Retour vers le futur
Quels usages constitutionnels du passé ?
p. 7-9
Texte intégral
1Derrière le clin d’œil à Robert Zemeckis, « Retour vers le futur constitutionnel », qui était le titre facétieux de la journée d’études, cet ouvrage collectif de doctorants de l’Institut Louis Favoreu aborde une question essentielle, celle des usages que le droit constitutionnel fait du « passé ». Le choix de ce terme reflète d’emblée la complexité de la tâche. Ce passé que l’on exhume se révèle de fait multiforme. Il peut renvoyer à des événements comme à des périodes, tantôt sources de légitimation, tantôt facteurs de rejet. Leur évocation est fréquemment le terrain d’une tension entre mémoire et histoire, entre émotion et connaissance, entre « cœur et raison »2. Leur utilisation répond à des objectifs variables, oscillant entre volonté de rupture et recherche de continuité. Comment donc ce passé aux multiples facettes est-il saisi par le droit constitutionnel ? Explorant un ample champ, tant sur le plan historique que géographique, les jeunes chercheurs de l’ILF s’efforcent de répondre à cette question en interrogeant constitutions, décisions de cours constitutionnelles ou encore travaux d’experts internationaux.
2Après deux reports infligés par la conjoncture sanitaire, leurs travaux ont pu être exposés le 26 mars 2021 selon un savant dosage de « présentiel » et de « distanciel », mais surtout sous une forme originale et particulièrement fructueuse, grâce au soutien de constitutionnalistes éminents qui ont suivi les doctorants durant leurs recherches et sont intervenus en binômes lors de leur présentation. C’est à notre collègue Ariane Vidal-Naquet, qui a piloté ce beau projet, qu’a logiquement incombé la tâche d’ouvrir cette journée d’études. Ses propos introductifs, intitulés « Constitution et passé : du fait à la norme » posent clairement les enjeux de la constitutionnalisation du passé en s’attachant à décrypter ses causes – objectifs de la fonction référentielle, relation entre mémoire et histoire – comme ses conséquences – normativisation du passé. Sur ce socle, les différents textes repris dans cet ouvrage étaient articulés autour de deux axes : l’appréhension constitutionnelle du passé et l’utilisation constitutionnelle du passé.
3Sous le parrainage de Michel Verpeaux, Pauline Malléjac nous livre tout d’abord un précieux travail de définition à partir d’une approche comparative : « Constitutions mémorielles, révisionnistes, amnésiques : quelle mémorisation constitutionnelle du passé ? ». Son texte nous propose un tableau suggestif des appréhensions constitutionnelles de la mémoire collective. Puis, avec l’appui de Pierre-Nicolas Barenot, Clarisse Valmalette entreprend d’établir une typologie de plus de cent préambules, projet ambitieux s’il en est mais indispensable tant la portée symbolique de ces préambules, qui s’inscrivent dans « le temps long », est déterminante. Sous le contrôle d’Emmanuel Cartier, Cédric Aguzzi s’intéresse ensuite aux relations entre un droit infra-constitutionnel, que caractérise la continuité, et un droit constitutionnel, marqué par l’instabilité : « Continuité matérielle du droit infra-constitutionnel et changement constitutionnel – Le traitement du passé ».
4En équipe avec Fabrice Hourquebie, Claire Parjouet-Calvet nous conduit sur le continent africain avec « De l’usage de la mémoire collective au sein des constitutions de transition ». Sur le fondement de seize constitutions transitionnelles, elle nous fournit une vision claire et argumentée des fonctions référentielles de ces textes provisoires.
5Avec le soutien de Natașa Danielciuc-Colodrovschi, Dorottya Collet-Retkes analyse, quant à elle, « Le recours à l’histoire dans les transitions vers la démocratie illibérale » en étudiant les racines de la Constitution hongroise entrée en vigueur le 1er janvier 2012. Sous le regard de Romain Rambaud, Maria Gudzenko se penche sur « L’assistance constitutionnelle et l’histoire : l’exemple de la Commission de Venise ». Dans cette étude aussi complète que convaincante, elle met parfaitement en évidence l’importance fondamentale de l’histoire dans la construction des standards européens, tout en insistant sur les limites des avis rendus par la Commission dont le travail d’expertise requiert une meilleure maîtrise des références à l’histoire. Après quoi, la communication d’Arnaud Morando, « Le traitement des lois mémorielles par les cours constitutionnelles », élaborée en concertation avec Jean-Pierre Massias, s’intéresse aux utilisations juridictionnelles du passé. Portant son attention sur les lois mémorielles et le recours fréquent dont elles sont l’objet dans de nombreux systèmes juridiques en Europe, il nous offre une démonstration solidement étayée de leur inadaptation comme instrument normatif de reconnaissance du passé.
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6L’ensemble de ces contributions est du plus grand intérêt sur le plan juridique comme historique. Les aspects techniques y sont traités avec sérieux. Les enjeux historiques y sont identifiés avec précision. De sorte que l’impression globale qui se dégage de ces travaux est celle d’une authentique réussite. L’implication des universitaires qui ont encadré les recherches de ces doctorants, la satisfaction qu’ils ont manifestée lors de leur présentation en témoigne. Ces binômes sont une expérience à rééditer absolument.
7En qualité d’historien du droit, je ne peux que féliciter et remercier ces jeunes chercheurs de leur intérêt pour l’histoire. S’il est important que les historiens s’intéressent à l’actualité et portent sur elle ce regard objectif sans lequel on ne pourrait dépasser les polémiques inutiles trop souvent relayées par les médias, il l’est tout autant que les spécialistes de droit positif alimentent leur argumentation en se nourrissant d’histoire. Car, au fond, ce lien entre histoire et droit constitutionnel est crucial. Il ne saurait d’ailleurs se limiter aux usages volontaristes que l’on peut faire du passé sous quelque forme qu’il prenne. Qu’on le veuille ou non, nous sommes les produits d’une histoire comme nous le rappellent si besoin était plusieurs des principes que nous a légués la Révolution française – séparation des pouvoirs, souveraineté nationale, droits de l’homme et du citoyen – et qui forment encore le socle de notre droit constitutionnel.
Notes de bas de page
2 A. Prost, « Comment l’histoire fait-elle l’historien ? », Vingtième siècle. Revue d’histoire, janvier-mars 2000, n° 65, p. 5.
Auteur
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Marcel Morabito
Professeur émérite, Ancien recteur d'académie, Aix Marseille Univ, Université de Toulon, CNRS, DICE, ILF, Aix-en-Provence, France

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