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Conclusion générale
p. 461-465
Texte intégral
1165. À l’issue de notre analyse des régimes internationaux méditerranéens1886, il nous paraît important de revenir, en guise de conclusion, sur deux éléments particulièrement marquants : d’une part le dynamisme juridique et institutionnel de la région et, d’autre part, le « schisme de réalité »1887 entre ce dynamisme et l’état actuel de conservation de l’environnement méditerranéen. Ce constat appelle plusieurs questions de recherche qui devront être explorées à l’avenir pour expliquer ce schisme et tenter d’y apporter des solutions.
• Une illustration du dynamisme juridique et institutionnel des régimes méditerranéens
1166. La réponse à notre problématique initiale – « Comment le droit international méditerranéen de la biodiversité et des écosystèmes peut-il évoluer sous l’influence de l’IPBES ? »1888 – nous a permis d’explorer des facettes peu étudiées jusque-là du fonctionnement des régimes internationaux méditerranéens ayant trait à la biodiversité.
1167. L’expertise institutionnelle des régimes méditerranéens a évolué au fil des années pour tenter de garantir au mieux sa crédibilité, sa légitimité et sa pertinence. Étudier comment les conclusions de l’IPBES pourront être traitées dans l’enchevêtrement institutionnel et procédural de l’expertise méditerranéenne nous a permis de mettre en évidence les mécanismes d’autopoïèse1889 des régimes de la région. Ces mécanismes sont, théoriquement, une garantie de flexibilité et de réactivité pour ces régimes et participent à la « consolidation »1890 du droit international de l’environnement dans la région. Néanmoins, des lacunes procédurales existent encore et il sera nécessaire pour les acteurs des régimes méditerranéens de continuer les efforts de réforme afin de les combler1891. Les particularités et évolutions procédurales que nous avons mises en exergue montrent cependant que les institutions et États méditerranéens s’engagent régulièrement dans des exercices réflexifs à cette fin.
1168. Également, nous avons vu grâce à l’exemple méditerranéen que les interconnexions entre les régimes environnementaux sont de plus en plus nombreuses et influentes1892. L’évolution des régimes méditerranéens ne se fait pas de façon isolée et tous leurs acteurs – institutions et États – prennent part à un mouvement général tendant vers une plus grande cohérence de l’action environnementale. L’interconnexion des régimes méditerranéens est également complétée par une forte influence des autres cadres juridiques globaux et régionaux applicables à l’environnement méditerranéen, comme l’a montré notre étude des diffusions normatives dans la région. En nous focalisant sur les interactions entre les régimes méditerranéens et ceux associés à la Plateforme, nous avons mis en évidence la pluralité des liens juridiques établis entre ces derniers. Ces nombreux modes de coordination inter-régimes confirment également que la fragmentation du droit international n’apparaît plus aujourd’hui comme un risque grave, comme cela a pu être considéré durant les années 20001893. Comme l’illustre le cas méditerranéen, des techniques juridiques et procédurales sont mobilisées afin de minimiser les contradictions et les doublons et tirer profit des complémentarités entre régimes1894.
1169. Si l’on s’en tenait à ce constat de dynamisme et d’effort de cohérence, on pourrait conclure que la mise en œuvre des régimes méditerranéens est à même de faire face aux enjeux environnementaux de la région. Malheureusement, il semble qu’un décalage manifeste persiste entre, d’une part, les innovations juridiques et institutionnelles dans les contextes internationaux et, d’autre part, le maintien de pratiques dommageables pour l’environnement dans les contextes nationaux. Un tel écart évoque un « schisme de réalité ».
• Un schisme de réalité
1170. La notion de schisme de réalité est utilisée par Amy Dahan et Stephan Aykut pour caractériser l’impasse des négociations climatiques internationales. En effet, États, institutions internationales et ONG œuvrent depuis des décennies pour apporter des réponses politiques, juridiques et économiques aux changements climatiques sans pour autant parvenir à enrayer les nombreuses causes anthropiques de ces changements1895. L’idée de schisme découle du fort contraste entre l’imposante machine diplomatique des négociations climatiques et les résultats manifestement insuffisants que celle-ci a produits pour répondre à un enjeu environnemental crucial.
1171. À l’échelle régionale, on retrouve un tel schisme, bien que celui-ci soit moins visible d’un point de vue médiatique. En effet, les négociations relatives à l’environnement méditerranéen sont sans commune mesure avec celles se déroulant à l’échelle globale pour les questions climatiques ou relatives à la biodiversité. Lors des conférences des parties des régimes méditerranéens, il n’y a, tout au plus, qu’une centaine de participants tandis que ces conférences globales réunissent plusieurs milliers de participants et sont suivies de près par les différents chefs d’État qui y voient un enjeu diplomatique majeur. Outre cette différence d’échelle, le schisme de réalité méditerranéen est tout aussi marqué. En effet, les conférences méditerranéennes se concluent fréquemment sur des engagements ambitieux pour tenter de réduire et contrôler les nombreuses pressions environnementales dans la région. L’ambition des membres du PAM d’atteindre le « Bon État Écologique » d’ici 2020 est une illustration de cette tendance. Pourtant, depuis 2008 et le lancement du processus pour la mise en œuvre de l’approche écosystémique au sein du PAM, les évaluations successives1896 montrent bien que les différentes décisions prises dans le cadre des régimes internationaux méditerranéens n’ont pas eu suffisamment d’influence sur les pratiques dommageables pour l’environnement de la région1897.
1172. Dans une perspective cynique, il semble que les objectifs fixés à intervalles réguliers dans le cadre des régimes environnementaux n’ont vocation qu’à être réitérés après chaque constat d’échec1898. Les institutions et experts en charge de l’élaboration de ces objectifs stratégiques seraient alors de véritables Sisyphes bureaucratiques, recommençant éternellement la même tâche sans jamais qu’elle n’atteigne ses buts. Une telle vision serait cependant fondée sur une conception trop restrictive des conditions d’efficacité et d’effectivité des régimes1899. Le fait que les objectifs environnementaux ne soient pas atteints ne veut pas pour autant dire que les régimes sont sans aucune influence sur les actions de leurs membres1900. Pour autant, il est indéniable que l’incapacité systémique des régimes environnementaux méditerranéens à être des outils efficaces pour conserver et gérer durablement l’environnement de la région soulève de nombreuses questions sur les causes concrètes de leur ineffectivité et sur les moyens d’accroître leur impact.
• Un appel à davantage de recherche
1173. L’analyse que nous avons menée tout au long de cette thèse a porté de façon exclusive sur les phénomènes et mécanismes permettant l’évolution des régimes environnementaux méditerranéens. En prenant appui sur le postulat d’une Plateforme remplissant pleinement son mandat, nous avons exploré les différentes voies d’influence lui permettant de façonner le droit international applicable à la biodiversité et aux écosystèmes méditerranéens. De fait, ce cadre d’analyse a exclu certaines thématiques dont l’étude ne contribuait pas à répondre à notre problématique. Dans une perspective plus générale, ces thèmes sont néanmoins pertinents pour mieux cerner les raisons de l’ineffectivité des régimes méditerranéens en dépit de leur dynamisme évident. Plusieurs questions restent donc en suspens à l’issue de notre analyse.
1174. Il convient tout d’abord de compléter notre analyse juridique internationale par une étude de la mise en œuvre des régimes méditerranéens à l’échelle nationale. En effet, les États restent les acteurs principalement responsables de la mise en œuvre des initiatives internationales et il est donc nécessaire de mieux comprendre comment les évolutions juridiques globales se traduisent à une échelle nationale, voire, municipale. Une telle recherche permettrait ainsi de voir quelles sont les répercussions concrètes du dynamisme des régimes de la région et permettrait d’identifier les obstacles existant dans les différents contextes nationaux. Ce type d’approche serait d’autant plus intéressant dans une perspective comparatiste car elle permettrait d’identifier les éléments du développement des régimes internationaux qui sont les plus influents à une échelle nationale. Par exemple, nous avons évoqué à plusieurs reprises dans cette thèse les nombreux plans stratégiques adoptés par les parties à la Convention de Barcelone. Leur mise en œuvre nationale fait l’objet d’un suivi par les institutions du PAM, mais cette évaluation est nécessairement limitée par le fait qu’elle se base sur les rapports fournis par les États de la région. Des éléments peuvent y être omis et ces rapports peuvent par conséquent donner une image incomplète de la mise en œuvre des plans et des entraves à leur application. Une recherche académique sur ces questions serait un outil précieux pour mieux penser la portée nationale des régimes environnementaux méditerranéens.
1175. Nous pensons aussi qu’il est important de continuer cette recherche dans une perspective pluridisciplinaire1901. Nous l’avons souligné à plusieurs reprises, notre méthode d’analyse basée sur la documentation officielle et la doctrine n’offre qu’une vision parcellaire du fonctionnement réel des régimes environnementaux dans la région. Cette vision constitue néanmoins un point de référence utile sur la base duquel d’autres analyses peuvent se déployer. Par exemple, notre étude juridique de l’interconnexion institutionnelle des régimes méditerranéens par voie de memoranda d’accord1902 pourrait être complétée par des recherches en sociologie des organisations1903. Une telle approche permettrait de voir l’impact concret qu’ont eu ces accords sur les pratiques des acteurs évoluant au sein des institutions méditerranéennes. Plus largement, dans le cadre des sciences politiques, réitérer l’étude du Professeur Haas près de 30 ans après sa contribution à la popularisation du concept de « communauté épistémique » grâce à l’exemple du PAM1904 permettrait de tirer des conclusions intéressantes conduisant à mettre en perspective les résultats de notre étude tirés de la documentation officielle.
1176. Une telle démarche enrichirait l’analyse juridique, comme le préconisent les professeurs Ost et Van de Kerchove1905. En effet, ceux-ci conseillent d’étudier le phénomène juridique dans une perspective ouvertement interdisciplinaire1906 en adoptant un « point de vue externe modéré »1907. Ils décrivent la méthodologie requise par ce point de vue de la façon suivante :
« Dans un premier temps, le phénomène juridique est décrit au travers de la mise en discours qu’en est faite par les autorités et sujets de droit – ce qui implique la compréhension des conventions explicites et implicites de ce discours – ensuite, dans un second moment, proprement scientifique, ces pratiques discursives sont expliquées […], ce qui conduit dans un troisième moment, à une réinterprétation globale de l’objet étudié ».
1177. C’est dans le second moment, celui de l’explication, que les analyses d’autres disciplines peuvent permettre une compréhension générale du phénomène juridique interprété dans un premier temps à l’aune des théories et du vocabulaire de la science et du discours juridique. Le point de vue est « externe » car le phénomène juridique est observé en tant que phénomène social et, à ce titre, demande d’être étudié grâce aux outils disciplinaires idoines, mais le point de vue est également « modéré » car il ne rejette pas les particularités du discours juridique et les inclut dans sa démarche analytique globale.
1178. Avec cette thèse, nous espérons avoir pu mettre en lumière des aspects des régimes environnementaux méditerranéens qui susciteront d’autres recherches permettant de construire ce « point de vue externe modéré » méditerranéen. Ainsi, on peut espérer que les causes du schisme de réalité pourront être déconstruites et que des solutions concrètes à la crise environnementale régionale pourront être formulées.
Notes de bas de page
1886 L’approche méthodologique que nous avons retenue pour mener notre analyse permet de réitérer l’exercice pour d’autres régions. Ainsi, il serait possible de formuler une problématique similaire pour la région Pacifique ou encore l’océan Indien. Une telle démarche mettrait en exergue les dynamiques juridiques et institutionnelles de ses régions de façon similaire à l’étude que nous venons de mener. Il serait ainsi envisageable d’identifier certaines constantes dans les différents cadres régionaux mais aussi dégager leurs originalités (dans notre cas d’étude, le cadre institutionnel du PAM par exemple).
1887 S. Aykut, A. Dahan, Gouverner le climat : 20 ans de négociation internationale, SciencePo Les Presses, Paris, 2014, 749 p., Chapitre 8 : Un schisme avec le réel, p. 399-437.
1888 Cf. introduction générale, § 100.
1889 L’autopoïèse désigne la propriété d’un système à se produire lui-même.
1890 Cf. introduction générale, § 4.
1891 Par exemple, l’absence de règles procédurales claires pour la conduite de l’expertise au sein du PAM, cf. chapitre 2, § 314-320.
1892 Par influentes, nous entendons que les liens ont un impact mesurable sur la façon dont les régimes se développent.
1893 Sur ce point, voir l’ouvrage au titre évocateur, M. Andenas, E. Bjorge (dir.), A farewell to fragmentation: Reassertion and convergence in international law, Cambridge University Press, Cambridge, 2015, 604 p.
1894 Pour une analyse récente de cette tendance dans le développement du droit international voir, A. Peters, « The refinement of international law: from fragmentation to regime interaction and politicization », International Journal of Constitutional Law, vol. 15, n° 3, 2017, p. 671-704.
1895 S. Aykut, A. Dahan, Gouverner le climat : 20 ans de négociation internationale, op. cit. Pour une présentation plus synthétique de cette notion, voir A. Dahan, « La gouvernance du climat : entre climatisation du monde et schisme de réalité », L’Homme et la Société, vol. 199, n° 1, 2016, p. 79-90.
1896 Par exemple, C. Piante, D. Ody, Méditerranée : La croissance bleue face au défi du Bon État Écologique, WWF France, Paris, 2015, 167 p., p. 1, « Compte tenu des courtes échéances, il est probable que le Bon État Écologique ne soit pas atteint d’ici 2020 pour plusieurs descripteurs de la Directive Cadre Stratégie pour le Milieu Marin (DCSMM) ». Pour rappel, nous avons mis en évidence que les descripteurs du BEE du PAM sont alignés sur ceux de l’UE, cf. chapitre 6, § 863-864.
1897 La même remarque vaut aussi pour l’ACCOBAMS dont les rapports du Comité scientifique restent alarmants d’année en année.
1898 C’est notamment ce qui est arrivé en 2010 pour le Plan stratégique de la Convention sur la diversité biologique. Et ce qui se passera très probablement pour les Objectifs d’Aichi avec l’adoption du cadre post-2020 lors de la
1899 Sur les différentes lectures de l’efficacité des régimes environnementaux, voir P. Le Prestre, Protection de l’environnement et relations internationales. Les défis de l’écopolitique mondiale, Armand Colin, Paris, 2005, 477 p., p. 330-342. Tandis que dans une perspective juridique, l’efficacité et l’effectivité se mesureront sur la base de l’application des normes juridiques issues des régimes, d’autres observateurs pourront considérer un régime comme efficace si celui-ci renforce la coopération entre ses membres, et ce, en dépit de la réalisation de ses objectifs initiaux.
1900 Par exemple, l’ACCOBAMS, bien que n’ayant pas permis une amélioration de l’état de conservation des cétacés dans la région, a néanmoins contribué à stimuler la recherche et la coopération scientifique sur ce point. L’Accord, bien que n’ayant pas permis la réalisation de ses buts principaux n’en est pas pour autant sans effet. Voir, ACCOBAMS, 2013, Résolution 5.1, Stratégie de l’ACCOBAMS (2014-2025).
1901 Nous entendons ici la pluridisciplinarité comme l’étude d’un même objet selon plusieurs axes disciplinaires.
1902 Chapitre 4, § 595 et s.
1903 La sociologie des organisations est une discipline qui a pour but d’étudier comment les membres d’une organisation construisent et coordonnent des activités collectives organisées. Pour une présentation synthétique de la discipline, voir L. Bagla, Sociologie des organisations, La Découverte, Paris, 2003, 128 p.
1904 P. Haas, « Do Regimes Matter? Epistemic Communities and Mediterranean Pollution Control », International Organizations, vol. 43, n° 3, 1989, p. 377-403.
1905 F. Ost, M. Van de Kerchove, « De la scène au balcon. D’où vient la science du droit ? », in F. Chazel, J. Commaille (dir.), Normes juridiques et régulations sociales, LGDJ, Paris, 1991, 426 p., p. 67-80.
1906 L’interdisciplinarité est entendue par les auteurs comme l’apport d’éléments extérieurs au cadre d’analyse d’une discipline sans pour autant s’en départir. Par exemple, une analyse juridique qui prendrait en compte des éléments de sociologie ayant trait à l’objet analysé. L’interdisciplinarité se distingue ainsi de la transdisciplinarité qui a pour finalité de fusionner les disciplines en en créant ainsi une nouvelle.
1907 F. Ost, M. Van de Kerchove, « De la scène au balcon. D’où vient la science du droit ? », loc. cit., p. 72-77.

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