dite partagée et le droit de pétition font partie des procédures peu efficaces en termes de résultats mais tout de même utilisées pour défendre une opinion et sensibiliser les décideurs publics.

47Ainsi, le mécanisme prévu à l’article 11 alinéa 3 de la Constitution, a été utilisé en 2020 par quelques parlementaires98 pour déposer une proposition de loi « relative à la responsabilité environnementale des êtres humains vis-à-vis des animaux et au bien-être de ces derniers ». Le nombre de soutiens parlementaires nécessaires pour lancer la procédure de « référendum d’initiative partagée » n’a pas été atteint puisque 185 parlementaires devaient être cosignataires de cette proposition. Or, 151 soutiens seulement ont été obtenus. Toutefois, suite à cette initiative une proposition de loi, la proposition nº 3661 visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale, a été déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 14 décembre 2020. Ce texte a été discuté et amendé par les chambres et vise à la fois les animaux de compagnies, la cruauté et la maltraitance animale. Il interdit les spectacles montrant des dauphins et des orques à partir de 2026 et interdit la détention et les spectacles avec des animaux sauvages dans les cirques itinérants à partir de 2028. Cette loi a été promulguée le 30 novembre 202199.

48Au cours des débats parlementaires, le Sénat tardant à inscrire cette question à son ordre du jour, certains citoyens ont utilisé la procédure de l’e-pétition pour inciter ce dernier à se saisir de ce texte dès le mois de mai 2021. Cela a été le cas d’une pétition proposée par Monsieur Xavier Marie sur la maltraitance animale. Cette utilisation de la procédure de e-pétition au cours de la procédure parlementaire est l’illustration de l’attention portée par les citoyens à l’utilisation de manière combinée de tous les moyens à leur disposition pour faire pression sur les autorités publiques. Plus largement, les e-pétitions proposant en 2020 et 2021 l’abolition de la chasse à courre, l’interdiction de la détention d’animaux sauvages dans les cirques, l’interdiction de la chasse d’animaux sauvages en enclos, l’interdiction de la corrida, le respect du bien-être des animaux de ferme, l’interdiction de l’élevage intensif, l’interdiction de l’abatage des animaux sans étourdissement se sont multipliées devant les deux assemblées. Les procédures de e-pétitions devant l’Assemblée nationale et le Sénat sont récentes100. Elles viennent compléter depuis quelques années la procédure de pétition classique, individuelle et écrite101, auquel il pouvait être procédé devant les assemblées. En effet, suite au mouvement des Gilets jaunes, et au Grand débat national, l’Assemblée nationale et le Sénat ont élargi la portée du droit de pétition102 en ouvrant la possibilité aux citoyens de déposer des pétitions en ligne qui, si elles recueillent un certain nombre de signatures (500 000 pour l’Assemblée nationale103, 100 000 pour le Sénat104) peuvent être examinées, voire débattues dans l’hémicycle à certaines conditions. Force est de souligner que le dépôt de ces pétitions, même soutenues par un nombre important de citoyens, ne lie aucunement les chambres. Devant le Sénat, les citoyens ont la possibilité par le biais d’une pétition, soit de faire une proposition de loi, soit de demander la mise en place d’une mission de contrôle. Le cadre des e-pétitions est plus précis devant le Sénat que devant l’Assemblée nationale, pour autant même si le seuil de 100 000 signatures recueillies dans un délai de 6 mois est atteint, la Conférence des présidents décide des suites à donner, ou non, à la demande effectuée. Les sénateurs à leur tour peuvent décider de reprendre une pétition sous la forme d’une proposition de loi, mais, comme toute proposition, si celle-ci est débattue, elle pourra être modifiée sur le fond et donc donner lieu à un texte très différent de celui initialement proposé. La portée du droit de pétition même collectif est donc très faible, voire juridiquement inexistante en termes de contraintes sur le parlement, les décisions de la Conférence des présidents n’étant pas susceptibles de recours105. Ce droit de pétition est par ailleurs entièrement maîtrisé par les chambres dans le cadre de leur règlement et ne fait l’objet ni d’une consécration constitutionnelle ni d’un encadrement législatif. Ces modalités même faibles, en termes de portée, de pétitions collectives pourraient donc être supprimées par ces mêmes assemblées. Toutefois, ce vecteur est désormais utilisé pour faire valoir des revendications et des propositions de loi. Si le mécanisme de l’article 11 alinéa 3 et le droit d’initiative législative prévu par l’article 39 de la Constitution étaient modifiés pour permettre aux citoyens d’initier véritablement des propositions de loi, soumises de manière facultative au référendum, le nombre de propositions visant à améliorer la condition animale serait certainement appelé à croître.

49En conclusion, les procédures d’initiatives citoyennes restent des procédures qui, parmi d’autres, peuvent concourir à la défense de la cause animale. Elles présentent comme avantage d’attirer l’attention des citoyens, des élus et des autorités publiques sur certaines questions et de les appeler à en débattre. Pour autant, le succès n’est pas toujours au rendez-vous, certaines initiatives étant considérées parfois comme trop radicales. Par ailleurs, comme pour bien d’autres matières, il serait hasardeux de tirer une conclusion d’ensemble qui consisterait à classer les mécanismes d’initiative populaire comme plus ou moins favorables à la protection des animaux. En effet, chaque scrutin présente ses propres spécificités eu égard à son objet, le contexte dans lequel il intervient, les termes de la proposition et l’existence ou non de propositions concurrentes.